La folle voix......
« Ecrire, ce n’est pas parler ». Et pourtant… Ecrire porte la voix. Quelle voix ? Pas la voix de notre bouche, pas celle de nos dents, de nos lèvres, de notre langue. Ecrire porte une voix. Une voix de nous. Une voix qui erre en nous. Quelqu’un parle en nous bien au-delà des sons émis. Et c’est un interminable monologue. La litanie infinissable. « Ecrire, ce n’est pas parler », c’est dire. Dire la voix en nous. Et révéler la présence.
Il y a entre la chair et l’os un être qui rode, un être de gravité. A la démarche incertaine et ombreuse. Il y a derrière notre face de jour, un spectre qui claque des dents. Qui rit parfois. Qui pleure souvent. Et qui parle, un monologue inaudible, interminable. Et l’écriture nous dit sa présence. Dans le creux des silences. Car l’écriture porte la voix de l’ombre. Entre le mouvement des phrases. « Ecrire, ce n’est pas parler ». Car on ne dit jamais rien, rien qui tienne dans un univers en expansion. Et parler c’est contredire la voix de l’ombre. Et parler c’est faire taire la voix de l’ombre. Le réel et le vrai, toujours cette dualité. Et cette déchirure. Et notre vagabondage entre parler et dire. Entre le réel et le vrai, sans jamais être ni vraiment dans l’un ou dans l’autre. A cause d’un univers en expansion. Avec les trous noirs.
Et l’écriture a été inventée comme une arche qui tente de rejoindre les rives du fleuve impraticable. Fleuve. Flots des jours, et notre pitoyable insignifiance. « Ecrire, ce n’est pas parler », car parler c’est se ravaler à chaque mot, à chaque idée, c’est se renier inlassablement par désespoir, ou vacuité, ou peur, ou lâcheté. Et c’est le bruit de nos pas et leurs traces qui s’effacent. Et l’impatience exacerbée. Et le ciel qui s’assombrit.
Ecrire c’est dire, et dire n’est jamais vraiment lisible, puisque dire se fait au couteau, juste entre la chair et l’os. Et dire c’est signifier. Et signifier c’est toucher du doigt le soleil et chaque étoile du ciel. L’écriture révèle la trace du couteau à chaque souffle de la voix.
Ô mon dieu, mes ombres saignent, et ma voix à tant de mal à traverser mon sang. Ma voix, la folle qui tient ma maison, celle qui connaît mes histoires, mes attentes, mes ivresses sauvages, celle qui c’est nourrit au lait de ma solitude, celle qui a creusé mon ventre pour enfanter mes monstres ou mes diamants. Ma folle voix, avec ses vocalises muettes, ses murmures provocants, celle qui me souffle d’incompréhensibles songes, avec sa façon bien à elle de vriller ma mémoire et de raidir ma main qui écrit. Ma folle voix, qui a besoin de tant de vide. « Ecrire, ce n’est pas parler », et elle le sait. Elle, qui pèse sur mes mots pour les rendre impraticables, elle, qui trace des arabesques devant mes yeux, tissant de terribles linceuls avec les fils coupés de mes souvenirs, de mes amours. De mes amours. De mes amours.
Ma folle voix qui a besoin de tant de vide, de tant de lande, de tant d’exil. Ma folle voix qui appelle tous les incendies et qui me voudrait roi ou mendiant. Et elle s’écorche dans ma parole, et me le rend bien, au centuple. De son silence épais elle me retire du monde des vivants. Car il lui faut tout, mon espace et mon temps, et mes yeux, et mes lendemains, et mes toujours. Elle me vide, et me veut fait de rien.
Alors je suis vidé. Vidé des jours et des visages. Vidé de mes histoires. Vidé des peaux que j’ai caressé, des sourires que j’ai tenté. Vidé comme une grande cathédrale de malheur, vidé de mes compassions, des mes murailles de Chine, de mes cascades nordiques, vidé comme un puits de désert.
Alors je suis vidé. Vidé de mes rencontres, et des baisers que l’on offrait au détour de l’aurore. Car il lui faut tout, les ventres que l’on a aimés, la sueur des corps. Même les gestes oubliés, la main que l’on n’a pas tendu. Tout, même mes crépuscules, des mes prières. Tout, même mes océans. Surtout mes océans. De mes cris d’orgueil ou d’effroi.
« Ecrire, ce n’est pas parler ». Et pourtant… Ecrire porte la voix. Une voix qui erre en nous. Ecrire c’est l’anti-matière de la parole. Un trou noir de l’espace des mots. Le trou noir de l’attente, et des tempêtes de l’attente, et du soleil de l’attente. Léger comme une grâce…
« Ecrire, ce n’est pas parler » c’est chanter, juste avant la mort.
Léger.
Léger.
Chanter, juste avant la mort.
Franck.