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J'irai marcher par-delà les nuages
24 mars 2019

Lettre N° 210 - Au temps des arabesques...

Mon Amour,

Nous n’aurions jamais dû faire ce pacte d’écriture. Cette correspondance n’aurait jamais dû exister.
Pourtant je m’y accroche jusqu’à la douleur.
…………………………………………….
…………………………………………….

Chaque jour l'épreuve. La page. Pourquoi ? Pourquoi faisons-nous ce chemin ? Qu'attendre de cette confrontation de nos mots ? Ces lettres sont longues à s'élaborer. Toujours. Avancée, ratures, effacement. Quelques grappes de mots qui viennent en saccades. Et puis la lente mastication. L'exercice de la bouche. Du son. Du rythme. Des syncopes. Des stases. Et parfois le rejet. Pourquoi ? Le texte résiste. Tu résistes. Il y a comme une lutte. Contre qui ? Toi ? Moi ? Contre quoi ? Mot par mot, ligne par ligne. Aller un peu plus loin. Sans savoir ni la destination, ni la signification. À l'intérieur je sens qu'il a une chose à atteindre, il semble même que les mots pourraient venir de cette chose, mais je n'y ai pas accès. Peut-être ce nous, qui nous résiste. Peut-être autre chose de plus destructeur.
Les paroles dessinent mon lieu d'exil. En creux. Dans le creux des mots. Ils suintent avec étrangeté, comme si je pressais une masse poreuse et gluante. Ils viennent avec leur lenteur, avec parcimonie. Ils raclent. Ils s'arrachent de l'ombre, et ramènent avec eux cette part d'ombre. Ce mystère. Cette impossible connaissance.
À l'intérieur il y a comme un frottement difficile à décrire, et les mots viennent de ce frottement. Copeaux d'une conscience à la dérive, ou d'un entêtement insensé, déraisonnable. De notre amour ? Même le corps est engagé. Je le sens dans mes bras, mes doigts qui frappent le clavier, ma poitrine, mon ventre. Surtout le ventre. Une sorte de tension sourde. L'intention du corps qui vient frotter un endroit vide, qui n'existe pas et qui pourtant est là. Puissant, invincible. Imprenable. La page est là, au lieu du frottement. Le souvenir de nos peaux l’une contre l’autre, épuisées de désir, de sueur, de soupirs. Le bonheur ? La nécessité du bonheur ? Ou sa fatalité ? Nous sommes des âmes brûlées, toi comme moi le savons.

T’écrire est une lutte. Une lutte froide, austère, sévère, sans éclat, monotone. Effrayante. Simplement entretenir la tension. L'exacerber. Comme s'il s'agissait de contenir quelque chose qui ne sortira pas. Qui de toute façon ne sortira plus. C'est une lutte froide contre quelque chose qui n'est ni ennemi, ni ami, quelque chose qui n'est que dans le creux, que dans le contre temps, qui ne dévoile sa présence que par son manque. Le paradoxe. Ton absence me manque, dit le frottement, dit le mot qui suinte. Ton manque, manque à mon manque réponds la chose en creux. Ton temps manque à mon temps. Il y a le frottement du manque sur le manque dans cette lutte distante, sans éclats, sans grandeur. Il y a la page chaque jour qui se dérobe un peu plus, encore plus sûrement que toi. Et ce temps de face à face, ce drôle de temps qui ne se raccroche à rien d'autre qu'à lui-même, un temps qui n'a pas d'histoire. Lente mastication des mots, scansion, succion, dissection. Il semble que tout réside dans cet enchaînement consenti. Cette volonté de le maintenir, et dans le même temps de le réduire.

Peu à peu l'amour se résigne, renonce, s’absente de mes mots. Il ne reste plus qu’une trame vidée de sa broderie, vidée de ses motifs, de son espoir, de ses fils de vie. Une matrice vidée de son élan, de son exaltation. Extinction progressive de la lumière, dessiccation des chairs de la parole. Le mouvement se rétrécit. Il ne reste plus que cette trame desséchée, dépouillée de sa faim, de ses tentations, un enchevêtrement laminé, accablé, où le souffle ne s'accroche plus.
Aimer, écrire sont le même mot, la même arche.... C'était il y a longtemps....au temps des arabesques....

Franck.

 

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Commentaires
P
Voilà, j'ai pris tous les mots, je les ai empaquetés soigneusement et emportés dans ma tanière. J'ai emballé de manière plus précautionneuse "pensée qu'on attraperait par l'oeil", "poésie débarrassée de ses mots" et "elles parlent au coeur vos photos". Mais tout l'ensemble est précieux et j'espère que rien ne sera abîmé dans le déménagement jusque chez moi. Merci de ce cadeau, passager clandestin. <br /> <br /> <br /> <br /> Tout récemment j'ai mis sur mon blog une citation d'Agnès Varda. Peut être pourrait elle être une réponse aussi : "Je ne veux pas montrer mais donner l'envie de voir"'. C'est joli hein ?
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F
Bonjour Pastelle, je suis tellement ravi de vous voir ici ! Vous éclairez ma soirée…<br /> <br /> Vos mots me touchent infiniment… Ils sont à l'image de vos photos, de votre travail (recherche irait mieux) : lumineux, bienveillants, intelligent, vif….<br /> <br /> Peut-on dire d'une photo qu'elle est franche ? Je reçois les vôtres de façon si nette, comme si par magie vous touchiez instantanément des évidences.<br /> <br /> Elle sont aussi si généreuses, je le sens à travers les yeux de vos modèles, qui sans aucun doute vous reflète. Je sens la nature, les saisons attentives à vôtre regard…. on pourrait croire qu'il ne leur manque que la parole, en fait, elle nous parlent, vos photos; elles nous séduisent, puis la discussion peut commencer… Elles parlent au cœur vos photos, mais pas que… bien sûr, la beauté, mais pas que... vous leur donnez une si claire énergie, des photos en forme de pas de danse… <br /> <br /> Vous nous montrez ce qui est à voir, comme si votre objectif saisissait par effraction un réel qui nous aurait échappé… une pensée qu'on attraperais par l'œil… une poésie débarrassée de ses mots<br /> <br /> Vous voyez, moi aussi je suis une sorte de passagers clandestin chez vous…;)<br /> <br /> Belle soirée !<br /> <br /> Franck.
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P
Vous savez toujours je vous lis, toujours je m'émerveille de vos mots et votre manière de les broder, mais je ne sais jamais quoi dire. <br /> <br /> Comme ces écrivains aux quais du polar. Je ne sais jamais quoi leur dire d'autre que : "J'ai adoré". Alors je ne dis rien et je fais des photos. <br /> <br /> Mais ici je ne peux pas faire de photos. Alors je vous le dit, j'adore vous lire...
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