Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

J'irai marcher par-delà les nuages

3 mai 2008

L'ininspiration.....

Et ce n'est pas l'inspiration qui vient à nous manquer. Elle ne compte pour rien. Ce n'est pas l'inspiration, mais la volonté acharnée de vivre. Un vouloir. Un noir vouloir de vivre encore. Mourir un peu plus loin, un peu plus tard. On écrit toujours dans un après, non par inspiration, mais dans l’extension d’un temps inhabitable. Ecrire commence lorsque les muses sont mortes. Sur l’octave supérieur de l’abîme. Là où le révolu reste encore à vivre. L’accroissement d’un désastre. L’inévitable développement du fini.

Le texte s'obscurcit, non pas lorsque les mots viennent à manquer, mais par renoncement lâche à mon sang. Par concession à l’oubli et à l’ennui. Par ma chair qui capitule, par ma voix qui s’accable. Avec la mort au bout. Lorsque je ne consens pas à brûler assez vite, assez fort. A aimer sans douleur.

C'est le vouloir vivre qui fait écrire. Et le vouloir vivre nous met immanquablement en face du pire de nous-même.

C'est ce pire qui nous fait reculer.

Les mots se refusent à la mort qui en nous s'avance. A la mort avec laquelle on pourrait pactiser. Le texte s'effondre toujours sous le poids de notre indignité. Les mots ne se rendent pas, ils ne capitulent pas, ils s'éloignent de nous en nous écorchant de ne pas avoir été dit. La mort ne les capture jamais vivants. Ils sont libres. La prison est pour nous.

Au moment d'écrire nous sommes un nœud de relations, un nœud de forces dont les plus importantes tentent de nous broyer. La dignité de l'écriture réside dans cette lutte étrange, presque invisible entre nos désirs contradictoires et le brasier du sang. C'est de ce frottement que naît le texte. De cet écrasement vaincu.

Ecrire touche aux confins de l'univers, pour essayer de les dépasser, c'est le geste des dieux, qui tracent un grand cercle de feu dans lequel ils jettent les galaxies dans un grand éclat de rire.

Alors, ce n'est pas l'inspiration qui vient à manquer. C'est notre bras qui tremble. C'est la vie qui reflue en nous. Un continent qui recule, qui s'efface. Une mer vaincue qui ne survit plus aux marées d’équinoxes. Et le soleil peut alors se lever sur la vacuité de nos jours.
Franck.

Publicité
Publicité
1 mai 2008

Couture......

Un temps qui n'a pas de rive et qui s’effrange comme un tissu élimé. Dans quel temps se passe l'écriture ? Dans quel présent je suis ? Là, maintenant. A découdre les ourlets de l'univers, comme si brusquement il avait rétréci, comme si le temps faisait des plis, comme si l'on pouvait être prisonnier d'un bourrelet, ou d'un revers, d’un faux pli.

Point de croix sur point de saignée. Ravaudage de la mémoire. L'aiguille des mots pique les bords du trou. Pique à l'endroit du débordement. De l'écoulement. L'aiguille des mots rapièce le temps défait. Le vieux temps. Le temps usé. Le temps lustré.

Alors on retient les bords de l'univers, on essaye à chaque texte de contenir la déroute, la disparition. Et on pique pour traverser au plus profond, on tire sur le fil des souvenirs, on tire sur le fil de nos jours, le fil de nos attentes. Et ça fait toujours un peu mal. Piquer le lieu fragile de notre vie effilochée. Les chairs peuvent se déchirer.
Souvent elles se déchirent les chairs.
Souvent le texte se coupe.
Souvent c'est une catastrophe.
Souvent on se dit que c'est une tâche impossible.

Un point de croix sur un point de saignée. Chirurgie du désespoir. De la lenteur. De la constance. De l'oubli.

Ce temps qui échappe au temps. On tire sur les bords de l'univers pour les poser là, sur la page. Avec la pauvreté des mots, et notre pitoyable espérance. Bord à bord. Et piquer. Suturer cette béance, sous le regard moqueur de nos siècles. Avec cette aiguille trop grosse, avec cette aiguille qui emporte les morceaux de chair.

Et pourquoi cette joie étrange à chaque piqûre des mots ? Pourquoi cette jubilation à tisser tout ce malheur, à broder ces motifs inconnus sur cette trame infini ? Pourquoi coudre cette robe de fête sur ce linceul ? Pourquoi... ?

Franck

27 avril 2008

Du dessaisissement.......

Car l'écriture ne nous appartient pas. Posée ici, elle est vouée à l'errance. C'est une mendiante vêtue de sa seule pauvreté. Elle est bien moins qu'un enfant qui vous quitte. Elle a nul lieu, nulle direction. Elle est à peine un bouchon dans l'océan. Posée ici, elle appartient au hasard. Elle ne reviendra jamais frapper à votre porte. Elle est vouée à l'errance à la recherche d'autres solitudes, jusqu'à la cendre de la cendre.

Le destin du texte c'est la perte, c'est la désolation, c'est la mendicité. Le texte voyage entre deux absences. Un peu comme l'amour. Il erre entre deux solitudes. Un peu comme l'amour. Et le voile qui le couvre, c'est la mort qui rôde. Comme un feu qui s'étouffe par manque de souffle. Par négligence. Par abandon. Le texte posé ici, est le nom même de l'errance, de la perte, du manque sacré. De l'attente souveraine.

Le texte posé ici est un désert qui ressuscite à chaque caravane qui le traverse. Il est passage, franchissement.
Ecoulement sans fin de la fin.

Une fois posé ici, le texte n'a plus de forme, ou alors il les a toutes, il est prêt à suivre n'importe qui, n'importe quelle insuffisance, n'importe quelle bouche. Il a la forme d'un autre, d'un inconnu, d'une absente. Et à chaque rencontre il offre sa gorge, son ventre pour se faire pénétrer d'une solitude nouvelle.

Le texte posé ici se joue des présences. Il vient de l'ombre. Il y retournera. Il tient la mort par les deux bouts. Et pourtant il n'est rien, sinon la forme la plus achevée du vide. Et sa puissance est celle d'un fil de soie tendu entre deux planètes. Et c'est un vagabond entre eux exils. Et il mendie la solitude et le manque, puisque c'est sa seule nourriture. Puisqu'il vient de là, puisqu'il y retournera. De l'eau sur de l'eau. Du temps sur du temps. La désappartenance. Le dessaisissement.

Aux noces du texte il n'y a pas d'invité, ce sont des noces furtives, puisqu'elles sont dérobées au hasard, à la fatalité. Noces de l'absence et du silence. Fêtes de nos désespoirs où l'on consume les chairs brûlées de l'amour, et les visages perdus. Oui, tous ces visages égarés. Nos temps d'affaissement. Le temps du texte arrache les mauvaises herbes de nos vies, pour en faire des bûchers, et souffler sur nos cendres. Nos cendres à venir.

Le texte posé ici, dans son indécence, mêle nos morts successives et nos résurrections. Les miennes, à toute les autres. Frères de mort et de résurrection avec ce texte aux paumes ouverte.

Le texte naît du silence et du malentendu qui l'accompagne. Et c'est de ce clivage, de cette séparation invincible qu'il naît. C'est de cette rupture de silence, de cet échange de silence qu'il naît. Et du malentendu qui l'accompagne. Et c'est pour cela que la voix chancelle un peu. L'oreille de l'œil est sourde au monde, elle ne sait que vibrer, frissonner de sa désappartenance. De son dessaisissement. De sa disgrâce.

Et la voix tremble, comme si toute lumière ne pouvait surgir que de ce malentendu consenti. Que de ce secret tacite, scellé au cœur de la nuit.

Chacun a dans les mains du coeur un morceau du symbole. L'écriveur, et le lecteur. Et si le hasard leur fait rapprocher les deux morceaux qui pèsent sur leur vie, quelque soit la coïncidence, ou quelque soit l'ajustement, il reste toujours une difformité inconciliable. Et c'est là, là dans cet espace impossible à combler, que réside la lumière. Le miracle.

Le texte vit de cette apparente similitude, et il brille de l'impossible. Il brille d'un trou, d'un trou d'inconcilance par où s'échappent la vie et l'espérance dans cette hémorragie de silence.

Franck

26 avril 2008

Un peu de poussière.....

Il arrive à l'alpiniste d'atteindre le sommet. Dans l'écriture, parfois on fini, jamais on n'atteint.

Poussière et souffle. Rien de plus. Rien de moins. Le pitoyable uni à l'invisible du mouvement. Du négligé sur du négligeable. Du rien sur du rien. Evanescence. Insaisissable élan de l'écriture. Des mots qui s'effritent. Poussière de poussière. Inconstance fragile de toutes nos pensées. Moins que du sable, avec ce souffle qui donne l'illusion de la vie. Fécondation poussive des lèvres de l'écriture, glissement de nos expirations autour de nos restes. De la poussière plein la bouche. De la poussière qui tapisse nos poumons. Nos souvenirs. Nos actes. Nos amours passagères. De la poussière au goût de cendres.

Poussière. Pénurie de matière, de solidité. Insuffisance. Grains légers des mots qui s'envolent et qui se perdent sur les chemins de la langue. Errance, vagabondage de nos mots qui s'égaillent, que l'on aperçoit dans les rayons de lumière dans l'agitation d'une danse fébrile. Eperdue. Profusion de manque suspendu, qui recherche les recoins de l'âme, pour s'entasser dans les déserts de l'existence. Les royaumes de la poussière sont les greniers, les lieux oubliés, en dehors des passages et des vacarmes. Quand elle se rassemble c'est pour quelques poèmes, quand elle se regroupe c'est pour quelques pages, le temps d'une aurore, puis les mots se désagrègent, sans bruit, sans trace. Les mots traversent la terre sans la toucher, simplement en l'effleurant. Caresse triste d'une parole recherchant sa propre densité, son propre poids, son escale, son havre. Un sourire consentant. La paume d'une main ouverte. Poussière. Nuage d'une matière qui n'est rien. Rien. Un simple passage dans l'air du temps. Une promesse à peine audible. Elle contient toute les formes et n'en possède aucune. Elle ne fait que visiter le jour, sans s'accrocher aux heures. Elle recherche son souffle, celui qui l'emportera plus loin. Ailleurs. Et les mots  se dérobent sous leurs propres pas.

Et la poussière se mêle au souffle. Du négligé sur du négligeable. Il y a dans les noces du souffle et de la poussière, quelque chose qui tient du mystère. Le souffle vient apaiser le vulnérable en nous, le douloureux, comme cette mère qui souffle sur la plaie de son enfant pour en effacer le feu, mais le souffle dans son infini métamorphose encourage aussi la flamme de l'âtre pour lui donner la force et le désir de brûler un peu plus, de chauffer un peu mieux, de survivre plus intensément dans une chaleur renouvelée. Le souffle ponctue la fin de nos peurs en appelant des brindilles de paix. Souffle, voix silencieuse de nos mots. L'armature évanescente de notre parole. Il n'est rien, mais il tient tout, comme le vitrail tient la cathédrale. Il se saisit, en la brassant, de la poussière de nos textes, rafraîchissant la langue, inventant des volutes invisibles. Il est la direction de notre errance, le sens de notre persévérance. C'est la source des quatre coins de l'horizon. Il lave, il purifie chacun de nos souvenirs. Il est la première musique, il sera la dernière. Il est le seul langage amoureux, celui d'avant les mots, celui d'avant les mensonges, il est le voile qui habille nos désirs. Il n'est rien, invisible, et pourtant il nous rend à la lumière.

Le souffle se dévoile à nous lorsqu'il passe sur la poussière. Car c'est lui qui révèle le poème. Il en est le sang fugitif.

Il arrive à l'alpiniste d'atteindre le sommet, dans l'écriture, parfois on fini, jamais on n'atteint. Au bout des mots il reste toujours un morceau de rocher inviolé, impraticable. Dans l'écriture le sommet est toujours plus loin, toujours plus haut, toujours ailleurs, c'est la voie mystérieuse de l'écriture, sans doute sa voie divine. On est à un souffle du but.

Car le sommet s'invente au fur et mesure de l'écriture, toujours avec un souffle d'avance, toujours avec un printemps d'avance. Et peut-être que la littérature réside en cela, dans ce souffle qui maquera toujours à notre dernier souffle. Et on s'épuisera jusqu'à l'asphyxie, jusqu'à l'extinction des mots, jusqu'à écroulement de la parole. Jusqu’aux cendres.
A mordre la poussière.
A agrandir l’univers en aggravant la voix.

Et il ne restera que quelques poussières d’or entre la joie et la désespérance.
Et l’oubli dans l’ignorance de l’oubli.

Ecrire possède dans sa paume une flamme un peu noire pour dissimuler nos vanités, pour ne jamais oublier, qu’oublier c’est oublier la fin. Et ce qui sauve le dernier souffle c’est qu’il ne sait pas qu’il est le dernier.

Parfois dans écrire on fini. Jamais on n’atteint.

Franck.

« L'Éternel Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant. » (

La Genèse

)

20 avril 2008

Instants impossibles.....

Les mots se lovent dans la courbure du temps, à l'endroit creux, là où les eaux se rassemblent, larges flaques de mémoires et d'oubli, comme un œil qui fixe le ciel, par défi, ou par négligence. Flaques qui s'accrochent encore à la terre mais qui savent le combat déjà perdu. Rétraction des eaux de la parole. Assèchement lent. Lent. Le chant des instants qui s'épuisent.

 

Il y a, juste après la moisson, comme une suspension, comme un temps mort, cela ressemble à une catastrophe, la terre se souvient des blés et les pleure. Il y a une souffrance, juste après. Et ça ne dure pas longtemps. Peut-être un grand soupir. Une affliction. La terre se souvient et pleure. Là aussi une rétraction. Il y avait un champ, il avait les blés, le vent glissait dans cette mer de soleil crissant. Après il n'y a plus rien, seulement un souvenir. Il y aura d'autre saisons, d'autres coquelicotsépis, mais là, juste après, c'est une tristesse.

 

Après le concerto, après la dernière note du violon, juste après qu'elle se soit apaisée, juste entre elle et le silence qui la suit, il y a comme un abîme, comme une chose qu'on ne pourra plus franchir, comme une fatalité. Ca ne dure pas, pourtant l'âme tremble. Un court instant. On sait que le cœur pourrait s'arrêter là. La musique persiste encore, elle n'est plus que son rêve et tout la fuit désormais. C'est comme une rétraction. La réduction immédiate de tout devenir. C'est un moment instable qui s'absorbe dans son propre effondrement. Comme le souffle du mourant.

 

Il y a un moment, où l'enfant, dans l’exaltation du jeu, se suspend. Il s'arrête. Ca ne dure pas longtemps. Et son visage se voile, c'est comme si une aile passait sur ses yeux.  Il est saisi. Et brusquement il a tout oublié, le jeu, son nom, sa mère, son père. Il est entre deux mouvements, entre deux rires, peut-être entre deux vies. On sent qu'il pourrait disparaître brusquement, s'effacer de la lumière du jour. Cela ne dure pas. C'est comme un hoquet du temps. Comme s'il venait d'avaler sa propre ombre, comme si sa vie à venir était là, devant ces yeux, et qu'il devait décider. Et qu'un chagrin inconnu de lui pesait sur sa respiration. Juste après le jeu. Juste après le rire. Et c'est insupportable.

 

Comme cette femme qui se replie après l'amour, après les cris, après le sang de la jouissance. Elle se replie, comme si l'offrande avait épuisée plus que l'offrande, comme si l'amour avait épuisé plus que l'amour. Juste là, à ce moment précis d'après l'amour, ça ne dure pas longtemps. Et c'est une tristesse qui n'a pas de nom. Personne ne sait la nommer. Elle traverse comme le vol d'un oiseau, le corps et toute la vie déjà vécue. Ca ne dure pas. Mais c'est presque infini. Parce que rien ne peut dire cet instant. Cette fraction de temps. Car c'est un temps arraché, une chair arrachée où la mort s'insère, comme un grand soupir. Et cette femme pourrait pleurer, là, à ce moment précis, comme la terre après la moisson. Seulement pleurer.

 

Comme à cet instant du miroir où l'on ne se reconnaît pas, où nos traits se sont défaits. Ca ne dure pas, mais juste assez, pour qu'on ait le temps de lire dans ce visage inconnu toute la vacuité d'une vie, toute la vanité des désirs. Pour qu'on ait le temps de savoir l'impossibilité du bonheur et la dérision de vouloir y croire encore. Et encore. Et encore.

 

Ces instants sont des couloirs, les dieux les fréquentent, les anges aussi. Ils ne sont pas vraiment vécus. Ils sont impossibles à vivre. Ils renferment pourtant toute l'histoire du monde et celle des hommes. Ils sont des failles dans lesquelles se condense toute une tragédie.
Et c'est là, juste dans ces instants, juste dans l'endroits impossible des heures que l'écriture suinte. Juste là. Et c'est une tragédie. Ca pourrait être un bonheur. Mais c'est une tragédie. Et ça suite. Et c’est cela la disgrâce. Des cendres qui ont perdue le goût du feu.

 

Il y a des moments, je vous l'assure, je voudrais être en enfer. Ca ne dure pas longtemps. Je voudrais y être pour ne plus avoir à l'attendre. C'est comme une rétraction. Un chant qui s'épuise.

 

Franck

 

 

Publicité
Publicité
19 avril 2008

Quelques pétales rouges sur un drap de neige

Quand j'y repense la première image qui monte c'est la petite chambre mal éclairée. Une lumière pâle, un peu jaune, parce que les volets sont fermés. Sur le lit il y a un grand drap blanc qui descend jusqu'au sol. On dirait un navire. Dans mon souvenir, ce lit est immense et la chambre minuscule. Dehors c'est l'hiver. Un hiver froid. Il gèle. Il ne neige pas encore. Il gèle.

 

 

 

Dans la chambre aussi il fait froid. On a coupé le chauffage. Je suis assis au pied du lit sur une chaise. Quand je rentre dans la chambre je m'assois. Toujours sur la même chaise. Je n'y reste jamais très longtemps. Parce qu'il fait froid dans cette chambre. Je suis assis et je regarde droit devant moi le lit-navire-blanc. Je n'ai plus que ça à faire, me rassembler dans un regard perdu. Etre là, à la charnière de la désolation.

 

 

 

Quand je rentre dans la chambre je m'assois et je pose ma main sur le drap blanc. En fait, je ne pose que le bout des doigts. Le silence est rigide, fragile comme une pellicule de givre posée sur l'océan. Tout est silence maintenant. Et je sais que tout sera silence jusqu'à la fin des temps. Sur le lit sont posés des pétales de roses. Je revois très bien cette couleur de sang noir, des roses jetées sur le blanc du drap.

 

 

 

Un jour, en dérivant dans une lecture fastidieuse quelques mots m'ont sauté au ventre, c'est Perceval. A la fin du livre il vient de blesser une oie avec sa flèche. L'oie blessée s'est enfuie. Dans le livre il fait froid aussi, et la neige habite toutes les lignes, toute la parole, l'écriture brusquement blanchie à son tour. C'est Perceval qui tombe en suspend devant trois goutes de sang sur le blanc de la neige. Et brusquement le livre se paralyse. Perceval est dans l'égarement de sa raison, dans l'effarement de ces trois taches de sang, et tout s'arrête, il n'y a plus d'aventures, plus de Graal, plus rien que ces trois goûtes de sang dans le blanc de la neige. Perceval oublie tout, il est dans une fascination absolue, le monde est effacé, et toute son âme lui revient en mémoire ; cette belle jeune fille, et cette mère qui tremble d'avoir enfanté un garçon si turbulent. Il ne bouge plus. Il n'entend plus. Il est dans la traversée de sa chair. Ce retrait est sans doute le premier acte de la tragédie. Plusieurs auteurs ont évoqué cette scène de Perceval. Sans doute à cause de l’abîme qu’elle dévoile et creuse en nous.

 

 

 

L'image fusionne les univers, et condense les temps. C'est un précipité. D'où cette sensation d'aspiration lorsqu'on la lit. Aspiration et carambolage. L'image c'est un accident de la langue, une catastrophe miraculeuse. Un vertige. Elle est au cœur du mystère. Puisque c'est une folie. Puisque c'est une révolte contre la raison, contre la tyrannie. Elle unit et sépare en même temps. Elle concentre et divise, rapproche et éloigne. Un feu. L'image coupe, déchire, perce, traverse, claque comme l'éclair, enfante. Elle invente un monde nouveau. Elle est promesse et refus, et abandon.
Pourtant elle est si vulnérable, si fragile, elle ne tient que sur le fil coupant du texte, elle ne tient que par le balancier des mots. Elle ne tient à rien, en fait. Elle est en suspension dans un monde parallèle, hors de toute dimension, une femme nue couverte de voiles transparents. Hors de tout, vagabonde qui a quitté sa maison. Sans feu ni lieu. Ingénue, inconvenante, elle est devant nos yeux, invisible et présente, comme le parfum de l'amoureuse apporté par le vent. Elle surprend toujours, elle maraude, entre par effraction dans l'œil des mots effarés, elle ne laisse aucune trace, pas d'empreinte, pourtant le coup de hache est là, et bien là. Car l'image a erré, longtemps traînée, longtemps braconnée avant de lâcher son coup, avant d'ouvrir le texte en deux, en mille éclats. Elle rôdait dans nos veines, cachée dans l'ombre opaque de la langue. Et elle traverse en diagonale nos sens éteints. C'est l'humeur du sang. Et vouloir la saisir, la comprendre, la tenir est aussi vain que de vouloir retenir dans ses bras une femme tzigane. L'image est une eau débordante et folle.

Ce qui la fait naître c'est un désarroi. L'impossibilité de signifier. C'est d'abord un échec. Les mots s'écrasent les uns sur les autres. Ils s'empilent, comme des pierres inertes, et mornes, et mortes, sur le mur plat et triste du texte. Le rêve s'enlise. La main se crispe et tremble.

Dans la chambre il faisait froid et il y avait tous ces pétales rouges sur le drap blanc. Et la vie dans mes veines s'est rétrécie. Tout semblait s'être figé en cristaux transparents, coupants, prêts à se briser, même ma mémoire s'est durcie. Même le temps s'est durci.
Il fait encore si froid ce matin quand j'y repense.

Le drap ne faisait aucun pli, chaque pliure a été cent fois repassée. Elle, elle est là, au milieu des roses. Allongée au milieu des roses. Prise dans le froid des heures. Elle ne parle plus. Quand on est allongé au milieu des roses on ne parle plus jamais. C'est une chose qu'il faut savoir. Le drap la couvrait jusqu'à la taille, ses jambes cachées, ne faisaient qu'une tout petite vague d'écume blanche. Parce qu'il faut comprendre qu'elle était devenue si petite. Si petite. Elle ne pesait plus rien. Sa vie touchait l'os. Son nez paraissait immense. A l'instant je viens d'aller regarder une des rares photographies d'elle, je la connais par cœur cette photo. Elle avait dix-huit ans. Une photo en noir et blanc dans un cadre doré accroché dans le salon. Sur la photo son nez est parfait, comme le reste. Elle avait une beauté évidente, fraîche, avec quelques ombres de gravité, un peu d'inquiétude dans le regard. A dix-huit ans c'est normal, l'inquiétude donne du mystère.

 

 

 

Mais là, dans son visage d'os, je ne pouvais plus rien lire. Les lèvres n'étaient pas jointes, de la chaise j'apercevais le reflet blanc d'une dent. La veille les hommes noirs s'étaient enfermés avec elle pour les derniers maquillages, les derniers habillages. J'avais encore dans ma poche les petits poèmes que je lui avais lus. Je m’étais assis sur le lit en désordre dans la chaleur de la chambre, dans la lumière de ses yeux, mon cœur battait, on parlait tout bas, on était juste dans le souffle de nos mots. Je lui ai lu cinq misérables poèmes. J'ai bien vu ses larmes à la fin. Il ne lui restait plus rien, et en plus elle me donnait ses larmes. Nous étions tous les deux, elle a passé sa main dans mes cheveux et son geste s'est terminé en une caresse sur la joue. Après un long silence elle a seulement dit :  " Pardonne-moi ". Pourquoi, pardonne-moi ? Pardon de quoi ? Je n'ai rien pu répondre. Pourquoi pardon, maman ? Tu n'as rien à te faire pardonner. Tu meurs, ce n'est pas de ta faute. Nous nous sommes regardés un long moment. Notre dernier tête à tête.

 

 

 

Maintenant il fait froid dans cette chambre, assis je serre les papiers de poésie, et mes yeux se perdent dans cette vison de ce corps au milieu d'un cercle de pétales rouge. Quand les hommes noirs sont sortis, quand j'ai pu la revoir, je me suis approché du lit, je me suis penché et j'ai baisé son front. J'ai sursauté. Le froid sur mes lèvres. On sait bien que les corps qui meurent sont froids, on le sait. Et pourtant c'est un savoir impossible. Je suis allé m'asseoir.

 

 

 

Deux jours. Deux jours, et je n'ai pas pleuré. Pourquoi ? Pourquoi n'ai-je pas pleuré. Je ne le sais toujours pas. Perceval, durant un instant est arraché de sa vie, arraché de son corps, il ne sent plus rien, ni le froid, ni les hommes qui s'agitent autour de lui. Rien. Je suis dans un silence hagard, pétrifié. Et le temps dure comme l’hiver. Ca fait trente ans, et je suis toujours dans un silence hagard. Je n'ai pas pleuré, est-ce que tu comprends maman ? Je n'ai pas pleuré, est-ce que tu me pardonnes ?

 

 

 

Elle est partie la petite fille
Dans un ciel boursouflé de tendres blancheurs
Elle est partie là où les mots éclatent en grelots
Elle est partie sans rien dire à personne
En chantant sur des airs symphoniques
Douce et folle musique
Qui s'étale en éternité
Dans cet espace de fluidité
Où chaque particule se tait
La petite fille est partie
Sur son nuage de folie
Emportant avec elle
Dans ses bras enserré
Un bouquet de violettes
Un bouquet de bleuets
Bleu et rouge
Comme un couchant d'hiver
Comme un pays perdu
Ou comme un enfant triste.

 

 

 

Et les mots défont la mémoire.

 

 

 

 

 

 

Alors l'image naît du mouvement, du geste, de l'élan, c'est un pas de danse qui échappe au danseur, c'est un temps de plus dans la valse, un pas décalé, invisible et lumineux. Le clair dans l'obscur. Une vision brutale et douce comme la mort. Une île dans l'immensité. A elle seule elle veut sauver le texte qui sombre. Et la main qui fait naufrage.

 

 

 

L'image naît du geste. Elle est conséquence et prémonition. Comme la vague qui n'est rien, mais qui est aussi, la mer. Et qui déploie un mouvement qui la dépasse. Car la vague, même la plus insignifiante, sait l'océan dans son entier. Et c'est cette insignifiance suprême qui nous fascine. Et c'est ce savoir fatal qui nous trouble.

 

 

 

L'image est d'un autre temps que le texte, d'une autre dimension. Et dans sa trajectoire enveloppante elle cherche un Autre, un pays, un rivage. Elle est de la saison suivante. En coupant le texte dans le gras, dans l'immobile, elle cherche une autre continuité qui devance, outrepasse, submerge, le texte qui croit l'accueillir. Car l'image connaît les lieux, parce qu'elle les visite la nuit, durant notre absence. Elle porte déjà le texte bien avant sa présence, elle sait des espaces interdits que l'écriture ne connaît pas. Elle est ignorante des lois. Et ne vaut que par l'élan silencieux qu'elle dépose entre les mots, et à la suture qu'elle laisse sur l'iris.

 

 

 

Alors l'écriture peut continuer à déployer sa lente spirale. Car l'écriture se refuse à commencer. Ecrire c'est continuer. Une façon de tendre vers l'infini. Ecrire c'est continuer, c'est partir et s'éloigner du centre ignoré. Et l'image danse et plie nos paroles, même s'il y a du meurtre en elle, même si elle sauve et tue le texte, même si elle l'affirme et le dénie dans le même souffle.

 

 

 

Elle reste le regard de l'éphémère sur la face de l'éternité.
L'œil qui la fixe, et qui la fait brûler.

 

 

 

Maintenant il fait froid dans cette chambre, assis je serre les papiers de poésie, et mes yeux se perdent dans la vison de ce corps au milieu d'un cercle de pétales rouge. Je me suis approché du lit, je me suis penché et j'ai baisé son front. Et le froid sur mes lèvres a réveillé la mort en moi. On sait bien que les corps qui meurent sont froids, on le sait. Et pourtant c'est un savoir impossible. Je suis allé m'asseoir. J’ai regardé en silence ce navire blanc bordé de pétales. J’ai regardé mon naufrage. L’attente, de ce qui venait d’advenir.
Et parfois écrire.
Franck                                                                            Suzette

13 avril 2008

Les sillons.....

Avant le texte je ne sais rien. Après le texte je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n'écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu'il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C'est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s’épuisant.

 

Et toujours ce qui fascine c'est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L'imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement.
Ecrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. Vaine, donc indispensable. La forme produit du sens, le laboureur le sait bien, lui qui s'applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Et ainsi, de sillon en sillon, toujours le même, et à chaque fois toujours différent. L'épreuve renouvelée sans cesse. La grâce des saisons. Et la puissance de la récolte tient à ce consentement à l'harmonie de chaque sillon. La perfection du trait.
Le goût du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croûte de la terre pour en faire apparaître la mie. Et chaque sillon est l'histoire d'une vie. Et chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts.
Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure et de précaution. Le geste est puissant dans l'élan, léger dans sa sollicitude, car il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coup, sans arrogance.
Car le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte et pain. Et la forme du champ appelle la veillée, et les ombres, et le silence du repas partagé. Et le pain a la couleur de la terre. Et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Et elle porte une croissance qui la dépasse et qui l'anoblit.

 

Le champ est beau des moissons qu'il soulèvera. Mémoire de la terre dans les feux de l’été. Et le texte tient debout par un sens qu'il ignore. Le texte brille de ce qui n'est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, et par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.

 

Et les champs de blé nous émeuvent parce qu'on entend dans leur crissement, l'été, le souffle du laboureur qui a retournée cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons.
Ce qui nous plait dans le balancement des épis c'est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l'or du champ c'est le souvenir de cette terre nue et noire, cette terre hachurée, éraflée, blessée. Ce qui nous saisi dans le texte, c'est la qualité du silence qu'il tisse avec nous. Comme si l'important n'était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots, le silence du laboureur attelé. Des contre temps, dans le temps des saisons. Ce goût de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.

 

L'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.

 

Et tous les jours recommencer à enfiler le harnais pour tirer. C’est pour cela qu’écrire, n’est pas une activité heureuse, c’est une ouvrage sublime.

 

 

Avant le texte je ne sais rien. Après le texte je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n'écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu'il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C'est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s’épuisant.

 

Le navire désempare les ports à chaque coup de vent. Il invente la mer, et c'est le sens du voyage. Un autre temps. Les chronologies sont désarticulées. Le texte avance dans le temps de la mer et dans son oscillation, ses remous. Et s'il rêve d'un port, ce n'est qu'un rêve, qu'un prétexte. Sa volonté de navire est de bourlinguer sans fin. Les navires
n'appartiennent pas à la terre. Plutôt ils n'appartiennent pas à « une » terre. Car ils les condensent toutes. Ils sont les plaines, les montagnes, les fleuves, ils sont toute l'histoire de l'humanité, jetés dans un seul mouvement en avant, dans un unique élan ininterrompu. Un navire c'est une galaxie qui dérive et avance. Ainsi le texte qui progresse sur un océan d'ombre.

 

Avant le texte je ne sais rien. Après le texte je ne sais rien. Entre les deux : l'océan. L'océan et le chant des baleines.
Et l'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.
Franck.

 

 

6 avril 2008

Dialogue de l'ange et de l'enfant.....

Le texte est le labyrinthe obscur de la voix qui tente de le dire.
Le lieu du combat. Le lieu du serment et des dettes. Le lieu des ébranlements et des chaos.
Entre la voix et le texte il y a toujours une distance. Une résistance définitive. Des temps antagoniques. Des univers
irréductibles. La confrontation des points cardinaux.

La parole est une errance qui n'atteint jamais sa cible.
Et le destin de l'écriture est un voyage sans fin. Traversée des sables ou des mers. Elle est sans chemin. Elle est en pure perte. C'est ce qui la rend invincible

Et parfois le silence forme des îles, des portes dans l’océan infranchissable.

Et parfois, il y a un reste, un surcroît qui déborde du texte. Parfois seulement. Des mots se décrochent et tombent, comme s'ils avaient trompés la vigilance du porteur de voix. Des mots débordés. Comme le coolie qui renverse l'eau du seau dans son transport. C'est l'eau rare. L'eau fertile. L'eau détournée. L'eau qui ne sera jamais bue. L'eau du retour. L'eau évadée. L'eau libre. L'eau qui fait fleurir les talus, celle qui inventera les routes futures. Des mots perdus. Comme de l'eau renversée.

Parfois, il y a un reste, un surcroît qui déborde du texte.
Parfois seulement.
Et c'est la poésie.

Y a-t-il des paroles qui ne soient pas destinées ? Y a-t-il des paroles qui n'aient pas de direction ? Des paroles évadées, débarrassées des illusions, des sortilèges aussi bien que des grâces. Des paroles sans intention. Existe-t-il des paroles assez égarées, assez perdues. Existe-t-il des paroles assez pures pour être assez pauvres ?
Coquelicot dans les chaumes d'un champ de blé.
Parole affranchie de la voix des moissons.

Et la voix se perd dans des paroles jamais assez nues. Toujours impudiques.

Ecrire bien au-delà des marges. Dans la pliure. Dans le givre. Dans le désir dessaisi. Ecrire dans l'affaissement. Le retrait. La défaite. Voilà, la défaite, jusqu'à l'excès, jusqu'à l’étourdissement. C'est sans doute cela la perte. L'excès, la saturation, le vertige, l’ivresse. Dans la voix suspendue ou dans le silence cent fois enduré. Peut-être que la poésie est aussi, cette transpiration de la voix. Cette sudation. Un excès de fatigue sous le soleil.
Le murmure d’un gisant.

Comme un suintement. L'exhalaison d'un soupir.
Le poème c’est ce qui sépare la nostalgie du désespoir.

Il y a du fracas là-dedans, comme un éclat de verre qui retient une part de soleil. Coupure du réel. Et les vérités sortent de cette coupure. Et c'est pour cela quelles sont rouge.

Il n'y a pas de savoir. Uniquement une voix qui erre dans un labyrinthe sombre du texte. Et nulle connaissance ne nous sauve, hormis de pauvres révélations, et ce fragile tremblement, qui ne signifie rien de plus qu'un fragile tremblement. Rouge. Nostalgique et rouge et mélancolique. Et tremblant.

Une parole dans la pliure de l'univers. Une parole d’angle mort. Un puits abandonné dans le désert, et qui s'offre au temps. A la solitude. Et au mystère de la soif et de l'attente.

Aux épousailles de l'oubli et du vent.
Alors seulement commence la parole du ventre, le dialogue de l’ange et de l’enfant.
Franck.

5 avril 2008

J'étais la poussière.....

Tu as glissé comme une ombre neigeuse sur mes cendres fragiles, et tu t'es suspendue, un temps, à ma folie dérivante.

 

J'étais la poussière et le sable, et tu fus la semence du vent. Et l'éclair.
Et j'étais naufragé, et tu t'es faite île. Et j'étais la soif, et tu t'es faite fruit. Je n'étais qu'une écorce, tu m'as fait arbre.

 

Tu m'as poussée aux frontières des enfers, aux bords de ces abîmes, de ces archipels pourpres. Infatigable. Tu étais cette lande amère offerte aux souvenirs, qu'une aurore veuve et squelettique incendiait chaque jour. Chaque nuit.

 

Et j'étais pauvre, tu m'as donné la démesure, et la sérénité, et le soulagement de l'attente. Et j'étais le chaos, tu m'as appris la grâce, l'élégance du geste qui s'enroule sur l'ombre des heures. Je n'étais qu'un son dissonant, tu m'as montré l'octave, lorsque les notes s'épuisent et se faufilent dans les harmonies immaculées. Je n'étais qu'une écume pauvre en déroute, tu as su la tisser en dentelle de givre.

 

Tu as soufflé sur mes plaies dérisoires, oubliant tes humeurs, tes rumeurs, tes horreurs, tu as soufflé sur mes plaies vaines et frivoles avec la patiente douceur d'une mère attentive, avec cette complicité de sœur câline, et la tendresse d'une femme amoureuse. La tendresse d'une flamme généreuse. Tu fus la chair de mes os, et tes mains, la peau de mes rêves.

 

Et j'étais la poussière et le sable, et tu fus la lumière et l'étoile. Et j'étais misérable, et tu m'as fait sentier, chemin, passage, pèlerin embrasé. J'étais taciturne, tu fus ventre de délivrance d'aube. J'étais un puits sans fond, tu m'as offert la chair de ta margelle, le chant de ta poulie, l’alliance de ta corde.
Je n'étais qu'un désert, tu m'as fait citadelle Je n'étais qu'une friche, tu m'as fait jardinier. Je n'étais qu'un silence tu m'as fait symphonie. Tu m'as offert tes mots pour nourrir ma parole et tes incantations pour guider mes prières. Tu étais cette voix fauve sarclée de ferveur exaltée, incandescente, étincelante. Et tu étais un orage, un tourbillon enluminé d'innocence égarée. Un royaume sans frontière.

 

J'étais la poussière et le sable et ton vent a soufflé pour disperser mes cendres, et je devins nuage poussé par ton absence. Et je devins un ciel de miséricorde traversé de lenteur blanche.
Un rêve de papier débarrassé des marges.

Franck.

30 mars 2008

La parole du silence.....

Je me souviens de ce temps d’analyse. En parlant du rien, puisque c'est toujours de cela dont il s'agit. De ce lien qu'on a avec lui. Du badinage qu'on entretien avec lui. De nos nuits d'ivresse avec lui. De nos noces décomposées. Puisque c'est toujours de cela dont il s'agit. De cette longue histoire avec ce si peu. Je me souviens. De ce rien qu'on ne sait pas nommer, qu'on reconnaît à peine, de ce rien vaste comme un océan, à l'apparence insignifiante, à l'appétit d'ogre. Et puis, sa veulerie. La notre plutôt. Oui, je me souviens de ce temps d'analyse. De ce temps du divan. De ce temps de la parole et du silence. De ce long monologue jeté à un plafond fissuré. Répandu dans une pénombre d'antichambre.

 

 

 

Au départ, ça commence dans une profusion, une exaltation de la parole. Au départ on est dans l'aisance de l'histoire. Des histoires. On essaye tout, par chronologie, par thèmes. On départ on pense que ça ne finira pas, qu'on aura toujours quelque chose à dire.

 

 

 

Avant d'entrer chez la femme de l'ombre on a préparé tous les pans de notre histoire à révéler. On veut expliquer, faire comprendre. Au départ c’est à elle que l’on parle, que l’on tend sa voix.

 

 

 

Derrière, elle ne dit rien, ou si peu. Parfois elle pointe un détail, un mot. On s'arrête, on évite, on bifurque. Et on parle, on raconte. Notre histoire n'est pas très intéressante, pourtant à force de la dire on pourrait la croire passionnante. Au départ rien n'est très important, les mots se bousculent. On cherche des vérités qui sont bonnes à dire, enfin.

 

Et puis des vérités plus douloureuses. Et même ces vérités douloureuses sont bonnes à dire, encore. Et le temps passe, on est de plus en plus précis. On cherche le détail, on soulève les souvenirs un à un, à la recherche du signe, de la marque qui porte notre nom, qui désigne notre fatalité.
Et la femme de l'ombre accompagne cette profusion tapie dans son silence, avec l'abandon nécessaire à tout bonne patience. Papa, maman, les sœurs qu'on pas eu, ce qu'on à fait, ce qu'on a pas fait, nos femmes, nos enfants, nos amours, le sexe de nos amours, nos masturbations, nos faits d'armes, nos défaites, notre grandeur, notre misérabilité. Il faut tout dire, alors on dit tout, dans l'ordre ou dans le désordre. Nos peines, nos chagrins, nos lâchetés, l'ennui, l'enfant qu'on était, l'enfant qu'on est resté. Au départ, c'est un grand ménage, un grand déballage, on gansouille dans nos eaux saumâtres.
La dame de l'ombre attend. Peut-être que si l'on se retournait on la verrait sourire, ou dormir. Mais au départ on se moque de tout cela, on est seulement dans l'ivresse des mots. Dans ce grand déballage, dans cette braderie. Dans cette délation de nous-mêmes, dans ces aveux de confessionnal. On parle, on paye, comme si on allait aux putes et tout est bien ainsi. On se demande parfois à quoi tout cela peut servir, mais on continue. A cause de l'ivresse.

 

 

 

Trois fois par semaine. Et les mois passent. Bien sûr on commence à voir derrière l'histoire de drôles articulations. On voit bien certaines formes, invisibles à l'œil nu de la vie quotidienne. On voit bien d'autres histoires sous les histoires. On voit bien d'autres mots sous les mots. On voit bien des larmes sous les sourires, ou quelques abîmes sous les vagues. On devine bien d'autres désirs sous les désirs. A chaque séance on monte une marée. Et la mer est sans fin, et le temps de l'océan sans limite. Et la dame de l'ombre devenait peu à peu mon oreille. Peu à peu mes yeux. Elle est là, sans vraiment être tout à fait là.

 

 

 

Et puis, un jour, l'eau des mots commence à se tarir. Le flot est moins important, de gros cailloux de silence font des remous, où les mots viennent s'enrouler. Tourbillons d'écume blanche, où la parole disparaît comme dans une sorte de vortex de la langue. Et la dame de l'ombre est toujours là. Silence contre silence. Au début cela n'est pas fréquent. Pour éviter ces écueils on prépare encore plus à l'avance. Mais le dernier quart d'heure devient difficile à combler. Les mots sont devenus épais, ils raclent la mémoire. Il y a du sable sous la langue. Des cendres dans la voix. Un peu plus de rouge dans les silences. Un peu plus de sang dans l'attente. Un peu plus de peur dans les souvenirs.
Il y a une ivresse du silence. Un vertige. Presque une volupté.

 

 

 

Et puis une douleur.

 

 

 

Avec le sentiment de dérisoire. Une vie est faite de si peu de chose au fond. Même bien remplie. Il y a si peu d'événement. Si peu de rencontres. Si peu à en dire.

 

 

 

Alors c'est le temps des silences qui commence. De ces séances vides. Vides et lourdes, et douloureuses. Le temps du rien. Des colères contre la dame de l'ombre. Des colères contre soi.
Il n'y a plus qu'un filet spasmodique d'une eau troublée, tremblante. Si peu assurée de couler vraiment. Il n'y a plus que le lit asséché d'une vie désossée. Avec un limon sombre qui se fendille. Avec ses flaques boueuses.

 

 

 

S'allonger sur le divan pourpre devenait pénible, presque insupportable. Le silence se nourrit de lui-même. Il s'encourage.
Se fortifie. S'additionne. S'engraisse.
S’aggrave.

 

 

 

Il arrive que les couches de silence soient si épaisses, si compactes, qu'il devient presque impossible de le rompre, de le traverser. Chaque phrase part du plus loin du ventre, et remonte avec lenteur tout au long de l'estomac, pour venir peser sur les poumons. Chaque phrase cherche son souffle dans un air raréfié. Et les mots prennent des sens bizarres, baroques. Ce sont des mots tiroirs. Des poupées russes remplies de mystères.

 

 

 

La dame de l'ombre est à son œuvre. Elle tient ferme l'autre bout du silence. Elle tend la corde du silence. Sur laquelle quelques pauvres mots tentent de garder l'équilibre. C'est le temps des larmes, des doutes, des nœuds, des pierres. Sous notre vie il y a des paysages étranges. Derrière nos souvenirs il y a des plaines venteuses, des landes tristes. L’innomé. De vieilles sensations que les vieux mots n’ont jamais touchées. Des désirs sombres jamais avoués.

 

 

 

De quoi parlons nous quand nous avons tout dit. Que reste-t-il à dire. Au-delà de l'histoire, bien après l'anecdote. Bien avant.

 

 

 

Allongé je regarde la fissure du plafond. Je ne veux rien dire. Je ne veux plus rien dire. Plus jamais. Et cela dure. Des séances entières. Parfois je sens mon corps envahi de chaleur. Parfois j'ai froid. Et je cède. Aux mots. Aux relents des mots. A leurs spectres.

 

 

 

Là, on ne raconte plus.

 

 

 

Une voix d’avant la vie.

 

 

 

Il ne reste que des lambeaux de phrases. Des bulles qui crèvent le plafond, qui crèvent le lit du torrent asséché, bulles de soufre. Sous le lit, il y a d'autres lits, plus sombres, plus denses.
Bien après, il n'y a plus que des formes. Car peu à peu on entre dans le royaume des ombres. Et la dame de l'ombre semble bien les connaître.

 

Temps du rien. Souvent j'avais l'impression de construire une muraille invisible, à l'envers du décor. Temps du vide. Lancinant. Epuisant. Temps des redites. De l'usure. Comme si l'on agrandissait le vide. Comme si c'était cela l'important. Comme si à force d'être dans ce rien continuel cela donnait une consistance au vide. Comme s'il était vivant en nous. Longue traversée.

 

 

 

Longue marche de la parole où les silences pèsent plus que les mots prononcés, où le temps vide compte plus que tous les actes posés.

 

 

 

Quatre ans. Quatre ans. Dans le désordre du sens. Quatre ans à être éparpillé dans mes défaites, à flotter dans mes naufrages. A creuser le son de ma voix, à border la parole, comme on borde un enfant malade. A errer. A n'être qu'une errance.

 

 

 

Un jour on arrête. Plus précisément on suspend. On accroche son silence au clou de l'amour planté dans la fissure du plafond. Un jour on suspend. Il ne faudrait pas. Mais on le fait. C'est ainsi.

 

 

 

Après, bien après, on commence à écrire.

 

 

 

Ce sont les mêmes mots, c'est le même silence. C'est la même voix. C'est la même douleur et la même exaltation. C'est aussi vain et aussi essentiel. Comme une errance souveraine. Comme une ultime dignité.

 

 

 

Franck.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

29 mars 2008

L'entre temps.....

Chaque texte nous laisse dans le passage. Un éternel passage. Sans rive. Être là. C'est tout. Toujours partir et ne jamais arriver. Là. Dans le courant d'air de la vie. Les volets battent, les portes claquent et le texte nous laisse là. Entre. Pantelant dans le passage. Lourd. Sans aisance. Estropié du désir.

 

 

 

Les textes sont des orphelins. L'espace d'un instant on a cru pouvoir leur offrir une famille.... Et puis ils nous quittent, alors on reste dans le passage. Et c'est nous l'orphelin à secourir. Le texte nous a seulement accueillit un court instant dans sa famille de mots, sa famille turbulente et bruyante. Et après, la famille nous quitte.
Et l'on reste là, dans le passage encombré de désordre et de silence.

 

 

 

Et l'on sait qu'on ne sera d'aucune famille.
On appartient déjà à la ruine et au désastre.

 

 

 

Le texte ne ment pas, il nous promet la solitude et il nous la donne. Comme une fleur rouge sang. Il l'incruste même. Il la grave, de peur qu'on oublie que c'est nous qui l'avons sollicité. Elle devient notre nom.

 

 

 

Et nous restons dans le passage. Entre les portes du désir. Coupé des horizons. Immobile entre deux mouvements, deux élans. Et c'est ainsi depuis la nuit des temps. Car la nuit des temps est le lieu du poème. Toujours. La nuit. Et après le passage. L'entre deux.
L'attente.
L'inquiétude.

 

 

 

On ne ressort pas complètement indemne des mots. Avec cette double sensation. L'accroissement et la perte. La douceur et la violence. Comme dans le vertige. L’aggravation d’une pesanteur.

 

 

 

Pendant le texte les atomes de la vie sont portés à incandescence. Comme dans l'amour quand les corps s'effleurent d'insouciance et d'oubli, ou quand ils se cognent l'un à l'autre dans l'abandon et l'ivresse. Comme dans l'amour où brusquement on sait qu'il n'est plus question de douleur mais de débordement, où l'extase décide de ne plus descendre, mais au contraire, de monter.
Le mascaret ride le fleuve comme un frisson de jouissance. Le texte nous a défait du temps, jeté hors des doutes, il nous a pris la main et le cœur pour nous faire traverser l'infini à la perpendiculaire de nos passions et dans la diagonale de nos souvenirs. Le texte réinvente la géométrie de l'espace et du corps, de son poids de chair tremblante, et dans les angles se trouvent l'ombre et le souffle, et les parallèles se rejoignent sur les lèvres des rêves, et les ellipses nous réchauffent de leurs foyers majestueux.
Et c'est un temps simplifié où les équations retrouvent leurs inconnues. Et les ondes ne vibrent plus, elles ne font que chanceler, que frémir, et elles n'oscillent plus, elles ne font que se balancer comme les roseaux dans la brise d'été.
Et le mascaret redresse le fleuve de sa langueur chagrine.   

 

 

 

Et juste après le texte, la droite se raidie, l'infini se relativise, les parallèles s'assagissent et se mettent à bonne distance l'une de l'autre, comme des inconnues qui se toiseraient de haut. Les perpendiculaires s'ennuient à nouveau, et l'ombre quitte les angles morts de la vie pour se répandre en obscurs savoirs.

 

 

 

Après le texte c'est le temps des redites, des pensées sur la pensée, des constructions fragiles. Après le texte c'est le temps des insectes. Temps mesuré, sans ambition, sans imagination, qui ne sait que finir.

 

 

 

L'entre temps des textes, avec le fleuve vautré dans sa lassitude féroce et gourmande. Ce sont des temps somnambules, nos actes ressemblent à des actes mais ils n'en ont plus la vérité, comme si le rêve était clivé, ou troué par la lame du soleil. Ou de l’insomnie.

 

 

 

On est dans le passage, dans les couloirs du jour avec des portes à l'infini, des portes closes. Et le fleuve qui coule dans son infinie indifférence hautaine. Et notre maladresse importune les silences, car ici, dans le passage, ils ont changé de nature, d'humeur. Ils nous regardent, ils nous désignent. Certains nous accusent.

 

 

 

Après le passage. Un autre mascaret. Après... un autre...un autre encre…toujours un autre…
Et la hache du texte coupe un peu plus mes amarres.
Je suis en partance pour l'exil.
Un jour il n'y aura plus de retour possible.
Un jour ça sera la disgrâce…

Franck.

23 mars 2008

La dentellière des océans....

Pour écrire elle s’assoit dans le coin le plus retiré de sa vie. Les terres inconnues de ses jours. Bien sûr, ces lieux sont inhabitables, bien sûrs ils sont invivables. Bien sûr. Bien sûr elle sait qu’écrire est une occupation étrange, et la mélancolie le chant de l’inaccompli. Bien sûr elle sait bien qu’écrire naît de l’œuf couvé de la nuit. Bien sûr.

 

Souvent ses mots touchent à l'endroit fragile. La membrane. Celle qui résonne. Frémissement des brumes tout au bout de mes landes mortes. Et nos paroles s'enroulent à nos silences. Glissent sur nos distances. Souvent. Comme ces vagues qui apprivoisent le rivage dans d'incessants retours. Caresse de l'eau qui s'abandonne aux langueurs de la terre.
Chaque vague porte en elle tout l'océan. C'est pour cela que les vagues ne meurent pas, leur épuisement n'est qu'un reste d'infini. Chaque vague agrandit l'océan. Comme ses paroles ourlées d'écume blanche, qui reviennent s'allonger dans les derniers murmures. Vague tendre qui lèche les plaies d'une terre usée.

 

Et nos paroles s'appellent. Nous, nous nous taisons. Pour ne rien déranger. Ni le ciel, ni la terre. Nous restons en bordure de nos blessures anciennes. Juste en bordure. Comme l'écume, comme le souffle de l'écume qui souligne d'un trait tremblant la fêlure des rencontres.
Nous sommes dans un espace qui n'existe pas. Qui n'a pas de nom. Pas de lieu. A peine un mouvement lent et silencieux, qu'il faut porter plus loin. Ailleurs.
Esquisse d'un pas de danse, sur le fil tendu de l'horizon. Lointain.

 

Car nos paroles se reconnaissent mieux que nous-même. Elles se sont mutuellement désignées. Et elles nous ont oublié. Délaissé. Dans nos lointains. Nos absences. 
Sans doute est-ce cela, l'exil. Les mots font la ronde autour de nous et nous laissent là, au centre d'un cercle. A chacun son centre, à chacun son cercle.

 

Pourtant ses mots souvent me touchent à l'endroit fragile. Car elle dessine les contours d'un plus loin. D'un possible. Avec ce goût de sel et d'embruns. Elle trace l'horizon d'un silence rectiligne pour accueillir le soleil à l'orient de nos vies. Des mots ciselés, découpés dans ses champs de solitudes. Des mots précis posés au fil à plomb. Cherchant la verticale absolue, le point d'équilibre entre la nuit et le jour. Alors, elle les pose, là, avec dans le geste cette sorte d'assurance scrupuleuse. Ce raffinement discret. Terriblement puissante et vulnérable. Comme ces dentellières qui découpent la lumière autour des contre jours, juste dans la transparence d’une rêverie. Seulement un peu de blanc autour de grands silences.
Simplement un peu d’écume pour dire la solitude des océans.
Terriblement puissante et vulnérable. Comme si elle plantait un arbre encore chétif, mais tremblant de promesses.

 

Alors j'habite ses silences, acceptant le balancement de la houle. J'étire au plus large mon rivage, attendant chaque vague, absorbant la moindre écume. Espérant les plus petits coquillages. La vague sur le sable dessine. La vague sur le sable brode. Respire. Elle invente le temps dans son essoufflement. Et l'amour dans sa constance. Et la foi dans sa patience Et la vague sur le sable écrit. A l'encre bleue des abîmes marins, avec les restes de tempêtes et les fracas obscurs des naufrages. Elle écrit. Solitaire et multiple.

 

Car il s’agit de n’appartenir à aucune histoire. Nous sommes désormais dans l’incessant va et vient de la parole, dans l’incessant renouvellement, inventant la parole océan. Fixe et mouvante. Ici et ailleurs. L’incessante parole interrompue et ininterrompue.
Fixe et mouvante, ici et ailleurs. Désespérés et enfin joyeux.

 

Franck.

23 mars 2008

Rebours....

La parole qui se déploie est à rebours.
Et ce retour répare l'avenir, desserre l'étreinte du temps.

Franck.

23 mars 2008

Les grands cerisiers.....

Aimer c'est graver le marbre. C'est inscrire sous la peau une histoire définitive. Aimer échappe à l'oubli. Longtemps après l'amour, l'histoire se raconte encore. Même transformée, l'histoire se raconte. Et ce n'est pas de la mémoire, c'est seulement l'amour qui fini de se consumer. Même passé l'amour se vit au présent. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'oubli, pas de rémission. Et que l'on se sent perdu et sauvé dans le même instant, toujours renouvelé. Recommencer, c'est seulement continuer, c'est raviver, c'est souffler sur les flammes. Même nouveau, c'est toujours une vieille histoire. C'est remonter la flamme jusqu'à la première étincelle. Remonter le feu. Le premier feu. La première mort. Et jusqu'à la dernière.
Aimer, c'est accepter de ne jamais dire adieu. Même après la fin, même après la haine. Surtout après la haine. C'est le retour sur la scène du crime. Et contempler notre propre cadavre. Aimer c'est dérober des indices au passé pour mystifier l'avenir. Et échouer dans cette opération secrète, alchimique, magique.
Il n'y a qu'un visage en nous. Un visage qui se moque de nos dérisoires tentatives, de nos pathétiques tentations.

 

 

Tes mots me touchent comme s'ils avaient des poings. Des poings qui s'abattraient à toute volée à l'endroit de ma face, sur le nez par exemple. Je lis tes lettres et ça fait comme des brûlures. Je lis et ça fait des cicatrices, comme une lame d'acier dans le vermillon de la vie.
Tes mots me touchent comme s'ils avaient des mains. Des mains douces. Des mains qui se poseraient sur ma peau cornée et usée, à l'endroit du cœur. A l'endroit des battements. Je lis tes lettres et cela fait des caresses. Je lis et cela fait comme un souffle, comme une eau transpercée de lumière.

Il y a surtout cet enroulement du temps, du mouvement à rebours. Cette remontée des saisons. Et cette tension de l'âme à vouloir décrypter la première inscription du marbre. Vouloir lire le nom qui est gravé dessus. Celui qui nous nomme et qui n'est pas le nôtre.

Dis-moi encore les terreurs de l'amour
Dis-moi encore les envoûtements de ta vie.
Apprends-moi les ténèbres, moi qui me crois voyant
Dis-moi encore tes secrets d'amour.
Dis-moi encore les magies de ta vie.
Apprends-moi le ciel, moi qui ne fais que le traverser d'un pas agité et inquiet.
Chante pour moi. Hurle pour moi.
Danse pour moi. Chiffonne-toi pour moi.
Ris pour moi. Pleur pour moi. Pour moi seul.
Raconte-moi l'amour de dieu et des hommes. Dis-moi leurs chairs et leur sang.

 

Le visage de l'autre est porteur de notre ombre. Et on ne le sait pas. Même si on le sait. On ne veut pas le savoir. Et nos caresses se souviennent du premier crime. A cause d'un désir pris dans le marbre. L'autre de l'amour nous désigne.

Dis-moi l'enfer qui vrille ta mémoire.
Dis-moi ton délire lancinant et mortel.
Dis-moi tes os et leurs cendres et leur haine.
Dis-moi tes cuisses ouvertes et les tritons que tu recèles.

 

 

L'amour nous dit en creux, comme la haine d'ailleurs. On hait d'autant plus, que l'autre nous ressemble. Parce qu'on suppose qu'il sait. Il est au cœur de notre misérable secret. Et la haine est bien un désespoir, un apitoiement sur ses propres ruines. Toute haine touche à notre vérité, tout amour à notre illusion. Et vivre, c'est marcher de l'une à l'autre, jusqu'à ce que le fil qui les joint se brise. Par trop de vérité, ou par trop d'illusions.

Dis-moi l'éternité qui porte tes offrandes.
Dis-moi ton âme murmurante et fragile.
Dis-moi ton corps et sa flamme et sa piété.
Dis-moi tes cuisses souples et ces coquillages que tu protèges.
Dis-moi toutes ses choses.
Dis-le moi, mille et une nuits, et quelques siècles de plus.

 

 

Le Fleuve. Les rives changes et pourtant c'est le même fleuve. C'est le même élan. Jusqu'à la fin. C'est le même livre qu'on relit.

Dis-moi le marbre froid de ton cou.
Dis-moi les vipères de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son abîme.
Dis-moi tes râles, tes pertes blanches, tes indécences, tes violences

 

 

Nous n'avons de cesse que d'aller profaner nos tombes. Pour s'assurer de quoi, au fond ? Chercher la vie au bord de ce qui a nie ? Il n'en demeure pas moins que nous avons cette passion des os décharnés, des os blanchis, des terres noires. Pour renforcer notre résistance.

Dis-moi la douceur de ton cou.
Dis-moi la forme et la pâleur de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son velours.
Dis-moi tes soupirs, tes abandons, tes pudeurs, tes outrages.

 

 

Étreinte des contraires. Désenchantement des non-sens. Décidément il n'y a pas d'adieux possibles.

Dis-moi tes litanies comme un poison à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand elle est sacrilège.
Dis-moi le ricanement quand tu plaisantes de moi.
Dis-moi tes conjurations quand je suis trop près de toi.
Dis-moi tes cauchemars et tes arcanes.
Dis-moi la bile de ton sang.

 

 

Les poésies sont des feuilles qui tombent arrachées par l'hiver. Leur mort annonce le renouveau. Recommencer, c'est seulement continuer, c'est raviver, c'est souffler sur les flammes. Même nouveau, c'est toujours une vieille histoire. C'est remonter la flamme jusqu'à la première étincelle.

Dis-moi ton chant quand tu le donnes à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand tes voiles se défont.
Dis-moi ton rire quand tu te dérobes.
Dis-moi ta prière quand je dors près de toi.
Dis-moi tes rêves et tes mystères.
Dis-moi tes larmes, dis-moi ta joie.

 

 

Aucune violence n'entame la mélancolie. Elle est la bougie sur le bord de la table. Elle éclaire nos passions, nos écrits. Elle a été témoin du crime. Alors elle peu bien nous accompagner. Même en silence. Aimer c'est accepter de ne jamais dire adieu. Les aux revoirs sont les ricanements du destin. Le bégaiement du temps.
Ainsi la haine comme un pitoyable aveu.
Et la violence un piètre abandon.

J'aime tes affronts quand ils disent : vas-t-en.
J'aime ton cri qui arrache les miens.
J'aime ton bec quand il déchire mon nom.
J'aime tes crocs qui serrent mes paupières
J'aime tes mots quand ils disent : je t'aime.
J'aime ta voix quand elle s'offre à ma voix.
J'aime ta bouche qui appelle mon nom.
J'aime ta langue sur le bord de mes yeux.

 

 

Et c'est un désastre. De notre cage, nos mots, nos chants s'échappent pour rejoindre le bruit du monde. Chacun dans sa cage. Cacophonie.
Le désir brûle, car derrière ses apprêts il veut notre propre mort et il sait toujours le chemin le plus sûr. Il nous distrait pendant qu'il avance ses pions.
Même passé l'amour se vit au présent. Ainsi la haine.
Ainsi la haine comme un pitoyable aveu.

Dis-moi l'incendie qui dévaste ta langue.
Dis-moi la substance qui écorche tes veines.
Dis-moi les cyclones qui brassent ainsi ta chair.
Dis-moi le feu qui brûle ton esprit.
Dis-moi l'étoile qui coule dans tes veines.
Dis-moi tes tempêtes de chair.

 

 

Alors, Toi la prochaine, tu n'est pas la suivante, tu es encore la première. Tu es la seule, puisque le désastre doit s'accomplir. Et que tu as la forme de l'ombre qui m'anéantira.
Alors dis-moi surtout la paix et le recueillement et l'abondance dans le renoncement.

Dis-moi la sagesse des sables et comment on dénude son cœur pour marcher sans impatience vers un point d'eau perdu au fin fond du désert. Dis-moi les paysages de neige, les lumières d'un hiver, et le givre comme un gant de dentelle sur les ramures déshabillées des grands cerisiers.

Franck.

16 mars 2008

Vérité....

La vérité nous blesse. Et c’est là son mérite.
Ce qui me console c’est de n’être indemne de rien.

Franck

16 mars 2008

De grandes flaques.....

On ne guérit pas de la disgrâce. Car c’est la maladie de la séparation, du désaccord. L’impossible retour à l’intérieur de son corps. Il y a dans la disgrâce l’irréparable détachement des temps, l’irréconciliable mouvement des chairs. Et la disgrâce tue l’attente plus sûrement que l’exil. Quelque chose nous quitte. Quelque chose de nous ne veut plus nous. Il y a en soi des flaques d’absence, de grands marais aux boues sombres et odorantes. La disgrâce est le mal qui atteint le silence au cœur de ses vibrations, au cœur de ses consonances. A la place irrémédiable immobilité. Vacuité le l’oubli. L’inespéré est l’ordre des choses. Ainsi le fil des jours. Ainsi la mort inatteignable. Un rendez-vous toujours manqué. Trop tard. C’est le nom de la disgrâce.

Franck.

15 mars 2008

La disgrâce.....

Il y a seulement des temps d’abandon où un poids immense pèse sur chaque heure, où l’on sent qu’elles ont un mal fou a finir, où le sans fin ressemble à une nuit immobile.
Dans la paume de ma main, je regarde l’agonie des saisons.
L’œil se fixe, effaré, pris dans l’épaisseur d’une ombre menaçante. Se taire n’est plus consentir au silence, se taire c’est mordre dans l’obscur, c’est mordre dans le gras de la mort.
Il y a seulement ces temps d’abandon où un poids immense pèse sur chaque heure et l’homme en nous qui fait porter tout le poids à l’enfant, tout le poids du renoncement, des défaites. Cet homme vain qui n’en fini pas de tuer l’enfant.

Dans la paume de ma main je regarde l’agonie de l’enfance dans les ronciers du temps, et les restes d’un désir ravagé. La disgrâce est une chanson douce, la dernière aventure, le dernier pont à franchir. Décollement des chairs de l’enfance. La fin procède toujours avec méthode, comme si l’ordre était sa seule réponse. Comme si la défaite méritait cette organisation, cette certitude. Le sacre du chaos est bien cette discipline des fatalités. La lumière n’est qu’un accident des ténèbres, un imprévu, presque un contre temps. Une erreur. Une divagation des dieux.
Le lieu monde est une nuit lourde, immobile. Lente.
Et l’enfant s’ébranle et succombe de l’exubérance du noir. Et l’enfant n’en fini pas de téter les mamelles d’une nuit sans fin. L’attente a défait un à un ses rêves, et jusqu’à oublier les raisons même de l’attente.
Et l’attente c’est oubliée elle-même. Et l’attente est bien la chose qui meurt en dernier.
Ce qui souffle dans le dernier souffle, c’est l’extase de l’attente inaccomplie à jamais.
Dans la paume de ma main, je regarde l’agonie des saisons.
La disgrâce est une chanson douce, la dernière aventure, le dernier pont à franchir.
La disgrâce c’est la chanson douce du désastre.
Franck.

9 mars 2008

Les inconnus....

L'amour échappait à nos mots. Seuls quelques gestes l'éclairaient. Il nous fallait cette ignorance de nous-même. Comme si les mots pouvaient chasser la présence. Il fallait n'en rien dire. Délimiter un espace inattaquable. Peut-être pour se préserver de l'incommensurable banalité.  Entretenir l'incroyable. Comme au début lorsque je la voyais traverser une pièce et que j'avais cette sensation que le réel tremblait, que j'étais entre deux espaces et que de la voir, elle, me demandait d'ajuster mon regard à ce qui le débordait. Une sensation électrique. Fugace. Troublante.

 

Parfois nos visages se rapprochaient. Nous fermions les yeux. Presque à se toucher. Sans se toucher. Sentir la seule présence. Proche. Avec le souffle, la respiration. Parfois elle passait sa main sur mon visage, comme une aveugle qui découvre un inconnu. Doigts légers. Dire l'amour dans ce silence aveugle. Eteindre tous les sens pour concentrer l'unique présence dans cette caresse. Ouvrir les yeux nous aurait annulé, effacé, anéanti.

 

Nous restions dans la pénombre de nos vies, à caresser les galets du temps. Pierres lisses. Ombres aiguës. Temps sans mesure. Temps de houle où les vagues se balancent de vagues en vagues, portées simplement par le mouvement mystérieux qui les enlace.

 

Elle brodait des caresses sur la dentelle de nos songes silencieux. Et nous étions dans l'ignorance sensuelle d'une distance impraticable. Proche, sans se toucher, à la portée d'un désir inavoué. Armés seulement de nos tremblements, pour survivre. Moi, l'Oedipe accomplissant le rêve d'Antigone. Aveugle errant, comme la métaphore d'une humanerie.

 

L'amour bredouille des litanies incompréhensibles, faites du frottement de la parole sur la peau d'un sein, de la coupure des mots à l'endroit du mensonge.

 

Il y avait sur la géométrie de ta peau des angles inconnus, des perspectives lointaines qui crissaient sous ma main, de ces coins d'ombres où je me perdais, de ces sources d'eau brûlantes qui attisaient la soif, la faim, la peur même. Il y avait des parallèles folles et des ellipses féroces. Il y avait sur ta peau toute une géométrie de l'espace et des chiffres que mes doigts devinaient, pénétraient, décryptaient. Toute l'apesanteur et tous les centres de gravité qui se concentraient dans l'atome du souffle. Et il y avait ce vertige des nombres vers l'infini du désir ; plus ou moins l'infini, selon le sens de nos nuits, selon la pente de nos caresses. Et il y avait ce désordre des chairs, ces frottements lents et profonds à la tangente d'un soleil de nuit et de nos ventres affamés. Et il y avait nos disparitions, et nos abstractions pour lesquelles nous mélangions le chiffre de la bête et le nombre d'or. Et il y avait tes soupirs cosinus et ton cri vertical... et ma main sur ta peau, et mes lèvres sur ta peau, et mes rêves sous ta peau. Et tes larmes, aussi. Arithmétique des jours où nous nous tenions à l'écart-type de nos tentations, où nous faisions nos contes d'apocalypse, additionnant la chair à la chair, multipliant les frémissements.
C'était un temps arithmétique insatiable.
Temps qui s'avançait sur l'hyperbole de tes hanches.
Temps exponentiel.
Asymptote souveraine qui guidait nos heures vers le chant.
Mathématique du silence.
Algèbre universelle des équations à deux inconnus.

 

 

 

Nous aimons à travers nos blessures, c'est pour cela que les amants s'échangent leurs sangs, c'est pour cela que l'amour échappe aux mots. L'amour naît toujours d'une nuit d'hiver, dans le dénuement d'une saison morte. De nuit. Toujours de nuit. Et nous aimons toujours au travers d'un souvenir ancien. Et nous aimons toujours comme si nous voulions le retrouver. Comme s'il fallait le retrouver. L'urgence de renouer avec le sacrifice premier, qui nous révèle et nous détruit en même temps. La première nuit. Aimer c'est tenter de la rejoindre, dans l'ignorance de nous même. Et remonter le fleuve de nos générations.

 

Et les corps démentaient nos silences. Et nos corps déniaient nos souffrances.
Recommencer. Recommencer. Pour ne pas mourir. Ou pour mourir plus vite. Epuiser la langueur, fille de nos peurs.
Recommencer à aimer. Encore une fois. La dernière. La seule.
Et l'amour se dérobait à nos regards. Comme à nos mots. Comme à nos vies.
Simples. Ignorants. Et tremblants.
L’algèbre universelle de l’infini, à l’infini des inconnus.

 

Franck.

8 mars 2008

Ta parole.....

Ta parole. C’était une parole ininterrompue et toujours suspendue.
Toujours attendue et toujours dépassée par celle à venir. Dans le mouvement. L’allant.

 

 

 

Ta réalité me venait du mouvement de la mer. Et de l’oubli sans cesse renouvelé.
Ta présence débordait ta réalité, assez pour faire naître une attente toujours neuve.

 

 

 

 

 

 

La parole amoureuse est une parole folle, elle se dit avec les yeux et avec l'horizon. Elle est folle parce qu'elle raconte la nuit, même en plein jour. Surtout en plein jour. Elle est folle parce qu'elle est pauvre, et qu'elle est faite de quelques mots, toujours les mêmes, comme les prières. Et d'un nom, d'un seul nom, comme un seul clou.
Et qu'elle sort froissée par le silence qui la recouvrait, et qu'elle se déploie, comme un pétale dans l'aurore, comme le pas maladroit de l'enfant qui commence à marcher.
Et qu'il faut pour la dire un ciel entier dans la bouche.

 

 

 

Lent redressement du murmure qui cherche son souffle dans un désastre de lumières et d'ombres. En se dépliant dans la voix incendiée, elle se déshabille, impudique et offerte. La parole amoureuse n'est pas belle, puisqu'elle a quitté la terre et qu'elle est insensée, et qu'elle est inaudible. Et qu'elle est sans intelligence puis que c'est la seule parole vraie, jamais dite. Et qu'elle est sang, feu, dévastation, anéantissement.

 

 

 

Et qu'elle n'est pas faite de mots, mais seulement de visage et de chair brûlée, de chair sauvage et désespérée.

 

 

 

La parole amoureuse est faite de l'échange des lumières, au crépuscule et à l'aube car il n'y a pas de temps pour la dire, pas de lieu pour l'entendre, à par les angles. Car elle n'est faite que d'abandon, et d'éternité tissée d'infini. Elle est la peau qui colle aux lèvres. Et elle est la source au milieu des sables, car elle naît au plus profond de notre solitude claire. Elle ne sait que glisser sur la neige sans laisser de trace. Elle ne sait qu'effleurer l'océan. Enlacer les nuages.

 

 

 

La parole amoureuse ne s'écrit pas, elle est la page blanche et la main qui la caresse et la peur qui l'interroge et la larme qui l'inonde. Elle s'invente et meurt dans l'instant où elle se dit, et à sa place il ne reste que le printemps.
Elle est houle insaisissable, où l'espoir à la désespérance se mêle. Lent mouvement du temps et du sang. Lent tremblement des chairs.

 

 

 

La parole amoureuse est une parole vaincue, jubilant de sa propre défaite, précipitant même cette défaite. C'est une parole qui naît hors de nous et qui vient mourir sur nos lèvres dans l'éclat d'un silence offert.
Elle contient le monde depuis son origine, elle en sait la fin. C'est pour cela qu'elle est d'abord renoncement et consentement.

C'est une parole qui n'a pas de force, seulement de la puissance, assez pour couper le réel en son point le plus dur. Personne ne la connaît, elle ne s'apprend pas, mais chacun la sait, puisqu'elle tient à elle seule les fils de notre vie.

La parole amoureuse s'avance à rebours, car elle tourne le dos à tout ce que l'on a vécu, elle revient vers notre enfance la plus pure, la plus désolée, et elle va pieds nus dans la langue comme une gitane ébouriffée. Parole dégagée de la parole. Murmure délacé du murmure. C'est une parole effondrée car il lui a fallut traverser les peaux mortes, les chairs molles, les os cassants et le mur des silences qui la protège de l'indécence, et de l'impudeur. Elle se consume dans le baiser qui la souffle et renaît de son propre désarroi.
Elle ne sait que fleurir, la nuit, au bout des doigts et sur les paupières closes.
C'est une parole qui s'est quittée.
Une parole d'au-delà.
Une parole débordée.
Sans mémoire.
Sans lendemain.
Brisée seulement d'éternité.

 

 

 

Ta parole. C’était une parole ininterrompue et toujours suspendue.
Toujours attendue et toujours dépassée par celle à venir. Dans le mouvement. L’allant.

 

 

 

Ta réalité me venait du mouvement de la mer. Et de l’oubli sans cesse renouvelé.
Ta présence débordait ta réalité, assez pour faire naître une attente toujours neuve. Source généreuse d’une attente toujours fraîche, d’une attente juvénile, d’une attente entachée d’aucune défaite. Le vieux temps n’ayant pas de prise sur le renouveau ininterrompu du don.
Ce qui espère en nous, est l’ombre d’une présence. Les êtres nous arrivent par leur absence et par ce temps de silence qui précède ce frottement des heures du manque.

 

 

 

J’étais l’évadé d’un temps clôt, comme ces îles échappées du temps clôt de l’océan. L’ivresse d’un détachement sans mesure.
Les aveux ne dévoilent jamais la parole, ils dérobent seulement à la nuit la force des aurores.   

 

 

 

Franck.

2 mars 2008

Trébuchement.....

Trébuchement. Et le sursaut pour éviter la chute. Rien du poème n’est prémédité. Quelque soit la constance mise à la table d’écriture, quelque soit la patience, le travail. Rien du poème n’est prémédité. Il y toujours un trébuchement et ce sursaut, cette contorsion de la parole pour éviter la mort. Encore un peu. Juste un peu. La métaphore ouvre sa corole pour récupérer dans sa vasque les mots dans leurs déroutes. Et l’on se croit sauvé. Et l’on se trompe. Mais c’est la seule chose que l’on sait faire. Le poème naît d’un échec.
Au commencement était la perte. Après ce fut le manque. L’attente. Ecrire c’était tenter d’échapper à la perte, au manque, à l’attente, y échapper tout en y revenant toujours. L’écriture est mon seul présent encombré. La possibilité d’une présence à soi-même. Un événement imprévisible. Advenir, là, dans cet instant, qui ne vient jamais.

Publicité
Publicité
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
J'irai marcher par-delà les nuages
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 167 993
Catégories
Pages
Publicité