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J'irai marcher par-delà les nuages

14 mars 2017

-2- Quite ta maison...

Comme une injonction divine. Ouvre ta maison en grand ! Les volets, les fenêtres, les portes, surtout les portes, ouvrent tout, et invitent le verbe, s’il ne vient pas, alors quitte ce lieu de vent, d’ombres, quitte tout ! Quitte-toi !

Tu croyais que cette maison était ta seule mesure, sur les murs, se trouvaient tes souvenirs, chaque objet te rappelait le temps des instants et des rencontres, tu te croyais élu, tu n’étais que maudit. Tu ne le savais pas. Tu étais plein de toi-même, si plein que nul n’osait, ou ne pouvait franchir le seuil de ta porte, si plein de toi-même que tu n’avais plus de place pour accrocher un rêve, plus de place pour l’élan d’un désir, si plein de toi-même que tu n’osais plus sortir de peur que l’on ne te dépouille. Vanité qui te faisait croire à ton importance. Tu vivais dans la peur de ta perte, dans le trop-plein. Tu te croyais riche, prospère, pourtant tu mangeais ta tristesse à tous les repas. Tu étais sûr de ta raison, car les nouvelles du monde qui te parvenaient racontaient les mêmes destins que le tien. Alors, tu voulais croire au bonheur, il te suffisait de toucher les murs de ta maison pour te gonfler d’orgueil et de certitudes. La femme qui vivait à tes côtés avait, elle aussi, apporté ses meubles, ses bibelots. Du trop-plein sur du trop-plein. Le soir, sous la lampe, vous mangiez en silence la même soupe de chagrins. Lorsque tu voyais son corps de chairs lasses, tu n’avais plus la force de pleurer. Tu attendais la mort, mais elle se tenait déjà là, depuis longtemps et tu ne le savais pas.

Ainsi, la vie des hommes, et leurs jours, leurs joies, leurs amours.
Donne tout. Ne renonce à rien… !

Ouvre ta maison ! Quitte-la ! Brule-la s’il le faut ! Pars, n’importe où, mais pars ! Ne prends rien avec toi, aucun bagage, aucun bibelot ! Rien ! Prends le premier chemin de lumière que tu trouveras, puis avance ! Va… ! Va au plus loin de toi ! Sois vagabond, pèlerin, nourris-toi d’espace, de vent, d’orage. Ne possède rien, surtout pas toi-même. Sois seulement dépossédé, sois nu fragile. Sois l’errant de l’errance, le désir du désir, le rêve du rêve. Sois la couleur des chemins, l’odeur des aurores. Ne sois rien que la musique des torrents, sois l’océan, sois ses marées. Sois le vol des oiseaux.

Là, seulement là, laisse monter en toi le premier chant. Réapprends le verbe dans le murmure. Souviens-toi de la langue du lait. Car elle est le seul langage qui nourrit.
Le seul.
Alors, dépouille-toi de toutes ces vies inutiles, de toute la crasse de tes heures vaines, de toutes tes illusions sociales.
Écris. Écris à partir de l’os. Racle ! Sois dans l’arrachement, sois au plus pauvre de toi-même, au plus nu, au plus seul.
Car il te faudra arrêter de parler à haute voix, refuser le vacarme des paroles vaines, la tonitruance des pensées faciles.
Retrouve le murmure.
Le son du ventre. La résonance première.
Celle que l’on appelle, la langue blanche.
La langue du lait.
Car sur la route, il te faudra renaitre. Renaitre sans cesse. De corps en corps, de rêve en rêve.
Alors, peut-être qu’un jour sur cette route de vent, d’errance folle, tu manqueras de trébucher sur un mot.
Tu le ramasseras.
Tu feras jouer la lumière à travers ses faces aiguisées et coupantes.
Brusquement, tu sauras.
Tout se condensera là, dans ton regard fasciné pour ce mot.
Sidéré.
Par le mouvement qu’il fera naitre en toi.
Ce jour-là…
Ce jour-là, tu te retrouveras loin de tout et pourtant tu n’auras jamais été si vivant. Tu seras dans une désolation lumineuse, et cela te suffira. Tu seras perdu, et c’est justement cette perte qui te ressuscitera. Tu seras perdu, mais tout te paraitra plus clair, plus net, plus définitif, plus impératif.
Renaitre après des siècles d’agonie.

On n’écrit jamais pour plaire ou séduire, on écrit pour se retrouver. Ailleurs. Chaque mot te rapproche d’un lieu inconnu plein de mystère, un lieu inévitable. Écrire prolonge un rêve commencé il y a longtemps, dans l’enfance, un rêve commencé quand tu étais blotti dans le plus fragile abandon du regard de ta mère qui t’avait fait — toi si infirme — roi si rayonnant.
Oui ! Écrire, c’est d’abord retrouver ce sommeil plein de couleur, de chaleur où l’amour n’est pas promis, mais donné comme une éternité, offert comme la première nourriture, la seule dont tu n’auras jamais besoin. Écrire te fait retrouver ce rêve où tu n’es là pour personne sauf pour le murmure incompréhensible, attendri d’une mère devenue folle parce qu’elle s’est enfin oubliée et qu’elle divague dans les méandres de ton visage, de son amour éperdu, un amour-océan sans limites.

Un jour, tu écris, et c’est ce seul murmure qui compte parce que lui seul peut couvrir le vacarme du monde. Tu ne sauras jamais si cela peut faire un livre : tu es dans le pur bercement de la langue, dans l’oubli de ta propre présence, dans cette musique qu’il faut prolonger jusqu’à la fin des temps.
Tu es envahi par le blanc de la page, et les mots viennent parfois te secourir du vertige. Ils sont les traces, les signes qui te relient au ciel, à la terre. Et l’encre te retient de sombrer dans la défaite toujours imminente.
Écrire, c’est un grand vent qui secoue les branches de l’âme emportant les feuilles les plus faibles, celles qui ne tiennent que par le doute, et qui deviendront les mots les plus brulés de ta langue.
Écrire, c’est être dans cet arrachement, dans cet envol au milieu d’une tempête, dans cette chute soudaine au cœur d’un vide terrifiant et miraculeux.
Consentir à ce ciel désolé, simplement consentir. Avec un peu de chance, un ange te prêtera ses ailes, le vent te poussera dans un jardin de mots prêts à fleurir qui n’attendent que le souffle créateur pour déployer les pétales d’un verbe secourable.
Traverser le rêve d’écriture, c’est traverser un amour rouge comme le sang, tranchant et bleu comme une lame aiguisée, ardent comme le feu d’une forge, un amour ravagé de silence et de vent.
Le jour où l’on écrit, c’est que l’on s’est mis en marche vers un amour, que l’on en appelle la brulure ou l’âme souveraine. C’est une marche aveugle, la main tendue vers un noir toujours plus profond.
On écrit avec ses silences. Ce sont eux qui laissent leurs empreintes d’ombres, de cendres sur la blancheur des pages. Un silence se couche sur un autre silence, ainsi de suite, silence sur silence, dans un grand lit d’absence pour consommer les unions enflammées de l’espérance et de l’épuisement. Silence sur silence, lumière sur lumière, et cela : éternellement…
Écrire, c’est cette façon d’être au monde, ou de ne plus y être. C’est interroger le silence, en glaner une once de lumière. C’est user le temps, le polir longuement pour en obtenir quelque élixir subtil. C’est entretenir un feu avec de minces brindilles d’encre usée. C’est écouter dans la foule le bruit que fait la solitude et dans la solitude les rumeurs de la foule. C’est ouvrir des portes interdites avec la seule clé des mots. C’est se croire riche, et se vouloir pauvre, être désarmé et pourtant invincible. C’est mourir plusieurs fois par jour et renaitre pour que demain advienne. C’est dormir dans l’attente, et se réveiller dans la prière.
Rien, rien de plus. Née d’un manque, l’écriture entretient souvent avec la douleur une relation incestueuse. Elle souffle sur nos entrailles pour en attiser les brulures dans des noces solitaires, sauvages.
C’est tout cela et mille autres choses. C’est la parole la plus affaiblie qui puisse être dite, car elle git, mourante au fond de notre vie. On en cueille alors parfois les effluves tremblantes dans le creux de quelques mots…

Voilà l’instant…
L’encre accablée glisse sur les cristaux d’une heure éparpillée, solitaire.
Pesanteur douce, attristée, comme un temps de neige.
Se mettre à écrire, c’est distiller du temps bleu en chauffant nos jours au rouge du cœur.
La brume qui s’évapore, ce sont mes renoncements, mes peurs qui se délient.
Ce qui reste est si infime que je pourrais le perdre d’un simple soupir, si infime, pourtant si abondant que je pourrais en vêtir un ciel entier…

Franck

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12 mars 2017

-1- La langue du lait...

Écrire nous vient d’un premier langage, d’une première voix. Une voix insensée. Une folie de langage.

Il faut imaginer la scène. Il faut s’en souvenir surtout. Il y a la mère. Il y a le nouveau-né. Il faut imaginer qu’il n’y a rien d’autre autour. Il n’y a jamais rien ni personne autour lorsque la mère tend le sein à l’enfant. Lui il est blotti contre la chair de sa mère. La mère saisit son sein pour le guider vers la bouche de l’enfant. Les chairs se joignent. Au départ, il faut imaginer le silence, la pénombre, ce geste ancestral. Il faut se souvenir des yeux de la mère, de la lenteur de ses gestes, de l’infinie douceur. Elle penche la tête vers l’enfant. Lui il est abandonné dans un vaisseau de chair, un bras de tendresse le soutient, sa bouche de désir est remplie de la chair blanche du sein. Il mange cette blancheur, cette douceur, cette tendresse. Il sent dans sa gorge la chaleur d’un lait éblouissant, inépuisable. Il ferme les yeux. Il se laisse envahir, inonder, submerger. À ce moment, tout reste suspendu dans un temps étrange, impossible.

Il faut se souvenir des yeux de la mère, de la lenteur de ses gestes, de l’infinie douceur. Elle semble être dans l’effarement d’un geste sacré, par instinct. Elle retrouve la pose ainsi que la lumière des piétas anciennes. La mère presse sa chair pour l’offrir, presse son sang pour s’oublier. Elle habite cette folie somptueuse des mères aimantes, elle est aux confins d’elle-même, morte, brulante à la fois. C’est à ce moment-là, à ce moment précis, dans cet instant perdu, égaré, qu’elle commence à parler à l’enfant. Elle parle une langue inconnue, une langue incompréhensible, c’est la voix de l’amour pur. Des mots égarés dans le souffle, des mots inventés, des mots presque silencieux. Une langue blanchie par l’amour et le don. Langue de chair. Chair blanche contre langue blanche. La mère est là dans l’ivresse, l’abondance. Elle parle une langue venue de la mémoire des mères, une langue jamais apprise, pourtant toujours remémorée. C’est une langue de chair, et de sang, une langue blanchie par l’amour et la patience. C’est la langue du lait.

C’est la première langue que nous entendons. C’est la plus vraie puisqu’elle nous nourrit. C’est la plus vraie puisque nous la comprenons dans l’instant où nous l’entendons. Elle n’est qu’un murmure, qu’un simple souffle à peine audible, elle est pourtant tout l’univers lorsqu’elle nous parvient.

Après nous grandissons, après nous l’oublions. Grandir, d’ailleurs, c’est l’oublier.

Alors, on écrit pour célébrer cette mémoire défaillante.

Écrire, c’est tendre l’oreille au passé, c’est se souvenir de ce souffle sur le souffle, de cette chair sur la chair, de ce blanc sur le blanc. Écrire, c’est retrouver cette enfance éperdue, cette langue blanchie par l’amour, cette langue offerte avec la première nourriture.

C’est pour cela qu’écrire nous vient d’une faim, d’un manque effréné, et comblé par la langue et les mots. Écrire, c’est retourner à ce premier sang, à ce premier murmure, à ces premiers silences, à cette première folie.

Lorsque nous écrivons, c’est la trace de la voix de nos mères qui vient fasciner nos mots. La cadence du poème n’est que le bercement ancien d’une mère. La lumière des mots n’est que l’éclat brulant d’un amour incendié, blanchi, révolu…

Franck.

12 mars 2017

Prolologue

-

10 mars 2017

Introduction...

J’ai décidé de publier ici, ce qui aurait pu être un manuscrit. Ce qui va suivre n’est ni un roman, ni un récit, pas plus une thèse ou un essai. Ce n’est pas vraiment de la poésie, même si elle n’est pas absente, pas totalement de la prose. Il n’y a pas d’histoire, pas de suspens, à peine quelques personnages, plutôt des ombres de passage. Peut-être une rêverie ? Un solipsisme ? Une méditation ? Disons que cela est avant tout un chemin. La transcription une expérience intérieure.

Une expérience qui tenterait de dire, de décrire, ce que l’acte d’écrire recèle de mystère et de lumière. L’unique sujet des textes qui seront désormais publiés ici c’est l’écriture. De texte en texte j’y reviendrai inlassablement, obsessionnellement, comme si l’écriture, dans cette longue traversée devait être débordée, pour enfin regarder au-delà du symptôme.

Une expérience de vie qui aura duré près de dix ans. Dix ans, à ronger, à racler, à épuiser mon corps et la langue, à chercher des issues, là où tout semble obscurci.

 De texte en texte, j’ai essayé d’approcher une vérité se dérobant toujours un peu plus. De métaphore en métaphore, dans ces longues heures, assis face à l’écran, aux aguets, dans la tension extrême des muscles, dans la recherche du souffle jusqu’à l’étouffement, j’ai essayé de traquer, de faire surgir, ce qui dépasse mon expérience personnelle. Faire surgir un peu d’universel au cœur même du singulier.

Je ne sais si j’y suis parvenu, qu’importe ! Tant fut déjà écrit, et si bien écrit, sur ce sujet : Maurice Blanchot, Roland Barthes, Bernard Noël, Pascal Quignard, Margueritte Duras, Christian Bobin et tellement d’autres, comme si ce sujet hantait nos nuits, nos mémoires, nos désirs, nos audaces, nos espoirs, comme si écrire nous ramenait immanquablement à notre condition humaine, aux angoisses de la vie et de la mort, aux questions éternelles sans réponse, questions infatigablement posées de génération en génération.

Il a bien fallu que je me risque à un chapitrage pour présenter ces textes, la seule chronologie d’écriture ne permettait pas de dénouer l’écheveau du chemin, l’expérience intérieure ne suit jamais le temps des horloges. Une biographie n’est jamais une chronologie, je préfère l’idée de convergence, nos actes, nos pensées, nos espoirs, tout converge, tout s’efforce vers un point qui serait au centre et non pas devant. Bien sûr il y a de l’arbitraire dans ce séquençage, voilà les têtes de chapitre :
    Prologue
    Le souffle d’avant le texte
    Le temps, les silences, les solitudes.
    Écrire en train de se faire.
    Après le texte
    La chair de l’écriture
    Des lieux impossibles.
    Écrire… Toujours… Encore…
    Les Métaphores du chant.
    Seulement de la musique.
    Creusements.
   L’inachevable.

Évidemment il sera possible de déceler plusieurs niveaux de lecture, plusieurs profondeurs, certains d’ailleurs offrants plus d’issues que d’autres. Il y a toujours un au-delà du symptôme.

La littérature, l’art, d’une façon générale, se meurent, certains disent qu’ils sont déjà morts, mais à cette disparition annoncée ou advenue je ne peux m’y résoudre, m’y résigner complètement. Quelque chose en moi résiste. Quelque chose en moi crie. Non, par peur du futur, mais par révolte, par refus de la résignation.

Alors il faut réaffirmer. Alors il faut résister.
J’ai voulu aller chercher à travers cette expérience, ce qui, malgré les siècles passés, et quelques soient le devenir de ceux qui viennent, ce qu’il y a d’irréductible à notre condition d’humain, ce qui nous relie (à ne pas confondre avec ce qui nous connecte) tous, de tous pays, et de toutes les époques, cette chose intemporelle qui gît en nous : le chant. L’incantation. Ce chant primordial qui est en nous tous, et qui tient l’humanité dans les méandres intemporels de sa mélopée.

J’ai voulu aller chercher ce qui résiste en moi aux temps actuels. J’aurais pu appeler ce recueil « Résistances », ou quelque chose d’approchant, s’eut été prétentieux, mais l’idée est là. Ne rien dire du monde, du présent, ce n’est pas les dénier, mais s’opposer frontalement à ce qui tente d’anéantir en nous la part la plus éternelle et la plus lumineuse. Je ne suis dupe de rien, pas même de ma complicité, mais tant que j’aurais du souffle et une once de lucidité, je tiens à maintenir vivante l’idée de nos destins singuliers et tragiques, face à l’individualisme égoïste et informe que l’avenir nous propose. Je préfère la tragédie éternelle, aux catastrophes télévisuelles quotidiennes qui ne savent plus nous émouvoir, à peine nous indigner le temps d’une mode.

Les temps sont complexes, nous sommes en train de passer brutalement de la condition humaine, à la condition de l’humanité. Mais l’humanité, celle qui surgira, ne pourra pas être sans mémoire, ce travail est une infime partie de cette mémoire. Quoi qu’il advienne, nos enfants auront besoin d’aimer leurs origines, de se souvenir, des sorciers, des chamanes, des poètes, des musiciens, des peintres, de tous ceux qui un jour ont voulu apprivoiser le mystère de la vie et de la mort, et lutter avec dignité contre ce qui les effraie et les détruits.

La nuit tombe, face aux temps barbares, je reste définitivement seul, debout, à égale distance, du silence, du cri, du chant.

Franck.

5 mars 2017

Un corps si étroit...

Le plus souvent nous ne parlions pas. Il y avait comme un rituel des visites dans sa chambre. Nous nous succédions. Un par un. Il y avait la chaise à côté du lit, pour Simone ma grand-mère. Sa mère. La chaise des larmes sèches et des brûlures. Puis il y avait le fauteuil, pour l'autre grand-mère, Claire. Le fauteuil des histoires. Elle disait « Maman, racontez-moi une histoire.... » Elle appelait sa belle-mère « maman ». Ça se faisait, avant. Claire savait raconter les histoires. Une conteuse sans le savoir. Claire avait la voix haut-perchée et le rire éclatant. Aussi le sens de la dérision, comme celui de la fatalité. L'arthrose lui avait tordu toutes les articulations, les pieds, les genoux, les hanches, les doigts. Et puis elle avait Georges, comme si sa croix n'était pas assez lourde. Georges le fantasque, l'iconoclaste, Georges le poète des arbres et des animaux. Claire comptait plus sur sa canne, que sur Georges. Le fauteuil c'était mieux pour elle. Claire avait toujours une anecdote à raconter, dans une auberge il se passe toujours quelque chose. Toute l'humanité défile dans une auberge. Alors Claire racontait. Claire la faisait rire, cela déclenchait parfois des quintes de toux terribles. Elle ne riait jamais, sauf avec Claire. Les autres s'asseyaient sur le bord du lit. Elle ne tenait plus beaucoup de place dans ce grand lit. Elle ne froissait même plus les draps. Elle n'avait déjà plus de pesanteur dans ce monde. Il neigeait.

 Dehors il neigeait. Sans joie. L'effritement lent du ciel qui arracherait ses dernières peaux. Confettis de silences glacés. Presque trop lourds au regard. Noël approchait. Il neigeait. Dans sa chambre la chaleur était étouffante. Les carreaux étaient recouverts de condensation, comme un voile de petites perles opaques, tristes comme des larmes. Parfois je passais ma main sur la vitre, je voyais la neige, et l'immense tilleul, j'entendais ses ronflements, les raclements de sa respiration, ses suffocations. Je sentais son regard sur moi, posé comme une ombre sur le reste de ma vie.

Le plus souvent nous ne parlions pas. Parler l'épuisait. Il fallait choisir les bonnes paroles. Ne pas se perdre dans les détails, revenir à l'essentiel, au silence. Les regards suffisaient. Sa main était posée sur le drap. Sa main. Ce qui reste d'une main, une fois que la chair, et le sang l'ont quitté. Ce qui reste d'os et de craquement. Avant, ses mains étaient magnifiques, fines, délicates, soignées, plus jeune elle avait été manucure, puis après esthéticienne. Alors les mains elle connaissait. L'entretien des ongles. Limage, ponçage, gommage. La petite navette de daim qui, enfant, me fascinait tant, et qu'elle utilisait pour faire briller les ongles. Le petit bâtonnet de bois, pour repousser les peaux, les pinces en tous genres. Les vernis, les couleurs, les odeurs. Elle s'appliquait sur chaque doigt, colorer, peindre sans déborder sur la lunule. Sa main était posée sur le drap. Je n'osais pas la prendre. Elle semblait si fragile cette main, déjà si morte. Il fallait la pommader pour que les os ne crèvent pas la peau froissée, fripée, usée, avec ses  veines gorgées d'un sang trop noir, trop lent, trop brûlant. Tes pauvres mains maman. Qui ne savaient même plus prier, sinon être là, encore un peu.

Il neigeait. Et la neige en tombant recouvrait l'immense coupole chauve de l'immense tilleul. Et notre immense tristesse. Silencieuse. Tristesse de la mort blanche qui avance à pas mesuré, certaine de sa victoire, comme un lent traîneau sur la neige. Cette mort qui avait déjà pris tes mains et ton visage. Sauf tes yeux maman. Sauf tes yeux. La mort à pas mesurés sur cette immensité blanche, ou chaque jour sa trace se faisait plus profonde comme des veines vidées de leur sang.

Pendant nos instants, je restais assis sur le lit, à côté de toi. Nous nous regardions, vidés de nos paroles, vidés de la langue qui aurait pu les dire. Il est des pays trop froids pour que les mots adviennent, il est des heures trop fragiles pour porter la voix. Alors il nous restait le regard dans lequel on serrait chaque seconde comme des fruits, qui auraient déjà donnés tous leurs jus. On était dans ce pays lisse et froid, sans borne, sans lendemain, sans attente. Sans rien. Lisse et froid, comme du métal glacé. Quand l'attente a déjà rendu l'âme. Il neigeait maman, cette neige que nous  mangions en silence à nous en faire casser les dents. En silence, puisque le pays de la chambre où nous étions était inhabitable, indicible.

Parfois je t'aidais à t'asseoir... mais tu ne tenais plus très longtemps dans cette position. Chaque articulation semblait se disloquer, j'en profitais pour redresser  tes oreillers, et ton corps se déposait à nouveau sur eux, sans les déformer tellement tu ne pesais plus. Et ta main d'os se posait sur ma figure. Tu la touchais comme pour la reconnaître une nouvelle fois, je sentais les tremblements de ta vie, je sentais les tremblements de la mienne, maman. Nous n'étions  plus rien,  que ces tremblements. Et ces soupirs à peine soufflés, dans ce temps arraché, calciné, dévasté. Car il nous fallait voler chaque seconde, à chaque seconde il fallait en gagner d'autres, il fallait en trouver d'autres pour avoir la force de trembler encore. Il neigeait, maman. La blancheur se dessinait sur ta peau comme en transparence, comme un appel, comme une destination. Tu étais ce vaste champ de neige au-delà de la mort. Et je voulais mourir de ta mort, aussi. Tu comprends, maman. Mourir avec toi, dans la blancheur de cette neige qui tombait comme un sacre.
Le plus souvent nous ne parlions pas. Tu voulais simplement que j'approche ma tête pour poser tes lèvres sur mon front. Tu voulais ma chaleur, et je prenais la tienne. Combien de fois nous avons fait ces gestes pour se dire sauvés, un instant seulement, de nos déchirements, de nos effondrements ? Ma tête bercée entre tes os, ma tête sur ta poitrine essoufflée et pantelante. Ma tête posée sur cette horreur sublime. Sur cette neige épuisée, qui n'en finit plus de tomber sur nos vies. Dans ce délabrement silencieux du ciel. Dans cette chambre surchauffée par la fièvre du temps dans ses ultimes bruissements.

Il neigeait, et dans le grincement du parquet on entendait les clameurs d'une autre rive, ou les foules vont en cortèges se perdre dans les champs d'asphodèles. Chaque regard était un froissement de plus, la pâleur des sourires disait de longs gémissements, ceux qui vont en glissant sur les étendues neigeuses, au-delà des fleuves, au-delà des déserts, bien après nos vies et nos lamentations, comme les longues supplications qui tombent dans l'oubli. Il neigeait et nous étions dans cette intimité silencieuse, brûlante à veiller sur nos morts inlassables, nos morts perdus dans chaque grain de lumière, dans chaque bouffée d'air qui te manquait de plus en plus. Respirer, une fois sur deux, une fois sur trois, une fois pour moi, respirer de temps en temps, de moins en moins souvent, jusqu'à très rarement, jusqu'à presque plus, jusqu'à ces instants où le feu de tes yeux vacillait, proche du noir, avant que ta respiration ne reparte, avec l'hésitation d'un animal traqué, effrayé,  blessé. Les étoiles, aussi, respirent mal, maman. Je le sais, la nuit, on les entend hurler, on entend leurs souffles rauques et  chuintants dans les cieux. Respire encore, maman... ! encore... !encore une fois !
Il neigeait sous nos peaux, et derrière nos paupières,  il neigeait sur cet immense tilleul aux milliers de ramures noires, noires comme un immense poumon mort soufflant encore son dernier sang, et ce qui restait de vie dans ces instants du soir.
Il neigeait, comme pour adoucir la chute que fait l'âme en tombant au fond du corps. Il nous fallait aller à l'essentiel, au plus direct, bien après toutes les questions. Rassembler le tout de la vie, en des mots de rien, retrouver la pauvreté du langage, son humilité.
Tu aimais la lecture, parfois hachée, des poésies que je te lisais, ma voix chancelait légèrement, et tes yeux embrasait cette chambre, cette chambre allumée même le jour, et qui la nuit, éclairait l'immense tilleul, et la neige qui tombait.
« Pardonne-moi... pardonne-moi mon grand... » Ce sont les derniers mots que tu m'as adressés. J'ai serré l'os qui caressait ma joue comme le trésor le plus fragile qui puisse  exister.

Il faut porter le pardon des morts, comme nous portons celui des dieux. C'est lourd, et c'est plein de lumière à la fois. C'est lourd comme de  la neige qui tombe et qui au loin fait un bruit d'enfer.
Comme la neige qui tombait.... Qui tombait sans cesse.....dessinant dans la nuit, pour ton corps si étroit, un si grand escalier, qui montait... qui montait...comme la dernière prière que je n'ai pas su bien dire.... Tout là-haut... par-delà les nuages.... Derrière la nuit, cette si longue nuit. Il faut porter le pardon des morts. Le porter en silence sous les grands tilleuls, et le déposer sur la neige blanche pour que vienne le printemps.
Il neigeait et le printemps viendrait ensevelir ton silence....éternelle floraison pour bénir ton absence.

Franck.

J'irai marcher par-delà les nuages...

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2 mars 2017

Vérité...

La vérité nous blesse. C'est là son mérite.
Ce qui me console, c'est de n'être indemne de rien.

Franck

26 février 2017

Ma bataille d'Eylau..... ( Requiem)

Je ne sais pas comment j’en suis arrivée à m’intéresser à la bataille d’Eylau. Hugo ? Balzac ? Léon Bloy ? Kauffmann ? Je n’ai rien d’un historien, et pas de gout particulier pour le premier Empire.
Quelques traces de cette bataille dans mon imaginaire. La neige peut-être.

 La bataille d’Eylau, fut plus qu’une bataille. Elle raconta autre chose qu’un simple évènement. Elle eut la force et le mystère d’un mythe. Elle appelle encore en nous d’étranges sensations, débordantes, et contrastées. Bataille extraordinaire et insolite, où le pire et le grandiose se côtoya dans ces brumes de la Prusse Orientale. Une bataille fracassante qui ne fut ni une vraie victoire ni une vraie défaite. Pourtant, comme seule et ultime certitude, elle fut une terrible boucherie.
Il neigeait… On ne peut s’empêcher de penser à Victor Hugo : L’Expiation ou Le Cimetière d’Eylau

Oui, il neigeait sur la plaine d’Eylau, une neige sans éclat, une neige lancinante qui épuisait l’âme et le regard. Il neigeait à l’intérieur des corps. Une neige fade, presque grise, qui effaçait l’horizon. Une neige sans espoir, sans avenir, décrochée du temps. Il neigeait sur cette plaine d’Eylau. Tout semblait indéfini, indéterminé, vague, comme un océan à la dérive. Tout ramenait à une immense fatigue. Et là, dans cet affaissement, s’affronterait deux armées. Deux blocs compacts. Un choc frontal. Il neigeait, il faisait un froid terrible, un froid qui prenait toute la place, qui saisissait les chairs et les os, un froid qui emportait toutes pensées, qui se fixait à la peur comme une bête enragée. Vorace.

Il neigeait sur la plaine d’Eylau, une neige laide qui déformait les perspectives, aplatissant encore plus définitivement les quelques mouvements du sol. Seule l’église surnageait comme un drôle de vaisseau, un navire sans équipage. Au pied de l’édifice, le cimetière, le fameux cimetière d’Eylau, grand drap tombé du ciel; défait par la langueur, l’ennui, le gel. Le cimetière d’Eylau, celui de l’oncle de Victor Hugo, le capitaine Hugo et de son petit tambour. Il fallait au grand homme de l’Empire, un grand poète, le plus grand.

Napoléon n’eut pas choisi Eylau, trop d’ombres planaient sur cette plaine, trop de pressentiments. Ses plans avaient été dévoilés aux Russes. Bennigsen, le Russe, voulait la confrontation, il y jouait des décorations, Napoléon y jouait l’Empire. Il eut fallu du temps, le Russe ne lui en laissa pas.

Ce qui nous reste d’Eylau c’est cet immense tableau d’Antoine-Jean Gros. Ce qui nous reste d’Eylau, en vérité, c’est un immense mystère. Quelque chose s’est passé ce jour-là, et quelque chose nous parle encore. Eylau est le nom de la menace. C’est le nom de toutes les menaces. C’est aussi le nom du chaos. Quelque chose du destin de l’homme fut écrit ce jour-là. La condition humaine est indécise, précaire, fragile. Nos pauvres victoires ont toujours le goût des défaites. Et si l’église comme un phare nous attire, il semble qu’elle soit restée bien vide cette église. Les âmes mortes d’Eylau n’ont pas eu à faire un long voyage ce jour-là. Le ciel leur était tombé dessus.
Pourtant un pâle soleil s’était levé au matin de ce 8 février 1807. Les batteries russes déclenchèrent leurs tirs au petit jour prenant de court la grande armée. Les canons français répliquèrent. Précis meurtriers. Et puis le temps s’est assombri. La neige. La neige tomba sur la plaine d’Eylau. Un immense voile, où les cieux et la fumée des canons mêlés, s’abatis sur le champ de bataille. Le Russe avait serré les rangs, supérieur en nombre il voulait effrayer. Comme une vague scélérate, les Russes avançaient, massifs, compacts, puis reculaient, puis avançaient.
Napoléon tentait de voir, mais la neige tombait et la mitraille roulait, les obus rebondissaient sur le sol gelé. Agir, manœuvrer. Il lança Augereau. Mais Augereau plia, Augereau cassa, l’artillerie russe n’en fit qu’une bouchée.

Certains évènements débordent de leur cadre ; leurs formes, leur sens appellent en nous un recueillement inattendu. Ils ont invinciblement la force d’un symbole, ils signifient au-delà d’eux-mêmes. Ils recèlent des secrets, des mystères diffus, comme un voile qu’il nous faudrait soulever avec précaution. Eylau appartient à ces événements. Eylau est plus qu’une bataille. Elle gît dans l’âme des hommes telle une leçon qu’il nous faudrait méditer.

Tout d’abord, rien n’est vraiment clair dans ce combat. On assiste tout au long de la journée à des mouvements erratiques décousus. Le sort se retourna plusieurs fois. Plusieurs fois tout put basculer. Seule l’obscurité apporta la victoire par défaut. La nuit tomba sur cette de neige rouge, sur les cris des mourants, sur l’immense boucherie et sur une infinie tristesse.

Au pied de l’église d’Eylau le petit tambour s’est tu. Brave tambour, toute la journée les pieds dans les morts tu frappas ta caisse, autour de toi les boulets russes écrasaient tes compagnons. Six heures, avait dit le colonel. Il faut tenir jusqu’à six heures. Tu avais faim et froid, mais tu tapais sur ton tambour. Dans le  cimetière d’Eylau vous n’étiez plus que trois vivants le soir venu. Les morts du jour se mêlaient aux morts d’antan, que les boulets russes déterraient. À six heures il ne restait plus qu’un seul et unique charnier, qu’un seul et immense mort qui couvrait les tombes éventrées, et tes derniers roulements de tambour. Brave petit tambour !

Tous furent vaillants. Tous eurent froid, faim. Tous furent épuisés, les Français comme les Russes. Et puis tous ces morts. Et ces blessés qui hurlaient dans la nuit. Tant de courage, de bravoure, pour tant de désespoir. Une journée, une seule journée que l’enfer ne reniera pas. Près de quinze mille morts.

À sept heures du matin quand tout commença par une pluie d’obus, le dispositif français n’était pas prêt. Il manquait Davout et Ney. Ney était encore loin. Soult tenait la gauche et une partie du centre avec Augereau. Napoléon était posté aux premières loges, le point le plus haut : l’église d’Eylau. Derrière lui la Grade. Mais que voir dans l’épaisse grisaille ? Un ciel trop bat, une neige trop grise, la brume à laquelle déjà la fumée des canons se mêlait.
Davout devait arriver, mais à sept heures il n’était pas là. Il y a sur cette plaine quelque chose d’infiniment étouffant, d’irrespirable, d’oppressant. Les Russes sont serrés, massifs, au risque d’exposer leurs ailes. Napoléon rechigne, Bennigsen lui force la main, il n’aime pas ça. Il ne dit rien. Il regarde la plaine, il cherche à décrypter le sens. Il prie en silence ses Dieux, la Providence : Davout, Ney. L’artillerie française riposte.
Folle journée que ce 8 février 1807. Rebondissement, coup de théâtre, jusqu’à la nuit tout restera indécis, confus, comme pris dans l’épaisseur du temps et du destin.
Vers neuf heures Bennigsen lace sa première attaque  sur la gauche des Français. Soult fait face et repousse les Russes. Sur la droite enfin Davout arrive et se met en place. Cela prend du temps, la manœuvre est complexe, l’enjeu est d’importance, si Ney arrive à temps l’étau français pourra se refermer. Il faut que Davout tienne, plus, il doit obliger le flanc gauche des Russes à reculer.

Napoléon observe, rien n’est vraiment lisible, le ciel tombe un peu plus, un peu plus épais. Il faut soulager Davout, alors il lance Augereau au centre. Couper les Russes en deux. C’est bien vu, mais risqué à la fois. Il faut gagner à cet endroit, à ce moment précis. Le centre français contre le centre russe, si Augereau gagne les Russes sont coupés en deux. Mais pour cela, il faut s’extraire de la ville d’Eylau et marcher droit devant. C’est alors que le ciel se crève, pour s’abattre sur le champ de bataille. La Neige. La neige à gros flocon qu’un vent rabattait sur la face du 7e corps d’Augereau. Une marche aveugle, sans point de repère, une marche devenue errante. Combien de temps cette neige et ce vent ? Assez pour désorienter les troupes d’Augereau qui infléchissent leur avancée pour se retrouver de flanc face à l’artillerie russe. La neige s’épuise. Les canons russes tirent. Deux divisions françaises sont anéanties. L’impensable est arrivé. En quelques minutes le centre français n’existe plus.
Bennigsen a désormais sa victoire au bout du canon. S’il gagne le centre français, Soult et Davout ne pourront résister. Ney n’est toujours pas là, et Lestocq le Prussien, allier de des russes, ne va tarder à surgir. C’est maintenant  que ça se joue. Droit sur l’église et le cimetière d’Eylau. Quatre mille Russes se ruent sur l’église. Tout va très vite, Napoléon est au pied du cimetière, il ne bouge pas. Les Russes sont à quelques mètres, s’ils capturent l’Empereur, s’en est fait de l’Empire. Jamais la menace ne fut si grande. Derrière l’empereur, la Garde. Il n’y a pas d’autre choix, alors Napoléon fait donner la Garde. C’est la première fois qu’il l’engage. Elle est son ultime rempart. Ainsi la vieille Garde s’ébranle, comme un immense corps qui se réveille, chasseurs et grenadiers comme un seul homme mettent les baïonnettes aux canons, ils ne tireront pas, ça sera au corps à corps, à l’ancienne, chair contre chair, sang contre sang, courage contre courage, folie contre folie. Le choc frontal des corps fut terrible. La Garde résiste, la Garde repousse les assauts russes.
Napoléon n’a plus de centre, Bennigsen le sait. Sur la droite Davout tient, mais les combats sont âpres, les pertes des deux côtés sont immenses.
Le centre français est vide. Bennigsen lance une attaque massive au centre. La bataille plie, comme un vieux vaisseau elle craque. Il faut agir. Agir vite. Il est aux alentours de midi. Napoléon demande à Murat de prendre avec lui toute la cavalerie disponible. « Eh bien ! Nous laisseras-tu dévorer par ces gens-là ? » C’est le grand moment d’Eylau, celui qui marquera l’histoire. Quatre-vingts escadrons, près de douze mille cavaliers. Sans doute la plus grande charge de l’histoire. Il faut imaginer.
Une mer en furie. Il faut imaginer le fracas des sabots, il faut imaginer la terre qui tremble. Dragons et cuirassiers, c’est une grande marée qui s’avance.

sans-titre

Grouchy, d’Hautpoul, Klein, Milhaud, même Bessières et la cavalerie de la Garde, même les mamelouks, tous sont là, et Murat devant. Le choc est terrible. Les russes sont courageux, ils tiennent, mais sont débordés, enfoncés. L’attaque de Bennigsen est stoppée nette. Pourtant rien n’est encore décisif. À nouveau les pertes sont considérables. L’incessant flux et reflux des vagues de la cavalerie, éreinte, fend, disloque, au prix d’effroyables pertes. Les hommes et les chevaux s’effondrent morts ou blessés, la plaine d’Eylau brusquement devient rouge. Les cadavres s’empilent, chaque nouvelle vague piétine les morts et les blessés de la  précédente. C’est un spectacle monstrueux qui effare, sidère. Quel tonnerre !
Sur la droite les combats font rage, mais Davout résiste.
Vers quatorze heures trente, le pire à été évité. La remontée vers le nord de Davout fragilise Bennigsen, qui risque le contournement. C’est à ce moment-là que Bennigsen disparaît. Pendant plus d’une heure, le généralissime russe n’est plus là. Évidemment cette absence incongrue crée un flottement chez les Russes. Où est Bennigsen ? Il est parti en personne à la rencontre de Lestocq. Il est parti et il s’est perdu dans les bois alentour. Impensable !
Lestocq, le prussien avec ses dix mille hommes, qui, poursuivi par Ney, lui a échappé. À quinze heures il arrive par le nord-ouest en vue de la bataille. Une nouvelle fois celle-ci peut plier en faveur des Russes. Bennigsen retrouvé, envoie Lestocq sur l’extrême droite française, face à Davout.
Seize heures, nouveau rebondissement, Ney se présente sur les arrières de Lestocq. Enfin Ney.
Bennigsen comprend immédiatement. L’arrivée de Ney change la donne, dans une heure il sera à pied d’œuvre. Si Davout tient, la tenaille va se refermer. Davout est toujours là, devant Lestocq.
Le soir tombe, les deux armées sont épuisées.
Rien ne fut net dans cette journée, à part le froid, à part les morts, à part cette plaine rougie, à part les cris. Dans la nuit les feux s’allument. Napoléon les observe dans la plaine d’Eylau. Ce qui aurait pu être des étoiles ressemblait en ce soir de bataille à des cierges mortuaires. Vers vingt-deux heures, il comprit que Bennigsen se repliait. Lui, il reste. Il sera donc le vainqueur. Singulière victoire. Les Français restent maîtres du champ de bataille. Mais chacun sait déjà que plus rien ne sera comme avant. Quelque chose s’est passé ce 8 février 1807 à Eylau.

La nuit fut si longue à Eylau. Les grognards ne firent aucun rêve cette nuit-là. Aux cris des mourants succédaient le silence des morts. Que s’est-il vraiment passé ce jour-là ? Une charge de cavalerie ? Un petit tambour infatigable et courageux ? Il a neigé ce jour-là sur Eylau. Comme désormais il neige dans nos âmes.
L’empire vacilla,
Le siècle bascula.
Certes il eut Friedland, mais les temps sombres s’annonçaient
Des temps sans dieux, voués à la barbarie.

 

 

Franck

19 février 2017

Je sais des plaines froides....

Je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal brunes et cassantes. Je sais ces pays désolés d'être encore là. Ces terres d'absence où seul le vent du nord trouve son souffle dans les bruyères, sa nourriture aux bouches des pierres usées. Je sais ces pays de brumes sur lesquelles les rêves s'écorchent, saignent, ces lieux cabossés par tant d'oublis, martelés par le temps et la corrosion des désirs insuffisants. Je sais ces lieux nécessiteux, miséreux, qui ne tendent plus la main pour survivre, préférant l'agonie lente des siècles. Je sais ces landes qui gémissent aux portes du ciel, ces landes sans prière, sans salut, je sais les plaintes déchirées des terres sauvages, et je sais les âmes qui les hantent, je sais leurs voyages sans fin, leurs appels, leurs errances au bord des neiges éternelles, leurs traversées des crachins de glaces, et des froids monotones. Je sais cette tristesse qui blanchit leurs regards, cette mélancolie redoutable qui séjourne sur la peau de leurs complaintes.
Les landes frileuses ne sont pas des landes amoureuses, elles ont abandonné leurs chairs et leurs soupirs et leurs tentations. Elles produisent du silence, des distances, et façonnent nos éloignements, célèbrent nos séparations et bénissent nos accablements.

J'ai souvent cherché la musique dans ces landes fracassées de vents, je crois qu'il n'y en a pas d'audible, car les déserts et les landes dépassent la musique ; en fait, ils ne sont que musique pure. Tout part de là, de ces contrées, et tout y reviendra. Ce sont les lieux de la totalité, puisque défaits de tout. Des lieux qui préparent, ou qui prolongent. Qui exigent avant, qui exigent encore plus après. Ils se laissent traverser, mais jamais pénétrer. Si la main est assez ferme et assurée, elle peut parfois les caresser, mais sans jamais pouvoir les abuser. Ce sont les lieux de la totalité, de la simplification, de la première perfection, et de la dernière.

Je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal mauves et sévères, sans arbre, sans racine. Comme une mer de bruyères tranchantes et brutales, une mer raidie dans son mouvement âpre, une écorce cornue, rêche et rugueuse. Je sais ces landes persistantes, ces terres usées, brisées de solitudes graves, suffoquant sous la vapeur compacte des brouillards immuables. Terre saturée. Imprégnée. Imbibée de désespoirs primitifs et obstinés.

Je sais mes plaines froides, mes landes du nord, mes lacs de brumes grises. Je sais ce sang gelé, ces absences, et ce vent qui m'observe et ces neiges démembrées qui tombent au fond de mes os. Je sais tous ces jours dépourvus, arides, insignifiants, et mes mains si pauvres, et ce regard si maigre. Je sais tout cela. Mille fois traversé. Mille fois disséqué. L'infini retour de mes landes mordantes, de mes terres sans horizon, de mes journées sans lumière. Ces terres abondantes sans limites.

Je sais ces plaines froides qui dévorent la langue, chaque mot de la langue, et l'écriture qui gratte la glace, et le texte pris dans les hurlements des bourrasques de l'impossible dire. Comme si la parole était traversée dans sa chair par un fil barbelé. Impénétrable parole qui me laisse désarmé, en exil, banni de mon propre désir, relégué, refoulé de ma propre demeure. Et mon œil effaré fixe dans l'ombre du ciel le vol bouleversant des oies sauvages vers le nord. Comme un destin mille fois répété, comme une usure lancinante et troublante. Sur le ciel gris et noir de mon enfance. Le vol des oies sauvages vers le nord. Comme une fatalité. Mille fois répétée. Laborieuse berceuse qui ne survit plus à la nuit qui s'approche. Et cet épuisement. Et cette envie de nord. De glace. De fin....

Franck

11 février 2017

Vacillant...

Car il nous faudra choisir entre le plein et le vide. Entre le trop-plein et le trop vide. J'ai quitté chaque être, chaque chose, chaque lieu. J'ai quitté ma maison, mes ancêtres, ma mémoire, j'ai laissé derrière moi les aubes blanches et leurs promesses, j'ai ouvert des portes et franchi des seuils de chagrins, j'ai déplié un à un chaque souvenir, j'ai prononcé tous les mots pour me défaire des paroles vaines. J'ai déshabillé chacun de mes désirs. J'ai abandonné toutes mes richesses d'or et de pierres. J'ai oublié toutes les grandes pensées, toutes les morales, toutes les fois, j'ai renoncé à tous les dieux. J'ai rompu tous mes liens, répudié toutes mes épouses. J'ai parcouru les chemins les plus pauvres, traversé les landes amères, les déserts lumineux, j'ai grimpé sur les sommets les plus hauts, habité les grottes les plus profondes. J'ai eu soif. J'ai eu faim. J'ai eu peur. J'ai débarrassé mon sommeil de tous les rêves. J'ai attendu, jusqu'à ce que l'attente se lasse et se décompose. J'ai même aimé jusqu'à la douleur. J'ai agrandi l'univers pour y loger de plus grands désespoirs, j'ai inventé des océans violents pour être sûr de mes naufrages. Je me suis vêtu de silences et d'ombres. J'ai même connu l'ivresse et ce qu'il y a après l'ivresse. J'ai épuisé mon sang et ce qui reste après le sang. Car il nous faudra choisir entre le plein et le vide. Entre le trop-plein et le trop vide. Entre la pesanteur et la grâce. Car il nous faudra choisir entre les tremblements et les frissons. Et n'être qu'un souffle vacillant.

Franck.

5 février 2017

De l'infime à la bonté... (largo)

Il lui fallut beaucoup de silence, puis après, beaucoup de distance. Car il ne s’agit
pas de voir, mais d’éclairer. Il lui fallut un long temps, une vie entière,
pour apprendre ce mouvement sobre et grave de la bonté, qui va de l'un à l'un.
Ce mouvement qui découvre dans son souffle, dans une arabesque, une forme
acceptable d'humanité...
...du plus fragile au plus faible...
avec l'infime en partage, qui va de l'un à l'un...

Franck

 

8 janvier 2017

Pesanteur et grâce... (sérénade)

Dissonance. Souvent, trop souvent la lumière du jour m’écorche en frottant ma peau. Mes gestes sont noués. Ils manquent d'élan, de souplesse, comme noués ou pris dans l'étau d'une drôle de fatalité. Pour avoir accès au geste léger, il faudrait se quitter. Mais il y a une épaisseur invincible. La profondeur d'une ombre collante, grasse, visqueuse.
Je cherche le mouvement. Celui de l'arbre. Floraison de puissance calme. Je ne suis qu'une racine noyée de terre.
Je cherche le mouvement. L'allègement d'un élan pur. Net. Clair. Chantant. Vaincre le paradoxe, car il faut s'absenter de soi pour être présent. Là. Tout entier fait d'accueil et de don. Juste là, posé sur le fil, léger, dansant. Mon geste est pris dans la rigueur d'une saison perdue. Mon mouvement à froid. Pris dans la glace du silence, d’une parole empêchée. Parole de terre noire, austère, glaciale. Impossible germination. Essor vaincu. Défait. Grouillance obscure.
Fermentation acide d'une parole stagnante. Une vase filandreuse, puante. Mon geste est dans l'enfouissement, dans la consistance de son retrait, de son en deçà. Comme si le corps ne portait plus la parole, avec la sensation d'une chute lourde, sans grâce, l’impression d'une déchéance, une déliquescence qui n'en finit pas.

Elle s'appelait Fleur. Quelques étoiles nous ont rassemblés, l'espace d'un passage de comète. L'espace d'une sonate ou d’une sérénade. Elle avançait dans la vie avec un grand regard effarée. Un visage de lune inquiète, d'une beauté fragile, de ces beautés que l'on n'ose déranger. Comme si elle nous venait d'un autre monde, d'un autre mystère. Grande, mince, des gestes lents et gracieux, toujours à la recherche d'une harmonie secrète, d'une perfection étrange. Grande, mince toujours vêtue de noir, ce qui faisait ressortir la blancheur de sa peau, et la lumière de ses yeux étonnés. Quand elle posait sa main sur mon bras, j'avais l'impression d'une chaleur diffuse, d'un frisson soyeux comme si un moineau au cœur battant était là, à portée de souffle. Délicate élégance de l'âme incarnée. Noce de la pudeur, de la grâce, de l'émotion, du désir désarmé de ses violences.
Elle habitait la rue du Mont Cenis dans une petite chambre cachée sous les combles où elle récitait ses rôles. Comédienne. Jeune comédienne, qui cherchait son souffle dans le verbe, qui cherchait son corps dans des morceaux de paroles, qui habillait la vie de mots, de poésie, raccommodant chaque jour la dissonance des heures avec son violon. Surtout cette sérénade de Schubert. Fleur, c'était son nom, j’aimais prononcer son nom : Fleur, Fleur, un ornement sacré de la voix. Ce qui touchait en premier c'était sa légèreté, puis juste derrière, son inquiétude, une sorte de désarroi sans lourdeur, comme si elle était perdue, ici, sur une terre incompréhensible. Seulement perdue. Je ne lui ai jamais connu de tristesse, elle marchait sur son fil, elle dansait sur son fil ; le soir elle sortait son violon pour jouer Schubert ou Vivaldi.
Il faut imaginer la scène : la petite chambre, la pénombre d'un soir d'été, par le velux ouvert une sereine fraîcheur, sur le bord de son petit bureau une bougie allumée, et elle, droite, simplement vêtue d'une chemise rouge sombre, une chemise d'homme qu'elle portait déboutonnée, les manches relevées, avec ses longs cheveux noirs défaits. Elle inclinait doucement la tête, glissait l'instrument au creux de son épaule, posait sa joue sur le bois brillant du violon, comme pour un baiser, comme pour une tendresse, comme elle aurait fait sur la peau d'un amour. L'étroitesse de la pièce la rendait encore plus grande, encore plus droite. Pénombre grandissante dans cette lumière orangée, ensanglantée du rouge de sa chemise ouverte. Et son corps nu. Blancheur palie. Droite sortie directement d'un mystère, d'une légende. Sorti d'un rêve. Elle posait avec lenteur l'archet sur les cordes, alors la chambre était envahie d'ombres dansantes. Instants singuliers. Fleur jouait Schubert, presque nue, presque immortelle. Et le jour fléchissait encore, comme pour rendre grâce, ou pour la protéger un peu plus, et le violon appelait une à une chaque étoile. Fleur appelait la nuit, la nuit des premiers temps, la nuit prodigieuse, saisissante des premiers temps. Et la nuit lui répondait. Et la nudité de son corps s'estompait peu à peu emportée par chaque note. Alors Fleur appartenait à la nuit, la flamme vacillante dansait, cherchant l'accord avec les sons du violon. Nuit ruisselante de chaleur musicale, d'émotion traversée, feuilletée note à note, comme si à cet endroit du monde, dans ce temps précis, une source naissait, répandant son eau lustrale, comme si un trou de lumière perçait le néant. Fleur savait remettre en ordre le monde, elle harmonisait ici, ce que d'autres défaisaient plus loin. Car Fleur n'avait pas de lassitude, le mouvement de son geste sortait de son long corps nu, comme la houle nous arrive l'été, de ces grands champs de blé brassés par une brise amoureuse. Elle inventait le geste pur, elle inventait la nuit, elle inventait l'impossible temps de la présence révélée.
Il y a dans le jeu de l'ombre et de la musique un accord particulier, comme si du vivant cherchait du vivant, comme si nos égarements trouvaient enfin leur issue. L'amour se dresse dans l'ombre, dans les alvéoles d’or que sèment les notes d'une sérénade de Schubert à l'approche de la nuit.

Fleur a posé son violon. Fleur s'est allongée sur le lit, j'ai simplement placé mes mains sur son ventre, j'ai simplement baisé ses seins, j'ai simplement goutté sur ses lèvres la saveur de la nuit, j'ai simplement caressé le long silence qui recouvrait son corps, j'ai simplement enfoui ma figure dans sa chevelure, j'ai simplement entendu son cœur battre, j'ai simplement senti dans mon cou son souffle mêlé de notes insolites...

Fleur parcourait la vie avec l'élégance rare des funambules. La pièce qu'elle répétait l'accaparait beaucoup. « La valse des hasards », elle y jouait une morte si vivante, en prise avec un ange si facétieux. Jouer, pour elle, c'était d'abord se battre avec son corps, c'était trouver le geste, le mouvement. Chercher dans le mot, sa chair, le mouvement juste, celui qui fait tinter le ciel. Jouer c'était surtout chercher la voix, celle qui va dire le corps, c'était chercher le souffle qui porterait le geste.

Fleur s'épuisait dans cette descente joyeuse dans l’abîme des mots. Jouer c'était devenir un arbre dans sa croissance, dans ses fruits à venir, dans ses craquements, dans son élancement solitaire, son bruissement généreux. Jouer c'était aussi arracher le trop-plein, évider le surplus, sabrer dans la chair des faiblesses, tarauder les peurs, les entraves. Jouer c'était accepter de vivre dans le pli du texte, à la jointure du vide laissé par un rêve effondré sur lui-même.
Chaque jour Fleur partait au plus loin d'elle, elle quittait tout, laissant tout ouvert. Quelle exaltation dans cette perte ! Il y avait du ravissement, de la jouissance, dans cet abandon. Chaque jour elle partait sur son fil tendu au-dessus des gouffres d'insignifiance. D'un pas de danse. Ivresse du vertige. Chaque jour elle accordait un peu plus sa chair à la chair du texte, chaque jour elle inventait le geste qui devrait naître plus tard. Chaque jour elle inventait l'enfance, la présence pure, innocente, avec cet arbre qui la traversait.          

Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Le mouvement de Fleur lorsqu'elle jouait Schubert nue, dans l'ombre envahissante d'une nuit d'été.

Ce matin j'ai reçu un texto de Fleur : « Cher Franck ! J'ai pensé fort à toi, hier. Alors il n'est pas trop tard pour te souhaiter une heureuse et tendre année. J'espère que les fenêtres de ton âme
vont s'ouvrir pour mieux te sourire et guider tes pas vers le chemin de la quiétude et de la félicité. Fleur.»

Fleur, si tu savais comme je suis loin de cette quiétude, si tu savais combien Schubert me manque. Si tu savais mon écrasement à chaque texte, l'harassement qui s'en suit. Si tu savais comme chacun de tes gestes peuple encore ma mémoire, si tu savais ma maladresse sur le fil tendu, ma marche toujours hésitante, cette vie qui s'effrite, et cet arbre mort qui me troue les entrailles.

L'amour échappait à nos mots. Seuls quelques gestes l'éclairaient. Il nous fallait cette ignorance de nous-mêmes. Comme si les paroles pouvaient chasser sa présence ; l'effrayer. Il fallait n'en rien dire, de l’amour. Seulement délimiter un espace inattaquable. Peut-être pour nous préserver de l'incommensurable banalité des jours.  Entretenir l'incroyable. Comme au début lorsque je la voyais traverser du petit studio, et que j'avais cette sensation que le réel tremblait, que j'étais entre deux réalités. Et que de la voir, elle, me demandait d'ajuster mon regard à ce qui le débordait. Une sensation électrique. Fugace. Infiniment troublante.
Et parfois nos visages se rapprochaient. Nous fermions les yeux. Presque à se toucher. Sans se toucher. Sentir la seule présence. Proche. Avec le souffle, la respiration. Parfois elle passait sa main sur mon visage, comme une aveugle qui découvre un inconnu. Doigts légers. Dire l'amour dans ce silence aveugle. Éteindre tous les sens pour concentrer l'unique présence dans cette caresse. Ouvrir les yeux nous aurait annulés, effacés, anéantis.

Alors nous restions dans la pénombre de nos vies, à caresser les galets du temps. Pierres lisses. Ombres aiguës. Temps sans mesure. Temps de houle où les vagues se balancent de vague en vague, portées simplement par le mouvement mystérieux qui les enlace.
Elle brodait des caresses sur la dentelle de nos songes silencieux. Et nous étions dans l'ignorance sensuelle d'une distance impraticable. Proche, sans se toucher, à la portée d'un désir inavouable. Armés seulement de nos tremblements, pour survivre. Moi, l'Œdipe accomplissant le rêve d'Antigone. Aveugle errant, comme la métaphore d'une humanité.

L'amour bredouille des litanies incompréhensibles, faites du frottement de la parole sur la peau d'un sein, de la coupure des mots à l'endroit du mensonge.

Nous aimons à travers nos blessures, c'est pour cela que les amants échangent leurs sangs, c'est pour cela que l'amour échappe aux mots. L'amour naît toujours de nuit, dans le silence, le dénuement d'une saison morte ou perdue. De nuit. Toujours de nuit. Et nous aimons toujours au travers d'un souvenir ancien. Et nous aimons toujours comme si nous voulions le retrouver. Comme s'il fallait le retrouver. Et l'oubli nous menace et embrase nos peurs dans l'urgence de renouer avec le sacrifice premier, qui nous révélerait, nous détruisant en même temps.
La première nuit.
Aimer c'est tenter de la rejoindre, dans l'ignorance de nous-mêmes. Tenter à nouveau de remonter le fleuve de nos générations.

Car nos corps démentaient nos silences. Car nos corps déniaient nos souffrances.

Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Ce tintement des cieux. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Juste un violon. Et la danse. Traverser la lumière en son point de tremblement. Un mouvement qui partirait à sa propre rencontre, qui se délivrerait, qui se dénuderait, qui s'inventerait au moment de se faire.

Recommencer. Recommencer. Pour ne pas mourir. Ou pour mourir plus vite. Épuiser la langueur, fille de nos peurs. Recommencer à aimer. Encore une fois. La dernière. La seule.
Et l'amour se dérobait à nos regards. Comme à nos mots. Comme à nos vies.
Simples. Ignorants. Infiniment tremblants.

Franck

1 janvier 2017

écart...

Depuis toujours nous savons que l’on ne dit pas ce que l’on dit, qu’on ne fait pas ce que l’on fait, qu’on ne voit pas ce que l’on voit. Écrire est dans cet écart de la signification. Le rêve insensé d’une réconciliation du sens impossible à saisir.

Franck

1 janvier 2017

A rebours.... (ostinato)

Ce que je suis appelle ce qui me manque, et a la forme de mon oubli.
Se souvenir est impossible. Je suis fait d’une absence, d’une nuit, d’un souvenir perdu.

Nous marchons à rebours, et nous ne le savons pas.

Franck

31 décembre 2016

Pas à pas pas jusqu'au dernier...*

La bonté sera mon ultime courage.
Mon ultime défi.

Ne pas croire que la bonté nous arrive en premier, avec l’aisance d’une naissance, ou d’un printemps.
La bonté qui précède est sans saveur, elle n’a rien traversé qu’elle-même, elle n’a d’autre issue qu’elle-même, comment pourrait-elle rivaliser avec la bonté d’après, celle qui succède, celle qui se dérobe, celle qui aura traversée tant de nuit, tant de silence ?

La bonté redoutable est bien la dernière porte, celle qui ouvre sur les grandes moissons de l’âme et ciel.

La bonté est un achèvement, déjà un au-delà.

Car avant il nous faudra bien traverser l’effroyable de nos vies, de nos gestes, de nos pensées, de nos faiblesses. Il nous faudra bien traverser l’océan avant de devenir l’océan, et aller si loin avant d’aller profond.

L’écume des vagues ne dit rien des masses lourdes et insondables des abîmes océaniques. Ne confondez jamais la gentillesse et la bonté. La gentillesse restera toujours une complaisance, au pire, envers soi-même. Mais la bonté exigera un dépouillement absolu et violent.

La bonté nous vient d’une sauvagerie vaincue, enfin désarmée. Elle nous vient d’un épuisement du rouge du sang. C’est un feu au creux de l’océan.

Il me faudra bien du courage pour l’accueillir.

Car c’est un long voyage, une longue traversée. Il faut bien du courage pour arriver, pour aboutir, pour achever, pour supporter la longueur des temps, les errances, les égarements, les colères.

Il faudra bien du courage pour accomplir et pour aimer enfin.
Et brûler, brûler infiniment.

Franck.

* Titre emprunté à Louis-René Des Forêts

30 décembre 2016

L'éternel voyage...

Ce qui fait le voyage, le vrai voyage, c’est qu’il n’y a pas d’itinéraire, pas de retour. Le voyage est sans savoir, il se déploie et se défait dans le même pas, dans le même souffle.

Ce qui nous fascine dans la caravane du désert, ce qui nous saisit à la vue de ces caravaniers, c’est la lenteur de leur pas. Le pas glissant des chameaux, le pas patient du désert. Le caravanier ne va jamais nulle part, il ne fait que revenir. Lorsqu’on les voit au loin, ils reviennent, ils ne cessent de revenir, depuis toute éternité ils sont sur le retour, c’est cela qui fait l’étrangeté et la beauté du pas des caravaniers. Ils ne vont jamais nulle part, ils reviennent, avec lenteur et détermination, dans un silence de deuil, comme si le retour annonçait déjà la fin, comme si revenir était ne pas mourir, comme si revenir était la forme de la résurrection ultime.

Le temps est à l’image des caravaniers du désert, le futur est un passé jamais atteint, un passé toujours défait, nous revenons, nous ne cessons de revenir, de revenir infiniment.

Nous allons sans cesse tout au long de notre vie, comme un fleuve qui va vers la mort, nous allons devant nous, plus large et plus puissant toujours, mais toujours revenant, toujours renaissant.

Le voyageur est déjà une âme qui revient. Il n’y a pas d’avancée sans retour. Dans tout voyage une mort sommeille, sans cette mort pas de retour possible à la vie, sans cette mort, point d’éternité.

Franck

15 décembre 2016

Déluge...

Il y a toujours eu la mer, et le mouvement, et le souffle, et le regard qui s'abîme. Dans la contemplation des flots il y a le souvenir d'un déluge, d'un engloutissement, d'une catastrophe incommensurable. La mer nous menace toujours d'un trop long silence, d'une trop longue absence, et d'une mémoire tragique. Quand elle monte ses marées, quand elle revient vers nous, c'est pour nous désigner, c'est nos plaintes qu'on entend, dans les vagues qui meurent à nos pieds, elles redisent sans cesse le châtiment toujours possible, et que les dieux ne sont pas indulgents. Puis, lorsque la mer reflux, elle emporte avec elle nos lambeaux de vie défaite. Nos paroles s'ensevelissent, nos rêves se décomposent, il nous reste alors l'oubli comme seule  innocence, et l'ennui comme seule liturgie. Avec le reflux revient la nuit.

Nous n'écrivons jamais nos pensées, il y a si peu d'idées, si peu de pensées... nous écrivons nos peurs, et cette mémoire, et ce déluge d'avant. Écrire c'est faire pénitence d'un drame crépusculaire qui nous a précédé, et dont nous ne savons rien. Écrire c'est entendre l'océan traverser nos âmes, et unir un cri au lent mouvement des flots qui agitent nos chairs inquiètes. La mémoire de l'écrire nous menace toujours d'un trop long silence, d'une trop longue absence, et d'un déluge, d'un engloutissement, d'une catastrophe incommensurable. Écrire, c'est dire l'exil qui nous guette, et les tempêtes, et les vagues, et les cieux qui s'y noient.....

Franck

14 novembre 2015

Des mots qui ne sont pas des mots.....

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11 novembre 2015

Ne pas écrire, c'est déjà écrire...

Depuis l’enfance elle vit sur les contreforts d’un massif montagneux, dans l’entre-deux, à mi-chemin de la plaine et des rocs, à mi pente, à mi-distance des hommes et de la solitude, avec ce juste équilibre fait d’austérité et de recueillement. Selon les saisons son regard se tourne vers la plaine ou la montagne, selon les saisons elle passe des ruisseaux aux sentiers des forêts. Elle préfère les lumières incertaines du matin ou celles plus mystérieuse de la fin du jour. L’ombre est avant tout son pays, l’endroit du jour où elle respire mieux, plus profondément, plus sérieusement. Souvent lorsqu’elle considère les vaste étendues devant ses yeux, il lui semble que c’est un océan, alors son âme s’agrandie, et son regard s’aggrave, l’horizon la transporte vers l’infini, et l’infini vers l’éternel et parfois l’éternel la pousse jusqu’au néant. Alors pour se survivre elle se met à écrire, juste pour résister un peu plus loin.

 

Et puis un jour……

 

« Peu à peu l’encre s’est défaite. Un effacement lent de la parole. Le silence s’est retourné contre le silence. Le désir s’est enroulé sur lui-même, il s’est rétréci. Elle, elle était toujours là, devant sa page blanche et elle frissonnait comme si le blanc de la page n’était qu’une neige lourde, pesante. Les mots s’étaient pris dans le gel, dans l’hiver, comme si l’âme connaissait les saisons. Elle était là, fascinée par le vide, immobile, saisie par le froid, par le mutisme meurtrier de la mémoire et des rêves. Elle avait changé de saison, imperceptiblement, pour se retrouver dans le dénuement, les larmes, le manque.

Elle n’aurait pas su dire lorsque cela a commencé vraiment. C’est venu peu à peu, dans une infinie douceur, dans une sorte d’étourderie du quotidien. L’habitude qui manque à l’habitude. Une urgence qui s’évanouie, des gestes qui se dérobent aux gestes. Puis l’immense fatigue, et le regard qui fuit, qui se pose au loin sur l’horizon pour ne plus voir, pour ne plus rien voir. Le regard perdu, perdue comme elle se sentait perdue. Ne plus écrire n’est pas douloureux, s’est simplement une usure dans le corps, dans les muscles, dans les jours, dans les heures.

Quelque chose d’indicible s’était installé en elle, insinué comme une eau trouble, dans chaque pensée, chaque désir, et qui la faisait fuir de plus en plus souvent la page blanche, avec les longues rêveries autour d’un mot, d’un rythme, d’un son, d’un ciel. Ecrire avait été sa vie. La seule chose qui eut un sens pour elle. Alors elle écrivait comme une religieuse prie, avec abandon et patience. Sa poésie nous arrivait à travers une brume d’aurore, et ses mots se condensaient pour faire une rosée d’été, de celle qui nous rassure et nous fait aimer le matin, et les promesses de la nuit. Sa poésie était un entrelacs subtil de douceur et de gravité. Poésie du murmure et du souffle. Poésie de la pénombre et des aveux intimes. Dans son univers les océans n’étaient jamais terribles, ils n’étaient que des écrins pour des îles miraculeuses. Elle ravaudait la parole, y cousait des silences, faufilait ses mots dans l’entrechat du destin. Chaque poème avait la délicatesse d’une plume, encore marquée de l’encre qui l’avait créée. Elle aimait les marges, et les aveux pudiques. Elle dessinait au point de croix la silhouette fière d’une femme nouvelle, lucide et tendre, respirant à plein poumon le monde et son humanité. Derrière la rareté on sentait l’abondance d’une bonté sans borne. Patiente et souveraine. Elle préférait l’infime au vacarme, la transparence aux couleurs trop crues. Poèmes après poèmes elle construisait une cathédrale singulière, sans grisaille, sans lourdeur, sans faste inutile, une cathédrale faite de nos tremblements, de nos fragilités, faite de l’infini et du salut que l’on espère pour les autres, pour tous les autres, les plus démunis, les plus dénudés, les plus appauvris. Ce qu’elle aimait dans l’humanité, c’était son cortège d’âmes brûlées, d’âmes cabossées, d’âmes silencieuses, d’âmes sans nom. Ces mots à elle, les appelaient un à un, leurs donnaient formes et forces, les nommaient en les désignant à nos regards. Dans une ellipse elle savait emporter un univers entier. Dans l’inflexion de ses phrases elle redonnait vie aux flammes vacillantes des cierges.

Et puis la chose indicible s’était insinuée. Les mots ont peu à peu reflués. Ils ont quittés son sang, sa chair. Le peu appelle le trop peu, et un jour le trop peu appelle le rien, le vide, le néant. On s’absente. Peu à peu la présence s’efface. Cela ne vient pas brutalement. C’est une lente séparation intérieure. Un épuisement qui grandit, qui semble être sans fin, sans fond. En s’épuisant l’écriture emporte tout avec elle, comme si elle détenait tout de nous. Elle s’est peu à peu vidée, une source qui se tarie, un champ qui meurt lentement. Elle ne savait plus rien d’elle, ne voulait plus rien d’elle. Il n’y avait plus ni frisson, ni tremblement, ni vertige enivrant. Elle s’était éloignée d’elle-même, elle s’était oubliée. On croit souvent que l’écriture nous vient d’un penchant de l’âme adolescente, on croit qu’elle n’est qu’un passage, qu’une transition, la marche nécessaire à franchir pour devenir, pour advenir. Souvent c’est le cas, l’écriture reste alors un beau souvenir. Quelques cahiers qu’on n’ouvrira plus. Et la vie se poursuit cahin-caha. Pour certains l’écriture c’est la vie, et ne plus écrire c’est mourir déjà. C’est vouloir disparaitre.

Elle sut que tout se scellait lors de la maladie de sa mère. Elle décida clairement, consciemment qu’elle n’écrirait plus, mais qu’elle devrait accompagner sa mère sur le chemin de la maladie. Alors elle fit un pacte secret et terrible, elle se donna corps est âme au combat de la vie et de la mort. Elle se mit au service de sa mère, vécue au rythme des douleurs, des souffrances, des améliorations, des aggravations. Toute l’énergie qui gisait en elle s’est transformée dans cet amour pour sa mère, et contre le cancer qui la dévorait. Chaque jour, chaque heure, chaque minute est devenue une lutte. Une incroyable lutte. Terrible. Une lutte qui absorbait tout, sa vie, ses amours, ses mots. Mais elle était là, dressée face à la mort, rêvant de se donner à elle pourvue qu’elle épargne sa mère. Elle accompagna sa mère comme une religieuse prie, avec abandon et patience, et tellement de bonté. Elle n’écrivait plus, mais sa mission étais désormais d’un autre ordre, elle affrontait le mal en face. Sans faillir. L’issue était connue, une question de temps. Mais elle n’y croyait pas, la vie, le don, l’amour d’une fille doit pouvoir gagner sur la fatalité, parce que si l’amour ne gagne pas sur la mort, à quoi bon vivre, à quoi bon aimer, et que valent quelques poèmes en face du tragique.

Elle devint le corps mort de l’écriture, afin que le corps de chair de sa mère vive. Chair contre chair. Donnant-donnant.

Ne plus écrire c’était déjà mourir un peu. Affronter la perte, le deuil, le manque, la douleur, l’infinie tristesse, lui prenait toutes ses forces. La mort, la fin, l’inachevé de tout achèvement la cernaient de tout part. Elle s’est transformée en flamme brûlant d’amour pour sa mère. Les journées n’étaient pas assez logue pour l’accompagner, l’aider, la soulager. L’aimer abondamment, à profusion, jusqu’à la déraison. Le combat était rentré en elle, dans son corps qui se transformait, dans ses muscles, elle était en train de perdre, là, tout ce qui lui restait du sang de l’enfance.

Elle dû apprendre la réalité du quotidien, l’organisation, tout ce sens pratique nécessaire pour affronter dignement ce genre d’épreuve. Elle qui n’était faite que de la peau des mots, elle qui n’était que poésie en train de se faire, beauté insouciante et légère, elle dû apprendre la rigueur du combat, l’implacable contrainte, l’impossible contingence. Et aimer, aimer au-delà de tout, donner au-delà de tout. Entêtée, buttée, arcboutée contre la maladie. Guettant le regard de sa mère, ses yeux, son sourire, ses fatigues. Déployant de fabuleuses douceurs, mesurant ses gestes, ses mots. Elle était là, tout à côté de sa mère. Au fond, durant ces longs mois presque ces années, elle ne parla qu’avec sa mère. Recréant un langage unique, fait de silence, de confession, de pardon. Elle suspendit même son travail pour être à plein temps auprès de sa mère. Parfois le manque de l’écriture la tenaillait, mais cette épreuve l’avait tellement éloignée d’elle-même. Pour être présente là, droite devant la mort, il fallait qu’elle soit au plus loin de ce qu’elle fut dans son autre vie. L’écriture lui paraissait comme la chose la plus indécente au monde. La plus vaine, la plus futile, la plus frivole même. La douleur du manque devint sa juste punition de s’être abandonnée durant tant d’années à sa poésie. Cette seule idée la tenait debout. La déchirait, mais la tenait debout.

Il y a dans nos vies des eaux souterraines, des fleuves inconnus, des lacs de désespoir. Il y a ce sombre vouloir qui nous pousse dans une nuit inquiétante et sans fin. Il y a tous ces gestes qui nous échappent dont on ne comprend pas les significations, ces gestes qui nous engage à l’insu de nous-même.
Nos choix ont la marque de la fatalité, ils nous définissent, nous désignent, nous nomment, mais nous n’y sommes pas. Nous nous sommes absentés. Pourtant des eaux noires et inconnues nous brassent.
L’écriture l’avait désertée, comme si s’était l’écriture qui l’avait quitté, comme si l’abandon ne venait pas d’elle, mais de l’écriture elle-même.
Pour certains l’écriture revêt une signification sacrée, c’est leur façon d’être au monde et d’en espérer un salut. Ecrire touche à l’âme du monde, à son souffle, à sa respiration, c’est un chemin qui va de la nuit à la nuit, qui va de la terre au ciel. Ecrire c’est défaire les temps, c’est fabriquer un espace éternel l’instant d’un poème, dans le creux des phrases, dans la paume des mots.
Elle était en exil, rejetée par la langue, rejetée par la vie, affrontant la mort dans ce qu’elle a de plus douloureux, de plus incompréhensible. Bientôt, elle et sa mère, ne firent plus qu’un seul corps, qu’une seule âme, qu’un seul souffle, qu’un seul combat, qu’une seule chair vibrante. Sans plainte, tout en dignité, tout en espérance. L’amour se sait dans le regard, dans les yeux. Elles passaient des heures à se regarder, comme si seul ce regard était la réponse à la douleur, à la peur, un miroir d’éternité. Un regard au-delà des mots, de leurs futilités. L’empreinte de la vie fugitive et précaire au cœur du désarroi. L’empreinte des cieux.

Elle écrivit une fois encore, son dernier texte, le dernier chant, celui qui accompagna le cercueil de sa mère. Un long poème d’amour.
Comment écrire sans trop écrire ? Comment dire sans trop dire ? Dans ce texte sa main, d’instinct, retrouva sa légèreté, ses déliés. D’instinct son chant trouva son souffle, le juste souffle de la douleur, et de l’amour. Sans effet, des mots nus, simplement posés au cœur du mal, du manque, de l’abandon.
C’est dans ces instants que l’on reconnait les grandes âmes. Lorsque les mots sont à l’aplomb de l’être, et qu’ils tintent, clairs, nets, infiniment droits et pudiques. Parfois la dignité est la seule élégance de la douleur. Elle aima ce texte et le maudit dans le même mouvement. Au plus profond de sa douleur, la jouissance de l’écriture lui devenait une torture qui s’ajoutait au deuil. Elle aima terriblement écrire ces mots, et se détesta un peu plus de les avoir si terriblement aimés. Alors elle s’exila plus loin.
Depuis ce jour elle n’a plus écrit, sans doute au début le courage manqua. Plus tard le manque de l’écriture, fut sa pénitence, sorte de damnation…
Comme une marée qui s’épuise l’eau du poème s’est retirée. A la place un immense vide, un double deuil : l’être cher disparu, et l’écriture qui s’est défaite.

Cela pourrait-être la fin d’une histoire, une parenthèse d’existence. On pourrait imaginer que sa vie prenne une direction dépouillée de poésie. Une vie grave, faite simplement de silence et de beauté capturée sur le bord des nuages, dans le vol des oiseaux, dans le parfum des fleurs. Peut-être des enfants, un métier, des dimanches avec des promenades, beaucoup de nostalgie, quelques regrets. On pourrait imaginer qu’après le deuil, la destinée puisse prendre sa place dans le cours des jours, le quotidien possède ses légèretés. On pourrait l’imaginer sourire à nouveau et se vouloir assez de bien pour traverser sa vie avec délicatesse et compassion, avec bienveillance et bonté.
Mais écrire est un acte dangereux, on ne s’en délivre jamais.
C’est comme notre rapport à Dieu, l’écriture habite l’éloignement et la distance, elle est faite du manque et de l’attente. Pour les êtres qui sont frappés de cette malédiction, ils n’écrivent jamais tant que lorsqu’ils n’écrivent pas. Pour eux, ne pas écrire, c’est déjà écrire. L’écriture nous vient de notre perte, de notre exil, et du consentement à cette perte et à cet exil.
Dans son désespoir et dans son manque, dans sa mélancolie gisait l’œuvre à venir. Ecrire ne nous laisse aucun espoir. On n’échappe pas à son sang.
Ecrire nous vient d’un épuisement, d’une immense fatigue de l’âme et des chairs. Dieu nous arrive parce qu’il nous a abandonnés. Il en va ainsi de l’écriture, lorsqu’elle nous laisse au milieu de la page blanche, lorsqu’on ne vit plus que dans les marge du temps, lorsque notre encre est trop transparente, lorsque tout à fuit de nous, lorsque nous sommes si loin, si perdu, c’est alors que l’œuvre s’élève. Avons-nous assez pleuré ? Avons-nous eu assez peur ? Assez mal ? Avons-nous assez désespéré de nous ? Avons-nous assez consenti au silence et à la solitude ? La joie ne vient qu’après, une fois finies toutes nos pauvres stratégies. Ecrire est une injonction, nos chairs le savent, tout en nous le sais, jusqu’à nos tremblement.

Désormais elle est là, dans l’attente ultime. Le poème à venir borde sa solitude. La page blanche est là aussi, comme un œil qui la regarde, comme une amie qu’on aurait délaissée. Tout est là, la chaleur de l’été, le vent qui froisse les ramures des grands arbres, la lenteur des montagnes qui l’entourent, toutes les pesanteurs ont été découragées, elle est là, entre la lumière et l’ombre, dans l’angle de la page. Quelque chose de brûlant parfois la traverse et la laisse chancelante, presque interdite. Elle sait qu’écrire est une folie, et cette folie lui manque tellement.

Ecrire est son voyage, elle le sait à l’incendie qui couve dans sa poitrine. De tout temps elle l’a su, alors elle attend encore un peu dans la nuit, puisque c’est de nuit que les grands voyages se font, puisque c’est de nuit que la grâce nous appelle. »

Aujourd’hui elle écrit…. Elle écrit ……Elle écrit…..

Franck

 

 

 

 

2 mars 2015

Variation sur un thème, jusqu'à l'épuisement.....(reprise)

Écrire, c’est ouvrir les veines de l’amour.
C’est une saignée dans la chair du désastre.
C’est le temps rouge de l’attente sans fin.
C’est user une pierre par de lentes caresses.
C’est polir un cristal pour éclairer sa nuit.
C’est user sa mémoire, c’est déplier ses rêves.
C’est revenir sans cesse au seuil d’un murmure.
C’est l’abondance de la solitude ; c’est la redouter puis l’étreindre dans le même temps
C’est une eau vive de douleurs, c’est la joie de s’y désaltérer, d’en avoir toujours soif.
C’est l’oubli de l’oubli, c’est l’effacement des siècles, des folies et des peurs.
C’est ne plus espérer puisqu’il n’y a plus rien à espérer, puisque tout est là, dans cette blessure somptueuse et sauvage.
C’est descendre vers l’obscur de nos légendes, c’est sacrer le mystère, c’est frissonner sans trembler, c’est errer sans jamais être perdu.
C’est n’être défait de rien ou de tout, c’est sans cesse refaire le même geste, toujours plus lentement, c’est un songe sans illusions, mais tout en gravité.
C’est peser juste assez sur la blancheur des mots pour en extraire la stridence.
C’est accueillir l’effondrement comme une aube rédemptrice, dilapider les trésors cachés de nos vies décomposées.
C’est refuser toutes les richesses, puisque chaque mot appelle une pauvreté toujours plus grande, toujours plus nue.
C’est charger un navire, prendre le large sur la peau tendre de l’horizon.
C’est prier dans des cathédrales de silence, loin de toute clameur, dans l’absence absolue, c’est être un et innombrable, bouleversé d’urgence.
C’est être sans toit, sans feu, c’est habiter un chant, c’est brûler infiniment, en pure perte, en pur don.
C’est être sans dieu, et pourtant croire à la résurrection de la chair.
C’est s’ouvrir les veines de l’amour, en laisser couler le sang jusqu’à l’abolition des temps.
C’est tendre l’oreille au passé, c’est se souvenir de ce souffle sur le souffle, de cette chair sur la chair, de ce blanc sur le blanc.
C’est retrouver cette enfance éperdue, cette langue blanchie par l’amour, cette langue offerte avec la première nourriture.
C’est retrouver une langue qui nous précède.
C’est retourner à ce premier sang, à ce premier murmure, à ces premiers silences, à cette première folie.
C’est être dans cet arrachement, dans cet envol au milieu d’une tempête, dans cette chute soudaine au cœur d’un vide terrifiant et miraculeux. Consentir à ce ciel désolé, simplement consentir.
C’est traverser un amour rouge comme le sang, tranchant et bleu comme une lame aiguisée, ardent comme le feu d’une forge, un amour ravagé de silence et de vent.
C’est aller vers l’étreinte, recomposer les corps de l’étreinte, recomposer le corps des dieux.
C’est nommer passionnément, jusqu’à ce que la langue vienne à manquer. Passer du cri au chant. De la peur à la joie.
C’est vouloir quitter la nuit pour rejoindre le silence.
C’est rentrer dans la lumière du nom de l’amour.
C’est résister au temps, tracer une ligne qui relie des mondes irréparablement déchirés. Écrire est une naissance à l’envers.
C’est installer un silence dans le bruit de la langue, le primordial silence.
C’est cette façon d’être au monde, ou de ne plus y être. C’est interroger le silence, en glaner une once de lumière. C’est user le temps, le polir longuement pour en obtenir quelque élixir subtil. C’est entretenir un feu avec de minces brindilles d’encre usée. C’est écouter dans la foule le bruit que fait la solitude et dans la solitude les rumeurs de la foule. C’est ouvrir des portes interdites avec la seule clé des mots. C’est se croire riche, et se vouloir pauvre, être désarmé et pourtant invincible. C’est mourir plusieurs fois par jour et renaître pour que demain advienne. C’est dormir dans l’attente, et se réveiller dans la prière.
C’est mettre un ciel de solitude entre soi et le monde, pour se sentir assez déshabillé, pour s’en sentir plus proche.
C’est se donner la chance de l’après, de l’encore, du prochain. Du toujours. Alors cette vacuité appelle l’infini. Écrire anticipe l’espace, et le temps. En inventant le lieu de nos prochains pas. Ils sont le pas avant le pas. L’acte avant l’acte. Les mots, nos mots, créent du vide, du rien. C’est là que l’on habite, c’est là notre plus belle demeure.
C’est quitter les contours définis de l’île. C’est être du côté des eaux, avec le trou de l’île en plein cœur. Puis le vent dans l’écume. Le scintillement dans l’éternel mouvement. Écrire, c’est cracher sur sa vie, avec dans sa bouche une peinture arc-en-ciel, comme le sauvage dans sa grotte qui crachait sur sa main appuyée sur le mur, pour en inventer la forme. Le contour de sa vie. Comme pour nous dire que tout arrive à cette jonction du dehors avec le dedans. Comme pour nous dire l’océan troué par sa main, par son souffle, par sa salive. La main en pochoir devient le premier poème, né du souffle et du crachat. De la déchirure des formes. De leur débordement.

C’est inventer un continent disparu. Où Il habite. Où j’habite. Où nos corps s’additionnent dans les angles des mots. Dans le cri.
C’est être sur la ligne de faille, toujours au bord d’une invocation, toujours sous la menace d’une imprécation. Nous sommes maudits, nous le savons, et nous puisons là toute notre bonté, toute notre joie. Nous sommes maudits, mais l’écrire allume un ciel étoilé.
C’est définir une frontière. À la fois une limite, un passage. Un au-delà de la limite. Écrire est un lieu de passage où la langue et la voix partent pour l’exil.
C’est tracer une frontière. À la fois une limite et un passage. Un au-delà de la limite. Écrire est un lieu de passage où la langue et la voix partent pour l’exil.
C’est passer la ligne imaginaire de l’être. La ligne inimaginable.
C’est entrer dans un ordre de signification différent.
C’est labourer les champs du souvenir, pas pour dire le passé, mais pour se croire encore vivant. C’est aussi consentir à l’inachevable. C’est poser là une lumière sur la margelle du vide, une étoile au bord du néant. Écrire dit bien cet ourlet de tristesse cousu avec un fil d’or pur.
C’est engager tout son corps dans la parole. Tout. Même le sang s’il le faut. Surtout le sang.

C’est labourer, avec lenteur et détermination. C’est labourer son corps, sa chair, sa mémoire. C’est appeler la rêverie, n’en recevoir que la poussière, ne pas s’en contenter.
C’est vouloir le plus, le mieux, le toujours, l’irrévocable. C’est savoir notre finitude, mais continuer à croire en l’éternité. C’est ne rien lâcher, même dans l’abandon. Ne rien lâcher. Tenir. Tenir la note et le texte, comme on tiendrait la main de l’amoureuse.
C’est aimer, c’est témoigner de notre solitude, puis l’encrer pour l’offrir, c’est poser une forme là où il n’y a que chaos, et célébrer le manque puisqu’il est promesse.
C’est presser l’éponge, évacuer l’eau du temps pour faire entrer le silence dans les fibres de l’âme.
C’est détrôner les dieux. Comment pourrait-il en être autrement ? Que vaudrait une parole qui ne viserait qu’à les servir ? Il n’y a pas d’orgueil là-dedans. Simplement le déploiement d’un geste nécessaire. Écrire, c’est bien tracer le domaine des dieux pour y mettre le feu. Pouvoir contre pouvoir. Magie contre magie. Miracle contre miracle. Écrire, c’est nommer l’infinie négligence des dieux.

Écrire, c’est être traversé par une question, toujours la même. Qui ne se dévoile jamais de la même façon, sauf dans cette sorte de dérobement, cette esquive qui nous fait chanceler. C’est être traversé par une stridence, une urgence sans objet, puisque le sens d’écrire est toujours en deçà de l’écriture. En deçà, ou à côté, un « ce n’est pas cela » qui se défait en nous. Écrire, c’est déjà échouer, mais cet échec est la seule force à opposer à la peur et au néant. C’est s’approcher, sans jamais atteindre. C’est savoir que rien ne sera jamais atteint, mais s’approcher sans cesse. Alors, on recommence. Toujours plus loin, toujours plus profond, toujours plus seul. Le silence est le métronome des mots. Il bat en nous. Écrire, c’est traverser un silence pour aller sur l’autre bord, l’autre rive. Mais les bords et les rives n’existent pas. On le sait. Écrire, c’est se défaire de ce savoir. C’est ne plus rien savoir. C’est aller.

Écrire, c’est retrouver ce sommeil plein de couleur, de chaleur où l’amour n’est pas promis, mais donné comme une éternité, offert comme la première nourriture, la seule dont nous n’aurons jamais besoin. Écrire nous fait retrouver ce rêve où nous ne sommes là pour personne sauf pour le murmure incompréhensible, attendri, d’une mère devenue folle parce qu’elle s’est enfin oubliée et qu’elle divague dans les méandres de notre visage, de son amour éperdu, un amour-océan sans limites. Un jour, on écrit, et c’est ce seul murmure qui compte parce que lui seul peut couvrir le vacarme du monde. On ne saura jamais si cela peut faire un livre : on est dans le pur bercement de la langue, dans l’oubli de sa propre présence, dans cette musique qu’il faut prolonger jusqu’à la fin des temps. On est envahi par le blanc de la page, et les mots viennent parfois nous secourir du vertige. Ils sont les traces, les signes qui nous relient au ciel, à la terre. Et l’encre nous retient de sombrer dans la défaite toujours imminente.

Écrire, c’est s’égarer dans une enclave de temps. Une sorte de crique. On n’y accéderait que par le chemin escarpé de la parole, par une voix transgressée, une voix méconnue, une voix étrangère à notre voix, par la muqueuse d’un monde que nous ne savons pas habiter. Écrire serait appartenir à la terre sans y appartenir. Une crique ou une île sauvage. Quels sont les lieux inhabités en nous ? Quels sont les lieux escarpés ? Quelles sont les étendues dévastées ? On vient tous d’une humanité fracassée. Écrire est sans issue. Peut-être quitter la crique par la mer, quitter l’île. La seule brèche se trouve dans le bercement de l’horizon. La solitude exténuante, caniculaire. Il y a là un désir mortel. Inexplicablement mortel. Un point de violence abrupte, que l’écriture délie dans la coïncidence des temps. La brûlure des chairs. La brûlante patience des constellations. Écrire, c’est déjà la mort. On vit dans un temps écrasé. On écrit dans un temps sans limites. Puisque c’est déjà la mort.

C’est accueillir cet autre de nous. C’est consentir. C’est se défaire de nous. C’est l’entêtement du geste. L’acharnement d’une répétition qui nous efface peu à peu. Un labyrinthe de miroirs. Où se démêlent l’absent de l’écriture et le présent du texte. Où se dédoublent les voix. Écrire, c’est un peu comme l’impossible patience amoureuse. Un feu sous l’orage.
C’est maudire la parole. Invoquer le silence dans des phrases trop bruyantes.

Écrire, c’est dire, mais dire n’est jamais vraiment lisible, puisque dire se fait au couteau, juste entre la chair et l’os. Dire, c’est signifier. Signifier, c’est toucher du doigt le soleil et chaque étoile du ciel. L’écriture révèle la trace du couteau à chaque souffle de la voix.

Écrire, ce n’est pas parler. C’est dire. Dire la voix en nous. Révéler sa présence. Dévoiler.
Écrire, ce n’est pas parler. Car on ne dit jamais rien, rien qui tienne dans un univers en expansion. Car parler, c’est contredire la voix de l’ombre. Parler, c’est faire taire la voix de l’ombre. Le réel, le vrai, toujours cette dualité. Cette déchirure.
Écrire, ce n’est pas parler. Car parler, c’est se ravaler à chaque mot, à chaque idée, c’est se renier inlassablement par désespoir, ou vacuité, ou peur, ou lâcheté. C’est le bruit de nos pas, et leurs traces qui s’effacent. Une impatience exacerbée. Ce ciel qui s’assombrit.
Écrire, ce n’est pas parler. Notre voix le sait. Elle, qui pèse sur nos mots pour les rendre impraticables, elle, qui trace des arabesques devant nos yeux, tissant de terribles linceuls avec les fils coupés de nos souvenirs, de nos amours.
Écrire, ce n’est pas parler. Pourtant, écrire porte la voix. Une voix qui erre en nous. Écrire, c’est l’antimatière de la parole. Un trou noir de l’espace des mots. Le trou noir de l’attente, des tempêtes de l’attente, et du soleil de l’attente. Léger comme une grâce…
Écrire, ce n’est pas parler. Pourtant, écrire porte la voix. Pas la voix de notre bouche, pas celle de nos dents, de nos lèvres, de notre langue. Écrire porte une voix. Une voix de nous. Une voix qui erre en nous. Quelqu’un parle en nous bien au-delà des sons émis. C’est un interminable monologue. La litanie infinissable.
Écrire, ce n’est pas parler. C’est chanter juste avant la mort.

♦♦♦

Écrire est une désunion, une désolidarisation. C’est quitter l’ordre du monde pour rejoindre le chaos du vivant. Le chaos de l’azur. Un ouragan de bleu dans la symphonie des étoiles.

Écrire est une tentation pour briser les chaînes bruyantes du monde. Mais écrire échoue à ce vouloir et le sait. L’écriture est le produit de cette première mise en échec. De ce premier ratage. C’est une tragédie. L’écriture, c’est d’abord le chant de cette tragédie. La geste. L’odyssée. La tentation de relier la voix au silence.

Écrire est ce lent travail du feu pour décoller l’enveloppe. Un équarrissage minutieux. Le dépeçage d’un cadavre. Écrire, c’est dessiner les contours d’une île inconnue, c’est trouer l’océan.

Écrire est une nostalgie d’un monde qui n’existe plus. C’est une maladie du vivre, qui nous pousse à retrouver les premiers temps du silence, de la peur, de l’affût. Se sentir traversé. Emporté. Englouti dans l’instant qui précède tous les instants. Débarrassé des jours.

Écrire est une folie, la seule qui nous fasse souvenir qui nous sommes. Ce n’est pas une occupation. Parfois, c’est un destin. À coup sûr une malédiction.

Écrire n’est rien, sinon le consentement à ce rien. L’infinie jouissance du désespoir.

Écrire est un geste déjà advenu. C’est parler une langue morte. Écrire, c’est maintenir le geste qui en se dévoilant, défait la langue même dans laquelle il prétend se déployer. Une marée à l’envers, où la mer ravale une à une ses vagues, découvrant un vide toujours plus grand… Saturne dévorant ses enfants.

Écrire est sans savoir, c’est ce qui défait les livres, ce renoncement à toute explication, cette patience d’une parole crucifiée, béante. Une parole de nuit, avec le retour de l’abandon. Sans cesse le retour de l’abandon.

Écrire est sans savoir. Un cri, avec la face effarée par une peur qui ne dit pas son nom. Un silence l’accompagne, un long silence prémonitoire.

Écrire est une épreuve. Toujours.

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Écrire, c’est autre chose qu’écrire. C’est avant tout signifier le feu, et tout ce qui pourra détruire le feu. Le feu séparé de la chaleur. Le feu comme principe d’ascension et de disparition. Chemin de retour à la nuit. Retour à la nuit lumineuse.

Écrire, c’est le moment où l’on n’écrit pas. L’instant qui sépare deux mots. Deux phrases. Deux chapitres. Deux textes. C’est l’élan qui cherche à se survivre. C’est cet élancement de tout le corps dans l’espace inconnu qui sépare les mots de leurs cortèges de sons, d’odeurs, avec le glissement du sens dans la recherche d’une couleur plus juste, d’un saut plus net dans le vide, toujours recommencé, toujours réinventé.

C’est cette hésitation brûlante qui nous pousse comme une fatalité à rechercher le plus clair de notre eau, c’est faire la place à cet Autre qui nous suit en silence dans l’ombre de nos gestes, sur la pente de nos actes, jusque dans la plus intime de nos pensées ou le plus secret de nos rêves. C’est la paume des heures.

C’est le mouvement que l’on fait pour se saisir d’un oiseau. Juste le mouvement. L’élan. Un élan qui efface un mystère, qui en ouvre un nouveau. Comme si le geste toujours vain réveillait l’éternité.

C’est une marche aveugle, la main tendue vers un noir toujours plus profond.

C’est le double mouvement qui tente de nous en éloigner, mais qui nous y ramène. Toujours. Dans chaque texte existe une fatalité. Il y a ce mouvement de la vie, de la mort. Il y a ces mêmes mots entre les deux élans du mouvement, cette tension de quelques mots jetés au hasard de la page, qui se regroupent, pour nous signifier, pour nous éprouver un peu plus.

C’est un grand vent qui secoue les branches de l’âme emportant les feuilles les plus faibles, celles qui ne tiennent que par le doute, et qui deviendront les mots les plus brûlés de ta langue.

C’est l’étreinte des cieux. Assez de vie dans la mort qui vient. Assez d’amour dans la vie qui reste. Assez de joie dans la peur qui s’efface.

C’est l’intention sans intention. La volonté sans volonté. C’est un désir avant que le désir s’incarne. Écrire nous vient de l’après, de ce retournement des chairs, d’un futur qui n’a pas de nom, que seul le texte désigne. D’un possible. Arriver les mains vides dans une sorte d’agonie vigilante. Attendre. Arriver au pied d’une éclipse et encore attendre. C’est une ignorance solennelle qui nous fait longer les flancs de l’abîme.

C’est l’histoire de ce chemin qui part d’un silence, et qui va vers un silence.

C’est cette tentative impossible de dire l’indicible, le temps d’avant la langue. La voix qui parle en nous, c’est notre chair qui résiste, ce sont nos os qui se remémorent.

C’est le sacre du manque, du mouvement qui exige qu’on le dépasse pour le prolonger dans les flammes du désir.

C’est le perdu, c’est ce qui manquera toujours à la chair, mais qui la rend supportable, c’est ce qui l’épuise sans cesse, c’est le froid que nous sentons au cœur du feu qui brûle.

Écrire, c’est d’abord un amour qui ne tient plus à l’intérieur du corps, comme si les dimensions n’étaient plus adaptées.

Écrire, c’est le surgissement du mot. Aimer, c’est le surgissement du nom. Nommer est dans ce surgissement. Écrire, c’est faire naître ce que le silence pourra emporter. Le silence ne vaut que par le mot qu’il contient.

Vivre, c’est être dans le décalage, la non-coïncidence. Écrire, c’est prolonger cet espacement. C’est l’agrandir. C’est l’aggraver. Jusqu’à l’impossibilité de vivre.

♦♦♦

Écrire prolonge un rêve commencé il y a longtemps, dans l’enfance, un rêve commencé quand nous étions blottis dans le plus fragile abandon du regard de notre mère.

Écrire nous vient d’un premier langage, d’une première voix. Une voix insensée. Une folie de langage.

Écrire naît d’un terrible paradoxe, la mort la plus sauvage au cœur de la vie la plus tremblante.

Écrire revient toujours à dire la fin du monde. À mettre le passé comme horizon, à inviter la mort à sa table. Écrire, c’est finir, c’est toujours finir, avec assez de joie pour recommencer, inlassablement, dire la fin avant la fin, dire l’insoutenable avec assez d’espoir. Déployer son regard sur la lande, sans frayeur, regarder le désert de la lande, des brumes, du vent, du froid, puis aller, aller sans cesse plus loin, plus au froid, plus au vent, toujours plus vivant.

Écrire définit une liberté que nos gestes répudient. Écrire dépasse notre liberté. Écrire, c’est ce qui vient après. C’est ce qui advient après la traversée du désert, dans un pays qui outrepasse nos gestes, nos jours.

Écrire désigne notre solitude, lui donne un nom.

Écrire efface les horizons en plongeant vers l’abîme. Plus on écrit, plus on s’enfonce vers la nuit. Vers la nuit silencieuse, une lente descente du signifié à l’insignifiable. Du mouvement à l’écrasement. Le temps du texte est un temps écrasé. Un temps sans durée, un temps dans l’épaisseur de la nuit.

Écrire nous donne l’illusion d’une mise en ordre. Au chaos du monde, j’inscris son propre chaos. Écrire est d’abord une désunion. Aux rumeurs du monde, notre voix étouffée s’ajoute. Du bruit sur du bruit. Du chaos sur du chaos.

Écrire n’est rien, sinon le chant. Le chant passager. Écrire, reste le sourire de l’ange inscrit dans la pierre de la cathédrale de Reims.

Écrire efface notre trace. Nous retranche de l’avalanche des peurs. Nous sommes dans un reflet de silence. Écrire délimite un bord. Une ligne franche, brutale, presque coupante. L’en deçà, l’au-delà. Il y a le bord, puis il n’y a rien. Plus rien n’existe, pas même le vide. Rien. Des lieux, des temps qui n’ont pas la force d’exister, ou alors qui ne l’ont plus.

Écrire vient d’abord d’un épuisement de la langue, puis de cette fatigue, d’un savoir qui ne se suffit plus à lui-même. Les parois de notre vie sont envahies, mais nous ne savons pas si cela nous vient d’un mal ou d’un bien, d’une révolte ou d’une bonté. C’est le prolongement d’une vie démembrée, d’une vie rendue brusquement impraticable. Inaccessible. Le bruit des jours nous devient insupportable. Écrire, c’est d’abord la vie en échec. L’amour empêché.

Écrire invente un langage là où il n’y a plus de lieu, où il n’existe que la peur, l’effroi, l’inconcevable, mais d’où jaillissent le feu et la lumière. Écrire, parle déjà une autre langue que la nôtre. Écrire, c’est passer la ligne imaginaire de l’être.

Écrire révèle les contours d’un lieu impossible. C’est une autre langue que la nôtre. Une autre voix. On n’y reconnaît pas notre vie, ni nos jours, ni nos heures. Cela ressemble un peu à notre mort. Pourtant, rien n’est triste. Même si la mélancolie s’insinue dans la voix, car écrire la rend nécessaire, incomparable, surprenante, irréprochable. Invincible.

Écrire se vit toujours dans l’annonce d’un avenir déjà révolu. Alors, écrire, revient à repousser la catastrophe ultime de la mémoire. La collision des temps contraires. D’où cette sensation d’écrasement, de jubilation enfantine. L’imminence tenue en respect. L’urgence comme viatique. La menace comme respiration. La nécessité comme sang.

Écrire nous oblige à revenir, après l’exhumation de nos morts, aux instants pauvres. Nos moissons d’écriture sont laborieuses. Peu de grains, les épis sont mangés par l’oubli, puis les rêves s’en vont avec l’été. Écrire, c’est marcher sur le chemin des saisons, se laisser surprendre par l’éclat d’un caillou, l’odeur des buissons ou de la terre mouillée après l’orage.

Écrire comprime les temps, les déforme, les rend poreux, et l’âme se faufile dans cette porosité.

Écrire appelle l’impossible de l’Autre. La solitude immémoriale, le vide qui nous sépare du monde, mais qui dans le même temps permet le monde en nous.

Écrire ne dévoile pas le secret. Écrire le désigne. Parfois, il l’efface.

Écrire tend à dire le silence, car lui seul empoigne l’éternité. Les mots dits ne valent que par ce silence qui les appelle, par ce silence qui les recueille. C’est à ce seul prix qu’au cœur du présent jaillit l’instant éternel.

Écrire scelle le silence autour du désir.

Écrire définit les contours du pacte.

Écrire refait le même chemin à rebours. La décorporation. L’écriture naît de la chair. C’est son premier mystère. Sa première révélation. Elle naît de la chair, de la voix de la chair. Elle naît de la consistance d’un toucher. De la contrainte des masses. De leur frottement. Au départ de l’écriture, se trouve le sang rouge, puis les caillots gluants. Au départ, il y a la main qui tremble. Il y a le geste. Le mouvement qui s’exhorte lui-même. Au départ, écrire, c’est extraire du vivant primitif.

Écrire commence lorsque les muses sont mortes. Sur l’octave supérieure de l’abîme. Là où le révolu reste encore à vivre. L’accroissement d’un désastre. L’inévitable développement du fini.

Écrire touche aux confins de l’univers, pour essayer de les dépasser, c’est le geste des dieux qui tracent un grand cercle de feu dans lequel ils jettent les galaxies dans un grand éclat de rire.

Écrire possède dans sa paume une flamme un peu noire pour dissimuler nos vanités, pour ne jamais oublier qu’oublier, c’est oublier la fin. Car ce qui sauve le dernier souffle, c’est qu’il ne sait pas qu’il est le dernier. Parfois on termine. Jamais on n’atteint.

Écrire travaille cette longueur, dans cette usure du temps, dans l’épuisement qui y préside, dans cet écroulement qui suit. Écrire, cela prend le temps, tout le temps. La chair, toute la chair. Cela surgit de ce point de néant qui gît en nous. C’est le retour à la voix de l’enfance, la voix dépourvue de mots, celle qui n’est encore que murmure. Ce qui prend du temps, c’est de défaire l’homme, le déshabiller de la vie qui l’écrase… Écrire, c’est puiser dans l’ennui, le meilleur de nous-mêmes. Que reste-t-il quand tout est dépecé, raclé ? Que reste-t-il de l’inutile, du vain de nos jours ? Que peut-on écrire lorsque tout a été dit ? Mal dit. Mais dit quand même. Écrire, c’est le souvenir de la terre une fois les amarres jetées. C’est la fin, après la fin. C’est trouver un chemin possible.

Écrire nous renvoie aux gestes primitifs. Aux pensées sans pensées. À l’absolue nécessité d’être, sans rien savoir de l’être. Écrire, au début, c’est ne rien savoir.

Écrire cherche à délivrer l’enfant en nous. L’enfant prisonnier de l’ennui, de ce temps abattu qui écorche ses ailes.

Écrire conjure le vide. C’est la tentative d’un dialogue avec sa part la plus irréductible, sans doute la plus douloureuse.

Écrire touche à la substance même de ce que nous ignorons. Ce qui fut ignoré sera écrit. Ce qui n’a pu être dit sera écrit. Ce qui n’a pu être écouté sera écrit. Ce qui a été refusé sera écrit. Ce qui a été perdu sera écrit. Ce qui a été espéré sera écrit. Ce qui a été pleuré sera écrit. Ce qui a été sali sera écrit. Alors, alors seulement, ce qui aura été écrit sera chanté.

Écrire était cette tentation d’établir un continent aussi vaste que l’océan. Un continent né de sa voix.

Écrire suppose une ignorance définitive et absolue ; la désespérance en un devenir littéraire.

Écrire, sans autre projet que d’oser le frottement des ombres, des mots, et de tenter dans la phrase qui se déploie de retrouver les mouvements des siècles, ceux de la mer, du vent, l’inexprimable voix.

Écrire, aimer, vivre, c’est toujours un peu dériver, se perdre avec lenteur, avec grâce. Avec constance. Passer d’un silence à l’autre, jusqu’à n’être plus que de l’eau dans de l’eau.

♦♦♦

L’écriture naît de la confrontation d’un vacarme et d’un silence. L’écriture naît dans ce frottement. L’inscription silencieuse de la voix. C’est une lutte, comme la vie et la mort. J’écris en silence, dans un monde bruyant. Se taire dans les bruits de la ville. Se taire au milieu de ces grognements, de ces rumeurs, de ces vociférations. Écrire là, dans cette opposition, dans ce contraste, qui révèle le lieu de la charnière, notre jointure au monde. Notre inconciliance. Être là, mais s’absenter.

L’écriture naît d’un singulier mariage, celui de la nuit et du silence. L’écriture ne vient que par des trous de silence. Dans ces espaces désertés se dessinent les contours du sens. Le réel est l’envers de ces trous. L’autre rive du ruisseau. Écrire est une traversée.

Nous restons une énigme moins pour les autres que pour nous-mêmes. L’écriture est la langue de cette énigme. Une clé semble possible. Écrire est cette quête.

Il est une saison au-delà de laquelle il faut débarrasser la langue des tourments qui l’encombrent, des émotions qui la masquent. Il est un lieu de l’écriture situé plus profond que les chairs : là se tient l’os. Écrire commence à cet endroit. Écrire commence avec la seule confrontation qui vaille, celle des formes obscures, sans nom, avec la langue secrète et mystérieuse de l’os.

Nous venons d’une déchirure. Écrire dit la déchirure. Uniquement cet instant éternel de la séparation. Vivre, c’est tenter de l’oublier. Écrire, c’est tenter d’y revenir sans cesse.

Il y a quatre mots qui tiennent la vérité du monde. Ils sont reliés deux à deux : la solitude et l’amour, puis le silence et l’éternité. Seul écrire consent à chacun. Seul écrire les maintient brûlants.

La mémoire ce n’est pas le passé, c’est le chemin sur lequel nous allons. Elle n’est pas pour autant le futur, elle est seulement la respiration de la chair. Écrire condense les temps dans le souffle.

Le silence a deux faces : la première est l’extase, la deuxième est l’épouvante. Écrire tente d’effacer ce qui sépare ces deux silences, ces infinis qui nous mutilent en même temps qu’ils nous délivrent.

Nous ne pensons que par ennui ou par peur. L’intelligence protège ou tue, c’est pour cela que l’on ne peut pas écrire avec de l’intelligence. Écrire, c’est le contrepoison. L’intelligence est si peu amoureuse.

Nous passons d’un silence à l’autre. Toujours en retard d’une harmonie. Transitoire. Avec l’idée d’un passage, d’une coupure. D’un changement de rive. Mais nous ne sommes pas d’une rive, nous sommes d’une traversée. Écrire reste ce voyage. Nous ne sommes d’aucun port, d’aucun aboutissement. Nous ne sommes que navire. Ne vivons que de vent, d’horizon, que d’écume et de sel. Nous ne connaissons la route que la nuit, en suivant les étoiles.

Dans écrire, il y a une intention. Derrière le premier mouvement, il y a d’autres mouvements. Puis d’autres encore. Jusqu’à l’ultime, qui est une énigme. Dans écrire, il y a un secret. Un impossible secret. Écrire, c’est le traquer. Le cerner. En espérant ne jamais le trouver. Mais le chercher, sans relâche. Une quête à rebours. Les mots sont comme ces taches d’encre pliées sur une page blanche, offertes à l’interprétation. Ils disent à l’envers, ils se lisent à l’envers. Ils errent dans des jeux de miroirs, maraudant ici ou là des significations arrachées à notre quotidien, à l’accumulation de nos gestes, à nos répétitions incessantes, nos entêtements. Nos avidités. Nos impatiences. Mais dans écrire, il y a un secret. Une porte scellée. Le dire serait dire le nombre de notre mort.

Ils ont inventé les chiffres pour compter leurs troupeaux. Ils ont inventé l’écriture pour y mettre les secrets, pour les brûler. Tous les secrets sont des secrets d’amour. Écrire, évite de prononcer les mots magiques.

L’écriture est l’autre nom de la mort. Vivre, c’est se savoir mourant. Écrire, c’est l’être déjà.

En perdant les lieux, nous perdons le regard, en perdant le regard, nous perdons la voix, en perdant la voix, nous perdons la grâce… Écrire ne peut dire que la défaite de l’écriture, sous peine de complicité. Écrire n’apparaît que dans une sorte de renoncement, dans un refus orgueilleux, solitaire et vaincu.

Il n’est plus temps de dire nos détestations ou nos adorations. Écrire, c’est entrer dans un lieu où rien du monde n’est dit, où le « je » s’effrite comme une ruine des temps passés, où il ne reste que la trame osseuse du désespoir. Écrire, c’est éteindre chaque lumière, afin que la nuit revienne, dans l’impossible silence.

Le cri est la première chair du mot. Il n’est pas encore vision. Il est la défenestration de notre prison, il n’a pas encore trouvé la main. C’est une chair décrochée. Écrire, c’est tenir ce cri assez longtemps pour en faire sortir les images, pour le faire passer du concevoir au voir, pour le faire devenir monde, univers, constellation. L’offrande à l’œil. L’amour dit ce premier cri à l’envers.

Tout se joue entre l’œil et la main. Dans ces allers-retours qui tentent de les relier. Écrire, aimer, c’est le même chemin, l’aller et le retour d’une vie. L’un comme l’à rebours de l’autre. Le texte est ce pont, cette arche. Le lieu des métamorphoses. Le mot est un geste qui voit.

On avance ainsi de texte en texte. Le paysage change. Peu à peu. Lentement. Le Te Deum devient Requiem. Le temps serre le sang. Écrire, c’est perdre quelque chose à chaque fois. Une perte insignifiante. Une perte malgré tout. Quelque chose de soi se vide, s’écoule. Le temps incise les chairs de la mémoire. Le temps défait le temps. On ne s’en rend pas compte. Le paysage change.

Il y a les landes sauvages, puis il y a le rivage, puis il y a l’océan. Partir toujours, et n’arriver jamais. On quitte les lieux, on quitte les autres, puis on se quitte soi-même. On ne se remet jamais de tous ces départs, de tous ces abandons. On vit dans un temps séparé. Écrire est la longue énumération de ce temps défait. La liste des noms des absents. La liste des silences.

Il y a deux pays : l’un s’appelle la bonté, l’autre la fureur. Entre les deux, l’écriture qui se nourrit des deux. La frontière n’est pas un lieu neutre, il est la confrontation. Écrire, revient à accepter cette guerre dont on ne connaît jamais l’issue. La seule bonté ne nous sauve pas, la seule fureur ne nous apaise pas. Écrire, c’est accueillir les deux en même temps. Le texte naît d’une violence absolue qui porte en elle une rémission non moins absolue. Ce qui nous guide vers l’écriture n’est jamais aussi clair que nous voulons le dire, il y a des forces obscures qui nous traversent, mais il existe toujours au cœur de la nuit la plus sombre la possibilité d’une aurore. Ce qui tient l’écriture, c’est la lutte intérieure entre ce qui nous détruit, et ce qui nous pardonne. La seule miséricorde s’étouffe au fond de la nuit d’un couvent, car nos crimes sont impuissants, sans force, pour maintenir au plus haut le poème. Sans doute que la beauté de l’œuvre n’est qu’une tentative de réconciliation, toujours renouvelée, de nos puissances de destruction, confrontées à notre générosité la plus nue.

Ce qui nous fascine dans l’écriture, ce qui nous y ramène, c’est l’inextricable. C’est la présence vivante, en nous, de deux passions mortelles, inséparables. Inévitables. Écrire ne nous sauve ni de l’une ni de l’autre.

Les arbres sont faits d’attente patiente, de solitude déployée en saison, ils sont le chant des siècles, le reposoir des dieux. Écrire, c’est faire de l’arbre. C’est mûrir sous l’écorce de la parole, la saison à venir. C’est faire du temps, dont les mots sont les graines. Écrire, c’est faire de l’arbre, c’est réunir la terre et le ciel en dépliant chaque mot avec la persévérance du bois, c’est étendre le texte en tronc, en branches, en ramures, jusqu’aux feuilles, jusqu’aux fleurs, c’est tendre ses fruits en offrande.

Il y a une voix qui vit dans l’écriture. On reconnaît l’écriture à cette voix singulière, étrange qui l’abrite. Lorsque nous lisons, nous entendons parfois cette voix. Elle n’a rien à voir avec l’oralité. C’est une voix. Elle semble sortir d’un feu obscur, d’un feu sans âge. Écrire, c’est faire parler cette voix en nous, ou par nous, sans savoir si elle nous appartient, ou si elle vient d’un ailleurs mystérieux. Elle semble précéder le texte, sans jamais être tout à fait le texte. C’est dans cet à-peu-près, que la stridence se produit… Alors, le poème peut naître…

Avant le livre, avant l’écriture, d’où venait la voix ? Où se cachait-elle ? Écrire, c’est retrouver le chant du monde, la première grotte, le premier feu, les premiers tremblements, les premières prières.

L’innocence n’est pas un pays perdu. C’est un pays oublié, en contre-point du réel. Écrire en est la trace, l’empreinte, ou le point de fuite.

Au bout de l’écriture, il y a la danse. De la danse, à la danse. Entre les deux, la chute dans le verbe. Écrire, c’est épuiser l’immobilité. Lentement.

Au fond de chaque nuit, il existe une nuit encore plus profonde, qu’aucune aurore ne couronnera. Il existe un hiver qu’aucun printemps ne délivrera. Ainsi, nous allons. Ainsi, nous devons aller… avec le vent qui efface nos traces et fait trembler les blés. De l’hiver à l’hiver, du noir au plus noir encore, du plus seul au plus désolé, du murmure au silence. Aller, aller sans cesse. Écrire dit seulement ce mouvement, la neige, le vent dans les blés.

Nous faisons des détours. Écrire est le plus sacré de ces détours, mais c’est quand même un détour. Nous arriverons à Samarcande le jour venu, pour le sacre de l’inaccompli. Écrire, c’est danser sur ses propres ruines. C’est accomplir la défaite.

Douter. Douter de tout. Savoir que douter ce n’est pas ne pas avoir de certitudes. Douter, c’est n’en avoir qu’une seule Douter de tout, sauf au moment de l’écriture, où le sentiment d’une évidence nous étreint, aussi puissant que fugitif. Au bout du compte, tout aggrave la conviction désastreuse de notre précarité. Écrire nourrit la forme la plus achevée de notre mélancolie.

♦♦♦

Écrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. Vaine, donc indispensable. La forme produit du sens. Le laboureur le sait bien, lui qui s’applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Ainsi, de sillon en sillon, toujours le même, à chaque fois toujours différent. L’épreuve renouvelée sans cesse. La grâce des saisons. Car la puissance de la récolte tient à ce consentement à l’harmonie de chaque sillon. La perfection du trait.

Écrire le pas, c’est avoir traversé sa vie. Mille fois être mort, pour renaître à chaque aube. C’est brûler sans rien incendier. C’est aimer sans regret. Être dans cette impulsion de la parole qui cherche devant, sa récompense, simplement dans ce mouvement d’aller en avant, calme, dans l’équilibre des sons, des images, dans la retenue du souffle. Écrire le pas, c’est supporter un soleil et les planètes qui tournent autour, c’est construire un monde pour l’offrir. Le pas s’invente à chaque pas. Il n’est jamais le même. Puisqu’il est consentement, puisqu’il est totalisation, comme le murmure, comme l’aveu, comme la prière.

Écrire bien au-delà des marges. Dans la pliure. Dans le givre. Dans le désir dessaisi. Écrire dans l’affaissement. Le retrait. La défaite. Voilà, la défaite, jusqu’à l’excès, jusqu’à l’étourdissement. C’est sans doute cela la perte. L’excès, la saturation, le vertige, l’ivresse. Dans la voix suspendue ou dans le silence cent fois enduré. Peut-être que la poésie est, aussi, cette transpiration de la voix. Cette sudation. Un excès de fatigue sous le soleil. Le murmure d’un gisant.

♦♦♦

Écrire sur écrire, c’est aimer en dépit, ou en surcroît, mais c’est aimer encore, c’est aimer toujours…

Franck

(Merci à Olivier pour son aide)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

9 mars 2014

La maladie des mots ... ( requiem )

Un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne pouvait se présenter dans sa première vérité. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c'est hanter ses propres décombres, c'est traverser les champs de batailles de nos défaites.
Les destins naissent au cœur des nuits. De préférence au cœur des nuits sans lune. Car chaque destin est avant tout une peur, une peur tenue à bout de bras, une peur qui vous lèche le visage au cœur des nuits sans lune. Un destin c'est l'histoire d'un franchissement de la lumière. Un voyage de l'obscur au plus clair. Du chaos à l'évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.
Au début il a eu cette maladie. Cette drôle de maladie. Au début il y a eu cette maladie invisible, presque insignifiante. Elle rodait, dans le souffle, dans le regard, elle ressemblait à l'ennui, à la lassitude. Au début on ne savait pas la nommer, et quand on la nommait on en souriait. Au début on était dans l'insouciance de l'enfance. Et il y avait trop d'enfance en nous pour s'arrêter sur si peu, sur tant d'insignifiance. Trop d'enfance.
C'est une faute. La première. Les autres suivent.
Drôle de maladie, sans formes, sans fièvre. Une maladie de rien, sans médicament. Une maladie qui n'est pas dans les os, qui n'est pas dans les chairs, à peine dans le sang, à peine dans les humeurs, silencieuse comme un serpent nonchalant. Maladie papillon, légère, aux symptômes d'enfance, cachée dans les plis de certains jeux, dans la suspension du temps entre deux rêveries, dans le hoquet entre deux rires, dans l'épuisement soudain qui envahit le ciel, l'air, le soleil. Au début c'est un voile de soie grise posé sur les yeux, sur la langue, et tout au fond du crâne. C'est pour cela qu'il faut du temps pour se rendre compte qu'on en est atteint. Elle est juste un coin planté dans le fil des jours, par lequel s'échappe la joie.

C'est une maladie sans nom. Sans vrai nom. Et les noms qui la disent, ne disent rien, ou si peu. Ils en disent l'écorce, la peau, l'écume, mais taisent le long cheminement d'une douleur sans douleur, et le glissement progressif vers les ténèbres. Oui, rien ne dit cet épuisement du désir, l'effondrement du sang dans les couloirs du vide, et cette vacuité insolente qui vrille chaque instant. Maladie de l'inaccessible, puisque rien n'est désormais intelligible, puisque tout est définitivement inabordable directement. Puisqu'il faut sans cesse inventer des chemins différents, pour relier en soi ce qui est disjoint, ce qui est décollé. Puisque tout est un champ d'épreuves, puisque toute la joie, tous les plaisirs se dérobent comme une eau qui s'infiltre dans les fissures de chaque geste.
Et la bougie de l'enfance se consume lentement, brûlant les dernières forces, absorbant dans sa lassitude, son accablement, les dernières lumières. C'est comme un sourire qui s'efface. Ça ne fait pas de bruit un sourire qui s'efface, ça ne fait pas de bruit une enfance qui s'engourdie.
Dans les fissures du regard. Voir sans voir. Ne rien entendre aux débuts, aux fins.

La maladie des mots. C'est le nom que je lui donne. J'aurai pu dire la maladie de la vie, c'est la même chose. La maladie des mots. Il faut bien comprendre, en nous les mots sont malades. On peut les dire mais on ne les voit pas. On ne peut les écrire, ils se masquent, se dissimulent, se voilent. Et lire devient un champ de chardons à traverser. Et il y a des rivières souterraines sans fin dans lesquelles se perd la parole, et il y a des cavernes des gouffres où elle suinte. Où elle goutte. Mot à mot. Et se fige dans la pierre, et dans les sécrétions de la langue, et dans les obscurs méandres d'un apprentissage impossible. Lire est un champ de chardon, comme si chaque mot griffait, avant qu'un néant apparaissait. Et écrire ne ressemble à rien, comme si la main se refusait, comme si l'œil s'aveuglait, comme si toutes les pensées devaient avant d'éclore, traverser l'épaisseur d'un brouillard. Et il ne reste que l'oreille, qui fait ce qu'elle peut pour lire, pour écrire, pour attraper la musique derrière la stridence des brumes.
Drôle de maladie, que la maladie des mots. Elle n'empêche rien et pourtant elle entrave tout, même les rêves, surtout les rêves et le désir. Au début on est de plein pied dans l'existence, et puis la maladie des mots vous prend, et c'est comme un escalier qui se dresse devant vous, un escalier qu'il faut monter pour toutes choses, pour tous les gestes, même les plus anodins. Et vivre revient à anticiper cet escalier. Puisqu'il est là. Puisque chaque geste devra d'abord le franchir, puisque lorsqu'on arrive à la chose désirée on est déjà épuise de cette escalade.
Au début de l'enfance on reste insouciant, on croit que la vie c'est cela, que c'est cet escalier, alors on monte sans compter nos efforts, et l'on est épuisé, épuisé de tout.
L'œil, la voix, l'oreille, tout est dans le désordre et la confusion. Lorsque vous voyez un mot, votre voix ne sait le dire, lorsque vous entendez un mot, votre main ne sait l'écrire, et votre œil est aveugle aux sons.
Il faut bien comprendre, le cerveau est parti en vacance, il gambade et vous ne pouvez le retenir, il court à travers champs et vous ne savez pas où il est. Il est en vadrouille.
Alors les mots se collent les uns aux autres, se coupent n'importe où, s'écrivent comme on les chante. Ils n'entendent rien aux règles de la vie, ils dansent et se faufilent quand on veut les saisir. Mots vagabonds, mots affranchis de tout, même de nous. Il faut bien comprendre, nos mots ne se soumettent pas, ils dictent leurs danses, leurs chants. Ils n'habitent pas chez nous.

Au téléphone Patricia me raconte. Elle est docteur des mots. Elle travaille avec des enfants que les mots ont quittés. Elle passe des heures avec eux à aller chercher les mots qui se sont perdus, à rassembler toutes les lettres, à les mettre dans le bon ordre. C'est un beau métier docteur des mots. Au téléphone, elle me raconte. Elle fait des associations, des sites, pour parler des mots malades, des mots perdus, des mots qui ne s'articulent pas à la langue. Elle me raconte. Surtout l'histoire de cette maman. De cette maman écrasée de honte de peur.
« Je lui ai parlé de toi... tu sais depuis l'enfance son calvaire, et toutes les difficultés, à masquer, à contourner.... Alors je lui ai parlé de toi, et de l'écriture... de la tienne, tu sais l'écriture de la maladie des mots....j'avais imprimé ton texte celui où tu parles de ça, « Je fais des fautes »...et j'ai voulu lui lire...et puis, tu sais l'instant était presque grave, comme si l'on touchait le centre de l'univers... tu sais elle ne lit jamais, à cause de l'effort, à cause que c'est impossible, alors tu imagines... à haute voix, c'est comme un chemin de croix, avec les chardons sur la langue... » A l'autre bout de la voix, j'écoute, et je sens monter la brutalité d'une émotion. Violente. Qui racle tous les souvenirs d'un seul coup. « Alors je commence à lire ton texte... et puis elle m'arrête... elle me prend le texte des mains, et elle dit : « je vais lire, moi... moi je vais lire ».... Alors elle commence... » Patricia me raconte cette femme lisant le texte, ânonnant le texte. Et moi j'ai l'impression de l'entendre, de la voir trébucher dans mes mots, oui je la vois tomber de la langue et se relever, se redresser, s'épuiser à chaque chute, mais se relever, comme si cela devenait vital de retrouver une dignité là, à cet endroit, à ce moment précis. Et j'écoute Patricia, et des larmes coulent, lentes, grosses, et dans cette fraction de temps, je sens déborder tout l'ennui et la désespérance de mon enfance. Et je sens que les chardons ne me blessent plus. « Tu sais, c'était dur, elle accrochait, elle buttait... » « Oui, je sais... les chardons... »
Il ne faut pas s'y tromper, car on pourrait en sourire, la maladie des mots n'est que la partie visible, parfois risible...mais c'est la vie entière qui est contaminée.Chaque pensée.Chaque geste.
Imaginez ce grand escalier en amont du désir, cette escalade qui brise tous les plaisirs. Imaginez toutes les stratégies qu'il vous faut inventer pour éviter cet escalier, pour éviter l'épuisement, l'ennui. Imaginez tous ces détours qu'il vous faut prendre, imaginez combien de fois on s'y perd, dans ces détours.
Elle me disait, au téléphone, toute cette émotion, de ces pas balbutiants dans le lire. Et moi je me souvenais. De ces heures passées dans le silence de ma solitude à lire à haute voix. A lire sans accrocher un seul mot, à lire en essayant seulement d'effleurer le texte. Aller…. !  Franck, ce paragraphe, juste ce paragraphe sans bafouiller... ! Tendu jusqu'à me casser en mille parties. Et immanquablement la bafouille arrivait. Immanquablement. Parfois dans les derniers mots du paragraphe.
Elle me disait toute cette émotion, de cette femme lisant mon texte...

Alors, j'ai lu envers et contre tout, passé les embûches les unes après les autres. Des milliers de livres, avec plus d'entêtement que de plaisir. Toujours les chardons dans les yeux et les escaliers. Alors j'ai écrit, envers et contre tout. Inventant mon écriture à force de l'écrire, avec plus d'entêtement que de plaisirs, parfois, mais avec la certitude que les chardons fleurissent aussi. Un jour.

Avec la certitude qu'un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c'est hanter ses propres décombres, c'est traverser les champs de batailles de nos défaites. C'est monter en premier les escaliers du désir, comme on monterait des gammes, comme on monterait des marées, avec entêtement, constance. C'est dire et redire en articulant chaque phrase de la vie, avec obstination, âpreté, en hurlant s'il le faut.

Je sais l'image qui se dresse en haut de l'escalier. Image tutélaire. Celui qui tenait la parole et les silences. Celui qui possédait les livres.
Quand je lis à voix haute j'ai le goût de tes cendres dans la bouche. Je suis sans haine, mais sans amour ni pardon pour toi. Je te dois tous les escaliers de la terre et toutes les ivresses. A dix ans je savais que j'écrirai. J'ai mis une vie à le faire, ma patience s'est habituée au goût de tes cendres. Et je t'userai, comme j'use ma langue et mes mots.
Quand j'écris je suis éternel et cela suffi à ma joie d'avoir l'éternité pour savourer ta cendre et de voir fleurir les chardons en haut des escaliers.
Tu vois, papa, j'aime les livres longs, épuisants, j'aime les textes longs, épuisants... mon âme est faite d'attente, et de cette lente montée vers les étoiles. Et contre ça, tu ne peux rien. Les marches de mon escalier sont faites de mots... et la langue est infinie.
Un voyage de l'obscur au plus clair. Du chaos à l'évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Franck.

(Pour tous les dyslexiques et les dysorthographiques)

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