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J'irai marcher par-delà les nuages

22 novembre 2009

Où......

« Où vas-tu ? »

« Droit devant, je vais droit devant. »

 

« Devant n'est qu'une illusion. Devant n'existe pas. Il n'y a que l'ailleurs qui existe. Et l'ailleurs c'est l'exil. Une géographie déboussolée. C'est le lieu de l'écriture. Un lieu démembré. Traversé d'un temps à rebours. Incertain. L'ailleurs se définit par sa résistance à l'ici. Et par le départ, et par la débâcle qui s'en suit. Il faut se presser de se mettre en route, sinon on ne part jamais. Devant n'existe pas. Nulle part est ton pays.
Et si tu écris tu n'auras ni lieu, ni maison, ni saison. Si tu as cette honnêteté folle d'écrire avec les yeux désorbité de l'enfance. »

 

« Où vas-tu ? »
« Je vais m'allonger un instant sur ma tombe. »

 

« Prends garde aux théologies du bonheur. Vas ailleurs. Seul. L'ailleurs est toujours le lieu de la séparation, de l'abandon. Bienheureuse déréliction.

Pleurer dans l'océan est la seule distraction sensuelle, comme écrire avec la semence des saints.

Regarde derrière toi. L'origine est un abîme. Plus loin il y a une passerelle. Elle s'appelle l'extase. Non, elle s'appelle l'écriture, ou la mort c'est pareil... »

Franck.

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21 novembre 2009

La pierre.....

Je sais que c'est là, maintenant, qu'il faut que je m'arc-boute à l'écriture, que j'y applique mon corps tout entier, comme pour soutenir une falaise. Ou la faire sortir de ma poitrine.
Je sais que c'est là, maintenant que commence le temps de la pierre.
Le geste réclame la résistance. La rugosité. Se défaire de l'orgueil et de la prétention.
La pierre dans son silence immobile dicte sa leçon.
Briser le premier élan sur la roche. Et revenir, plus lentement. Être défait de cet élan du début. Le premier lait, tout en promesse, mais qui ne tient pas au corps.
Revenir au geste pur. L'épuiser de ce qui le déborde.

Faire monter dans le ventre, dans la poitrine, chaque mot, un à un, et les poser sur la pierre pour en éprouver, l'audace, le sens et la couleur. Et refaire, sans cesse. Sans exaltation.
D'abord trouver sa place dans le mot, au lieu de lui faire jouer un rôle.
Il n'y aura pas de réponse. Il n'y a jamais de réponse. Aurais-je le courage de maintenir la question ? Sans faiblir. Sans dévier. Et accueillir la trajectoire nouvelle, et le mouvement, que cette tension sans conflit fera naître.
C'est le temps de la pierre. Je la pose au centre de mon grand champ de neige. Et la forme du texte doit naître de cette absence de forme. Le mouvement juste sera sa propre fin, sont propre accomplissement.
Le sens est une question secondaire. Au mieux il est un surcroît. Le sens s'oppose aux rythmes, aux couleurs, à toutes les sensualités furtives et surgissantes qu'un geste dénudé d'intention préalable inspire ou provoque. Désarmer les forces pour leur rendre leurs puissances initiales. Préférer l'étonnement à la surprise. Le texte doit être traversé d'une forme simple et pure.  Une ligne, un cercle, l'arabesque du vent. Faire son profit du vol des oiseaux ou de la ligne d'horizon. Observer longuement, la montagne, l'arbre, la fleur, le printemps. Le texte n'est qu'un échange. Ce n'est pas moi qui évoque l'arbre, mais l'arbre en moi qui parle. J'ai un océan en moi, sa voix est bien plus intéressante que toutes mes raisons ou déraison. Si tu veux tracer un cercle, regarde la vague et son mouvement, regarde-la se creuser, se rétracter, regarde-la aspirer l'air et déployer sa puissance dans ce mouvement d'enroulement. Inspiration, expiration. Respiration du cercle. Ligne pénétrée d'un souffle. Et l'océan recommence indéfiniment, comme pour parfaire sa nature d'océan.
Il y a dans la constance un défi serein fait à la mort.
Il y a dans l'effacement de soi une renaissance possible.
Il y a dans la prière assez d'abandon pour faire jaillir une source.
Il y a dans l'amour tous les printemps et leurs cerisiers en fleurs.
Il y a dans la solitude une humanité à sauver.

 

 

 

Il y a dans cette pierre la patience d'une étoile.
Et la bonté fervente d'un silence.

Franck

14 novembre 2009

Plus loin sur la lande...

Ecrire, c’est toujours dire la fin du monde, c’est mettre le passé comme horizon, mettre la mort à sa table et la disparition dans chaque temps du souffle. Ecrire c’est finir, c’est toujours finir, avec assez de joie pour recommencer, inlassablement, dire la fin avant la fin, dire l’insoutenable avec assez d’espoir. Déployer son regard sur la lande, sans frayeur, regarder le désert de la lande, et des brumes, et du vent, et du froid, et aller, aller sans cesse plus loin, plus au froid, plus au vent, toujours plus vivant.

Franck.

7 novembre 2009

Accomplir la défaite.....

L'inaccompli se prolonge indéfiniment. Dans une tension singulière. L'inaccompli du texte. L'inaccompli de l'amour. L'inaccompli est la marque. Notre sceau. Le poinçon qui perce nos chairs jusqu'aux os. L'inaccompli comme l'empreinte de l'éternité. Le sans fin chutera toujours. Et nous porterons le deuil de l'infini. Nos cercueils brillent haut dans le ciel. Et nous applaudissons au spectacle frémissant. Et le texte se déploie dans un espace de tragédie. Le temps nous attend au détour d'un baiser. Comme une vague scélérate. Le texte s'aggrave dans sa chute. Le renouveau, renouvèle toujours la fin. L'inaccompli. La blessure.

Il n'y a pas de sagesse, simplement un désespoir qui se renie. Chaque jour j'avance et je m'éloigne. En même temps. Chaque geste, chaque pensée, est imprégné par cette plaie, ce suintement de vie. Ce double mouvement impossible. Incompréhensible. Et le texte s'effondre, là, dans cet espace de misère. Le sans fond de cette misère.

De tout temps nous sommes séparés. Inachevable. Il manque toujours un morceau à l'histoire. Il manque toujours de la chair sur l'os. Il manque toujours un baiser à l'amour. Il manque toujours un jour à l'éternité.

Et vivre, c'est être dans le décalage, la non-coïncidence. Et écrire c'est prolonger cet espacement. C'est l'agrandir. C'est l'aggraver. Jusqu'à l'impossibilité de vivre. Il y a une tension singulière dans cet espacement. Comme ce tonnerre qui tarde à venir après l'éclair. L'espace, après l'éclair, est le lieu du langage. Dans cette synchronicité défaillante, perpétuellement défaillante, la parole trouve son chant. Dans cette tension du vide, dans cette brûlure du rien. Dans cet insupportable.

Je vis dans l'attente folle du tonnerre, et cette suspension me laisse sans signification.

Nous vivons des approximations. Tout se tient, mais rien n'est jointif dans nos vies.

Nous faisons des détours. Ecrire est le plus sacré de ces détours, mais c'est quand même un détour. Nous arriverons à Samarcande le jour venu, pour le sacre de l'inaccompli. Ecrire c'est danser sur ses propres ruines. C'est accomplir la défaite.

 

Franck

5 novembre 2009

Une hémoragie....

Il y a dans l’amour la simplification d’une prière, un silence engourdi, un vertige immobile, comme un deuil lancinant, le sacrifice accablant d’un être inconnu en soi. Une mort sans mort d’une immense fatigue. Il y a dans l’amour, à l’ombre des fulgurances, la lenteur d’une fatalité.

 

 

 

Il y a dans l’amour l’instant du froid. L’hiver. Et l’arbre aux fruits se glace, se fige. Et le dénuement recouvre lentement la nudité. Il y a dans l’amour un point sans retour, sans arrivée, sans lieu…un point lourd, inhabitable, écrasant. La chair durcit, c’est l’hiver des caresses, les baisers sont cassants, et la tendresse est un givre blanc sur nos entrailles pantelantes.

 

 

 

Au cœur de la grâce gît le poids des fautes, c’est ce qui lui donne sa densité et cet éclat incomparable.

Apprendre le silence. Le chemin le plus droit de l’amour. Le sentier droit et fleuri de l’amour.

Les mots ne disent rien, c’est pour cela que nous écrivons, pour être dans ce dépouillement de la langue, plus loin que le dépouillement de la chair.

 

 

 

L’amour qui brûle nous jette dans l’urgence, exige des réponses sans poser de questions. Des bûches en offrande aux flammes. La mort rode toujours près des amants flamboyants. Elle attend son heure dans la lenteur des temps.

 

 

 

L’amour qui brûle est sans issue. Des cendres, des cendres dans bouche, dans le creux des mains. Des cendres dans le regard. De grandes plaines de cendres grises. Poussière de temps. La promesse est une porte ouverte sur l’enfer. L’amour qui brûle n’a plus de temps. Il brûle, c’est tout. Vivant, plus que vivant. Et les cendres. Mort, plus que mort.

 

 

 

Sang contre sang. Douleur contre douleur, même pour la fin nous avons tout additionné. Une autre façon d’aimer encore plus fort. L’au-delà a ses sentiers creux. Les chemins de croix sacrent aussi le printemps et l’amour.

 

 

 

L’amour qui brûle défie les dieux.

L’amour à vif ne laisse pas de souvenirs. Seulement des trous dans l’âme, des espaces d’où s’échappent des torrents de lumières. Une hémorragie.

 

Franck

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29 octobre 2009

........

« Reste près de moi », dit le mauvais amour. « Va, dit le bon amour, va, va, va : c’est par fidélité à la source que le ruisseau s’en éloigne et passe en rivière, en fleuve, en océan, en sel, en bleu, en chant. »
Christian BOBIN, Autoportrait au radiateur.

12 avril 2009

Aller au bout de la jetée.....

Car ce qui compose nos vies est si insignifiant, si négligeable, si futile. Les grands événements sont si rares. Il y a tant d'heures oubliées, vaines. Tant de gestes ternes, inconsistants. Un immense gruyère où ne subsisteraient que les trous, les vides, les riens. Les attentes interminables. Les gestes répétés. Les naufrages dans des sommeils de pierres. Et toutes ces paroles prononcées avec des mots si creux, si absents d'eux-mêmes. Chaque heure se tisse dans la banalité, l'imperfection, la platitude. Chaque heure rejoint le fleuve des jours, des ans, dans la perte et le manque et l'infinie tristesse des flots qui s'écoulent.

Car ce qui composent nos vies c'est le malentendu, c'est l'espérance désenchantée, c'est tous ces cul de sac, ces labyrinthes inextricables, ces occasions gâchées. C'est notre entêtement à vouloir comprendre ce qui n'a pas de sens, à désirer ce qui est hors de notre possible et au bout à se lamenter, ou à se taire. Et continuer.

Et pourtant c'est là au cœur cette piètre et médiocre tragédie, c'est là dans notre dénuement et notre déficience, dans cette langueur, là, au point d'orgue de notre irrésolution que l'écriture déploie sa palette la plus tremblante. Car l'écriture nous vient d'abord d'un creux, d'une insuffisance et de l'hémorragie qui s'en suit, d'une rareté, d'un déficit. Elle vient de nos dernières résistances quand elles cèdent, quand l'être en nous s'abandonne et se perd. Elle vient de notre marche sur la jetée quand celle-ci s'arrête et que l'océan est ici, devant, démesuré et terrifiant, et que tout en nous se projette vers l'infini. L'écriture vient de cet arrêt brutal, et de ce prolongement. De ce saut dans l'immense. De cette marche sur les flots. Quand plus rien ne nous soutient, à part le fil tendu de la langue, une ombrelle de désir dans la main droite et quelques notes de musique dans la main gauche. Pour écrire il ne faut rien puisque l'écriture vient delà. Et puisqu'elle y retournera. Il ne faut rien, sinon se quitter.

L'essentiel de nos vies se construit à l'insu de nos envies, à l'insu de nos rêves. Pour un acte posé, cent stériles ou inoccupés. Pour une rébellion, cent abdications. Pour une aubaine miraculeuse, cent nullités ternes. Accepter la faille comme l'unique possible. La faille qui recueille l'encre, l'encre des mots de l'écriture. La faille qui nous nomme. Interminablement. La faille comme dernière exigences, le lieu des empilements, des étreintes ou des serments ou des éloignements. Le lieu de nos vertiges. Car il nous faut aborder mille fois ces rivages dévastés de la mort, reproduire sans cesse l'agonie de nos jours, affronter à chaque texte l'effrayante nécessité de disparaître. A chaque fois plus loin. A chaque fois plus profond. A chaque fois plus définitif. Comme si chaque mot devait enlever des morceaux de peau, les arracher à leur obstination. Jusqu'aux dernières chairs. Jusqu'au dernier sang. Car l'écriture c'est bien déterrer des ciels vacillants d'étoiles en réveillant les gisants, c'est bien ce creusement de l'ombre ? Et toujours cette avancée sur le fil, comme une entrée dans la cathédrale : de l'arche à l'autel, du soleil au fanal, et tenter le passage impossible du clair au lumineux, du crépuscule à l'aube, des secrets au Mystère. Et accepter l'envoûtement. Et l'appeler. Messe noire pour noce blanche. Toujours. Toujours. Et infiniment recommencer, jusqu'à ce que plus rien ne subsiste de nous. C'est bien ça, hein ? C'est bien cette folie ? C'est bien cet impossible orgueil des vaincus, qui sachant leur défaite se cambrent une dernière fois, face néant ? Cet impossible orgueil des déshérités, des dépourvus, des dépouillés ? Rien. N'avoir rien, que sa langue, que des mots, qu'une musique. Rien d'autre. Et avoir assez de désespoir, de contradictions, de frontières pour pouvoir les déborder, les excéder. C'est bien cela, hein ? Dites-moi que c'est bien cela, parce que sinon il faudra que je brûle chaque mots prononcé, chaque mot écrit, il faudra que le silence ne soit plus le sacre de la parole, mais son unique sépulcre. Il le faudra bien. Et si mon errance me conduit auprès de cet écueil, au tout près de ce croc insolent, il faudra bien que j'aie la force de m'y clouer. Si la pauvreté de nos vies n'est pas assez cher payée le passage de la nuit à la nuit, si notre dénuement ne suffit pas à dédommager Charon ou ses frères, il faudra bien déchirer le pacte et incendier jusqu'à nos plus intimes paroles. Si consentir n'est pas la route, il faudra bien consumer la terre et ses environs.

Puisque pour signifier, j'ai épuisé tous les actes, toutes les routes, tous les chagrins, puisque j'ai osé tous les effleurements, frôlé toutes les peaux, puisque je me suis rassasier à tous les seins, et dormi sur tous les ventres, et caressé toutes les cuisses, puisque tout cela fut fait, puisque je fus chevalier, prince, jardinier, conquérant, puisque j'aurais pu être roi, puisque j'ai tenu des étoiles au creux de mes mains, et puisque j'ai bravé tous les échecs, toutes les abjurations, toutes les reniements, puisque j'ai été courageux et veule, puisque de tout cela il n'en reste que les cendres. Et que demain le vent les effacera. Et qu'au bout de tout, rien ne fut signifié. 

Alors...

Alors, en attendant la révélation, le dévoilement des limbes il faut bien continuer à arpenter la langue qui nous reste, à raboter la parole, et à élargir la faille, et à esquisser des pas de danse sur le fil tendu. Il faut bien risquer l'équilibre pour tenter de le trouver. Il faut bien écrire puisque c'est ça qui nous reste, puisque c'est la seule dignité possible avant la prière. Puisque je n'ai que mon silence à opposer au vacarme du monde, puisque je n'ai qu'une ombrelle de désir dans la main droite et quelques notes de musique dans la main gauche.

Alors...

Alors, il ne me reste que l'incendie des mots, la brûlure de la solitude pour invoquer les dernières heures et les ultimes insignifiances. Et me dire que là, juste là, à cet endroit de ma vie, à l'endroit de la tremblance, commence le plus grand des voyages. Le plus immobile. Et le plus terrible. Puisque tout est exigé, là, dans l'instant du mot. Alors il faut rassembler toutes les forces de l'amour. Aller au bout de la jetée et tenter une autre fois le saut dans l'immense. Au plus nu. Au plus près de l'étoile.

Franck.

29 mars 2009

De l'infime à la bonté.....

                                                                                                                                                                                        coquelicots

 

Il lui fallut beaucoup de silence, puis après, beaucoup de distance, il lui fallut un long temps, une vie entière, pour apprendre ce mouvement sobre de la bonté, qui va de l’un à l’un, et découvre dans son souffle une forme acceptable d’humanité…
...du plus fragile au plus faible…
avec l’infime en partage, qui va de l’un à l’un…

Franck

22 mars 2009

Carnaval.....

Voilà, c'était un soir. Un soir de fin de siècle. C'était en mars je crois. Dans une ville de pluie et d'eau et de lumières mourantes. Dans une nuit de pluie et d'eau. Venise à la fin de l'hiver. Venise encore dans sa brume d'hiver. Venise à l'entrée du printemps. Nuit de rêves inachevés. De mort inachevée. De renouveau à inventer. Une autre fois encore. Et KYCUCAHBLAAECA89CVKLCAJ9ORQ0CA3K1DCRCARIUN6PCAT0BALPCA9960P9CA1RDZV4CAO765O6CAE6W3N5CAYNO53ECAPHEK2QCA1DP8UKCA89YJFICA9P8F34CA4HAFLGCA29XYJGCAE2NJ8OCAT10CYFces canaux aux odeurs lourdes, où s'entrelacent les parfums des premières fleurs. Nuit sans étoiles. Nuit de canaux et de flambeaux.
Je me souviens que tout a commencé dans une rumeur. Une rumeur qui soufflait des canaux. Je me souviens des premières musiques hachées par les clapotis des canaux, hachées par le soir qui montait, par la brume qui inondait mes yeux. Je me souviens de ces premiers cris de fanfares, qui annonçaient le carnaval. Je me souviens des clameurs et des cris d'une foule qui avançait. Nuit du monde, nuit des hommes et des femmes, nuit des masques et des rires. Et des fifres et des cuivres. Nuit de fête. Ville à l'heure des ombres roses, des ombres bleues. Bleu, pâli par les nostalgies. Bleu noirci par l'hiver qui agonise. Ombres noires où la lumière étouffe. C'était l'heure des masques et des claquements de pétards. Je me souviens de cette foule de folie, de ces explosions, des musiques, des cris, des rires, des farandoles. Je me souviens des masques. Visages de cartons, de plumes. Masques d'oiseaux, de lions, masques de rires, masques de pleurs, masque tendres, visages de probité et visages de luxure. Faces de carton grimaçantes. Regards de lune, face étoilée. Bouches d'amour aux dents de vampires. Nuit de lumières comme s'il pleuvait des anges, nuit de mystères comme si les démons pleuraient.KY82CA2FXPJ6CAEK2C51CACH4RHQCAXAO9YHCANPQEK1CAT3ZDH1CA2QDEAACA96X9LBCA2TXZ7YCAN6G5YLCAYNR2Q9CABJ04BJCAQ03S8ECAI0F3R5CAFV74UTCA3RD4LPCAAE6B8NCA7P79MSCAVR6OT5
Foule hurlante. Toute une humanité désarticulée qui s'entrechoque, qui se disloque et dont les reflets dansent sur cette eau gondolière. Long cortège qui sort des brumes pour planter au ciel des faces effarées. Long défilé qui oscille entre la farce et la tragédie, long défilé enveloppé de voile et de tulle, d'organdi ourlé de perles de pacotilles, de brocards d'or, de velours pesants. Toute une humanité perdue sous des étoffes damasquinées. Et les cris et les rires.
Et moi je suis là, immobile....Bousculé par ces masques. Dans les ombres, sous les porches des couples sont formés. Masque contre masque. Et des mains qui s'égarent sous des jupes trop longues. Et ces poitrines offertes, et ces cuisses trop blanches. Et derrières les masques, d'autres masques, comme des vérités qui se cachent. Carnaval des hommes. Carnaval des jeux, des « je ». De l'oubli, de la désespérance. C'est un grand tourbillon.
Ici un ange pâle, assis au bord de l'eau, avec des ailes immenses. La nuit s'écoule sous la pluie. Et les ombres dansent autours des feux, où brûlent de grands épouvantails. Là, un dragon fumant, s'agite dans les sons mouillés d'un accordéon éventré. Comme la nuit. Comme moi. Ici. Immobile dans cette humanité qui bascule. Ruelles obscures, d'où sortent des soupirs. Colombine, Arlequin pris dans leurs chairs offertes. Gémissements des amours de pluies, sous les masques.IUXQCAPHUHS5CAD05EJICAGRN6SXCAI5IRRMCANX3FTJCAFF8Z86CAEQ7U3ZCARPN87XCAUINC5PCANTAOB8CAVCN7PSCA1DT4UFCAH338QECA6UB9J2CACNWNVMCA7N5B3ZCALK65HHCAFRZV28CA1OLIWY Sous la peur. Et les rires qui éclatent. Et ces baisers de cartons durcis, de carton décorés. Rondes des hommes et des femmes, et des diables. Danses de joies macabres. C'est une nuit qui dure depuis des siècles, sortie de l'imaginaire même de la nuit. C'est une nuit de pluie. Une nuit où l'hiver rend l'âme. « Que cherchez-vous la belle au masque de lune blanche ? » « Un amour, deux amours, trois amours, un prince d'orient, ou quelques coquelicots... » « Quel homme ou quel animal se cache sous ce masque de soleil ? » « Votre désir ma belle, votre désir... » « Si nous allions jusqu'au canal, nous parlerions de ce désir... et au lever du jour nous pourrions nous noyer... »
Etrange vision où les décors semblent se renverser. Comme si l'on se retrouvait de l'autre coté de la vie. Au plus loin de nos corps. Alentour c'est la nuit, et les ombres se dressent comme des fantômes, qui rejouent sans cesse la même pièce. Avec les mêmes mots. Seulement plus brûlés. Et les épouvantails flambent dans les crépitements et les acclamations. Une princesse nordique se fait enlever par deux Gnafrons rieurs, là-bas une ballerine danse sur un fil, et sur le pont de pierre un Pierrot est en pleur. C'est la fête des rires, des joies, des corps.
Etrange vision. Qui s'efface peu à peu. Qui se noie dans les brouillards, dans les derniers accords des fanfares, dans cette aurore blafarde.
Et les voix se perdent. Et la grande place se vide comme un lent chagrin.WU83CA3BBRW6CASHWCG5CAQ425BFCABDR1RTCA5Z8ORACACS1UD8CAGOED4RCAG6ZX8NCAGD0WUNCA2B6CD3CAFTZ158CAMNV525CAIXKV5RCALNNKGZCAVUD4CTCADWEILXCAF56VK0CAZACUD6CAI6Q4ZQ
Et la fête est finie.
Et le vent c'est levé.
Et les danses sont mortes.
Et peu à peu un grand silence s'installe.
C'est alors que peut apparaître le dernier personnage de la cérémonie. Tout l'attend. L'air mouillé, l'eau des canaux épuisés, l'aube profonde et tremblante. Tout est là, dans l'ultime soupir. Les masques sont tombés. On en voit flotter sur l'eau noire de la lagune, d'autres sont brisés, d'autres encore finissent de se consumer, dans des feux de tristesse.
La fête est finie et le vent s'est levé.
Et mon sang s'est glacé.
Et l'ombre noir du dernier masque peut recouvrir la ville, l'eau, et les amours perdus, et les chansons à boire et nos âmes égarées.
C'est un matin flottant, entre hiver et printemps, dans une ville de pluie, de lumière opaline frémissante.
Franck.

 

 

 

8 mars 2009

Le point d'infini.......

Le texte devient une urne. Les mots y tombent et s'y rassemblent pour raconter une autre histoire. Une urne dégoulinant de cendres. Poussière de vie brûlée. Calcinée. Une autre histoire. La même, mais pourtant si différente. La même. Une vie dans la vie. De l'eau sur de l'eau. Du temps sur du temps. Du désespoir sur nos larmes. Une vie vécue à l'intérieure de notre vie. En cachette de notre vie.  Une vie puissante et inconnue de nous. Une vie silencieuse et brutale, et cruelle. Sauvage. Quelque chose est à l'œuvre et s'oppose. S'oppose à nous, et pourtant nous déploie. Et se dresse. Implacablement se dresse. Marionnette. Et seuls les mots de cendres la dise cette vie de nous vécue, cette vie par nous vécue.

 

Le texte raconte derrière le vacarme des sons, une autre histoire. La notre. La vraie. Celle qui ne se dit pas. Celle qui se déroule derrière nos gestes, celle qui tapisse les murs de nos pensées colorant d'étrange façon, les heures, les jours, les saisons. Et les mots tombent au fond de l'urne funéraire du sens. Dans le vrac de notre existence. Dans l'indécence de leurs postures obscènes. Texte bribes. En morceaux. En éclats. Je voudrais brûler les cendres. Mais elle ne brûle plus. Elles sont froides ou tièdes. Ce sont des cendres. Les cendres ne brûlent pas. Eclats poudreux d'un reste d'incendie. Le texte raconte autre chose et je ne sais pas quoi. Il faudrait tout ressortir, tout étaler, là. Devant moi, les yeux ouverts, dans l'ombre et le silence. Vider la vie consumée, calcinée. Il faudrait tout étaler pour interroger à nouveau, interroger sans cesse l'autre histoire, l'autre vie. Dans le silence. Et épeler chaque mot comme si nous renommions chaque objet de la création, comme si nous appelions chaque objet, chaque visage. Longue litanie. Mes mots me parlent et je ne les entends pas. Ils disent, mais je ne comprends pas. J'ai beau les mâcher, les réduire, je n'en trouve pas la saveur. Le texte me sait, mais il me tait, il me nie. Et plus j'écris, plus je me sépare, plus je m'éloigne. Du centre. Du sens. Je sais, qu'il me sait. Même devant moi, les yeux ouverts, le thorax ouvert, je ne vois rien, je ne sens rien. Hormis le déchirant passage de la parole sur les parois du corps, comme un glacier raclant la roche. Et la glace passe gardant son mystère, sa langueur et son effroyable silence.
Cherche-t-on, le secret dévoilé ou la rémission ? Que vaut-il mieux, l'aveu ou la miséricorde ? Ou rien de tout cela. Ou tout à la fois.
L'urne des mots est un tribunal silencieux, tout nous dénonce et rien ne nous nomme.

 

Et chaque mot possède deux couleurs, deux sons, deux sens, deux poids, deux destins. Et chaque mot porte en son sein un morceau de vie et une part de mort. Chaque mot est à la fois un cri et un murmure. Chaque mot nous attache et aussi nous délie. Chaque mot est son propre contraire, il nous appelle et nous dénie, il nous frappe et nous caresse. Chaque mot nous dit pour mieux nous trahir, il nous espère pour mieux nous désespérer. Il nous accompagne pour mieux nous perdre et nous séduit pour mieux nous tromper. Le sang des mots est noir tout chargé de cendre qu'il est. C'est le poids des faiblesses qui lui donne cette couleur. Et les mots nous accusent sans nous dénoncer. Et ils nous désignent sans nous révéler.
Pourtant chaque mot renferme un silence. Le cœur de la brûlure recèle un silence intact. C'est un point minuscule, plus petit qu'un diamant. Chaque mot est percé d'un silence, c'est pour cela que l'on ne s'entend pas et encore moins les autres.
Chaque mot, comme chaque vie, est percé d'un silence, c'est par là que passent les constellations et les météores, c'est l'endroit de la parole qui ne peut être lésé, le seul endroit qui échappe à l'urne et aux cendres.
C'est un point d'infini brodé au cœur du mot.

 

Franck

28 février 2009

La maladie des mots....

Un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c'est hanter ses propres décombres, c'est traverser les champs de batailles de nos défaites.

Les destins naissent au cœur des nuits. De préférence au cœur des nuits sans lune. Car chaque destin est avant tout une peur, une peur tenue à bout de bras, une peur qui vous lèche le visage au cœur des nuits sans lune. Un destin c'est l'histoire d'un franchissement de la lumière. Un voyage de l'obscur au plus clair. Du chaos à l'évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Au début il a eu cette maladie. Cette drôle de maladie. Au début il y a eu cette maladie invisible, presque insignifiante. Et elle rodait, dans le souffle, dans le regard. Et elle ressemblait à l'ennui, à la lassitude. Au début on ne savait pas la nommer, et quand on la nommait on en souriait. Au début on était dans l'insouciance de l'enfance. Et il y avait trop d'enfance en nous pour s'arrêter sur si peu, sur tant d'insignifiance. Trop d'enfance.

C'est une faute. La première. Les autres suivent.

Drôle de maladie, sans formes, sans fièvre. Une maladie de rien, sans médicament. Une maladie qui n'est pas dans les os, qui n'est pas dans les chairs, à peine dans le sang, à peine dans les humeurs, silencieuse comme un serpent nonchalant. Maladie papillon, légère, aux symptômes d'enfance, cachée dans les plis de certains jeux, dans la suspension du temps entre deux rêveries, dans le hoquet entre deux rires, dans l'épuisement soudain qui envahit le ciel, l'air, le soleil. Au début c'est un voile de soie grise posé sur les yeux, sur la langue et tout au fond du crâne. C'est pour cela qu'il faut du temps pour se rendre compte qu'on en est atteint. Elle est juste un coin planté dans le fil des jours, par lequel s'échappe la joie.

C'est une maladie sans nom. Sans vrai nom. Et ceux qui la disent, ne disent rien, ou si peu. Ils en disent l'écorce, la peau, l'écume, mais taisent le long cheminement d'une douleur sans douleur, et le glissement progressif vers les ténèbres. Oui, rien ne dit cet épuisement du désir, l'effondrement du sang dans les couloirs du vide et cette vacuité insolente qui vrille chaque instant. Maladie de l'inaccessible, puisque rien n'est désormais intelligible, puisque tout est définitivement inabordable directement. Puisqu'il faut sans cesse inventer des chemins différents, pour relier en soi ce qui est disjoint, ce qui est décollé. Puisque tout est un champ d'épreuves, puisque toute la joie, tout les plaisirs se dérobent comme une eau qui s'infiltre dans les fissures de chaque geste.

Et la bougie de l'enfance se consume lentement, brûlant les dernières forces, absorbant dans sa lassitude, son accablement les dernières lumières. C'est comme un sourire qui s'efface. Ca ne fait pas de bruit un sourire qui s'efface, ça ne fait pas de bruit une enfance qui s'engourdie.

Dans les fissures du regard. Voir sans voir. Ne rien entendre aux débuts, aux fins.

La maladie des mots. C'est le nom que je lui donne. J'aurai pu dire la maladie de la vie, c'est la même chose. La maladie des mots. Il faut bien comprendre, en nous les mots sont malades. Ont peut les dire mais on ne les voit pas. On ne peut les écrire, ils se masquent, se dissimulent, se voilent. Et lire devient un champ de chardons à traverser. Et il y a des rivières souterraines sans fin dans lesquelles se perd la parole, et il y a des cavernes des gouffres où elle suinte. Où elle goutte. Mot à mot. Et se fige dans la pierre, et dans les sécrétions de la langue, et dans les obscurs méandres d'un apprentissage impossible. Lire est un champ de chardon, comme si entre chaque mot griffait, avant qu'un néant apparaissait. Et écrire ne ressemble à rien, comme si la main se refusait, comme si l'œil s'aveuglait, comme si toutes les pensées devaient avant d'éclore traverser l'épaisseur d'un brouillard. Et il ne reste que l'oreille, qui fait ce qu'elle peut pour lire, pour écrire, pour attraper la musique derrière la stridence des brumes.

Drôle de maladie, que la maladie des mots. Elle n'empêche rien et pourtant elle entrave tout, même les rêves, surtout les rêves et le désir. Au début on est de plein pied dans l'existence, et puis la maladie des mots vous prends, et c'est comme un escalier qui se dresse devant vous, un escalier qu'il faut monter pour toutes choses, pour tous les gestes, même les plus anodins. Et vivre revient à anticiper cet escalier. Puisqu'il est là. Puisque chaque geste devra d'abord le franchir, puisque lorsqu'on arrive à la chose désirée on est déjà épuise de cette escalade.

Au début de l'enfance on reste insouciant, on croit que la vie c'est ça, que c'est cet escalier, alors on monte sans compter nos efforts, et l'on est épuisé, épuisé de tout.

L'œil, la voix, l'oreille, tout est dans le désordre et la confusion. Lorsque vous voyez un mot, votre voix ne sait le dire, lorsque entendez un mot, votre main ne sait l'écrire et votre œil est aveugle aux sons.

Il faut bien comprendre, le cerveau est parti en vacance, il gambade et vous ne pouvez le retenir, il court à travers champs et vous ne savez pas où il est. Il est en vadrouille.

Alors les mots se collent les uns aux autres, se coupent n'importe où, s'écrivent comme on les chante. Ils n'entendent rien aux règles de la vie, ils dansent et se faufilent quand on veut les saisir. Mots vagabonds, mots affranchis de tout, même de nous. Il faut bien comprendre, nos mots ne se soumettent pas, ils dictent leurs danses, leurs chants. Ils n'habitent pas chez nous.

 

Au téléphone Patricia me raconte. Elle est docteur des mots. Elle travaille avec des enfants dont les mots les ont quittés. Elle passe des heures avec eux à aller chercher les mots qui se sont perdus, à rassembler toutes les lettres, à les mettre dans le bon ordre. C'est un beau métier docteur des mots. Au téléphone, elle me raconte. Elle fait des associations, des sites, pour parler des mots malades, des mots perdus, des mots qui ne s'articulent pas à la langue. Elle me raconte. Surtout l'histoire de cette maman. De cette maman écrasée de honte de peur.

« Je lui ai parlé de toi... tu sais depuis l'enfance son calvaire, et toutes les difficultés, à masquer, à contourner.... Alors je lui ai parlé de toi, et de l'écriture... de la tienne, tu sais l'écriture de la maladie des mots....j'avais imprimé ton texte celui où tu parle de ça, « Je fais des fautes »...et j'ai voulu lui lire...et puis, tu sais l'instant était presque grave, comme si l'on touchait le centre de l'univers... tu sais elle ne lit jamais, à cause de l'effort, à cause que c'est impossible, alors tu imagines... à haute voix, c'est comme un chemin de croix, avec les chardons sur la langue... » A l'autre bout de la voix, j'écoute, et je sens monter la brutalité d'une émotion. Violente. Qui racle tous les souvenirs d'un seul coup. « Alors je commence à lire ton texte... et puis elle m'arrête... elle me prends le texte des mains, et elle dit : « je vais lire, moi... moi je vais lire ».... Alors elle commence... » Patricia me raconte cette femme lisant le texte, ânonnant le texte. Et moi j'ai l'impression de l'entendre, de la voir trébucher dans mes mots, oui je la vois tomber de la langue et se relever, se redresser, s'épuiser à chaque chute, mais se relever, comme si cela devenait vital de retrouver une dignité là, à cet endroit, à ce moment précis. Et j'écoute Patricia, et des larmes coulent, lentes, grosses, et dans cette fraction de temps, je sens déborder tout l'ennui et la désespérance de mon enfance. Et je sens que les chardons ne me blessent plus. « Tu sais, c'était dur, elle accrochait, elle buttait... » « Oui, je sais... les chardons... »

Il ne faut pas s'y tromper, car on pourrait en sourire, la maladie des mots n'est que la partie visible, parfois risible...mais c'est la vie entière qui est contaminée.
Chaque pensée.
Chaque geste.

Imaginez ce grand escalier en amont du désir, cette escalade qui brise tous les plaisirs. Imaginez toutes les stratégies qu'il vous faut inventer pour éviter cet escalier, pour éviter l'épuisement, l'ennui. Imaginez tous ces détours qu'il vous faut prendre, imaginez combien de fois on s'y perd, dans ces détours.

Elle me disait, au téléphone, toute cette émotion, de ces pas balbutiants dans le lire. Et je me souvenais. De ses heures que je passais dans le silence de ma solitude à lire a haute voix. A lire sans accrocher un seul mot, à lire en essayant d'effleurer le texte. Seulement. Aller, Franck, ce paragraphe, ce paragraphe sans bafouiller... tendu jusqu'à me casser en mille parties. Et immanquablement la bafouille arrivait. Immanquablement. Parfois dans les derniers mots du paragraphe.
lle me disait toute cette émotion, de cette femme lisant mon texte...

Alors, j'ai lu envers et contre tout, passé les embûches les unes après les autres. Des milliers de livres, avec plus d'entêtement que de plaisir. Toujours les chardons dans les yeux et les escaliers. Alors j'ai écrit, envers et contre tout. Inventant mon écriture à force de l'écrire, avec plus d'entêtement que de plaisirs, parfois, mais avec la certitude que les chardons fleurissent aussi. Un jour.

Avec la certitude qu'un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c'est hanter ses propres décombres, c'est traverser les champs de batailles de nos défaites. C'est monter en premier les escaliers du désir, comme on monterait des gammes, comme on monterait des marées, avec entêtement, constance. C'est dire et redire en articulant chaque phrase de la vie, avec obstination, âpreté, en hurlant s'il le faut.

Je sais l'image qui se dresse en haut de l'escalier. Image tutélaire. Celui qui tenait la parole et les silences. Celui qui possédait les livres.

Quand je lis à voix haute j'ai le goût de tes cendres dans la bouche. Je suis sans haine, mais sans amour ni pardon pour toi. Je te dois tous les escaliers de la terre et toutes les ivresses. A dix ans je savais que j'écrirai. J'ai mis une vie à le faire, ma patience s'est habituée au goût de tes cendres. Et je t'userai, comme j'use ma langue et mes mots.
Quand j'écris je suis éternel et cela suffi à ma joie d'avoir l'éternité pour savourer ta cendre et de voir fleurir les chardons en haut des escaliers.

Tu vois, papa, j'aime les livres longs, épuisants, j'aime les textes longs, épuisants... mon âme est faite d'attente, et de cette lente montée vers les étoiles. Et contre ça, tu ne peux rien. Les marches de mon escalier sont faites de mots... et la langue est infinie.

Un voyage de l'obscur au plus clair. Du chaos à l'évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Franck.

(Pour tous les dyslexiques et les dysorthographiques)

1 février 2009

Lenteur....

On s'assoit pour retrouver la lenteur des temps. Alors on respire. On puise au plus profond de l'intérieur du corps. Comme vers un continent neuf qui sortirait des eaux brumeuses. La lenteur appelle l'immobile.

Car seul l'immobile nous rendra la mesure des actes. Tracera les contours de leur gravité. On ne sait les choses importantes que dans ce mouvement de ralentissement. On ne connaît les choses essentielles que dans l'immobilisation. La stase.

Le sens ne se révèle que dans l'atrophie du geste, dans l'engourdissement de la course. Dans l'agonie lente de l'impulsion. Alors on s'assoit, pour mourir un peu plus fort. Un peu plus sûrement. Un peu plus loin. Avec la lumière qui se dégage de la disparition des fièvres, des grouillements, des effervescences. On ne connaît le voyage qu'aux escales, on ne sait dire le désert qu'à l'ombre des oasis.

On s'assoit. On flotte. Lenteur épaisse des heures qui s'écoule en raclant la blancheur des os. Curetage patient de nos insomnies, de nos attentes, de nos désolements. Et le vertige. Et la peur qui s'insinue. Temps étrange et singulier de la lenteur, comme si brusquement il devenait important de prendre avec précaution la vie, et la mort qu'elle traîne dans son ombre, et le souffle. Retenue du mouvement. Comme l'on va pieds nus sur les rochers tranchants. Parcimonie pour échapper à l'écrasement. Et défroisser le temps qui reste, à cause du temps perdu. Défroisser les souvenirs à cause des oublis. Lisser avec obstination la page écrite de trop de mots, de trop d'espoir, de trop désirs inassouvis, de trop de manques. Et chaque instant un crépuscule.

Il y a dans la lenteur du temps cette chose impalpable qui va vers la transparence. Vers l'éclat. L'étincellement. Le reste improbable de l'usure. Il y a dans la lenteur un accroissement d'amour. Comme le murmure accroît la puissance de la parole. Il y a dans ce ralentissement une dilatation de l'âme. A cause du poids, et de cette distance qui n'en fini plus pour atteindre l'immobilité fulgurante. L'irradiation.

Il y a dans la lenteur un accroissement d'amour, comme cette caravane qui progresse dans les sables. Et plus le but approche, plus le pas ralenti. Lent cheminement de l'écorce qui rêve en secret au caillou.

On s'assoit. On laisse monter en soi l'océan vide des regards et des gestes. On élargit les bords du manque. On entre dans son corps, car il est temps d'habiter sa chair et d'ouvrir les bras à l'éternité. On s'assoit et on se laisse traverser par l'éclair d'une solitude grave et brillante. On s'assoit dans cette dévastation du temps inerte. On longe le gouffre de nos peurs. On parcourt encore une fois nos sentiers d'errances. Le souffle se ralenti. Tout est là, puisque rien ne tremble.

Franck

18 janvier 2009

l'après est fait d'un retour.....

C'est une étrange sensation. C'est venu peu à peu. On marche et le paysage change. Ce n'est pas un changement brutal, c'est la lente infusion du temps. Comme si la végétation s'appauvrissait au fur et à mesure que la marche se déroule. Au départ il y a la luxuriance, le foisonnement du lyrisme, des élans désordonnés. Au début c'est un temps d'abondance. L'exaltation. C'est comme tous les départs. L'agitation. L'effervescence. On est sans fatigue, alors on passe d'un sujet à l'autre, d'un talus de la langue à l'autre. On cueille, et on s'essouffle, et cela n'a pas d'importance. On est plein de soi et de confusion. Et puis on avance de texte en texte. Et le paysage change. Peu à peu. Lentement. Le te deum devient requiem. Ecrire c'est perdre quelque chose à chaque fois. Une perte insignifiante. Une perte malgré tout. Quelque chose de soi se vide, s'écoule. Le temps incise les chairs de la mémoire. Le temps défait le temps. On ne s'en rend pas compte. Le paysage change. C'est une étrange sensation, peu à peu mes textes se sont vidés de moi et pourtant j'y suis plus présent. Moins j'y suis, plus j'y suis. Un autre soi. Un autre geste. Un voyage qui s'enracine dans un mystère épais. Pourtant c'est un dénuement singulier. Cette impression de perte et de désert, cette impression d'immense et de vide, ce roulement lent des saisons. Au fur et à mesure que le paysage s'élargit, l'écriture se resserre, au fur et à mesure que le paysage devient pauvre, l'écriture se simplifie. Peu à peu on entre dans la monotonie des sables. Ce qui était joie, jubilation, se transforme en entêtement. Ce qui était promenade, se transforme en pèlerinage, ce qui était pèlerinage, se transforme en marche errante, et lente, et pesante. Ce qui était la marche vers l'après, devient le long déploiement de l'avant, dans ce brassement des temps qu'est le texte.

Je me souviens des mes premiers pas dans le désert. On monte des dunes en courant, on dévale des dunes, on tombe, on roule, on laisse sa trace éphémère, on monte sur la plus haute colline de sable, et l'on en voit une autre encore plus haute, et une autre, et une autre... alors on court, on s'essouffle.

On s'épuise. On épuise en soi ce trop plein d'énergie vaine. Cette volonté de puissance pitoyable et vaine, et ce lamentable désir de conquête. On s'épuise, et on s'affaisse. On s'écroule.

Alors soudain, on comprend le pas des chameliers, on comprend la constance d'un pas glissant et lent. D'un pas économe. Alors on revient sur ses pas, encore haletant de la course sur les dunes, on revient à pas compté, à pas mesuré sur les traces laissées. Et c'est le temps du chamelier, qui est effacement. Qui n'a pas de début, qui n'a pas de fin.

Après l'épuisement ce n'est plus le même désert. Ce n'est plus la même marche. Après l'épuisement des mots, ce ne sont plus les mêmes mots. Après la fin des premiers textes, c'est d'autres textes, mais ce n'est plus la même parole. Il y a une autre langue qui nous vient de cet épuisement, de cette marche continuée. Un retour sur les pas du texte, comme si l'on ravalait sa salive. Et c'est faire pénétrer un désert entier dans chaque mot. Ce retour après l'épuisement c'est la vie retrouvée. Temps des sables et des mots des sables. Des mots pauvres et dénudés.

Le retour lent est chargé de l'immense, l'épuisement porte en lui l'infini.

Il porte un désert.

Et parfois un puits.

Ceux que l'on voit marcher dans le désert ne vont nulle part, ils reviennent, ils reviennent... toujours ils reviennent, et c'est ce qui fait leur étrange beauté.

Et moins ils sont là, plus leur présence est grande.

C'est l'ultime secret du désert.

Ainsi les grands textes qui ne sont qu'enroulement des temps. Retour, et enroulement du silence. Un glissement lent sur le silence d'une parole qui s'épuise. L'effacement et la révélation de la présence.

Franck.

11 janvier 2009

L'hiver des sillons....

Toujours ce qui fascine c'est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L'imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement. Ecrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. La forme produit du sens, le laboureur le sait bien, lui qui s'applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Et ainsi, de sillon en sillon, toujours le même et à chaque fois toujours différent. L'épreuve renouvelée sans cesse. Et la puissance de la récolte tient à ce consentement à l'harmonie de chaque sillon. La perfection du trait. Le goût du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croûte de la terre pour en faire apparaître la mie. Et chaque sillon est l'histoire d'une vie. Et chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts. Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure et de précaution. Le geste est puissant dans l'élan, léger dans sa peine, car il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coup. Le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte et pain. Et la forme du champ appelle la veillée, et les ombres, et le silence du repas partagé. Et le pain a la couleur de la terre. Et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Et elle porte une croissance qui la dépasse et qui l'anoblit.

Ce champ est beau des moissons qu'il soulèvera. Et le texte tient debout par un sens qu'il ignore. Le texte brille de ce qui n'est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, et par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.

Et les champs de blé nous émeuvent parce qu'on entend dans leur crissement, l'été, le souffle du laboureur qui a retournée cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons. Ce qui nous plait dans le balancement des épis c'est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l'or du champ c'est le souvenir de cette terre nue et noire, cette terre hachurée, éraflée. Ce qui nous saisi dans le texte, c'est la qualité du silence qu'il tisse avec nous. Comme si l'important n'était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots. Des contre temps, dans le temps des saisons. Ce goût de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.

L'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.

Franck.

28 décembre 2008

Georges.....

« Tu me fais chier ! » « Georges, arrête !.... Pas devant le petit ! » « Si je te dis que tu me fais chier, c'est que tu me fais chier !.... » Georges, c'est mon grand-père, le cuisinier. C'est les vacances et je traîne mon ennui dans la cuisine de l'auberge. Il s'engueule encore avec Claire, ma grand-mère. «  Et puis d'abord, vous me faites tous chier... ! ». Dans ces cas là, il avait sa tête de bouledogue. Il en voulait à la terre entière. Et à Claire en particulier. Ils s'aimaient dans cette violence, dans ces colères, dans ces excès. Inséparables, dans le fond, perpétuellement en guerre, dans la forme.

Ils sont dans la cuisine, chacun de son coté. Car il y avait deux cotés dans cet antre. La pièce était divisée en deux dans sa longueur par une très longue table surmontée dans son centre par une desserte. Il y avait donc le coté de Georges avec derrière lui, les fourneaux, et le coté de Claire. Chacun travaillant sa partie. Claire faisait toutes les entrées et les hors d'œuvres, Georges tout ce qui était chaud. Et ça tournait comme ça depuis des années.

 

 

 

Claire restait assise à cause de l'arthrose qui lui tordait les articulations, des hanches et des genoux. Pour les aider il y avait José, le réfugié espagnol, grand, maigre, légèrement voûté, une face de hache tourmenté. José, l'hidalgo taciturne. Et puis il y avait Mickey, maigre, aussi petit que José était grand. Mickey, l'ancien coureur cycliste belge que son vélo avait conduit dans les talus de la vie, dans les ornières, dans les culs-de-sac, petit, avec une tête de gargouille hilare. José et Mickey, deux âmes errantes, cabossées, vouant un respect démesuré à George et à Claire.

 

 

 

Pour moi, cette cuisine était un lieu de mystère, de profusion, de cris parfois, de larmes aussi. Elle se situait entre l'enfer et le paradis, entre la chaleur des fourneaux et le froid des grands frigos. Entre silences et insultes et vacarmes. Lieu de passions et de vie, et de brutalité, et de magie. Lieu des odeurs, des cruautés quand les hachoirs s'abattaient sur des cous de lapins, ou sur les entrailles des volailles. Flammes, bruits de casseroles, de marmites, crépitements, portes qui claquent. Lieu des gestes d'enchanteurs, des gestes de thaumaturges, des gestes amples et précis à la fois. Lieu des gestes dangereux, obscurs, les mains fouillant les viscères, les couteaux tranchant les chairs. On connaissait l'heure du jour à sa chaleur, à son odeur, on connaissait les saisons à sa lumière, aux bruits qu'elle rendait. Elle sonnait comme un orchestre.

 

 

 

C'était le matin, avant le service. Il étaient tous les deux, chacun à sa table, elle, assise lui debout. Face à face. « Georges, tu pourrais faire un effort, ça fait combien de temps que tu en a pas fais ?.... » « Et puis, j'en ferais plus... ils ont qu'à manger de la merde !...» « Georges, le petit !... » Alors il s'est tourné vers moi, et sa face de Chéribibi hirsute et colérique c'est transformée en une boule de chair tendre et souriante, et il m'a souri, en faisant un clin d'oeil. C'était un magicien.

« Non, je ne la ferai pas... ! » « Tu peux bien faire un effort, bon dieu ! » « Fous-moi la paix avec ton bon dieu... ! Pas dans ma cuisine !...» « Si tu la fais pas, c'est que t'as peur de la rater... voilà, t'as peur...! » « Peur ?...moi ?...mais tu t'es vu ?... Ma pauvre vieille... !» Il était écarlate, les yeux exorbités. Georges, était une force de la nature, rien n'aurait pu lui résister. Ses colères étaient monstrueuses. Heureusement elles s'apaisaient aussi vite qu'elles arrivaient. Des ouragans exotiques.

Entre Claire et lui, il y avait de la complicité, de la haine, mais de l'amour aussi. De la violence, mais de la pudeur aussi. Claire était une femme forte. Assise, mais forte. A l'intelligence pétillante, à la répartie cinglante. Elle savait où l'atteindre. « Tu as peur ! » Elle le regardait en coin, faisant semblant de s'affairer sur les hors d'œuvres du jour. A la dernière engueulade elle avait reçu un morceau de foie de poulet sur ses lunettes. Ce foie, cru, sanguinolent, brusquement collé sur les lunettes de Claire, les avait fait éclater de rire. Et la colère était partie. Il s'était senti honteux.

 

 

 

Et puis le lendemain quelque a changé dans la cuisine, elle ne rendait pas le même son que d'habitude. Il y avait une sorte d'agitation. Une tension. José traversait la cour au pas de course pour aller cherche du charbon. Beaucoup de charbon. Mickey transportait tout un tas de cageots remplis de tomate, d'ail. Une agitation silencieuse. Appliquée. Studieuse. Minutieuse. Précise. Un ballet longtemps répété.

Claire avait un petit sourire en coin. « Ca y est... il s'y met.... » «  A quoi, mamie ? » «  A l'Américaine... »

 

 

 

Dans la famille ce seul nom résonnait comme un mantra. Un mot magique. La sauce Américaine. Le chef d'œuvre de Georges.

Georges était saucier. Saucier ça sonne comme sorcier. Et Georges était un sorcier mélancolique et colérique. Il n'aimait pas ses contemporains. Il avait connu les violences dès l'enfance. A dix sept ans il s'était engagé dans la marine comme mousse. Alors le tour du monde. Et c'est là qu'il a rencontré la cuisine, les fourneaux. Un hasard. Après la marine, la galère. Les javas, les débauches, les bagarres. Le chef saucier du George V l'a pris en sympathie. « Faire la cuisine c'est aimer, mais la sauce... c'est plus qu'aimer. D'abord il faut être humble, ensuite il faut la rêver ta sauce... une sauce c'est d'abord un rêve... après elle devient un voyage. » Le vieux chef avait une vraie tendresse pour ce jeune marin déluré. « D'abord il faudra que tu apprennes le feu. Et le feu c'est l'enfer, et l'enfer c'est la vie...tu devras apprendre la chaleur qui est l'âme du feu, et ton corps sera le feu, et tes yeux seront le feu... pour faire une sauce, petit, il faudra que tu apprennes à te taire, à fermer ta grande gueule, il faudra que tu la veuilles cette sauce...que tu t'y soumettes, à la sauce, il faudra que ton âme soit forte, et ton geste pur. » Le vieux chef était dur avec Georges. Il l'aimait bien, alors il était dur. « On ne cuisine pas avec des livres, on cuisine avec de la bonté, et de la grandeur d'âme... on donne, on s'étripe, on s'éventre...je t'apprendrais les gestes. Le geste, petit, c'est l'élan de ton amour, c'est la forme de ton destin. Saucier, c'est aller droit au paradis. Oui, petit, droit au paradis... » Le vieux chef était un mystique, et Georges aimait ça, ces paroles qu'il ne comprenait pas encore. Alors il travaillait comme un forcené. Georges appris la discipline. Il arrêta les bagarres. Il apprenait les sauces avec un sorcier. Il apprenait la patience. Il apprenait le désir. Il apprenait à vivre. Il apprenait le feu.

A la fin le vieux chef lui donna ses secrets, ses tours de mains et, cadeau suprême : l'Américaine. « Tu feras fortune avec elle... »

Et George est devenu cuisinier, il n'a pas fait fortune, mais il aurait pu. Un bon cuisinier qui s'ennuyait, et qui ne pouvait pas faire la cuisine qu'il souhaitait faire. L'auberge du Vieux Moulin fut sa dernière création. L'auberge où j'ai grandit. Une auberge perdue dans la campagne.

 

 

 

Dans la cuisine la tension montait. Combien seraient-ils dimanche ? Deux cent ? Trois cent ? Il en fallait de la sauce. Des kilos et des kilos d'étrilles, des kilos et les kilos de tomates, des épices, des bols entiers de gousses d'ail, des kilos et des kilos de beurre. José et Mickey s'éreintaient à dépiauter les carcasses brûlantes des grands crustacés. C'était le début. Les immenses marmites étaient prêtes. Et la température montait. Les fours au charbon ronflaient. Le piano. A droite le plus chaud, à gauche le plus doux. Entre les deux un dégradé de température. Josée veillait. C'était lui le responsable de l'entretient des feux. Un honneur. Georges criait : « Charbone ! charbone ! » et José : « Ca foume la camina ! » et il courrait chercher du charbon.

Les tomates réduisaient avec lenteur, avec patience. Elles transpiraient leurs saveurs, par usure, et par consentement. Deux jours, deux jours. Georges surveillait. Même la nuit, les marmites restaient sur les feux doux du piano. Georges trempait son doigt dans des substances brûlantes. Goûtait. Reniflait. Secouait. Et la cuisine devenait une forge, les casseroles cognaient, les plats fumaient. Et peu à peu l'odeur envahissait l'auberge. Les gens parlaient à voix basses. Il ne fallait surtout venir le déranger.

Georges ne parlait à personne, il tisonnait. Et quand il flamba les étrilles ce fût l'embrasement, comme un volcan. Les flammes l'entouraient, il en en avait plein les mains, et les bras, du feu. Il remuait, il secouait ces immenses marmites en flammes. Il était à son aise, là. Dieu ou Satan, peu importe, il était magnifique. Un taureau dans les forges de l'enfer. Ah, je l'ai aimé ce grand-père !

Plus tard il me dira « L'américaine c'est facile...d'abord tu cherches la consistance... après la couleur... enfin l'odeur... » « Oui, mais il y a bien autre chose...y'a bien un truc... » Il me regardait avec un regard plein de malices et dans un rire « ... non, y'a pas de truc... » et on parlait d'autre chose.

Une autre fois. « Le truc, le fameux truc, c'est que tu marches sur un fil, et tu dois garder l'équilibre. Il faut savoir où tu vas, sinon tu te casses la gueule. Il faut tout équilibrer, le feu, les épices, les piments.... Et puis du temps, beaucoup de temps, du temps en équilibre.... Et beaucoup d'ail...et quand tu vois les yeux des graisses remonter à la surface tu sais que tu es sur la bonne voie...leurs formes, leurs couleurs... c'est les yeux de la sauce... ils te regardent, et tu ne dois pas te laisser impressionner. Ils te parlent et toi, tu dois écouter.» 

 

 

 

Cette sauce lui ressemblait, haute en couleurs, épicée juste ce qu'il fallait, rouge, ocre, carmin, comme du sang. Un feu. Un soleil sur le point de naître. Elle alliait la colère et la tendresse. Le muscle et la chair. Puissante comme un orage, elle sentait le pacifique, avec une pointe de mer rouge, elle embrasait la bouche, la gorge, la poitrine, elle ravageait toutes les pensées, effaçait toutes les peines, elle avait au cœur de sa cuisson quelque chose de sacré et de miraculeux qu'elle rendait au centuple. Les plus frustres se découvraient une âme pure lorsque l'assiette arrivait. Il y avait quelque chose de religieux dans l'harmonie sauvage qu'elle provoquait dans le corps. Ce n'était pas une sauce, c'était un poème, un cantique, une révolution. Des grains d'or plein les papilles, plein la bouche, plein la gueule. Elle ne se dégustait pas le petit doigt en l'air, elle se mangeait comme on aime. Sans réserve. Sans retenue. Je n'ai rencontré personne qui ne s'est pas soumis à sa tyrannie douce et vigoureuse. Invincible. Il y a des plats qui ne sont pas fait par les hommes, les anges s'en mêlent, la recette de ces mixtures n'est inscrite nulle part, hormis dans le cœur de certains magiciens, et peut-être aux cieux. Mais cela n'est pas sûr. Cette sauce atteignait un au-delà incompréhensible. Il suffisait de l'avoir en bouche pour qu'elle vous bouleverse. Et ce n'est pas un excès de langage, j'en ai vu certains, faire des centaines de kilomètres, uniquement pour elle. Elle arrivait, et c'était un opéra, elle en avait la violence et la profondeur. C'était un chant. Rien que son odeur ouvrait en deux nos poumons, brisait nos certitudes, désarmait nos pouvoirs. Le plus arrogant des hommes devenait le plus simple des humains. Elle déployait, comme un arc-en-ciel qui reliait tous les sens. Océan de goûts et de saveurs. Pluie de bonheur, de sensualité. Elle appelait l'ivresse et le désir. Le désir assouvi, une satiété qui montait comme une marée de plaisir. Généreuse. Opulente. Majestueuse.

 

 

 

Et puis se fut dimanche. Trois cent vingt couverts. Il y en avait partout dans les salles, sous les pergolas, dans la cour. En cuisine Georges se préparait à la messe, à la grande bouffe. Il y avait un long soupirail au bout de la cuisine, lequel donnait sur le parking. Quand Georges entendait les clients arriver, il criait « Fumiers !... Fumiers !... » « Georges, il vont t'entendre ! » « J'espère bien qu'il vont m'entendre tous ces fumiers de lapins...Fumier ! »

Ils venaient de Limoges, d'Angoulême, de Périgueux, de Brive. Le même menu pour tout le monde. Quatre entrées, une volaille, la lotte à l'américaine, la salade, les fromages, les tartes les glaces. Mais il venait surtout pour l'Américaine.

 

 

 

Je l'ai retrouvé assis sur le petit muret derrière la cuisine. Assis. Calme. Le service était fini pour lui. Il soufflait. Il fumait tranquillement une celtique. Dick, son chien, était couché à ses pieds. Au loin on entendait les rumeurs du repas qui se terminait. Les rires, des ventres repus.

« Qu'est-ce que tu fais gringeole !... » Il avait toujours des noms particuliers pour chacun d'entre nous, où il mélangeait le patois, l'argot et des mots de son cru. « Tu as fini, pépé ?... » « Oui... » Et après un long silence. « Elle était encore meilleure que la dernière fois... »

 

 

 

Je crois qu'il était déjà ailleurs. Georges avait ses univers, ses landes pour s'évader. Il avait des rêves. Des tours du monde dans la tête. Des magies dans les yeux.

 

 

 

Je me suis assis à coté de lui. Il m'a tendu son paquet de cigarettes. Du haut de neuf ans je ne me suis pas dégonflé. C'est lui qui l'a allumé. Les celtiques étaient fortes. A chaque fois que je toussais, il riait. J'aimais bien quand il riait, Georges.

 

 

 

A bien y réfléchir, je crois bien que c'est lui qui m'a donné le goût de la poésie. Lui, qui ne lisait jamais. Lui qui ne savait rien hormis le feu, les couleurs, les odeurs. Il avait des rêves, c'est pour cela, qu'il pouvait traverser les flammes, c'est ça aussi la poésie. Il avait des soleils dans les yeux.

 

 

 

Il s'est levé. « Aller ! la natchave, maintenant... ils me font tous chiez, ici... tu viens ? ». Cote à cote sur le chemin de pierre, on devait donner une drôle d'impression, il était aussi corpulent que j'étais chétif. Et je toussais. Et ça le faisait rire. « Non de dieu !...encore meilleure que la dernière fois... ! » Et il lâcha un pet monumental. « Tiens, celui-ci aussi était réussit... »

Franck.

21 décembre 2008

Si après le texte....

Si après le texte, tu n’es pas épuisé, si tu ne sens pas ton corps démantelé, si rien de ta chair ne tremble, alors tu n’as pas écrit. Si après le texte tu n’es pas englouti, pantelant et pauvre, alors tu n’as pas écrit.

 

Le mot sort du muscle, du muscle qui se contracte, du muscle gorgé de sang. Et il y a là, une réconciliation. C’est comme aimer….

 

Franck.

 

 

21 décembre 2008

Les quatre matières......

Il faut revenir sur les quatre horizons du texte. Les quatre éléments. La matière. Pas le sujet. La matière. Le texte n'est en rien sorti de la pensée. Pour se poser le texte à besoin de s'alourdir, de traverser la matière, la consistance d'une matière. L'imaginaire à besoin de s'incarner d'abord dans un élément, que ça soit l'eau, le feu, la terre ou l'air. L'imaginaire sort en droite ligne du cerveau reptilien. De cette adhérence fondamental au monde qui nous entour. Nous étions pierre, terre, sable et nous les avons quitté. Nous étions sources, ruisseaux, fleuves, océans et nous les avons quitté. Nous étions feu, incendie, soleil, et nous les avons quitté. Nous étions brise, ouragans, tempêtes, souffle fragile, et nous les avons quitté. Nous avons quitté nos lieux, mais quelque chose en nous se souvient.

 

 

 

Le texte est cette tentative de retrouver ce temps d'avant la parole. Temps nu, pauvre et miraculeux. Et cela n'a rien à voir avec le chant beat des romantiques pour la nature. Ici, il est question de substance, de matière, de la nature même des mots du texte. Des quatre horizons et de cet effort de vie qui nous pousse à les déborder tous les quatre à la fois. Car le texte est d'abord un écartèlement. Du bas au plus élevé, du plus étroit au plus démesuré, du plus fugitif à l'éternel. Le texte est une traversée du temps et de l'espace, une traversée de la terre, de l'eau, de l'air et du feu. La remonté des peurs vers le désir. Voyage Orphique. Et chaque texte tient dans sa gueule les fils de la métamorphose. Ecartèlement, bien avant que la croix fût inventée.

 

 

 

Il faut revenir sur les quatre horizons du texte. Les quatre matières. Les quatre lieux. Nos premières maisons. Nos quatre dimensions. La parole se creuse et se nourrit de matière, c'est pour cela qu'elle se sait, qu'elle se veut éternelle. La recherche d'une consistance, la seule façon d'obtenir une résonance. Un écho. La réponse du même sans fin.

 

 

 

La terre pousse en nous ses chaînes montagneuses, et même si nous ne sommes rien de plus qu'un peu de sable mélangé à de la poussière... même....

Quand s'écoule dans le vent des siècles notre poigné de terre noire, flamboient toujours quelques grains d'or pur dans un pli de l'univers.

 

 

 

Le texte est une armée en marche sur la page blanche. Perdre ou gagner n'a pas de sens puisqu'il faut livrer bataille. Et qu'importe puisqu'à la fin du jour j'aurais cessé de vivre. Puisque le texte se défera, puisque la nuit couvrira les restes de mes rêves. Qu'importe puisque je sourirai et que le papillon perdu se posera sur mes lèvres. Qu'importe puisque demain il faudra recommencer.

 

 

 

L'eau du texte s'infiltre dans mes veines, lent fleuve de fatalité mystérieuse, obscure. L'eau lourde du texte cherche sont issue, son océan. Mon corps est une terre ravinée, usée, qui s'épuise dans le flot. Et le flot lent cherche la nuit, et le flot lent traque les ombres. Et le flot lent englouti des citées entières. C'est le flot du texte, fait de chaos et de débordement et de son invincible poussée.

 

 

 

Il faut revenir sur les quatre horizons du texte, puisque la moindre goutte d'eau, la moindre trace de rosée enferme en son centre les cieux et les confins des cieux, puisque le moindre grain de sable appelle tous les désert, ceux de mars et ceux de vénus, puisque la plus fragile des étincelles éclaire les nuit de l'univers, et puisque le plus délicat les vents d'été pourrait nous laver de tous nos péchés...

 

 

 

Car il faut savoir que j'ai vu sur la lisière de mon sommeil un grand cygne écarlate. Un grand cygne s'avançant en silence. Un incendie sur les eaux. Un grand cygne écarlate comme si l'eau lentement s'embrasait.

 

 

 

L'embrasement et l'étreinte.

 

 

 

Franck

14 décembre 2008

Le mot....

Le mot est sorti du texte. En sortant il a brisé la phrase, et en a recouvert les lambeaux. Il a tout recouvert. Le mot. J'ai laissé le livre. Il n'y avait plus que le mot. Mille fois connu, et là, il était nu chargé d'une nouvelle évidence. Avec un goût de poison. J'ai laissé le livre. J'ai oublié le livre. J'avais le mot coincé dans l'œil. Une écharde. L'écharde. Celle plantée dans la chair du cerveau. A l'endroit de l'hémorragie. Le mot. De l'œil à la mémoire. Droit. Rigide. Tranchant même dans sa mollesse. Tranchant à cause de son insignifiance. J'ai du prendre le mot, l'arracher, le serrer, je crois que je l'ai gardé longtemps dans mon poing fermé. Je crois que je l'ai mis dans ma bouche, aussi. Je crois que je l'ai mâché, j'ai sucé chacune de ses syllabes. Je crois que j'ai fait passer ma voix dessus. Oui, j'ai entendu ma voix dire le mot. Plusieurs fois. Je savais que c'était lui que je cherchais. Banal. Trop banal. Trop simple. Comme l'évidence nouvelle. Comme la révélation. A force de raboter au même endroit, quelque chose ressort. Quelque chose que tu ne sais pas, et que pourtant tu sais. Alors le mot sort du texte, et tu le reçois comme si tu le découvrais. Dans l'œil, et après tu le pose sur ta voix pour vraiment savoir si c'est lui. Tu l'as toujours connu. Il est d'une banalité effrayante. Tu l'as déjà prononcé mille fois. Et là, dans l'œil du texte, il ressort et tu sais que c'est lui. C'est lui qui t'a trouvé. Tu avais beau te cacher. Le mot te trouve. Un jour.

Maintenant il est là, avec moi, devant moi, et dedans aussi. Il est là et il occupe tout l'espace. Il est là comme un ciel de ténèbre, avec un horizon sanglant. A la fois vulgaire, et médiocre et tellement lumineux, et si net, et si limpide, et si exact. Comme une croix dressée. Tu la connais cette croix. Les quatre horizons du malheur. Et le mot est inscrit en haut, trônant comme une chape envahissante, lourde. Le mot est là, il occupe tout l'espace avec ses bras de pieuvres hideuses. Il tient la mémoire, tous les fils de la mémoire, avec tous les autres mots, comme l'eau d'un marais une eaux puante, invisible. Mais puante. L'eau filandreuse d'un marais. A force d'user la langue il ne reste plus rien, sinon l'inusable. L'inattaquable. Comme vissé dans l'os. Mot citadelle, avec ses douves, ses créneaux. Mot déluge qui répand ses eaux insidieuses, comme un barrage qui cède brusquement. Le mot est rentré dans l'œil comme une catastrophe. Un accident de lecture. Et il est là, dans sa résonance, dans toute sa vibration. Avec l'écho qui ricoche dans tout le corps, et maintenant qui fait trembler la chair. Je sais qu'il a coloré toute mon enfance, je sais qu'il a été de chacune de mes aubes, je sais que j'ai reçu à chaque crépuscule son baiser de glace. Maintenant, en le disant, en le répétant lentement, en murmurant chaque lettre, tout remonte, tout revient, les champs de neiges, les landes, les déserts, les solitudes, le gris, le rouge, l'épaisseur des jours d'enfance, le tranchant des heures perdues. Ca arrive en vagues successives et noires, comme une marée de désespoir. Et le mot est là, disant toute cette vie, et toutes les peurs, et toutes les fuites. Et les naufrages. Il est sorti du texte comme un orage soudain, d'une brutalité incontrôlable. Sauvage. Ecrasant tout. Condensant l'espace. Réduisant la respiration à une suffocation, imprégnant la mémoire d'une moiteur insupportable. Poissant chaque souvenir. Mot canevas, mot trame, mot tressé dans ma fibre. Depuis toujours j'ai du brodé entre ses fils. Et aujourd'hui le grand drap est prêt. Le grand suaire noir. Le linceul des jours et des espoirs. Le lit du mot est prêt, bordé de silences. Pour les noces du passé, pour la dévoration de l'avenir. Il est promesse. Il est danger mille fois annoncé, il ouvre sur les terreurs, il est la voix du futur qui gueule sa haine au présent et sont arrivée prochaine, il est annonce, il est avertissement du destin. Il est tout ce qu'il m'a laissé, lui le père, en héritage, il est sa trace dans mon sang, il est son goût de cendre dans ma bouche. Lui le père, m'a laissé ce mot, le silence de ce mot, et le trou dans la langue que fait ce mot, quand il s'approche trop près du cœur. Il est sa métamorphose, il est sa résurrection du mal, il est la prière qu'il me souffle, il est sa voix. C'est le mot de ses yeux, de sa bouche crispée, sa seule prédiction.

Le mot s'appelle menace. Menace, c'est le mot. J'ai lu menace, et brusquement j'ai fermé le livre. Parce que c'est ce mot qui dit au plus près le début et le fin. Parce que c'est lui qui dit au plus juste cet abîme qui me brasse. MENACE.

Comme si chacun de mes gestes était sous sa protection, comme si chacun de mes rêves lui était destiné. Menace. Je pensais être dans l'urgence, je n'étais que sous la menace. L'urgence promet la guérison, le sauvetage, et on se précipite vers le futur pour se sauver d'un présent. Mais menace c'est autre chose. C'est n'attendre rien, sinon le pire. La menace emprisonne l'avenir et tous les temps, leur dicte leur soumission, invente les découragements, les abattements, les déceptions. Menace, c'est inventer le pays des accablements, des lassitudes, des torpeurs.

Maintenant je sais. Je sais le nom de cette ombre qui m'accompagne. Je sais qui murmure à mon oreille. Je sais qui habite avec moi, qui ricane au près e moi.

Menace, menace.....même mort, ses menaces rampent encore, comme des ordonnances imprescriptibles.

Le mot s'appelle menace.

Mon père s'appelle menace. Même mort il s'appelle menace....Surtout mort....

 

Franck.

7 décembre 2008

Hormis l'horizon.....

Ecrire c'est le moment où l'on n'écrit pas. L'instant qui sépare deux mots. Deux phrases. Deux chapitres. C'est l'élan qui cherche à se survivre. C'est cet élancement de tout le corps dans l'espace inconnu qui sépare les mots avec leurs cortèges de sons, d'odeurs, avec le glissement du sens dans la recherche d'une couleur plus juste, un saut plus net dans le vide toujours recommencé. Toujours à inventer.

 

Avancer dans les mots c'est comme avancer dans l'amour. Puisqu'écrire c'est déjà aimer, c'est encore aimer. Ecrire c’est cette hésitation brûlante qui nous pousse comme une fatalité à rechercher le plus clair de notre eau,  c'est faire la place à cet autre de l'amour qui nous suit en silence dans l'ombre de nos gestes, sur la pente de nos actes et jusque dans le plus intime de nos pensées ou de nos rêves. C’est la paume des heures.

 

Ecrire, c'est accueillir, cet autre de nous. C'est cela consentir. Puisqu'il ne s'agit pas d'être sauvé, mais trop souvent d'expier.

 

Puisque rien n'est donné hormis ce chemin sur lequel je marche et qui me mène d'un mot à l'autre, de silence en silence, de peur en peur. De l’eau sur de l’eau jusqu’aux marées d’hiver. Puis que rien n’est donné hormis l’horizon…

 

Franck

 

 

30 novembre 2008

Un chant introuvable.......

Et chaque mot est une porte étroite. Un passage dans un labyrinthe de miroirs étranges. Singuliers. Qui nous renvoie des images déformées. Et l'effrayante face qui rebondit dans une cascade d'images aplaties par les saisons révolues, l'usure. L’usure.

 

Et chaque mot est une scarification, une chair de terre sur un temps de pierre. Sillon d'une parole qui creuse un sol raviné et sec. Et chaque mots dissèque un peu plus l'autre coté de la peau, l'envers des gestes, cette part de retrait, l'incertain de la course, son enroulement autour du coquillage de la mémoire. Chaque mot est une porte étroite, un passage, un crépuscule, un glissement. C'est un endroit de chute, le lieu d'une avalanche. Un excès de néant ou de nuit. De nuit, surtout de nuit. Le kyste d'un désir impossible.

 

 

Car la parole raconte une autre histoire. Elle n'est que forme vide. Et le mot vient boucher un silence mortel. Bâillon des rêves, couvercle insignifiant d'un sens inaccessible. Impudeur. Dénudement dérisoire. Négligeable. Un acte décomposé qui sent le renfermé, le rance. Qui dit la fin dans son premier élan.

 

 

Car rien n'est dit, ou si peu.

 

 

Car il nous faudra signifier au-delà de nos paroles, dans l'avant du dire, dans l'intention claire, dans le chant inaudible et murmurant, et n'être que cantilène, et n'être que berceuse.

 

 

Je cherche un chant introuvable et me perds dans des mélodies obscures. Je cherche la litanie cristalline de la vague, ce refrain qui ouvre droit sur l'aube et l'horizon. Je cherche la trajectoire du verbe, celle qui perce l'ombre, celle qui dénoue les sinuosités du temps, je cherche le mouvement sans détour, sans recoin, sans repli. Je cherche et me perds infiniment. Et mon balancier oscille sur l'abîme de mes mers introuvables.

 

Alors je cherche à rebours des marées sur un océan désert, comme un radeau empêché, désorienté au large de mes souvenirs. Navigation hasardeuse dans les reflets éblouissants des amours inanimées.

 

 

Franck.

 

 

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