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J'irai marcher par-delà les nuages

29 décembre 2007

La pierre.....

Je sais que c’est là, maintenant, qu’il faut que je m’arc-boute à l’écriture, que j’y applique mon corps tout entier, comme pour soutenir une falaise. Ou la faire sortir de ma poitrine.
Je sais que c’est là, maintenant que commence le temps de la pierre.
Le geste réclame la résistance. La rugosité. Se défaire de l’orgueil et de la prétention.
La pierre dans son silence immobile dicte sa leçon.
Briser le premier élan sur la roche. Et revenir, plus lentement. Être défait de cet élan du début. Le premier lait, tout en promesse, mais qui ne tient pas au corps.
Revenir au geste pur. L’épuiser de ce qui le déborde.

Faire monter dans le ventre, dans la poitrine, chaque mot, un à un, et les poser sur la pierre pour en éprouver, l’audace, le sens et la couleur. Et refaire, sans cesse. Sans exaltation.
D’abord trouver sa place dans le mot, au lieu de lui faire jouer un rôle.
Il n’y aura pas de réponse. Il n’y a jamais de réponse. Aurais-je le courage de maintenir la question ? Sans faiblir. Sans dévier. Et accueillir la trajectoire nouvelle, et le mouvement, que cette tension sans conflit fera naître.
C’est le temps de la pierre. Je la pose au centre de mon grand champ de neige. Et la forme du texte doit naître de cette absence de forme. Le mouvement juste sera sa propre fin, sont propre accomplissement.
Le sens est une question secondaire. Au mieux il est un surcroît. Le sens s’oppose aux rythmes, aux couleurs, à toutes les sensualités furtives et surgissantes qu’un geste dénudé d’intention préalable inspire ou provoque. Désarmer les forces pour leur rendre leurs puissances initiales. Préférer l’étonnement à la surprise. Le texte doit être traversé d’une forme simple et pure.  Une ligne, un cercle, l’arabesque du vent. Faire son profit du vol des oiseaux ou de la ligne d’horizon. Observer longuement, la montagne, l’arbre, la fleur, le printemps. Le texte n’est qu’un échange. Ce n’est pas moi qui évoque l’arbre, mais l’arbre en moi qui parle. J’ai un océan en moi, sa voix est bien plus intéressante que toutes mes raisons ou déraison. Si tu veux tracer un cercle, regarde la vague et son mouvement, regarde-la se creuser, se rétracter, regarde-la aspirer l’air et déployer sa puissance dans ce mouvement d’enroulement. Inspiration, expiration. Respiration du cercle. Ligne pénétrée d’un souffle. Et l’océan recommence indéfiniment, comme pour parfaire sa nature d’océan.
Il y a dans la constance un défi serein fait à la mort.
Il y a dans l’effacement de soi une renaissance possible.
Il y a dans la prière assez d’abandon pour faire jaillir une source.
Il y a dans l’amour tous les printemps et leurs cerisiers en fleurs.
Il y a dans la solitude une humanité à sauver.

 

Il y a dans cette pierre la patience d’une étoile.
Et la bonté fervente d’un silence.

Franck

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28 décembre 2007

Les oie sauvages.....

Les oies sauvages emportent dans leur vol vigoureux les restes des saisons, et les chants, et les promesses. Et leurs cris déchirent les restes des amours. Les oies sauvages vont vers le nord, la fin des terres, la fin des temps. Vol des défaites, des après. Vol d’ombres dans un ciel indifférent. Les oies sauvages creusent nos désirs et dépouillent nos dernières espérances.

Ce qui fascine dans le vol désespéré des oies sauvages c’est cette énergie, cet entêtement. Cette folie. Ces cris sans visages.
Rapides, immobiles, comme les grands voyageurs, les oies sauvages qui partent vers le nord, ne touchent plus terre, elles appartiennent au ciel.
Irréparablement.
Elles disparaissent peu à peu, effaçant leurs traces et leurs cris, dans l’infini qui les dévore.

Franck.

27 décembre 2007

Marée lasse...

Ecrire se retire comme une marée lasse.
Effacement sur l’effacement de la langue.

 

Ecrire c’est perdre sa langue en trouvant sa voix.
Comme voyager c’est perdre sa route en trouvant son chemin.

 

Après l’attente, on pourrait vivre, s’il ne fallait pas attendre à nouveau.
Et se souvenir c’est trahir notre enfance, cette enfance qui nous restera, d’ailleurs, à jamais inconnue.

 

L’errance, oblige à la lenteur. La lenteur est l’autre nom du silence.
Comme si l’imminence était enfin accomplie.
Et l’errance abolit les miroirs, et les faces qui les traversent.
Et l’écho qui les annonce.

 

Ecrire écarte un peu plus la gaze sur les plaies. Faire respirer les cicatrices suintantes. Respiration haletante, plus proche de la suffocation que de l’essoufflement. Il y a dans écrire, cette sensation de décollement lent. De séparation. Un voile se déchire. Un peu comme une opération de chirurgie.
Découdre, jusqu’à l’infime partie de soi. Défaire, jusqu’à la méconnaissance. Jusqu’à ce que sa propre solitude vous ignore. Vous dédaigne.
Jusqu’au mépris.

 

Ecrire se retire comme une marée lasse.
Effacement sur l’effacement de la langue.

 

Je cherche le dernier le mot. Il ne vaut pas plus que le premier. Mais il faut bien finir, avant que la fin ne survienne.

Franck.

26 décembre 2007

Lettre à Milena.....

Je ne pourrai jamais être Franz, même si tu es Milena.
Je ne serai jamais Franz, même si tu es bien plus que Milena.

 

 

 

Je suis embarqué sur un navire resté en rade. Ce n’est ni la terre, ni la mer. Et il me semble n’avoir connu que ces lieux indécis. Invivables. Peuplés d’instants enroulés sur eux-mêmes. Où les élans se contractent, saturés de désirs et de douleurs. J’ai toujours été prisonnier d’une carcasse rouillée, brûlée par les soleils, inondées par les pluies. Et l’oubli. Et l’épuisement. Voué, par décision divine, à des départs qui n’en sont pas, des promesses intenables, des rêveries pas assez légères. Navire chargé trop lourdement, ou coque trop fragile. Alors je suis resté en rade, dans ce lieu insupportable, m’abrutissant en des espoirs vains.
Et le vent du large vient se briser sur l’étrave au bord du chavirement. A l’arrêt. Comme un vaste désastre immobile et croulant de regrets.
Les lieux avalent le temps.
Et les temps meurent lentement.

 

 

 

Je ne pourrai jamais être Franz, même si tu es Milena.
Je ne serai jamais Franz, même si tu es bien plus que Milena.

 

 

 

J’ai la tête prise dans l’étau du vide. Avec la sensation d’un écrasement qui monterait des profondeurs de la terre. Comme un appel. Comme une fatalité.
Et la coque craque, à force d’attente, d’impatience défaite, un craquement qui appartient déjà aux abîmes.
Lent naufrage. Presque au ralenti. Imperceptible glissement.
Et le sang qui s’appauvrit. Et les heures toujours plus lourdes. Et les saisons toujours plus encombrantes. J’arpente ces interminables coursives de la mémoire, ces couloirs du temps déglingués.
La rouille, c’est la peau des rêves, et l’usure c’est l’enfance qui meurt à nouveau.
Sans cesse.
Je n’ai plus assez de haine pour crier, plus assez de colère pour pleurer, plus assez d’ivresse pour me déployer.

Et même le silence nourricier me trahit, lui que j’ai toujours accueillit, le mien, celui des autres. Là, il me creuse, il me cure, il me racle, comme s’il restait encore de la chair, comme s’il restait de l’envie.
Et même l’écriture me trahit. Je n’arrive plus à la porter. Elle est pesante et pâteuse. Les mots se détachent comme des pierres. Un effritement de la langue.
Et l’encre est jetée dans l’archipel des naufrages.
Avec comme horizon la vertigineuse paroi du manque d’où l’on s’élancer.
Pour rejoindre l’obscure verticalité de l’absente. La lointaine. La perdue.
L’ultime. La passagère attendue, invisible, d’un voyage mille fois reporté.

 

 

 

Et les tempêtes dispersent les printemps. Et le soleil s’incline allongeant l’ombre muette. Petite nuit dans le jour. Petite mort pour grand défunt.
La fin n’est pas un temps, c’est un lieu à l’ironie cristalline.
La fin n’est pas un temps, c’est une main qui se ferme. Des lèvres humides qui ne prononcent plus ton nom.
La fin n’est pas un temps, c’est un navire resté en rade. Ce n’est ni la terre, ni la mer. C’est un lieu indécis. Invivable.
La fin n’est pas un temps c’est un cri. Seulement un cri.

 

 

 

Je ne pourrai jamais être Franz, même si tu es Milena.
Je ne serai jamais Franz, même si tu es bien plus que Milena.

Franck.

24 décembre 2007

Alors, va...!

Et puis il y a tous ces amours qui se disent dans la possession. « Tu es à moi. » « Je suis à toi. »

J'ai posé sur la fenêtre les restes de ce bouquet et j'ai vu les pétales en deuil dans une lueur cassante, humide encore d'un sursaut de nuit.

Ou sous d'autres formes. « Tu es faite pour moi, et moi pour toi. »

La prunelle du jour est encore pleine d'effroi et ses paupières de brumes lourdes de poussière.

Des mots qui veulent dire la certitude à la place de la peur, l'assurance à la place de l'offrande.

Les restes d'une extase sanglante, d'un désastre brutal.

« Ne me quitte pas, parce que tu es ma vie, mon sang, mon air, donne-moi ton sein, encore et encore, ne me laisse pas dans l'appétit du lait, dans l'appétit de ta chair. »

Les deuils vont en cortèges et les défunts s'abreuvent aux fontaines glaciaires expirant chaque jour un peu plus.

Un amour à la seule dimension supposée de l'autre. Un amour sans espace, sans profondeur, sans dimension.
Tu es à moi. Non !
Non, il faut dire : « tu es à toi, immense et brûlante comme un astre. »
Je suis à toi. Non !
Non, il faut dire : « je suis à moi dans la plénitude de ma solitude,
dont je te fais l'offrande. Unique et innombrable. »

J'effeuille les heures minérales, laissant l'empreinte de mes os dans les cratères du temps.

 

 

 

Je ne suis pas fait pour toi, tu n'es pas faite pour moi, c'est pour cela que notre amour est sans borne et sans limites, sans lien. Comment pourrais-je aimer une âme qui ne serait pas libre ? Et libre de moi.
Les étincelles lointaines accompagnent les ruines majestueuses des amours mortes ou oubliées dans quelques buissons qui n'avaient d'ardent que les caillots de colères suintant des yeux.

 

 

 

Il faut dire : « je ne soignerais pas tes crimes avec les miens. Nous ne rajouterons pas du noir au noir. Seulement des silences sur des arcs-en-ciel. »
Il faut dire : « quitte moi si c'est là ta vérité. »

 

 

 

L'offrande nous condense et nous révèle dans un mouvement d'abandon qu'est cet élan vidé de sa force cruelle et véhémente, mais chargé de sa seule tremblance.

 

 

 

Souvent ses mots touchent à l'endroit fragile. La membrane. Celle qui résonne. Frémissement des brumes tout au bout de mes landes mortes. Et nos paroles s'enroulent à nos silences. Glissent sur nos distances. Souvent. Comme ces vagues qui apprivoisent le rivage dans d'incessants retours. Caresse de l'eau qui s'abandonne aux langueurs de la terre.
Et chaque vague porte en elle tout l'océan. C'est pour cela que les vagues ne meurent pas, leur épuisement n'est qu'un reste d'infini. Chaque vague agrandit l'océan. Comme ses paroles ourlées d'écume blanche, qui reviennent s'allonger dans les derniers murmures. Vague tendre qui lèche les plaies d'une terre usée.

 

 

 

Et nos paroles s'appellent. Nous, nous nous taisons. Pour ne rien déranger. Ni le ciel, ni la terre. Nous restons en bordure de nos blessures anciennes. Juste en bordure. Comme l'écume, comme le souffle de l'écume qui souligne d'un trait tremblant la fêlure des rencontres.
Nous sommes dans un espace qui n'existe pas. Qui n'a pas de nom. Pas de lieu. A peine un mouvement lent et silencieux, qu'il faut porter plus loin. Ailleurs.
Esquisse d'un pas de danse, sur le fil tendu de l'horizon. Lointain.

 

 

 

Car nos paroles se reconnaissent mieux que nous-mêmes. Elles se sont mutuellement désignées. Et elles nous ont oubliés. Délaissés. Dans nos lointains. Nos absences. Nos distances.

 

 

 

Sans doute est-ce cela, l'exil. Les mots font la ronde autour de nous et nous laissent là, au centre d'un cercle. A chacun son centre, et son cercle.

 

 

 

Pourtant ses mots souvent me touchent à l'endroit fragile. Car elle dessine les contours d'un plus loin. D'un possible. Avec ce goût de sel et d'embruns. Et comme une île fervente elle trace l'horizon d'un silence rectiligne pour accueillir le soleil à l'orient de nos vies. Des mots ciselés, découpés dans les champs de solitudes et le granit de l’attente. Des mots précis posés au fil à plomb. Cherchant la verticale absolue, le point d'équilibre entre la nuit et le jour. Alors, elle les pose, là, avec dans le geste cette sorte d'assurance scrupuleuse. Ce raffinement discret. Terriblement puissante et vulnérable.

 

 

 

Alors j'habite ses silences, acceptant le balancement de la houle, et l’abandon. J'étire au plus large mon rivage, attendant chaque vague, absorbant la moindre écume. Espérant les plus petits coquillages. La vague sur le sable dessine. La vague sur le sable brode. Respire.

 

 

 

Elle invente le temps dans son essoufflement. Et l'amour dans sa constance. Et la foi dans sa patience Et la vague sur le sable écrit. A l'encre bleue des abîmes marins, avec les restes de tempêtes et les fracas obscurs des naufrages. Elle écrit. Solitaire et multiple.

 

 

 

J'ai posé sur la fenêtre les restes de ce bouquet et j'ai vu les pétales en deuil dans une lueur cassante, humide encore d'un sursaut de nuit.
La prunelle du jour est encore pleine d'effroi et ses paupières de brumes lourdes de poussière.
Les restes d'une extase sanglante, d'un désastre brutal.
Les deuils vont en cortèges et les défunts s'abreuvent aux fontaines glaciaires expirant chaque jour un peu plus.
Et j'effeuille les heures minérales, laissant l'emprunte de mes os dans les cratères du temps.
Et les étincelles lointaines accompagnent les ruines majestueuses des amours mortes. Désenchantées.

 

 

 

Son regard traversait les miroirs.
Et je me suis blessé en voulant la rejoindre.
Et le sang a coulé.
Elle était immense et brûlante comme un astre.
Solitaire et multiple.
Unique et innombrable.
Une île trop lointaine dans un océan sans fin.

 

 

 

L’arbre construit sa puissance en mêlant la terre noire et les rayons solaires.
Et l’ambre du bois n’est qu’un éclat en rétraction.
Une lumière en souffrance, un chagrin coagulé.
Une terre pétrifiée qui attend le bûcher.

 

 

 

Alors va... va, mon amour….!

Franck.

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23 décembre 2007

L'enfance des chênes.....

J’ai trop de cendres dans la voix. Le perdu se renouvèle comme l’horizon du futur.

 

Parce que c'est l'enfance et que l'enfance est la première patrie de la solitude. Parce que tout se résumera là, comme un raccourci. Les premiers gestes s'impriment sur le premier passage de la pellicule. Et la manivelle du temps fait tourner la pellicule. Toujours la même. Images sur images. Temps sur temps. Et la vie se regarde dans la transparence et la confusion des images. L'empilement des images sur la pellicule.

 

La solitude de l'enfance est un royaume. Une citadelle d'ignorance sublime. On est dans l'abondance du manque, dans l'insuffisance de nos actes, de nos pensées vagabondes, on est dans la lumière perpétuelle des inventions. On ne manque de rien puisqu'on manque de tout, et que tout, est le ciel de nos jours. On est un dieu nu et innocent. Attentif. Et souriant. Effleuré par les heures des jours sans fin, frôlé par le vol suspendu des papillons, caressé par la trace laissée des oiseaux, enlacé de clartés légères. C'est le temps des exploits, des conquêtes, où passer de l'ombre au soleil est une aventure incommensurable de mystères et de joies.

 

Avec l'âge apparaîtront les premières fissures, et grandir annonce la défaite. L'adulte vit dans des champs de ruines. Ecrire tente de redresser les murs de l'enfance. Retrouver les premières traces sur la pellicule.

 

Je mets mes mots dans la transparence du temps. Je m'effare de la contemplation de l'avenir de ce passé. Ecrire c'est l'enfance qui pousse encore, et tend sa main maculée de terre. 

 

L'enfance est un ouvrage sans limite.

 

Et l'âge apporte l'ennui, la misère, le désastre. Et l'âge traîne avec lui la fatigue, l'accablement. L'inachèvement. L'enfant n'est pas à lui-même, il est absent de tout. La fatigue de l'enfance advient par trop d'absence. La fatigue de l'adulte arrive par l'inverse, par trop de présence. Trop de présence vaine. La fatigue de l'enfance s'efface avec un peu de repos. La fatigue de l'homme s'aggrave avec le repos.

 

Et l'enfance ne se souvient pas de la mort, et l'adulte a oublié la vie. Ecrire c'est tenter de se souvenir et de l'une et de l'autre. Tenter. Tenter seulement.

 

Car écrire épuise mais ne fatigue pas.

 

Il y a dans certains jeux de l'enfance la gravité du destin.

Nous écrivons bien avant de savoir écrire. Et cette écriture d'avant est la plus simple. La plus puissante. La plus essentielle. L'enfance connaît le geste libre qui se nourrit de lui-même et se désaltère de son propre sang, et trouve avec aisance le passage de la lumière.

 

Je m'installais sur la lisière. A la frontière du sec et de l'humide. Face à la mer. J'ai passé mon enfance dans la terreur de l'eau. Alors je restais sur la plage. A la frontière du sec et l'humide. Surveillant la mer. Et je passais de longues heures assis dans ce face à face. Sur le bord de la mer, posé sur le sable. Sur la frontière.  A creuser. A creuser le sable. Creuser est le premier acte de connaissance. Il faut une vie pour passer du sable à la terre, et de la terre à la chair. Creuser c'est éprouver la réalité, c'est déjà affronter l'illusion de notre vie.
Alors on est sur le bord de la plage. Face à la mer. S'appliquant à creuser, à trouer, à blesser. Et bientôt le fond du trou se mouille. L'eau apparaît. Et nos gestes s'animent. Plus fort. Plus profond. Une sorte d'excitation fébrile qui nous pousse à creuser toujours plus. A vouloir vider le trou de son eau, de son sable. Le vider de tout.  Et plus l'on creuse, plus le trou s'élargit et se rempli. Et plus l'on s'épuise, à vouloir épuiser le trou. C'est un jeu de l'enfance. Et c'est déjà un jeu de la vie. A chaque brassée, on remonte du sable. Toujours le même sable. Et c'est intarissable, démesuré. On pourrait croire que c'est du même que l'on remonte du trou. On pourrait croire que c'est le même geste. Le même trou. Le même vide.
L'enfance s'entête, là ou l'adulte renonce.
L'enfant invente l'écriture.

Il s'applique. Attentif et souriant. L'enfant livre son combat contre l'impossible. L'inacceptable. Et sans cesse le trou s'agrandi et se rempli. Ecrire c'est ce trou qui s'agrandi. A chaque mot. A chaque texte. A chaque redite.
Ecrire c'est épuiser la terre, et le vide de la terre. C'est ce trou vers la mer. C'est s'épuiser dans le même geste sans savoir que l'on va vers l'infini de la mer. Et les mots sont le sable, rien de plus que du sable humide, et l'eau, l'impossible connaissance. Ecrire c'est ce geste pur et absurde. Pur parce qu'absurde. L'écriture ne dit rien de plus que cette érosion des bords, que ce rien qui veut rejoindre la mer, dans un geste inachevable, fait dans l'urgence.

 

L'enfant ne connaît pas la mort, il apprend seulement la vacuité de toute chose. Dans le scintillement des flots, le murmure des vagues, et 'insolence du soleil.
Il n'y a pas d'œuvre. Uniquement ces trous dans le sable, que la marée envahira.

Ecrire c'est être à la frontière du sec et de l'humide et creuser toujours plus profond, toujours plus loin.

 

« Qu'as-tu fais de ta vie ? », 

« J'ai creusé... et certains jours j'étais heureux...sans raison... »

 

Ecrire c'est avoir les mains de l'enfance, maculées de terre ou de sable, et les tendre au soleil pour y voir briller quelques rêves d'or.
Assis sur le bord du trou.
Face à l'océan.

 

J’ai trop de cendres dans la voix. Le perdu se renouvèle comme l’horizon du futur. Et le perdu est bien la seule prière que nous sachions faire. Je ne suis que la somme de mes pertes convergentes, dans la grande arithmétique du manque et de la défaite. Et je suis pris dans l’invisible langueur des chairs.
L’expiation renouvèle toujours plus les saisons.
Et les grands chênes tremblent du temps qui passe.
Ils craquent de leur solitude.
Mais frémissent au printemps.

 

Franck.

16 décembre 2007

Les contes des temps achevés.....

Car c'est une marche silencieuse. Qui vient de plus loin que nous. Comme une traversée de désert. Le désert de la langue. Avec le sable des mots. Toujours le même sable, toujours les mêmes mots. C'est à la fois lancinant, mais tellement nécessaire. Ecrire c'est rejoindre. Unir à nouveau. Mais on ne sait pas quoi, on ne sait pas qui.

 

Toujours rejoindre. D'abord une musique. Comme si elle seule pouvait être la source. Et c'est épuisant puisque c'est un désert. Sans secours. Et la mort au bout. Au bout, qui donne l'urgence. La véhémence du mot. Un mot presque plus vivant que vous. Qui est là, qui s'impose. Nu, cru, presque indécent dans son évidence rugueuse.

 

C'est une marche silencieuse vers quelque chose qu'on pourrait appeler " absolu ", parce qu'on ne sait pas le définir autrement. Alors on dit : absolu. Comme amour. On dit amour, parce qu'on ne sait pas dire autre chose… On récupère le mot, on se l'approprie par lassitude, par dépit, par facilité. Par pauvreté.
« Tu m'aime ? »
« Oui, je t'aime. »
Et tout est dit. On peut, ne plus se parler, ne plus se regarder durant des siècles.
Ecrire, c'est partir à la recherche de ce mot. A sa conquête. Et pour cela on choisit le désert. Car nos batailles ne sont d’aucune guerre. Et conquérir un mot n'est pas simple. Il ne suffit pas de le dire pour qu'il vous appartienne, pour qu'il habite votre langue. Parfois il ne vous appartient jamais. Il vous fuit, comme l'amour. Comme le soleil ou la nuit. Et c’est une désolation. Certaine fleurs ne poussent pas sur certaines terres.

 

 

 

Alors on part à sa conquête.

 

 

 

D'abord une musique. Entrer dans sa musique. Retrouver sa lancée, retrouver la trace qu’il laisse dans l’air, retrouver la première respiration, celle du vent sur la mer, retrouver le premier mouvement, celui de la mer qui berce. Longue marche berçante. Balançante. Comme si seul l'infini de la mer pouvait répondre à cet absolu si nécessaire.
Retrouver l'eau des mots, dans le vague de la vague des mots. L'eau des mots, qui cherche l'amour, au-delà de la mort. Mourir comme cette marche harassante dans un désert toujours plus grand, toujours plus vain. Et se perdre mille fois dans les reflets des mirages tremblant.

 

 

 

Le mot vous appartient le jour où vous n'avait plus à le prononcer, comme l'amour qui n'est plus à dire le jour où
l’amoureuse pose son souffle sur vos lèvres.

 

 

 

Souvent, plus on dit les mots plus on s'éloigne d'eux. Et c'est terrible. On les use avant qu’ils n’aient le temps de fleurir. Comme la marche dans les sables de la langue, celle qui nous fait tourner en rond. Sur nous-mêmes. A cause de nos égo boiteux, de nos âmes boiteuses.

 

 

 

D'abord une musique. Une musique qui vient des chairs, de l’intérieur des chairs. Car les mots ne naissent pas dans nos têtes, ils doivent venir de la chair. Comme l'amour. Comme la musique qui l'appelle. L'amour, ou la mort. L’amour et la mort. Dans les chairs. La musique des chairs, les sons du sang.

 

 

 

Et nos chairs sont menteuses parce qu'elles ont faim.
C'est pour cela que c'est impossible d'écrire.

 

 

 

Hormis, cette marche, hormis le balancement de la mer. Il y a toujours un sens qui s'accroche à la chair, à la parole, aux mots. Et le sens doit venir du son, de la musique. Il faut qu'il s'enroule avec lenteur, dans la musique et le son. Le sens vient après. Pas toujours. Mais toujours après. Il est un couronnement, une apothéose, fragile comme une aurore.
Comme une épiphanie.

 

 

 

Aveugle et sourd, je suis perdu, et j'appelle. En vain. Toujours. Et je recommence. La même phrase. Usant encore un peu plus la semelle de mes mots. La chair de ma chair. Jamais assez de musique, jamais assez de son. Comme l'amour. Qui est d'abord une musique, et qui devient chant, le chant d'une source au milieu des sables. Qui devient prière.
Puis souffle.
Puis rien. L'infini du rien. L'absolu du rien.
Alors je vais seul, mais innombrable.

 

 

Au départ on marche. C'est une promenade. Après le chemin n'a plus de contour. On n'est pas Alice, mais on traverse quelque chose. On ne sait pas si c'est un miroir. Mais il y est question de lumière. On marche et ce n'est plus une promenade. C'est une déraison.

 

 

 

Au départ on est loin, on est dans l'inaccessible du temps et de l'espace. Mais les enfants savent d'instinct traverser les impossibles. Les âmes brûlées aussi. Au départ on est loin, chacun dans sa parole, dans la maison de ses mots, au plus près de l'hémorragie qui épuise nos jours et nos heures. On est chacun sur l'horizon de sa propre langue, chacun à un bout de l'arc-en-ciel, chacun dans sa couleur.
On est loin, séparé par le ciel, et par cette arche irisée. Une aube trop loin.

 

Au départ on est isolé, mais les incantations se répondent, parce que les murmures s'opposent au vacarme du monde et parce que les cris révèlent les silences. Au départ on est loin, mais peu à peu les portes du ciel s'entrouvrent. Pour agrandir l'espace, juste entre la chair est l'os. Juste entre fracas et prières.

 

Alors sur le chemin on croise son ombre à elle. Ce n'est plus la réalité, ce n'est pas le rêve non plus. Brusquement on sait que tout peut arriver : le pire, le meilleur...le définitif. L’iirévocable.

 

 

 

Maintenant vous être deux ombres, dans la tempête d'un chemin perdu. Au départ vous êtes dans la distance la plus grande. Deux enfants. Deux fantômes. Deux ombres. Et c'est un chemin inconcevable.

 

A droite la montagne, à gauche l'à-pic. Autour la nuit. Et dans le cœur le feu, et dans les yeux les mondes qui s'effondrent.
Vous êtes les deux seuls. Les premiers. Ou peut-être les derniers. C'est la même chose, puisque c'est sans fin. Vous marchez. De toutes les façons vous ne pouvez pas faire demi-tour. Vous êtes dans votre avancée. A droite la montagne, à gauche l'à-pic.

 

A droite la montagne, à gauche l'à-pic. Deux ombres perdues. Deux enfants. Et vous avez mille ans. Plus vous avancez, plus c'est la nuit. C'est elle qui marche devant. Parfois vous apercevez la blancheur de son épaule dénudée. Pour ne pas vous perdre, vous lancez des mots loin devant, certains retombent en corolle de lumière douce. Pour ne pas vous perdre, elle vous tend parfois quelques silences à travers la nuit. Et vous n'avez pas d'autre solution que d'avancer. A droite la montagne, à gauche l'à-pic.

 

 

 

Après, arrive le temps du chant et de la danse. Vos musiques s'entrelacent et se nouent pour vous aider à gravir l'échelle des couleurs. Chacun, à son bout d'arc-en-ciel, chemine vers l'autre sur le chemin de la langue, c'est le temps où la voix s'exalte de sa ferveur, de ses soleils, de ses éclairs.
C'est le temps où les notes inventent la portée, où la cadence rythme les souvenirs, où l'espérance fleurie comme de larges bouquets. C'est le temps océan, immense et grandiose qui berce vos perspectives, et change les clameurs en louanges fruitées. C'est le temps des flammes et des voyages univers, et des jardins célestes. C'est le temps des tendresses enfantines. La source des mots s'épanche vers l'affluent du cœur. On est haut dans le ciel, si proche désormais qu'on pourrait se toucher. C'est le temps des soupirs et des apartés, c'est le temps des souffles, pas celui des regrets. C'est le temps des secrets et du sang partagé, et des silences que l'on offre dans les mains que l'on tend.

 

Maintenant ils sont dans leur incendie, dans leur holocauste. Mais ils ne le savent pas. Ils avancent seulement. Ils n'ont ni froid, ni chaud. Ils ne sont pas seuls puisqu'ils sont ensemble, pourtant ils se sentent si seuls dans cette marche, puisqu'il faut enjamber les os des morts. C'est normal, ils sont dans la traversée des vies. Les cimes sont impossibles à voir, c'est une montagne qui se perd dans leurs nuits. A droite la paroi, à gauche l’à-pic.

 

Elle, elle murmure sans cesse. On dirait des chants, des berceuses, des incantations. Sa voix est douce. Lui, il n'entend pas tout, mais il trouve que sa voix est belle, comme son corps d'ombre blanchie. Ils n'ont que leurs mots, que leurs prières, parce qu'ils sont dans la traversée de la langue.

 

 

 

Un jour, au bout de plusieurs siècles, vous êtes au bout. Sur le dessus de la montagne. A la fin de la terre. Un jour, à la fin de la terre vous pouvez enfin vous asseoir, et vous voir, et vous toucher. Un jour, et c'est le dernier jour, ou peut-être le premier. Vous êtes assis dans la nuit. Au plus haut de la nuit.

 

Et elle, elle pose un silence sur ses lèvres à lui. Et lui, il pose un mot clair dans le sang de son cœur à elle. Ils sont deux enfants. Ils ont mille ans. Ils sont assis et se taisent, et se serrent. Leur peau est chaude. Et leur chair tremble un peu. Ils ont peur. C'est normal. Puisque c'est la fin.

 

Au-dessus d'eux, dans une ouverture du ciel il y a comme un vitrail de lumière. C'est là qu'ils vont. Ils le savent. Ils savent le saut dans le vide. Leurs mots, leurs silences ne suffisent plus. Alors, sur la dernière pierre de cette impossible montagne, ils s'allongent. Et se serrent. Et leurs ventres se touchent, et c'est un baiser infini.

 

 

 

Maintenant ils sont dans la traversée de l'amour. On ne peut plus les voir. Parce qu'ils s'absentent de la nuit et de leur corps. Lui, il entre sa chair dans la sienne à elle. Ils se regardent. Elle, elle accueille sa chair à lui, dans la sienne. Lui, il est elle, et elle, elle est lui. Ils ne sont plus qu'un seul corps, qu'un seul souffle, qu'un seul sang. On ne peut plus les voir.
Sauf, peut-être ce bruit d'aile, ou ce chant, et ces ombres, et cette immense lumière étrange quand le ciel c'est ouvert.

 

 

 

C'est un temps éphémère, qui offense les dieux. C'est un temps majestueux, qu'il nous faut redonner. Pour une heure enchantée, cent ans de misère. Pour un jour de délice, mil ans de repentir.

 

 

 

Au sommet des couleurs, nous nous sommes croisés. Au plus haut de cette arche de lumière, tendue entre nos deux étoiles. J'ai à peine eu le temps de caresser son ombre, qu'un dieu cruel a tissé sur nos lèvres un rictus forcé.

 

Et dans un ciel de marbre durcit par les chagrins, tremble une étoile, en silence au matin.
Et la mélancolie est toujours en avance d’une saison.

 

 

 

C'est une marche silencieuse. Qui vient de plus loin que nous. Comme une traversée de désert. Le désert de la langue. Avec le sable des mots. Toujours le même sable, toujours les mêmes mots. C'est à la fois lancinant, mais tellement nécessaire. Ecrire c'est rejoindre. Unir à nouveau. Mais on ne sait pas quoi. Mais on ne sait plus qui.

 

 

 

Franck

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

15 décembre 2007

Aimer, c'est avant d'aimer que ça arrive.....

L’écriture nous arrive d’un excès. D’un débordement. D’une abondance insupportable. Ecrire, c’est trop de voix dans la voix. C’est trop de vie dans la mort. Ecrire, c’est d’abord un dérèglement. Un ruissellement.

 

 

 

C'est toujours avant, que le moment se construit.

 

 

 

Au départ c'est la jungle. Des ronciers partout. Des herbes folles. Car c'est cela nos vies. D'abords des ronciers. Et à chaque fois on croit qu'en semant par-dessus cela suffira. Et on a l'âme dans tous les sens, avec des trous, des tourbières, et souvent on ne peut même plus avancer dans notre vie. Un jardin perdu. Et tout s'agrippe, tout s'attache, tout déchire, et même le soleil n'arrive plus à chauffer la terre, et la pluie fait des flaques, des vases, des boues. Ce n'est plus un jardin. Ce n'est plus une âme. C’est une désolation, nos vies. C'est une brousse où l'on ne se reconnaît plus. Où l'on n'est plus soi-même. Mais l'on continue à semer. On pense que les roses auront assez de convictions, assez d'épines pour étouffer cet abandon. Comme si s'était la rose qui sauvait le jardin.

 

 

 

Et nos amours arrivent dans nos vies comme sur des ronciers. Et nos amours meurent comme les roses. Aimer c'est avant d'aimer que ça arrive.

 

 

 

Certaines âmes, les plus rares, brûlent. Elles brûlent en permanence. On les croit même perdues. Non, elles font la terre des roses. Les plus exceptionnelles deviennent une étoile. Il faut le savoir. Chaque étoile est une âme consumée d'amour. J'en connais une ; et vous ne pouvez pas savoir le feu qu'elle a mis sur sa terre, chaque mot était un incendie et certains jours on pouvait croire que l'enfer brûlait, chaque jour le feu embrasait ses chairs jusqu'à ses os, et chaque mot, chaque parole grattait les tourbes, les vases, les boues. Un jour je l'ai vue nue dressée dans les flammes tenant à la main son cœur qu'elle arrachait, une vision bouleversante, saisissante. Aujourd'hui c'est une étoile et je sais le coin du ciel où elle se trouve.

 

 

 

Le feu n'est pas à la portée de tous. Alors c'est à la main qu'il faut y aller. Car il n'existe pas de désherbant pour les ronciers de la vie. Il faut y aller à main nue. Parce qu'il faut saigner.

 

 

 

Aimer, c'est avant d'aimer que ça arrive. Pourvu qu'on ai assez rêvé. Car les roses naissent d'abord dans les rêves. D'ailleurs elles y meurent aussi. Dans les rêves.
Le jardinier rêve de sa rose, et c'est cela qui lui donne cet air absent. Parce qu'il faut d'abord s'absenter, de soi, de sa maison, il faut se préparer au vide et au désespoir du vide. Et plus loin que le vide il y a le néant qu'il faudra traverser aussi.
Rêver ce n'est pas s'endormir sur ses ronciers, le rêve n'a rien à voir avec le sommeil, non, le rêve c'est d'abord le silence. Le jardinier se tait parce qu'il rêve. Il supprime des mots, et sa langue devient incompréhensible, il augmente les silences, et un jour tout n'est plus que silence. Alors il peut rêver. Le rêve s'appuie sur les silences, comme la ballerine sur son fil tendu sur le vide.
Alors, il peut commencer à creuser, à retourner sa terre, à arracher une à une ses herbes folles, les lianes... il peut tirer sur chacune de ses racines. Rien n'est assez profond, rien n'est assez silencieux pour le jardinier. L'avant de l'amour est épuisant. On ne le dit jamais assez.

 

 

 

Comment accueillir un sourire si on ne lui fait pas de la place ? Surtout qu'un sourire cela prend une place Gigantesque. Quelque fois il faut un ciel entier.
Alors il faut un gros silence, un beau silence, un silence d'eau de source, un silence bleu, et dans un affaissement de lumière l’espace se dilate. Oui, l'avant de l'amour est épuisant, notre sang déborde des blessures, la vie semble s'écouler, et l’on n'en voit pas la fin.
Derrière un souvenir, une autre ronce. Et derrière chaque buisson, on butte sur nos faiblesses. Et le pire ce sont nos pierres d'oublis. Car tous nos manquements se transforment en pierres. En pierres énormes, sur lesquelles nos rêves se brisent.
Ce n'est pas la vérité qui brise un rêve, ni la réalité, non, ce sont nos oublis, nos manques, absences, et quelques fois nos peurs. Et seules nos larmes arrivent à les user ses pierres.
L'avant de l'amour est épuisant.

 

 

 

Le jardinier se lève tôt, il sait que l'aurore lui est douce, il sait qu'il a besoin de rosée pour survivre, il sait surtout qu'il doit se mettre au travail, parce que son amour est en marche depuis longtemps. Il ne le connaît pas, mais dans la brume du jour qui naît, il peut sentir la lumière chanceler, c'est un indice. Quand l'air chancelle c'est qu'un amour est en marche, qu'il est en train de traverser l'univers.
Un véritable amour vient toujours de loin. Il doit, après l'univers traverser les mers d'indifférence, passer sur les ponts branlants du doute, affronter les déserts des mystères, croiser des foules hostiles et hurlantes, il doit lui aussi s'épuiser. Car c'est juste dans cet espace écroulé que la rencontre peut se faire.

 

 

 

Ecrire et jardiner c’est le même geste. Ecrire et aimer c’est le même épuisement.

 

 

 

L’écriture nous arrive d’un excès. D’un débordement. D’une abondance insupportable. Ecrire, c’est trop de voix dans la voix. C’est trop de vie dans la mort. Ecrire, c’est d’abord un dérèglement. Un ruissellement de manque.
Car ce n’est pas la solitude qui nous fait écrire, ce n’est pas le silence, c’est l’excès de solitude, c’est cette surcharge de silence, cette profusion soudaine qui s’élève sur l’horizon des heures. Ecrire c’est un geste d’attente envahi d’attente.
Ecrire vient de cette perte, de ce ruissellement vain.

 

 

 

Franck

9 décembre 2007

Arriver à la fin......

La vie n’est rien sans la densité. Source d’élan et d’épuisement. Il n’y a pas de croissance sans aggravation. C’est le chant du ruisseau vers la mer. Ecrire n’est rien sans la densité, cette affluence de solitude mélancolique, qui fait plier les genoux mais qui redresse l’âme. Du moins cet arcane qu’on dénomme âme.

 

On arrive à Gao comme si l'on quittait l'océan. Toujours harassé d'une traversée. Lourd d'un voyage. Lourd d'une fin. Les yeux brûlés par les éclats du soleil, par le reste des rêves, et le reste des nuits.
On arrive à Gao couvert d'un linceul de sable poisseux, collé comme une peau sur la peau.
On arrive à Gao toujours à la tombée du soir. Presque en cachette.
On arrive à Gao sans tristesse, sans joie. Seulement avec une immense fatigue.
On arrive à Gao seulement. Seulement.
C’est un lieu sans révolte puisque tout s’y épuise. Le rêve ou le voyage.
Gao n’est pas une destination pourtant on y arrive. Toujours. Un peu comme la mort. La fin.
Arriver à Gao c'est arriver de loin, c'est venir d'un désert, et d'au-delà d'un désert. Et c'est avoir franchi sa vie dans une étendue de poussière, dans l'étendue sans fin de nos questions vaines, de nos réponses craintives et faciles. Et c'est avoir mesuré la pauvreté de nos prières, l'étroitesse de nos désirs. Et nos misérables souffrances.
Arriver à Gao c'est être un naufragé, puisque là-bas, plus au nord, quelque chose de nous est resté. Peut-être le meilleur. Peut-être le pire. Et c'est cela qui épuise, ne jamais savoir, même après un désert, même en arrivant à Gao.
Et la fin est lourde parce qu’on la traine depuis le début. Depuis le premier jour.
Plus qu’un port Gao est une île. Les terres qui l’entourent ne sont pas des terres, ce sont des oublis, des lendemains, des attentes. Gao n’est pas un lieu, c’est une expérience de vie. L’infini contenu au bout des sables. Le concentré des fins ultimes.
Gao n’est plus le désert, pourtant c’est encore le désert.
Gao n’existe pas vraiment, pourtant on s’en souvient. Un lieu abîmé de la mémoire.

 

Cela faisait plusieurs jours que le marabout voyageait avec nous sur les sacs de dates que le M.A.N. diesel transportait. Il était silencieux. La vitesse du camion faisait flotter son chèche qu'il enroulait comme les gens du sud du Sahara, comme les Touaregs. Ce n'était pas un touareg. Il portait une sorte de grande djellaba bleu clair, qui couvrait un large pantalon de toile légère et blanche, masquant à peine une ceinture où était accroché un poignard ouvragé au bout recourbé. Il avait la peau mate, très foncée, mais pas noire. Il était grand et maigre, des yeux clairs perdus au fond d'un visage sans âge, usé de soleil et de contemplation. Un visage tout en angle. Tout en avancée. Tout en tension calme et sereine.
Sur le camion il ne bougeait pas. Il gardait tout au long du jour la même position. Accroupi, les genoux au nivaux des épaules sur lesquels il appuyait ses bras. Depuis des siècles il avait cette position. Depuis des siècles il fixait l'horizon des sables, sans attendre rien. Sans rien espérer, que de pourvoir regarder cet horizon des sables pendant des siècles encore. Il avait fait un trou dans un sac de jute, et de temps à autre il prenait une datte, et la mâchait longtemps, et il suçait le noyau. Longtemps. Ca veut dire quoi longtemps ? Là-bas, longtemps ce n'est pas du temps, c'est une distance, c'est une direction, c'est une légende, c'est un mystère. Longtemps. C'est la vie d'un homme, son histoire, ses rêves. Longtemps, c'est un ciel, ou une source, ou les yeux de la reine de Saba, ou la mort et son cortège de djinn.

 

Il nous a dit : à Gao, vous viendrez dans ma maison. Son Français était approximatif. Mais on se comprenait. Pour lui s'était important qu'on vienne chez lui. Sa voix était grave, profonde, traînante. Il accompagnait souvent la fin de ses phrases d'un geste ample de la main, le bras tendu, comme pour désigner au loin le reste d'une signification que les mots sont impuissants à dire. Il hochait la tête, et tout était dit.

 

Gao, c'est la fin des sables et c'est le début du fleuve. Nous sommes arrivés à Gao, il faisait presque nuit. Nous n'avons pas vu le fleuve, mais nous l'avons senti. Un souffle obscur dans la nuit. Une présence muette, mais puissante. Un épanchement de vie nouveau. Presque incongrue. Quelque chose était là. En plus. A l'entré de la nuit Gao, ce sont des musiques de balafons et de quelques tambours improvisés. La ville est plate sans étage, presque sans éclairage. On s'oriente toujours aux étoiles, et au souffle du fleuve, et aux odeurs, et à l'inclinaison de son cœur, à sa nonchalance. A son abandon.
Nous l'avons suivi.  Comme des ombres sans ombres. Sa maison état là. Grand cube d’un seul étage, en terre séchée, sorte de pisé. Un grand cube vide de meuble, vide de vie. Avec seulement un escalier de terre qui montait sur une terrasse. Une terrasse qui ouvrait sur la nuit. Nous nous sommes installés dans une des pièces vides. Il nous fit comprendre que le repas arriverait bientôt. Et qu'il nous attendait sur la terrasse pour boire de thé, le temps que le feu soit allumé.

 

Alors est sortie de nulle part, une sorte d'agitation calme. Des ombres. Des ombres silencieuses sont arrivées. Un homme squelettique fit le feu à l'air libre sur la terrasse. Il prépara la théière. Sorti des verres d'un sac de toile. Brisa les restes d'un pain de sucre, fit couler de l'eau dans la théière et y rajouta les graines noire du thé.
Le marabout était là, assis. Depuis des siècles assit, sur cette terrasse de nuit et de désert. Silencieux.

 

Il y eut un premier cérémonial de thé. Puis l'attente. Puis le silence. Puis la nuit qui s'intensifie. Une femme voilée est arrivée. Elle a posée une bassine en émail au centre du cercle que nous formions, puis a disparu. Une ombre dans l'ombre de la nuit. Un silence sur le souffle du fleuve. Dans la bassine il y avait du mil cuit. Au-dessus, quelques maigres poissons bouillis. En silence nous avons mangé, récupérant avec le bout des doigts cette pâte de mil brûlante. Chacun creusant un cratère devant lui. En silence.
Plus tard la femme est revenue. Sortie de nulle part. Sortie d’une absence. Elle à repris, la bassine vide de nourriture.
Puis elle a disparu à nouveau. Sans bruit. Sans mot. Depuis des siècles sans mots. Froissement du temps.

 

Maintenant nous étions autour du feu. Un autre thé se préparait. Puis ils sont arrivés. Un à un. Des hommes jeunes. Trois. Aux regards éclatants. Avec une immense déférence ils ont salué le marabout, puis nous, les invités. Ils ont prit place autour du feu. Le thé a circulé. Le marabout nous a expliqué que ces jeunes gens étaient ses élèves. Et que ce soir il allait les enseigner. C'était un temps où les barbes ne couvraient pas la religion musulmane d'un voile sombre. C'était un temps de l'Afrique pauvre mais sereine. C'était un temps où l'on parlait aux étoiles, la nuit, au bord du fleuve Niger, aux portes de l'océan saharien. C'était un temps défait, mais sans peur.

 

Alors il a parlé. Longtemps. Il parlait une langue que nous ne comprenions pas. Mais il s'arrêtait parfois pour se lancer dans une traduction hasardeuse. Qu'importe, sa voix était belle et profonde, et elle venait de si loin, d'un désert et du fond des siècles. Toujours avec cette voix de ventre, cette voix lente, grave qui montait dans la nuit. Et sa main qui désignait les étoiles pour les prendre à témoin. Il parla de religion, et il expliqua Le Prophète, et Jésus, et le roi Salomon. Et il expliqua la reine de Saba, et le berceau de nos fois communes. Et il disait qu'on avait le même dieu, et la même espérance. Il disait la Bible et le Coran, en montrant les étoile, en les appelant de leur nom, en expliquant les pays qu'elles désignaient. « Là, dans la direction de cette étoile, si tu voyages quarante lunes tu arrives au pays de Salomon. » « Il faut donner à Dieu, tes mains, ton cœur, et il s'occupera de tes rêves et de ton âme. » « Il faut prier ton Dieu et abandonner ta colère et il te conduira à la source. » « Va dans le désert, cueille un silence et reviens. » C'était une nuit du monde, sous les étoiles brûlantes du désert, une nuit de passion dénudée. Une nuit pauvre et infiniment abondante.

 

Sa voix semblait chanter une mélopée lancinante. Seuls ses yeux brillaient. Seule son âme embrasait le ciel. Et cette nuit lui répondait, comme chaque nuit de désert sait répondre à celui qui s'est longtemps tu.
Les trois jeunes hommes l'écoutaient en silence, avec seulement quelques hochements de têtes. « Nos dieux sont des frères, ils viennent du même sable, et regarde le même ciel et s'éclaire du même soleil. » « Chaque homme est un pays, conduit-le à ta source, donne lui de ton eau, et vos villes seront un seul royaume ».  « Chaque homme est une caravane chargée pour une longue traversée, il est promesse, il est patience, il est chemin. Et nul ne l’attend au bout des sables. Tends-lui cette fleur, et vous élèverez un temple. Tends-lui la main et Dieu priera pour toi. »

 

Il est des nuits qui prennent naissance hors d'un temps connu. Il faut avoir traversé sa vie comme un long désert pour les contempler. Il est des nuits perdues où dans la voix d'un vieux marabout, un ciel entier s'illumine. Il est des nuits sans peur, puisque tout est là. Dans l'instant ouvert. Dans le souffle du fleuve. Dans un thé arachide. « Brûles ton désir aux feux du soleil du désert et une reine embrassera ta main. » « Fais-toi un rêve à la mesure du ciel, et ton cœur sera un jardin aux fleurs éternelles. »

 

La vie n’est rien sans la densité. Source d’élan et d’épuisement. Il n’y a pas de croissance sans aggravation. C’est le chant du ruisseau. Ecrire n’est rien sans la densité, cette affluence de solitude mélancolique qui fait plier les genoux, mais qui redresse l’âme.
Il faut avoir beaucoup espéré pour se défaire de l’espérance.
Il faut avoir beaucoup attendu pour en être rassasié.

Franck.

8 décembre 2007

Les contes de la fin.......

La fin a toujours le même goût. La même forme. Presque les mêmes mots. On est dans le mouvement de la fin, dans le repli. Une éclosion à rebours. Un rétrécissement. Et chaque heure est une ride de plus au jour. Dans la fin, il y a quelque chose de métallique, cela ressemble à un cuivre usé, sali, verdi par les moisissures qui remontent les chairs. Jusqu'au fond de la bouche. Une éclosion à rebours. Comme la mer qui ravale ses vagues, une à une, pour les reprendre, et les enfermer dans l'immense coquillage du temps. Tout s'absorbe. Avec lenteur. Avec certitude. Avec entêtement. Presque avec acharnement. Comme si pour atteindre la mort il y avait des peaux à enlever, des écorces à briser. Un éventrement à parfaire. Des lenteurs à honorer. Déciller le rêve.

 

Je lui disais, tes absences sont mes jours les plus clairs, et tes silence sont mes plus beaux poèmes, et t’attendre c’est vivre plus longtemps, et t’espérer c’est ressusciter mille fois.
Je lui disais, donne une flèche à ta cible, donne une tige à ta fleur, donne de la chair à ta chair, donne ta coupe à mes lèvres, donne mes mains à ta prière. Oui, prends mon souffle, prends ma voix, prends mes jours.
Je lui disais, c'est le temps où l'acte s'invente à nouveau, comme une première fois, ou comme la seule fois.
Je lui disais, soit là, sans passé et sans nom. Simplement là, couverte de ton plus beau frisson. Et que nos cris fleurissent, eux qui n'articulent plus la langue, puisque rien ne pourra plus se dire, puisque tout est advenu. Maintenant.
Je lui disais……

 

Dérision des paroles. Les mots dansent la carmagnole sur nos cercueils. Avant de les sceller.

 

Je tombe à l'intérieur de mon corps. Lente chute. Comme une extase. Noire. Infiniment noire. Faire taire pour ne plus s'entendre. Je sais ces océans vides. Glacés de silences obscurs. Un infini vidé de son élan, de son mouvement, et qui n'offre pas même un pli, pour cacher ma propre honte. Un infini bordé de tessons de bouteille. Pour déchirer le rêve, comme la poche des eaux. Vie dérisoire après l’inondation.
Il y avait un fleuve, il y avait la mer, à la place la peau craquelée du songe et cette entaille brune et ocre qui remonte la large cicatrice de nos terres désertées.

 

Dérision des paroles. Verre brisé. Verre pilé. Crissant à chaque souvenir. Il y avait un fleuve. Il n'en reste qu'un rêve ténébreux. Une trace rougie de silences.

 

Je sais des voix peintes au minium pour cacher la rouille qui les ronge. Je sais ces corps qui ont soif à la place du cœur. Je sais ces chairs qui aiment se monter et s'ouvrir dans le jus de leurs désirs. J'ai eu le temps de connaître la bas, le vil, le monstrueux. Tous les chemins de croix se ressemblent, tous ne permettent pas de ressusciter.
Dérision des paroles quand les actes les maudissent. Dérision de la vie quand la mort la maudit. Oui, je sais tous ces mots qui tissent les chaînes. A chaque maillon un mépris de plus, et même dans leurs silences la violence continue à se dire. Surtout dans leurs silences. Lourde chaîne qui pèse sur la langue de celui-là ou de celle-là. Sur la mienne.
Et chaque mot est l'image d'un spectre.
Et chaque phrase un marais bourbeux.

Comme si les mots excusaient les actes.
Il faut beaucoup de mots pour faire taire les silences honteux.
Il faut beaucoup dire autour, pour avoir l'illusion d'effacer le centre.
Le centre.
D'où la voix s'échappe.
Et qui dit nos intentions plus que nos tristes vérités. Malgré nous.
Puisque les vérités du jour sont les mensonges de demain. 
L'éternel recommencement de la fin.

 

 

Et il me fallut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Le juste balancement de la vague. Retrouver la marche sur le fil tendu entre mes rêves et la réalité. Il est temps de se séparer de l'inutile pour renouer avec l'essentiel. C'est-à-dire le pauvre. Le nu. L'évident. J'ai trop perdu de temps à suivre des routes qui n'étaient pas les miennes, ou des jupons trop courts sur des cuisses trop légères.
Espérant l'impossible parce qu'il était impossible, en mettant du symptôme au cœur même du désir. Je suis las de moi et de mes errances vaines. De mes amours adolescents sans issue. Je suis las de ce cortège d'ombres qui traverse mes nuits. Je me suis tant perdu à vouloir l'impensable.
Il est temps de laisser les morts aux morts et de souffler sur ce qui me reste de vie. Je suis las des trahisons, des promesses sans lendemain. Je suis las, infiniment las des bassesses, des veuleries, de ceux qui parlent trop fort, dans des écritures trop pleines, sans espaces, sans attente, sans espoir.

Au départ, tous les chemins se ressemblent, on marche insouciant la tête en l'air et les mains dans les poches. Et c'est bien après, qu'on s'aperçoit que l'on s'est trompé. On est très engagé, on est même perdu. On s'entête, on s'obstine.

Alors, il me faut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Petit Poucet recherchant ses cailloux. Un à un remonter le souvenir à travers mes forêts. L'endroit exact où les chemins ont basculé, où les pas se sont égarés. Remonter au premier caillou.

 

Qu'elle est la dernière question avant le premier caillou ? Avant. Juste avant. Avant les premières morts et les premières nuits cauchemars. Avant l'obscure. Avant la fin. Il y a forcément un fil qui tient tout cela.

 

C'est l'histoire de tous les contes, le héros se morfond et s'ennui, alors il quitte sa maison, son pays, il veut voir le monde, le vent, et aimer toutes les femmes, il veut sentir son sang lui brûler les veines, il veut être roi, prince, poète, capitaine, jardinier, il veut la richesse, les honneurs, les amours, il veut les plus hautes montagnes, les déserts les plus vastes, les océans les plus dangereux.
Alors il part sur les routes, sur toutes les routes. Et il court. Et il s'épuise. Et il s'ennui. Et il s'ennui toujours. Et le monde s'est rétréci, et la princesse était une souillon, et il ne fut pas capitaine, à peine sergent, et il ne fut pas poète, à peine s'avait-il écrire, et il ne fut pas jardiner toutes ses roses se fanaient, et ses montagnes ne furent que des collines desséchées, et ses déserts de pauvres landes arides et ses océans quelque mares aux canards. Et ses rêves s'usaient.

C'est l'histoire de tous les contes.
Alors il s'en revint. Il revint au lieu de sont départ.
Et plus il se rapproche, plus il se sent léger. Léger mais triste. Et plus la marche lui semble douce, plus il se met à pleurer. Plus il se rapproche, plus il se dépouille de ses manteau d'illusions, et plus il est nu, et plus il se sent riche. Riche mais perdu.
C'est l'histoire de tous les contes.

De retour dans sa maison, il est de retour en lui-même. Il s'habite de nouveau. Il est à l'heure exacte de lui. Mais il ne le sait pas. Pas encore. Il est sans fard. Sans impatience. Sur le chemin, devant sa maison, une voix l'interpelle : « Tu ne me reconnais pas ?... Tu te moquais de moi, il y a longtemps...tu voulais conquérir le monde, et moi, tu ne me regardais pas... tu voulais des princesses, des richesses.... Alors la pauvre Manon, tu ne la voyais pas... Et pourtant tu es là, maintenant, où sont tes princesses ... où sont tes richesses ? Qu'as-tu fait de ta vie ?»
C'est l'histoire de tous les contes.

Manon tenait dans bras un enfant d'une blondeur de blé tendre. : « Ma richesse, à moi, elle est là.... à user tout mon temps dans cette terre d'enfance, à labourer chaque jour un peu plus profond cette terre d'espérance faite de chair fragile... et qu'as-tu labouré, toi, durant tout ce temps ?  Ta famille avait un champ, regarde les ronces, les taillis le recouvre... Mais si tu veux, je t'aiderais...mon époux est parti, lui aussi, alors je t'aiderai.... mais d'abord aide-toi....commence à creuser ton sillon. Creuse la terre, ou le ciel, mais creuse. Creuse ce qui est à toi. Creuse au centre de ton désir. Creuse et ne te relève pas. Creuse ton champ ou le ciel, creuse le chant ou la prière, mais creuse sans t'arrêter. Creuse droit. Dans le sens de ta vie. Vas toucher l'os derrière tes chairs molles. Et je t'aiderais.... »
C'est l'histoire de tous les contes.
Il se leva et il creusa.
Longtemps.
Profond.
Un jour il dit à Manon : « Vient là, viens voir.... »
Ils sont devant le champ tout retourné, tout labouré. Avec la terre noire qui fait des boursoufflures, comme des cicatrices.
Il déplia un petit mouchoir. « De mes errances j'avais gardé quelques morceaux de rêves, ils sont en poussière maintenant, mais c'est ce qui me reste. Ces quelques cendres grises. Un rêve c'est comme une étoile, c'est loin et cela brille quand il fait nuit. Un rêve c'est silencieux, comme une étoile. Mais les rêves meurent comme les étoiles. Voilà ce qui me reste. Voilà ce qui reste de mes élans, de mes tentations, de mes peurs, de mes larmes, voilà ce qui reste des chemins que j'ai parcouru. Regarde, comme c'est pauvre. Regarde cette poussière de vie comme elle est fragile et triste. Comme ces étoiles qui meurent en silence et dans l'indifférence du temps et de l'espace. Voilà, tout est là... Alors si tu le veux, maintenant que cette terre noire est toute retournée, maintenant qu'elle est prête, nous allons semer ensemble. Et je crois que ces rêves là, sur cette terre là, sauront donner de belles moissons. La cendre des rêves est un bon engrais.
C'est l'histoire de tous les contes. Au départ on est là, dans l'ennui et le désespoir de nous-mêmes. Après l'on quitte sa maison, laissant tout en désordre. Sourd, aveugle, remplis de soi et d'orgueil. Et plus l'on s'éloigne, plus l'on se quitte. Mais on ne le sait pas. On est dans la distance de soi. Et puis un jour, au détour d'une aventure malheureuse, on comprend. Alors on consent.
On consent à ce retour vers le centre. Vers le lieu. Vers le seul endroit de soi habitable. Là où l'on est nu, et pauvre.
Mais entier.
« Tu vois Manon cette poussière, c'est ce qui me reste, et cette terre noire sera grosse de ces cendres. Et le noir de ce champ, sera demain l'or d'un blé. Et le pain qui cuira aura la saveur des aurores... »

 

Les contes naissent dans la nuit c'est pourquoi on les murmure. Ils ont besoin de la pénombre d'une flamme. Ils ont besoin d'accrocher leurs mots au rouge sang d'un feu ardent.
Ils ont surtout besoin de notre écoute, de notre attente...

 

Les contes naissent d'un épuisement.
Ils naissent d'un retour et d'un abandon.

Je suis si las de mes errances, si las du vacarme, las de cette mort rampante qui empoisonne mon sang, las des chants macabres, des agitations verbeuses, des danses de Saint Guy... c'est le temps du retour.
Un caillou... puis un caillou...puis un autre...
C'est le temps du début, celui de la création.
Et du silence de l'aube naissante.

 

Une éclosion à rebours. Comme la mer qui ravale ses vagues, une à une, pour les reprendre, et les enfermer dans l'immense coquillage du temps. Tout s'absorbe. Avec lenteur. Avec certitude. Avec entêtement. Presque avec acharnement. Comme si pour atteindre la mort il y avait des peaux à enlever, des écorces à briser. Un éventrement à parfaire. Des lenteurs à honorer.
Des printemps à accueillir.
Franck.

5 décembre 2007

Asphyxie.....

Revenir sur l'errance. Comme une boucle infinie. Un sentier qui perd sa trace. La route s'absorbe dans la fin d'un rêve. Dans les glissades de la fin d'un rêve. Partir sans jamais arriver. Puisqu'il n'y a pas de lieu. Jamais. Sinon les lieux de la route empierrée de l'âme. Sinon les chaos des heures et la défaite des jours.

 

J'ai mis le ciel dans mes yeux, au plus près de mon sang. J'ai fait briller des étoiles au plus près de mon ventre. Et il m'est arrivé de prier des dieux en exil. Et j'ai soufflé dans les couleurs des fleurs pour éclairer ma nuit. Je crois même avoir pleuré, certains soirs, sur la peau de quelques souvenirs. Et j'ai surtout jeté des mots au hasard.

 

Faire de l’égarement le seul chemin, le seul recours.

 

Sur la route de l'errance il me faut sans cesse passer entre deux grandes statues. La blanche et la noire. L'amour, et l'insondable solitude, et consentir à ne pas entendre leurs chants, et consentir à baisser les yeux pour ne pas brûler les derniers souffles. Baisser les paupières du cœur pour appeler à mon secours les silences du pèlerin.

Et consentir, comme un adieu aux armes vaines.
Avancer les paumes ouvertes, les paupières baissées.

 

Ici, c'est une mer de verdure sévère. Une verdure de tempête. Une verdure de gros temps. Les bois viennent mourir dans les champs en écumant leurs dernières branches. Sans rage, mais dans la puissance sereine des grandes marées. Des embruns de verdures s'éclatent dans les deniers rayons d'un soleil d'automne moribond. Un soleil épuisé de ses feux. Appauvri de sa gloire. Au bord du naufrage. Lui aussi voudrait prier. Lui aussi voudrait consentir. Et ses forces se résignent. Alors il abandonne une lumière pale et pauvre. La lumière des fins et des promesses déshabillées.

 

Je suis ici le temps d'une escale. Entre deux vies. Entre deux souvenirs. Comme aux temps des oasis et des déserts. Je suis dans l'entre de moi-même juste au- dessus de l'os. Que je voudrais curer une dernière fois. Le blanchir de mes mots. Encore.

 

Ici c'est une verdure immense, massive, impossible à décrire. Un paysage peint au couteau avec de larges trainées de couleurs épaisses. Des monts, des vallons comme une grosse mer houleuse. Je flotte.
C'est quoi flotter ?
Le flottement, c'est toujours le risque de l'errance, c'est souvent être rejeté sur des rivages inconnus. Le moment entre les lieux. Même entre les lieux du corps. Dans l'absence de soi. Dans ce mouvement qui tire vers l'extérieur. Dans un lointain. Dans un lointain sans forme, sans borne. Comme une chute. Je flotte dans un mouvement inconnu d'où ma voix ne sort pas. C'est un silence cassant comme l'oubli. Ce n'est pas un exil. Le flottement c'est un oubli. L'exil nous tient dans la tension, la colère, le ressentiment, la trahison, l'injustice. L'oubli n'a pas de forme. On est sans lieu, sans autres. Suspendu. Vidé du sang. Bousculé par les mouvements erratiques des heures, des humeurs, des regards. Comme une hémorragie, une perte de substance. Et cette envie d'hurler, de crier. Et toute cette ré-ingurgitation comme s'il fallait ravaler sa vie. Chaque heure, chaque jour. Là. Dans ce lieu hasardeux, sans frontière. Et l'on voudrait appeler, s'ancrer dans la chaleur d'un regard. Mais le flottement est un lieu qui n'existe pas, où nul ne peut vous voir… Sans secours.

 

" A quelle station tu t'arrêtes ? "  " Là-bas... Plus tard...L'autre, là-bas... " " La prochaine ? " " Non, jamais la prochaine.... Mais l'ultime, l'extrême. Je suis de la dernière station, de celle qui vient après toutes les autres. Au-delà des voies... Là où nul passager ne monte. Je suis du pays des landes, des bruyères froides du cœur, des grands champs de neige, des océans glacés, et mon ciel est traversé par le vol singulier des oies sauvages qui vont vers le nord. "

 

Pourquoi cet effondrement, cette coupure, ce glissement des chairs de l'œil et de l'âme, ce frottement de l'absence sur les mots de la langue, et cette parole qui ne sait plus s'arracher ?
Ici, dans cette verdure brutale, il y a quelque chose d'écrasant. Une présence absolue.
Alors je marche. Pour m'arracher au flottement je marche. Je marche, comme j'écris. Pareil. Pour retrouver le corps et le souffle. S'immerger dans ces forêts grandioses. Comme écrire. Pareil. Le corps qui s'arc-boute dans l'épuisement des muscles. Comme ces mots déterrés, extraits de mes restes. Le corps qui retrouve sa puissance. Sa rage vitale. Sa survie dans la douleur des muscles asphyxiés. Comme la prière offerte aux lèvres d'un mourant. L'extrême tension du corps. Ces noces obscures du silence et de la solitude. Marcher sur ces pentes infinies couvertes de forêts drues. Comme écrire. Souffrance primitive et sauvage du corps dans le vrai sang des muscles. Souffrance sans recours. S'arrêter. Continuer, trouver la limite. Etre dans la limite. Et au-delà. Ces marches épuisantes ne sont plus un effort, mais une lutte.
Comme écrire.
Quelque chose se rassemble, là, dans un instant qui efface tout. Tout. Monter encore, pour finir. Rechercher la pente la plus droite, la plus éprouvante, la plus absurde. La plus féroce. Comme écrire, et rechercher le geste le plus droit. Maintenant mes pieds, mes mains s'accrochent. Mes genoux aussi. Ne pas glisser. Ne pas perdre les mots et leurs lumières. Coller à la paroi de cette montagne. Coller aux battements du cœur et du sang, toujours, qui jaillit dans mon corps. Comme écrire. Tendre. Projeter mes membres vers une douleur plus grande, plus absolue sur la pente. Le corps collé. Hors de moi et totalement moi. Dans la rage. La colère. S'arrêter. Impossible. Fixer un point là-haut, pour y jeter ce qui me reste de souffle. Même la mort est vaincue dans cet effort insensé. Simplement l'instant qui rassemble tout. Qui aggrave tout. Tout ce qui restait au fond de ma mémoire. Etre dans l'instant du premier geste. Du seul geste. Comme la phrase qui s'arrête parce qu'elle attend du silence une consécration. Fixer un autre point. Un arbre, une pierre, une branche, une souche. Et toujours la rage pour survivre à l'essoufflement, au feu du corps. A l'incendie qui brûle ma tête et ma poitrine. Comme écrire. Comme aimer. Et gagner une fois de plus sur l'errance et le flottement. Comme écrire.
Comme aimer.
Et maintenant le sommet. Et son ciel.
Et maintenant le sommet, et son ciel, comme un port après la traversée des mers. Comme un port qui sacre le voyage.
La fin sans la fin. L’arrivée qui invente un retour.
Un possible.

 

Comme écrire ou prier. Ou simplement pleurer comme un enfant. Sans raison. Sans saison. Seulement à cause de la lumière et de cette joie incoercible d'être en vie. Le corps détruit de souffrance mais rayonnant d'avoir survécu à l'asphyxie. Comme écrire. Comme écrire.

Franck.

1 décembre 2007

Les marées blanches......

Rester dans l'axe. L'axe de tension. Ne pas dévier. Se faire sourd aux rumeurs du monde. A la fois ne pas être dans le mouvement, et être dans le mouvement. Le perdu nous borde. Et le temps vieillit en nous.

C'est l'heure des marées qui montent avec leurs souffles de nuit. C'est l'heure des marées lancinantes, des marées blanches et bouillonnantes, c'est l'heure de l'eau souveraine.
Un autre mouvement.
Comme la mer.
Comme le perdu.
La mer et la perdition dans l'immense. Dans le même. Ce même jamais pareil. Du même qui se change en même. Du même qui s'enroule en vague à lame successif. L'infini ruissellement du même. Comme si la tension de se survivre était là. Dans cette répétition qui se dépasse un peu plus à chaque fois. Cette sursomption des actes et des jours, et des conséquences. Totalisation.

 

 

 

La marée n'est pas grosse, avant.
Avant, elle est une simple écume, un reste de houle. A peine l'ébauche d'une vague. Elle est un souvenir ancien qui s'est épuisé, elle est une mémoire fatigué. Au bout du rouleau.
Avant, c'est une simple écume blanche. Blanche. Pas encore une dentelle bouillonnante. Blanche. Simplement l'idée du blanc, avant qu'il soit blanc.

 

 

 

Au départ il y a tout un ciel étalé sur la mer avec les étoiles qui scintillent et qui flottent. Noces de la transparence, qui fait le blanc de l'écume, comme après la mort. Le corps saigné à blanc. Bercement infini du ciel dans les bras de la mer. Berceuse du temps qui passe « Do-din, do-dan, il est mort Bertrand, qui lo tùa c'est lo limaço, quo faï sa caisso, c'est l'homo d'aixe, son tro lou maigro, sa prièra quatre bergèra... do-din, do-dan.... » Dors petit bonhomme. Dors dans le blanc de la mère. Dors dans sa berceuse triste et blanche. Et Blanche. Comme l'écume de l'océan. Dors de ton sommeil d'écume. Dors dans le sein blanc et la parole blanche du lait. Dors dans l'écume des heures, dors. Dans le lait de la mer. Infiniment naissante, infiniment mourante. Comme la mère. Mourante et blanche. Posée comme Ophélie dans le lit blanc. Blanc de mort. Dors... Avant, elle est une simple écume. Après, c'est un tonnerre, la mer. Et qui s'offre l'abondance illimitée des possibles. Toujours identique et jamais pareil. Ne pas dévier, rester dans l'axe de la marée. Ne pas dévier de l'axe du désir. Comme lorsqu'on marche sur les eaux. Irréfutable et fragile. Comme l'enfant qui dors. Là, dans le bruit des vagues. Sur la peau blanche de la mère morte.

Je suis la source qui rêve d'océan, un océan qui s'essoufflerait à tirer ses marées. Je suis dans le mouvement de l'eau. Je flotte. Je me noie. Je dérive. Je déluge. Je cascade de mots. Je déferle. Je reflux. Je larme. Même ma terre est de l'eau. Même mon sable s'écoule. Je suis une île entouré d'îles. Je suis une eau entourée d'eau. Je vague, imprécise et confuse. Vague comme une brume lascive. Et je pluie, et j'orage, et je source. Ruisselant, coulant, ravinant. Mon univers c'est l'eau, mon ciel est d'averses, mes nuages sont gorgés de torrents de tristesses et mes jours s'évaporent comme l'eau des étangs. Je suis un océan dans l'axe de mes marées, en mon centre une source. Si mes rêves se condensent, c'est l'Amazone qui passe saturé de boues grasses et fertiles où l'opaque et l'obscur s'accouplent aux puissances invincibles du courant.
Monte ta marée, petit bonhomme. ! Une de plus. Courage ! Vas donc chercher ces rouleaux de mémoire, et déploie-les, va plus profond racler le fond de l'océan, vas, n'hésites pas, prends les plus lourds s'il le faut ! Prends les plus tristes, n'oublie pas les plus beaux ! Vas chercher ta marée dans le fond de ton ventre ! Dans le fond de son ventre. Vas ! Tu es l'infiniment vivant, l'infiniment mourant, tu es dans le bercement des mers qui se disent et se redisent jusqu'à l'ultime bord où le ciel agonise dans les flots.

Qu’y a-t-il sous les eaux des mères mourantes si ce n'est de grands pans de ciel ornés de quelques étoiles ?
Qu’y a-t-il au fond des mères si ce n'est le sommeil d'un enfant ?
Qu’y a-t-il dans mon balancement si ce n'est un appel ou un cri, le triste mouvement, infiniment vivant, infiniment mourant, infiniment pleurant dans les os de sa mère ? C'est l'heure de la marée blanche et écumante. C'est l'heure d'appeler la nuit et ses mystères, c'est l'heure de vouloir un peu plus fort, un peu plus loin. C'est l'heure blanche des marées. Blanche comme les ailes déchirées d'un grand cygne mourant. Blanche comme les flammes qui brûlent ma prière. Blanche comme l'aveu d'un aveu. Blanche comme la peau avant l'amour dans le silence à peine froissé des caresses. Blanches caresses, et lentes houle des chairs qui s'offrent au blanc du désir blanc. Montes-la ta marée ! Un peu plus de courage ! Dans chaque mouvement, c'est du temps qui déferle, dans chaque éclatement c'est l'amour qui se dresse, dans chaque écoulement c'est ton corps qui réclame, dans chaque déchaînement c'est des liens que tu brises. Et se dire, oui se dire, tout au bout, tout au bout des marées, je suis un homme vivant qui montent ses marées, infiniment vivant, infiniment mourant, et qui le soir venu, pose son front au sol et peut dormir en paix.

 

 

 

Le plus souvent nous ne parlions pas. Il y avait comme un rituel des visites dans sa chambre. Nous nous succédions. Un par un. Il y avait la chaise à coté du lit, pour ma grand-mère. Sa mère. La chaise des larmes sèches. Et puis il y avait le fauteuil, pour l'autre grand-mère. Le fauteuil des histoires. Elle disait « Maman, racontez moi une histoire.... ». Elle appelait sa belle-mère « maman ». Ca se faisait, avant. Claire savait raconter les histoires. Une conteuse sans le savoir. Claire avait la voix haut-perchée et le rire éclatant. Et le sens de la dérision, comme celui de la fatalité. L'arthrose lui avait tordu toutes les articulations, les pieds, les genoux, les hanches, les doigts. Pas le cœur. Et puis elle avait Georges, comme si sa croix n'était pas assez lourde. Georges le fantasque, l'iconoclaste, Georges le poète des arbres et des animaux. Et Claire comptait plus sur sa canne, que sur Georges. Alors le fauteuil c'était mieux pour elle. Et Claire avait toujours une anecdote à raconter, dans une auberge il se passe toujours quelque chose. Toute une humanité défile dans une auberge. Alors Claire racontait. Maman écoutait. Souvent quand elle riait cela déclenchait des quintes de toux. Heureusement elle ne riait pas souvent, sauf avec Claire. Les autres s'asseyaient sur le lit. Elle ne tenait plus beaucoup de place dans ce grand lit. Elle ne froissait même plus les draps. Elle n'avait déjà plus de pesanteur dans ce monde. Il neigeait. Dehors il neigeait. Sans joie, l'effritement lent du ciel qui arracherait ses dernières peaux. Confettis de silences glacés. Presque trop lourds au regard. Noël approchait. Il neigeait. Dans sa chambre la chaleur était étouffante. Les carreaux étaient recouverts de condensation, comme un voile de petites perles opaques et tristes. Parfois je passais ma main sur la vitre et je voyais la neige, et l'immense tilleul. Et derrière, les ronflements, les raclements de sa respiration. Je sentais son regard sur moi. Mais souvent nous ne parlions pas. Parler l'épuisait. Alors il fallait choisir les bonnes paroles à dire. Ne pas se perdre dans les détails. Pour le reste, les regards devaient suffire.
Sa main était posée sur le drap. Sa main. Ce qui reste d'une main, une fois que la chair, et le sang l'ont quitté. Ce qui reste d'os et de craquement. Avant ses mains étaient magnifique, plus jeune elle avait été manucure, et après, esthéticienne. Alors les mains, elle connaissait. L'entretient des ongles. Limage, ponçage, gommage. La petite navette de daim qui me fascinait tant enfant, et qu'elle utilisait pour faire briller les ongles. Le petit bâtonnet de bois, pour repousser les peaux, les pinces en tous genres. Les vernis, les couleurs, les odeurs d’acétone. Elle s'appliquait sur chaque doigt, à colorer, à peindre sans déborder sur la lunule. Sa main était posée sur le drap. Et je n'osais pas la prendre. Elle semblait si fragile cette main. Il fallait la pommader pour que les os ne crèvent pas la peau froissée, fripée. Et les veines gorgées d'un sang noir et lent et brûlant. Et noir. Tes pauvres mains maman. Qui ne savent même plus prier, sinon être là encore un peu. Il neigeait. Et la neige en tombant recouvrait l'immense coupole chauve de l'immense tilleul. Et notre immense tristesse. Silencieuse.

De la mort blanche qui avance à pas mesuré, certaine de sa victoire, lent traineau sur la neige. Elle a déjà pris tes mains et ton visage. Sauf tes yeux maman. Sauf tes yeux. A pas mesurés sur cette plaine blanche, ou chaque jour fait la trace plus profonde comme des veines vidées de leur sang.

Pendant nos instants, je restais assis sur le lit à coté de toi. Et nous nous regardions, vidés de nos paroles, vidés de la langue qui aurait pu les dire. Il est des pays trop froids pour que les mots adviennent, il est des heures trop fragiles pour porter la voix. Il est des instants trop blancs. Alors il restait le regard dans lequel on serrait chaque seconde comme des fruits, qui déjà, auraient donnés tous leurs jus. On était dans ce pays lisse et froid, sans borne, sans lendemain, sans attente. Sans rien. Lisse et froid, comme du métal. Quand l'attente à déjà rendu l'âme. Il neigeait maman, et cette neige nous la mangions en silence à nous en faire casser les dents. Mais en silence, puisque ce pays de la chambre où nous étions, était inhabitable.
Parfois je t'aidais à t'asseoir. Mais tu ne tenais plus. Chaque articulation semblait se disloquer, j'en profitais pour prendre tes oreillers et je tapais pour les regonfler. Et ton corps se déposait, à nouveau sur eux, sans les déformer. Et ta main d'os se posait sur ma figure, que tu touchais comme pour la reconnaître une nouvelle fois, et je sentais les tremblements de ta vie, et je sentais les tremblements de la mienne, maman. Nous n'étions rien de plus que ces tremblements. Et ces soupirs à peine soufflés, dans ce temps arraché, calciné, dévasté. Car chaque seconde nous était volé et il fallait en gagner d'autres, et il fallait en trouver d'autre pour avoir la force de trembler encore. Il neigeait, maman. Et la blancheur se dessinait sur ta peau comme en transparence. Tu étais ce vaste champ de neige au-delà de la mort. Et je voulais mourir de ta mort, aussi. Tu comprends, maman. Mourir avec toi, dans la blancheur de cette neige qui tombait comme un sacre. Le plus souvent nous ne parlions pas. Tu voulais simplement que j'approche ma tête pour que tu puisses poser tes lèvres sur mon front. Tu voulais ma chaleur, et je prenais la tienne. Combien de fois nous avons fait ces gestes pour se dire sauvé, un tout petit instant, de nos déchirements ? Ma tête bercée entre tes os, ma tête sur ta poitrine essoufflée et pantelante. Ma tête posée sur cette horreur sublime. Sur cette neige épuisée, qui n'en fini plus de tomber sur nos vies. Dans le délabrement silencieux du ciel, et de cette chambre surchauffée par la fièvre du temps dans ses ultimes bruissements. Il neigeait, et dans le grincement du parquet on entendait les clameurs d'une autre rive ou les foules vont en cortège se perdre dans les champs d'asphodèles. Chaque regard était un froissement de plus, et la pâleur des sourires disaient de long gémissements, ceux qui vont en glissant sur les étendues neigeuses, au-delà des fleuves, au-delà des déserts, bien après nos vies et nos lamentations, comme les longues supplications qui tombent dans l'oubli.

Il neigeait et nous étions dans cette intimité silencieuse et brûlante, à veiller sur nos morts inlassables, nos morts en infusion dans chaque grain de lumière, dans chaque bouffée d'air qui te manquait peu à peu. Respirer, une fois sur deux, une fois sur trois, une fois sur moi, respirer de temps en temps, de moins en moins souvent, jusqu'à très rarement, jusqu'à ces instants où le feu de tes yeux vacillait, proche du noir, avant de repartir avec l'hésitation d'un animal blessé. Les étoiles aussi, respirent mal, maman. Je le sais, je les ai vu. La nuit, on les entend hurler, on entend leurs souffles rauques, et chuintants. Respire encore, maman... encore... encore une fois.
Il neigeait, sous nos peaux, il neigeait sur cet immense tilleul aux milliers de ramures noires, noires comme un immense poumon mort, soufflant encore son sang et ce qui reste de vie dans cet instant du soir.
Il neigeait, pour adoucir la chute que fait l'âme en tombant au fond du corps. Il nous fallait aller à l'essentiel, au plus direct, bien après toutes les questions. Et rassembler le tout de la vie, en des mots de rien.
Tu aimais ma lecture, parfois hachée, des poésies que je te lisais. Et ma voix chevrotait légèrement, et tes yeux embrasait cette chambre, et cette chambre allumée jour et nuit, éclairait cet immense tilleul, et la neige qui tombait.
« Pardonne-moi... pardonne-moi mon grand... » Ce sont les derniers mots que tu m'as adressé. Et j'ai serré l'os qui caressait ma joue comme le trésor le plus fragile qui n'est jamais existé. Il faut porter le pardon des morts. C'est lourd. Mais c'est plein de lumière. C'est lourd comme la neige qui tombait et qui au loin faisait un bruit d'enfer.
Comme la neige, qui tombait.... Qui tombait... Dessinant dans la nuit, pour ton corps si étroit, un si grand escalier, qui montait... qui montait...comme la dernière prière que je n'ai pas su bien faire.... Tout là-haut... par delà les nuages....
Derrière la nuit.

 

 

 

Il faut porter le pardon des morts. Le porter en silence sous les grands tilleuls et les déposer sur la neige blanche pour que vienne le printemps.

 

 

 

Qu’y a-t-il sous les eaux des mères mourantes si ce n'est de grands pans de ciel ornés de quelques étoiles ?
Qu’y a-t-il au fond des mères si ce n'est le sommeil d'un enfant ?
Qu’y a-t-il dans mon balancement si ce n'est un appel ou un cri, le triste mouvement, infiniment vivant, infiniment mourant, infiniment pleurant dans les os de sa mère ? C'est l'heure de la marée blanche et écumante. C'est l'heure d'appeler la nuit et ses mystères, c'est l'heure de vouloir un peu plus fort, un peu plus loin. C'est l'heure blanche des marées. Blanche comme les ailes déchirées d'un grand cygne mourant. Blanche comme les flammes qui brûlent mon oraison. Blanche comme l'aveu d'un aveu. Blanche comme la peau avant l'amour dans le silence à peine froissé des caresses. Blanches caresses, et lentes houle des chairs qui s'offrent au blanc du désir blanc. Montes-la ta marée ! Un peu plus de courage ! Dans chaque mouvement, c'est du temps qui déferle, dans chaque éclatement c'est l'amour qui se dresse, dans chaque écoulement c'est ton corps qui réclame, dans chaque déchaînement c'est des liens que tu brises.

Et se dire, oui se dire, tout au bout, tout au bout des marées, je suis un homme vivant qui montent ses marées, infiniment vivant, infiniment mourant, et qui le soir venu, pose son front au sol et peut dormir en paix.

 

Franck.

25 novembre 2007

Les solitudes singulières.......

La solitude saharienne est singulière. Surtout au lever du jour. Le soleil monte et semble dire : « Tu devras la gagner cette journée, tu devras en sortir vainqueur ou accepter ta défaite. » Les aurores sont courtes et le soleil est dans sa simple évidence. Rien n'arrête ses rayons. Et la nuit s'efface comme si un dieu muni d'un chiffon nettoyait brutalement le ciel et la craie du matin.
Et c'est le jour.
L’incandescence.
J'ai toujours ressenti à cet instant du désert, une chute, presque un accablement. Comme si la lumière avait un poids, une épaisseur, comme si l'on trébuchait dedans. Comme une fatalité. La solitude est totale. Consistance. Elle nous désigne. Et le soleil l'éclaire encore un peu plus. Une solitude sans ombre. Solide. Crue. Nette. Incisive. Le Sahara, ce n'est pas les dunes exotiques ; dans sa grande partie, il est plat. Plat. Sans rien pour accrocher le regard. Plat. Vide. Immensément vide et plat. Une immense page blanche à écrire. Une page sans marge, sans ligne pour guider l’écriture. Avec des petits cailloux poser ici, ou là, jamais très gros. Des petits cailloux pour nous égarer un peu plus, pour nous perdre un peu plus loin.
Et les milliers de kilomètres qui nous entourent sont identiques. Le même, après le même. Le même, aplati sur du même. Le même aggravé du même. C'est un lieu sans lieu. Et le regard se gaspille sur l'horizon, il fait un tour et vous revient à l'œil. Dans l'œil. A l'intérieur de l’œil. Au fond de la tête. Dans toutes les fibres, pour faire blanchir le sang.

 

Le matin, au lever du jour, c'est là qu'il faut croire, croire intensément, comme un fou, car tout ce que l'on verra au cours de la journée est là. Quelque soit nos pas. Quelque soit la direction. Tout est là, depuis toujours.

 

Tout est là, comme après une catastrophe. Tout est posé sur la table. La vie et le désir qu’on en a. Et ce n'est pas un début. Là, dans ce plat écrasé, ce plat infini, c'est une fin renouvelée, un aboutissement. Plus exactement c'est un reste.

 

Le matin au lever du jour, on peut ressentir un accablement ou un découragement. Au sol, il n'y a pas de chemin, pas de talus, même nos pas ont du mal à froisser le sable. On est sans trace. On vient de nulle part. On ne va nulle part. On ne sait qu'être là, comme un reste, ou une méprise, ou un égarement. On ne peut que se rassembler encore plus, pour offrir le moins possible de prise au destin, aux menaces, aux heures. A la lumière. Au soleil. Et rien ne nous sépare vraiment de ses petites pierres. Rien. Et la page est trop grande, trop vide, et les livres ne s’écrivent pas dans les déserts. Aucune raison ne tient ici. Aucune intelligence, même la plus subtile, ne résiste ici. La pensée s'effrite, s'émiette comme ce sable, là, sous nos pas. Hors tout.

 

Le matin, au lever du jour, dans le Sahara africain, c'est un nouveau naufrage qu'il faudra vivre, sans noyade, sans vent, sans tempête. Mais un naufrage, avec cette peur d'étouffement par ce vide. Voilà, étouffer de vide. Trop de rien. Saturation de néant. De silence. Sourd de ne rien entendre. Car ici, les paroles sont inutiles, puisque tout a été dit, et que se taire s'est encore pouvoir résister. Un peu. Hors tout. Hors de toute signification. Et la banalité des mots est indécente, déplacée, seul l'instinct, seul l'instinct et la prière, peuvent regarder le soleil qui monte. Car il y a, dans chaque lever du jour, dans le Sahara plat, et vide, comme une impression de sacrifice, et le goût du sang colle au palais.

 

Le matin, dans le Sahara Africain, on est à l'aube du monde, sans famille, sans parents, sans amis. Ici, il n'y a pas de possibilité de racines qui plongeraient vers une mémoire profitable, il n'y a pas de ramures qui monterait au ciel, dans l'espoir de nous sauver, puisqu'ici le ciel n'existe plus, ou si peu, puisque tout est ciel, et qu'on ne redoute même plus l'enfer puisqu'on y est, noyé dans ce débordement, dans cet excès d'abandon, de distance, de manque, d'infinité. Rien, aucune image, aucun poème, aucune musique n'est secourable, rien n'interrompt ce trait strident qui perce les chair, rien ne protège, ni la lucidité, ni le rêve, rien, hormis l'hébétude et l'entêtement. Même aimer n'a plus de sens. Car ici, aimer, n'en a jamais eu. Aimer qui ? Aimer quoi ?
Car les chagrins sont morts au lever du jour, et les tumultes se calcinent, se sclérosent, et tout s'assèche, se parchemine. Au-delà de la mélancolie, au-delà des larmes et de la pitié, il y a cette étendue plate que nul vent ne traverse, qu'aucun son ne fait vibrer, qu’aucun oiseau ne traverse, seul le battement du cœur, seul le gonflement des poumons, signale ce qui nous reste de vie. Et même cela est encore de l'orgueil. Car aimer, ici, n'a plus de sens, et l'élan du sang se resserre jusqu'à n'être qu'un point perdu dans les veines, l'infime reste du passé, ou de l'espérance.

La solitude saharienne est bien singulière, comme une guerre sans ennemi. Ni le cri ne peut la dire, et la larme ne saurait où couler, tant l'étendue effare l'œil. Et l'ocre sale du sable tapisse la vue, et l'âme est lisse comme l'indifférence. Etre le grain, être poussière, être la pierre, ou le ciel, n'être rien, infiniment rien, sans peur, sans désir, n'être que le pur mouvement qui doit se survivre.
Et pas une parcelle de soi ne retient l'ombre. Que de la lumière, que de la lumière brûlante, pas un seul contre jour, pas un seul flottement de l'air, seul l'éclat brutal et sauvage du jour qui s'affirme contre votre souffle, contre votre vie.

 

Il y a dans le jour qui se lève, dans le Sahara Africain, comme un défi, et comme un déni. Ici, dans ce temps de l'aurore, aucune forme de peut naître, aucune danse ne peut s'exercer, aucun chant ne peut monter, seul l'instinct et la prière contestent l'inévitable. Seul le murmure contredit le silence, seul l'acquiescement rassemble assez de force pour conserver le vertical besoin d'exister.
Et renouveler le pacte tacite du sixième jour.
Le consentement.

 

Il y a, dans le jour qui se lève, dans le Sahara Africain, un enjeu qui concerne la grâce, l'extraordinaire puissance de la grâce, celle qui épuise tout, qui précipite tout, la chair et le sang, et qui terrasse et ruine tout orgueil et toute vanité. Ici, et seulement ici, chaque être est au-delà du péché.

Les solitudes sahariennes sont bien singulières, car ce qui sauve le jour c'est le crépuscule, et ce qui le sacre, c'est la nuit. Si la constance et l'obstination vous soutiennent jusqu'au bout du soleil, jusqu'au bout de l'immensité plate et vide, alors le crépuscule vous guidera vers la nuit.
Car ici, c'est la nuit qui délivre, qui défend, et souvent guérit.
Car ici, la nuit renouvèle la confiance. Elle est révélation, et vérité.
Car c'est la nuit, et la nuit seulement, une fois que le jour est vaincu, que l'œil et l'âme se reposent du vide et du néant. La nuit du désert est une nuit vivante, elle est à taille humaine, à la taille des rêves. Elle est la certitude.
La nuit dans le Sahara Africain, il y a comme une bataille gagnée, et le sang peut battre à nouveau.

 

Dans les nuits du déserts il n'y a pas de fantôme, pas de spectre pour nous hanter, et les étoiles sont là, et chacune est un mot qui n'a pas été dit, est chacune est une femme aimée, et chacune bat la mesure du temps, et chacune est prière exhaussée, promesse à venir.
Dans les nuits du désert les puits sahariens épellent leurs noms, ils mêlent leurs voix à celles des étoiles filantes.
La nuit, dans la lente respiration du ciel, le regard enfin borné par la multitude innombrable des astres tremblants, on peut enfin pleurer et vivre, et même mourir devient possible.

La nuit est là, ardente, presque blanche, elle est belle, et franche, et charitable, comme une miséricorde. Et c'est enfin le temps du chant, fragile, et invincible...
Les solitudes sahariennes sont singulières...

Ainsi de l'écriture et de sa solitude comme seule maison.
Ainsi de l’écriture et de sa nuit comme seul chemin.
Franck

24 novembre 2007

Après le jour sans fin.....

Et il y eut cet été de Norvège, cet été au soleil palissant. Au soleil insistant. Où le jour appelait une nuit qui se dérobait. Te souviens-tu de l'été de Norvège, et des landes sans nom. Et ce jour éternel, presque inhumain. Qu'ils sont loin les étés de Norvège bordés par les forêts de Finlande et ce jour infini pour délier nos promesses et défaire nos chairs d’un désir agonisant.

 

 

Quelque chose de blanc accrochait nos paroles comme une pâle et monotone absence, celle qui nous attendait plus au sud, au retour. Finir l'amour au bout des terres, c'est finir davantage, c'est finir un peu plus. Finir l'amour dans ce jour caribou_usfws_375x250sans fin, c'est arrêter le temps sur la blessure, sur la faille.

 

Ce n'était plus la guerre. C'était juste la fin, la fin des terres de l'amour. Le Cap Nord de l'amour. La fin du continent. Avec sa falaise abrupte, et l'océan, et le jour sans lendemain. Et puis après plus rien. Plus rien.

 

 

Te souviens-tu de l'été de Norvège, de notre naufrage sur cette terre tachée de neiges éternelles, salies à force de ne pas fondre, salies par les vents de Norvège, et les mensonges et les distances et les oublis. Et de ce jour sans fin, et de ce temps à l'impossible nuit, et ce soleil blême qui décomposait sa course, jusqu'à l'arrêter, un soleil épuisé, sans chaleur avec juste un reste de tendresse lorsqu'il frôlait l'horizon sans l'atteindre, sans jamais plus l'atteindre, à peine une caresse, pas même un baiser sur les eaux mornes du nord. Et la fatigue de ce jour immortel où le sommeil exhortait la nuit à venir. Et qui ne venait pas. Jamais. Inlassablement le jour. Et le corps qui réclamait la nuit. Et nos gestes maladroits pour éviter les contacts. La chair se séparait de la chair à la vitesse de nos silences. Et de la gêne. Et tes pudeurs d'adolescente pour cacher la blancheur de tes seins. Serrés sous cette tente où nous avions si froid et où la peau s'interdisait la peau, où les regards fuyaient les regards, blottis dans le jour et tirant sur le froid comme sur une couverture, un gros édredon de manque glacial, blanchi par un soleil blafard.

 

Nos dernières nuits ne furent pas des nuits mais ce jour trop long, ce jour de plusieurs jours. Et pourtant nous étions sans impatience. L'habitude et le renoncement suffisait. La fin se dit toujours avant la fin. Et même si parfois l'ancienne complicité nous surprenait elle devenait douloureuse, à force de jour. Nos dernières nuits n'eurent pas de lit, pas de draps froissés, pas d'étoile, encore moins de lune. Nos dernières nuits furent sans caresse, sans soupir, comme si le bout des terres disait la fin de tout. La fin des mots. La fin des corps. Au bout de chaque histoire il y a une île, après cette île, une autre encore, et au bout de cette autre, il y a une falaise, et puis plus rien. Simplement la plainte obsessionnelle du ressac contre la pierre crue. Nous étions si près et déjà si éloigné. L'espace clôt de la voiture, l'espace clôt de la tente, l'espace clôt de nos silences. L'espace forclos de la falaise et ce jour impensable. Nous étions hors délais. Vaincus par l'usure. Et par le jour. La lumière interminable.

 

Et cette nuit qui nous manquait.
Les dieux nordiques se sont arrêtés là, au bout de cette falaise en jetant dans la mer quelques crocs de rocs durs pour mordre l'infini des flots, et comme seule musique les vents polaires et comme seule clarté ce jour bien trop long après cette nuit bien trop froide.

 

Nous sommes montés au nord comme par défi, acceptant par avance ce temps d'intimité comme la prolongation de nos malentendus. Nous sommes montés au nord sans espoir sur nous deux, sans rancœur, sans chagrin, sans doute, avec un peu de mélancolie. Comme pour accompagner le vol des oies sauvages. Et leurs cris dans le ciel dévasté de Novège.

 

Là-haut, au nord, les fleuves n'ont pas l'espace d'être des fleuves, ils n'ont que le temps d'hurler en torrent avant de se jeter des montagnes, saut de l'ange des eaux, bondissement d'écume et de rage. C'est un pays où les torrents meurent. C'est le pays des fins, des arrêts, des coupures, dans un jour infini. Et les torrents sautent dans le vide.

 

Pays métaphore, nouant nos contradictions en déliant nos vies. Et il y eut ce réveil insensé où la terre résonnait d'un tq_001722_gvacarme grandissant. Et il y eut ce bruit sourd qui venait de loin comme une apocalypse. Un fracas de la terre. Le grondement de la terre comme un orage des profondeurs. Et il y eut ce tremblement de la terre et du jour, et il y eut cet instant de terreur dans tes yeux et ce martèlement qui allait nous dévaster. Et notre jaillissement hors de nos sacs de couchage et brusquement cette vision. La horde des rennes. La horde ancestrale qui surgissait. Immense troupeau, qui venait de nulle part. Immense galop de la horde vers le nord, vers le bout des terres. Nous étions nus et les rennes galopaient tête et bois baissés. Il y en avait partout autour de nous. Et nous étions nus hébétés, transis dans ce déchaînement et cette explosion de violence brutale et entêté. Combien étaient-ils ? Cent.... Mille... dix mille. Et la horde se divisait à l'approche de notre petit campement. Où courraient-ils dans cette joie du galop ? Pourquoi allaient-ils vers ce nord, vers cette fin des terres ? Pourquoi cette jubilation de la course et cette désespérance ? Est-ce la mort que l'on cherche au septentrion de nos vies. Est-ce inscrit dans le sang des vivants qu'il faille aller au nord, au bout des terres ? Qu'il faille aller vers cette dernière falaise de cette dernière terre ?

 

Nous étions nus dans cette lande froide, envahis par cette horde primitive galopant vers le nord. Depuis le commencement des temps, galopant vers le nord.

 

La horde des rennes. La horde ancestrale qui surgissait. Immense troupeau, qui venait de nulle part. Immense galop de la horde vers le nord, vers le bout des terres, vers la fin des temps, et les rennes galopaient tête et bois baissés. Il y en avait partout autour de nous. Et nous étions nus hébétés, transis dans ce déchaînement et cette explosion de violence brutale et entêté. Et c’était au bout des terres. Et c’était la fin des temps.

 

Te souviens-tu de ce pays de Norvège ? De cet été. De ce jour sans nuit. Et de la horde. Et de la falaise. Et des vents 008_Apolaires. Te souviens-tu que tout au nord, est un lieu sans parole puisque c'est la fin des terres, et qu'à la fin des terres les mots n'ont plus de sens ? Hormis le saut. Sans parole hormis le hurlement du nord et le fracas de la horde dans son dernier galop. C'était un jour sans fin, sans véritable lendemain. Nous étions des torrents désolés, nous ne serions jamais fleuves, comme ces torrents de Norvège qui sautent dans la mer d'une écume bouillonnante et joyeuse et rageuse. Tu étais nue au milieu de la horde, tendant ta poitrine comme la dernière falaise de la dernière terre.

 

 

Ainsi l'écriture...
S'ouvrant dans la blancheur des temps, le lieu définitif des premiers mots, après les dernières terres.
Ainsi l’écriture,
qui déploie son silence après les derniers instants.
Au-delà du vide, au-delà du rien, commence le renouveau du texte, une simple désespérance.
Juste après la fin.
Et faire apparaitre la nuit dans un jour sans fin.
Et accomplir l’inachevable.
Ainsi l’écriture.

 

Franck.

 

 

19 novembre 2007

Parler est une chose difficile.....

Parler de nous est une chose difficile puisque nous sommes sur cet étrange fil. En équilibre. Entre nos vies défaites, entre espoir et fatalité. Et puisqu’il nous faut arracher aussi bien la tragédie que le triste ou le sérieux. Et que nos jardins sont encombrés. Enlianés dans l’enchevêtrement de nos actes désemparés, et de nos rêves usés, parce qu’ils ont trop servi. Encombrés par l’amoncèlement de nos amours anciennes inachevées, inachevables.

Et puisque les jours ont enseveli les jours, et que les nuits ont obstrué les jours, et que même les saisons ont étouffé les jours. Alors parler de nous est une chose difficile. Puisqu’il me faut gratter la terre de mes échecs et exhumer à nouveau au soleil chacun de mes os blanchis, ces os lourds de mess errances et pourtant si fragiles. Si cassables. Il me faut retrouver maintenant la pudeur et la vertu de mes temps d’avant, il faut réinventer le pur, le simple, il faut chercher ce qui reste en moi d’inaltéré, de cristallin. L’enfant. Le pèlerin. Il faut aller chercher la larme qui se refuse.

L’infime. Le vulnérable. Le point. L’unique point de résistance. Celui qui rassemble et totalise. Celui par lequel l’axe du baiserciel jailli, à l’aplomb du soleil. Il suffit de prendre la nuit en abscisse et le ciel en ordonnée, les deux tendent vers l’infini bien sûr, alors les étoiles s’allument, il n’y a plus qu’à joindre chaque lueur de cet espace et d’en faire la courbe exponentielle, au bout se trouve la charnière du cœur à ouvrir. Pour vérifier que les calculs sont justes, il faut dessiner une croix, celle qui nous crucifie, en ordonnée mettre l’amour et en abscisse l’attente, et si ça saigne c’est normal, on doit voir apparaître une myriade de points, ce sont les heures de notre vie, on les additionne, puis, il ne reste plus qu’à diviser par de nombre d’or, s’il n’y a pas de nombre d’or près de soi, on peut prendre le nombre de platine, ou de mercure, cela ne fausse pas les calculs. On peut même utiliser une agate, une topaze, un petit caillou, ou simplement un rêve d’enfant.

C’est mieux un rêve.

C’est toujours mieux les rêves.

 

 

 

D’abord renoncer à ne plus renoncer. Et pour commencer, abandonner. Partir du point vernal. De l’articulation des saisons. Il faut se mettre dans l’embrasure du jour et de la nuit, à cet endroit du clivage de la lumière, à cette place de la coupure, où l’âme se décolle de nos mythes. Avec l’incision du rêve. Et en accepter le sang.

 

 

 

Car le temps s’approche de nous, avec sa lenteur, ces à-coups. Et nos os tremblent un peu.

Alors parler de nous c’est difficile. Ca serait parler de l’attente et de cette tension des nerfs, ça serait parler de la nudité tout contre la nudité. Ca serait dire nos bouches et leurs murmures de nuit, et leurs soupirs humides, et les caresses brûlantes dans l’exaltation de la découverte. Ca serait dire la faim et la soif et la fièvre rouge de l’offrande,  et la sueur des sexes contre les sexes. Ca serait dire tes eaux et mon navire, et la tempête qui brasse nos gestes et l’effleurement des lèvres sur ton ventre et cette traversée profonde au cœur de nos désirs, de nos appels.

Tu comprends, ça serait dire l’obscur pour en faire la lumière et appeler Satan pour nous encourager. Ca serait ne plus se connaître et pourtant se connaître à jamais. Ca serait dire la blancheur de ta peau et les couleurs d’orange de ton sexe qui se déploie, et l’enlacement de tes hanches et la poussée des muscles et le serrement de nos cuisses. Ca serait dire ta langue comme un tison ardant sur mes terres secrètes. Ca serait dire les morsures et les écartements et le vertige et les secousses et la charge. Ca serait dire le cercle de feu que le compas de tes cuisses ouvertes dessinerait sur les murs de la chambre. Parler de nous, ça serait dire l’essoufflement de la course batailleuse de nos mains, nos mains voraces dévorant nos chairs offertes, nos chairs béantes, nos chairs promesses. Parler de nous, ça serait dire l’épuisement et le triomphe après nos pénitences et la consolation après les jouissances et l’enchantement d’un temps nouveau. Pour parler de nous il faudrait oublier nos dignités, nos élégances pour inventer, une fois de plus, la grâce et l’harmonie…
Que ta bouche soit le brasier et que ton ventre soit la fournaise, brûle !…. brûle !…. soit l’incendie !… brûle-moi !…anéantis-moi…. !

Maintenant !
Franck

18 novembre 2007

Si demain.....

Et les tombes se souviennent de nous.

Et leurs paupières closes cachent les yeux de nos souvenirs.

 

 

 

Dans l’orbe d’une attente infinie, se tait l’impossible caresse du manque.

 

 

 

Et chaque jour je croise le regard de mes morts.

 

 

 

Le poème tient dans le creux de ma main, épousant la ligne de vie, inventant la ligne de cœur.2005723681412820

Le poème tient dans le creux de ma main comme la chair tendre d’un sein.

Un poids de chair tendre.

 

 

 

Des souvenirs comme des pierres. Un peu lourdes. Un peu rugueuses. Un peu grises, ou noires. Des souvenirs inusables, comme des pierres qui raclent, qui frottent. Et qui s’usent moins que le temps.

Mémoire de pierres à peine dégrossies.

Coupante encore.

Epaisseur indéchiffrable. Immobile. Froide d’un silence séculaire.

Souvenirs sans impatience, tellement sûr de notre capitulation.

Ils pèsent de leur inertie, de leur abandon.

Ils pèsent de notre ignorance.

Et nous accablent lorsqu’on les oublie.

 

 

 

Nous sommes sans paroles.

 

 

 

Le chaos n’est rien, ce qui nous épuise, c’est cet entêtement à vouloir le redresser.

 

 

 

Nous sommes sans parole.

Les chairs de l’amour s’articulent dans des phrases imprononçables.

Et la chair est toujours orpheline.

Elle porte déjà le deuil de la mort à venir.

 

 

 

Pourtant si demain c’était toi, demain ne serait plus qu’un seul et unique jour. Un seul et unique temps. Un seul et unique soleil.

Le poème tient dans le creux de ma main, épousant la ligne de vie, inventant la ligne de cœur.

Le poème tient dans le creux de ma main comme la chair tendre d’un sein.

Un poids de chair tendre.

Et dans l’orbe d’une attente infinie se tient la possible caresse du monde.

Et les chairs ne sont rien sans les mots qui les voilent.

 

 

 

Nous sommes sans parole. Et il me faut inventer une langue pour accueillir le tremblement. Il me faut nommer les silences, et chacun sait que c’est une folie.

 

 

 

Nos îles muettes font de grands reposoirs aux poèmes perdus. Elles savent les chants des naufragés, mais elles se taisent.  Nous sommes sans parole. Et nos chairs orphelines s’effondrent toujours un peu plus, comme cette neige qui tombe.

Qui tombe…. Qui tombe….

Franck.

                                                       la_20jeune_20fille_20au_20turban

17 novembre 2007

En marche......

La porte de demain est sans serrure, elle est ouverte aux vents.

 

 

 

Seule la lumière des mots est subversive. Ainsi le poète.
Seul le silence est subversif. Ainsi l’homme en prière.
Seul l’acte sorti de l’arc de l’amour est subversif. Ainsi l’amoureuse. Ainsi l’amoureux.
Tout le reste est bruit, vacarme. Danse du ventre. Agitation.

 

 

 

Derrière la vitre je vois les landes dévastées. Landes froides de bruyère. Et plus loin encore, les grands champs de neige de la mélancolie.

Ma marche vers toi est subversive puisque je dois gagner en lumière, puisque je dois accueillir un silence grand comme un océan, puisque je dois tirer si fort sur un arc si dur. Ma marche vers toi est une révolution, une longue marche à travers toutes les murailles de Chine.

Je suis en marche. Parti tôt. Car c’est mon plus long voyage. Le plus dangereux. Ici, point de lions, de forêt, de brigands.1188021 Ici, point de montagne infranchissable, point de ravin. Ici, ce ne sont pas les kilomètres qui usent et fatiguent, c’est la mémoire. Car c’est mon plus long voyage. Le plus dangereux. Ici point de villes obscures, point de Sodome, point de Gomorrhe. Non, ici le seul danger ne peut venir que de moi. Et mes seuls compagnons sont les mots. Ceux que je trouve avec tant de difficultés sur mes talus arides et rocailleux. Les mots. Mes mots. Que je traîne, ou qui me traînent selon la pente du soleil.

Je suis en marche. Je viens. Et je viens à moi à moi-même. Et je viens à toi en revenant des morts. Nu. Tirant sur le souffle de ma parole. Je viens en perçant mes orages, en trouant mes ténèbres. Je viens envers et contre le temps, envers et contre l’espace qui nous sépare. A rebours. A rebours du désir pour le réinventer, et contre les évidences des âges. Je n’ai que des couleurs pour me guider vers toi, je n’ai que des musiques pour me porter, mais c’est suffisant. Tout le reste n’est que bruit, vacarme. Danse du ventre. Agitation.

 

 

 

Je n’ai que ma pauvreté pour toi, mais tu sais, je l’ai chèrement gagné. N’est pas pauvre et nu qui veut. Car il ne s’agit pas de se dépoitrailler pour être nu. La nudité de soi se gagne les yeux baissés, dans le silence et l’abandon, elle se gagne dans l’offrande faite au jour, elle se gagne dans l’épuisement des forces, dans le crépuscule. Elle se gagne à la flamme d’une bougie. Elle se gagne dans le recommencement après la chute. Et dans les tremblements, après la peur. Et dans l’effondrement après le désastre. Pour être nu il faut abandonner toutes ses guerres, toutes ses colères, s’être vidé dix fois de son sang, et avoir éprouvé ses propres larmes sans honte, sans remords. Être nu c’est le privilège des rois, des seigneurs sans royaumes, des chevaliers à la triste figure. Être nu c’est ne plus attendre des autres, et être patient de soi, c’est appeler l’absence, la reconnaître et l’aimer d’un seul regard. Être nu c’est être seul, seul de soi, dépourvu, perdu. Etre nu c’est accueillir la peur sans peur, et se désaltérer du manque. Voilà, être nu et pauvre, c’est brûler avec une infinie compassion, une infinie constance, avec l’opiniâtreté d’un laboureur et la fidélité de l’enfant à sa mère.

 

 

 

Serais-je assez digne pour te faire ce cadeau ? Serais-je assez fort et puissant pour le porter jusqu’à toi ?

 

 

 

Derrière la vitre je vois les landes dévastées. Landes froides de bruyère. Et plus loin encore, les grands champs de neige de la mélancolie. Et plus loin, le demain que porte dans le creux de tes mains, comme une eau pure à boire. L’offrande.

L’abondance du printemps au cœur du désastre.

Comme une fleur inexorable.

 

 

 

Et l’aube, enfin, peut se lever.

 

 

 

Franck

11 novembre 2007

Lettre ouverte à Hélène Grimaud....

Chère Hélène Grimaud,

 

Chaque vie possède une ligne mélodique, une musique qui n’advient qu’après le chaos.
La langue qui la dit est blanche, c’est la langue du lait, celle de la mère qui allaite son enfant, celle des prières ou des aveux, elle résonne en nous pour dire l’impossible, l’indicible, l’inaudible de l’amour. Seul le vent lui fait écho. Elle est destinée à se perdre…
Peut-être pour nous racheter.
Tenter de vous célébrer est certainement vain, sans doute puéril, tant certaines évidences n’ont besoin que de silence et de recueillement. Alors….alors retrouver la blancheur des mots.
Au début il y a une apparition, une fulgurance qui embrase l’instant, un écrasement lumineux.e0033_0
Au début il y a un ange qui s’ébroue dans l’éclat du soleil, une foudre étoilée.
Pardonnez-moi mon audace, sans doute me faut-il répondre à la fascination, à ce saisissement, au brusque étranglement de la vie, à cette suffocation de l’âme.
Votre image est venue percer l’épaisseur du jour jusqu’à blesser les heures. Jusqu’à les aggraver. Le flot du sang m’envahi, je suis submergé par le rêve et je poursuis la déroute de la lumière dans la valse inquiète des ombres.
Vous dire mon admiration, ma fascination ? Oui, bien sûr, mais pas uniquement, cela ne suffirait pas, il faut que je sois au plus près de mes dragons, des gouffres qui gisent en moi. Etre dans l’imminence d’un danger.

Ecrire conjure le vide. C’est la tentative d’un dialogue avec sa part la plus irréductible, sans doute la plus douloureuse.
Car il s’agit de côtoyer les mystères de les frôler, de les désigner de les ressusciter. Il faut rajouter quelque chose au vivre, soit pour le parfaire soit pour le refaire, pour lui donner enfin sa dimension de silence. De ferveur.
En fait, écrire nous dit la noirceur de nos actes, de nos paroles et le trou décelé dans l’écorce crevassée de nos vies démembrées.
Ecrire touche à la substance même de ce que nous ignorons.
Ce qui fut ignoré sera écrit
Ce qui n’a put être dit sera écrit
Ce qui n’a put être écouté sera écrit
Ce qui a été refusé sera écrit
Ce qui a été perdu sera écrit
Ce qui a été espéré sera écrit
Ce qui a été pleuré sera écrit
Alors, alors seulement, ce qui aura été écrit sera chanté.

 

Je ne suis pas musicien à peine mélomane, au fond, juste un écoutant qui se laisse transporter par son émotion, souvent par sa solitude, toujours par un chagrin.

Les doigts, vos doigts, coulaient sur le piano ; douce et folle farandole de notes tourmentées sur la valse éclatée d’un Chopin triomphant.
Les doigts coulaient sur le piano ; ruisseau nostalgique de résonances recueillies sur les pétales rougis des roses.
Les doigts coulaient sur le piano ; vertige de neige argentée au bout de l’hiver languissant
Les doigts coulaient sur le piano ; funambules sur des lunes livides, danse chavirante, liturgie magique, ensorcelante.
Papillons des doigts… chrysalide de l’âme…

 

Et puis votre voix…

Grave, sourde, pas une voix de bouche, mais une voix de corps, une voix de nuit chargée d’ombres avec des mots de helene_grimaudlumières.
Voix venue du silence, dépouillée, nue, lourde de son urgence, lourde comme gorgée de vie, lourde d’un feu primordial.
Voix propulsée pour se survivre, souffle d’hiver qui appelle la neige, souffle du vent sur la lande.
Pure tension d’absolu, prière vibrante au-delà du murmure, au-delà des couleurs.
Ardeur radieuse, voix de l’amour qui invente l’amour.
Vous avez conquis l’âme du monde pour l’accomplir ou la brûler. Pour l’accomplir en la brûlant.
La puissance ne serait rien s’il n’y avait pas l’abandon et l’abandon pure folie s’il n’y avait pas l’offrande.
L’amour véritable c’est peut-être cela, la puissance et l’offrande qui passent ensembles sous la même arche, la puissance qui s’exalte de sa disparition, saisie d’un trouble d’une douleur sublime pour ouvrir le ciel, éclabousser la nuit. Et l’augmenter. Et l’alourdir.

 

J’écoute… une musique calme, captivante, pénétrante, une vague inaltérée, effleurement de notes claires, de notes d’eau lustrale, de notes qui se donnent la main dans une ronde lente juste un peu triste. Comme si la mélancolie était la seule clé possible pour le pays de la joie.

Les lueurs du soir se condensent sous le sortilège des sons. La rêverie s’incline peu à peu et longe un court instant l’éternité, un très court instant. Juste ce qu’il faut, trop d’éternité profanerait la peau de l’âme.

 

Et la cathédrale s’élève autour de sa rosace comme autour d’un regard, par elle, à travers elle se réalise une mystique alchimie de la grâce.
Ainsi votre regard, captant le bleu au-delà du bleu du ciel, toujours en avance d’une vision. Regard d’abondance. Regard étincelant de fleurs incendiées.
Comment tant de force sans l’ombre d’une violence ? Comment tant de pouvoir sans l’once d’un mépris ?
Vos yeux évoquent des terres brûlées de solitude. Dans une fixité irréelle des lacs de montagne ils racontent l’enfance qui s’entête pour ne renoncer à aucun de ses rêves. Ils désignent cette parcelle de vérité faite d’invisible et de douleur, de véhémence et de piété.
Regard d’étoiles qui consument nos peurs. Ouvrant l’espace il nous atteint à la place la plus chancelante, il pourrait nous anéantir pourtant il nous retient dans sa flamme déposant sur nos cœurs la poussière d’or d’un ange.

 

Sans doute la musique est-elle l’expression la plus épurée d’une tension. Elle semble relier les silences en soutenant leurs fragilités en deçà et au-delà de nos vies comme si l’infini traversait nos chairs.
Elle est ce lien tissé de nos manques, un souffle d’aurore brûlant le crépuscule, un ruisseau de lumière apprivoisée, tous les mots de la langue décomposés en rosée par l’attente et nos veillées désolées.
Il y a dans la musique quelque chose qui appartient à la nuit profonde qui est cette façon d’aller vers la vie dans l’intensité d’un désespoir, et qui s’oppose à la vacuité de nos destinées. C’est une stridence impossible faite d’extase et de mort, de volupté et d’effroi, quelque chose qui nous dévisage pour nous perdre ou nous sauver, pour nous perdre en nous sauvant, pour dire notre absolue finitude et notre résurrection inévitable. Notre sublime défaite.

Nul lieu ne nous attend.
Nul temps ne nous espère.
Nous sommes issus d’une fièvre ou d’une folie, nous sommes une trace qui s’épuise dans l’infini des cieux, une ivresse à 1372148tla dérive, une note qui s’obstine, un rêve qui s’effiloche, un simple souvenir dans la mémoire des dieux.

 

Voilà pourquoi vous êtes si importante, si essentielle : à cause de notre insoutenable vulnérabilité que vous savez étreindre si fort comme si le miracle nous appartenait, à cause de nos épuisements sans fin que vous transfigurez par votre seule présence.
Vous venez du pays d’Eurydice et de la lyre d’Orphée et votre regard ne nous trahit pas, il nous guide hors des doutes, hors des ténèbres sur des chemins sacrés, avec assez de folie pour qu’on veuille perdre la raison.

 

Maintenant vous êtes au piano…

 

Le monde est effacé… il n’en reste que le souffle, le silence et l’appel d’un loup, il n’en reste rien ou si peu. Pourtant tout contrejourest là dans la profusion de la vie qui commence, dans l’exubérance d’une joie nouvelle, immaculée, dans la majesté d’un dépouillement.

Vous êtes au piano, j’entends la simplicité d’une émotion qui se dénude, bienveillante simplicité, quelques notes sur une portée, des silences, des soupirs, juste de quoi accrocher un sourire. Si peu de chose, pour un extraordinaire déluge.

Il est temps de terminer cette lettre, de la refermer avec précaution comme le couvercle d’une boîte à musique, ou comme une porte sur le sommeil d’une chambre d’enfant.
Il est temps d’aller marcher dans la ville, de se laisser envahir par les grisailles de l’hiver qui arrive, j’ai pour m’accompagner une petite lueur arc-en-ciel dont chaque couleur soutient quelques notes invincibles.

 

Je vous prie, Hélène Grimaud, d’accepter mes plus chaleureux remerciements ; merci d’être ce que vous êtes, merci de le donner à voir et à entendre avec générosité et simplicité, merci d’entrouvrir la porte sacrée de la transcendance et d’être cette page lumineuse du livre obscur du monde.

 

 

Franck NICOLAS.

10 novembre 2007

L'infini du fleuve.....

J’ai peur mon amour, de te dire mon amour, et je te dis mon amour, pour ne plus avoir peur.

 

Au départ, la route des infinis est une route solitaire, loin des hommes, des foules. On part du plus faible pour arriver au plus fragile. Ainsi le fleuve. Ainsi l’amour. Ainsi notre amour. Ainsi le temps qui nous éloigne. Ainsi le fleuve.

 

Tu n’es pas l’amoureuse qui descend les marches de l’extase abandonnant sa tunique et ses masques, courant au plus droit du désir, au plus près de sa perte, joyeuse et gracieuse, le cœur brûlant, les chairs tremblantes. Non, tu n’es pas cette amoureuse là.
Tu n’es pas l’insouciante, ni l’inconstante, ni la désinvolte. Tu n’es pas l’illusion de l’amour, ses vapeurs, ses fumées roses ou vertes. Tu n’es pas dans ces dentelles là.
Non, tu n’es pas.
Qui es-tu alors ? Qui es-tu si tu n‘es pas celle-là ?
Quelle amoureuse es-tu ? De quoi est faite notre marche du plus fragile au plus faible ? De quoi est fait le fleuve ?
Tu es la forme même de l’amour. La forme qui appelle toutes les formes. Tu en es le cri. Le premier cri, celui de l’arrachement, celui qu’on jette aux quatre horizons. De l’amour, tu en es la lame qui pénètre la chair pour la sauver de l’affaissement. Tu en es l’extrême et l’urgence. Tu en es la première exigence. Tu en es l’aube. Mais pas seulement. Plus qu’une aube, plus qu’un commencement, plus qu’une promesse. Tu en es la révélation et l’évidence nue, puisque tu n’a rien évité, ni les blessures, ni les désirs, ni les passions, ni les souillures, ni les trahisons. Voilà ce que j’entends, quand tu dis notre amour. Et quand tu dis notre amour, je sais le fil tendu sur lequel tu marches. Je sais les gouffres qui nous appellent ensemble. Je sais la mort qui nous guette, qui nous nargue.
Et les deux infinis.
Et le zénith.
Et le Nadir
Tu es le fleuve.
Fleuve, qui a fendu les continents. Tu es le partage des terres. Nul pont ne te traverse. Nul ne remonte tes cataractes. Et tes eaux bouillonnent, impénétrables, et grosses des ruissellements noirs des rives, et tes eaux débordent de toutes tes nuits invraisemblables, et elles charrient des os cassés mélangés aux chagrins humains, aux plaintes des enfants. Tu es flot de blessures. Et tu es cette forme de l’amour qui épanche son sang et sa chair écumante et fougueuse. Et tu es cette première forme de la supplique des eaux. Comme la source qui réclame déjà l’océan. Comme la rosée qui espère déjà le ciel.
Tu es le fleuve dans le grouillement jubilatoire des eaux qui fait un rêve d’estuaire.
Un rêve d’estuaire.
Car tes eaux appellent la plénitude de l’estuaire. Le mariage des eaux sacrées à l’acmé de leurs œuvres. Et je suis la mer qui s’offre ouvrant large ses entrailles. Et tu es le fleuve étalant sa délivrance dans sa course vers l’horizon, poussant ses eaux toujours plus loin dans la profusion magnifique de sa voix.
Tu sais, il y a un point du fleuve. Il y a un point du temps. Il y a un point du désir où la violence des eaux jaillissantes doit s’effacer, doit presque s’effondrer. C’est le temps des mélanges des eaux. Des fiançailles. Il y a un temps de l’alliance. Il y a un temps du fleuve où les eaux consentent à la confiance. Il y a un temps du destin où le fleuve étend ses larges mains ouvertes vers l’océan, vers l’horizon. Il y a un temps où la mer se rassemble pour accueillir le fleuve. Et le fleuve, enfin, peut se reposer dans sa grâce totalisée.
Et chaque vague refait le chant.
J’enlèverai une à une les épines de colères qui blessent l’intérieur de ta vie, aux jointures de tes souvenirs, aux articulations du passé.
Et chaque vague.
Je goûterai chaque plat avant tes lèvres et chaque eau avant ta gorge pour t’éviter les poisons.
Et chaque vague.
Je serai l’épaule, la canne, je porterai la lampe, j’allumerai le feu, le soir.
Je dresserai les esprits des revenants à ne pas t’effrayer, à se vêtir de prévenances. J’enfermerai tes fantômes dans les placards du temps.
Et chaque vague.
Je taillerai comme un rosier chacun de tes jours, je polirai toutes tes heures pour les arrondir. Mon rabot à misère usera les angles de ta mémoire écorchée.
Et chaque vague.
Je prendrai la lueur de la lune pour t’en faire un voile d’or pâle aux plis d’ombres sauvages et j’en recouvrirai ta peau nue et silencieuse.
Et chaque vague jusqu’à l’estuaire.
Car le lieu de nous deux est un lieu illimité, démesuré, que chaque baiser inventera et agrandira, que chaque caresse élargira, que chaque regard éclairera et qui va du plus faible au plus fragile. Ainsi nos âmes entre la source et l’océan. Ainsi le fleuve de notre amour. Et chaque vague.

 

J’ai peur mon amour, de te dire mon amour, et je te dis mon amour, pour ne plus avoir peur.
Franck.

 

4 novembre 2007

Musique et voix.....

Parce qu'il faut bien y revenir.
Au départ on est dans la distance. Ecrasé par cette distance. Elle nous a d’abord pénétré. Après, elle nous écrase. On est rien. On le sait. Et nos doigts hésitent sur le clavier. L’image de la page sur l’écran est un horizon impossible. Et rien n’est là. Où plutôt tout est là, et rien ne vit. Rien ne tremble. On est recroquevillé dans son propre silence. Et parfois on voudrait que cela dure une éternité. La distance et ce temps mort, vidé de tout, vidé de soi. Même l’écrasement. Plus rien, n’être plus rien sinon cette attente impossible dans cette distance terrifiante. Plus rien, et l’on sait qu’il va falloir encore perdre quelque chose. Perdre encore et toujours, les guerres, sa vie, soi. Perdre quelque chose de soi. A cet d’instant d’écrire on sait qu’il va falloir perdre quelque chose de soi. Car les mots naissent de cette perte et de cet écrasement. Et de cette déchirure entre l’air qu’on respire et le poumon qui hésite dans son mouvement d’aspiration, d’élargissement. Ils naissent aussi de cette peur et de cette tension qui vrille jusqu’à l’insoutenable parfois. Parfois seulement. Que puis-je perdre encore que je n’aurais déjà perdu ?

Au départ écrire c’est errer dans cet espace de silence, et dans la volonté toute tendue de la perte. Comme pour le sacre247800 d’une défaite. Puisque écrire est une défaite. Majestueuse défaite. Somptueuse. Mais défaite, aussi. Puisque c’est la continuation et la sanctification de l’inachevable, puisque c’est la prolongation du manque, jusqu’à sa magnificence, et dans la profusion du vide, jusqu’à son débordement. Ruissellement de néant, écoulement magnifique, hémorragie de mortification vaine et pourtant indispensable.

Alors il faut se trouver là, à cet endroit de nous impraticable, et consentir assez, pour être envahi une dernière fois. Toujours, et encore une dernière fois. Mort annoncée, cent fois promise, cent fois espéré, cent fois recommencée.

Au départ on est dans ce désert de nous. La parole a refluée ne laissant rien derrière elle, pas un seul mot, rien, ou alors des rognures, des phrases cabossées par les précédentes marées, que des verbes usés comme des galets par la banalité. C’est le temps de l’appel. De la peur et de l’espoir.

Au départ ce n’est presque rien. Un simple son, comme un murmure à peine audible, une modulation lente. Lente et profonde. Elle vient de loin, de si loin. Elle vient de traverser le désert de vos hostilités et de vos résistances et semble ne pas pouvoir aller plus avant. Pourtant elle est là, fragile, invincible.
Une et innombrable.
Vivante.
Enfin…
Au départ, à l’intérieur, il y a comme une note de musique infime et dérisoire qui vient de nulle part, et qui insiste, et qui tient, et qui se survit à elle-même. Et qui vient absolument. Elle est dans le corps, et ça prend tout le corps. Elle est comme une brise sortie du néant de mes chairs. Elle est mon miracle et mon désespoir. Elle est ma mort et ma résurrection. Elle est un fil tendu au-dessus du gouffre de mes années perdues. C’est une note, une simple modulation à l’intérieur, un murmure grave, lent, profond, qui prend de plus en plus de souffle. Ca ressemble au basson et au violoncelle. Une rumeur lente à l’intérieur qui résonne. Une rumeur qui passe le long des os. Un lent cortège processionne dans ma poitrine. Un vertige au ralenti. Un basculement.

Et ce sont les premiers mots. Qui cherchent l’accord. La confluence. Pour bien comprendre il faut imaginer la vague qui hésite. Ecrire tient tout dans cet hésitement de la vague, et dans ce déploiement qui s’oppose à l’évidence du mouvement. La déchirure.

Au début, c’est le temps des gammes, la main des mots oscille entre incertitude et irrésolution sur le clavier de la parole. C’est une musique inconnue qui se déchiffre au fur et à mesure des douleurs, des résonances. Des creux, des cris. J’entends la musique à l’intérieur et je cherche la voix qui pourrait la dire.  Je ne sais d’où elle vient, mais elle là. Comme un tyran, comme une déesse, elle est l’enfant qui refuse, et le désir qui s’embarque. Il faut comprendre, j’ai d’abord cette musique tapie dans le fond de ma gorge, à l’arrière de ma vie. Et la voix. La voix, cette nuit qui monte dans le texte, et les aurores qui gisent dans la vapeur des ombres. La voix cette imminence toujours reportée. Et chaque mot est un son avant d’être un sens. Chaque mot est d’abord symphonie, couleur, cascade. Et chaque mot sera dit. Chaque mot sera prononcé à haute voix. Sera nourrit du sang de la voix. Car chaque mot contient le suivant. D’ailleurs bien souvent il sait le suivant bien avant moi. Ma respiration donne le rythme. Je lis et relis les morceaux de phrases, les bouts de paragraphe et ma respiration bat la mesure. C’est mon souffle qui fait foi. C’est la véhémence et l’exaltation des résonances qui font foi.

Peu à peu je me rends compte que ce n’est plus le désert du début, peu à peu c’est un concert à l’intérieur, un concert qui vient de nulle part et qui grossi. Chaque son appelle un sens, chaque sens un rythme, une cadence différente. A l’envahissement du vide succède l’envahissement de la profusion des sensations, des émotions, comme des risées de vent sur la peau de ma voix. Quelque chose s’invente. Et je suis là, sans y être vraiment, au centre d’une dévastation comme traversé. Fendu. Fracassé. Et c’est le temps océan.

C’est le temps où il faut tenir. Tenir le texte, ne pas tomber dans l’épuisement, dans l’aveuglement, l’enivrement, la leofrénésie. Tenir les mots, comme on tient le cap, comme des notes qu’on poserait avec lenteur sur la portée. Avec lenteur, précaution. Vérifiant inlassablement les harmonies. Rajoutant croches et double croches, ponctuant ici d’un soupir, et là d’un silence. Tenir. Comme le musicien qui écrit sa musique et qui veut quand même la jouer, qui veut quand même l’entendre autrement que dans ses fibres. Tenir. Tenir la note. L’épuiser dans son corps.

Il y a des jours où la mélodie à l’intérieur est lente, emprunte de fatalité, de tragique, avec elle ce sont les grandes landes de bruyères sauvages qui arrivent, c’est une musique de steppe, c’est une musique de cosaque triste, de tartare qui galope sans fin, dans une Tartarie sans fin. Certains jours je voudrais mourir à cheval dans un galop d’enfer, certains jours mes mots sont cheval, crinière au vent, mes mot sont le vents et mes mots sont claquements de sabots, et je frappe le clavier avec acharnement parce que les mots sont des essoufflements, et que je crie dans les landes de mes déserts de Tartarie sans fin. Sans fin. Sans fin.

Certains jours ma musique sort de l’ombre. Elle a la lenteur des mauvais jours et l’inquiétante langueur des heures pesante et maussades, et le son du basson rase les murs de mon absence, de mes angoisses. La note tient, mais demeure dans l’ombre, et dans le tremblement, et peu à peu c’est l’orgue, l’orgue d’ombre avec ses accords lourds d’ombres, qui essayent de s’arracher aux pierres de ma cathédrale éteinte et muette. Ces jours-là je suis dans les pierres grises et froides et chaque mot est un éclat que le burin extrait. Coup après coup. Et la parole est sculpture de pierre qui se refuse. Alors je tape, je cogne, et chaque mot est mâché, remâché, déchiré, ânonnement lancinant d’une prière qui n’arrive pas à se dire, à s’élancer, à trouer l’espace du verbe, chaque mot écrit dégage alors un vide encore plus effrayant qu’il faut combler dans un autre saut vers l’inconnu. Et je casse les phrases comme on casse des rochers. C’est éreintant. L’ombre monte comme une marée désastreuse. Une marée d’hiver. Sans pitié. Et c’est un bonheur.

Tenir le texte, c’est tenir la note, sans trembler, sans se lasser, sans être détruit. Défait, mais pas détruit. Et parfois reprendre sa respiration. Refaire circuler le souffle sur sa peau, retrouver le rythme, la cadence, le balancement, les accords, les dissonances, les contrepoints. Tenir le texte, c’est reposer ses doigts sur le clavier et refaire des gammes comme aux temps anciens, et c’est souffrir des articulations nouées, et de la raideur des souvenirs.

Un jour quelqu’un m’a dit, si tu veux écrire il faut que tu manges, prends un solide petit déjeuner, parce qu’écrire c’est beaucoup d’énergie. J’aime cette approche qui fait de l’écriture un art du corps. La mobilisation des muscles, de la respiration, des battements du cœur. Ecrire c’est engager tout son corps dans la parole. Tout. Même le sang s’il le faut. Surtout le sang. On ne bouge pas, pourtant tout est en mouvement, on transpire, on sue de cette immobilité comprimée d’élan.

Il n’y a pas de muses là-dedans, il n’y a pas de fée Clochette, il n’y a pas d’exaltation romantique. Là, je me sens paysan, paysan de ma Creuse attelé à ma charrue. Un paysan qui baisse la tête pour éviter de voir la longueur des sillons qu’il faudra retourner, et la longueur des jours qu’il faudra supporter.

Tenir le texte, c’est tenir la distance, l’infinie distance, et la tenir à bout de bras, à bout de rêve. Ecrire c’est labourer, avec lenteur et détermination. C’est labourer son corps, sa chair, sa mémoire, c’est appeler la rêverie et n’en recevoir que la poussière, et ne pas s’en contenter, c’est vouloir le plus, le mieux, le toujours, l’irrévocable, c’est savoir notre finitude et continuer à croire en l’éternité, c’est ne rien lâcher, même dans l’abandon. Ne rien lâcher. Tenir. Tenir la note, brelle texte, comme on tiendrait la main de l’amoureuse.    

Parce qu’écrire ne nous sauve pas, pourtant les mots nous secourent quand ils viennent à nous. Il nous mette en sursit et en espérance. Puisque écrire c’est rejoindre, rejoindre l’inconnu qui nous appelle. Puisque c’est répondre au cri inconnaissable par un cri inconnu. Puisque écrire et aimer c’est le même mot. Puisque celui qui écrit, quelque soit sa situation, est en état d’amour. Même s’il ne le sait pas. Ecrire c’est aimer, c’est témoigner de notre solitude et l’encrer pour l’offrir, c’est poser une forme là où il n’y avait que chaos, et célébrer le manque puisqu’il est promesse. Oui, écrire c’est le sacre du manque et du mouvement qui exige qu’on le dépasse pour le prolonger dans les flammes de notre désir.

Au départ c’est une musique. Je ne sais pas d’où elle vient, mais elle me traverse et j’essaye d’y accrocher des mots. Elle doit venir de loin, de plus loin que moi, et j’essaye simplement de lui faire assez de place, et je consens simplement à ce qu’elle me dévaste, et je pétris.

Chaque texte est une mélodie et l’impossible tentative de la dire.

C’est le temps de la fin. A l’intérieur le son se fait plus doux, plus calme. C’est à nouveau une grande étendue. Large. Lumineuse. Sereine. C’est le temps de la fin, de l’effondrement, de la défaite et de la joie, c’est le temps de l’amour et du manque lumineux, c’est le temps de la plus grande solitude. Immense comme un soleil. Immense comme un grand champ de neige.

C’est le temps du silence grave, presque solennel et de la paix.

On peut éteindre l’écran, on peu partir, on peut mourir, puisque plus rien n’a d’importance hormis le ciel qui couronne notre prodigieuse ruine….n’être qu’un errant dépourvu de lui-même.

Et le texte peut se défaire. D’ailleurs, il est déjà défait…

L’effacement, absolument.

Franck.

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