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J'irai marcher par-delà les nuages

31 mars 2007

Réponse à Ahosera.....

Il fallait que je vous remercie de votre réponse. Votre belle réponse. Et n’ayez crainte, en aucune manière je ne l’ai reçu comme une quelconque tentative de persuasion. Vous comme moi, nous ne croyons pas aux vérités assenées aux autres. Et puis vouloir convaincre c’est déjà avoir perdu, les choses importantes se révèlent, elles ne se discutent pas. J’ai reçu vos mots comme l’expression de votre générosité, de votre talent, de votre fermeté à vouloir maintenir une exigence pure, malgré les doutes, et les obstacles que nos natures incertaines entretiennent, souvent avec complaisance. Vous avancez parfois avec prudence, et d’autres fois avec une fulgurance brutale et claire. Il y a dans cette scansion tout un monde dévoilé, le mouvement même de la vie défait de l’insignifiant, du futile.

 

 

 

Je crois que pour l’essentiel nous naviguons dans les mêmes eaux. Les eaux rares des torrents naissants, ces eaux que l’on fréquente pour naître et mourir, celles qui ont encore le goût de la terre, celles qui savent que le chemin jusqu’à la mer sera épuisant et flamboyant. Ce sont les eaux du chant, les eaux rares, blessées par les pierres, des eaux suturées d’écume, qui inventent le printemps dans chaque tourbillon, qui inventent la lumière à la moindre cascade.

 

 

 

Certes, nos expériences sont différentes, nos urgences aussi le sont, mais nous croyons ensembles que l’écriture, si elle ne nous sauve pas, peut parfaire nos instants, qu’elle permet de nous redresser un peu plus haut. D’aller un peu plus loin.

Et même si ce n’est pas très loin, l’important réside dans ce « un peu plus ». Ce débordement. Cet épanchement de vie. C’est sans doute parce que l’écriture est une résistance, qu’elle nous confère ce surcroit de désir de dignité. Non pas, de cette dignité personnelle, égotique, non, pas celle-là, mais celle de l’espèce, se sentir un homme en expansion dans cet univers en expansion.

Un peu plus homme, un peu plus responsable. Un peu plus vivant. Par ailleurs l’écriture est là, avons-nous vraiment choisi ? Souvent j’ai cette sensation qu’elle était là bien avant moi.

 

 

 

C’est vrai, l’écriture ne nous sauve pas, mais surtout elle ne nous exempte de rien. Tout est à vivre hors de l’écriture. Et pourtant dans cet acte, quelque chose du mystère de la vie se révèle.

La vie était là, et on ne la voyait pas, la vie était là, et on ne l’entendait pas, la vie était là et nous n’y étions pas, nous passions sur le trottoir d’en face en contemplant notre ombre avec ironie, et brusquement dans cette tension vers le texte, vers le poème, tout s’éclaire, tout devient évident. Incompréhensible, mais évident. Fou peut-être, mais évident. Nous devenons présents à nous même, plus que nous ne l’avons jamais été. En nous quittant, nous nous retrouvons. En nous abandonnant, nous nous reconnaissons.

 

 

 

Souvent j’aborde ces questions sous leur versant paradoxal. Et si je parle d’échec, ce n’est pas qu’écrire est un échec ; au contraire, l’écriture en est la lumière, l’épiphanie. L’écriture est la poursuite de la vie quand celle-ci bafouille, balbutie, trépigne. Quand celle-ci est exténuée ou exaspérée. Ecrire c’est d’abord cette confrontation avec quelque chose qui ne comble plus le rêve, le désir,  c’est une confrontation avec quelque chose qui est dans l’attente, dans l’espérance, dans la résistance, dans l’insistance. Et l’on pourrait en mourir. C’est pour cela qu’elle a – l’écriture – partie lie avec l’échec, l’inabouti, l’inachevable. Le grave et le léger. C’est son point de départ. Et lorsque j’évoque le jour où le silence sera complet et où l’âme et le monde se tairont - ce temps de contemplation - c’est pour introduire au temps du chant. L’écriture naît d’un tumulte, alors que le chant naît d’un silence. Le temps de l’écriture est un temps de lutte. De frottement, et d’usure. Le temps de la contemplation est un temps dépassé. Il n’est pas arrêté, il est débordé. C’est le vrai temps du silence. Lorsque la mort ne nous parle plus, lorsqu’elle n’a plus rien à nous dire, ou que nous lui avons tout dit.

La mort est bruyante, nous le savons au vacarme qu’elle fait en nous. Et tout ce qui l’annonce ou l’énonce est bruyant et tout ce qui la nie est bruyant et tout ce qui tente de l’oublier, de l’oblitérer est bruyant. Le temps du chant est le temps du silence. Le temps de l’arbre est le temps du silence.

Nous approchons parfois ce temps et ces contrées singulières, avez-vous remarqué le silence qui préside au rencontre amoureuse ? Avez-vous remarqué le silence qui enrobe les amants ? On n’entend rien. C’est parce qu’ils chantent. Le temps des amants est un temps sans écriture. La présence de l’amoureuse ou de l’amoureux est totale et suffisante.

L’écriture tente d’inventer ce temps. La voix qui traverse le texte tourne souvent autour du silence. Comme le papillon dans la lumière. C’est pour appeler l’amour en soi. Inventer un silence c’est inventer un amour. Mais rien ne remplacera la peau pâle et tremblante de l’amoureuse. Rien ne remplacera son regard. On écrit quand l’amoureuse s’absente, quand on l’attend, quand on l’espère, car lorsqu’elle est là, on la dévisage, on la frôle, on la caresse et tout se tait, d’un coup, comme un miracle.

 

 

 

Vous évoquez le corps comme l’ancrage de l’écriture. Un corps reconnu et qui ne serait plus un ennemi, et vous avez raison. L’écriture et aussi un lieu du corps. Certes mon expérience ne vaut pas la votre. Vous êtes comédienne et vous expérimentez dans la chair le tranchant des mots. Incarnation, n’est pas pour vous une expression vaine. Vous connaissez l’étroitesse de nos chairs, leurs raideurs, mais aussi l’infinie possibilité d’une voix juste chargée de sang et de tremblance. Vous touchez du doigt le chant, le silence et l’amour, dans ce mouvement d’expression pure et nue, d’une parole pure et nue, dans un corps pur et nu. J’ai souvent pensé qu’il y avait dans cette offrande au public quelque chose de sacrificiel. Mais peut-être que je me trompe.

Il n’en reste pas moins que l’écriture est aussi le lieu du corps. Plusieurs fois il m’est arrivé de le dire ici. J’ai la sensation nette, précise que tout mon corps s’engage dans le texte. Souvent, lorsque je fini d’écrire je suis épuisé. Physiquement épuisé.

Je pense avoir compris ce lien de l’écriture avec le corps, lorsqu’une amie qui m’est cher me disait « si tu veux écrire il faut que tu prennes un bon petit-déjeuner, il faut manger pour écrire…. » C’est le seul conseil d’écriture qui ne m’est jamais servi.

Et puis il y a le souffle, la respiration. Les mots que je mâche avec lenteur. Les faisant descendre dans le ventre, cherchant la résonance, ce faible tremblement des chairs, lorsque le mot tombe juste, lorsqu’il a le juste poids, la juste couleur. Je parle à mi-voix, jusqu’à l’incantation, pour que l’écriture venue du sang puisse traverser, les muscles, les nerfs, la peau, pour qu’il puisse envahir l’espace de matière qui m’habite. Et l’alléger.

Mais je ne connais pas la grâce du texte offert, dit sur les planches. Je me sens laboureur. Attelé. Bien sûr, ce sont des sensations, des impressions. J’expérimente avec lenteur. Repassant souvent à coté des mêmes sillons. Je suis un laborieux rabotant la même pièce de bois pour recueillir quelques copeaux et se défaire de quelques illusions. Je ne sais si mon corps est un allié où un ennemi, mais il est là, et il faut le traverser comme le texte, comme la vie. La seule réalité qu’il reste après le texte, c’est d’être plus complet. C’est une pensée fugitive, mais essentielle, c’est pour cela que je recommence. « Le renouvellement de la mer par les vagues ». Au bout de la mer, il y a encore la mer, écrire c’est ne jamais accoster, ce n’est pas un échec, c’est inventer l’infini.

 

 

 

Voilà je voulais vous remercier de ce plaisir que j’ai à vous lire et de m’avoir permis durant quelques jours de porter cette réponse.

Il faut un lieu du chant et c’est le poète qui en trace les contours. Et le chant est un au-delà de l’écriture.

Franck.

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25 mars 2007

Transitoire......

Depuis des jours je cherchais le mot qui dit ce rapport au silence. J’invente des silences transitoires. Transitoire, c’est le mot que je cherchais. Avec l’idée d’un passage, d’une coupure et d’un passage. D’un changement de rive. De l’extérieur à l’intérieur. Silence contre silence. Silence du monde contre silence de l’âme.

 

Je passe d’un silence à l’autre. J’arpente. Le silence est la seule musique de l’errance. Car elle n’a pas de lieu, pas se son, pas de nom. Pas de route. Pas de fin.

 

Ecrire est une tentation pour briser les chaînes bruyantes du monde. Et écrire échoue à ce vouloir. Et écrire le sait. Et l’écriture est le produit de cette première mise en échec. De ce premier ratage. Et c’est une tragédie. L’écriture c’est d’abord le chant de cette tragédie. La geste. L’odyssée. La tentation de relier la voix au silence.

Au tout début, dans le jardin d’Eden, les sons et les silences étaient réunis, ils ne faisaient qu’un. Qu’un seul mouvement. Comme un soleil. Chaque bruit portait en lui sa part de silence, et chaque silence trouvait avec aisance son harmonie. Et dieu nous chassa. Et dieu brisa l’alliance, et sépara les sons des silences, comme si brusquement il créait deux univers impossibles, comme s’il ouvrait en deux un fruit juteux, avec les chairs à vif, et le sang qui s’échappe. Blessure inguérissable. Alors depuis la nuit des temps, il manque un son à nos silences, il manque un silence à nos rumeurs. Il manque un souffle à notre vie, un horizon à nos rêverie. Un sourire à nos soupirs. Une bonté à nos désirs.

Et cette séparation fut la signature du manque. Et le manque fut la signature de nos vies. L’incomplétude.

Nous reconnaissons dans l’Autre cette part de silence ou ce timbre, cette tonalité. L’accord. Et nous lui demandons ce tumulte qui fécondera notre silence.

 

 

Je passe d’un silence à l’autre. Toujours en retard d’une harmonie. Transitoire. Avec l’idée d’un passage, d’une coupure. D’un changement de rive.

Mais je ne suis pas d’une rive, je suis d’une traversée. Ecrire est ce voyage. Je ne suis d’aucun port, d’aucun aboutissement, je ne suis que navire, je ne vis que de vent et d’horizon, que d’écume et de sel. Et je ne connais la route que la nuit, en suivant les étoiles.

 

 

L’écriture naît de la confrontation d’un vacarme et d’un silence. L’écriture naît dans ce frottement. L’inscription silencieuse de la voix. C’est une lutte, comme la vie et la mort. J’écris en silence, dans un monde bruyant. Me taire dans les bruits de la ville. Me taire au milieu de ces grognements, de ces rumeurs, de ces vociférations. Ecrire là, dans cette opposition, dans ce contraste, qui révèle le lieu de la charnière, ma jointure au monde. Mon inconciliance. Etre là, mais s’absenter. L’écriture naît de mon silence et du vacarme qui l’entour, de ma solitude et de l’agitation autour. Et mon absence n’est pas un retrait, c’est une sorte de réfutation, de contestation. Une façon de lutter contre l’écrasement. Imposer, même modestement, mon taire au monde. Peut-être un refus, aussi. Ou simplement la marque de l’impossible.

 

Et je passe d’un silence à un autre. Car mes silences sont transitoires.

 

 

Un jour le silence sera complet, et le monde et l’âme se tairont. Silence avec silence. Ce sera le temps de la contemplation. Le temps dépouillé. Illimité. Les rives seront débordées. Il n’y aura ni livre, ni mot, ni geste, simplement le monde et le souffle. Il n’y aura plus d’écriture puisque tout sera dit dans la présence et dans l’instant. Il n’y aura que le monde, et cette étonnante brûlure. L’inverse de la mort.

 

On reconnaît la mort à son vacarme, à son impossibilité d’accueillir le silence et d’en faire l’offrande gracieuse. Et l’accord des silences est le don ultime du vivant au vivant.

Franck.

24 mars 2007

La porte de l'infime....

La plus grande place en soi pour que l’infime y entre. Seul le plus petit, le plus fragile, le plus éphémère nous éclaire. Parfois nous sauve. Les grands événements nous sont le plus souvent étrangers, et nous feignons de l’intérêt pour eux. Rien ne nous bouleverse tant qu’un éclat particulier de la lumière du jour, qu’un visage entre aperçu au détour d’une rue, que la pirouette de l’oiseau dans un ciel bleu. Rien ne nous ébranle comme ce saisissement brusque de nos chairs, prises dans le regard de bonté de l’amoureuse. Rien ne nous étreint comme le saugrenu qui surgit ou l’insolence du printemps.

Il n’y a pas de grands soirs, seulement de petits matins. Nos heures sont des fleurs de talus, et de minuscules lucioles parfois les éclairent.

Ecrire nous oblige, après l’exhumation de nos morts, à revenir aux instants pauvres. Nos moissons d’écriture sont laborieuses. Peu de grains, les épis sont mangés par l’oubli, et les rêves s’en vont avec l’été. Ecrire c’est marcher sur le chemin des saisons et se laisser surprendre par l’éclat d’un caillou, l’odeur des buissons ou de la terre mouillée après l’orage.

La plus grande place en soi pour que l’infime y entre. Car nous manquons d’attention, d’application, de vigilance. Nous sommes sans soin et nous dépensons le temps avec la désinvolture des nouveaux riches. Le monde pense à notre place et cela suffit à nos illusions.

Mes journées d’écriture sont vides. Intensément vides. Voluptueusement vides. Une place infinie pour chaque instant. Et l’attente dénudée, sans impatience. Et l’avancée lente et cadencée dans le texte. Avec ce sentiment d’une urgence sacrée.

Car dans ce temps il y a aussi des luttes cosmiques, c’est un temps ouvert. Vif.  Ardent. Brûlant. Fait d’absence totale. De déraison, aussi. Car dans ce temps il y a des douleurs, des douleurs accueillies. C’est le temps de l’infime. Du petit, du fragile. Du consentement. On s’offre à notre vie pour enfin l’inviter, et la reconnaître. La recevoir en retour.

A la jonction des mots, dans cet espace qui les sépare, des univers font leur révolution. Dans ces silences qui trouent le texte des arcs-en-ciel se faufilent. Et chaque texte pèse le poids des siècles lorsqu'il passe la porte de l'infime.

Franck.

17 mars 2007

Il faut une place infinie.....

Car il faut faire de la place. Chaque mot écrit réclame sa place à l’intérieur, c’est pour cela qu’au départ c’est un arrachement. Le vide ne se décrète pas. C’est un abandon. Un lent abandon. Et le projet a de l’ambition, car il s’agit de faire entrer un ciel entier, alors il faut une place infinie.

Infini, ce n’est pas une figure de style. Infini, déborde de sens. Pourtant c’est le mot juste. On ne peut pas décrire avec précision cet élancement de l’être en dehors de lui-même, cet afflux de sang dans les veines, l’élargissement de l’écoulement, et cette crue dans la dans poitrine. On ne peut pas décrire les picotements dans le ventre, car ce ne sont pas de vrais picotements, mais plutôt, une sensation de chaleur et de fraîcheur en même temps. Comme un vent dans les poumons, une bourrasque dans les viscères. Non, on ne peut pas décrire, alors on dit, infini. Infini, veut dire tout ça. Et plus. Surtout plus. Dire infini, c’est dire quelque chose qu’on ne peut pas dire. Qu’on ne pourra jamais dire. Cette brusque extension de la vie dans des dimensions inconnues. Singulières.

Alors on écrit infini.

Alors on écrit éternel.

Alors on murmure je t’aime. Comme si on mettait un chapeau aux nuages ou des boucles d’oreilles au soleil.

Et le projet a de l’ambition, car il s’agit de faire entrer un ciel entier, alors il faut une place infinie.

Au départ on ne le sait pas. Puisque écrire nous vient d’un mystère. D’un mystère ou d’une fatigue, ou d’un ennui, ou d’un désir impossible. Ecrire c’est d’abord un amour qui ne tient plus à l’intérieur du corps, comme si les dimensions n’étaient plus adaptées. Ecrire vient d’abord d’un épuisement de la langue, et puis de cette fatigue, d’un savoir qui ne se suffit plus à lui-même. Les parois de sa vie sont envahies, et on ne sait pas si cela nous vient d’un mal ou d’un bien, d’une révolte ou d’une bonté. C’est le prolongement d’une vie démembrée, d’une vie rendue brusquement impraticable. Inaccessible. Et le bruit des jours nous devient insupportable. Ecrire c’est d’abord la vie en échec. L’amour empêché.

Et le cri. La première écriture c’est une écriture d’amour, elle dit je t’aime, ou je te déteste, elle dit un geste qui ne tient plus dans la chair, elle dit qu’on n’appartient plus au monde des vivants. Le premier mot, invente le premier univers. Et le cri. Le cri qui enferme déjà tous les secrets, ceux du temps et de la mort. Et les peurs. La mort, qui entre toujours par la porte des mots. Toujours. Toujours par les coins d’ombres, les océans de silences. La mort qui cherche toujours les jointures, les désarticulations. Les premiers mots écrits sont des désarticulations. Des déboîtements, par où la mort se faufile.

Car il faut faire de la place. Chaque mot écrit réclame sa place. Surtout le premier, qui est le nom de la mort. Et tous ceux qui suivront voudront le dénier, l’abolir, l’effacer. Le premier mot est déjà une signature. C’est pour cela que l’on écrit à l’envers du temps, à cause de ce premier mot. Qui dit notre mort. Qui dit la fin, juste au moment du début. Alors il faut faire de la place, car il s’agit de faire entrer un ciel entier. Avec ses constellations, ses soleils, ses lunes. Alors on dit infini. Une place infini.

Au départ tout est plein, chaque espace de soi est rempli, comme une certitude, comme une évidence, les mots ne sont que l’image d’eux-mêmes, une surface lisse. Nénuphars sans racine. Reflets vague et flottants. Rien n’a traversé, rien n’a pénétré. Tout est trop plein, trop entier, trop lisse. Le vide ne se décrète pas. C’est un abandon. C’est partir sans bagages et retourner sa peau à l’envers. Mettre l’intérieur, à l’extérieur. Un peu comme une naissance, l’intérieur à l’extérieur, le retournement des peaux.

Le vide est un abandon. Lent, douloureux, puisque nos illusions et nos mensonges résistent. Chairs molles accrochées aux os qu’il faut curer. Racler.

Et un jour cela devient un accueil, une aube. Et les mots se posent dans leur désordre de lumière et de rosée. L’amour et la mort dans un espace infini. Et l’écriture déploie son chant, comme la mer déploie ses vagues. L’amour et la mort dans leurs mouvements incessants.

N’être rien que cet espace vide, comme ce grand champ de blé moissonné où pousse des coquelicots. Rouges. Fragiles et rouges. Comme l’or des moissons. Taches de sang dans l’immensité des constellations. Rouge. Infiniment vivant. Infiniment naissant.

Franck.

10 mars 2007

Faire de l'arbre.....

Car chaque arbre dans son mûrissement d’écorce fabrique les saisons.

Sa tension vers le ciel cherche une éternité, c’est pour cela que nous y gravons nos cœur enlacés, pour inscrire nos âmes amoureuses dans la vie du temps. De la terre aux constellations. Car les arbres parlent aux étoiles, les oiseaux et le vent ne s’y trompent pas. Chaque arbre est une passerelle pour les cieux, le plus court chemin vers l’infini. Et lorsque nous posons notre main sur leurs troncs, dans l’échange des sangs, c’est la vie incorruptible que nous cherchons, c’est l’évidence d’une révélation. C’est l’instant brutal multiplié jusqu’à la fin des temps. Les arbres ne meurent pas, c’est ce qu’ils nous apprennent lorsque nos lèvres se posent sur les oreilles de leur écorce. Un et innombrable. Comme une présence irréductible. Seule la foudre les fait faillir, ou la hache.

Les arbres sont fait d’attente patiente et de solitude déployée en saison, ils sont le chant des siècles et le reposoir des dieux.

Ecrire c’est faire de l’arbre. C’est mûrir sous l’écorce de la parole, la saison à venir. C’est faire du temps, dont les mots sont les graines. Ecrire, c’est faire de l’arbre, c’est réunir la terre et le ciel, en dépliant chaque mot avec la persévérance du bois, c’est étendre le texte en tronc, en branches, en ramures, et jusqu’aux feuilles, et jusqu’aux fleurs, et c’est tendre ses fruits en offrande.

Franck.

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4 mars 2007

Aurores......

Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l’air à l’approche de l’écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grand lacs. L’eau lisse et sombre, encore inquiétante avec ses nappes de brumes qui sortent des profondeurs. Cela tient au silence. Ce silence du matin naissant qui n’a pas le même timbre que le silence nocturne. Ce silence du matin, désencombré des présences, des spectres. Silence plat. Lisse. Sans image. Dévoilé. Nu.

Il y a un temps dans les aurores où la nature attend. Elle attend le signal de quelques dieux. Et les oiseaux sont posés sur la bouche du vent, et ils attendent, et ils écoutent la lumière déchirer les ombres, et ils observent les fantômes se dissoudre dans la rosée, les diables se cacher dans les buissons, les fées s’évaporer. Cela ne dure pas. La naissance de l’aurore est toujours triste, toujours mélancolique. On sent bien que c’est un effort que de se dégager des mots de la nuit. Accoucher d’un silence neuf est une épreuve. Certains jours d’ailleurs elle n’y parvient pas, alors même en plein jour, c’est la nuit qui triomphe. Des jours qui ne sont pas des jours, des jours effondrés, épuisés. Des jours qui empoisonnent le sang de l’écriture. Rien n’est acquis, pas même la lumière.

Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l’air à l’approche de l’écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grand lacs. Où la solitude change de destinée. La solitude du matin naissant qui n’a pas la même épaisseur que la solitude nocturne. Elle se déploie, se défroisse, et ce qu’elle perd en poids elle le gagne en étendue, comme une main qui défait son poing, une main dénudée, que l’on pourrait croire accueillante. Cela ne dure pas, car elle vous entre dans le corps comme une vague scélérate qui envahie la peau comme une chair de poule. Cette fraîcheur innocente du matin c’est la solitude qui déplie ses bras pour l’accolade, pour le baiser du jour. La solitude nocturne vous déborde de toute part, son poids est immense, et parce qu’il est si immense vous n’y croyez pas vraiment. C’est une extravagance, une exagération. Et certaines nuits vous la considérez comme une amie. Mais cet écrasement est une complaisance, un attristement indulgent sur vous-même.

La solitude du jour vous l’enfilez comme gant. Elle vous tient chaque parcelle de vie, elle est à votre mesure, elle est faite pour vous. C’est pour cela que vous avez cette sensation de froid au point du jour. Comme à l’approche de la mort. D’ailleurs la mort ne si trompe pas, elle aime hanter ces endroits du jours où l’ombre arrive, ou bien s’en va. Où l’ombre joue avec nos nerfs. Elle cueille les âmes au crépuscule, ou à l’aube, dans ces temps raccommodés ourlés de faufilés fragiles, faussement hésitants. L’aurore est bien ce temps où les amants se délient. Où les serments se payent. Où les dieux font notre addition. Chaque matin la solitude du jour vous laisse les poches vides. L’oeil effaré. Les dieux ne font pas crédit, vous payez d’avance. Le soleil est à ce prix. Le prix de la lucidité comme dirait le poète.

 

A chaque fois que l’on marche vers l’écriture, c’est comme aller au devant d’une aurore, c’est aller vers l’absolu du silence, vers l’absolu de la solitude. C’est aller vers un sacre.

On le sent à cette densité si particulière de l’air à l’approche des mots. A ce désordre, dans les saisons du sang. A la brusque gravité des heures. A cette simplification des couleurs. Comme lorsque le jour se lève près des grands lacs aux eaux lisses et noires, aux eaux cousues de brumes.

Franck.

3 mars 2007

Usure......

Nous sommes fait d’usure. Elle commence juste après l’enfance, au détour d’une rue vous franchissez une ombre un peu plus appuyée, une ombre vidée de ses présences, de ses fantômes, de ses fées, et c’est fini. Et déjà l’enfance est finie. Les instants ne surgissent plus d’eux-mêmes, il faut brusquement les arracher à l’ennui.

On est envahi de temps, jusqu’à l’écoeurement.

L’usure est notre mesure. L’épuisement notre horizon. L’attente notre viatique. Et l’espérance un cancer inguérissable.

Le reste n’est que jeux, illusions, reflets, miroirs déformant.

Et les mots nous trahissent, comme nous les trahissons.

Et nos histoires sont des contes de fées auxquels on s’efforce de croire, et auxquels on ne croit pas. Et même le livre le plus miraculeux a une fin.

Ecrire est une folie, la seule qui nous fasse oublier qui nous sommes.

Franck.

3 mars 2007

Spirale.....

J’écris à l’intérieur de l’écorce. En-deça de ma peau. Sur les parchemins des viscères. J’écris dans un étouffement progressif. A l’intérieur. Pas à pas je remonte la spirale du coquillage de ma langue. Au départ la bouche était béante, grande ouvert sur l’océan. Et puis je suis parti vers le centre, vers le rare, vers le peu, vers l’intérieur. Des tours de plus en plus court dans la spirale des mots. Avec de moins en moins de place. Et la mer est loin, et e ciel est loin, et l’air manque. Et chaque mot est de plus en plus difficile à atteindre, ma langue râpe, s’écorche, ma parole s’épuise à racler les parois du texte. C’est un tunnel qui se rétréci à chaque tour. Un resserrement. Lent. Un étouffement. Mon endroit d’écriture n’a plus d’espace. Comme une pénétrante agonie qui rafles les dernières mises oubliées sur la table de « je ».

Et c’est un cheminement vain. Il n’y a rien au bout de la route. Le centre est un lieu vide. Nulle présence. Au bout de la spirale il n’y a rien. C’est seulement un point d’écrasement.

Franck

3 mars 2007

Fugue en sol mineur........

Je pense que ça ressemble au travail du musicien. De l’interprète. Du pianiste. Rejouer la phrase sans cesse. Est-ce les doigts qui touchent le clavier ? Est-ce autre chose ? Est-ce l’oreille qui entend ?

Composer. C’est comme une partition. Note à note. Mot à mot. Le piano et l’orchestre derrière. Les mots sont des notes, ils se tiennent dans la phrase bien au-delà du sens, qui est peu de chose. Chaque mot résonne, vibre, palpite. Entre eux ils sonnent.

Peu à peu le texte se découvre, et avec ce déploiement, le sens. Souvent il a plusieurs sens. Plusieurs mélodies, comme des contres chants. Des contres rythmes. On note les mots sur la partition du texte, ils nous viennent de la musique. Ici on les séparent, là on les relie, ici c’est le sens et là le son ou la couleur, on les ajoutent on les retranche, on les marie.

On cherche. Quelle folle idée !  Cela confine à l’absurde.

Adoucir la phrase, ou l’aiguiser, ou la rendre rugueuse, âpre, coupante. On cherche. On ne sait jamais ce que l’on cherche. Sauf lorsque l’on trouve. On baratte dans la rivière de la langue, on la fait tourner dans le soleil à la recherche d’un éclat. Et ce n’est pas de l’or que l’on cherche, mais un point clair en nous, le point frémissant. Comme si ce frémissement était la seule mesure, la seule cadence. La seule clé accrochée sur la portée. La juste résonance.

Interpréter la musique en nous, comme si cette musique n’était pas de nous, comme si elle venait d’ailleurs, d’un autre continent, d’une autre galaxie. On cherche. On cherche l’accord pur, toujours déçu de notre lourdeur, de nos pensées trop lentes.

La phrase reste souvent en suspension, dans l’hésitation, dans l’appel. Comme si elle était arrivée au bout des terres connues. Elle reste là, incomplète et pitoyable, inachevée. Alors on y met notre souffle, notre respiration, on la pousse pour l’aider, pour qu’elle tente d’atteindre la rive du mot suivant. On lance dans cette poussée notre corps entier, nos muscles, nos os, nos nerfs, et cette tension de toutes les fibres, de toutes les cellules. On y met notre patience, notre attente, pour désensabler cette phrase prise dans les ornières d’une parole exsangue.

On cherche, et ça ressemble au travail du musicien qui essaye les notes sur son clavier. Ce n’est pas le beau qu’il cherche. Il cherche la vérité de la note. L’exacte évidence. La certitude. Celle qui s’emboîtera à sa juste place dans le mur du son, le mur de la musique. L’édifice de ses jours. La certitude, même l’espace d’un souffle, même l’espace d’un mot. La certitude d’un seul mot. Le mot qui manque à sa vie, là, dans l’instant où il manque à la phrase.

Le temps du manque et des fragiles certitudes. Toujours à recomposer. Comme si les mots se déliaient de leur pacte au fur et à mesure. Comme si chaque conquête annonçait la défaite.

Le texte s’avance en nous, avec cette lenteur pesante.

Il s’avance et dévore notre vie.

Franck

24 février 2007

Trop.....

La juste mesure du contenu et du contenant. Et du geste qui porte le texte à nos lèvres. Est-ce cela écrire ?

La mesure m’ennuie.

Il n’y aurait pas de règle, pas de loi. Simplement la voix pleine au ventre les mots. Il n’y aurait rien de conforme dans l’écriture, et les mesures s’excèderaient elles-mêmes, se déborderaient sans cesse. L’écriture serait l’art du déséquilibre, et du trébuchement, et du sursaut qui suivrait pour éviter la chute.

Ou seulement le long soupir qui l’accompagnerait dans la chute.

 

C’est l’art des bâtisseurs de ponts. Relier des rives, des constellations. Tout ce qui nous habite, tout ce qui est éparpillé dans nos nuits. Tous nos continents démembrés.

Nous avons de drôles de cieux à l’envers du crâne et de singuliers fleuves circulent dans nos chairs. Et l’arche des mots repose sur un souffle. Et les pierres de la voûte s’adossent les unes aux autres sans rien pour les maintenir, que de vagues rêveries, et les souvenirs font office de ciment. Et chaque mot du texte pousse vers le suivant pour vaincre apesanteur, pour éviter la chute. Et cette poussée est parfois désespérée. « Fragile et robuste ». Comme l’arbre qui tient dans sa poussée et la terre et le ciel. Et la terre et le ciel. L’écriture est un arbre de porcelaine aux feuilles de cristal.

Et le vent se perd dans son propre reflet.

 

 

La juste démesure du contenu et du contenant. Les écritures qui portent, qui trouent, sont celles qui sont déportées, déviées. Celles qui dérivent. Les écritures à souffle sont celles qui sont essoufflées, consumées. Et je sais des écritures désaccordées qui rendraient Mozart jaloux. Le débordement. Le déluge. Voilà. Seul l’excès convient à la voix. Il faut bien que l’eau déborde pour faire naître les sources. Il faut bien de la démesure pour pénétrer la pierre. Il faut bien un excès de joie ou de tristesse ou de silence, pour que la vie se survive. Il faut bien submerger la chair.

Un océan au bout de la jetée.

Un baiser au bout du silence.

 

La funambule avance dans la fragilité de son pas. Ce qui la fait avancer, ce n’est pas son équilibre, mais l’excès de déséquilibre. Tant de déséquilibre, que l’on croit la voir danser, avec son ombrelle rouge au bout des doigts. Un pas de danse au dessus d’un cœur béant.

 

C’est bien lorsque le contenu épuise le contenant que l’écriture apparaît. Il en va de même lorsque le contenant outrepasse le contenu, où, à force de formes, des sens nouveaux et inconnus apparaissent. Dans un cas comme dans l’autre c’est l’excroissance qui signe. Il en va de même pour le silence.

Il va de même pour l’amour. Que serait un amour sans les débordements de printemps, sans ce temps devancé, inondé, sans les murmures qui appellent le cri ?

Et la solitude à profusion, comme un richesse inépuisable.

Le texte tient par l’expansion des mots qui le traversent. Par l’hémorragie qui les suscite.

Et même la pénurie doit être excessive. Même le manque. Surtout le manque. Le manque en abondance.

Franck.

17 février 2007

L'infinie négligence des dieux.....

Ecrire c’est détrôner les dieux. Comment pourrait-il en être autrement ? Que vaudrait une parole qui ne viserait qu’à les servir ? Il n’y a pas d’orgueil là-dedans. Simplement le déploiement d’un geste nécessaire. Les dieux nous ont inventé pour qu’on les tue. Le poète achève la création du monde. Il faut bien une humilité démesurée pour entreprendre ce meurtre lent et silencieux. La terre, l’univers, les constellations appartient à ceux qui les prononcent, à ceux qui les nomment. Les dieux nous ont désignés, nous ont assignés, mais c’est bien le poète qui a le pouvoir de les dire, de les nommer en retour. De les effacer.

Ecrire c’est bien tracer le domaine des dieux et d’y mettre le feu. Pouvoir contre pouvoir. Magie contre magie. Miracle contre miracle. Et le poète a un avantage dans cette lutte, car il n’a pas l’arrogance des dieux, il n’a que son désespoir et parfois sa désinvolture. Et c’est bien suffisant. Ecrire c’est nommer l’infinie négligence des dieux.

Le Christ ne savait pas écrire, ce n’est pas un oubli de la part de son père. On a bien vu comment il a fini. En piteux état. Et le poète a bien retenu la leçon. Et dieu n’en fini pas de mourir à son tour. Et chaque mot, chaque texte, chaque note, le dénie un peu plus.

Les dieux nous inventé pour qu’on les tue. A chacun son destin, à chacun sa misère. Ils ont l’éternité mortelle et ennuyeuse, et nous avons l’infini, et la solitude, et le silence qui les accompagne, et l’amour qui les brûle, et le sang qui les sacre. Et la patience. Et le rêve. Tout ça dans le geste du mot. Ils ont la puissance, et nous n’avons que la fragilité en retour. Notre sainte fragilité, notre épuisement, nos coins d’ombres, notre pauvreté. Car c’est bien de là que part ce geste grandiose, c’est bien notre main vulnérable et tremblante. Et nos cathédrales valent les leurs. Car je sais des mots ruisselant comme la lumière des vitaux, je sais des cryptes de silence pétries dans la pierre des prières, je sais des recueillements, et des passions et des chemins de croix qui valent bien les leur. Et chaque texte vaut une église. Et le simple murmure d’un poème fait chanceler la moindre chapelle.

Franck.

11 février 2007

La départition, ou le château de lecture....

Car l’écriture ne nous appartient pas. Posée ici, elle est vouée à l’errance. C’est une mendiante vêtue de sa seule pauvreté. Elle est bien moins qu’un enfant qui vous quitte. Elle a nul lieu, nulle direction. Elle est à peine un bouchon dans l’océan. Posée ici, elle appartient au hasard. Elle ne reviendra jamais frapper à votre porte. Elle est vouée à l’errance à la recherche d’autres solitudes, jusqu’à la cendre de la cendre.

Le destin du texte c’est la perte, c’est la désolation, c’est la mendicité. Le texte voyage entre deux absences. Un peu comme l’amour. Il erre entre deux solitudes. Un peu comme l’amour. Et le voile qui le couvre, c’est la mort qui rôde. Comme un feu qui s’étouffe par manque de souffle. Par négligence. Par abandon. Le texte posé ici, est le nom même de l’errance, de la perte, du manque sacré. De l’attente souveraine.

Le texte posé ici est un désert qui ressuscite à chaque caravane qui le traverse. Il est passage, franchissement. Ecoulement sans fin.

Une fois posé ici, le texte n’a plus de forme, ou alors il les a toutes, il est prêt à suivre n’importe qui, n’importe quelle insuffisance, n’importe quelle bouche. Il a la forme d’un autre, d’un inconnu, d’une absente. Et à chaque rencontre il offre sa gorge, son ventre pour se faire pénétrer d’une solitude nouvelle.

Le texte posé ici se joue des présences. Il vient de l’ombre. Il y retournera. Il tient la mort par les deux bouts. Et pourtant il n’est rien, sinon la forme la plus achevée du vide. Et sa puissance est celle d’un fil de soie tendu entre deux planètes. Et c’est un vagabond entre eux exils. Et il mendie la solitude et le manque, puisque c’est sa seule nourriture. Puisqu’il vient de là, puisqu’il y retournera. De l’eau sur de l’eau. Du temps sur du temps. La désappartenance. Le dessaisissement.

Aux noces du texte il n’y a pas d’invité, ce sont des noces furtives, puisqu’elles sont dérobées au hasard, à la fatalité. Noces de l’absence et du silence. Fêtes de nos désespoirs où l’on consume les chairs brûlées de l’amour, et les visages perdus. Oui, tous ces visages égarés. Nos temps d’affaissement. Le temps du texte arrache les mauvaises herbes de nos vies, pour en faire des bûchers, et souffler sur nos cendres. Nos cendres à venir.

Le texte posé ici, dans son indécence, mêle nos morts successives et nos résurrections. Les miennes, à toute les autres. Frères de mort et de résurrection avec ce texte aux paumes ouverte.

Le texte naît du silence et du malentendu qui l’accompagne. Et c’est de ce clivage, de cette séparation invincible qu’il naît. C’est de cette rupture de silence, de cet échange de silence qu’il naît. Et du malentendu qui l’accompagne. Et c’est pour cela que la voix chancelle un peu. L’oreille de l’œil est sourde au monde, elle ne sait que vibrer, frissonner de sa désappartenance. De son dessaisissement.

Et la voix tremble, comme si toute lumière ne pouvait surgir que de ce malentendu consenti. Que de ce secret tacite, scellé au cœur de la nuit.

 

Chacun a dans les mains du coeur un morceau du symbole. L’écriveur, et le lecteur. Et si le hasard leur fait rapprocher les deux morceaux qui pèsent sur leur vie, quelque soit la coïncidence, ou quelque soit l’ajustement, il reste toujours une difformité inconciliable. Et c’est là, là dans cet espace impossible à combler, que réside la lumière. Le miracle.

Le texte vit de cette apparente similitude, et il brille de l’impossible. Il brille d’un trou, d’un trou d’inconcilance par où s’échappent la vie et l’espérance dans cette hémorragie de silence.

Franck.

10 février 2007

Couture.....

Un temps qui n’a pas de rive. Dans quel temps se passe l’écriture ? Dans quel présent je suis ? Là, maintenant. A découdre les ourlets de l’univers, comme si le temps faisait des plis, comme si l’on pouvait être prisonnier d’un bourrelet, ou d’un revers. Point de croix sur point de saignée. Ravaudage de la mémoire. L’aiguille des mots pique les bords du trou. Pique à l’endroit du débordement. De l’écoulement. L’aiguille des mots rapièce le temps défait. Alors on retient les bords de l’univers, on essaye à chaque texte de contenir la déroute, la disparition. Et on pique pour traverser au plus profond, on tire sur le fil des souvenirs, on tire sur le fil de nos jours, le fil de nos attentes. Et ça fait toujours un peu mal. Piquer le lieu fragile de notre vie effilochée. Les chairs peuvent se déchirer. Souvent elles se déchirent les chairs. Souvent le texte se coupe. Souvent c’est une catastrophe. Souvent on se dit que c’est une tâche impossible. Un point de croix sur un point de saignée. Chirurgie du désespoir. De la lenteur. De la constance. De l’oubli.

Ce temps qui échappe au temps. On tire sur les bords de l’univers pour les poser là, sur la page. Avec cette pauvreté des mots et notre pitoyable espérance. Bord à bord. Et piquer. Suturer cette béance, sous le regard moqueur de nos siècles. Avec cette aiguille trop grosse, avec cette aiguille qui emporte les morceaux de chair.

Pourquoi cette joie étrange à chaque piqûre des mots ? Pourquoi cette jubilation à tisser tout ce malheur, à broder ces motifs inconnus sur cette trame infini ? Pourquoi coudre cette robe de fête pour une silhouette incertaine ? Pourquoi… ?

Franck.

4 février 2007

L'inspiration....

Ce n’est pas l’inspiration qui vient à nous manquer. Elle compte pour rien. Ce n’est pas l’inspiration, mais la volonté acharnée de vivre. Un vouloir. On fait porter à la littérature ce qui appartient à la vie, à la vie pure. A la nature ignée du sang.

Le texte s’obscurcit, non pas lorsque les mots viennent à manquer, mais seulement lorsque je démissionne de la vie. De toute la vie. Avec la mort au bout. Lorsque je ne consens pas à brûler assez vite, assez fort.

C’est le vouloir vivre qui fait écrire. Et le vouloir vivre nous met immanquablement en face du pire de nous-même.

C’est ce pire qui nous fait reculer.

Les mots se refusent, eux, à la mort qui en nous s’avance. A la mort avec laquelle on est prêt à pactiser. Le texte s’effondre toujours sous le poids de notre propre lâcheté. Les mots ne se rendent pas, ils ne capitulent pas, ils s’éloignent de nous. La mort ne les capture pas vivant. Ils sont libres. La prison est pour nous.

Au moment d’écrire nous sommes un nœud de relations, un nœud de forces dont les plus importantes tentent de nous broyer. La dignité de l’écriture réside dans cette lutte étrange, presque invisible entre nos désirs contradictoires et le brasier du sang. C’est de ce frottement que naît le texte. De cet écrasement vaincu.

Ecrire touche aux confins de l’univers, pour essayer de les dépasser, c’est le geste des dieux, qui tracent un grand cercle de feu dans lequel ils jettent les galaxies dans un grand éclat de rire.

Alors, ce n’est pas l’inspiration qui vient à manquer. C’est notre bras qui tremble. C’est la vie qui reflue en nous. Un continent qui recule, qui s’efface. Et le soleil peut alors se lever sur la vacuité de nos jours.

Franck.

4 février 2007

Charon....

Chaque mot du texte est un morceau de solitude. Il est un pays clos, un monde à lui tout seul qui nous laisse souvent à l’extérieur de lui. Chaque mot du texte charrie des âmes mortes. Nos âmes mortes. Chaque mot du texte devient Charon qui nous fait payer cher la traversée du fleuve. L’oubli. Il réclame son du, sa part de vie tremblante, sa part de chair écarlate. Chaque texte est une nef vagabonde sur les eaux noires. Vacillante. Toujours au bord du naufrage. Il y a des solitudes là-dedans. Des tristesses dans la pliure des lettres, à l’articulation des mots. Et les élans que l’on espère nous viennent du souffle de nos héros défunts. Il y a des enfers dans les mots qu’on écrit. Des petits et des grands enfers. Les mots on le goût de la fin, c’est leur façon d’être en avance sur nous, d’une saison, d’une vie, d’une mort. Les mots que l’on écrit ne sont pas des mots, ce sont des comètes. Derrière leur lumière ils traînent une longue queue de misère. Des chaos. Des mémoires. Le texte est un engloutissement. Il sacre une disparition.

Franck.

4 février 2007

Photos.....

Dans le texte qui précède j’avais inséré des photos. Je les ai enlevé.

Il faut savoir ce que l’on fait : si on écrit, ou si on fait de la décoration.

Soit le texte tient tout seul, soit il ne tient pas, et s’il ne tient pas… que j’aille au diable !

Franck.

3 février 2007

L'offrande....

Pour elle, je veux d’abord un grand silence. L’accueillir à la porte, et sous l’arche d’un grand silence. Un grand lac bleu de silence. Puisque le silence agrandit l’espace et réduit les distances.

Les paroles nous éloignent. Elles arrivent avec leurs cortèges d’ombres verticales. Et froides. Et leurs miroirs aux alouettes, et leurs reflets. Alors, je veux d’abord un grand silence.

Comme une première nudité. Comme la première offrande.

Car le silence est un diamant, un socle de marbre. Une source. C’est une église. Déjà une promesse. Le serment le plus juste des amoureux. Serment du sang.

Alors je veux d’abord un grand silence.

« Entre ici, dans ce silence…entre ici, tu es chez toi… c’est la clé qui ouvre toutes les portes, même celles de l’univers. Entre ici, puisqu’il te faut l’infini comme horizon et l’éternité comme ciel de lit. Entre ici, car c’est mon œuvre la plus achevée, et je te la donne pour t’en faire un royaume. Elle te donnera la puissance des océans et le pouvoir des rois. Entre ici, dans ce silence, longtemps mûrit dans mes chairs… je te le donne, il a soutenu mes années perdues, mes guerres inachevées, il a léché mes blessures, baisé mon front lorsque l’épuisement écrasait mes pas, il a accompagnée mes nuits d’errance. Je te le donne, puisqu’il a fait de moi un homme encore vivant. Si fragile mais tellement vivant… Entre ici, puisque mon silence à la forme de ta bouche, la forme de tes mots, puisqu’il pèse le poids de ton âme, puisqu’il t’attend depuis la nuit des temps…. »

 

 

 

Chaque jour de ma vie, j’ai rajouté un grain à cette grappe de silence. Chaque jour valait un grain d’or de plus sur ma grappe de patience et de lenteur solaire.

Grain par grain.

« Entre ici, et mord dans ces fruits gorgés de jus de constance… ici, tu pourras accrocher tous tes chemins de croix, toutes tes paroles, tous les mots prononcés et tous ceux à inventer. Tu pourras y broder tes rêves, y sculpter ton impatience. Tu pourras le fleurir, le labourer, le creuser, le lacérer, si tu le souhaites. Sur les murs de ce silence, tu pourras installer ton ironie joyeuse et ton désarroi aussi, et tes pas de danse. Car ce silence est ma seule richesse, il est mon océan toujours renouvelé, le lieu de ma seule obstination, de ma seule ponctualité, de mon unique justesse. Il ne m’a pas fait fort, il m’a fait puissant, c'est-à-dire fragile. Alors, prends-le, il est à toi, je te le donne… Il est tremblement, il te fera le souffle pour crier, il sera l’horizon de tes murmures, le puits pour ta soif, et les quatre saisons de tes heures. Prends-le pour rire, pour chanter, prends-le pour dormir pour couvrir tes souvenirs, prend-le pour réchauffer ton attente et ciseler tes baisers. Prends-le, et peuple-le de ta présence, de tes caresses, emporte-le dans tes absences, dans tes cavales, nourrit-le à ta bouche, à ton lait, à ton ventre, à ta vie…mords ma chair de silence, mords cette grappe, fais-en craquer chaque grain, libère la lumière du temps et bois jusqu’à l’ivresse, jusqu’à l’oubli, jusqu’à l’effondrement des temps… »

Voilà, ce que je veux pour elle. Ni perles fines, ni robe d’apparat, ni palais ni châteaux. Je veux le mieux, le plus inaltérable, pour elle. Ma seule richesse, mon silence de fruits. Puisque l’amour a besoin de silence, puisque c’est son eau sacrée, sa seule pitance. Puisqu’il accompagne le désir et le sacre dans la chair, juste après les cris, puisque c’est une aube de reconnaissance et l’aveu qui suit la nuit. Voilà, ce que je veux pour elle.

 

Et seulement après, je veux pour elle un chemin. Pas de perles fines, pas de robes d’apparat, pas de palais, pas de châteaux, rien de ce qui se voit, rien de ce qui se touche, rien de tout cela. Seulement un chemin, débarrassé des peurs. Un chemin qui serpent et qui monte, qui appelle la neige, un chemin dans la langue, qui enlace nos mots, un simple chemin de terre bordé de landes et de bruyères, un chemin de rocailles, pour soutenir nos pas, un chemin de lenteur aux talus de nuages, étoilé de lucioles. Un petit chemin suspendu, juste assez fou, juste assez large pour elle et moi de front. Elle et moi de front…

Franck.

30 janvier 2007

Variations Rhétoriques.....

L’image fusionne les univers, et condense les temps. C’est un précipité. D’où cette sensation d’aspiration lorsqu’on la lit. Aspiration et carambolage. L’image c’est un accident de la langue, une catastrophe miraculeuse. Un vertige. Elle est au cœur du mystère. Puisque c’est une folie. Puisque c’est une révolte contre la raison, contre la tyrannie. Elle unit et sépare en même temps. Elle concentre et divise, rapproche et éloigne. Un feu. L’image coupe, déchire, perce, traverse, 4variaclaque comme l’éclair, enfante. Elle invente un monde nouveau. Elle est promesse et refus, et abandon.

Pourtant elle est si vulnérable, si fragile, elle ne tient que sur le fil coupant du texte, elle ne tient que par le balancier des mots. Elle ne tien à rien, en fait. Elle est en suspension dans un monde parallèle, hors de toute dimension, une femme nue couverte de voiles transparents. Hors de tout, vagabonde qui a quitté sa maison. Sans feu ni lieu. Ingénue, inconvenante, elle est devant nos yeux, invisible et présente, comme le parfum de l’amoureuse apporté par le vent. Elle surprend toujours, elle maraude, entre par effraction dans l’œil des mots effarée, elle ne laisse aucune trace, pas d’empreinte, pourtant le coup de hache est là, et bien là. Car l’image a errée, longtemps traînée, longtemps braconnée avant de lâcher son coup, avant d’ouvrir le texte en deux, en mille éclats. Elle rôdait dans nos veines, cachée dans l’ombre opaque de la langue. Et elle traverse en diagonale nos sens éteints. C’est l’humeur du sang. Et vouloir la saisir, la comprendre, la tenir est aussi vain que de vouloir retenir dans ses bras une femme tzigane. L’image est une eau débordante.

Ce qui la fait naître c’est un désarroi. L’impossibilité de signifier. C’est d’abord un échec. Les mots s’écrasent les uns sur les autres. Ils s’empilent, comme des pierres inertes, et mornes, et mortes, sur le mur plat et triste du texte. Le rêve s’enlise. La main se crispe et tremble.

Alors l’image naît du mouvement, du geste, de l’élan, c’est un pas de danse qui échappe au danseur, c’est un temps de plus dans la valse, un pas décalé, invisible et lumineux. Le clair dans l’obscur. Une vision brutale et douce comme la mort. Une île dans l’immensité. A elle seule elle veut sauver le texte qui sombre. Et la main qui fait naufrage.

smbtL’image naît du geste. Elle est conséquence et prémonition. Comme la vague qui n’est rien, mais qui est, aussi, la mer. Et qui déploie un mouvement qui la dépasse. La vague, même la plus insignifiante, sait l’océan. Et c’est cette insignifiance suprême qui nous fascine. Et c’est ce savoir fatal qui nous trouble.

L’image est d’un autre temps que le texte, d’une autre dimension. Et dans sa trajectoire enveloppante elle cherche un Autre, un pays, un rivage. Elle est de la saison suivante. En coupant le texte dans le gras, dans l’immobile, elle cherche une autre continuité qui devance, outrepasse, submerge, le texte qui croit l’accueillir. Car l’image connaît les lieux, parce qu’elle les visite la nuit, durant notre absence. Elle porte déjà le texte bien avant sa présence, elle sait des espaces interdits que l’écriture ne connaît pas. Elle est ignorante des lois. Et ne vaut que par l’élan silencieux qu’elle dépose entre les mots, et à la suture qu’elle laisse sur l’iris.

Alors l’écriture peut continuer à déployer sa lente spirale. Car l’écriture se refuse à commencer. Ecrire c’est continuer. Une façon de tendre vers l’infini. Ecrire c’est continuer, c’est partir et s’éloigner du centre ignoré. Et l’image danse et plie nos paroles, même s’il y a du meurtre en elle, même si elle sauve et tue le texte, même si elle l’affirme et le dénie dans le même souffle.

Elle reste le regard de l’éphémère sur la face de l’éternité.

L’œil qui la fixe, et qui la fait brûler.

Franck

27 janvier 2007

Chaconne....

(1er mouvement) (Altos, haut bois, bassons, cors et quelques autres instruments) (Mouvement lento, forte) (Étirer les notes jusqu’à ce qu’elles cassent). (Toutes) (Les bémols sont proscrits, même s’ils sont écrits, ne pas les jouer)(Le chœur restera silencieux)(Le piano ne jouera que sur les touches noires)

 

Quelque chose se souvient. Quelque chose se souvient de la première nuit du monde. Epaisse et souveraine. La ciaconapremière nuit du monde. Une plénitude dans l’épaisseur. Grande nuit des dieux. Sans temps. Sans parole. Toute en prière. Première nuit du monde, où l’homme parlait seulement aux dieux. Où les dieux répondaient à l’homme. Et c’était un dialogue. Et c’était la première nuit du monde. Et chaque destin s’accomplissait, car il n’y avait pas d’événement, pas de quotidien, seulement des miracles ou des tragédies. Seulement de la rocaille et du vent.

 

 

 

Le laboureur levait sa face aux cieux, sa face de sillons lourds, sa face de glaise ravinée. Et le laboureur baissait les yeux. Et il s’attelait. Pour creuser sa vie. Et c’était la nuit du monde, la première, la seule, la grande. Un temps sans écriture. Seulement des signes, des marques, des stigmates. Et puis des incantations sous les étoiles. C’était le temps demains_1925p l’ordre et de l’éternelle présence. Et les ombres avaient plus de vie que la chair. Temps fixe. Brûlant sous le soleil et le regard accablé des dieux. Et c’était un temps sans écriture. Le temps des pierres, sans futur, sans passé, sans issue. Un temps habité, sans espace. Des matins, des soirs, et la tragédie du vent entre les deux.

 

 

 

(2ème mouvement) (Harpe, violoncelle, violons, piccolo, viole de gambe, timbales, triangle ou carré, guimbarde, et mirliton) (Je tiens particulièrement au mirliton)(Le chœur restera toujours silencieux)(Le piano ne jouera que sur les touches blanches… pour changer)

 

Et le jour est venu, et avec le jour, l’aube des temps. Et la lumière a palie les créations divines. Et avec le jour, l’écriture. Et avec le jour, la mémoire. Et avec le jour la peur. La peur du retour. La peur de la fin. Et avec le jour, la fin des prières. Et avec le jour, l’absence. Et avec le jour, le silence changea de couleur et de destin. Et le jour est venu avec l’aube des temps. Et l’écriture, et les voix de l’écriture, et les solitudes de l’écriture. Et les mémoires. Toutes les mémoires.

 

 

 

L’écriture porte en elle la tentation du retour, c’est pour cela qu’elle s’écrit à rebours du temps qui la dit.chaconne

Retour sur l’inaccompli.

Sur l’inaccompli des temps à venir. Sur l’inaccompli éternel. L’impossible accomplissement. L’impossible sacre.

La défaite.

 

 

 

(3ème mouvement) (Tout l’orchestre)(Respecter les silences, tous les silences et les soupirs, tous les soupirs)(Les violons devront insister sur la couleur bleue, les cuivres se chargeront du rouge)(Le chœur continuera à être silencieux, il est la voix silencieuse, et la première nuit du monde)(Le chef s’inspirera du printemps et du vol des oiseaux pour guider l’orchestre)

 

L’écriture passe son temps à se suspendre, comme si dans ses stases successives se trouvait sa vérité ultime. La Vérité. L’écriture cherche son silence, dans l’au-delà des mots. L’accomplissement du dire dans le vide. Le vide d’après.

L’écriture est solaire, mais elle se souvient de la nuit, car l’écriture c’est la mémoire. Et l’écriture est solaire, c’est pourquoi elle a affaire aux ombres, aux traces qui s’effacent, aux rêves qui rattrapent nos gestes, à ce qui respire encore dans les coins les plus perdus de nos vies.

Comme si le geste d’écrire avait besoin de s’arrêter pour s’accomplir. L’ultime appel à la vie. Et le geste se resserre. Comme la matière dans l’atome. Resserrement de l’espace de l’écriture pour lui donner la puissance du cri. Le cri. Le mot dénué de parole. Le dire pur. Le tintement de la vie dans la chair. La révélation.

Rimbaud cesse d’écrire. Cesse-t-il d’être poète ? Ou bien commence-t-il à le devenir ? Ou bien l’a-t-il toujours été ? L’accomplissement dans l’inaccompli. L’inachevable. Le précaire comme horizon infini. La peau vulnérable du poème se raidi jusqu’à la cassure, jusqu’à la faille de lumière brutale.

Ecrire c’est autre chose qu’écrire. C’est avant tout signifier le feu, et tout ce qui pourra détruire le feu, et tout ce qui art040708sera écrit.

Le feu. Le feu séparé de la chaleur. Le feu comme principe d’ascension et de disparition. Chemin de retour à la nuit. Retour à la nuit lumineuse.

 

 

 

Franck.

 

20 janvier 2007

La folle voix......

« Ecrire, ce n’est pas parler ». Et pourtant… Ecrire porte la voix. Quelle voix ? Pas la voix de notre bouche, pas celle de nos dents, de nos lèvres, de notre langue. Ecrire porte une voix. Une voix de nous. Une voix qui erre en nous. Quelqu’un parle en nous bien au-delà des sons émis. Et c’est un interminable monologue. La litanie infinissable. « Ecrire, ce n’est pas parler », c’est dire. Dire la voix en nous. Et révéler la présence.

Il y a entre la chair et l’os un être qui rode, un être de gravité. A la démarche incertaine et ombreuse. Il y a derrière P1010325notre face de jour, un spectre qui claque des dents. Qui rit parfois. Qui pleure souvent. Et qui parle, un monologue inaudible, interminable. Et l’écriture nous dit sa présence. Dans le creux des silences. Car l’écriture porte la voix de l’ombre. Entre le mouvement des phrases. « Ecrire, ce n’est pas parler ». Car on ne dit jamais rien, rien qui tienne dans un univers en expansion. Et parler c’est contredire la voix de l’ombre. Et parler c’est faire taire la voix de l’ombre. Le réel et le vrai, toujours cette dualité. Et cette déchirure. Et notre vagabondage entre parler et dire. Entre le réel et le vrai, sans jamais être ni vraiment dans l’un ou dans l’autre. A cause d’un univers en expansion. Avec les trous noirs.

Et l’écriture a été inventée comme une arche qui tente de rejoindre les rives du fleuve impraticable. Fleuve. Flots des jours, et notre pitoyable insignifiance. « Ecrire, ce n’est pas parler », car parler c’est se ravaler à chaque mot, à chaque idée, c’est se renier inlassablement par désespoir, ou vacuité, ou peur, ou lâcheté. Et c’est le bruit de nos pas et leurs traces qui s’effacent. Et l’impatience exacerbée. Et le ciel qui s’assombrit.

Ecrire c’est dire, et dire n’est jamais vraiment lisible, puisque dire se fait au couteau, juste entre la chair et l’os. Et dire c’est signifier. Et signifier c’est toucher du doigt le soleil et chaque étoile du ciel. L’écriture révèle la trace du couteau à chaque souffle de la voix.

 

 

 

S2154Ô mon dieu, mes ombres saignent, et ma voix à tant de mal à traverser mon sang. Ma voix, la folle qui tient ma maison, celle qui connaît mes histoires, mes attentes, mes ivresses sauvages, celle qui c’est nourrit au lait de ma solitude, celle qui a creusé mon ventre pour enfanter mes monstres ou mes diamants. Ma folle voix, avec ses vocalises muettes, ses murmures provocants, celle qui me souffle d’incompréhensibles songes, avec sa façon bien à elle de vriller ma mémoire et de raidir ma main qui écrit. Ma folle voix, qui a besoin de tant de vide. « Ecrire, ce n’est pas parler », et elle le sait. Elle, qui pèse sur mes mots pour les rendre impraticables, elle, qui trace des arabesques devant mes yeux, tissant de 29_auroreterribles linceuls avec les fils coupés de mes souvenirs, de mes amours. De mes amours. De mes amours.

Ma folle voix qui a besoin de tant de vide, de tant de lande, de tant d’exil. Ma folle voix qui appelle tous les incendies et qui me voudrait roi ou mendiant. Et elle s’écorche dans ma parole, et me le rend bien, au centuple. De son silence épais elle me retire du monde des vivants. Car il lui faut tout, mon espace et mon temps, et mes yeux, et mes lendemains, et mes toujours. Elle me vide, et me veut fait de rien.

Alors je suis vidé. Vidé des jours et des visages. Vidé de mes histoires. Vidé des peaux que j’ai caressé, des sourires que j’ai tenté. Vidé comme une grande cathédrale de malheur, vidé de mes compassions, des mes murailles de Chine, de mes cascades nordiques, vidé comme un puits de désert.

Alors je suis vidé. Vidé de mes rencontres, et des baisers que l’on offrait au détour de l’aurore. Car il lui faut tout, les ventres que l’on a aimés, la sueur des corps. Même les gestes oubliés, la main que l’on n’a pas tendu. Tout, même mes crépuscules, des mes prières. Tout, même mes océans. Surtout mes océans. De mes cris d’orgueil ou d’effroi.

« Ecrire, ce n’est pas parler ». Et pourtant… Ecrire porte la voix. Une voix qui erre en nous. Ecrire c’est l’anti-matière de la parole. Un trou noir de l’espace des mots. Le trou noir de l’attente, et des tempêtes de l’attente, et du soleil de l’attente. Léger comme une grâce…

« Ecrire, ce n’est pas parler » c’est chanter, juste avant la mort.

Léger.

Léger.

Chanter, juste avant la mort.

Franck.

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