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J'irai marcher par-delà les nuages

8 octobre 2006

La parole impossible......

La parole amoureuse et une parole folle, elle se dit avec les yeux et avec l’horizon. Elle est folle parce qu’elle raconte la nuit, même en plein jour. Surtout en plein jour. Elle est folle parce qu’elle est pauvre, et qu’elle est faite de quelques mots, toujours les mêmes, comme les prières. Et d’un nom, d’un seul nom, comme un seul clou. Et qu’elle sort froissée par le silence qui la recouvrait, et qu’elle se déploie, comme un pétale dans l’aurore, comme le pas maladroit de l’enfant qui commence à marcher. Et qu’il faut pour la dire un ciel entier dans la bouche.

Lent redressement du murmure qui cherche son souffle dans un désastre de lumières et d’ombres. En se dépliant dans labaiser voix incendiée, elle se déshabille, impudique et offerte. La parole amoureuse n’est pas belle, puisqu’elle a quitté la terre et qu’elle est insensée, et qu’elle est inaudible. Et qu’elle est sans intelligence puis que c’est la seule parole vraie, jamais dite. Et qu’elle est sang, feu, dévastation, anéantissement.

Et qu’elle n’est pas faite de mots, mais seulement de visage et de chair brûlée, de chair sauvage et désespérée.

La parole amoureuse est faite de l’échange des lumières, au crépuscule et à l’aube car il n’y a pas de temps pour la dire, pas de lieu pour l’entendre, à par les angles. Car elle n’est faite que d’abandon, et d’éternité tissée d’infini. Elle est la peau qui colle aux lèvres. Et elle est la source au milieu des sables, car elle naît au plus profond de notre solitude claire. Elle ne sait que glisser sur la neige sans laisser de trace. Elle ne sait qu’effleurer l’océan. Enlacer les nuages.

La parole amoureuse ne s’écrit pas, elle est la page blanche et la main qui la caresse et la peur qui l’interroge et la larme qui l’inonde. Elle s’invente et meurt dans l’instant où elle se dit, et à sa place il ne reste que le printemps. Elle est houle insaisissable, où l’espoir à la désespérance se mêle. Lent mouvement du temps et du sang. Lent tremblement des chairs.

02

La parole amoureuse est une parole vaincue, jubilant de sa propre défaite, précipitant même cette défaite. C’est une parole qui naît hors de nous et qui vient mourir sur nos lèvres dans l’éclat d’un silence offert. Elle contient le monde depuis son origine, elle en sait la fin. C’est pour cela qu’elle est d’abord renoncement et consentement. C’est une parole qui n’a pas de force, seulement de la puissance, assez pour couper le réel en son point le plus dur. Personne ne la connaît, elle ne s’apprend pas, mais chacun la sait, puisqu’elle tient à elle seule les fils de notre vie.

La parole amoureuse s’avance à rebours car elle tourne le dos à tout ce que l’on a vécu, elle revient vers notre enfance la plus pure, la plus désolée, et elle va pieds nus dans la langue comme une gitane ébouriffée. Parole dégagée de la parole. Murmure délacé du murmure. C’est une parole effondrée car il lui a fallut traverser les FirstCaresspeaux mortes, les chairs molles, les os cassants et le mur de silence qui la protège de l’indécence, et de l’impudeur. Elle se consume dans le baiser qui la souffle et renaît de son propre désarroi.

Elle ne sait que fleurir, la nuit, au bout des doigts et sur les paupières closent.

C’est une parole qui s’est quittée.

Une parole d’au-delà.

Une parole débordée.

Sans mémoire.

Sans lendemain.

Brisée seulement d’éternité.

Franck.

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7 octobre 2006

On s'assoit....

On s’assoit pour retrouver la lenteur des temps. Alors on respire. On puise au plus profond de l’intérieur du corps. Comme vers un continent neuf qui sortirait des eaux brumeuses. La lenteur appelle l’immobile.

Car seul l’immobile nous rendra la mesure des actes. Tracera les contours de leur gravité. On ne sait les choses importantes que dans ce mouvement de ralentissement. On ne connaît les choses essentielles que dans l’immobilisation. La stase.

Le sens ne se révèle que dans l’atrophie du geste, dans l’engourdissement de la course. Dans l’agonie lente de l’impulsion. Alors on s’assoit, pour mourir un peu plus fort. Un peu plus sûrement. Un peu plus loin. Avec la lumière qui se dégage de la disparition des fièvres, des grouillements, des effervescences. On ne connaît le voyage qu’aux escales, on ne sait dire le désert qu’à l’ombre des oasis.

On s’assoit. On flotte. Lenteur épaisse des heures qui s’écoule en raclant la blancheur des os. Curetage patient de nos insomnies, de nos attentes, de nos désolements. Et le vertige. Et la peur qui s’insinue. Temps étrange et singulier de la lenteur, comme si brusquement il devenait important de prendre avec précaution la vie, et la mort qu’elle traîne dans son ombre, et le souffle. Retenue du mouvement. Comme l’on va pieds nus sur les rochers tranchants. Parcimonie pour échapper à l’écrasement. Et défroisser le temps qui reste, à cause du temps perdu. Défroisser les souvenirs à cause des oublis. Lisser avec obstination la page écrite de trop de mots, de trop d’espoir, de trop désirs inassouvis, de trop de manques. Et chaque instant un crépuscule.

Il y a dans la lenteur du temps cette chose impalpable qui va vers la transparence. Vers l’éclat. L’étincellement. Le reste improbable de l’usure. Il y a dans la lenteur un accroissement d’amour. Comme le murmure accroît la puissance de la parole. Il y a dans ce ralentissement une dilatation de l’âme. A cause du poids, et de cette distance qui n’en fini plus pour atteindre l’immobilité fulgurante. L’irradiation.

Il y a dans la lenteur un accroissement d’amour, comme cette caravane qui progresse dans les sables. Et plus le but approche, plus le pas ralenti. Lent cheminement de l’écorce qui rêve en secret au caillou.

On s’assoit. On laisse monter en soi l’océan vide des regards et des gestes. On élargit les bords du manque. On entre dans son corps, car il est temps d’habiter sa chair et d’ouvrir les bras à l’éternité. On s’assoit et on se laisse traverser par l’éclair d’une solitude grave et brillante. On s’assoit dans cette dévastation du temps inerte. On longe le gouffre de nos peurs. On parcourt encore une fois nos sentiers d’errances. Le souffle se ralenti. Tout est là, puisque rien ne tremble.

Franck

1 octobre 2006

L'écri(veine)....

(Les textes en rouge sont tirés de « L’Oratorio de Noël » de Göran Tunström. Ed. Babel)

Ce matin je t'ai vu dans les replis d'un nuage froissé par la brise
Ce matin un soleil effrayé a éparpillé sa lumière dans l'ombre agitée et inquiète des saules.

Je t'ai vu.
Grand vitrail incendié dans l’aurore de la langue.

« ….Tu voulais savoir comment c’est d’écrire un livre. C’est fatigant ! C’est comme s’obliger à traverser un désert : de longues étapes sans une goutte d’eau, sans un arbre sous lequel se reposer. Puis tu arrives dans une oasis : le langage coule à flots, chaque feuille s’ouvre, tout veut devenir poésie. Ecoute-les, elles chantent maintenant ! Et le stylo vole sur le papier, tu te retrouves dans une sorte de tropiques des sentiments. »

Ce matin, le matin se souvient d'une lune de sang sur la peau blême de ta mémoire, et les rossignols de feu répercutent les plaintes de la nuit qui s'afflige.                                                                                                                                  picasso_pablo_femme_ecrivant_2404201

Ce matin je t'ai vu.
Au hasard d'une aube dérivante, je t'ai vu.
Et la cruauté du jour fige un vertige,
et la vie manque à la vie,
et ton jour manque à mon jour.

« ...Et pense à tout ce qu’un seul être saisit avec ses yeux, à combien chacun de ses gestes est chargé de passé, d’un avenir inconnu, et à cette fragilité douloureuse que peut être celle du présent : comme une fragile touffe de linnée boréale coincée entre deux rochers en mouvement. C’est cette linnée que tu dois photographier. Oui. Et ensuite cette décision à prendre, quand le bonheur d’une idée est devenu travail et angoisse : choisir d’où l’on va écrire, on peut rester à l’écart, utiliser des jumelles et la contempler à distance, balayer tout son monde d’un bout à l’autre, englober tout le panorama dont elle n’est qu’une infime partie. On peut s’en approcher à cinquante centimètre de distance, et cela devient un autre livre, et on peut se glisser en elle, ce qui est le plus difficile, le moins reposant, parce qu’on ne peut jamais abandonner un être à mi-création ! Il faut e pencher sur cet être, sur son cœur qui bat, noter le rythme de sa respiration, sentir les mouvements de son visage comme ceux e cils vibratiles. Mais en fait, je ne ais pas. Je n’ai pas de théories en dehors de ce que j’écris, à ce moment là je sais. »

Sur les mots alignés du poème, sur le noir des silences un voile de rosée limpide est tombé.
Ce matin je t'ai vu comme un archange aux pétales chiffonnés par une Vénus fière. Et triste.
Je t'ai vu comme une enfant qui se balancerait dans les couleurs blessantes du jour. Un grand lys blanc couronné d’escarbilles qui effleureraient la phrase d'un souffle frais. Nouveau.

« Je n’ai rien d’autre. Je suis mauvais en ce qui concerne la vie. Il y a comme une pellicule entre la vie et moi. Mais quand je cris… je veux dire quand j’écris… alors je m’imagine que cela s’entend à travers la vie et droit dans…suis-je ridicule ?

- Bien sûr. Tout comme moi. »

Ce matin je t'ai vu dans les reflets bleutés d'un papillon crucifié par l'éclat noir des restes de cette nuit.

Une nuit d'encre amère et monotone.

Où tu as puisé au sang, le noir des veines pour le tirer jusqu’au rouge du cœur. Sang noir contre sang rouge. Entre les deux, un souffle. Ton verbe.

Je t'ai vu dans ce rêve lancinant, princesse inassouvie, fulgurante, ardente, toujours prête à t'envoler sur l'aile d'un soupir, tenant la phrase d'une main ferme et caressante.

Je t'ai vu, et j'ai senti en moi une barque chavirante alourdie par trop de chair morte.
Je suis comme un dieu taciturne et sombre sur le seuil du jour. Immobile. Délabré par cette indéchiffrable écorchure cristalline. Recroquevillé dans tes silences, pour me protéger de cette absence, de cette distance.

« Je connais ces cris là. Toi aussi tu les connais. Nous vivons de cri en cri. Mais entre eux un filet d’eau trouve son chemin. Il disparaît, il réapparaît, une fois, deux fois, trois fois peut-être dans notre vie, pour que nous puissions y tremper nos lèvres et continuer notre chemin. Si je me trouvais ici, c’était parce qu’il m’avait été donné de voir ces scintillements dans la vallée des morts. J’ai pu entendre la musique là où je m’y attendais le moins »



Je t’ai vu drapée de phrases d'organdi nacré. Divine. Souveraine. Tu flottais irréelle et pure au plus haut de la forteresse crénelée de la langue.

De la cassure du jour suintait une sorte de rosée, une pluie et quelques mots et cette belle présence. Innombrable. Infinie.
Ce matin je t'ai vu et j'aurais voulu briser les rayons de ce soleil impudique.
Je regarde le lit défait des mots où le corps de la voix épuisée par trop de lassitude déborde d'un songe défiguré.

Au pied du lit quelques cris, laissés là, dans le désordre des souffrances. Des insuffisances. Des oublis.

« Cela peut prendre longtemps avant que ce qu’on a dit se mette à fondre. Parfois cela ne donne pas de la musique avant qu’on soit adulte. »  « Pourquoi ? » « Parce qu’on est gelé à l’intérieur de soi-même. Bien qu’on ne le sache pas soi-même. Mais un jour, quand on est très triste, ou qu’on a vraiment faim de quelque chose et qu’on est complètement seul, alors on s’aperçoit brusquement que nos vieux mots deviennent de la musique. »



Sans_titreAvec obstination j'invente ton visage toi l’écrivaine. Et c'est une folie muette.

Démesurée. Tyrannique.

Mais plutôt, l’écri-veine, à cause du sang qui circule dans tes textes, un sang lourd et épais, aux reflets crissants, chargé d’histoires, de regards, de rencontres, chargé de gros caillots de silence. Oui ! Ecri-veine, parce que tes mots reviennent tous vers le cœur. A rebours. Tes mots partent des organes les plus lointains, les plus douloureux parfois, les plus blessés souvent, et remontent dans les veines du langage, dans les veines de la mémoire, pour éclater enfin aux tempes du coeur, du cœur rouge du texte.

Parce qu’un jour tu fut arrachée, jetée dans l’ailleurs du cœur, dans l’exil…

Alors tes mots de sang veineux ont coulé un à un, chaque jour, pour le rejoindre ce cœur.

Et pour être dans ce cœur, au plus près de la vie périlleuse.

Perpétuelle insomnie.
Ce matin je t'ai vu au milieu des draps pourpres de ta nuit déshabillée de toute parole. Et c’était une musique qui venait par-delà les nuages. Comme un triomphe de flammes. Comme une brassée de pétales multicolores. Comme un printemps au cœur de l’hiver.

Franck.

30 septembre 2006

L'écrivaine.......

La parole du matin n’efface jamais totalement la nuit. Dans la rosée des mots on décèle parfois quelques chagrins inconsolés.

Inconsolable.

Et chaque matin il nous appartient de réinventer la langue. Et chaque matin il nous faudrait renommer toute la création.

ÐÑ

Dans ce coin d’univers où elle est posée, elle nous dit l’attente sombre, et le monde qu’elle voit au balcon de sa mémoire. Ses jardins. Ses jachères.
Il faut imaginer, c’est une silhouette ballottée par les remous d’une onde fraîche, une forme frissonnante dans la marge transparente des jours frivoles, une figure dénudée et chaste, une figure d’horizon dans le reflux des saisons. Chaude icône aux cheveux de brouillards à la peau blanchie d’écume.
Et ses yeux ont cette brillance singulière, où dans le même mouvement des paupières apparaissent la joie gourmande de la vie et la tristesse, sans laquelle cette joie n’aurait aucun sens.
Des yeux ardents écarquillés sur l’envers du décor.
Un regard ruisselant qui donnent de la lumière au royaume qu’elle habite.

Un sourire la pare souvent, un sourire de perle dessiné avec un souvenir d’enfance, le sourire lunaire des consolations enfantines avec son infinie douceur, son infinie langueur. Oui, l’infini de l’amour fragile prêt à défaillir.
Un sourire la pare, à moins que cela soit des larmes d’une jeunesse arrachée au ciel.
Elle confectionne un paysage de textes avec une incomparable aisance, ainsi elle le ferait d’un bouquet tumultueux de fleurs sauvages. Fleur à fleur. Mots à mot.
Chez elle chaque texte est une chrysalide. Et de ses seuls doigts elle fait naître les papillons des mots. Et parfois sa main glisse sur le clavier, elle caresse les touches comme si elle traversait mille vies.
Chaque jour elle s’embarque pour un voyage qui pourrait la déposer sur les rivages brûlants des passions crépitantes. Navigation incertaine, presque hésitante, toujours au bord d’un naufrage. Les textes sont les nuages qui la guident. Qui la sauve, ils sont les alizés qui portent sa dérive, les albatros qui lui composent et saisissent l’âme.

Tout le jour elle est dans le mouvement des mots, dans leurs couleurs, leurs cendres, elle est dans le blanc de la page entre le noir des lettres, elle écoute leurs histoires.

Alors elle se sent pénétrée par un grand fleuve.

Chaque texte est fait de sa chair et de l’attente, de l’attente et de l’amour, de cet amour inachevable et son souffle se suspend lorsque survient des réponses inconnues, réponses de blessures ou de solitude claire. C’est un vertige enivrant, car elle connaît leurs folies désarmées, leur transparence secrète, cette part épuisée qu’ils charrient. Elle sait les secourir en les enchantant d’un regard d’amour, en leur prodiguant le geste d’abandon essentiel : ce baiser protecteur qui les éclairent.

Et lorsque le lecteur, ombre de passage, traverse son temple pour cueillir quelques mots, tel le promeneur absent dans un champ de coquelicot, elle n’oublie jamais un dernier frôlement comme elle le ferait sur la joue rose d’un enfant.

Quand vient la nuit dans l’obscurité religieuse de sa petite maison de mots, bien calée entre deux silences, elle entend laLady_20Writing_20a_20Letter_20_vermeer__jpg voix des textes, leurs chants. Et le chuchotement des heures. Elle est alors un port scintillant qui veille sur le balancement des barques, la sentinelle des mots, la gardienne d’un phare sur l’océan de la langue, une lueur de crépuscule sur nos chemins d’espérance. Elle est assise, attentive, et sa beauté est émouvante par l’évidence de son regard qui dit l’amour dans sa part de murmure, de don, dans sa part la plus effondrée, celle qui gît au plus profond, dans sa part d’enfance ressuscitée presque sauvée de la nuit, des blessures et des souillures, et des oublis, et des méprises.

Calme et douce, elle ressemble aux souvenirs comme une source, comme une eau gorgée de musique, de nuances étranges, une eau qui laverait le ciel de nos peurs, un baume de vie pour l’errance.

Chaque nuit elle chante, parfois elle vole, et la course des étoiles s’organise autour d’elle avec lenteur et mesure, car elle a le pouvoir d’arrêter le temps, de le suspendre. Elle n’est pas une ombre, son sang est rouge et il coule comme un torrent fier. Et elle ne dort jamais, parce qu’il faut veiller sur tous les fantômes de sa maison hantée, ils pourraient envahir la terre. Alors elle surveille. Armée de ses mots et ne laisse rien passer. Surtout pas nos faiblesses, nos complaisances. Elle est là, dans la nuit. Elle veille.

Elle écrit.

« Mon amour, tes plus longs silences sont mes plus beaux poèmes...

Mon amour sais-tu que l'étreinte est la forme la plus accomplie du langage.
Mon amour sais-tu que l'absence de l'étreinte est la forme la plus accomplie du dénuement.
La puissance d'un désir abandonné.

Mon amour crois-tu que c’est le début de la folie….

Mon amour que pourrais-je taire afin que tu m’entendes... »

ÐÑ

La parole du matin n’efface jamais totalement la nuit. Dans la rosée des mots on décèle parfois quelques chagrins inconsolés.

Inconsolables.

Et chaque matin il nous appartient de réinventer la langue. Et chaque matin il nous faudrait renommer toute la création.

La parole du matin

Se reconnaît à ce qu’elle n’a pas d’ombre,

Elle s’avance, nue,

Dans l’éclat éblouissant de la lumière,

C’est une parole qui brûle la langue

Et qui consume l’âme.

Franck

26 septembre 2006

Imminence.....

Avec l’écriture de la neige, m’est revenu cette nuit, ces instants de la Creuse. Et d’autres neiges, et d’autre temps. Et c’est un samedi de février. C’est l’hiver. Dehors il fait froid. Le ciel est bas. Il faut l’imaginer, lourd. Pesant. Il attend. Nous venons de finir le repas de midi. Isabelle est silencieuse. Comme le ciel. Comme tout ce qui nous entour. C’est un temps d’imminence, d’approche. Dans la cheminée le feu résiste au poids qui l’écrase. Il brûle avec effort. Avec tristesse. Résignation. Le bois suinte, craque. Les flammes ne chantent plus, on pourrait entendre leurs plaintes. Comme si la chaleur se brisait sur le froid, le silence. Dehors le ciel laisse tomber des morceaux de laine grise qui s’accrochent aux arbres nus. Le jour a du mal à traverser l’étendue de tristesse de ce ciel épuisé, saturé de gris, affaibli par l’hiver. Notre petite maison semble encore plus isolée, plus solitaire, plus mélancolique. Les horizons ont disparu. Une embarcation à la dérive dans cette saison interminable, et le silence, et le froid, et l’attente. C’est un samedi de février. Dehors il fait froid. Le ciel est trop bas. Trop lourd. Trop pesant. Isabelle est trop silencieuse. Elle a sur le visage ce voile d’inquiétude qui fait pâlir son regard. Et maintenant elle est pelotonnée dans le petit fauteuil rouge. Sa tête repose sur le dossier. Pour parler il faudrait que la parole traverse tout un engourdissement, et l’épaisseur d’un ciel. Et c’est impossible. Elle a remonté ses genoux contre sa poitrine. C’est un temps d’imminence, qui prend son temps puisqu’il connaît déjà l’issue à sa pesanteur. Je suis devant la fenêtre. Je regarde le grand champ se faire peu à peu dévorer par ce ciel taciturne, accablé. Il a perdu ses couleurs. Cela commence toujours comme ça. Les couleurs disparaissent. Au bout du champ la rivière s’est asphyxiée entre les souches et les pierres grises. L’univers s’est rétréci, il perdu son sang. On étouffe de froid, et d’hiver, et de silence, et de lenteur. Je regarde le grand champ s’effilocher sous cet immense nuage, trop lourd, trop bas. Dans la pièce résonne en sourdine Rachmaninov, « L’île des morts ». Un aveu. Un présage. Lent ressac d’une mélodie obscure. Noire. Quelque chose vient, à pas lourd. Quelque chose est parti il y a des siècles et va arriver là, maintenant. Après des siècles de grossesse la mort peut naître. Le cocon pour l’accueil est prêt. Le monde est en ordre. Rachmaninov s’accroche aux ombres des flammes tremblantes de froid et va se perdre tout au bout du champ dévoré par le gel austère. Et l’attente. Paysage délavé, qui a perdu son énergie, sa vigueur, qui s’abandonne à sa déchéance. Isabelle ne bouge pas. Elle est adossée à l’hiver et à la lenteur du jour. Elle a remonté sur elle une couverture de mélancolie. Temps creux des défaites. Temps vide. Et pourtant si chargé, si compact, si serré. Abondance de tristesse, abondance de fins, de limites. La mort généreuse, complaisante, prévenante. Patiente. Attentive. Scrupuleuse. Méthodique. Oui, temps raidi par le froid. Figé dans l’imminence. Seule la musique a ses excès. Elle occupe désormais, seule, l’espace et temps. Ce qu’il en reste. « L’île des morts », mouvements amples et sombres. Lancinants. Grave. Je regarde à travers la vitre, et je sens la montée du naufrage, comme une évidence. Isabelle est immobile. Et le feu râle, comme si ses poumons ne suffisaient plus à alimenter son ouvrage. Et la lumière du jour s’affaisse un peu plus, l’ombre se tasse et devient plus dense. Il faudrait que tout cela finisse. Mais il y a des instants qui n’ont pas d’issues.

Et puis cela commence. D’abord on ne le voit pas. Rien n’a changé et pourtant rien n’est plus pareil. On dirait qu’il y a surcroît de douleur, une dernière expiration. On dirait que l’on vient de traverser un monde, que l’on est aux confins de l’univers. Et quelque chose lâche. Le jour, qui s’agrippait avec férocité à la pierre grise heures lâche.

Au début c’est imperceptible. Les flocons sont si fins, si ténus, si fragiles, qu’on les voit à peine. Ils flottent. Ils ne savent pas encore s’ils vont réussir se poser au sol ou s’ils vont remonter d’où ils viennent. Ou s’évanouir. Voilà, ça commence par cette danse hésitante et légère. Ça commence par la voix hésitante et légère d’Isabelle. Ça commence par un trou dans lequel s’engouffre la parole. « J’ai besoin de faire le point…. Il faudrait que je prenne une chambre à Guéret… pendant quelque temps…. Le temps de…. » Je regarde dehors, la pluie blanche peu à peu s’épaissie. Peu à peu la grisaille humide du champ s’éclaircie. « Tu comprends… ? ». A cet instant je sais que je ne peux pas répondre. Non, je ne comprends pas. A cet instant je ne veux pas comprendre. Il n’y a rien comprendre, là. Simplement à assister à cet écroulement blanc. Maintenant les flocons sont épais. Lourds. Serrés. C’est un déluge de silence blanc, massif. Je ne dis rien. Je regarde dehors. Me revient à ce moment précis, cet autre hiver, cette autre neige. Ma mère suffoque ses dernières respirations. Et je vois la neige tomber sur le grand tilleul, au milieu de la cour. Blancheur mortelle des temps de neige. Isabelle attend ma réponse. Ma parole. « L’île des morts » est en train d’expirer ses dernières mesures. Mon regard se perd au loin du souvenir. Je suffoque, j’étouffe. J’entends la respiration haletante de maman. Et la neige comme un effondrement du ciel. Silence blanc pour étrangler l’extrémité des râlements. « Franck… ! Parle-moi….! » Sa voix est douce, mais quelque chose a brusquement débordé plus loin. Le ciel dans son déluge. Le temps dans sa tension. Et seul le feu semble revivre. Il rejoint sa flamme. J’entends à nouveau des crépitements clairs. Dehors c’est une avalanche. Tout est blême. Déjà sur le sol, grossit le linceul crayeux. Quand la neige tombe c’est la fin d’un monde. Et on ne sait rien du suivant. On est envahi, par la suffocation des mères, par la mort vêtue de blanc. Isabelle s’est levée. Elle est derrière moi. Elle ne me touche pas. J’entends sa respiration. Elle aussi regarde dehors. C’est une après-midi qui n’en fini pas. Qui ne peut pas finir. Il semble que la blancheur du dehors éclaire un peu plus l’intérieur de la maison. Ecrasement des ombres dans les angles de ce temps de profusion laiteuse. Quelque chose halète dans ma mémoire. Essoufflement du souvenir. Maman racle les derniers instants de la vie. Les dernières miettes. Je l’entends et je vois de gros flocons blancs, presque gras, tomber comme une désespérance, éteignant tous les bruits inutiles. Je suis derrière la vitre du coté des râles, du coté de l’essoufflement. Sur le carreau la condensation rajoute de l’opaque aux heures. La petite maison dévire dans l’océan blanc. J’entends les derniers raclements de notre histoire avec Isabelle. Les dernières miettes. Le froid est passé à l’intérieur. Il colle aux parois de ma chair. Cristaux étoilés de givre blanc. Et j’ai la sensation d’avoir de la neige plein la bouche, de la neige comme de la cendre. Et chaque mot que je pourrais dire irait se perdre dans l’étendue blanche devant mes yeux, derrière ma mémoire. Et cette neige qui tombe a signé un pacte avec la mort, avec la fin. Couverture de silence sur l’oubli.

Et il y a comme une colère qui coure dans mes veines. Un peu comme une avalanche. Et c’est froid et bouillant à la fois. « Pourquoi tu ne dis rien… ? » « Parce que c’est la fin, et qu’à la fin on ne dis jamais rien…parce que c’est trop tard… », « J’ai simplement dis que je voulais faire le point…. » « Je dis simplement que c’est la fin…. » «  Pourquoi tu dis que c’est la fin… ? » «  A cause de la neige…. » «  Peut-être un mois ou deux, peut-être c’est rien… » «  C’est déjà plus que l’éternité… » « Peut-être que ça va passer… tu sais mon analyse, ces séances épuisantes… » « Oui, je sais… à ce moment là du temps, elle ne pouvait plus respirer… » «  De quoi tu parles ? » « Je parle de la neige, de ce froid, de notre séparation, de cet effondrement dehors… et là, à l’intérieur… ». Alors, Isabelle c’est rapprochée encore, et elle a murmuré comme un enfant fautif : « Pardon…je… » «NON ! Tue-moi, mais ne me demande jamais pardon… ! Non, pas pardon !... Maintenant tu dis pardon, ma mère a dit pardon… pardon, pardon…. Vous dites toutes ça… pardon… parce que la neige tombe… c’est facile, pardon… . Non, je ne pardonne rien… ni à toi, ni a elle, ni à la neige, ni a personne… on ne négocie pas l’amour… c’est tout, ou rien !» Je regarde dehors, la lumière faibli. «  Tu vois, là devant toi, derrière cette brume, derrière cette neige, sur la colline. Tu vois, elle est là, depuis toujours elle est là. Ses derniers mots pour moi ont été,  « pardon », après elle a pliée les gaules et on l’a posé sur cette colline, sous une grosse pierre. Et son « pardon » est resté là, bien dehors lui, comme une question impossible, comme un mystère… tu comprends je n’ai rien à pardonner….au nom de quoi j’aurais quelque chose à pardonner !... ». Et la nuit est venue. L’éclairage de la maison faisait un halo de lumière pâle sur le grand champ de neige, dehors. Je voyais cette pluie immaculée traverser l’ombre et la nuit. Et je sentais une éternité de neige à venir…

Et tout fut dit.

Franck.

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23 septembre 2006

Entre l'avant et l'après.....

Il y a un avant et il y a un après. Entre les deux, un grand champ de neige. Et l’écriture, blanche, sur la neige blanche. L’impossible inscription de l’instant. De l’eau sur de l’eau. Que savons-nous de ce que nous écrivons ? Si peu. A part ce mouvement qui remonte des viscères, qui roule sur le thorax, froisse les poumons, et qui vient s’effriter dans la bouche. Que savons-nous de ce que nous écrivons ? Rien. L’objet du texte invente le sujet. Ecrire pour maudire la parole. Invoquer le silence dans des phrases trop bruyantes. Parler est vain, se taire impossible. Vivre l’écriture entre les deux. Le grand champ de neige. Blanc. Et l’écriture trop blanche. Le pas de l’écriture s’enfonce. Tasse. Disparaît sousraquettes_trace le poids de son insistance. La phrase ne tient rien. Et je ne retiens plus la phrase. Elle m’entraîne dans le blanc.

L’anachorète a fait trois tas devant sa grotte. A droite il a posé ses gestes, tous ses gestes, toutes ses actions. A gauche, il a fait un tas de tous ses vêtements. Et au centre il a déposé sa parole. Toute sa parole. Tous les mots de sa langue, même son nom. Puis il est entré dans la grotte, il s’est assis. Il a fermé les yeux. Alors il n’y eut ni avant, ni après. Il n’eut plus à traverser le grand champ de neige. Il était la neige. Une et innombrable.

 

L’écriture tient les bords du temps.

 

 

ÐÑ

 

 

La vérité du mot c’est le silence qui le suit, la vérité de l’amour c’est le silence qui le précède. Car il nous faut conquérir l’âme du monde pour l’accomplir ou le brûler. Pour l’accomplir en le brûlant.

 

 

ÐÑ

 

Nul lieu ne nous attend.
Nul temps ne nous espère.
Nous sommes issus d'une fièvre ou d'une folie, nous sommes une trace qui s'épuise dans l'infini des cieux, une ivresse à la dérive, une note qui s'obstine, un rêve qui s'effiloche, un simple souvenir dans la mémoire des dieux.

 

 

ÐÑ

 

 

Ecrire conjure le vide.

C'est la tentative d'un dialogue avec sa part la plus irréductible, sans doute la plus douloureuse.
Il s'agit de côtoyer les ombres de les frôler, de les désigner de les ressusciter. Il faut rajouter quelque chose au vivre, soit pour le parfaire soit pour le refaire pour lui donner sa dimension de silence. De fièvre.
En fait, écrire nous dit l'ombre de nos actes, de nos paroles et le trou décelé dans l'écorce crevassée de nos vies démembrées.
Ecrire touche à la substance même de ce que nous ignorons.
Ce qui fut ignoré sera écrit
Ce qui n'a put être dit sera écrit
Ce qui n'a put être écouté sera écrit
Ce qui a été refusé sera écrit
Ce qui a été perdu sera écrit
Ce qui a été espéré sera écrit
Ce qui a été pleuré sera écrit
Ce qui a été sali sera écrit
Alors, alors seulement, ce qui aura été écrit sera chanté.

 

ÐÑ

 

neige_champs

Rejoindre un cœur est un voyage impossible. Rejoindre un cœur est une vraie folie, parce que les mots tombent, ils nous échappent et se brisent aussi facilement qu’un souvenir, ils ont besoins de toute notre attention pour rejoindre, à force de couleur, de musique, d’élan, une parole juste et attendue. Peut-être secourable.

L’amour court sur la lame d’un sabre, un mot trop lourd, trop pesant et c’est la blessure. La rosée qui l’abreuvait, qui le nourrissait, se transforme en sang, c’est ce qu’on appelle le sang du poète.

Le plus court chemin pour le mot c’est le baiser.

 

Combien de temps pourrais-je encore tenir les bords tranchants de l’écriture ?

Franck.

17 septembre 2006

La couleur du silence.....

A regarder en arrière de l’écriture je me rends compte d’une chose, c’est de l’instabilité du mouvement. Il y a les textes de surface, ceux plus médians et d’autres au ras de l’os. L’humeur de l’écriture navigue entre ses trois niveaux, ces trois élocutions. Plus on perd en lumière plus on gagne en intensité.

La peau, la chair et le sang, l’os.

L’évidence est dans les « Marie Madeleine » de Georges de La Tour. Trois tableaux. Pas trois essais. Trois niveaux d’écriture. Trois temps du temps. Trois temps de l’arrachement.

gdelatour_madeleine_metrop_artchiveJe regarde. Fasciné. Avec cette émotion confuse, envahissante. Brûlante. Ce n’est plus une peinture, c’est un chant. Dans cette avancée dans le noir, dans le silence de la couleur il y a un mystère. On touche là, l’os du peintre. L’épure du mouvement.

Il y a une progression. Au premier tableau, Marie Madeleine se trouve au tout premier instant de sa révélation, elle a encore ses vêtements de fille de plaisir. Elle vient d’arracher ses bijoux. Elle est en marche vers l’inconnu de la foi. L’expérience intérieure.

Elle appelle le noir, et le peintre lui répond. Lui aussi se met à genoux pour peindre le silence. Il s’applique à cette lumière. Invente des lieux de regard qui n’existaient pas. Il invente un pays de recueillement. Il s’applique dans ce noir qui n’a rien de tragique. La lumière n’est qu’un reflet. Même la bougie disparaît. Traversée. Perforation. Envoûtement. Il s’applique à inventer la lumière de l’amour. Avec le silence qui va avec. Il nous met a distance, pour nous prévenir. Pour protéger Marie Madeleine aussi. Elle est plus nue, qu’elle ne l’a jamais été. Elle touche le dénuement de la foi. Eteindre le monde bruyant, sauvage. Eteindre la lumière des agitations vaines. Attendre. Aller au bout du désespoir. Ne plus rien espérer. User ses humeurs. Qu’il ne reste rien. Que la voix du silence. Oum Kalsoun. Déchirement du ciel. Mahler. Eteindre chaque mot de la langue, un par un.

Au premier tableau, Marie Madeleine vient de faire le saut. Après elle apprend dans la douleur sacrée à consentir. C’est l’histoire du vol ébloui. La chute dans la lumière obscure. Saint Jean de la Croix. Les expériences artistiques qui n’auraient pas de versants spirituels n’auraient aucun intérêt. Et par ailleurs cela n’implique aucunement l’existence d’un quelconque dieu. Avant il existait la peinture, Goya invente le peintre. Il lui fallait un pays à ce peintre, de La Tour l’imagine. Il fallait un lieu de l’âme.

Noir, lent, lourd. Pesanteur de la grâce. Fragilité de nos destins. Désarticulation de la langue. Atteindre la coupure, l’entaille, la morsure.

09magdalRembrandt peint la nuit, Goya aussi, mais là… Dans ce troisième tableau de de La tour, ce n’est pas la nuit, c’est autre chose. De plus profond, de plus insensé, c’est le lieu impossible de notre vie. Faire sortir la lumière de toute cette ombre, la chercher au centre obscur. La faire venir de derrière le tableau. Voir le destin de la flamme dans ces trois tableaux c’est voir notre propre destin. D’abord double, tout en richesse et en reflet. Puis simple et droite. Enfin en manque, en chaleur, en irradiation. La lumière de de La Tour suggère sa disparition, son absence. Elle n’est jamais si présente que lorsqu’elle disparaît.

Nous sommes entrés avec Isabelle dans la petite chapelle de St Médard. Souvent nous y allions. C’est une fin d’après-midi d’été. Il a fait chaud. Le granit des pierres transpire de fraîcheur tendre et tranquille. Quelques cierges sont allumés. C’est une fin d’après-midi d’été. Dehors le jour s’apaise dans les derniers crépitements de chaleur. Dans la chapelle d’ombres il fait bon. Il fait bien. Il fait heureux. Temps fragile. Je sens les lèvres d’Isabelle se poser sur ma joue. Ses yeux rient et elle pose son doigt sur sa bouche. Chut… ! « Ne dis rien… ». Elle s’avance. Et elle se met à genoux. Et elle est prise dans l’onde de lumière du grand cierge. Et ça aussi c’est un tableau. Elle est à l’intérieur. Non, elle est partout, sauf là. Pour s’enfuir elle est passée par son centre de silence et puis hop ! Pâle, blanche, perdue. Belle, infiniment belle les yeux clos, la face tendue vers le petit vitrail. C’est étrange, j’ai brusquement l’impression qu’un voile la nimbe. Je suis tout près. Je ne peu détacher mon regard de sa figure blanche, pâle, infiniment belle. Le temps n’a plus de prise sur le jour. Et plus le soir arrive plus sa pâleur ressort. Maintenant il fait nuit. Le cierge absorbe tous les restes de lumière. Sur les joues d’Isabelle je vois rouler de minuscules larmes. Silence contre silence. « Sortir de la prière c’est comme accoster, on regagne la terre ferme et pourtant on a encore dans le corps la houle du voyage…on sait qu’il fait jour et pourtant on est encore dans la nuit. Et pourtant c’est un bonheur… »

Elle aimait comme elle priait. Avec abandon, et blancheur. Avec cette intensité calme. Avec ces larmes qui n’étaient pas toutes chagrin.  « Tu as fais un beau voyage ? ». Elle se sert contre moi, prend mon bras. Nous sortons. « J’ai frais, et c’est si bon… »

gdelatour_madeleine_ngwash_cgfa_agrandieLe chemin d de La Tour est un chemin d’écriture. De tableaux en tableaux, il n’allège pas, il développe, il accentue, il aggrave. Il rend grâce. Le noir n’est pas une absence de couleur, c’est la couleur de nos vies d’écriture. A coup de grands à-plats d’ombres il traduit le silence le plus radical. Dans le dernier tableau Marie Madeleine est à son œuvre. Elle prie, médite ou écrit, qu’importe, elle est au plus près de sa désolation et de sa joie. Elle est là, mais elle est ailleurs. La main gauche posée sue le crâne des vanités lui rappelle la fragilité des entreprises humaines. Maintenant elle ne sait que brûler. Si dans le deuxième tableau on peut encore imaginer qu’elle doute, il n’est plus question de doute au troisième. Un tel silence ne peut naître que de la certitude d’une âme franche, humble et droite.

Avec lenteur le peintre pose le noir du tableau. Lentes et profondes couches de noir. Il est dans son atelier. Il se tait. Il peint. Il n’en fini pas de redire la même chose, les mêmes couleurs, la même espérance. Silence sur silence. Il pense à Marie Madeleine. A sa solitude. Lui aussi il est arraché. Seul. C’est une montagne ce tableau. Ce noir. C’est un océan. Un ciel. Il s’applique, là plus qu’ailleurs. Ne pas succomber à l’envahissement. A la folie. Et pourtant c’est bien une folie ce tableau. Ne pas trembler. Il se souvient de sa première Marie Madeleine, il en avait peint la peau, presque la poitrine. Et puis…. Comment écrire le dénuement de l’âme ? Comment sans détruire la couleur ? Comment sans essayer de créer la plus improbable lueur ? Comment dire la fragilité et la force dans le même éclat ? Comment dire l’impossible travail du peintre. Tout enlever en gardant tout, et plus encore. Comment peindre le souffle ?

Et c’est un long poème de vie et de mort. Peindre la gravité c’est comme l’écrire, c’est peindre le blanc de l’os avec le rouge du sang. Et recommencer…. Et recommencer…. Et recommencer….

« …on sait qu’il fait jour et pourtant on est encore dans la nuit. Et pourtant c’est un bonheur… »

Franck.

16 septembre 2006

Le présent du passé.....

C’est étrange, reprendre un texte d’avant, c’est comme être dans le présent du passé. Ce n’est pas du souvenir, ce n’est pas de la mémoire, c’est… un temps déchiré.

Il me faudrait dénuder le temps. Défaire chacune de ses couches, chacune de ses peaux.

Je suis une eau errante dessourcé. Je n’en finis pas de couler hors de toute direction, de tout sens. Je cherche un lieu, une âme, un parfum, une voix, un chemin. Il n’y a pas d’issue à l’errance, c’est d’ailleurs comme cela que nous la reconnaissons. Pas d’issue.

Défaire temps de ses exils. Avec la patience du tailleur de pierre.

« Il me faut dénuder le temps.
Il gît nu maintenant, dans son impudique pureté, étendu dans le lit de la langue, et je pose mon cœur sur l’oreiller des mots, et je recouvre mon corps d’un linceul transparent…
Temps nu…
Il plante sa lame tranchante dans le gras de ma vie jusqu’à en toucher l’os…

L’os.
Temps nu d’attente verticale et crépusculaire, parenthèse frémissante aux paupières du rêve.
Faux blanche dans un champ d’asphodèles…
Temps nu du silence…. Ecoulement bourdonnant de substances misérables dans la veine des heures… »

Ces mots sont habillés de pénombre tremblante. Il y a la bougie qui éclaire à peine le bureau. Pas un bruit. Je m’entends respirer. C’est un vertige ce retour en arrière de l’écriture. Ces mots là, étaient partis au loin, et les voilà qui reviennent. Je les accueille comme une marée. Sombre déferlement. C’est avant, et pourtant c’est maintenant, c’est le même temps.

Je parle du plus profond de ce grattement d’os. De ce temps arrêté.
Pourtant… j’essaye de rejoindre avec quelques mots murmurés, avec l’écriture la plus virginale, avec rien, une rive inconnue couleur de l’ambre…
L’écriture est le geste le plus dénué de sens. C’est une pure folie. Vivre à l’intérieur l’expérience du serpent sacré. Et de l’exil.

Mon rapport au temps est insolite, il est entré en moi par la porte de l’ennui. Donc de l’oubli. Seule la rêverie permettait d’effacer l’épaisseur, la consistance, résistance d’un temps douloureux. Attendre lorsqu’il n’y a rien à attendre. Faire passer, user l’immuable est le poison de toute une vie. Dans l’ennui il n’y a pas de début, il n’y a pas de fin. Il n’y a que l’interminable noyade. Quelque chose en soi, ne cesse de chavirer.

D’où venait-elle ? Quelle partie de ma mémoire brûlait ? Quel océan m’appelait ? Avait-elle un visage ? seulement un visage…..Quelle drôle d’espérance m’habitait.  J’écrivais à l’ombre d’une bougie. Dans une faible lumière chancelante, recueillie, d’une bougie toute simple. C’était un temps ou écrire était écrire à quelqu’un.

« Pour toi j'ai labouré la terre du ciel avec ce glaive de cristal capturé aux rayons scintillants d'une étoile.
Pour toi j'y ai semé des perles de printemps
J'ai creusé l'écorce inquiète des jours pour faire issir de chaque désir des essaims de cerisiers fleuris… »

Après vient le temps ou l’on écrit à personne. Les mots ne sont plus destinés. Ils sont « la » destiné. On les décharge peu à peu des intentions, bonnes ou mauvaise. On éteint progressivement leur lumière. On les veut plus silencieux. On les veut plus lents. Plus justes.

Je me voulais jardinier. Je ne suis qu’un laboureur.angelus

« Pour toi j'ai puisé au puits de mon sang dans cet étrange étranglement de ténèbres.
Pour toi j'ai affronté les pentes vertigineuses des ravins de la nuit,
Et dix fois traversé l'échancrure du néant,
Et cent fois prié les entrailles du temps,
Et mille fois bénis la grâce tournoyante des galaxies… »

Il y a une exaltation née de la couleur des mots et du rythme de la phrase. Comme si les mots se fascinaient eux-mêmes, comme s’ils étaient pris dans leur propre ivresse. Leur propre délire d’invocation. Je me souviens de ce brassage intérieur. Déraison que tout cela. Je n’étais qu’à la surface des mots. Sillon superficiel.

J’utilisais les mots. La vérité, c’est eux qui doivent nous utiliser. Le mot juste doit blesser. Les mots vrais peuvent tuer.

« Je me suis fait mage pour guetter ta venue dans les dessins des cieux.
Oui, j'ai labouré l'immense cosmos arrachant inlassablement les racines fibreuses de tes cauchemars, déchiquetant sans trêve les ronciers du soupçon.
J'ai poussé les murs de l'horizon pour te faire de la place,
Attisé les aurores pour réchauffer ton cœur,
J'ai tissé le grand voile des nuées pour habiller la nudité de tes rêves,
J'ai tremblé de tes frémissements… »

Trop bruyant. Infiniment trop bruyant. Il n’y a pas d’espace dans cette parole. Pas même de quoi y glisser un silence. Respiration d’essoufflé. L’incantation appelle la magie et le mystère, et la révélation. Et c’est une eau hésitante, malgré le ton la marée ne monte pas. Il y a là, un entêtement désespéré.

« J'ai chargé des montagnes de mots dans le char de

la Grande Ourse

pour verser, au matin, sur les bourgeons galactiques cette pluie fine de lueurs de hasards dérobée aux velours de la nuit.
Dans le champ des abîmes j'ai incendié les brumes pour guérir tes détresses et leurs cortèges d'ombres neigeuses.
Pour étancher ta soif j'ai recueilli l'écume laiteuse d'un astre neuf,
Et tressé dans les spirales étincelantes des comètes une couronne divine pour parer ton front haut,
Et d'un seul baiser sur la fêlure vulnérable de tes lèvres immobiles je déposé le souffle incandescent du firmament… »

Pourtant ce texte ancien résiste. J’aurais voulu l’attaquer, le défaire, le réduire. Mais je n’y parviens pas. Comme s’il portait autre chose, comme si cette autre chose invisible me tenait encore. Quelque chose de l’ordre de l’affranchissement.

« J'ai voulu l'impossible, surtout l'impossible, pour me croire délivré des terreurs du déclin… »

Exhortation qui cherche avec accablement à se survivre. Presque à se convaincre, comme dans une transe vaudou. Parole de danse macabre.

« Epuisé, foudroyé par la chaotique et bourdonnante espérance je me suis allongé au pied des grandes meules de l'univers, sur ce tapis de brindilles claires, lambeaux de silences oubliés par le temps
Voilà ce que j'ai fait
Voilà ce que je dirais sous le voile de ton sommeil, de ma parole la plus blanche au cœur de ma nuit la plus noire… »

Mais mon amour va l’amble, battement désaccordé au creux d’un monde désarticulé.

Brûlure sacrée des instants rares
Orchidée cueillie sur les lèvres du jour

Je t’ai vu allongée les yeux fermés
Ni vivante
Ni morte
Plus que vivante
Plus que morte
Plus vraie qu’un soleil
Sur le coussin fragile des mots j’ai rapproché ma bouche pour souffler sur ta gorge une caresse rouge.
Sous l’arche de ton sommeil vacillant ma voix devint rumeur innombrable…
Murmure ruisselant…

Et ton innocence flotte auréolée d’un tremblement limpide.
Et ta chevelure noire déverse des champs de comètes frémissantes.
Et ta bouche savoureuse s’arrondie dans la chair sanguine des oranges.
Et tes yeux effarouchés chancellent comme des guirlandes de chandelles.
Et tes mains délicates en éventails balaient les poussières désargentées de la nuit comme l’aile du papillon effleure le cœur des roses.
Et ton sourire amande a la chaleur des étreintes.
Et ta voix captivante connaît le luxe et l’harmonie des plus grands paradis.
Et ton front réfléchit la lumière et la grâce des lys.
Et ta peau séraphine se perle de rosée.
Et ton corps élégant traverse enfin l’aurore……

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve…….

Trop de parole dans ces mots. Car le monde s’enchante de la parcimonie, de la rareté, cela l’allège du trop plein, de l’excès, de la tonitruance de nos vies.

Car le monde a besoin du peu et du rien. Il a besoin de ce temps suspendu, presque perdu.

Comme ces prières qui montent des cloîtres : silencieuses, invisibles, cris inaudibles à force de s’opposer au vide, au néant, à nos insuffisances…

Tous ces riens, ces si-peu jetés dans l’espace.

Car le monde s’enchante d’une seule présence invisible, d’un seul geste, d’un seul baiser, d’un seul mot prononcé dans le dénuement et dans l’absence de toute réponse.

Franck.

14 septembre 2006

Merci Belle amie....

Encore…. Chris (Sperenza et In memoriam ) vient encore de frapper. C’est elle  qui s’est chargée de la nouvelle décoration de ce lieu. Et là, elle a fait très fort, comme d’habitude…

D’abord il a fallut qu’elle traduise mes désirs, plutôt vagues, imprécis, plutôt dans tous les sens, puis en y apportant toute sa sensibilité son intelligence et son talent évident de réalisation.

Le résultat est là.

Je trouve la bannière superbe. Je me suis tout de suite senti bien dans cette ambiance. Et puis le pavé de liens…. Formidable et original !

Alors merci Chris, de tout ce travail, car il t’en fallut du temps surtout pour le codage des liens dans la mosaïque du tableau. Oui, merci de m’offrir ce cadeau, là comme ailleurs on reconnaît ta générosité, et cet élan spontané, entier vers l’autre. Là, comme ailleurs on reconnaît ton talent à multi facettes, aussi douée pour trouver les mots que pour les peindre ou les abriter…

Alors merci de tout mon cœur Chris.

Franck

10 septembre 2006

Reprendre.....

J’ai repris « ma » tentation de Saint Antoine. Du temps a passé. Quand je relis cette écriture je sais bien que du temps a passé. C’est dans l’avant. L’avant de quoi ? Je n’écris plus vraiment comme ça.  Mon Saint Antoine cède. Il y a quelque chose en moi qui cède. Toujours cette même impression de digue débordée. D’écoulement. D’hémorragie. Des sensations d’eaux. Flaques, sources. Océans.

Marais.

En se moment c’est un marais qui suinte.

« J’ai marché en marge de ma vie.

De longues années

Sans doute même de longs siècles

Pour m’arrêter un jour au bord de votre visage

Et j’ai voulu m’asseoir

Et ne plus bouger

Jamais

Simplement vous regarder

Toujours… »

L’image de cette reine de Saba a toujours traversé mon imaginaire. Reine boiteuse. Mais reine quand même. Et l’improbable rencontre du désert. Chair contre oraison. Bruit contre silence.

« Au creux d’une défaillance de lumière j’ai vu au fond de vos prunelles les grandes étendues de poussières blanches du royaume de Saba

Aux confins de tous les déserts

Là où les prières deviennent de simples souffles

des chants d’azur éparpillés

Souvenez-vous, en ces temps là vous étiez reine

Reine gracieuse à la pâleur singulière

Reine du pays du vent

Vous trôniez au centre d’un temple de sable, d’étincelles d’éternité

Souveraine majestueuse d’une citadelle de lumière et de tourbillonnement

Princesse immaculée miraculée des limbes juste assez boiteuse pour ne point offenser Dieu

Votre présence effleurante flottait légèrement comme un lambeau de rêve

Ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs

Oui, vous étiez reine vos gestes le dessinait

Déesse, vos yeux le révélaient

Et votre voix chantait le chuchotis des amants éternels… »

Mes souvenirs du désert sont construits sur le manque. Sur l’absence. Sur le malentendu aussi. Sur la fuite que je n’ai pas reconnue, sur la lâcheté que je n’ai pas voulu voir. Pendant des mois j’ai attendu ce qui ne viendrait jamais. J’ai interrogé le vide des sables. Je n’ai eu aucune réponse. Pouvait-il en être autrement ?

« En ces temps là, ermite désolé, je vous ai vu venir, vous sortiez de la nuit emmitouflée d’ombres claires, drapée d’un grand voile constellé

En ces temps là mes os grinçaient de peur

Je passais de dune en dune, de jour en jour, de blessure en blessure, conquérant d’un vide toujours à venir dans la seule espérance d’une stridence inattendue

Le cœur vert

Je passais les bras ouverts au grand vent chaud étreignant des mirages si lointains

Entre mes doigts coulaient déjà ces cendres de temps

J’étais une étoile noire tombée dans de trop grands hasards

De sombres hasards

Un baiser m’eut sauvé

Pas même un baiser

Rien

Pas même une enfance

Seulement des restes d’amours effilochés

En ces temps là votre silhouette délicate est passée sur mon cœur

A glacée mon sang

Votre parfum disait l’infini de l’espoir… »tentation

Mon rapport à la solitude est étrange. Plus le temps passe, plus je la ressens comme une évidence. Nécessaire. Je n’ai jamais pu vivre dans le monde. Je le traverse à mon pas, avec mes hésitations, mes élans. Mais je ne m’arrête pas vraiment. Voyageur immobile.

Je relis. Je n'écrirais plus comme ça. Pourtant je n’arrive pas à reprendre le texte. Je sens bien ma volonté dans ces lignes de m’accrocher à une sorte de lyrisme. Je me revois écrire. A nouveau je ressens le mouvement premier d’aller chercher les mots.

Mais je ressens aussi très fort une distance entre moi et le texte. Il manque une adhérence. Il manque le frottement.

La solitude est le travail de toute une vie. Elle n’est pas donnée tout de suite. Comme s’il fallait la mériter.

Dérision, que de devoir se diriger toujours vers le plus invivable.

« Alors au fond de l’horizon le soleil tout à coup bascula dans son lointain sépulcre

Souvenez-vous

J’ai vu votre beauté, légère comme un ciel d’été, glisser avec douceur vers le seuil inconsolée de ma retraite obscure, votre lumière bleue avait la transparence envoûtante de ces jeunes mamans penchées sur un sommeil d’enfance, dans vos yeux scintillait cet espace d’éternité qui appelle la joie pure d’une prière lancée au firmament.

Votre présence fut comme un souffle de mésange, un frôlement rayonnant, une pluie étincelante semée sur mon océan de langueur

Une fleur mystérieuse plantée au jardin de mes absences…. »

Non, décidément je n’écrirais plus cela. Pourtant je n’arrive pas à me renier. Comme si cette forme était le premier sillon. La première griffure. L’entame. Se débarrasser de la lumière. Ne travailler les mots qu’à la bougie. Il faut une tremblance, un vacillement. Des jeux d’ombres. Le sentiment d’une perte possible. D’un effondrement. Il faut l’imminence d’un danger derrière la phrase. Ce n’est pas une question de sobriété, mais d’élan. Du lieu de départ de la parole. La tension de la corde. Le tireur à l’arc, le sait. C’est aussi le travail d’une vie. Tendre l’arc de la parole dans un mouvement ample. Sans crispation. Sans effort. C’est une respiration. Lâcher la flèche du mot requiert un accord, c’est un geste de prière. Accord et consentement. Lâcher se fait sans la volonté. C’est une nécessité du corps aussi ben que de l’esprit. Ce n’est pas la main qui lâche, c’est la foi qui nous étreint. Quelque chose en nous se condense. Le fond et la forme. Et la scansion, le rythme, le battement du cœur. A cet instant le texte respire à notre place. Échange. A cet instant du lâché on se retrouve au point exact de la vie et de la mort. Sans le tragique. L’inéluctable. L’embrassement du monde. Car le mot doit trouver sa place, seule le geste pourra la lui donner. L’abandon n’est pas ici une déroute. Pas encore. Pas tout à fait.

« Nous sommes entrés sans prononcer un mot dans la chambre nuptiale de la nuit

laissant grand ouvert les cristallines portes de l'infini pour laisser passer la clarté nuageuse des songes et la fourmillante folie des séraphins éthérés.

Et j’ai bu votre bouche fondante comme l’hostie sacrée et me suis enivré d’une sève à la saveur irréprochable

Dans ces heures rougies au feu des extases éruptives, blanchies aux soupirs de vos invitations ma mort fut percée d’une flèche de lumière argentée.

Sur votre épaule nue un ange a déposé ses ailes de silence et sur vos seins opalins j’ai pu laisser couler mes larmes quand votre ventre orageux traversait mon âme transfigurée d’éclairs rougeoyants.

Vos entrailles de chairs pourpres brûlaient mes oraisons laborieuses dans une fulgurance invincible, vertigineuse. Je me noyais sous l’arche inespérée de vos émois, balayé par des rafales de joie… »

J’aime l’idée que Saint Antoine ait pu céder à la reine de Saba. Un saint qui n’aurait pas cédé à sa propre lâcheté qu’aurait-il à nous dire ? Nos actes ne sont pas purs. La flèche en partant nous atteint en plein cœur. Et nos blessures nourrissent nos jours. Même innocents nous nous voulons coupables. J’aime l’idée d’un Saint Antoine débordé par la chair, par la luxure et la sensualité. Que vaudrait la prière sans le souvenir de la véritable chair.

La peau d’Isabelle était blanche. J’ai encore le parfum de son corps dans ma mémoire.

« Et j’ai vu mes mains de prières sur votre corps de louanges… »

Souvent les yeux d’Isabelle étaient envahis de larmes. Comme si jouir et souffrir était la même chose. Le corps repu, elle restait silencieuse. Blottie. Avec les larmes qui coulaient. Ce n’était pas un chagrin, c’était autre chose, qui dépasse tous les mots qu’on peut dire. C’était le pays des landes, des vents, des brumes. Perdre ou gagner n’a plus de sens.

« Et j’ai vu votre ventre lieu infini de la mort exacte

Et j’ai eu soif de vos eaux généreuses, ce rien à l’âme qui bouleverse toutes les certitudes : marée sauvage, sans retour, sans rémission, effroyablement délicieuse

Et j’ai ouvert les mains pour recueillir jusqu’à l’ultime goutte de vos bruissements et je n’ai pu saisir que l’or de vos silences… »

Isabelle avait ce don étrange de la pudeur et le l’indécence, presque dans le même mouvement. Allongée sur le lit, un bras replié sous sa tête, une cuisse légèrement relevée et écartée, une main posée sur son sexe.

Nous ne parlions pas. Elle, comme moi étions dans l’impossibilité d’accrocher la moindre parole à ces instants. Je la regardais. Je baisais ses larmes.

Parfois cela durait longtemps.

« Nous avons partagé la nuit et ses gerbes étoilées recouvert d’un seul manteau de paix jusqu’à ce que l’aube de sable pousse un large soupir incandescent.

Une rose des sables, rouge.

Dans l’athanor creusé par nos corps, là où votre peau s’est irisée de désir vertical a germé une rose des sables, rouge… »

Il y a un mystère dans les corps. Dans la rencontre des corps. Dans leurs odeurs, leurs tremblements, leurs sueurs, leurs liquides. Au-delà de la jouissance brutale il y a un mystère, comme un appel, comme une rémission.

Parfois dans l’écriture cette sensation revient. Quand on a tout épuisé. Et que le texte s’étale impudique et souverain. La flèche trace, vole droite, et perce la cible. Et la cible vibre de son centre troué.

« Il ne me restait qu’à attendre l’achèvement des temps en recueillant l’écumeuse blancheur des jours indifférents et de regagner à pas lent mon impatience souveraine à nouveau consentie. Erosion lancinante sous l’œil noueux du souvenir

Frontière sablonneuse inviolable de l’exil… »

Saint Antoine n’était pas artiste, il ne fut que saint.

« Au départ il n’y a rien

A la fin il n’y a rien

Entre les deux la mer

L’abîme

Oh, mon Dieu je suis là et je cherche à comprendre

Oh, mon Dieu la nuit n’est plus la nuit

Elle était une source…..elle devint l’océan

Elle était une étoile ….elle devint l’univers

Oh, mon âme brûle et je suis si pauvre seigneur

Je n’ai plus d’espérance mon seul désir est de prier sans fin au cœur de la nuit du monde.

La prière s’enroule au feu de nos secrets, seul l’écho de cette nuit du monde la porte, légère, douce, tendre, on croirait la voir s’élever sur les ailes d’un ange

… Et jusqu’au royaume des cieux… »

Il y a un acte de purification dans l’écriture, d’où la brûlure.

Après le tir, l’archer est comme un orphelin. Quelque chose l’a quitté. Quelque chose de lui, mais du monde aussi.

A la place un grand champ de neige et dans le lointain le cris des oies sauvages vers le nord.

Franck.

3 septembre 2006

Un peu de la fin.....

J’ai repris la lecture des « Carnets » de Louis Calaferte. Encore un maudit. Ca commence par la censure, ça fini par l’ostracisme des intellectuels.

Puissance de la création. Evidence brutale.

Rédemption.

Au fond du couloir de l’écriture, tout au fond, il y a une porte. On ne sait pas que l’on va vers elle. C’est « la porte étroite ».

Je n’avais jamais relevé la véritable dimension religieuse de l’oeuvre de Calaferte. Plus précisément, mystique. Un Christianisme, débarrassé du catholicisme.

Au creux du poème gît l’absolu. Irréductible confrontation.

Et je sens mes défaillances, chaque fois que ne donne pas assez généreusement ce qui m’est demandé. Qui en soi, demande, exige ? A qui refusons-nous ?

Le texte exige tout. Tout et tout de suite. Que signifie : tout. Parfois, je sens le danger. Un vrai danger. Mais parfois seulement.

Accepter le mystère. L’idée d’un mystère.

D’un inconnaissable.

Avec son frère l’indicible.

« Ce qu’on appelle « inspiration » est capacité de s’introduire mentalement dans la zone de notre infra conscience, domaine des puissantes attaches cosmiques ; en même temps aussi, probablement, que d’un amalgame de lointains « existant », qui sont comme nos fondations psychiques. A condition d’être en disposition de l’utiliser, le coup de sonde est toujours récompensé. »

« Capacité de s’introduire mentalement »… j’aurais rajouté physiquement.

L’art du sorcier.

Sourcier.

Chercher le vivant dans l’inanimé. Ou l’inanimé dans le vivant. « Le coup de sonde… »

Il y a des jours de découragement. Et cette révolte contre soi. L’impossibilité de maintenir l’élan. Le geste.

Le texte déchire le présent. Parfois il l’efface.

Même la mémoire se dit au présent.

Ecrasement des temps.

« Le coup de sonde… »

Les fleurs blanches des grands acacias flottent dans l’air de l’automne qui s’avance. Fin de partie. Les branches lourdes des lumières de l’été font leurs révérences.

Obstination des saisons. Dans la rue, les femmes font encore danser leurs ombres dorées. Peaux dénudées. Poitrines solaires parfumée d’huile amoureuse. Regards étoilés de chairs. Dernières danses avant la blancheur des temps. Femmes acacias.

J’ai un hameçon fiché dans le présent. Qui peut bien tirer sur la ligne ?

J’ai des souvenirs plein les mains. Un humus odorant. Pétrissage vain.

Il y a un abîme. Sans fin.

Le manque. Et l’absence, et le silence que je tisse. Non, qui « me » tisse.

Il y a un abîme, qui pourtant finira bien.

En creux. L’existence au pochoir. Le silence suit les contours de ma parole. Il dégage des formes. L’abîme du silence, j’ai souvent l’impression que je n’en reviendrai pas. Vertige. Peur. Exaltation.

Violence. Absurde, mais nécessaire.

Le lyrisme comme une forme sublime de la violence. La volonté de dépasser. Redoublement de la vague. Explosion de l’écume. Joie brutale de l’exaltation. Comme dans le désespoir. Extase misérable.

Je suis d’un pays qui n’a pas de frontière.

Pas de roi, pas de sujets.

Quel est le sujet de l’écriture ?

Il manque lui aussi. Un grand vide.

Dans chaque mot. Une lande à traverser.

Claude Louis-Combet arpente les landes de la parole, accroche sa plume aux buissons ardant de la conscience : « Que sommes-nous hors des mots qui s’efforcent de dire ce que nous sommes. Cette conscience qui, dans l’écrit, prend conscience d’elle-même et se découvre soudain comme chose de texte parce que le texte est, tout entier chose d’humanité particulière, ne peut mener à bien son opération de métamorphose et de transsubstantation que dans l’immobile mouvement d’une adhésion toujours plus complète au silence qui la fonde (dans son origine) comme au silence qui l’attend (dans a fin). »

Je suis d’un pays qui n’a pas de frontière.

Aux terres désossées.

Les saisons en mourant emportent avec elles un peu plus que tu temps, un peu que des souvenirs. Un je ne sais quoi qui blesse.

Peut-être qu’elles tirent sur l’hameçon.

Le texte déchire le présent. Parfois il l’efface.

La question de la fin se pose toujours.

Ecrasement des temps.

Franck.

28 août 2006

Les pierres chantent.....

Polir la pierre du texte. Ou l’user. Ou la casser à l’endroit juste. Se l’approprier intensément dans la violence de sa matière. Sa matière. Quelle est sa matière ? Toujours les mêmes énigmes. Ces questions sempiternelles. Identiques depuis la nuit des temps.

Elle lui donna l’enfant dans ses langes. Lui tendit, comme elle avait fait pour les autres. Chronos saisit le paquet de chair enveloppée et l’avala. Comme pour les autres de ses enfants. Mais cette fois elle avait remplacé l’enfant par une pierre. Lui, dans sa voracité, il avala la pierre. Le Temps avala l’Espace. La matière. Le Temps ne voulait pas mourir, il avalait ses heures, ses générations, ses enfants. Vivre sans partage. Il avala la pierre. Jupiter sera sauvé. La petite chèvre Amalthée le protégera, l’éduquera.

La pierre du texte résiste. Elle n’est rien. Elle est tout. Et elle occupe tout le ciel de l’instant. Et l’on est dans le granit de la parole. Chercher la forme dans la pierre, comme si elle était séparée de nous. Comme si le texte recelait sont propre mystère, sa propre vie. Son autonomie. Distincte de nous. Et pourtant toute en nous. C’est un échange de folie. Cogner la pierre pour en espérer des résonances, pour appeler sa magie, ses veines, ses cristaux, ses éclats. Chercher l’endroit des failles, ses grandes entailles de silences cachés dans la masse compacte des mots, adoucir le geste, ou le forcer, ne rien briser de l’essentiel tout en fracassant les inutiles boursouflures de matières coriaces. Les pierres chantent.

Je me souviens de René. Le maçon tailleur de pierres que Georges, mon grand-père, avait recueilli. J’ai encore dans l’œil ses mains. Ce n’était pas des mains, c’était une histoire d’humanité, c’étaient des poèmes. Epaisses, musculeuses, crevassées, blessées. Au contact du ciment elles avaient perdue leur souplesse, leur couleur. Mains de granit aux marbrures de sang. J’avais cinq ans, six ans, et il me fascinait. Sa casquette de travers, une cigarette toujours éteinte coincée au coin de la bouche. Dégaine de mauvais garçon. Avec sa face de rocaille. René, l’homme de la pierre, et du silence. René, c’était ses mains. Elles disaient tout ce que lui n’aurait jamais pu dire. Qu’il ne dira jamais d’ailleurs. Quand il saisissait la pioche, le burin, l’outil, quelque chose se passait dans ce saisissement, dans cette prise. Puissance et grâce. Simplement dans le geste de prendre. Une conviction calme. L’évidence d’un accord secret. D’une nécessite invincible et sereine. Il crachait dans ses mains. Une fois dans chaque main. Et les frottait ensembles. Comme un rituel. Déjà, là, il anticipait l’adhérence avec l’outil, déjà là il appelait le saisissement, déjà là, il épousait l’outil, il éprouvait par avance le contact, imaginait le serrement de ses doigts. Et tout son corps devenait ses mains. Puissance et grâce d’un geste sûr, clair, net. Pur. Un geste qui ne demande de compte à personne, geste libre. Presque sensuel. Puissance et grâce. Dieu ne fit sans doute pas autrement quand il lui prit de créer l’univers, et le monde, et le ciel, et la terre, et les hommes. René trogne d’ivrogne, avait les mains d’un dieu serein et travailleur. René triait ses pierres. Il les soulevait, certaines avec peine. Il les posait, les scrutait. Il y avait comme un dialogue muet entre lui et la masse devant lui.

Et puis, c’était le temps des caresses. Ses mains caressaient avec une tendresse impossible à décrire. Il préparait la pierre comme il l’eut fait d’un corps de jeune mariée. D’abord, il l’époussetait de tout se qui encombrait la pureté des lignes, enlevait la terre, et les éclats superflus. Ses gestes étaient lents, répétitifs, patient, aimant. Là, le temps n’existait plus. Ses mains passaient et repassaient sur la chair de la pierre. C’était le temps de la encontre, le temps des premiers silences échangés. Chair contre chair. Matière, contre matière. Amour contre amour. Et tout le mystère de homme se trouve là. Dans ce temps défait de tous les temps. Dans la main qui caresse la pierre et se nourrit d’un rêve inépuisable. A quoi rêve les pierres ? René le savait. Il me disait : « Les pierres chantent… les pierres chantent parce qu’elles ont une âme, comme toi, comme moi…. » Et il se taisait. Et il caressait les rugosités comme si elle c’était du velours ou de la soie, comme si c’était la peau blanche d’une amoureuse, comme si toutes les richesses du monde étaient là, sous ses doigt épais. René le pauvre, René l’alcoolique, René le vagabond.

René l’amoureux magnifique.

Ai-je aimé assez pour caresser de la sorte ? Geste sobre et pourtant intarissable.

Après il disait : « Je sais….. », c’est tout ce qu’il disait. Il savait où il devait appliquer son burin. «La pierre est traversée de silences, depuis le commencement du monde le silence dort en elle…. Et moi, je les cherche ces silences. Et quand elle chante tu es entends. Avec les doigts, tu les entends. Et c’est toujours par là, qu’il faut commencer…trouver le silence de la pierre. C’est lui qui te donnera la forme juste… il ne faut jamais forcer une pierre, sinon elle se brise, elle s’émiette…. C’est un gâchis, c’est un désespoir, c’est une misère… elle meure, et tu es orphelin… et tu reste seul, avec ton marteau, et ta bêtise…. ».

« C’est une misère... » Il répétait.

« Moi je sais le mur, la pierre, elle, chante le mur… on le fait à deux ce mur. Dans chaque pierre il y a déjà l’idée d’une forme…. Comme toi quand tu rêves. La forme dans la pierre c’est un peu son rêve…. »

Parfois, il prenait son marteau et tapotait légèrement la pierre devant lui. Il me faisait un clin d’œil : « Je cherche….. ». « Tiens…. Tu as entendu ?... » Il me montrait avec son doigt : « C’est là….dedans…. »

Il me semblait que tout allait très vite près. Quelques coups de marteaux.

« Chaque pierre doit trouver sa place dans le mur. Elles s’épousent…Il faut les faire travailler ensembles….le mur est fait de chacune des histoires de chaque pierre. C’est pour ça qu’il est beau le mur, c’est pour ça qu’il est fort…. »

« Un jour tu prends une pierre, tu la fais chanter… et tu fais un mur et tu le fais chanter... Après c’est une maison… Après tu l’habites… Après c’est toi qui chantes… »

Je ne comprenais rien de ce qu’il disait. Paroles obscures de magicien.

« Une pierre grandit dans son accord avec les autres. Déjà elle est plus qu’une simple pierre. La pierre veut. Et le mur est plus que le mur, il est maison. Et la maison est plus que la maison elle est rassemblement et partage et soupe qui fume le soir. Et toi tu es plus que toi. Toi aussi tu seras pierre, et tu seras mur, et tu seras maison et un jour tu chanteras… »

« Les murs que je fais ne tombent pas….ils sont droits bien avant que je les dresse….ils sont droits là… » et il me montrait sa poitrine. « Pas besoin de fil à plomb… »

Quand il avait fin sa journée de travail, il rangeait ses outils dans une grande sacoche en cuir blanchie par le ciment et la poussière. Il se plantait devant le mur. Il rallumait son mégot. Il s’essuyait le front avec un grand mouchoir à carreaux qu’il dénouait e son cou. Il redressait sa casquette. Il caressait ne dernière fois les pierres devenues le mur. Et il partait se saouler.

Longtemps j’ai voulu être maçon tailleur de pierre. Longtemps j’ai caressé les pierres pour entendre les silences qu’elles renfermaient ou pour les faire chanter sans jamais y parvenir. Encore aujourd’hui…

Je me souviens de mes mains recouvertes de ciment, mes mains d’enfant qui durcissaient, brûlées par le ciment. Je me souviens de cette sensation… je voulais des mains comme les siennes, des mains pour caresser les pierres et les faire chanter.

Polir la pierre du texte. Ou l’user. Ou la casser à l’endroit juste. Se l’approprier intensément dans la violence de sa matière. Sa matière. Quelle est sa matière ? Toujours les mêmes énigmes. Ces questions sempiternelles. Identiques depuis la nuit des temps.

Poser le texte dans ce grand mur de parole qui m’habite et tendre l’oreille.

Pour le chant. Et retrouver la sûreté, la pureté du geste de René, la patience de René, son infini dépouillement.

La pierre n’est pas que la pierre, elle est plus. Le texte n’est pas que le texte, il est plus. Sinon, il n’est rien, et « c’est une misère »…

Car chaque pierre taillée est « destinée à ». Chaque pierre taillée est consentante. Elle est recherche d’accord, de vibrations, d’ententes. Elle est cris et larmes. Elle est déjà mur, et soupirs d’amoureux dans la chambre. Elle est rires d’enfants, elle est projets. C’est tout cela qu’entendait René quand il passait sa main lourde et gracieuse sur la rugosité des granits. Ce qui est beau dans la pierre c’est ce qui n’appartient pas à sa seule matière. Ce qui est beau dans le texte c’est ce qui ne lui appartient pas, c’est ce qui se trouve dans son en deçà et dans son au-delà. C’est le geste qui le dépose ici ou là. La trace invisible de l’amour qui a formulé chacun de ses mots. Le signifié n’est rien si le signifiant n’est pas lui-même habité du geste du tailleur de pierre. Le texte est une pierre qui vient prendre sa place dans l’édifice de l’âme, qui n’est que nécessité d’infini.

René dirait : « Ce n’est pas la force qui taille les pierres, c’est le recueillement… et la trace laissée par l’aurore dans ton cœur…. La pierre te sait… et si tu trembles elle se refusera…. Il y a au cœur du minéral l’invincible connaissance de nos jours et de nos lendemains, surtout…. »

Franck.

(Cet été j’ai passé de longs moments avec ma tante à évoquer le passé, entre autre ces premiers temps héroïques de l’auberge de son père, Georges. Nous avons reparlé de toutes ces gueules cassées et ces cœurs pantelants qui ont participé à la reconstruction de cette auberge. Charles (le dessinateur), Mickey (le coureur cycliste), José (le réfugié espagnol, la Berthe (la folle) et tous les autres, dont René. C’est de ces discutions avec ma tante et de mes lointains souvenirs que j’ai pu reconstituer les paroles de René le maçon. Il fut compagnon du tour de France, et il fut alcoolique et vagabond. Il avait des mains en or, un cœur en or, des rêves en or, une tête de mule, et un caractère de cochon. Une âme brûlée. Un poète. Un seigneur.)

26 août 2006

Vol de rêve....

A nouveau ce rêve. L’avion, l’élancement, la chute, la vitesse. Le vol. Jamais exactement le même rêve. Mais toujours les mêmes séquences. C’est un rêve de peur et de jubilation. Les deux choses en même temps. Dans le rêve, c’est en même temps.  C’est un rêve d’oiseau. Mais je n’ai pas d’aile. Dans le rêve je suis juste un regard effaré, qui chute et qui vole.

Il y a d’abord un désir de peur. Dans le rêve c’est sous forme de désir, d’appel, un mouvement en creux du rêve. C’est vissé dans le ventre du rêve. La même peur qu’avant, quand je sautais vraiment des avions. Mais là, maintenant, dans le rêve, il y a le désir en plus. L’anticipation de la joie. Du vol. Le rêve sait la fin avant nous.

Je me souviens de ces premières peurs avant le saut. Peur radicale. Absolue. Je m’arc-boute contre. Ne rien lâcher. Ne rien céder à l’envahissement. Elle montait comme une marée. Un bloc d’océan dans la poitrine. La regarder sans baisser les yeux. Surtout ne pas la mépriser. Ne pas l’aimer non plus. Etre là, entièrement là. Etre arc-bouté contre cette révulsion de tout l’intérieur du corps. Un hérissement de la chair. Froid et compacte. Et c’est une lutte en nous, par nous, avec nous, à travers nous de ce qui est matière, viande, sang, os avec ce qui n’est pas encore matière. Ce souffle qui nous perce en continue, cette lueur qu’on ne sait éteindre. Quelque chose se joue là. Dans cette confrontation. Dans ce frottement. On sait qu’il ne faut rien lâcher. Quelque chose sait en nous. La mort se joue avant. Elle se rejoue, se réinvente avant. Elle est dans le frottement. C’est pour cela qu’il ne faut pas lâcher. La matière rêve de décomposition, de dissociation, de réduction. Putréfaction. Peur archaïque. Sans objet véritable. La mort réelle n’est pas au menu. Pourtant elle hante ces heures avant le saut. Et ça frotte. D’abord l’irisation, puis le hérissement. Enfin le labour.

La peur porte en elle son dépassement, son après.

Elle nous veut en vie.

Elle est l’ombre vorace de nos actes singuliers, la racine crispée dans la terre noire de nos jours.

Et puis l’élancement...

La certitude du geste. L’affirmation. Que là, à cet instant, tout est dit, tout est fait. Lieu du début et de la fin. L’enroulement se déplie. C’est l’instant défait de nous, et de nous défait du temps. L’endroit pur. L’inspire. Le mouvement nous déborde. Abondance, profusion de la trajectoire blanchie au feu de l’énergie cristalline. Dégagée. Un au-delà de l’au-delà. L’annulation du désir dans la totalisation de tous les désirs. L’exigence. L’exigence droite. Brutale. Sauvage. Contraction barbare qui ne peut se parfaire que par le désastre joyeux d’une extension irrésistible. Le geste de l’amoureux, saisi hors de lui par le visage de l’amoureuse. Cela prend peu de temps. A la porte de l’avion. Le temps de poser ses mains sur les bords de la porte ouverte. Le temps de recevoir l’éclat du vide dans tout le corps. Le temps de tout effacer en nous, de tout oublier. Le temps de sentir la bourrasque de vent s’appuyer contre notre nécessité. Le temps d’exiger la mort dans l’immédiat, par besoin, par espoir. Tirer sur les bras, jeter tout son corps dans le ciel. Oui, dans le ciel avec cette sensation irréductible d’exultation désespérée. N’être rien, mais être soi dans l’infinité.

Là, la tension des muscles traverse le rêve. Instant de rémission.

L’élan rachète le temps perdu d’un seul coup de rein. Et brusquement toute la création s’impose. C’est un geste débarrassé. C’est un souffle audacieux qui va chercher en nous le naître, le neuf, le nécessaire. L’originel mouvement à l’état brut de sa fureur, de sa puissance.

C’est le geste qui invente, simplement par la trouée des chairs, leurs franchissements, L’emportement. Il est un abandon aux outrances, jusqu’à la satiété de l’être. L’élan est un geste, mieux un cri, un hurlement saturé de silence. Gorgé de vie. Un déploiement.

C’est à partir de là, que l’écriture commence. L’élan comme une marée tyrannique majestueuse, lancée dans le renouveau de sa perte.

Et tout élan expire dans une chute, comme un couronnement sacrificiel. Décompensation cruelle et attendue. Espérée, désirée.

L’écrasement de la chute.

Le vide en retour de l’élan. Comme une traversée du manque. Comme si le ciel envahissait de ventre. Tout le ventre, et l’espace des poumons, et la gorge, et la bouche, toute la bouche avec les dents, la langue, la salive. Défaillance de l’espace, de l’air qu’on respire. Affaiblissement instantané de la vie. Dans la chute il y a une fatigue ancestrale qui revient dans le sang. Tout est exténué. Et c’est comme une jouissance. Douloureuse. Plus diffuse et plus large que l’orgasme. Et avec cette sensation de malheur bordé d’étoiles perforantes. Il y a dans la chute un moment insupportable, comme si l’on transperçait le voile du temps. On touche notre nature la plus folle et la plus innocente. C’est un temps de nuit. La nuit des chairs et du sang. Dans le vide, où plus rien ne porte, ni la terre, ni le ciel, quand tout nous a quitté, quand l’abandon à dressé un désert sur notre face et au fond de nos yeux, quand la peur même a été au bout de son harassement, quand tout acte est désormais impossible, infaisable, inutile, quand dans la même seconde vécue on est et l’enfant et le moribond, quand le cri nous a dessaisi, quand la prière nous a abjuré, quand rire et pleurer deviennent le même souffle, quand tout s’oblitère, quand tout cela nous arrive, oui parce qu’il faut bien le dire, ça nous arrive ! Alors, il nous faut décider. Car l’instant du vide est l’instant des décisions. Les seules que l’on prenne vraiment.

Descente dans la parole désossée. Chute dans le silence

Et la décision du vol. Le rêve porte toujours à l’extrême cet instant de la chute. Du vide.

Le vol surgit de notre ultime volonté.

Déferlante de métamorphose. Où l’écrasement inévitable se transforme en un effleurement soyeux. C’est le temps du vol, des traces d’ombres claires engendrées par le redoublement des images. C’est le temps où les mots s’égayent comme des volées d’ailes, éblouissantes de lumières. Temps radieux de la suspension. Le texte se survit en traits brûlants, il invente son ciel et ses paysages. L’œil du mot capte au plus juste la couleur des printemps. La renaissance de la langue, dans une recrudescence de sang. Crépitement de l’infini qui tressaille dans les rayons d’un soleil franc. Débordement de l’excès. Déluge au-delà de la béance réconciliée d’avec les chairs.

C’est le temps de l’écriture augmentée de la peur, de l’élan, de la chute. Temps aggravé d’un sursaut. Et de la conciliance. Et de la dévastation vivifiante. Temps neuf. Inviolé. Liturgique. Temps des sacres.

A nouveau ce rêve. L’avion, l’élancement, la chute, la vitesse. Le vol. Jamais exactement le même rêve. Mais toujours les mêmes séquences. C’est un rêve de peur et de jubilation. Les deux choses en même temps. Dans le rêve, c’est en même temps.  C’est un rêve d’oiseau.

Un rêve d’envol entre l’écrasement et la bénédiction. Un saut par-delà les plaies. La tresse d’un silence rougi au feu d’un élan impérieux, tranchant dans le gras de l’éternité.

Franck.

19 août 2006

....de chair et de chant.....

J’ai récupéré quelques livres. Deux cartons. Il m’a fallut fouiller dans la grange. Deux petits cartons seulement. Ma maison est empilée dans une grange au loin. Là je n’ai rien. Un lit, un bureau. Et maintenant quelques uns de mes livres. « Tu devrais prendre des objets, ta télé… ». J’ai souri. Quels objets ? Ils me sont devenus indifférents. Dérision que ce reste de meubles et de cartons empilés dans une grange. Raccourcis d’un naufrage. Non rien. Deux cartons de livres. Je n’ai pas vraiment choisi.

Un jour je sortirai tout dans le grand champ pour mettre le feu à ces lambeaux de vie. Pour qu’il ne reste rien.

Et puis mes échanges avec « S » me ramènent à Joë Bousquet. Le hasard fait qu’Il se trouvait dans un des deux cartons. Je relis. J’avais oublié presque tout. Mais pas sa rage, pas son exigence, pas la pureté du trait, pas son tranchant. Une parole aiguisée comme un poignard. Cette lutte avec le silence. Contour des chairs, contour du corps. Une poésie sur le fil tendu entre l’immobile et le silence. Faire éclater chaque heure. Extirper le pas du vide, le remettre dans l’abondance de la voix

« Si tu vis à la façon dont vole

Un oiseau,

                                               Tu fais le monde nu

                                               Jusqu’à l’œillet des yeux. » (J. Bousquet)

C’est Fleur qui me l’a fait connaître. « Traduit du silence ». Fleur j’en ai parlé ici. Fleur cherchait dans le théâtre son corps de paroles, sa chair mue par la chair. Elle lisait Bousquet et jouait du violon. Fleur avait la peau blanche et les rêves écarlates.                     

C’est étrange comme la chair dans l’écriture fait peur. Comme si on la trouvait de trop, presque indécente.

La matière du mot c’est la chair.

La parole invente d’abord un corps à la mesure du désir.

Le Verbe chair, c’est quand même la pierre angulaire de la création. Un sacre dans la nuit. Le souffle, sur, dans, à travers la matière.

Si le verbe ne fait pas trembler la chair, alors….

Bousquet prends des notes. Noter, c’est marcher comme le chasseur à l’affût. C’est lui la proie. Il se traque. Il se débusque. S’empêche la fuite….

« Dire à Nelli (son ami confident) qu’on ne fait pas un livre avec des idées ; même si l’on admet comme lui que toute idée pose un rapport nouveau.

Sentir les événement, les écrire : ensuite entrer dans le texte, le dépasser sans le voir ; et fort de ses certitudes, agir, opérer l’acte le plus simple avec ces boulets aux pieds.

Après avoir vécu sur cet écrit pouvoir le relire sans s’arrêter à rien et n’en percevant que le chant.

Exemple de Nelli : Chopin… » (J. Bousquet)

Que le chant… D’abord la voix. Le texte doit tenir dans sa voix. Tenir en entier. L’œil seul est muet et il n’entend rien au chant. Beethoven est sourd, mais il continue de jouer. L’œil n’est pas suffisant il a besoin de ses doigts pour entendre.

Le chant relie la chair au verbe

Que le chant… L’exhalaison de la matière du mot. Le dépassement du mot dans sa traversée. Chopin jusqu’à la dissonance. Aller jusqu’au bout de l’audible, juste avant que l’harmonie se casse. Il y a cet instant juste avant la brisure. Dans Chopin, il y a toujours un point d’effondrement, une note par où passe la lumière.

C’est l’accident dans la parole qui la révèle.

L’impacte.

Le trou juste avant le mot. Juste après.

Décider d’écrire dans les trous, dans les manques. Se donner une chance de mourir. Là.

Inventer de l’éternité pas parce que c’est beau. Parce qu’il le faut.

L’arbre ne fait pas du beau, il fait de l’arbre. Il fait de la puissance d’arbre. Il est constant dans son désir d’arbre. Il est constant dans sa chair d’arbre.

Il s’efforce. Autour du nœud. Autour de la folie qui durcie sa mémoire. Il invente ses branches dans les saisons à venir. Autour du nœud ligneux. Et il appelle le vent et la tempête. Et il appelle ce qui peut le briser. Ce qui doit le briser. L’arbre écrit.

On le sait à cause du chant.

Et de ses renaissances perpétuelles.

Et la bûche dans le feu dit son poème, raconte sa légende. Les amoureux qui s’y chauffent le savent. Ils entendent, ils écoutent la voix de l’arbre, la chair de l’arbre. Et le feu est l’âme de l’arbre. Et quand le bois craque c’est un silence qui se contracte, c’est le chant de la puissance de l’arbre. C’est la chaleur des étés, c’est les neiges d’hiver, c’est le vol des oiseaux. Et jusqu’aux cendres.

Franck

15 août 2006

" Invente-toi...!"

Comme une injonction divine. Ouvre ta maison en grand, les volets, les fenêtres, les portes, surtout les portes, ouvre tout et invite le verbe, et s’il ne vient pas, alors quitte ce lieu de vent et lumière, quitte tout. Quitte toi. Tu croyais que cette maison était ta seule mesure, et sur les murs il y avait tes souvenirs, et chaque objet te rappelait des instants, des rencontres. Tu te croyais élu, et n’étais que maudit. Et tu ne le savais pas. Tu étais plein de toi-même, si plein que nul n’osait ou pouvait franchir le seuil de ta porte. Si plein de toi-même qu’il n’y avait plus de place pour accrocher un rêve, plus de place pour l’élan d’un désir. Si plein de toi-même que tu n’osais plus sortir de peur que l’on te dépouille. Vanité qui te faisait croire à ton importance. Tu vivais dans la peur de ta perte et le trop plein. Tu te croyais riche et possédant et pourtant tu mangeais ta tristesse à tous les repas. Tu étais sûr de ta raison, car les nouvelles du monde qui te parvenaient, racontaient les mêmes destins que le tien. Alors tu voulais croire au bonheur, il te suffisait de toucher les murs de ta maison pour te gonfler d’orgueil et de certitudes. La femme qui vivait à tes coté avait elle aussi amené ses meubles, ses bibelots. Du trop plein sur du trop plein. Et le soir, sous la lampe vous mangiez en silence la même soupe de chagrins. Et quand tu voyais son corps de chairs lasses tu n’avais plus la force de pleurer. Tu attendais la mort, mais elle était déjà là depuis longtemps, et tu ne le savais pas.

Ainsi la vie des hommes, et leurs jours, et leurs joies, et leurs amours.

Donne tout et ne renonce à rien... !

Ouvre ta maison et quitte-la. Brûle-la s’il le faut, et part, n’importe où, mais pars. Ne prends rien avec toi, aucun bagage, aucun bibelot. Rien. Prends le premier chemin de lumière que tu trouveras et avance, va… va au plus loin de toi. Sois vagabond, pèlerin, nourris-toi d’espace et de vent, et d’orage. Ne possède rien, et surtout pas toi-même. Sois seulement dépossédé, sois nu et fragile. Sois l’errant de l’errance, le désir du désir, le rêve du rêve. Sois la couleur des chemins, l’odeur des aurores, ne sois rien que la musique des torrents, sois l’océan, sois ses marées, sois le vol des oiseaux.

Et là, seulement là, laisse monter en toi le premier chant. Réapprend le verbe dans le murmure. Et souviens-toi de la langue du lait. Car il est le seul langage qui nourrit.

Le seul.

Alors dépouille toi de toutes tes vies inutiles, de toute la crasse de tes heures vaines, de toutes tes illusions sociales.

Ecris. Ecris à partir de l’os. Marche à partir de l’os. Sois dans l’arrachement, sois au plus pauvre de toi-même, au plus nu, au plus seul.

Car il te faudra arrêter de parler à haute voix et refuser le vacarme des paroles, et la tonitruances des pensées.

Retrouve le murmure.

Le son du ventre. La résonance première.

Ca s’appelle, la langue blanche.

La langue du lait.

La langue du lait est d’abord une voix.

Ta voix.

La mère serre l’enfant contre sa poitrine abandonnée à une bouche gorgée de vie, la mère baisse les yeux vers cette bouche, elle est dans l’effarement de cet échange insensé. La mère presse sa chair pour l’offrir, presse son sang pour s’oublier.

C’est un monde, là.

A cet instant précis c’est l’univers qui bascule.

La mère parle à l’enfant dans une langue inconnue, elle accompagne les yeux de l’enfants avec des mots impossibles, des mots inventés, des mots presque silencieux, des mots égarées dans le souffle, la mère parle et l’enfant prend son sang, c’est ça la langue du lait. C’est la première langue que l’on entend, c’est la plus douce, la plus vraie, la plus nourrissante, celle qui porte toutes les vérités. Grandir c’est l’oublier. Retourner à ce premier murmure et se nourrir à nouveau de cette première source. C’est sans doute là le sens du chemin, le sens du départ. C’est une épreuve et c’est la seule qui vaille.

Car sur la route il te faudra renaître. Renaître sans cesse. De corps en corps, de rêve en rêve.

Et un jour sur cette route de vent, d’errance folle, tu manqueras de trébucher sur un mot.

Tu  le ramasseras.

Tu feras jouer la lumière à travers ses faces aiguisées et coupantes.

Et brusquement tu sauras.

Tout se condensera là, dans ton regard fasciné pour ce mot.

Sidéré.

Et le mouvement qu’il fera naître en toi.

Ce jour-là….

Ce jour là, tu te retrouveras loin de tout et pourtant tu n’auras jamais été si vivant. Tu seras dans une désolation lumineuse et cela te suffira. Tu seras perdu et c’est justement cette perte qui te ressuscitera. Tu seras perdu et tout te paraîtra plus clair, plus net, plus définitif, plus impératif.

Renaître après des siècles d’agonie.

On n’écrit jamais pour plaire ou séduire, on écrit pour se retrouver. Ailleurs. Chaque mot te rapproche d’un lieu inconnu plein de mystère, un lieu inévitable.

Ecrire prolonge un rêve commencé il y a longtemps, dans l’enfance, un rêve commencé quand tu étais blottis dans le plus fragile abandon du regard de ta mère qui t’avait fait  - toi si infirme- roi si rayonnant.

Oui, écrire c’est d’abord retrouver ce sommeil plein de couleur et de chaleur où l’amour n’est pas promis mais donné comme une éternité, offert comme la première nourriture et la seule dont tu n’auras jamais besoin. Ecrire te fait retrouver ce rêve où tu n’es là pour personne sauf pour le murmure incompréhensible et attendri d’une mère devenue folle parce qu’elle s’est enfin oubliée et qu’elle divague dans les méandres de ton visage.

Un jour tu écris, et c’est ce seul murmure qui compte parce que lui seul peut couvrir le vacarme du monde. Tu ne sauras jamais si cela peut faire un livre, tu es dans le pur bercement de la langue, dans l’oublie de ta propre présence, dans cette musique qu’il faut prolonger jusqu’à la fin des temps.

Tu es envahi par le blanc de la page et les mots viennent parfois te secourir du vertige, ils sont les traces, les signes, qui te relient au ciel, à la terre et l’encre te retient de sombrer dans la défaite toujours imminente.

Ecrire c’est un grand vent qui secoue les branches de l’âme emportant les feuilles les plus faibles celles qui ne tiennent que par le doute, et qui deviendront les mots les plus brûlés de ta langue.

Ecrire c’est être dans cet arrachement, dans cet envol au milieu d’une tempête, dans cette chute soudaine au cœur d’un vide terrifiant et miraculeux.

Consentir à ce ciel désolé, simplement consentir.

Avec un peu de chance un ange te prêtera ses ailes et le vent te poussera dans un jardin de mots prêts à fleurir qui n’attendent que le souffle créateur pour déployer les pétales d’un verbe secourable.

Traverser le rêve d’écriture c’est traverser un amour rouge comme le sang, tranchant et bleu comme une lame aiguisée, ardent comme le feu d’une forge, un amour ravagé de silence et de vent.

Le jour où l’on écrit c’est qu’on s’est mis en marche vers un amour ; qu’on en appelle la brûlure et l’âme souveraine, c’est une marche aveugle main tendue vers un noir toujours plus profond.

On écrit avec ses silences, c’est eux qui laissent leurs empruntes d’ombres et de cendres sur la blancheur des pages. Un silence se couche sur un autre silence et ainsi de suite, silence sur silence, dans un grand lit d’absence pour consommer les unions enflammées de l’espérance et de l’épuisement. Silence sur silence, lumière sur lumière, et ça, éternellement…

Ecrire c’est cette façon d’être au monde, ou de ne plus y être, c’est interroger le silence et en glaner une once de lumière, c’est user le temps, le polir longuement pour en obtenir quelque élixir subtil, c’est entretenir un feu avec de minces brindilles d’encre usée, c’est écouter dans la foule le bruit que fait la solitude et dans la solitude les rumeurs de la foule, c’est ouvrir des portes interdites avec la seule clé des mots, c’est se croire riche et se vouloir pauvre, être désarmé et pourtant invincible, c’est mourir plusieurs fois par jour et renaître pour que demain advienne, c’est dormir dans l’attente et se réveiller dans la prière.

Rien, rien de plus. Née d’un manque l’écriture entretient souvent avec la douleur une relation incestueuse, elle souffle sur nos entrailles pour en attiser les brûlures dans des noces solitaires et sauvages.

C’est tout ça et mille autres choses, c’est la parole la plus épuisée qui puisse être dite car elle gît mourante au fond de notre vie on en cueille parfois les effluves tremblantes dans le creux de quelques mots.

…C’est le moment…l’encre affaiblie glisse sur les cristaux d’une heure éparpillée et solitaire.

Pesanteur douce, attristée, comme un temps de neige.

Se mettre à écrire c’est distiller du temps bleu en chauffant nos jours au rouge du cœur.

Et la brume qui s’évapore c’est mes renoncements, mes peurs qui se délient.

Et ce qui reste est si infime que je pourrais le perdre d’un simple soupir, si infime et pourtant si abondant que je pourrais en vêtir un ciel entier...

Franck.

12 août 2006

Bleu sang faille......

Les mots tombent sur la tranche. En tombant ils coupent la lumière. D’un coté l’ombre, de l’autre le silence.

Et chaque mot est voué à cette violence, à la coupure, à la faille. Ils sont là pour blesser, tuer.

Tuer quelque chose en nous. Le mot qui n’arrache rien ne devrait pas être écrit. Tuer la certitude, l’arrogance. Et la blessure est le rappel constant de notre précarité. Et c’est une douleur. Mais une douleur supportable puisque nous tenons à elle. Notre surabondance de vie est une profusion douloureuse supportable. On voudrait ne pas la connaître et pourtant on s’y vautre. Ce n’est pas sensuel. Et pourtant il y a de la jouissance.

Chaque mot est voué à la violence et à la mort. Là où il tombe le réel se brise. Là où il tombe se crée une béance. Et c’est l’œil qui nous regarde.

Les textes et les images rebondissent. Je sais que je continue. La parole, ma parole, m’a assigné une place. Est-ce vraiment une place ? Un devoir ? Une volonté ? Non, rien de tout ça. La voix quand elle s’élance affirme tout d’abord une exigence. Une exigence sans objet. Une exigence nue, primitive, élémentaire. Une extension. Si l’exigence n’est pas assez puissante, assez purifiée, la parole tombe. Je sens la chute de ces cailloux à l’intérieur. Tout dans le geste devient lourd, épais, pénible. Je sens la douleur diffuse, ce mal de l’intérieur. Entretenir un élan exigeant. La parole assigne, d’ailleurs elle me regarde. Je sais son regard, son regard de silence. Ce palais de nuages bordé de ciel. Je sais l’œil à travers la béance.

En ce moment j’ai des couleurs qui m’accompagnent. En fait, ce sont des sensations de couleurs. Je ne les vois pas vraiment, mais elles sont là. Des couleurs franches. Nettes. Du bleu. Souvent j’ai cette impression de bleu puissant. Et le rouge aussi. Et l’or solaire parfois. Je ne sais quoi faire de ces couleurs, je n’en connais pas le sens, ni la destination. Mais elles sont là.

Le bleu, je crois savoir. La mer, le mouvement, le ciel. C’est le cœur de mon imaginaire. J’ai dans l’œil de ma chair toutes les nuances de bleu. Jusqu’à la violine des ecchymoses. Jusqu’à ce qui ne soit plus bleu. Mais surtout le bleu translucide et profond de la mer. Un bleu blanchi d’écume, ourlé de semence. Je n’ai qu’à fermer les yeux et le bleu monte comme une marée. C’est une impression ni agréable, ni désagréable. C’est comme ça. Comme si mon cerveau appelait ce flottement de bleu.

Avec les lumières dans la vague.

Il y a quelque chose à l’intérieur qui cherche sa place, qui cherche son accroissement, il y a quelque chose qui s’affranchi de ma raison et qui veut déborder. C’est une sensation. Toujours. Je ne peux pas la nommer. Je ne peux pas l’expliquer. Je peux simplement dire un mouvement lent de couleur bleu. Et l’horizon. Ces heures d’enfance à regarder l’horion à la césure de la mer et du ciel. Les yeux fixés sur cette ligne propre, pure. Regard immobilisé, fasciné, envahi. Ligne de fuite. J’ai toujours eut le pressentiment diffus d’appartenir à ce lieu irréconciliable de la mer et du ciel où l’on ne saurait dire s’il y a mariage ou divorce. Des heures passées, sans pensée, sans envie. Simplement le bleu et la cicatrice du temps et de l’espace. Sans désir sinon celui de résister à l’écrasement du silence.

Plus tard j’ai pu mettre de la musique sur ce bleu. Mais plus tard. Chopin par exemple. Je ne sais pourquoi Chopin est bleu, peut être à cause de l’eau. Immanquablement quand j’entend Chopin j’ai une sensation d’eau : en gouttes, en ruisseau, en torrent en tempêtes, et cette montée de bleu fluide en moi. Quand je déborde c’est bleu. C’est toujours bleu. Le bleu appelle en moi le surcroît, l’excès. L’ivresse. Je crois que mes ivresses d’alcoolique étaient bleues. Ce qui est immense en moi est bleu. Ce qui veut survivre en moi est bleu. Sans doute ce qui veut aimer en moi est bleu. Même mes douleurs chéries sont bleues, mes tristesses, mes chagrins, ces déferlement de trains bleus. Certains auteurs sont bleus. Neruda ou d’autres. Mais lui surtout. Quelque soit le poème j’ai d’abord cette forte impression de bleu. Comme lorsque je regarde le visage de certaines femmes. Les beautés les plus évidentes sont bleues, la peau, les yeux, les lèvres, le sexe. Oui, des peaux céruléennes, et des sexes intenses et profond comme du bleu de four.

Ecrire est la chose la plus bleue que je fais. Même lorsque mon imaginaire est envahi de rouge, le mouvement reste bleu. On ne peut pas décrire vraiment. Ca se passe au niveau de la chimie. Au niveau où les molécules exhalent leurs derniers souffles. Il n’y a pas d’intelligence là. Rien n’est construit. A bout d’organisation la chimie des molécules se mue en un immense chaos. Tant de matière structurée pour fabriquer un si fatal désordre. Et ce sont de grands à-plats d’émotions colorées. Je ne vois pas la couleur, mais je sais que c’est bleu dans le mouvement. C’est l’évidence. Le bleu c’est ce qui résiste à la mort. Au rouge. L’autre couleur.

Souvent quand plus rien n’est bleu, c’est rouge. La brûlure qui invite la fin. Souvent au bout du bleu le rouge commence. Souvent quand tout a tellement débordé, quand l’effondrement est là puisque rien ne peut être tenu indéfiniment, la force du bleu s’épuise. Quand l’excès, à force d’excès m’écrase, alors le rouge apparaît comme une stridence. Un son vrillé. Perçant. Le rouge est mon pays de misère. De reniement. De violences. De rages obscures. L’incendie dans l’azur. J’ai des orages rouges au bout de mon impatience.

Alors l’écriture c’est bien cette sensation de bleu au cœur sanglant du rouge.

Vivre est la chose la plus rouge que je fais.

Ecrire est la chose la plus bleue que je fais.

Et ma rêverie a la couleur d’or d’un soleil à l’aube.

Et ma mémoire est blanche, aussi blanche qu’un grand champ de neige.

Et mon enfance reste désespérément grise.

Franck.

6 août 2006

Pas à pas....

Le combat est évidemment perdu d’avance. Entre la parole et le silence. Si la parole est arrogante, le silence est dédain. Et la parole croit encore la victoire possible, le silence, quant à lui sait déjà qu’il a perdu. Depuis toujours.

Explorer chaque couche, chaque strate, décoller chaque croûte. Et le texte est comme une herse avec ses ferrailles qui pénètre l’écorce. Derrière l’écorce une autre écorce. Une autre terre. Différente et pourtant la même. Un peu plus âpre. Un peu plus sèche. Un peu plus dépourvue.

J’ai ré ouvert ce petit livre de Louis-René Des Forêts :  « Dire et redire encore, redire autant de fois que la redite s’impose, tel est notre devoir qui use le meilleur de nos forces et ne prendra fin qu’avec elles. »

Ne faisons-nous jamais autre chose ? Et le sol se dérobe sous nos pas. Aucune terre à l’horizon des mots. Guillaumet disait : « Ce qui sauve c’est de faire un pas. Encore un pas… c’est toujours le même pas qu’on recommence… »

Et la marche est inachevable, elle est déjà écrasée par la fin inéluctable, définitive. Banalité de le dire, mais que dire d’autre, au fond ? Accaparés que nous sommes à batailler avec nos insuffisances, nos lâchetés, nos manquements, nos complaisances envers nous-mêmes. Nos peurs se déguisent, prennent d’autres voix, d’autres visages, d’autres formes, et on se laisse abuser, parce que c’est mieux ainsi, parce qu’on a pas su inventer assez d’éternité en nous.

Alors on est toujours tapis dans la grotte à user le même silex. Les mots font quelques étincelles mais le feu brûlant les avale, les consume. La trace d’une trace. De l’eau dans de l’eau. L’incommensurable naufrage depuis la nuit des temps.

Plus je creuse, plus j’avance, plus je perds mon élan, comme si les mots recelaient derrière leurs lumières premières, l’ombre d’une eau noire. Lente décomposition. L’œuvre au noir dans l’athanor de l’âme. Alchimie du malheur et de la perte sans fin. L’illusion d’une pierre introuvable. D’une ancre impossible. Les métaphores nous donnent tout juste l’illusion passagère d’une possible métamorphose, d’une transmutation. En fait ce sont des incantations puériles. On le sait. Pourtant on continue. Danse du scalpe autour du poteau de mémoire. Danse abrutissante, pour ces noces mortelles du jour et de la nuit. Enluminures qui masquent dans ses arabesques et ses circonvolutions la vacuité du dire, du geste. Le début est un désastre, la fin le couronne. Les mots dans leur infinie maladresse ne font que le répéter.

« Dire et redire encore… » ne serait-ce que pour résister à l’éparpillement prématuré. Non, pour tenir sa place, (quelle place serait à tenir ?), non pour un surcroît de vie, non pour satisfaire l’ego, non que la constance ou l’entêtement sont porteurs d’une quelconque solution, d’une quelconque justification ou garantie. Marcher n’a pas de sens, ne pas marcher n’en a pas plus, et changer de route, impossible.

Alors marcher pas à pas, sans se préoccuper de l’issue puisque l’issue viendra bien assez tôt, ni du sens, ni de la cohérence. Les édifices de la pensée sont les pires des prisons, sous couvert de raisons on s’achète une bonne conscience. Avancer sur la route sans illusion, sans espérance, sans certitude non plus. Avancer, à son propre pas, avec sa propre lenteur. Même sans élan. Tant pis pour l’élan. Et s’il le faut avec lourdeur. Chaque voie est bonne puisque toutes sont mauvaises.

Alors marcher pas à pas, entre silence et parole, simplement avec insistance et il adviendra ce qui est inscrit depuis toujours au fronton du ciel… et qu’importe….

Franck.

2 août 2006

é( CRI )re........éc( RIRE ).....

Le difficile c’est l’enfermement dans propre demeure. C’est l’impossibilité d’ouvrir les portes de sa maison. On est à l’intérieur. Et rien ne pénètre. Ni lumière, ni voix. Rien. Et rien ne sort. Les verrous sont tirés. Ni la nuit, ni le jour, rien ne pénètre.

Ne plus écrire. Trop simple.

Tout a été écrit, ça veut dire que rien n’a été dit. Que tout est à formuler. Une autre fois. Jusqu’au bout. Jusqu’à la fin. Psalmodier jusqu’à l’ivresse. Même si c’est inutile. Surtout parce que c’est inutile. La mélopée n’est plus sacrée, elle n’atteint plus les cieux. Les a-t-elle atteint un jour ? Est-ce important ?

Respirer. Faire entrer l’air. Profondément. Sentir l’échange des gaz dans le sang, dilater les poumons. Respirer. Seulement ça.

Ecrire que l’on respire. Ecrire que l’on sent l’air se mélanger, que c’est la seule chose que l’on maintient. Que tout est organique. Qu’il n’y a qu’une chimie. Qu’une organisation de molécule. Un échafaudage de particules. Et que c’est ça qu’on écrit. Jamais rien de plus. Que tout le reste n’est qu’une boursouflure. Qu’une triste illusion.

Il faut repartir du début. Du cri. Reformuler le cri. L’équation du cri. Un cri débarrasser de sa douleur, de sa peur. Un cri pur, net. A l’état brut. Un cri sans chagrin puisqu’il les contient tous. Sans cause. Le cri comme le premier mot. Le seul audible, le seul compréhensible.

L’enfant qui naît sait déjà tout. Il crie. Après il passe sa vie à oublier le cri. Il passe sa vie à oublier qu’il savait. Derrière chaque geste, derrière chaque parole, ce qui compte c’est le cri. Faire entrer l’air dans ses poumons. Déployer le cri. L’épaissir. L’aggraver. Lui redonner sa nécessité. Son immédiateté. Et son acharnement. Appeler le cri. D’abord dans ses poumon, à l’endroit des échanges de molécules, à l’endroit où le dehors devient du dedans. Quand le dehors devient du dedans il devient un cri. Toujours. On ne le ais pas, parce qu’on a oubliée le moment du naître. Le premier échange des molécules qui devient un cri. La première vérité, sans doute la seule qu’on ne dira jamais. L’originelle affirmation. Car le sourire n’est qu’un cri dévoyé, un cri qui s’est déjà compromis, un cri qui a déjà vendu son âme. Et le rire, n’est qu’un cri prostitué. Une forfaiture. Ecrire la signe.

Que deviennent nos cris qui ne sont pas criés ? Sont-ils musique ou poésie ? Sont-ils torrents ? Bourrasques ? Sources ou plaintes dans les landes de bruyères ? Supplique ? Oraison ?

Que venons-nous, nous qui ne crions pas ? Que pèse notre vie sans cri pour l’alourdir, pour l’enraciner ?

Alors remonter le fil du souffle. Respirer intensément. Sentir le froid de l’air passer dans l’incendie du sang. Et n’écrire que ça, l’effondrement du dehors dans le dedans. L’écrasement des molécules dans les chairs vivantes, respirantes. L’écrasement devenir pulsations, vibrations. Et jusqu’à la convulsion. Psalmodier jusqu’à l’ivresse. Du souffle sur du souffle, et le cri qui se déploie dans une extirpation somptueuse. Du souffle qui frotte sur du souffle. Du sang noir pour du sang rouge, élévation lente, cène sanglante et hurlante. Cérémonie solennelle du cri initial, annonciateur, prédicateur. L’engramme. L’ordalie.

Franck.

1 août 2006

Aux temps des arabesques....

Chaque jour l’épreuve. La page. Pourquoi ? Pourquoi ce chemin ? Qu’attendre de cette confrontation ? Le texte est long à s’élaborer. Toujours. Avancée, ratures, effacement. Quelques grappes de mots qui viennent en saccades. Et puis la lente mastication. L’exercice de la bouche. Du son. Du rythme. Des syncopes. Des stases. Et le rejet. Pourquoi ? Le texte résiste. Il y a comme une lutte. Contre qui ? Contre quoi ? Mot par mot, ligne par ligne. Aller un peu plus loin. Sans savoir, ni la destination, ni la signification. A l’intérieur je sens qu’il a un chose à atteindre, il semble même que les mots pourraient venir de cette chose, mais je n’y ai pas accès. Les paroles dessinent mon lieu d’exil. En creux. Dans le creux, les mots. Ils suintent avec étrangeté, comme si je pressais une masse poreuse et gluante. Ils viennent avec lenteur, avec parcimonie. Ils raclent. Ils s’arrachent de l’ombre, et traînent toujours avec eux cette part d’ombre. Ce mystère. Cette impossible connaissance. A l’intérieur il y a comme un frottement difficile à décrire, et les mots viennent de ce frottement. Copeaux d’une conscience à la dérive, ou d’un entêtement insensé, déraisonnable. Même le corps est engagé. Je le sens dans les bras, les doigts qui frappent le clavier, la poitrine, le ventre. Surtout le ventre. Une sorte de tension sourde. L’intention du corps qui vient frotter un endroit vide, qui n’existe pas et qui pourtant est là. Puissant, invincible. Imprenable. La page est là, au lieu du frottement.

C’est une lutte. Une lutte froide, austère, sévère, sans éclat, monotone. Simplement entretenir la tension. L’exacerber. Comme s’il s’agissait de contenir quelque chose qui ne sortira pas. Qui de toutes façons ne sortira pas. C’est une lutte froide contre quelque chose qui n’est ni ennemi, ni ami, quelque chose qui n’est que dans le creux, que dans le contre temps, qui ne dévoile sa présence que par le manque. Le paradoxe. Ton absence me manque, dit le frottement, dit le mot qui suinte. Ton manque manque à mon manque réponds la chose en creux. Ton temps manque à mon temps. Il y a le frottement du manque sur le manque dans cette lutte distante, sans éclats, sans grandeur. Il y a la page chaque jour qui se dérobe un peu plus. Et ce temps de face à face, ce drôle de temps qui ne se raccroche à rien d’autre qu’à lui-même, un temps qui n’a pas d’histoire. Lente mastication des mots, scansion, succion, dissection. Il semble que tout réside dans cet enchaînement consenti. Cette volonté de le maintenir et en même temps de le réduire.

Peu à peu l’amour c’est résigné, a renoncé, c’est absenté de mes mots. Il ne reste plus que la trame vidée de sa broderie, vidée de ses motifs, de son désir, de ses fils de vie. La matrice vidée de son élan, de son exaltation. Extinction progressive de la lumière dessiccation des chairs de la parole. Le mouvement c’est rétréci. Il ne reste plus que la trame desséchée, dépouillée de sa faim, de ses tentations, un enchevêtrement laminé, accablé, où le souffle ne s’accroche plus.

Aimer, écrire sont le même mot, la même arche…. C’était il y a longtemps….aux temps des arabesques….

Franck

31 juillet 2006

Une étendue corrosive.......

Car il m’a fallut considérer les étendues devant et celles derrières. Et j’ai voulu les mesurer, comme si elles recélaient un savoir, peut-être un pouvoir. Et j’ai regardé longtemps ces espaces fragiles. Et j’ai additionné, et j’ai soustrait, et j’ai fait toutes sortes d’opérations vaines, inutiles. Et j’ai voulu peser chaque souvenir et chaque espérance. Et j’ai voulu équilibrer les plateaux du trébuchet à chaque pesée. Et j’ai pris des microscopes pour voir ce qui ne se voit pas, comprendre la molécule des rêves, étudier l’atome du moindre silence. Et j’ai lu les savants, et les sages, et les poètes. Et j’ai été scrupuleux, attentif, et les étendues devant et celles derrières restaient toujours aussi muettes et inconnaissables. Et j’ai étudié les astres et leurs mouvements secrets, et j’ai mélangé les siècles passés et les siècles à venir, et j’ai fait parlé les étoiles et j’ai interrogé les anges et même les démons, et plus j’avançais dans les étendues devant, plus les étendues derrières me paraissaient lourdes. Lourdes, si lourdes. Car il m’a fallut considérer toutes les étendues et n’être qu’un naufragé au milieu d’un océan de vagues amères. Car chaque leçon apprise fut une leçon oubliée, chaque connaissance un fardeau de plus.

***

Alors je flotte. Je flotte sans direction, considérant toujours les étendues devant et celles derrière, déchirant l’instant, écorchant les heures avec des mots, encochant chaque jour comme un bagnard, qui mesure le rêve à l’aulne de l’éternité. Prison sans porte, sans barreaux, simplement traversée de suspensions, de lassitude, d’affaissements inépuisables. Alors je flotte au centre de cet espace borné par les étendues devant et celles derrière. L’espace infime, vulnérable, précaire.

***

Faute d’aller loin, j’ai cru aller profond, j’ai cru traverser l’épaisseur de mes catacombes, briser l’arche gothique de ma mémoire, désensabler l’édifice ombrageux  enseveli sous les gravas des jours, des saisons, ces citadelles invincibles et arrogantes. 

***

Le temps fuit par les deux bouts comme une hémorragie de braises palpitantes, une messe d’adieux. Le temps fuit par tous les bouts avec cette indolente désinvolture.

***

Sur la page d’écriture il y a une tache. Juste à l’endroit du mot. Une encre noire. Epaisse qui absorbe. Elle n’est ni grande, ni petite. Elle est là, et elle absorbe. Chaque parole écrite semble y tomber, comme si elle était un puits, comme si elle trouait toutes les pages de la création. La tache. Récif inévitable où chaque mot se brise. Elle est le lieu de l’instant, comme si toutes les étendues de langue, celles devant, et celles derrière, venaient y mourir.

Il est une tache. Une souillure qui s’élargit sous ma peau, entre mes lignes. Souveraine. Corrosive. 

***

Qu’est-ce qui peut se dire une fois que tout a été dit ? Qu’elle est le premier mot qui vient, juste après les dernières paroles ? Quelle œuvre s’édifie sur les décombres de la langue ?

Car l’écriture n’est pas le radeau, elle n’a ni voile, ni rame, l’écriture c’est la mer, avec son infini mouvement, son infini tristesse solitaire. Elle épuise sans s’épuiser, elle s’étend sans rassembler, elle appelle sans jamais répondre. Nul secours dans ses vagues, nul pardon dans son écume, nul recours dans ses lancinantes marées. Que l’horizon qui se déploie. On ne traverse pas la mer. On ne traverse pas l’écriture.

***

Il y a une tache, juste à l’endroit du mot, large comme une mer. Une mer d’encre noire. Epaisse. Souveraine. Corrosive.

Franck.

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