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J'irai marcher par-delà les nuages

19 mai 2007

Intime.......

Il y a des lieux, des géographies. Des destinations. Plus tard, bien plus tard, il a des achèvements.

 

La pensée, le rêve, se nourrissent d’espace large, d’illimité, de démesuré. Mais l’intime s’édifie dans le grave. Dans les lieux clos du grave. Les îles. Les oasis. Les feux de bois. Les éclairages tremblants. Les chandelles vacillantes.

 

Lieux du grave et de l’intime. Du début, et de la fin.

 

L’espace intime fait un trou dans le réel. Comme si la continuité du temps s’effaçait soudain. Un trou. Une crevasse. Une blessure délicieuse. Un chavirement.

L’intime. Ce n’est pas le rapprochement de deux êtres. L’intime c’est bien la disparition de deux astres dans un trou du temps et de l’espace. L’intime. Le réel se détache, s’arrache.

 

Ce dimanche là, tu le portais en toi, et tu me l’as offert. L’intime. Simplement. Et je sais que je l’avais toujours désiré ainsi. Homme en guerre, tu me tendais la paix. Et je la voulais cette paix. Face à face, dans un autre monde.

L’intime est une disparition.

Et tu m’as guidé dans ce lieu de la terre, unique, et terrible, et bénit. Liturgique. Un vortex de l’âme. La disparation des écorces. Le lieu du sang aux tempes. Du battement lent du cœur. De la respiration commune. Il existe d’étranges magies. De fabuleuses géographies.

 

Nos visages se sont penchés. Nos visages ont dessiné un pays, et nos voix en furent la première tribu. Et tu fabriquais du secret juste pour me le dévoiler. Et tu inventais du mystère, juste pour le bonheur de me le révéler. Comme si l’aveu était la chose la plus douce.

 

L’intime est le lieu des enfants et des mourants, c’est pour cela que les amoureux s’y glissent avec tant de jubilation. Ils en ont la clé. Et l’instinct. Lieu des débuts, et lieu des fins. L’intime est une île dans une mer intérieure. Un silence au centre de l’océan. Une folie convoitée.

Comme si l’espace s’agrandissait de notre seule disparition, et de notre abandon, et de cette divagation somptueuse.

L’intime se pose sur l’ombre de la voix et parle une langue inconnue. Et les mots de l’intime n’ont pas de sens, ils n’ont qu’une lumière fragile. Le murmure balbutie d’étranges litanies. Et la voix se faufile dans les couloirs sombres du temps.

 

L’intime ce n’est pas le contact. Ce n’est pas la peau sur la peau. L’intime c’est un vide magnifique qui absorbe en un instant toutes nos défaites. C’est la distance la plus petite dans l’étendue la plus vaste. Un temps décomposé sur la bouche du temps.

 

L’intime c’est nos corps l’un vers l’autre, avec cette chaleur d’été au cœur du printemps. Et cette vie qui suintait à la suture du jour, et tes lèvres posées sur la couture des heures.

 

Et cette trace rouge et bleue et blanche…

Et ce tremblement de chair…

 

Franck.

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17 mai 2007

Ce n'est pas une blessure.....

Ce n’est pas une blessure, puisque je porte en moi l’espace que tu y as laissé. Puisque tu as su ouvrir la porte pour faire enter le jour. Puisque tu as tendu tes mains d’aurores pâles vers mon crépuscule. Ce n’est pas une blessure, c’est une tempête enchantée, un peu comme ces moussons espérées trop longtemps. Une profusion. Le consentement du ciel à terre. Les noces de la démesure. L’union des temps. Non, ce n’est pas une blessure, c’est juste un déploiement, le fleurissement des chairs rouges. Car t’aimer est un privilège, une grâce, une faveur des dieux. Tu es arrivée avec cette innocente douceur, avec cette singulière bienveillance, et tu as ouvert en grand les portes. Et le ciel est brusquement entré dans ma poitrine, avec ses constellations tournoyantes, ses galaxies de feu. Tu es arrivée avec l’hésitation d’un poème qui avance à travers le silence, avec cette lenteur, cette élégance. Tu es arrivée avec un pas de danseuse, sur la pointe des mots pour ne pas les user, pour ne pas les brader. Tu voulais juste effleurer la lumière. Tu voulais juste étreindre un peu plus loin et frôler les miroirs de l’avenir. Tu voulais juste conjurer le désastre qui nous attend et caresser la tempe de l’inaccessible. Alors tu as ouvert la porte pour effacer d’un seul regard la mort qui gisait sur le seuil. D’un seul regard fragile tu as déterré l’hiver, retourné les saisons. D’un seul regard tranquille. Tu es arrivée poussée par un mystère et par les vents du large, comme ces grands oiseaux qui n’ont de pays que l’horizon et qui parfois se posent à l’orée d’une rêverie, ou sur les hauteurs d’une falaise blanche. Tu as dans ton regard les distances qui apprivoisent l’infini et cet éclat intime qui rassure. Un regard de blancheur qui tiendrait les enfants en éveil et qui apaiserait leurs chagrins. Tu as tourné vers moi ton visage de patience et d’attente, et un ciel est entré dans mes chairs. Alors tu vois, ce n’est pas une blessure, c’est un passage, l’embrasure du destin, par où s’évadent les comètes. Ce n’est pas une blessure puisque chaque jour je peux voir se lever ton soleil. Puisque chaque jour il m’est donner de couronner ta tête d’un diadème miraculeux, puisque mon errance épouse désormais les formes de ton absence, puisque chacun de mes mots se nourrit de tes silences, puisque l’ombre recule comme des terres usées.

Tu sais j’inventerai des ponts aux arches si grandes et si puissantes qu’elles nous feront traverser les rives du temps d’un bord à l’autre. Pour nous retrouver. Tu sais nous pourrons contempler, en nous penchant un peu, les ciels et les planètes qui couleront comme un immense fleuve insensé. J’inventerai des temps pour conjuguer nos verbes. Des pluies pour fleurir tes jours. Car mes déserts t’attendaient dans leurs minérales solitudes, mes déserts sommeillaient drapés dans cette mélancolie persévérante et grave. Et tu es venue. Et tu es venue dans ces terres dévastées avec au fond des yeux assez de confiance et de tendresse et de clémence.

Alors, je t’inventerai des routes assez larges pour nos pas, pour nos rêves, pour nos lendemains. J’agrandirai les jours, j’approfondirai les nuits. Et je t’offrirai une maison de murmures et je peindrai sur les murs des océans pacifiques. Et tu seras les tropiques, et je serai l’alizé. Et je serai les vagues et tu seras l’écume. Et je serai le fruit et tu seras les lèvres. Et je t’offrirai mes mains de silence pour que tu y poses ton front.

Tu vois, ce n’est pas une blessure, l’amour va l’amble, et je vais danser sur mes décombres.

Ce n’est pas une blessure simplement les vestiges du néant.

Franck.

13 mai 2007

Tu es une île.....

Tu es d’une île, tu en as la discrétion, la mesure,  la retenue. Tu es d’une île, tu en as la distance, et l’inquiétude borde tes rives. Tu es d’une île sauvage, dénudée, tu as le goût du sel et du large et du bleu, et ta voix se mêle au souffle des marées. Tu es d’une île, de ces îles détachées des mondes, de ces îles en partance. Morceau de terre qui a rêvé plus loin que les terres. Morceau de terre sentinelle, à l’avant des continents, vigie surveillant l’éternité.  Terre battue, sculptée par le désir, par la soif, par la faim. Terre pétrie par l’âpreté des tempêtes, tes rochers de souviennent des naufragés, et ton chant les appelle, et tes mains les retiennent. Tu es d’une île, un vaste vaisseau de pierres, immobile et fier. Une terre crucifiée par les vents et l’absence et lorsque tu soupir c’est l’océan qui s’effraie, et lorsque tu souris c’est l’océan qui recule. 

Les îles sont orphelines, elles n’ont pas de parents, pas de passé, elles n’ont qu’un seul regard pour désigner le ciel, l’horizon, et le temps qui les use, et l’amour qui les ronge, et la miséricorde qui les porte. Les îles sont orphelines, et elles rêvent de multitudes et de tropiques. Les îles ne se plaigne jamais, ne maudissent jamais, elles savent la vacuité, et la vanité des hommes. Elles préfèrent le silence et l’infini qui les borde. Les îles sont des astres d’océan, elles brillent dans les cieux des flots. Et elles se taisent, sachant le poids du néant et ce que valent l’abandon, et l’ennui, et l’attente. Et l’oubli. Au cœur des îles gisent des passions inachevables, des amours inachevés, des histoires de départs, de retours, des voyages aux longs cours, des renoncements.

Chaque île écrit sa complainte sur la peau des vagues qui l’effleurent, chaque île écrit son chant sur la peau des vagues qui la creuse.

Tu es une île qui écrit ses distances au sommet des vagues qui te brassent, à chaque mot tu agrandis l’espace des sables, car chaque mot est un roc lancé dans la mer, un pont pour le large, une nouvelle rive. Chaque mot est une terre de plus gagnée sur la tristesse et la mélancolie. Chaque page est un port, une escale. Une promesse. Ton écriture est précise, incisive comme les côtes de ton île, comme s’il fallait ciseler les néants qui t’assaillent. Déchiqueter le vide et polir, jusqu’à la faire rougir la parole douce et tendre, la parole qui naît de l’urgence d’un désastre imminent.

Ecriture de nuit sans lune, parole aiguisée et coupante pour effilocher les brumes qui pourraient t’envahir, tu incises le gras de la langue pour y loger un silence, pour contenir l’espace d’un chant l’hémorragie de vie qui s’écoule de tes yeux, de tes mains ouvertes, de ton âme abondante. Tu écris avec l’éclat de tes yeux. Tu cueilles les mots un par un, comme des coquillages, tu les portes à ton oreille pour entendre leurs légendes, tu les portes à tes lèvres pour les bénir, et tu les pose là, avec la rigueur, la justesse de l’orfèvre pour sertir les pierres précieuses. Tu passes du silence pour aller au silence. Ecriture de dépossession. Cérémonial du dénudement et de l’indulgence. Liturgie des murmures et des aveux. On peut entendre ton souffle bien après la fin des mots. Comme ces vents marins qui persistent bien après la tempête. Et ta parole dessille les mystères échoués, que les marées déposent sur tes plages. Car tu sais par cœur qu’écrire c’est marcher sur les eaux. Danser sur les vagues pour éviter la noyade.

Ton écriture est une île qui s’offre au soleil, au vol des oiseaux, pour nous sauver des naufrages qui nous guettent.

Tu es ce morceau de terre imprenable dans mon océan qui dérive. Un phare qui signale les hauts fonds. Un chant pour traverser mes enfers. Une grâce dans l’épaisseur du temps.

Tu es une île en avance sur la terre. Une île pour rejoindre le ciel.

Franck.

12 mai 2007

Ton nom.....

Je prononce ton nom. Un oriflamme dans le vent de la parole. Je prononce ton nom pour l’avoir dans la bouche, au plus près de ta saveur, au plus près de ton parfum. Je prononce ton nom pour le faire résonner dans ma gorge, pour échanger nos souffles. Et quand je prononce ton nom, ma poitrine se gonfle sous l’effet d’une tourmente troublante, ce genre de tourment marines que l’on rencontre dans les océans perdus, large et longue houle, berçant le ciel, accrochant à l’écume un peu de brume, un peu de neige, un peu d’envie. Et cet air marin chargé d’iode et d’embruns pénètre mes poumons jusqu’à l’échange des sangs.
Tu comprends… l’échange des sangs. Je prononce ton nom à haute voix. Tu comprends, il ne me reste que ça pour être au plus près de toi. Il ne me reste que ça pour approcher mes lambeaux de mémoires et ce trait de lumière qui me traverse.
Je prononce ton nom à haute voix, avec lenteur. Oui, avec une extrême lenteur, et je respire enfin, et ça fait tinter le silence, et les constellations se remettent à vibrer. Avec lenteur, comme une chose sacrée. J’articule chaque son pour lui donner la chair suffisante à sa gloire, et le poids exact de l’espérance. Je prononce ton nom en arc-boutant ma nostalgie sur le mur de mon exil. C’est une nécessité. Et je m’applique à cette folie pour éviter des folies plus grandes encore. Je m’applique à ce chant monotone et lancinant, pour retrouver l’usage des mots.
Je m’applique à ton nom, comme le peintre à ses couleurs. Nommer c’est faire œuvre divine, et te nommer c’est faire œuvre solaire, c’est relier, étendre, agrandir, réchauffer, c’est effacer l’ombre. Te nommer à haute voix c’est habiller la solitude de vêtements de soie. C’est une chance de plus de franchir le néant.
Et chaque syllabe est une part de toi, la part bleue, et chaque lettre est une lueur qui persiste. Qui résiste. Dire ton nom c’est tisser le silence, c’est déplier la nuit pour la rendre habitable. Supportable. C’est appeler ton visage, c’est comme si je saisissais ton murmure sur le bord de tes lèvres. Tu comprends, c’est comme caresser tes cheveux, c’est comme réinventer le désir et sa marche épuisante à travers les sables. A chaque lettre c’est chercher la forme d’un aveu, ou une miséricorde. C’est inventer ta peau, c’est déposer mille baiser dans l’air que tu respires. Car tu sais, prononcer ton nom c’est moduler le vent aux formes de ton corps. C’est dévorer un rayon de soleil. Prononcer ton nom, c’est convertir le païen  aux étoiles, c’est t’inscrire sur les anneaux de Saturne, c’est graver un chemin qui te rejoint, c’est inventer la route de tes yeux.
Je prononce ton nom à haute voix. Avec lenteur, comme un insensé que l’on croit voir parler seul, alors qu’il dialogue avec les anges. La lenteur bâtie les empires et dénoue les distances.
La lenteur appelle la présence, comme la flamme d’une bougie appelle les dieux. La lenteur dans la voix qui te dit, c’est le seul chemin pour te rejoindre, car la lenteur va avec la tremblance, et la tremblance va avec l’amour et l’amour va avec toi.

 

Franck.

 

 

8 mai 2007

Film.....

Tenir l’instant. Le maintenir. Ne plus le lâcher. A l’intérieur c’est un film. Ca y ressemble. Il surgit dans le désordre des séquences. Il s’accroche. Je m’accroche. Je ne l’appelle pas. Il est là. Je le laisse prendre la place. A l’intérieur. Avec les images. Ca ressemble à un film. C’est un film très court. Quelques séquences. C’est l’histoire d’une rencontre. La caméra est dans mon œil. Quand il surgit, ça va très vite. Une fraction de seconde. Mais je tiens l’instant. J’ai la sensation que tout est en morceau. Une décomposition d’images. Comme si de l’eau passait dans la mémoire. L’eau du temps. Alors il faut tenir l’instant. L’étirer. L’agrandir.

Ce n’est pas un grand film. Ce n’est pas un film d’auteur. C’est un petit court métrage dans le désordre des séquences. Il y a simplement un peu d’eau qui coule sur les images. C’est l’histoire d’une rencontre. Cela ne dure pas. C’est normal. Les rencontres ne dure pas. Après ce n’est plus des rencontres. Là, c’est uniquement une rencontre. Après le film s’arrête. Il repasse dans les boucles du temps, de la mémoire. Sans cesse il repasse. Il veut trouver sa place dans le labyrinthe, dans ce fatras que sont mes jours. Alors il repasse.

Il faut que je tienne l’instant. Assez longtemps. Parfois on oublie. L’eau envahi tout. Les formes, des contours disparaissent. On passe sa vie à oublier. Là, je veux que ça reste. Quand le film se présente je ne le chasse pas. Je le laisse. Dans ma tête, c’est un film silencieux. Pas muet. Silencieux. Les deux parlent, mais ont ne les entend pas. Moi, femme_dans_un_caf_j’entends. Le son est dans un autre lieu de ma mémoire. L’image et le son ne sont pas synchronisés. Dans ma mémoire ce sont déjà des extraits. Il y a des images qui ont déjà disparues.

C’est un dimanche. Cela n’a pas d’importance dans le film, mais c’est un dimanche. Le matin, ça c’est important, à cause de la lumière. Il fait beau, mais il y a un léger voile dans le ciel. Une luminosité franche de matin avec juste un voile léger. C’est un quartier de Paris. La rencontre se passe à Paris, cela aurait pu être ailleurs, mais c’est à Paris. Ils ont rendez-vous. Ils ont échangés des texto. Des milliers de gens font la même chose, à Paris ou ailleurs. C’est banal. Les gens se donnent des rendez-vous et s’attendent. Au départ ils veulent se rencontrer. Après ils ne veulent plus, mais c’est trop tard. Ca s’est imprimé sur la pellicule. C’est inscrit dans l’histoire des étoiles. Tout est inscrit, avec les gestes, et la lumière qui les portaient. Ce ne sont pas des films d’auteurs. Cela forme simplement la texture des ténèbres dans la profondeur des cieux. Ils ont rendez-vous dans un bistrot. Le bistrot a un nom amusant. Dans le renier texto elle lui a écrit : chez Gudule….Le nom du bistrot, n’a pas d’importe dans l’histoire qui se déroule. Mais c’est le nom du bistrot, alors il faut le dire.

Le film commence toujours de la même façon. Elle, elle est assise à la terrasse du café. Il n’y a qu’elle. C’est le matin dans Paris. Elle est assise. Elle attend, lui.

J’ai la caméra dans l’œil. La caméra, d’abord elle cherche. Et puis l’œil s’aperçoit qu’il n’y a qu’elle. Ils se sont trouvés. Il n’y a pas de musique sur les images de la mémoire, ce n’est pas comme dans les vrais films. Là, c’est silencieux. Il n’y a pas de ralenti non plus.

A partir d’ici, le champ de vision de la caméra se rétrécit. Il n’y a plus que le visage d’elle. Autour c’est flou. Dans la mémoire de l’œil le visage d’elle est très proche. Plus proche que dans réalité d’une rencontre. Parfois l’œil dérive à droite ou à gauche. Je me souviens. Je ne peu pas la regarder trop longtemps en face. C’est presque douloureux.

Alors il parle. Leur conversation va droit à l’essentiel des choses de leur vie. C’est une conversation naturelle. Sauf, que rien n’est naturel. C’est comme dans la tragédie grecque.

Les histoires s’emboîtent comme des poupées russes, de la plus simple à la plus cruelle. Ce qui caractérise les histoires, c’est qu’elles ont une fin. C’est que la fin est inscrite dans le début, en filigrane. Dans le film, si l’on regarde bien, tout est inscrit dès le premier instant. La couleur du matin. Le voile dans ciel. Peut-être le nom du bistrot. Gudule. C’est une dérision. Le destin des humains est dérisoire. On sait. Tout le monde le sait. On fait comme si on l’oubliait. Et puis il y a quelques signes qui nous arrivent. Gudule, c’est un signe, ce n’est pas un nom, ce n’est pas un lieu ni un temps. C’est un signe.

Il ne veut pas la regarder tout le temps de la séquence. La beauté d’elle, est troublante. A chaque fois qu’il la regarde dans les yeux il a la sensation de manquer d’air. Il reprend son souffle. Ca ne se voit pas sur l’écran. A chaque fois que la scène passe, je ressens la même pointe. Comme si un scalpel passait à l’intérieur de la poitrine. Un effleurent glacé.

Dans le film de sa mémoire, il est très proche d’elle. C’est un effet du temps. Dans le film de sa mémoire les images sont des morceaux d’images. Un peu comme un kaléidoscope. Les yeux. Le point d’éclat au centre. La bouche. La peau du visage. Le nez. Chaque partie se sur imprime sur les autres. Il faut faire un effort pour retrouver le visage dans la nudité du premier instant. De l’eau passe dans ma mémoire poreuse.

Je me concentre. Ses yeux. Sa bouche. Ses lèvres. Son sourire.

Voilà, le sourire. Il faut garder le sourire. C’est par le sourire que tient le film. La porte d’entrée du visage c’est son sourire à elle. La séquence où ils sont assis tous les deux à la terrasse de chez Gudule se brouille. Elle n’est pas dans l’ordre. La mémoire a déjà fait des coupes.

Plus le film repasse plus les nœuds se nouent. C’est le sens de la fatalité que nouer les nœuds. Il faut garder ces instants. Il faut les garder. Déjà je sens l’effacement. Ses traits sont moins précis. J’insiste, c’est le sens de ma folie. Revenir sur l’inutile. Tenir le vain, l’accessoire. Tenir tous ces fils qui pendent. Il ne faut pas être négligent avec ses souvenirs. Il faut les dire, leur trouver des mots. Pour leur faire un autre destin.

Et toujours cette même sensation quand son visage apparaît, cette sensation de bouleversement, comme si les images passaient d’abord dans le sang, comme si elles infusaient les chairs.

C’était un dimanche, elle est arrivée comme une plume, comme une grâce. Elle a choisi cet instant si particulier pour apparaître, l’instant où la lumière se gorge de silence. L’instant où les dieux sont occupés à autre chose, où ils détournent le regard, où ils laissent faire.

Elle est arrivée avec cette légèreté de brise printanière. Elle a posé ses doigts avec douceur sur la porte de tendresse et elle est entrée. Et depuis, ma maison est dans tous ses états. Elle a simplement soufflé, et j’ai senti sa présence. Une présence considérable.

Et depuis, j’ai dans la tête ce film qui passe et repasse sans arrêt. Pour ne pas oublier. Pour mourir un peu moins vite.

C’était un dimanche. Elle est arrivée comme l’écume d’une vague, un rire d’océan, comme une ivresse, une folie. Elle est arrivée comme la chaleur qui précède les feux. Elle est arrivée juste après l’aube dans l’ascension verticale du soleil, avec juste un voile, juste ses yeux, et le fracas d’un sourire. Certains êtres vous manquent bien avant que vous ne les connaissiez, bien avant que vous ne les ayez rencontré. Et quand ils sont là, ce manque vous sacre.

Alors je suis de son absence. Elle est « ma part manquante », ma procession, ma croissance, mon témoignage. Elle enfante mes heures, et je croîs dans son regard, et j’augmente par sa seule lumière. Je suis son pèlerin. Pauvre et silencieux.

……..

Les saisons cachent leurs misères et raccommodent leurs troublantes humeurs par un long fil de tristesse.

 

 

 

Franck.

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6 mai 2007

Je voudrais....je voudrai....

Dans la rue, je me retourne parfois. Je voudrais la savoir là. Je voudrais la savoir si proche de mon ombre pour éclairer ma route. Je voudrais sentir son souffle sur la peau de mes jours.

 

Je voudrais loger tout entier dans le coquillage de son silence.

Je voudrais qu’elle caresse chacune de mes phrases pour les redresser, leur donner un élan neuf.

Je voudrais qu’elle baise chacun de mes mots pour leur donner assez de force et de couleur et d’espérance.

 

Mais je voudrais aussi, qu’elle pose sa main sur ma main pour ajouter la chair à la chair, pour inventer la chaleur, pour enfanter l’ultime secours.

Je voudrais être chemin pour soutenir son pas, être horizon pour reposer son regard.

Et je me ferais voyage pour peupler sa mémoire.

 

Mais je voudrais aussi, être prière pour que sa bouche me dise, être fruit pour que ses dents me déchirent, être hostie pour que ses lèvres me touchent. Chant, oh oui, chant, pour être dans sa voix.

 

 

J’inventerais la mer pour emporter mes rides.

 

J’inventerais l’éternité pour effacer mes ans.

 

Je me retourne parfois…

Je me retourne parfois….

Franck

6 mai 2007

Regard.....

Car il faut parler de son regard qui invente un espace étrange. Il ne fait pas que vous regarder. Il apporte avec lui un lieu pour vous y installer. La maison s’ouvre en grand et vous invite à entrer. Souvent les regards créent des distances, le sien vous entoure et vous recueille, avec une infinie douceur. Ces yeux là, ont vu, ils en gardent les brûlures. Ils vont à l’essentiel. Regard généreux qui vous rend votre vie, et vous fait exister dans l’instant. Ce n’est pas un miroir, c’est un regard2cz7chemin. Il ne reflète rien, il propose un chant, il engage au murmure. Une intense lueur voilée. C’est un regard de nuit, de nuit obscure. C’est pour cela qu’il apaise, qu’il réconforte, qu’il soigne les blessures. C’est un regard nu. D’une absolue nudité. A l’entrée de ses yeux vous déposez vos siècles d’existence, et vos peurs, et vos absences, et vos lâchetés. Et votre enfance vous revient, pour déborder vos souvenirs. Ces yeux là, vous prennent la main, et la serre, et vous emporte. Ce sont des yeux de source, des yeux d’eau claire et fraîche. Des yeux de lendemain.

 

 

 

De quelle attente es-tu ? Je suis de la plus longue. Celle des pierres

De quelle passion es-tu ? Je suis de la plus longue. Celle des pierres.

De quelle solitude es-tu ? Je suis de la plus longue. Celle des pierres.

De quel silence es-tu ? Je suis du plus long des silences. Celui des pierres.

Et que fais-tu de la joie ? Je suis de la plus longue joie. Celle des pierres.

 

 

 

De quel regard es-tu ? Je suis de son regard. Je ne serais plus pierre.

 

 

 

J’étais une montagne dressée tout d’un bloc, dépassant les nuages, touchant les cieux. J’étais une montagne et me voilà cailloux. Demain je serais sable, grain de poussière. Demain je serais univers.

Et tout au fond… ses yeux….

Franck

5 mai 2007

Une étoile dans le coeur d'un enfant...

Il y a des beautés réelles tout en harmonie extérieure. Elles traversent notre regard et restent fixées à l’œil. Le temps de se dire, elle est belle, très belle. Et l’on passe son chemin, l’œil frisant la lumière. Elles sont comme ces fleurs de jardins. Belles, uniquement belles. Il y a dans ces beautés une arrogance qui pourrait blesser. Il y a dans cette évidence comme un passage de la mort. Une arme qui irait de l’œil au désir brutal. De l’œil au ventre et du ventre à l’oeil. Il y a dans ces beautés une violence. Une hauteur. Un dédain. Une distance infranchissable. Des beautés fixes, immobiles.

Et puis, il y a ces beautés traversées, comme le sont les révélations. Elles ont fait un voyage pour nous arriver, elles ont peiné. Elles portent autour des yeux le voile d’une pudeur. Ces beautés ne se savent pas elles-mêmes. Elles sont dans l’ignorance. Comme l’aurore qui ignore tout du temps, et des siècles. L’aurore, qui invente chaque aube. Il y a des visages de vérité, d’une exacte beauté. Des visages irrécusables, sculpter autour d’un sourire. Ces beautés nous parlent immédiatement. Elles touchent, par les reflets qu’elles provoquent, l’endroit le plus épuisé de l’âme. Ces beautés vous secourent, vous sauvent, ce ne sont pas des beautés de vitrines, elles n’ont pas d’artifice, elles sont toutes en droiture. La vie battante s’accroche à leurs yeux. Il y a dans ces beautés quelque chose qui appelle l’infini, et la caresse brûlante, ces caresses qui ne touchent pas les chairs, mais qui frôlent les constellations. Ce sont des beautés rares, des beautés insensées. Pétries de l’intérieur. L’émotion ourle leurs cils. Visages de musique. Visage de silence et de murmure. Beauté d’offrande. Qui sacre celui qu’elle effleure. Il y a dans ces beautés, plus que de la beauté, il y a un espace de prière. Il y a un ciel. Il y a des lendemains, des espérances, des promesses, des aveux. Il y des mondes qui tournoient, il y a des révolutions. Ce sont des beautés fragiles, faite de dentelles d’âme tendres. On les approche avec lenteur et elle ne vous quitte plus. Elles agrandissent quelque chose en vous.

Elle avait cette beauté simple, silencieuse et discrète. Elle était faite d’un seul souffle. D’une seule vérité. D’un seul élan. Elle faisait juste tinter la clarté autour d’elle. Elle était là, assise sur sa chaise faisant tourner la cuillère de son café. Elle était là, et j’ai vu la lumière l’envelopper, une lumière douce, faite de bleu et d’or, avec se léger tremblement qui la faisait plus vivante encore. Il y a des beautés traversées, comme le sont les révélations. Elles ont fait un voyage pour vous arriver, elles ont peiné. Et elles sont là, frémissantes, vibrantes, comme peut l’être une étoile dans le cœur d’un enfant.

Franck.

5 mai 2007

Le coeur des saisons.....

La pluie est venue. La saison regagne sa maison. Elle était partie sur d’autre chemin. Elle revient chez elle. Saison prodigue. Qui revient. En lambeaux de pluie. Il fait juste un peu froid, il fait juste un peu triste. L’escapade se replie dans la marge. Un peu comme les histoires d’amour qui sautent par-dessus les temps, et qui trébuchent sur un reste d’hiver. L’été ne fait plus fondre mes glaces. Il est des temps où le soleil n’entame plus les grands champs de neige. L’après se confond avec l’avant. Il n’y a pas de présent, ou si peu, le temps reste immobile. Cassant. La saison fixe de l’hiver. Mes grands champs de neige et l’horizon de glace.

Je suis né en été, avec un cœur de neige. Je suis né au milieu des terres avec des yeux d’océan. Je n’ai pas de lieu, pas de temps. Une simple dérive. Une flamme sans son cierge, une prière sans son dieu. La pluie est venue, et la saison a regagné sa maison.

Elle était un été, avec sa façon bien à elle de porter un soleil dans ses gestes. De porter droit la lumière. Sans effort. Et de la tendre, et de l’offrir. Les fleurs du printemps sont belles, mais elles attendent. Les fruits de l’été se donnent. Elle était un été. Je n’étais qu’un hiver.

Elle était un été. Contre temps des saisons.

Elle était un été, avec sa façon bien à elle de s’affranchir de l’ombre et d’éclairer chaque mot d’une lueur étrange et singulière. D’alléger chaque regard d’un silence généreux. L’hiver a ses secrets, l’automne ses mystères, le printemps ses merveilles, et l’été ses miracles. Elle était un été, net, avec sa présence évidente et sereine.

C’est quoi la bonté ? Ce n’est pas de partir du plus fort pour aller au plus faible, pas plus que de partir du plus faible pour aller au plus fort. La bonté, c’est partir du plus faible pour aller au plus faible et de déployer une joie sans limite. C’est de consentir assez, pour n’être lésé de rien. La bonté c’est une simple brise sur les épis de blé. L’été. Dans le silence fixe d’une attente dénudée. Quand le vol de l’oiseau nous étonne par la prière qu’il murmure en nous. Elle était un été. Simple. Bon. Tenant dans ses mains un cœur battant. Articulant chaque couleur d’une douceur invincible. Elle était un été au cœur du printemps…

Et la pluie est venue…

Franck.

2 mai 2007

Une île.....

Je suis une île infatigable.

Je suis une île qui attend son naufrage

Je suis une île que les marées écorchent.

Une île brûlée par les passions défuntes

Une île foudroyée par l’attente

Une île sans rivage

Sans horizon

Si nue que le soleil ne la regarde plus.

Qu’un silence trop lourd pourrait faire chavirer.

Je suis une île infatigable.

Franck.

2 mai 2007

Elle avait....

Cela nous arrive de loin. Et cela vous retourne la chair comme un mascaret. Cela vient du fond de l’océan, d’un profond. Ou des montagnes, d’un sommet. Ca roule et vous appelle comme un chant. Comme un grand vide. Comme une fatalité.

Au départ, c’est un roulement de tambour sourd, inaudible. Une rumeur.

Un désastre commence toujours par un printemps. Un excès de printemps. La douleur commence toujours par un enchantement, elle est la sœur de la jouissance et de l’exaltation. On le sait, mais on veut l’oublier. Comme les papillons de nuit qui vont mourir pour avoir trop aimé la lumière. Oubli. Insouciance. Désinvolture.

Cela nous arrive de loin. Et cela vous retourne la chair du cœur comme le mascaret retourne les eaux du fleuve. Des eaux à nu, à vif. Des eaux saignantes, qui replient leur peau, qui perdent leur élan. Les eaux vieilles du fleuve meurent en aimant trop la mer.

Elle avait dans la voix l’incomparable force de ceux qui savent murmurer.

Et dans les yeux les incendies des nouveaux temps….

Elle avait…..

Les vielles eaux du fleuve, meurent d’aimer plus loin que leurs eaux…

Elle avait…

Franck

29 avril 2007

L'Américaine......

« Tu me fais chier ! » « Georges, arrête !…. Pas devant le petit ! » « Si je te dis que tu me fais chier, c’est que tu me fais chier !.... » Georges, c’est mon grand-père, le cuisinier. C’est les vacances et je traîne mon ennui dans la cuisine de l’auberge. Il s’engueule encore avec Claire, ma grand-mère. «  Et puis d’abord, vous me faites tous chier… ! ». Dans ces cas là, il avait sa tête de bouledogue. Il en voulait à la terre entière. Et à Claire en particulier. Ils s’aimaient dans cette violence, dans ces colères, dans ces excès. Inséparables, dans le fond, perpétuellement en guerre, dans la forme.

Ils sont dans la cuisine, chacun de son coté. Car il y avait deux cotés dans cet antre. La pièce était divisée en deux dans sa longueur par une très longue table surmontée dans son centre par une desserte. Il y avait donc le coté de Georges avec derrière lui, les fourneaux, et le coté de Claire. Chacun travaillant sa partie. Claire faisait toutes les entrées et les hors d’œuvres, Georges tout ce qui était chaud. Et ça tournait comme ça depuis des années.

 

 

 

Claire restait assise à cause de l’arthrose qui lui tordait les articulations, des hanches et des genoux. Pour les aider il y avait José, le réfugié espagnol, grand, maigre, légèrement voûté, une face de hache tourmenté. José, l’hidalgo taciturne. Et puis il y avait Mickey, maigre, aussi petit que José était grand. Mickey, l’ancien coureur cycliste belge que son vélo avait conduit dans les talus de la vie, dans les ornières, dans les culs-de-sac, petit, avec une tête de gargouille hilare. José et Mickey, deux âmes errantes, cabossées, vouant un respect démesuré à George et à Claire.

 

 

 

Pour moi, cette cuisine était un lieu de mystère, de profusion, de cris parfois, de larmes aussi. Elle se situait entre l’enfer et le paradis, entre la chaleur des fourneaux et le froid des grands frigos. Entre silences et insultes et vacarmes. Lieu de passions et de vie, et de brutalité, et de magie. Lieu des odeurs, des cruautés quand les hachoirs s’abattaient sur des cous de lapins, ou sur les entrailles des volailles. Flammes, bruits de casseroles, de marmites, crépitements, portes qui claquent. Lieu des gestes d’enchanteurs, des gestes de thaumaturges, des gestes amples et précis à la fois. Lieu des gestes dangereux, obscurs, les mains fouillant les viscères, les couteaux tranchant les chairs. On connaissait l’heure du jour à sa chaleur, à son odeur, on connaissait les saisons à sa lumière, aux bruits qu’elle rendait. Elle sonnait comme un orchestre.

 

 

 

C’était le matin, avant le service. Il étaient tous les deux, chacun à sa table, elle, assise lui debout. Face à face. « Georges, tu pourrais faire un effort, ça fait combien de temps que tu en a pas fais ?.... » « Et puis, j’en ferais plus… ils ont qu’à manger de la merde !...» « Georges, le petit !... » Alors il s’est tourné vers moi, et sa face de Chéribibi hirsute et colérique c’est transformée en une boule de chair tendre et souriante, et il m’a souri, en faisant un clin d’oeil. C’était un magicien.

« Non, je ne la ferai pas… ! » « Tu peux bien faire un effort, bon dieu ! » « Fous-moi la paix avec ton bon dieu… ! Pas dans ma cuisine !...» « Si tu la fais pas, c’est que t’as peur de la rater… voilà, t’as peur…! » « Peur ?...moi ?...mais tu t’es vu ?... Ma pauvre vieille… !» Il était écarlate, les yeux exorbités. Georges, était une force de la nature, rien n’aurait pu lui résister. Ses colères étaient monstrueuses. Heureusement elles s’apaisaient aussi vite qu’elles arrivaient. Des ouragans exotiques.

Entre Claire et lui, il y avait de la complicité, de la haine, mais de l’amour aussi. De la violence, mais de la pudeur aussi. Claire était une femme forte. Assise, mais forte. A l’intelligence pétillante, à la répartie cinglante. Elle savait où l’atteindre. « Tu as peur ! » Elle le regardait en coin, faisant semblant de s’affairer sur les hors d’œuvres du jour. A la dernière engueulade elle avait reçu un morceau de foie de poulet sur ses lunettes. Ce foie, cru, sanguinolent, brusquement collé sur les lunettes de Claire, les avait fait éclater de rire. Et la colère était partie. Il s’était senti honteux.

 

 

 

Et puis le lendemain quelque a changé dans la cuisine, elle ne rendait pas le même son que d’habitude. Il y avait une sorte d’agitation. Une tension. José traversait la cour au pas de course pour aller cherche du charbon. Beaucoup de charbon. Mickey transportait tout un tas de cageots remplis de tomate, d’ail. Une agitation silencieuse. Appliquée. Studieuse. Minutieuse. Précise. Un ballet longtemps répété.

Claire avait un petit sourire en coin. « Ca y est… il s’y met…. » «  A quoi, mamie ? » «  A l’Américaine… »

 

 

 

Dans la famille ce seul nom résonnait comme un mantra. Un mot magique. La sauce Américaine. Le chef d’œuvre de Georges.

Georges était saucier. Saucier ça sonne comme sorcier. Et Georges était un sorcier mélancolique et colérique. Il n’aimait pas ses contemporains. Il avait connu les violences dès l’enfance. A dix sept ans il s’était engagé dans la marine comme mousse. Alors le tour du monde. Et c’est là qu’il a rencontré la cuisine, les fourneaux. Un hasard. Après la marine, la galère. Les javas, les débauches, les bagarres. Le chef saucier du George V l’a pris en sympathie. « Faire la cuisine c’est aimer, mais la sauce… c’est plus qu’aimer. D’abord il faut être humble, ensuite il faut la rêver ta sauce… une sauce c’est d’abord un rêve… après elle devient un voyage. » Le vieux chef avait une vraie tendresse pour ce jeune marin déluré. « D’abord il faudra que tu apprennes le feu. Et le feu c’est l’enfer, et l’enfer c’est la vie…tu devras apprendre la chaleur qui est l’âme du feu, et ton corps sera le feu, et tes yeux seront le feu… pour faire une sauce, petit, il faudra que tu apprennes à te taire, à fermer ta grande gueule, il faudra que tu la veuilles cette sauce…que tu t’y soumettes, à la sauce, il faudra que ton âme soit forte, et ton geste pur. » Le vieux chef était dur avec Georges. Il l’aimait bien, alors il était dur. « On ne cuisine pas avec des livres, on cuisine avec de la bonté, et de la grandeur d’âme… on donne, on s’étripe, on s’éventre…je t’apprendrais les gestes. Le geste, petit, c’est l’élan de ton amour, c’est la forme de ton destin. Saucier, c’est aller droit au paradis. Oui, petit, droit au paradis… » Le vieux chef était un mystique, et Georges aimait ça, ces paroles qu’il ne comprenait pas encore. Alors il travaillait comme un forcené. Georges appris la discipline. Il arrêta les bagarres. Il apprenait les sauces avec un sorcier. Il apprenait la patience. Il apprenait le désir. Il apprenait à vivre. Il apprenait le feu.

A la fin le vieux chef lui donna ses secrets, ses tours de mains et, cadeau suprême : l’Américaine. « Tu feras fortune avec elle… »

Et George est devenu cuisinier, il n’a pas fait fortune, mais il aurait pu. Un bon cuisinier qui s’ennuyait, et qui ne pouvait pas faire la cuisine qu’il souhaitait faire. L’auberge du Vieux Moulin fut sa dernière création. L’auberge où j’ai grandit. Une auberge perdue dans la campagne.

 

 

 

Dans la cuisine la tension montait. Combien seraient-ils dimanche ? Deux cent ? Trois cent ? Il en fallait de la sauce. Des kilos et des kilos d’étrilles, des kilos et les kilos de tomates, des épices, des bols entiers de gousses d’ail, des kilos et des kilos de beurre. José et Mickey s’éreintaient à dépiauter les carcasses brûlantes des grands crustacés. C’était le début. Les immenses marmites étaient prêtes. Et la température montait. Les fours au charbon ronflaient. Le piano. A droite le plus chaud, à gauche le plus doux. Entre les deux un dégradé de température. Josée veillait. C’était lui le responsable de l’entretient des feux. Un honneur. Georges criait : « Charbone ! charbone ! » et José : « Ca foume la camina ! » et il courrait chercher du charbon.

Les tomates réduisaient avec lenteur, avec patience. Elles transpiraient leurs saveurs, par usure, et par consentement. Deux jours, deux jours. Georges surveillait. Même la nuit, les marmites restaient sur les feux doux du piano. Georges trempait son doigt dans des substances brûlantes. Goûtait. Reniflait. Secouait. Et la cuisine devenait une forge, les casseroles cognaient, les plats fumaient. Et peu à peu l’odeur envahissait l’auberge. Les gens parlaient à voix basses. Il ne fallait surtout venir le déranger.

Georges ne parlait à personne, il tisonnait. Et quand il flamba les étrilles ce fût l’embrasement, comme un volcan. Les flammes l’entouraient, il en en avait plein les mains, et les bras, du feu. Il remuait, il secouait ces immenses marmites en flammes. Il était à son aise, là. Dieu ou Satan, peu importe, il était magnifique. Un taureau dans les forges de l’enfer. Ah, je l’ai aimé ce grand-père !

Plus tard il me dira « L’américaine c’est facile…d’abord tu cherches la consistance… après la couleur… enfin l’odeur… » « Oui, mais il y a bien autre chose…y’a bien un truc… » Il me regardait avec un regard plein de malices et dans un rire « … non, y’a pas de truc… » et on parlait d’autre chose.

Une autre fois. « Le truc, le fameux truc, c’est que tu marches sur un fil, et tu dois garder l’équilibre. Il faut savoir où tu vas, sinon tu te casses la gueule. Il faut tout équilibrer, le feu, les épices, les piments…. Et puis du temps, beaucoup de temps, du temps en équilibre…. Et beaucoup d’ail…et quand tu vois les yeux des graisses remonter à la surface tu sais que tu es sur la bonne voie…leurs formes, leurs couleurs… c’est les yeux de la sauce… ils te regardent, et tu ne dois pas te laisser impressionner. Ils te parlent et toi, tu dois écouter.» 

 

 

 

Cette sauce lui ressemblait, haute en couleurs, épicée juste ce qu’il fallait, rouge, ocre, carmin, comme du sang. Un feu. Un soleil sur le point de naître. Elle alliait la colère et la tendresse. Le muscle et la chair. Puissante comme un orage, elle sentait le pacifique, avec une pointe de mer rouge, elle embrasait la bouche, la gorge, la poitrine, elle ravageait toutes les pensées, effaçait toutes les peines, elle avait au cœur de sa cuisson quelque chose de sacré et de miraculeux qu’elle rendait au centuple. Les plus frustres se découvraient une âme pure lorsque l’assiette arrivait. Il y avait quelque chose de religieux dans l’harmonie sauvage qu’elle provoquait dans le corps. Ce n’était pas une sauce, c’était un poème, un cantique, une révolution. Des grains d’or plein les papilles, plein la bouche, plein la gueule. Elle ne se dégustait pas le petit doigt en l’air, elle se mangeait comme on aime. Sans réserve. Sans retenue. Je n’ai rencontré personne qui ne s’est pas soumis à sa tyrannie douce et vigoureuse. Invincible. Il y a des plats qui ne sont pas fait par les hommes, les anges s’en mêlent, la recette de ces mixtures n’est inscrite nulle part, hormis dans le cœur de certains magiciens, et peut-être aux cieux. Mais cela n’est pas sûr. Cette sauce atteignait un au-delà incompréhensible. Il suffisait de l’avoir en bouche pour qu’elle vous bouleverse. Et ce n’est pas un excès de langage, j’en ai vu certains, faire des centaines de kilomètres, uniquement pour elle. Elle arrivait, et c’était un opéra, elle en avait la violence et la profondeur. C’était un chant. Rien que son odeur ouvrait en deux nos poumons, brisait nos certitudes, désarmait nos pouvoirs. Le plus arrogant des hommes devenait le plus simple des humains. Elle déployait, comme un arc-en-ciel qui reliait tous les sens. Océan de goûts et de saveurs. Pluie de bonheur, de sensualité. Elle appelait l’ivresse et le désir. Le désir assouvi, une satiété qui montait comme une marée de plaisir. Généreuse. Opulente. Majestueuse.

 

 

 

Et puis se fut dimanche. Trois cent vingt couverts. Il y en avait partout dans les salles, sous les pergolas, dans la cour. En cuisine Georges se préparait à la messe, à la grande bouffe. Il y avait un long soupirail au bout de la cuisine, lequel donnait sur le parking. Quand Georges entendait les clients arriver, il criait « Fumiers !... Fumiers !... » « Georges, il vont t’entendre ! » « J’espère bien qu’il vont m’entendre tous ces fumiers de lapins…Fumier ! »

Ils venaient de Limoges, d’Angoulême, de Périgueux, de Brive. Le même menu pour tout le monde. Quatre entrées, une volaille, la lotte à l’américaine, la salade, les fromages, les tartes les glaces. Mais il venait surtout pour l’Américaine.

 

 

 

Je l’ai retrouvé assis sur le petit muret derrière la cuisine. Assis. Calme. Le service était fini pour lui. Il soufflait. Il fumait tranquillement une celtique. Dick, son chien, était couché à ses pieds. Au loin on entendait les rumeurs du repas qui se terminait. Les rires, des ventres repus.

« Qu’est-ce que tu fais gringeole !... » Il avait toujours des noms particuliers pour chacun d’entre nous, où il mélangeait le patois, l’argot et des mots de son cru. « Tu as fini, pépé ?... » « Oui… » Et après un long silence. « Elle était encore meilleure que la dernière fois… »

 

 

 

Je crois qu’il était déjà ailleurs. Georges avait ses univers, ses landes pour s’évader. Il avait des rêves. Des tours du monde dans la tête. Des magies dans les yeux.

 

 

 

Je me suis assis à coté de lui. Il m’a tendu son paquet de cigarettes. Du haut de neuf ans je ne me suis pas dégonflé. C’est lui qui l’a allumé. Les celtiques étaient fortes. A chaque fois que je toussais, il riait. J’aimais bien quand il riait, Georges.

 

 

 

A bien y réfléchir, je crois bien que c’est lui qui m’a donné le goût de la poésie. Lui, qui ne lisait jamais. Lui qui ne savait rien hormis le feu, les couleurs, les odeurs. Il avait des rêves, c’est pour cela, qu’il pouvait traverser les flammes, c’est ça aussi la poésie. Il avait des soleils dans les yeux.

 

 

 

Il s’est levé. « Aller ! la natchave, maintenant… ils me font tous chiez, ici… tu viens ? ». Cote à cote sur le chemin de pierre, on devait donner une drôle d’impression, il était aussi corpulent que j’étais chétif. Et je toussais. Et ça le faisait rire. « Non de dieu !...encore meilleure que la dernière fois… ! » Et il lâcha un pet monumental. « Tiens, celui-ci aussi était réussit… »

Franck.

27 avril 2007

Oublier....

C’est souvent le même rituel. J’allume l’écran et je rentre dans la salle d’attente du texte. La salle d’attente du texte est un lieu, et un temps. Le lieu du temps. Un univers. Une vie. On est là et l’on sait que personne ne viendra vous chercher.  Personne d’autre que vous, n'attend. Vous êtes seul et vous attendez. Il n’y a pas d’impatience. Simplement l’attente. Le flottement du désir. C’est une urgence douce. Une urgence qui n’appelle aucun soin, aucun recours. C’est un temps paradoxal dans un lieu de conscience paradoxal. Tout y est plus vrai, sans pourtant y être tout à fait réel. Comme le danger. Ce sentiment, cette sensation d’être en danger. Pourtant, là, rien ne me menace, mon corps ne risque rien hormis un tremblement de terre peu probable. De l’extérieur je dois donner l’image d’un homme paisible, concentré, ou perdu dans ses rêveries. Mais je sens un danger. Un danger qui ne menacerait pas ma vie réelle, mais quelque chose d’encore plus important que ma vie réelle. Je n’arrive pas définir ce que c’est. Personne ne peut définir ce que c’est. C’est la chose la plus importante et personne ne peut dire cette chose. Elle est là, on est construit autour et on ne sait rien d’elle. Alors on écrit en décrivant de grands cercles de parole. Pour ne pas tomber. Tomber dans cette chose qu’on ne sait nommer et qui pourtant est nous.

 

Je ne sens ce danger que lorsque je suis dans la salle d’attente du texte. Comme si le texte nous inquiétait dans son approche lente et diffuse. Comme si le texte sortait de la chose inconnue de nous. L’inquiétude. Le danger. Quelque chose qui pourrait nous réduire à rien. Nous renvoyer à une sorte de néant. Des limbes.

 

Le texte s’avance et nous sait mieux que nous-même. Il rentrera par la porte la plus faible. Au départ il rôde au loin, on ne l’entend pas, on ne voit rien, à part quelques ombres furtives. Il n’a pas de forme. Il cherche. Il cherche l’endroit de mélancolie, l’endroit de tristesse en nous.

Il y en a toujours. La chair est nostalgique par nature. Alors il rôde, et nous affame. Comme une ombre qui traverserait nos temps, nos passés, nos futurs. Car le texte connaît notre destiné, c’est pour cela qu’il « est » le texte. Ce texte, et pas un autre. Ces mots seuls, et pas d’autres mots. Il sait l’impossible lien qui tisse nos heures, il en connaît la couleur, la substance, la destiné. Le texte tiens dans sa main l’origine et la fin, et il nous les tend sans qu’on sache les reconnaître, comme dans un jeu de courte paille, où l’on ne gagne jamais.

 

Les règles du jeu changent en permanence. Nous ne savons rien. Le texte, lui, sait. Il a traversé plusieurs vies, plusieurs siècles, et il cherche en nous le plus faible, le plus désespéré.

On est dans la salle d’attente du texte et peu à peu il se rapproche. On le sait à ce brassage des chairs molles de notre pensée. Car au départ le texte n’est pas fait de mot, du moins on ne les voit pas. On ne discerne rien, hormis une rumeur de marée, hormis une présence qui nous afflige et nous met en joie en même temps. On reconnaît sa présence à ce mélange, à cette confusion, comme un horizon qui s’inquièterai, comme le bruit d’une bataille, un galop lourd au-dessus des nuages.

 

Et puis les choses se précisent. Les premiers mots nous guident vers d’autres endroits. Ils tombent, là, avec leur consistance indécente, une nudité presque obscène. Toujours, au début, il y a ce sentiment d’une réalité inacceptable des mots. Toujours. Un couloir. Un couloir sombre. Un couloir sans fin. Un couloir qui traverse notre vie. Le texte choisit toujours les lieux étranges de notre vie. Les chemins cabossés, les landes sauvages, ou les couloirs sombres. Les lieux de passages déserts, nos lieux d’errances. Nos lieux inhabitables. Nos lieux d’inquiétudes. A l’intérieur, notre géographie est tourmentée. Paysage lunaire. Paysage de fantômes. Alors commence la longue traversée. Mot après mot. C’est comme s’il y a avait un trou d’où les mots s’échappaient, un à un. Il faut simplement maintenir les bords de la plaie ouverte. Car c’est une plaie. Enfin, cela y ressemble. Souvent on dit que c’est une douleur, mais ce n’est pas exactement ça. C’est une difficulté. C’est se sentir dans une terrible fragilité. Il faut rester ouvert. Maintenir l’être à vif, à vif de sa vie comme si les mots étaient attirés par le sang, par la chair à nue.

 

Nous étions dans la salle d’attente du texte, et maintenant le temps se déploie, avec une sorte de majesté lente, de gravité exigeante. C’est le temps du couloir. Et c’est une énigme, comme si le texte proposait à chaque fois des mystères, des secrets. Comme si le texte était fait de dévoilements incomplets. Comme s’il chuchotait et qu’on n’entende qu’une partie de ce qu’il nous souffle. Des morceaux, des bribes. Comme si l’on ne pouvait pas tout recevoir, comme si l’on était toujours en-deçà de son vouloir, de son appétit. Il y a là, quelque chose d’écrasant. D’éreintant. Parfois, pas toujours, j’ai des larmes qui montent aux yeux. Mais ce n’est pas de la tristesse. C’est l’eau du texte. Son fleuve. Elles viennent. C’est Tout.

 

On ne voudrait ne pas se trouver là, et pourtant c’est bien la seule nécessité qui s’impose, être là. A cet instant précis de notre vie, être là, et nulle part ailleurs. Etre présent à cette bataille. Assister à cette défaite, ce démembrement.

Le texte s’agrippe aux parois intérieures du corps. Plus il avance, plus son poids s’alourdit. Le geste racle un peu plus, avec le temps. Les mots résistent à se donner. A pénétrer la densité de la chair.

 

Le temps du couloir est un temps déraciné. Il ne compte pour rien dans nos âges. C’est un temps dérobé aux dieux. Nous sommes sans patrie, la seule qui vaut, la seule qui compte c’est nos temps d’exil. Lorsque nous sommes assez loin de nous pour accueillir la solitude que le texte exige.

 

Puis vient le temps où le texte se défait de lui-même. Où la bataille a été livrée. Vient le temps de la paix. Où le monde revient dans nos veines. Où le soleil reprend sa couleur. Et tout s’efface peu à peu, comme si rien n’avait existé. Pauvre et glorieux. Le texte se retire. Devant nous les restes d’une mélancolie somptueuse et d’une tristesse décomposée. Devant nous l’éclatement des saisons et l’univers que l’espace d’une seconde on a tenu serré contre notre poitrine. Et le souvenir de quelques larmes.

 

L’écriture n’est pas une occupation, elle ne peut réconforter de l’ennui, puisqu’elle est la forme ultime de l’ennui. Elle ne peut consoler de nos échecs, puisqu’elle les sacre tous, jusqu’au dernier. L’écriture nous lave de rien, et nous rend ni pire, ni meilleur. Elle n’est qu’une affirmation portée à ébullition, qu’un fer rougit fiché dans le cœur. Un surcroît de désir éparpillé sur les chemins de croix de nos vies. Un écho. Un tintement de l’âme. Elle est le miroir de nos défaites et l’horizon crevé de nos rêves. Un espace creusé qui appelle la vie à l’état brut. La vie sans formes. La palpitation originelle. La pulsation. Elle est notre nuit religieuse. Elle n’est que ce cri nous retenons. Ce long hurlement dans les étoiles.

 

Au bout du texte on ne sait rien de plus sur nos peurs, sur les dangers qui nous guettent. Au bout du texte tout est à refaire. Au bout du texte rien n’a vraiment changé. Et pourtant….On est toujours une énigme pour nous, et pourtant…et pourtant…

 

Je vais éteindre l’écran. Oublier la salle d’attente du texte, je vais oublier le couloir et ses ombres, je vais oublier… Je vais oublier… Mon dieu faites que j’oublie tout, pour qu’à chaque fois mon désir soit plus neuf, soit plus pur !…oublier…

 

On est riche d’un épuisement et d’un oubli. On est riche d’un cri silencieux, d’un feu qui brûle le sang, d’une solitude qui ne craint plus son ombre.

Je vais aller marcher dans la ville. Juste marcher. Et oublier….Et attendre l’aube…

Franck

21 avril 2007

L'après est fait d'un retour.....

C’est une étrange sensation. C’est venu peu à peu. On marche et le paysage change. Ce n’est pas un changement brutal, c’est la lente infusion du temps. Comme si la végétation s’appauvrissait au fur et à mesure que la marche se déroule. Au départ il y a la luxuriance, le foisonnement du lyrisme, des élans désordonnés. Au début c’est un temps d’abondance. L’exaltation. C’est comme tous les départs. L’agitation. L’effervescence. On est sans fatigue, alors on passe d’un sujet à l’autre, d’un talus de la langue à l’autre. On cueille, et on s’essouffle, et cela n’a pas d’importance. On est plein de soi et de confusion. Et puis on avance de texte en texte. Et le paysage change. Peu à peu. Lentement. Le te deum devient requiem. Ecrire c’est perdre quelque chose à chaque fois. Une perte insignifiante. Une perte malgré tout. Quelque chose de soi se vide, s’écoule. Le temps incise les chairs de la mémoire. Le temps défait le temps. On ne s’en rend pas compte. Le paysage change. C’est une étrange sensation, peu à peu mes textes se sont vidés de moi et pourtant j’y suis plus présent. Moins j’y suis, plus j’y suis. Un autre soi. Un autre geste. Un voyage qui s’enracine dans un mystère épais. Pourtant c’est un dénuement singulier. Cette impression de perte et de désert, cette impression d’immense et de vide, ce roulement lent des saisons. Au fur et à mesure que le paysage s’élargit, l’écriture se resserre, au fur et à mesure que le paysage devient pauvre, l’écriture se simplifie. Peu à peu on entre dans la monotonie des sables. Ce qui était joie, jubilation, se transforme en entêtement. Ce qui était promenade, se transforme en pèlerinage, ce qui était pèlerinage, se transforme en marche errante, et lente, et pesante. Ce qui était la marche vers l’après, devient le long déploiement de l’avant, dans ce brassement des temps qu’est le texte.

Je me souviens des mes premiers pas dans le désert. On monte des dunes en courant, on dévale des dunes, on tombe, on roule, on laisse sa trace éphémère, on monte sur la plus haute colline de sable, et l’on en voit une autre encore plus haute, et une autre, et une autre… alors on court, on s’essouffle.

On s’épuise. On épuise en soi ce trop plein d’énergie vaine. Cette volonté de puissance pitoyable et vaine, et ce lamentable désir de conquête. On s’épuise, et on s’affaisse. On s’écroule.

Alors soudain, on comprend le pas des chameliers, on comprend la constance d’un pas glissant et lent. D’un pas économe. Alors on revient sur ses pas, encore haletant de la course sur les dunes, on revient à pas compté, à pas mesuré sur les traces laissées. Et c’est le temps du chamelier, qui est effacement. Qui n’a pas de début, qui n’a pas de fin.

Après l’épuisement ce n’est plus le même désert. Ce n’est plus la même marche. Après l’épuisement des mots, ce ne sont plus les mêmes mots. Après la fin des premiers textes, c’est d’autres textes, mais ce n’est plus la même parole. Il y a une autre langue qui nous vient de cet épuisement, de cette marche continuée. Un retour sur les pas du texte, comme si l’on ravalait sa salive. Et c’est faire pénétrer un désert entier dans chaque mot. Ce retour après l’épuisement c’est la vie retrouvée. Temps des sables et des mots des sables. Des mots pauvres et dénudés.

Le retour lent est chargé de l’immense, l’épuisement porte en lui l’infini.

Il porte un désert.

Et parfois un puits.

Ceux que l’on voit marcher dans le désert ne vont nulle part, ils reviennent, ils reviennent… toujours ils reviennent, et c’est ce qui fait leur étrange beauté.

Et moins ils sont là, plus leur présence est grande.

C’est l'ultime secret du désert.

Ainsi les grands textes qui ne sont qu’enroulement des temps. Retour, et enroulement du silence. Un glissement lent sur le silence d’une parole qui s’épuise. L'effacement et la révélation de la présence.

Franck.

15 avril 2007

Le pays d'après.....

Ecrire c’est définir une frontière. A la fois une limite et un passage. Un au-delà de la limite. Ecrire est un lieu de passage où la langue et la voix partent pour l’exil.

Ecrire, parle déjà une autre langue que la notre.

Ecrire c’est passer la ligne imaginaire de l’être.

Le pays d’après recèle des dangers. Des vies et des morts.

Le pays d’après n’a pas de nom. Rien ne le désigne. Il n’est pas innommé, il reste innommable. Ecrire le sait. La voix qui parle « l’écrire », le sait. C’est pour cela qu’elle est trouée.

Ecrire trace les contours d’un lieu impossible. C’est une autre langue que la notre. Une autre voix. On n’y reconnaît pas notre vie, ni nos jours, ni nos heures. Ca ressemble un peu à notre mort. Pourtant rien n’est triste. Et même si la mélancolie s’insinue dans la voix, écrire la rend nécessaire et incomparable, surprenante et irréprochable.

Le pays d’après est un pays clôt. On ne le connaît pas et pourtant on s’en souvient. L’écriture en fait le tour en un silence. Mais, dans l’infime de cet espace des univers entiers dérivent.

Franck.

14 avril 2007

Les quatre matières...

Il faut revenir sur les quatre horizons du texte. Les quatre éléments. La matière. Pas le sujet. La matière. Le texte n’est en rien sorti de la pensée. Pour se poser le texte à besoin de s’alourdir, de traverser la matière, la consistance d’une matière. L’imaginaire à besoin de s’incarner d’abord dans un élément, que ça soit l’eau, le feu, la terre ou l’air. L’imaginaire sort en droite ligne du cerveau reptilien. De cette adhérence fondamental au monde qui nous entour. Nous étions pierre, terre, sable et nous les avons quitté. Nous étions sources, ruisseaux, fleuves, océans et nous les avons quitté. Nous étions feu, incendie, soleil, et nous les avons quitté. Nous étions brise, ouragans, tempêtes, souffle fragile, et nous les avons quitté. Nous avons quitté nos lieux, mais quelque chose en nous se souvient.

 

Le texte est cette tentative de retrouver ce temps d’avant la parole. Temps nu, pauvre et miraculeux. Et cela n’a rien à voir avec le chant beat des romantiques pour la nature. Ici, il est question de substance, de matière, de la nature même des mots du texte. Des quatre horizons et de cet effort de vie qui nous pousse à les déborder tous les quatre à la fois. Car le texte est d’abord un écartèlement. Du bas au plus élevé, du plus étroit au plus démesuré, du plus fugitif à l’éternel. Le texte est une traversée du temps et de l’espace, une traversée de la terre, de l’eau, de l’air et du feu. La remonté des peurs vers le désir. Voyage Orphique. Et chaque texte tient dans sa gueule les fils de la métamorphose. Ecartèlement, bien avant que la croix fût inventée.

 

Il faut revenir sur les quatre horizons du texte. Les quatre matières. Les quatre lieux. Nos premières maisons. Nos quatre dimensions. La parole se creuse et se nourrit de matière, c’est pour cela qu’elle se sait, qu’elle se veut éternelle. La recherche d’une consistance, la seule façon d’obtenir une résonance. Un écho. La réponse du même sans fin.

 

La terre pousse en nous ses chaînes montagneuses, et même si nous ne sommes rien de plus qu’un peu de sable mélangé à de la poussière… même….

Quand s’écoule dans le vent des siècles notre poigné de terre noire, flamboient toujours quelques grains d’or pur dans un pli de l’univers.

 

Le texte est une armée en marche sur la page blanche. Perdre ou gagner n’a pas de sens puisqu’il faut livrer bataille. Et qu’importe puisqu’à la fin du jour j’aurais cessé de vivre. Puisque le texte se défera, puisque la nuit couvrira les restes de mes rêves. Qu’importe puisque je sourirai et que le papillon perdu se posera sur mes lèvres. Qu’importe puisque demain il faudra recommencer.

 

L’eau du texte s’infiltre dans mes veines, lent fleuve de fatalité mystérieuse, obscure. L’eau lourde du texte cherche sont issue, son océan. Mon corps est une terre ravinée, usée, qui s’épuise dans le flot. Et le flot lent cherche la nuit, et le flot lent traque les ombres. Et le flot lent englouti des citées entières. C’est le flot du texte, fait de chaos et de débordement et de son invincible poussée.

 

Il faut revenir sur les quatre horizons du texte, puisque la moindre goutte d’eau, la moindre trace de rosée enferme en son centre les cieux et les confins des cieux, puisque le moindre grain de sable appelle tous les désert, ceux de mars et ceux de vénus, puisque la plus fragile des étincelles éclaire les nuit de l’univers, et puisque le plus délicat les vents d’été pourrait nous laver de tous nos péchés…

 

Car il faut savoir que j’ai vu sur la lisière de mon sommeil un grand cygne écarlate. Un grand cygne s’avançant en silence. Un incendie sur les eaux. Un grand cygne écarlate comme si l’eau lentement s’embrasait.

 

L’embrasement et l’étreinte.

 

Franck

9 avril 2007

Une éponge....

Au départ, tout est loin. Le désir tisse des distances et le rêve les survole. Comme l’oiseau. De haut. Nous ne sommes que des mythes. Des histoires à dormir debout. D’ailleurs nous dormons la plus part du temps. Et nous ne savons pas.

 

Nous ne nous rencontrons jamais. Car si cela se produisait nous en serions terrifié. Notre corps est le lieu d’une histoire qui nous échappe. Nous nous présentons de face et nous vivons de dos. Des mythes. Nous ne sommes que des mythes. Le temps nous traverse malgré nos prières.

 

Nous absorbons le temps comme une éponge. Il remonte dans l’espace des tissus de l’âme. Il s’insinue dans toutes nos absences, il suinte, transpire. L’eau du temps s’infiltre. Eau douloureuse, écrasante et saumâtre. Et notre vie d’éponge s’alourdie. Et nos chairs se flétrissent. Et notre sang se dilue

 

Ecrire c’est presser l’éponge. Pas plus. Pas moins. Et c’est un geste qui se dérobe. C’est un geste qui se refuse. C’est vouloir mesurer ou arpenter le néant. Tout au plus nous confirmera-t-il notre qualité d’éponge. Peut-être un peu plus léger. D’autant plus léger que le geste d’écriture est net, fort, qu’il vient de loin. Qu’il est obstiné, acharné, résolu.

 

Il n’y a rien à découvrir. L’univers est fait de temps. Et nous sommes les grains de sables d’un gigantesque sablier. Nous coulons, passant d’un néant à un autre néant. Nous naissons et mourons dans le resserrement. Dans la contraction. Dans un hoquet du temps. Nous naissons d’un rétrécissement. Ecrire, c’est ce dégorgement d’éponge. Pour boucher le sablier du temps. Et c’est un rêve fou. Impossible. Nous le savons, mais nous le tentons. Et chaque texte est une victoire. Une victoire sur qui ? Sur quoi ?

 

Ecrire c’est presser l’éponge, évacuer l’eau du temps et faire entrer dans les fibres de l’âme le silence. Et l’éponge est plus légère, mais elle reste toujours une éponge.

 

Au départ tout est loin. A la fin tout est loin. Et c’est un désespoir. Le désir a tissé des distances irrémédiables, insurmontables, et le rêve a épuisé son vol.

 

Nous ne nous rencontrerons jamais, malgré nos efforts, puisque nous n’avons pas de rive. Nous ne sommes que des mythes qui gardent leurs secrets. Et nos piètres confidences ne dévoilent rien. Nous sommes bien trop loin de nous pour nous atteindre. Nos ombres nous survivront, elles ont bien plus d’élan vital que nous, elle ont bien plus d’acharnement que nous. Elles ont la patience pour elle. Elles guettent nos défaillances. Nous en avons tant.

 

Alors l’écriture part de là, de ce rétrécissement des possibles, de cet empêchement des espérances, de cette simple et évidente fatalité. Le geste par de là, il est sans illusion. C’est ce qui lui donne sa couleur. Sa lumière. Un peu de lumière dans l’infini du néant. Quelques braises pour réchauffer les cieux.

Franck.

8 avril 2007

Chaos......

On regarde l’écran avec la forme de la page blanche. Et le clavier, avec les lettres. Un champ de bataille de lettres angesourireinanimées. Le chaos. Au départ, c’est toujours un chaos. J’ai toujours ce sentiment de chaos. L’ordre du monde est une apparence, il suffit de souffler dessus pour que la confusion se révèle.

Ecrire nous donne l’illusion d’une mise en ordre. Au chaos du monde j’inscris mon propre chaos. Ecrire est d’abord une désunion. Aux rumeurs du monde ma voix étouffée s’ajoute. Du bruit sur du bruit.

 

La cathédrale de pierre s’élève. Les architectes voulaient le plus grand, le plus puissant pour dire la foi. Le plus haut pour la citadelle de prière. Vaste maison de pierre et de lumière, et de lourd, et d’impalpable. De pesanteur ange_au_sourireet de grâce. D’ordre. Tout autour de l’édifice, un peuple de statues, dressé dans la rigueur de la pierre taillée dans l’éternité. Un peuple de saints racontant l’histoire de l’humanité, les peurs, les faiblesses de l’homme, racontant l’enfer et le paradis. Et la grande arche, ce portique en ogive sous lequel la foule passe. Inépuisable cortège de misère, qui passe sous l’ordre de dieu. Et la foule entre, baissant la tête, dans le grand livre de pierre. L’ordre de l’éternité.

 

Nous ne pensons que par ennui, ou par peur. L’intelligence protège ou tue, c’est pour cela qu’on ne peut pas écrire avec de l’intelligence. Ecrire c’est le contre poison de l’intelligence.

 

L’attente et le rêve. Le rêve qui s’enlise. La patience dans l’indifférence du ciel et des étoiles.

 

Ecrire n’est rien, sinon le chant. Le chant passager. Ecrire c’est le sourire de photo_france_photo_cathedrale_reims_30l’ange inscrit dans la pierre de la cathédrale de Reims. Ecrire est une désunion, une désolidarisation. C’est quitter l’ordre du monde pour rejoindre le chaos du vivant. Le chaos de l’azur.

 

L’ouragan de bleu dans la symphonie des étoiles.

 

Le sourire de l’ange n’efface pas la pierre, il la rend supportable. Il nous dit : rien n’est sérieux puisque tout est grave. Une tempête d’espérance pour ensevelir nos ombres….et passer à demain… et passer à demain…..

Franck.

7 avril 2007

Un peu de terre sous les mots....

Toujours ce qui fascine c’est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L’imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement. Ecrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. La forme produit du sens, le laboureur le sait bien, lui qui s’applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Et ainsi, de sillon en sillon, toujours le même et à chaque fois toujours différent. L’épreuve renouvelée sans cesse. Et la puissance de la récolte tient à ce consentement à l’harmonie de chaque sillon. La perfection du trait. Le goût du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croûte de la terre pour en faire apparaître la mie. Et chaque sillon est l’histoire d’une vie. Et chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts. Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure et de précaution. Le geste est puissant dans l’élan, léger dans sa peine, car il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coup. Le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte et pain. Et la forme du champ appelle la veillée, et les ombres, et le silence du repas partagé. Et le pain a la couleur de la terre. Et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Et elle porte une croissance qui la dépasse et qui l’anoblit.

Ce champ est beau des moissons qu’il soulèvera. Et le texte tient debout par un sens qu’il ignore. Le texte brille de ce qui n’est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, et par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.

Et les champs de blé nous émeuvent parce qu’on entend dans leur crissement, l’été, le souffle du laboureur qui a retournée cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons. Ce qui nous plait dans le balancement des épis c’est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l’or du champ c’est le souvenir de cette terre nue et noire, cette terre hachurée, éraflée. Ce qui nous saisi dans le texte, c’est la qualité du silence qu’il tisse avec nous. Comme si l’important n’était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots. Des contre temps, dans le temps des saisons. Ce goût de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.

L’hiver des sillons au cœur de l’été. C’est l’autre nom du texte. Le seul nom de l’amour.

Franck.

2 avril 2007

Avant.... Après......

Avant le texte je ne sais rien. Après le texte je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un longSans_titre détour. Sans doute n’écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu’il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C’est un geste qui nous défait en se déployant. Le navire désempare les ports à chaque coup de vent. Il invente la mer, et c’est le sens du voyage. Un autre temps. Les chronologies sont désarticulées. Le texte avance dans le temps de la mer et dans son oscillation, ses remous. Et s’il rêve d’un port, ce n’est qu’un rêve, qu’un prétexte. Sa volonté de navire est de bourlinguer sans fin. Les navires n’appartiennent pas à la terre. Plutôt ils n’appartiennent pas à « une » terre. Car ils les condensent toutes. Ils sont les plaines, les montagnes, les fleuves, ils sont toute l’histoire de l’humanité, jetés dans un seul mouvement en avant, dans un unique élan ininterrompu. Un navire c’est une galaxie qui dérive et avance. Ainsi le texte qui progresse sur un océan d’ombre.

Avant le texte je ne sais rien. Après le texte je ne sais rien. Entre les deux : l’océan. L’océan et le chant des baleines.

Franck.

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