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J'irai marcher par-delà les nuages

3 novembre 2007

Rouge...

Ecrire soulage l’enfant qui me porte.
Rouge…
Le rêve était rouge.
D’habitude je ne me souviens pas de mes rêves. Là, il était rouge. Un envahissement de rouge. Une chute de neige rouge. D’où me vient cette image ? La neige rouge. Où ai-je lu ça ? Ce rouge est incrusté dans l’électricité de ma tête. Et dans mon rêve tout était rouge, même la neige. Surtout la neige. Une avalanche de sang cotonneux. Une sorte de plumetis vermillon sur l’écarlate de l’horizon. Rouge. Comme à l’intérieur d’un corps. Les yeux du rêve pris dans l’épaisseur d’une chair ouverte. Sentine perdue et vorace. Chair vorace. Rouge. Elle est là, dans le rêve rouge. Là. Déplaçant une ombre pourpre. Une ombre de velours pourpre. Grande tenture lourde et pourpre. Je devine à peine son visage. Mais je sais qu’elle est belle. Mon rêve le sait. Pas besoin d’un visage pour savoir la beauté des êtres. Mon rêvedegrade le sait. Ses lèvres comme une blessure. Elle saigne. Des mots. Une parole cramoisie qui brûle. Une neige de feu autour. Elle brûle. Je brûle. On est dans le rouge. Le rêve nous a mis dans le rouge. Pour nous protéger. C’est certain. Protéger de l’innocence. La neige crisse sous nos pas. Il fait froid. C’est l’hiver. Un hiver rouge. Nous marchons en silence. Il n’y a pas de destination. Il n’y a jamais de destination. Quand on arrive c’est toujours nulle part. Toujours. Pourtant ce rêve est un mélange. Dans ce rouge il y a l’expression d’une violence abrupte et dans le même temps une plénitude immense, intense. Je traverse la couleur et c’est comme une symphonie. Comme si elle était une musique. Des milliers de notes de musique tombent. Rouges. Sur le tapis rouge. C’est comme un bonheur cette marche dans le rouge. Un bonheur. Elle est là, à coté. Dans son silence elle me parle. Je l’entends. Il y a une tremblance, c’est par-là que je l’entends. Par la tremblance. Cet ébranlement du monde autour. On est sur ce chemin de chair rouge. Dans l’envahissement du sang. Invulnérable. C’est la sensation du rêve. Invulnérable. Pourquoi ce rêve ? La première marche de l’arc-en-ciel. Je ne sais pas lire les rêves. Parfois je lis certains dessins des étoiles. Jamais les rêves. Alors pourquoi ce rêve rouge. Et cette marche vers nulle part avec ce sentiment d’accomplissement. Comme si le rouge devait me parler. Me dire un secret. Comme si s’était ma seule destination. Une fatalité. Un bonheur incarnat.

 

 

 

Et dans ses yeux cette poudre de cinabre, et dans mon cœur érubescent les étoiles amarantes. Et dans ce ciel garance des promesses de roses.

 

 

 

Ecrire soulage l’enfant qui me porte.
Comme la mer soulage la source du poids du fleuve.
Ce qui nous fascine dans les vagues c’est le chant des sources. Des millions de sources. Des millions d’étoiles dans les vagues. Les sources ne meurent jamais à cause des marées qui leurs rend grâce.
Les océans sont rouges, pour que l’enfant, en nous, invente le bleu.
Les rêves sont rouges pour brûler les yeux des amoureux.
Franck

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 novembre 2007

Bleu.....

Alors user la même corde. Lancer toujours plus loin le même filet. Des mots qui font retour, comme s’ils sortaient des circonvolutions d’un coquillage. Toujours le même filet. Toujours aussi vide. Piètre pêcheur. Sinistre pécheur. Des mailles trop grandes, trop lâches. Et un filet toujours vide. Pourtant un filet tissé dans les rêves, avec des mailles de solitude et d’espérance, tissé avec le fil des jours, tressées avec les heures d’attentes, nouées par de longs et solides silences. Un filet brodé pour cueillir les étoiles. Et toujours le remonter aussi vide. Comme si tout le traversait, sans jamais s’arrêter. Rien.

 

Ces filets là ne retiennent pas qui ne veut s’y blottir. Ils ne prennent pas. Ils accueillent. Changer de mer n’y ferait rien. Alors autant continuer à lancer le même filet et tirer la même corde jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à l’étoile peut-être. L'étoile bleue.

 

A force, de racler le fond de l’océan je ramène parfois quelques mots égarés. Quelques mots de tristesse. Quelques mots à l’agonie parce qu’ils ont été trop dit, trop écrit. Je les pose sur ma page, je les réconforte un peu, puis ils s’en vont mourir plus loin, dans d’autres mains, dans d’autres voix, sous d’autres yeux. Sous d’autres bleus. Piètre pêcheur, P27_10_07_11perdu dans ses marées, empêtré dans son filet. Bénissant les tempêtes et leurs promesses bleues.

 

En moi, tu es comme un vertige de bruyères battues par les vents du nord. De ces bruyères brûlées par les embruns salés qui me viennent de la mer. Là-bas, au plus loin de ma mémoire.
Tu es ma terre hostile et fraternelle, mon île, mon endroit de misère et de miséricorde, mon lieu de pénitence et d’espérance sacrée. En moi, tu es la nuit, la nuit ouverte sur les rumeurs du monde. Et tu habites en moi au lieu le plus fragile, le plus secret, celui que je ne dis pas, que je n’avoue jamais. Au lieu le plus ténu, sans doute le plus clair et le plus vacillant. Tu es l’immensité et le cheval qui va avec. Tu es un galop ébloui sur la folie des hommes. Tu es une course enflammée sur cette lande ouverte, comme une éventration sur le corps de la terre. Et la glace et l’incendie jaillissent de tes sabots. Oui, je te le dis, tu es ce pur galop qui dévaste mes heures, mes jours. Mes nuits.
Bleues.
Je suis un errant, un nomade, un perdu. Il me fallait ta lande pour habiller la mienne. Il me fallait tes brûlures pour révéler les miennes. Il me fallait ta nuit pour éclairer la mienne. Il me fallait tes mots pour que je puisse, enfin, accrocher mon rêve au bord violine de l’horizon. Je suis un errant, un nomade, un perdu, un sans rive, il me fallait l’espace, tu n’as pas de limite. Il me fallait du temps, et tu es immortelle. Il me fallait un regard tu as celui de l’aigle, il me fallait une voix, tu m’as appris le cri. Je voulais la chaleur et tu vaux mille soleils. Je voulais la lumière et tu te dresses comme un phare.

 

En moi tu es une lande ouverte sur les brumes. Tu es l’espace sauvage, et rude, et fier, et dépeuplé, et arraché. Tu es l’espace sans fin troué par les crépuscules et les hurlements des loups. Tu es la vie quand elle doit se survivre. Et le sang quand il faut qu’il soit bleu.
Tu es l’endroit du mystère et de l’appel, celui de la quête et du renoncement. Tu es une lande ouverte qui porte le désir avec acharnement, comme une plaie qu’on lèche pour être sur d’être encore vivant. Tu dis être en enfer. Alors j’irais là-bas. Je connais le chemin, je te ramènerai. Et ta peau sera blanche. Immaculée. Tes cicatrices je les effacerai, une à une avec le souffle et la salive, du bout des lèvres, chair contre croûtes.

 

 

Et ta lande à ma lande s’ajoute. Et ton ciel à mon ciel se répond et se mêle. C’est ton sang qui coule dans mes veines.
Qui passera du rouge au bleu.

 

Bleu, comme un ciel de printemps. Bleu, océan. Bleu, comme un désir tremblant.

 

Franck.

 

 

28 octobre 2007

Un point d'infini.........

Le texte devient une urne. Les mots y tombent et s’y rassemblent pour raconter une autre histoire. Une urne dégoulinant de cendres. Poussière de vie brûlée. Calcinée. Une autre histoire. La même, mais pourtant si différente. La même. Une vie dans la vie. De l’eau sur de l’eau. Du temps sur du temps. Du désespoir sur nos larmes. Une vie vécue à l’intérieure de notre vie. En cachette de notre vie.  Une vie puissante et inconnue de nous. Une vie silencieuse et brutale, et cruelle. Sauvage. Quelque chose est à l’œuvre et s’oppose. S’oppose à nous, et pourtant nous déploie. Et se dresse. Implacablement se dresse. Marionnette. Et seuls les mots de cendres la dise cette vie de nous vécue, cette vie par nous vécue.

 

Le texte raconte derrière le vacarme des sons, une autre histoire. La notre. La vraie. Celle qui ne se dit pas. Celle qui se déroule derrière nos gestes, celle qui tapisse les murs de nos pensées colorant d’étrange façon, les heures, les jours, les saisons. Et les mots tombent au fond de l’urne funéraire du sens. Dans le vrac de notre existence. Dans l’indécence de leurs postures obscènes. Texte bribes. En morceaux. En éclats. Je voudrais brûler les cendres. Mais elle ne brûle plus. Elles sont froides ou tièdes. Ce sont des cendres. Les cendres ne brûlent pas. Eclats poudreux d’un reste d’incendie. Le27102007174 texte raconte autre chose et je ne sais pas quoi. Il faudrait tout ressortir, tout étaler, là. Devant moi, les yeux ouverts, dans l’ombre et le silence. Vider la vie consumée, calcinée. Il faudrait tout étaler pour interroger à nouveau, interroger sans cesse l’autre histoire, l’autre vie. Dans le silence. Et épeler chaque mot comme si nous renommions chaque objet de la création, comme si nous appelions chaque objet, chaque visage. Longue litanie. Mes mots me parlent et je ne les entends pas. Ils disent, mais je ne comprends pas. J’ai beau les mâcher, les réduire, je n’en trouve pas la saveur. Le texte me sait, mais il me tait, il me nie. Et plus j’écris, plus je me sépare, plus je m’éloigne. Du centre. Du sens. Je sais, qu’il me sait. Même devant moi, les yeux ouverts, le thorax ouvert, je ne vois rien, je ne sens rien. Hormis le déchirant passage de la parole sur les parois du corps, comme un glacier raclant la roche. Et la glace passe gardant son mystère, sa langueur et son effroyable silence.
Cherche-t-on, le secret dévoilé ou la rémission ? Que vaut-il mieux, l’aveu ou la miséricorde ? Ou rien de tout cela. Ou tout à la fois.
L’urne des mots est un tribunal silencieux, tout nous dénonce et rien ne nous nomme.

 

Et chaque mot possède deux couleurs, deux sons, deux sens, deux poids, deux destins. Et chaque mot porte en son sein un morceau de vie et une part de mort. Chaque mot est à la fois un cri et un murmure. Chaque mot nous attache et aussi nous délie. Chaque mot est son propre contraire, il nous appelle et nous dénie, il nous frappe et nous caresse. Chaque mot nous dit pour mieux nous trahir, il nous espère pour mieux nous désespérer. Il nous accompagne pour mieux nous perdre et nous séduit pour mieux nous tromper. Le sang des mots est noir tout chargé de cendre qu’il est. C’est le poids des faiblesses qui lui donne cette couleur. Et les mots nous accusent sans nous dénoncer. Et ils nous désignent sans nous révéler.
Pourtant chaque mot renferme un silence. Le cœur de la brûlure recèle un silence intact. C’est un point minuscule, plus petit qu’un diamant. Chaque mot est percé d’un silence, c’est pour cela que l’on ne s’entend pas et encore moins les autres.
Chaque mot, comme chaque vie, est percé d’un silence, c’est par là que passent les constellations et les météores, c’est l’endroit de la parole qui ne peut être lésé, le seul endroit qui échappe à l’urne et aux cendres.
C’est un point d’infini brodé au cœur du mot.

 

Franck

 

 

26 octobre 2007

Un champ de neige.....

 

Recherche du lieu. Géographie impossible. Cartographie de nos vies, de nos actes. Impossible chemin qui s’enroule en forme de destin. Impossible traversée du sens. Besoin de nommer, de dire ce qui n’a pas de nom, ce qui n’a jamais été dit. Relevé cadastral dans le champ vacant des rêves, des désirs, du temps qui se déploie. Resituer les mots dans un espace, une localisation. Il faut les ancrer dans la chair vivante. Encrer le désossement de la parole.
Jamais rien n’est dit. Il faut s’en convaincre. Puisque la vérité se trouve dans l’entre-mot, dans l’entre-texte, dans cet élan de nous qui nous échappe et qui pourtant nous révèle. Sans nous. Dans notre absence même. Qui nous condense.
Qui nous recouvre. Linceul de la langue.
Hors-lieu qui s’agrippe aux parois vertigineuses de la mémoire.
Frottements des lieux impossibles sur l’arrête d’un temps impossible. La déchirure c’est le premier lieu, grand vortex pour cette traversée impossible.
Impossible comme l’ultime forme de notre devenir. Notre dé-présence. Notre dé-naissance.
Quand il n’y a plus rien, il reste le mouvement. Le seul mouvement. L’invisible mouvement. Comme le vague qui résume l’océan. Simplification. Insaisissable vague que rien ne fixe. Qui est là, sans être là, qui est déjà ailleurs. Mouvement incessant de retour, de redéploiement. Déséquilibre du vivant à la recherche de son centre, de son lieu fictif. Centre de gravité. Gravité. Grave. Comme la pesanteur de la joie.
L’écriture dessine les contours de ma peau. En creux. Par défaut. Et le vivant se révèle là, dans le silence. Un silence pochoir. Qui cache et révèle. Qui tait, mais donne à entendre.
Oppositions des formes pochoir qui se répondent à l’inverse d’elles-mêmes. Là, dans la béance. Lieu suture, lieu coupure.
Ici il n’y a pas de vérité. Seulement une résonance. Le corps qui résonne avec la chair des mots. Avec le mouvement. Le balancement des vagues dans le corps. Lent. Comme un labour profond qui trace les dessins de la cicatrice. Un labour qui va chercher la terre d’en-bas. La terre maudite. La terre noire. Celle des moissons futures.
Jamais rien n’est dit. Hormis le mouvement, l’élan vers une forme qui nous échappe toujours.
Les textes chuchotent entre eux. Ils se répondent dans un espace impensable. Pourtant. Textes. Sous-textes. L’espace de la déchirure. Lieu des métamorphoses. Les textes construisent une forme que je ne sais toujours pas. Une matrice invisible. Forme pure du mouvement. Comme si les bords de l’infini s’agrandissaient dévoilant des étendues nouvelles et des profondeurs étranges. Je ne peux que m’accrocher au mouvement, au seul rythme. Au brassage des eaux. A la scansion. A la stridence.
Sortir du ventre des mots, de leur chaleur, accoucher d’une autre respiration. Une autre chair. La déchirure, comme la forme pure de l’avènement.
Je suis sur la coupure. Juste là. A l’endroit où tous les mots ont été épuisé. Accepter cet épuisement. Consentir, à ce grand champ de neige, et aux cendres. Consentir à l’hémorragie. Lent cheminement du renouvellement. Marche vers l’aube. L’aube qui sacre la fin de l’épanchement de nuit. L’enfin, de la fin.
L’aurore arrache les derniers lambeaux de nuit, sa parole vivante ouvre sur un nouveau baptême, l’alliance rayonnante de la lumière et du printemps, noce du jour et du consentement.
J’ai traversé ce grand champ de neige, ni vivant, ni mort… autre…
J’ai traversé ce grand champ de neige afin que s’épuise le passé.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour que chaque mort trouve sa place. Sa juste place.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour rejoindre la rive des vivants.
Innocent de rien, mais le pas plus pesant. Comme la joie : grave. J’ai devant moi un océan et cette lumière qui troue les vagues, et ce mouvement vers l’aurore calme, comme un premier matin.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour blanchir ma parole et pour pouvoir l’offrir lavée, nettoyée, purifiée.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour changer de saison.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour ouvrir la déchirure. Pour la bénir aussi. Et l’aimer, puisque c’est le sens de demain. Puisque c’est le seul endroit habitable. Puisque c’est mon lieu. Le lieu des résurrections. La déchirure comme seule naissance possible.
J’ai traversé ce grand champ de neige enfonçant mes mots jusqu’à la perte du sens, grelottant d’effroi, glissant d’un vide à l’autre.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour voir fleurir un grand champ de blé piqué de rouge par le frissonnement des coquelicots, bruissant de bleu par la source d’eau claire….
Franck

 

21 octobre 2007

La force des marées......

Car redire a deux portes. Je me souviens de lui. De la fin. De la fin de lui. De sa voix et de ses paroles. L’interminable redite, après les immenses silences. Entrecoupés de redites incessantes. Lancinantes. Obsédantes. A la fin l’alcool l’avait simplifié. Et les redites signifiaient comme une trame de tapis après l’usure. La redite était son affaire. Depuis toujours. Bien avant l’alcool. A la fin, c’était l’alcool.

Redire ce n’est pas raconter la même chose, la même histoire, pour lui, redire c’était employer les mêmes mots, les mêmes séquences de mots, les même expressions. Il y avait du scrupuleux là-dedans. La mémoire ne se souvenait pas des êtres, ou des choses, ou des événements, la mémoire se souvenait des mots, le reste avait été oublié. Oblitéré.

J’écoutais l’interminable redite. La simplification. La réduction. La trame. Certaines destiné deviennent la caricature d’elles-mêmes. Dans sa parole il n’y avait pas d’espace. L’autre n’y avait aucune place. Il trônait dans ses mots, articulant le ciment. Dans son illusion de puissance. Alors, il redisait, pour en être sûr. Avec l’alcool, à la fin, il pouvait redire plusieurs fois la même histoire dans la même soirée. Il parlait sa piètre mythologie. Il parlait ses exploits. Il parlait lui. Il se racontait, en insistant sur le mépris qu’il avait des autres. De tous les autres. De la terre entière. Avec l’alcool la haine c’est dévoilée. Quand on arrive à la trame, les sentiments se simplifient aussi. Ils retrouvent leur fraicheur originelle. Leur prégnance. L’ivrogne qu’il était n’avait plus de masque, seulement des rictus. Des grimaces.

A la fin, le destin nous a réservé un dernier face à face. Un long face à face. Plusieurs mois, l’un en face de l’autre. Entre nous deux, son vin et mon silence. Chaque jour, le même cérémonial. Et cette parole prise dans l’étau du néant. Les mimiques. La mort aime ces instants par lesquels elle s’insinue dans nos heures. Elle était là, entre son vin et mon silence. Elle attendait l’usure ultime. La fin.

Ne rien lâcher du silence. Me taire autant de fois qu’il redisait.

Son instinct lui disait de redire. Le mien, de me taire. Ici, à cet endroit de la vie, il n’y a pas d’amour, pas de compassion. Il n’y a plus de désespoir. Il y a seulement tenir un silence. Alors le porter jusqu’au lendemain. Et mordre dedans, et ne rien desserrer. Il y a des temps de violences qui n’ont pas l’évidence de la brutalité. La peau n’est pas de marquée, seul le sang l’est. Il a l’épaisseur des redites, et la couleur des silences gardés trop longtemps.

Je me souviens de lui, de sa voix, de sa mâchoire, de ses yeux, du mouvement ses mains. Et de ses redites incessantes. Lancinantes. Obsédantes. Et de ces temps sauvages.

Car redire a deux portes. Deux chemins qui s’éloignent, qui s’opposent. Le redire qui comble, qui colmate, qui empierre, et le redire qui creuse, qui évide, qui enlève. Il y a le redire qui gèle, le redire d’hiver. Et le redire de printemps qui accroit en en approfondissant. Il y a le redire de l’identique et le redire du différent, celui qui fait les vagues celui qui fait les marées, le redire océan. Il y a l’infinie variété du même, joyeuse et désespérante, et la redite épaisse et coagulante de la peur, de la violence. Et de la mort.

Ainsi face à face, redisant tous les deux la même chose, lui son histoire, moi mon silence. Il y avait deux versions. Deux chemins. Un peu comme dans les tragédies antiques. Il fallait bien l’ironie du destin, avec ses cendres qu’un coup de vent a ramené sur moi. Poussières grises qui m’ont couvert la figure, la bouche, l’intérieur de la bouche. Ses cendres dans ma bouche. L’ironie des redites faites au silence.

J’ai dans ma bouche les restes de ses cendres. J’ai dans ma bouche le goût de sa mort. Et dans mon sang l’infinie patience de redire toujours la même chose, jamais de la même façon. Comme ces vagues qui montent des marées, la suivante allant un peu plus loin que celle qui la précède. Ce qui les séparent c’est bien une frange d’écume, une frange de cendre, ce qui les sépare c’est bien ce « un peu plus loin ». Et ce creusement d’océan. Il y a dans chaque geste, dans chaque amorce de geste, la puissance d’une marée. Et redire n’est pas se répéter. Et redire invente plus qu’un monde. Redire c’est la force des constellations.

Dans redire il y a deux portes. Mon père en a pris une, et moi j’ai pris l’autre. Entre ses silences, il parlait. Au cœur du mien, j’écris.

Franck.

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20 octobre 2007

Ce qui reste.......

Nous naissons une seule fois. Nous mourons une seule fois. Entre les deux nous répétons. Nous répétons un instant qui ne reviendra plus. Nous répétons un instant menaçant. Nous répétons un instant auquel on ne croit plus et un instant auquel on ne croit pas. Entre nostalgie et terreur. La mélancolie. Nous répétons les gestes, les phrases, les séquences, les défaites. D’un instant dont on ne sait plus rien et d’un instant que nous ne saurons jamais.

 

Puisque c’est sans fin…..

 

J’ai reçu le monde dans un enchevêtrement absolu. Définitif. Une confusion. Un désordre. En fait, je n’ai pas été invité le jour de ma naissance. Ce jour là je n’étais pas là. Ailleurs. Déjà. Ils ont fait un paquet à mon attention, qu’ils ont déposé dans l’endroit transpercé de la vie. L’endroit ouvert à tous les vents. Ils l’ont laissé là, en attendant que je passe le prendre.

 

Et j’ai du oublier de passer. Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses.

Alors c’est sans fin, puisqu’il n’y a pas de lieu.

 

On vous plante l’enfance avec des clous. Comme le grand crucifié. Lui, le père, il n’aimait pas les enfants, pas plus le sien que ceux des autres. Elle, la mère était dans la déraison de son amour effondré. Ses vingt ans sont tombés sur le sol comme un sac de billes qui se déchire. Alors elle s’est absentée de sa parole, de ses gestes, de sa lumière, elle est devenue sa femme. Jamais ma mère. Elle lui a donné son temps, sa peau, ses cuisses, son ventre, mais son âme d’oiseau s’était déjà envolée. C’est une tragédie miniature. Tous les jours cela se passe ainsi. Une tragédie insignifiante. Une goutte d’eau qui s’éclate. Un rayon de soleil. Quelques éclaboussures de lumière, et puis, plus rien. Elle aussi, n’était pas là le jour de ma naissance. Personne. On ne peut pas habiter une planète où il n’y a jamais eu personne.

 

On vous plante l’enfance dans le sang, avec des clous. Des clous de silence. Les plus longs, les plus pointus. Ils rentrent facilement dans la chair de l’enfance ces clous là.

 

Car ils brassaient du silence, eux. Le père, la mère.  Les mots tombaient comme un verre qui se brise. Et les bords coupant des mots blessaient tous les rires, tous les élans. La moindre joie se tranchait la gorge sur les morceaux coupant des mots tombés, des mots brisés.

 

Dès qu’on marche, on apprend à passer de pièce en pièce dans la plus grande transparence et à déposer de temps à autre sa misère sur le sol. On jette des cubes ou des osselets, on ouvre un livre cent fois ouvert, on apprend à user chaque chose, chaque instant, chaque saison, on apprend l’attente vaine. Et les nuages défilent. Se font. Se défont. Au gré des vagues grises d’ennui, qui se déversent au creux des jours sans fin, où le silence règne en maître absolu.

 

Voilà, j’ai été condamné à rêver. A rêvasser, même. J’ai collé ma face d’enfance sur la vitre du monde et la buée de mon souffle à envahie mon horizon. Comme un brouillard entre le monde et moi. Un brouillard sur lequel mon petit doigt dessinait des formes absurdes, des signes cabalistiques, qui me permettaient de glisser, sans trop d’encombre, sous la surface âpre et rugueuse des heures.

 

Aujourd’hui encore, puisqu’il n’y a pas de fin.

 

Tous mes mots sont en vrac. Posés là. Je voudrais m’endormir dessus. Je voudrais qu’ils soient comme un tapis dansant, un matelas de paroles douces et aimantes. Je voudrais qu’ils s’ordonnent dans le sens de mon rêve. Changer de tristesse. Changer de ciel. Les prendre un par un. Toujours les même mots. Les regarder à nouveau. Les essayer dans une parole nouvelle. Les passer à la lumière du jour. Voir leurs reflets. Kaléidoscope de mémoire. Cendres. Parole en cendres noires. Scories des heures perdues. Des mots en formes de restes.

 

De restes.

 

Je les prends, je le reprends, les pèse, les soupèse. J’en cherche le centre de gravité. Je les mets dans ma bouche, pour en goûter l’amertume, l’acidité. Les peser, c’est bien là la question. Dire le bien, dire le mal ou ne rien dire. Ou redire, sans cesse. Les paroles du Bien n’ont pas de poids dans la balance. Sauf les gestes arrachés, dénudés, dépouillés.

Le mal est lourd et compact. Lui, il pèse. On cherche un instant de paix. Un seul instant. Mais l’on se noie dans la lenteur orgueilleuse des océans. Les grands édifices de l’espérance, drapés dans leurs manteaux solennels, sont à l’agonie et brûlent sur l’autel pétrifié de nos cœurs.

Rien, rien ne tient, même la chair humide des femmes n’adoucit plus l’absence, ni le désordre des mots. Ni le bien, ni le mal qui ronge. Ni l’oubli.

 

Il reste la grâce, qu’on confond souvent avec la lumière. Pour aujourd’hui il reste la grâce. La grâce, c’est marcher sur le fil des mots avec une ombrelle rouge. C’est se couper la langue et boire son sang après chaque mensonge. La grâce c’est écrire dans la neige pour l’éternité. C’est tracer dans le sable le visage de l’amoureuse, ou celui des dieux, et c’est le corps joyeux du papillon jouant dans les corolles transparentes du vent. La grâce c’est avoir le cœur percé, comme il existe des paniers percés. Le cœur percé qui laisse s’écouler nos offrandes. Pour ne rien garder. Rien.

 

Celle-là, portait la grâce comme un diadème de feu.

 

Je lui ai dis : Dieu sourit quand on lui désobéit avec le cœur pur, il sourit. Comme lorsqu'il surveille les enfants turbulents. Le désir pur, du cœur et du corps est une aubaine pour lui. Il ne se nourrit que de cela.

On reçoit par le cœur, mais par nos chairs aussi. Elles s'épanouissent et s'ouvrent comme des fleurs pour qu'on les respire. Et Dieu sourit quand c'est le temps des amours purs, et le corps se vide de nos maux inutiles, et du vacarme de nos paroles vaines pour faire une large place. Aussi large qu’un ciel, qu’un océan. Celle-là, portait la grâce comme un diadème de feu. Avec une gravité de reine.

Et je lui ai dit ces paroles de sable et de nuages, des murmures égrainé comme un chapelet.

 

Je lui ai dit : nous savons tous les deux que l'enjeu est ailleurs. Il ne s'agit pas de plaire, mais d'entamer ce qui résiste. Et quoi de plus dure que la parole. Que les mots.

 

La mer ne se lasse pas de ses vagues. Elle sait faire sortir du "même" l'infinie variété de la vie.

 

Nous connaissons le doute et la peur, et l'épuisement, et les rêveries douloureuses. Nous connaissons la solitude, ses joies, et ses misères. Ses silences, comme des nuits d'hiver. Nous apprenons la vie dans l'ombre qu'elle laisse, qu'elle oublie même. Nous vivons dans des restes de temps, et c'est pour ça que nous écrivons. Non pas pour témoigner du monde ou du reste, mais pour bâtir le monde et le reste. Nous sommes au début de la langue. Nous sommes à l'initiale...

 

.

 

Je lui ai dit : les raisonneurs, ne font que se dévoiler eux-mêmes, ils ne parlent qu'à eux-mêmes, ils ne parlent que d'eux-mêmes. Ils font peine à voir, à entendre, à lire. Ils sont la tristesse du monde. Mais qu'importe... Ils n'entament rien.

 

Du bruit, sur du bruit.

 

Je ne sais pas si l'écriture nous donne quelque chose, mais je suis à peu près sûr qu'elle nous en retire. Et en nous vidant elle nous rend à nous-mêmes. Et on n'en est jamais sûr, et c'est pourquoi on recommence, toujours. On continue.

 

 

 

Nous naissons une seule fois. Nous mourons une seule fois. Entre les deux nous répétons. Nous répétons un instant qui ne reviendra plus. Nous répétons un instant menaçant. Nous répétons un instant auquel on ne croit plus et un instant auquel on ne croit pas. Entre nostalgie et terreur. La mélancolie. Nous répétons les gestes, les phrases, les séquences, les défaites. D’un instant dont on ne sait plus rien et d’un instant que nous ne saurons jamais.

Certains écrivent, il faut bien inventer les mondes dans lesquels les autres vivent.

 

Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses. Des silences cloués sur le corps, par où s’écoule ce qui me reste.

Franck

14 octobre 2007

Ricochets......

Car ici, le texte invente la rupture de l’écrit. Chaque texte invente une fin. Invite la mort. Dans l’incessante répétition des jours et des textes. Avec ce triple meurtre du texte. Bien sûr, le texte tue celui qui le précède, mais il tue, encore plus sûrement celui qui le suivra, il tue, enfin, celui qui le produit.

Ecrire n’est pas une occupation.

Parfois c’est un destin.

A coup sûr une malédiction.

A force de mort en nous, nous inventons des temps étranges et des gestes déshérités.

Et la fin résonne depuis le début. Depuis la première nuit. Il n’y plus d’espoir. Qu’importe, puis qu’il y a de la littérature.

La littérature c’est ce qui efface les livres. C’est ce qui disparait. A chaque fois. Et c’est pour cela qu’on ne peut en dire rien. A cause de ce « à chaque fois ». Rien qui tienne en face du geste qui la crée et la détruit en même temps.

C’est l’histoire de l’humanité.

L’écriture se joue dans son effacement, elle n’est jamais plus présente que lorsqu’elle se retire.  Ecrire n’est rien, sinon le consentement à ce rien. L’infinie jouissance du désespoir.

Quelque chose se dérobe, ici.

Ecrire, hurle la vision étouffée. Comme si le ventre des mères manquait toujours à nos mémoires. Le langage s’arrête à la porte des sexes. Et nous écrivons la nuit, pour refaire le voyage. En vain. Pour le refaire quand même.

Nous venons d’une nuit désolée, sans mot pour la dire. Alors, la nuit nous écrivons pour appeler Eurydice. Chaque nuit nous allons la chercher. A chaque aube nous nous retournons. La parole ne peut rien dire de l’au-delà des sexes.

Ne reste que l’entre-deux rives. Le déjà parti et le pas encore arrivé. Le déjà plus là, et le pas encore là-bas. Je fais des ricochets sur la surface lisse d’un grand lac noir. Mais ma pierre si plate soit-elle, si bien lancée soit-elle, si courageuse soit-elle, sombrera.

Et les textes disparaissent. S’engloutissent.

Chaque texte invente une fin, en invitant la mort, cette mort océan, cette mort du ventre, celle de la nuit. Pas la mienne, mais celle de tous. Chaque texte invente un temps au-delà de sa défaite. Sa perte signe une absente. Qui veille. Elle connaît notre nom, et du fond des âges le murmure.

 

Cette nuit je tentais d’appeler son visage. Ses yeux, ses lèvres, ses cheveux noirs.  L’éclat tranchant de son regard. Et je n’arrivais à rien. Ma mémoire avait perdu sa trace. Déjà. Comme si elle avait regagnée le cortège des ombres. J’appelais ses formes, sa voix, la couleur de sa peau. Cette nuit je voulais son sourire. Seulement son sourire. Et mes efforts étaient vains. La nuit s’ajoutait à la nuit.

Des ricochets, jusqu’à épuisement.

 

Nous ne vivons pas de nos rencontres, mais de leur oubli. Toujours dans l’après coup d’un contre temps.

Et c’est pour ça que nous écrivons pour ajouter de la musique à ces rythmes cassés. Comme si la fin ne se suffisait pas à elle-même. Comme s’il fallait la dire, la redire pour s’en convaincre. Ou pour résister. Ou seulement pour continuer à aimer. En pure perte. Mais, aimer encore.

Franck.

13 octobre 2007

L'oeil....la main

Comme si le texte était ce pont, cette arche entre les yeux et la main. Car voir n’est pas suffisant, voir n’épuise pas notre apparition_gustavmoreau28j2désir. Voir n’apaise pas assez nos peurs. Voir, parfois les augmente. Voir pose un monde qui nous est définitivement étranger. Voir est déjà un exil. Toucher est alors le premier geste d’appropriation. D’incorporation. Faire rentrer dans le corps ce que l’œil a vu. Apprivoiser la distance, l’espace, les formes. A cause de l’horizon, voir, nous suggère un temps d’après, une menace toujours possible à venir. Avec le voir, nous sommes toujours misérables et dépendants. Isolé. Relégué. Le monde du voir est sans limite. Sans arrêt. Eternellement passant. Insaisissable. Incompréhensible. Inhabitable. Et toucher est si pauvre. Ma main se pose sur si peu de chose. Si peu de monde. La main définie la frontière de mon étroite maison. La proximité rassurante. Le presque soi. Le dérisoire.

Et l’amoureuse, et l’amoureux occupent cet espace sans épaisseur entre le voir et la main. L’incorporation. Et l’amoureuse, et l’amoureux passent des yeux à la main, de l’image à la main. De l’infini du possible à ce baiser là, à cette lèvre là, à cette peau si blanche et si présente et si chaude et si souple. Là, dans la paume ouverte du désir.

Et écrire refait le même chemin à rebours. La décorporation. L’écriture naît de la chair. C’est son premier mystère. Sa première révélation. Elle naît de la chair et de la voix de la chair. Elle naît de la consistance d’un toucher. De la contrainte des masses. De leur frottement. Au départ de l’écriture il y a le sang rouge et les caillots gluants. Au départ il y a la main qui tremble. Il y a le geste. Le mouvement qui s’exhorte lui-même. Au départ écrire c’est extraire du vivant primitif.

Et le cri est la première chair du mot. Il n’est pas encore vision. Il est la défenestration de notre prison, il n’a pas encore trouvé la main. C’est une chair décrochée. Ecrire c’est tenir ce cri assez longtemps pour en faire sortir les images, pour le faire passer au voir, pour le faire devenir monde, univers, constellation. L’offrande à l’œil.
Et l’amour dit ce premier à l’envers.

Tout se joue entre l’œil et la main. Et dans ces allers-retours qui tentent de les relier. Ecrire, aimer, c’est le même mot, le même chemin, l’aller et le retour d’une vie. L’un, comme l’à-rebours de l’autre.

Et le texte est ce pont, cette arche. Le lieu des métamorphoses. Le mot est un geste qui voit.

Franck

6 octobre 2007

La folle allure..... (*)

L’image de l’homme à cheval. Comme la métaphore de l’écriture.

 

J’ai galopé dans mes mots. Et j’ai eu ces moments d’ivresse que la parole écrite suscite quand elle s’affranchit de la pesanteur, quand l’air de la langue vient fouetter l’intérieur du corps. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de grisant dans le déferlement en cascade de cette parole éprise de sa propre liberté, de son mouvement naturel. Sauvage. On ouvre les portes et on se lance dans ce galop échevelé. Et l’air vient faire comme une musique à l’oreille du cœur, les parfums sortent des mots comme des fleurs qui éclosent, fruités, musqués, poivrés, printaniers, capiteux, tout ensemble.

 

 

Dans ses galops, la phrase traverse la lumière comme rayon en surcroît. Trajectoire de reflets de lueurs, comme si l’encre incendiait le blanc de la page, comme si derrière le blanc il y avait des étendues infinies à conquérir. Comme une dévoration. Oui, j’ai connu la cavalcade des mots dans le désordre de l’âme, l’exaltation et le vertige des sons, des musiques, des souffles mêlés. Tout est là, tout est dit. Et le les mots écument, halètent, crinière au vent, et à chaque foulée on sent dans le corps le mouvement de balancier de la course, le bercement vigoureux de l’échappée libre, de l’échappée belle.

 

Oui, il m’est arrivé d’être dans le galop de mes mots, d’en sentir la puissance dans mes muscles et de pousser la vitesse jusqu’à l’emballement, au-delà de la chevauchée pour aller plus vite encore, pour s’envoler, extase frénétique du lyrisme, comme si la vitesse créait un envoûtement. Et le soleil bien en face. Comme un point de fusion, et le galop des mots droit dedans. Droit dans cette jouissance cavalière.

 

 

Le plus souvent j’ai connu l’allure plus chaotique du trot. Où l’équilibre de la parole vacille. Epuise. Le corps de la langue devient lourd, maladroit. Cassant. Chaque mot cherche l’autre mot. Le suivant. On est dans un temps saccadé. Secoué. Toujours au bord d’une chute. Impossible allure. Douloureuse allure, qui tire sur les muscles. Une brutalité qui surgit de l’intérieur. Une brutalité de carcasse. Chaque pas sauté, tasse un peu plus l’âme et le cœur sur les os du dos, du ventre. Les gestes sont moins sûrs, et l’horizon disparaît. C’est une écriture cassée, essoufflée, périlleuse, usante, harassante. Et la langue nous secoue comme l’animal, l’animal en soi, l’animal qui tremble entre vos jambes. Ecriture de labeur, de doute, de chancellement. La plume se raccroche à la page, qu’il faut creuser, buriner, tarauder. Et on sent le malaise d’être instable dans ses mots. Sans tenue. Ballotté. Bousculé.

 

Il y a dans l’écriture du trot quelque chose d’intenable. D’irréel. De funambule fou qui aurait perdu son balancier. Pour le cheval, le trot, n’est pas une véritable allure. C’est une allure de transition. Dans la nature les chevaux ne trottent pas. L’écriture du trot n’est pas une véritable écriture, elle vient seulement user la chair. L’encre bouillonne, et laisse de grosses taches d’inachevé dans la parole offerte, dans la parole écrasée. Et c’est de cet écrasement dont il faut ressortir. C’est là, dans l’impossible tenue qu’il faut chercher son centre. C’est là, quand les forces s’épuisent, qui faut tenir l’animal, tenir la voix, rassembler les mots avant qu’ils ne se brisent. Mieux encore, c’est surtout là, qu’il ne faut pas le blesser, avec des coups de mains sur les rennes, des trainées d’encre. C’est qu’il faut ne pas casser les dents de la monture par des gestes violents. C’est juste là, dans ce désordre qu’il faut trouver le reste de stabilité, et l’aplomb des mots et de la langue. Sentir leur poids et ne pas chuter.

 

Ecriture de chaos, de douleur. Apprendre à lâcher, quand l’instinct dicte à tous vos muscles de se crisper, de se raidir. Oui, je la connais bien cette écriture du trot, quand les mots s’écoulent de vos doigts gourds, comme l’eau d’une source d’eau trop pure.

 

Je connais bien ces brûlures du muscle du cœur qui pompe du vide pour s’extraire du néant. Alors enlever les étriers, et rajouter de l’instable au déséquilibre, accepter de perdre. De se perdre. Sans lumière et sans gloire. Sans soleil à traverser. Sans ciel à conquérir. Mot après mot. Et s’arracher à l’effondrement du corps. Et déraciner les silences.

 

 

Il est une autre allure de l’écriture, celle du pas. Du pas, droit et digne. Serein. Marcher " droit " en équitation est un acte plus compliqué qu’il n’y paraît. C’est une allure complexe, qui n’a rien à voir avec le relâchement ou la promenade. Marcher droit, c’est marcher juste. Il faut que les postérieurs du cheval viennent se superposer à l’empreinte laissée par les antérieurs. Ni trop avant, ni trop après. Ni à droite, ni à gauche. Juste dans l’empreinte. Et le dos droit. Cette justesse s’obtient, lorsque l’animal mobilise toute son énergie. Qu’il est, comme on le dit, dans l’impulsion. C’est à dire décidé à engager toute sa puissance sous sa masse. Et l’impulsion c’est cette volonté franche et directe de vouloir se porter en avant. En avant, mais juste. En avant mais contrôlé. Le mot tombe dans l’ombre du pas de celui qui le précède, chargé de sa propre densité et dans la toute puissance de la langue. Une langue souple, sans raideur. Vraie. Il faut avoir assez de folie dans le sang pour consentir au pas, droit. Droit dans sa vie, droit dans ses rêves.

 

La parole du pas est la dernière à venir. Parce que la plus difficile. La plus âpre. C’est celle qui demande le dépouillement. La mesure. C’est celle qui appelle les forces les plus grandes puisque les moins visibles. Il y a dans le galop l’illusion des soleils couchants. Il y a dans le trot, la douleur jusqu’à l’insupportable, jusqu’à la répugnance. Il y a dans le pas, le silence invulnérable d’une sagesse qui se déploie. Sans hâte. Sans chagrin. Simplement être là, avec l’animal, dans le travail de la langue, appelant chaque mot par son nom, par sa couleur ou son odeur, ou la trace qu’il laisse sur le bord d’un nuage, ou dans l’eau d’un ruisseau.

 

Ecrire le pas, c’est avoir traversé sa vie. Et mil fois être mort, pour renaître à chaque aube. C’est brûler sans rien incendier. C’est aimer sans regret. Et être dans cette impulsion de la parole qui cherche devant, sa récompense, simplement dans ce mouvement d’aller en avant, calme, dans l’équilibre des sons, des images, dans la retenue du souffle. Ecrire le pas, c’est supporter un soleil et les planètes qui tournent autour, c’est construire un monde pour l’offrir. Le pas s’invente à chaque pas. Il n’est jamais le même. Puis qu’il est consentement, puis qu’il est totalisation, comme le murmure, comme l’aveu, comme la prière.

 

 

Au bout de l’écriture, au bout des allures, il y a l’ultime stade. L’immobilité. Le cheval est là. Immuable et droit. Rien ne bouge, rien ne tremble en lui. Irrévocable. Toute sa puissance est là, mais rien ne la manifeste. Et le cavalier est immobile aussi, tendu dans la même présence. Ils sont ensembles dans la même absence de geste, de mouvement. Ils sont au travail. Ils creusent le temps. Ils sont dans la gloire immobile du soleil. Plus rien n’est nécessaire, sinon que d’être là, toujours là, habitant la même respiration. La force ne se dit plus, l’effet ne se montre plus. L’homme et l’animal sont désormais pétris dans la même intention. D’ailleurs il n’y a plus d’homme et d’animal. Il n’y a qu’une étoile. Qu’une seule étoile. Les gestes ne sont plus à faire puisque tout est là, puisqu’ils ont trouvés, ensembles, ce passage vers l’éternité, puisqu’il suffit d’un souffle pour que miracle vienne.

 

 

Au bout de l’écriture, au bout des allures il y a l’ultime stade. La parole rassemble tous ses silences pour l’ultime incendie. La passion. Défaire le mouvement avant qu’il nous défasse. Une fixité qui contient tous les gestes. L’incandescence.

 

 

J’ai souvent galopé dans ma parole. Inconstante et sauvage. Et j’ai dans le cœur des chevauchées éperdu. Mais j’ai dans l’âme le calme tendu du pas. Du marcher droit. Du marcher juste.Et je vais, de ce pas lent, cueillir l’extrême de l’immobilité, la pierre vivante du poète, la folle allure. Juste avant le jaillissement.

 

Franck.

 

(*) J'ai emprunté ce titre à Christian Bobin

30 septembre 2007

La hache.....

Lu cette phrase de Kafka : « Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée autour de nous. »

C’est exactement ça. Je rumine autour de l’idée du livre. J’en suis si loin. Mes textes dérivent, mais ce ne sont que des textes. Ils coupent mais ne pourraient trancher la mer gelée. Ils ont la pesanteur que je leur destine. Mais ce ne sont que des textes. Le livre c’est un autre continent, un autre acier.

 

Alors tenter de hisser la vie à la hauteur du livre. Mais le livre est toujours plus fort que l’écrivain qui le porte. C’est de l’inégalité de ce combat que le livre se développe. Les grands livres ont écrasés leurs auteurs.

Suis –je prêts à cet écrasement ? Suis-je prêts à le vouloir assez ?

 

Mon livre sera cataracte, ou ne sera pas.

Chaque texte précise peu à peu le lieu du combat. Ils marquent. Bornent. Resserrent l’espace.

Se dépouiller de toute indulgence. Encore. Revenir à l’essentiel, l’amour et sa brûlure. Et le désespoir, ne pas oublier le désespoir.

Chaque texte précise, mais il est encore un compromis, une façon d’accommoder des possibles.

Faire monter en soi les grands lacs de néant. Ces océans vides, tout en mesure. Tout en démesure. L’orgueil de la mélancolie. La respiration noire de la chair. Le cri.

 

Aurais-je la force de rassembler toute la gravité de l’enfant jouant ? Les grands livres sont écrits par des grands enfants. Il n’y a qu’eux qui pour avoir assez d’application dans la déraison, d’ascèse légère, de sérieux dans l’invention, de violence désinvolte. Ils ne connaissent de la beauté que la chair des mères. Ils n’inscrivent rien dans le temps, ils ne s’égaillent que dans l’éternité et dans les risées de lumière du jour. Ils sont dans une énergie brutale, sauvage, totale. Tyrans et mendiants à la fois, insupportables et étincelants.

Franck.

29 septembre 2007

l'espace inconnu.....

Car le texte doit révéler l’inconnu. Non pas l’inconnu du savoir. Mais le toujours innommé qui git en nous. Le fou, le saint, le lumineux. L’inaccessible présence qui nous brasse. Ecrire c’est se défaire de nous. L’entêtement du geste. L’acharnement d’une répétition qui nous efface peu à peu. Labyrinthe de miroirs. Où se démêlent l’absent de l’écriture et le présent du texte. Où se dédoublent les voix. Se situer juste à cet endroit de l’âme où le retour du même n’est pas exactement le même. Comme si l’écho nous revenait prononcé par une autre bouche. Décalage. Contre temps. Contre pied. Esquive des présences qui toujours se dérobent et toujours surgissent. Là. Dans ce champ des défaites. Où les ruines ne sont plus le résultat de la décomposition du nouveau, mais où les ruines seraient l’expression toujours la plus nouvelle du futur.

 

Et la voix se superpose, puis efface le sens des mots. Ce qu’il y a de vacarme en eux. Les mots qui perdent leurs sens sont des mots aggravés. Des étoiles.

 

L’écriture avance vers les confins, vers les lieux du décollement du sens. Imprenable. Même par la main qui la produit. Surtout par cette main. Un cheminement paume ouverte. Prête aux stigmates. Comme le signe d’un accomplissement. Lequel ?

 

L’accomplissement de la nuit. Même de jour, c’est la nuit que nous accomplissons en nous. Pour maintenir l’étrange. Décoller la lumière du réel. Etre au repos du réel. Enfin accueillir ce qui vient. Ce qui vient. Œdipe. L’ermite. Anéantir toute explication. Engloutir toute signification. La grande nuit de la toute présence, celle qui nous rend à nous-mêmes et au monde. A la nudité. A la pauvreté. Passer du tremblement à la tremblance. Passer du feu à la flamme. L’œuvre.

 

Traverser.

 

Jusqu’à l’intense immobilité d’un silence. Le texte est habité d’une puissance vivante qui m’écrase à chaque fois un peu plus.

 

Entre l’amour et le désir il y a un espace

Entre l’écriture et le texte il y a un espace, le même.

La nuit. L’imprononçable nuit. Le lieu des grands gisants.

Entre mes lèvres et tes lèvres. La nuit.

La nuit que je traverse à chaque mot, pour te rejoindre, enjambant les gisants et les siècles.

Retraçant infatigablement le chemin qu’il te faudra consacrer.               

Franck.

23 septembre 2007

Des endroits singuliers........

Il y a dans le texte des endroits singuliers. Des sortes de trappes. Des passages qui ne sont reliés à rien de connu. A rien de reconnaissable. Comme s’ils étaient écrits en notre absence. Ou alors comme s’ils préexistaient à l’écriture elle-même. Comme s’ils avaient toujours été là. Comme s’ils nous attendaient, avec la patience des siècles. On a cette sensation que l’on pourrait être absorbé, là, tout d’un coup. Que tout pourrait s’arrêter. Et que ça n’aurait aucune importance. Que ça serait bien, ainsi. Il y a dans le texte des endroits singuliers, on ne peut les désigner, les nommer, pourtant on sait qu’ils sont là. Ils guettent. Ils pourraient être menaçants. Et pourtant sans leurs présences le texte s’effondrerait. On le sait. La voix du texte marche sur un fil grave et tranchant et la parole se dérobe, les mots manquent aux mots. Et l’océan recèle des terres singulières. Des terres qui n’appartiennent pas à la terre, des terres qui n’appartiennent à rien. Elles sont là. Comme un hoquet. Les hauts fonds du texte, de nos souvenirs. Lieux de naufrages. Lieux des présences, où les visages flottent comme des méduses. Lieux des possibles.

 

Souvent, le soir, j’allais m’assoir sur les rochers, tout près du bord. J’écoutais le sang de la mer battre. J’écoutais, comme si je cherchais mon propre sang. Il y a dans cette obstination marine les prémices d’une fatalité. Le premier chant. Le dernier. L’incessant retour des eaux, l’incessant battement. Le premier rythme. La première phrase. Qui s’enroule sur elle-même. Et qui bat. Qui vient frapper le cœur vide du temps. Il y avait dans ces instants les traces d’un ennui inquiet. Dans ce souffle sonore et nocturne, il y avait tout un futur qui se disait. Avec la colère sourde qui roulait sous mes jours comme des galets. Pas une colère franche, nette, bruyante, non, mais colère de fond marin, une colère des abîmes. Profonde et noire. Et qui venait juste là, écumer sur l’arête des rochers. Et j’écoutais le sang de la mer battre, à contre temps de mon sang. La tête vrillée d’un ennui insolite. Planté là, immobile et attentif. Et la mer nous renvoie toujours à l’impossible de nos désirs, on ne sait jamais décider si elle nous propose un départ ou une fin. Usant également le vivant et le mourant en nous. Toujours usant.

 

Il faut un long temps d’attente pour que le ressac use enfin l’ennui. Il faut un long temps d’attente pour sentir monter du plus profond de sa chair, le balancement, et puis le bercement.

 

Souvent, le soir, j’allais m’assoir sur les rochers, tout près des vagues, tout près de la bouche de la mer, et j’écoutais sa voix, jusqu’au balancement, jusqu’au bercement. Et il faut un long temps pour épuiser l’écume et sa colère. Et un long temps pour qu’enfin les larmes viennent, avec leur voile de silence. Et cette sorte trêve au milieu du chaos.

 

Il y a dans le chant de la mer des endroits singuliers. Des sortes d’arythmies. Des cadences, des souffles, qui ne sont reliés à rien. Comme s’ils préexistaient à la mer elle-même. Comme s’ils avaient toujours étaient là. Comme s’ils nous attendaient. Comme si le chagrin et les larmes les révélaient, une fois l’ennui usé.

 

Il y a dans le chant de la mer des espaces qui laissent passer la vie. Des endroits singuliers où l’on entend les plaintes des baleines. Et qui laissent entrevoir un possible à écrire.

Franck.

22 septembre 2007

Une crique......

Il y eut les landes sauvages, et puis il y eut le rivage, et puis il y eut l’océan. Partir toujours et n’arriver jamais. On quitte les lieux, on quitte les autres, après on se quitte soi-même. On ne se remet jamais de tous ces départs, de tous ces abandons. On vit dans un temps écrasé.

Ecrire est cette longue énumération de ce temps défait. La liste des noms des absents. La liste des silences. Dénombrement. Démembrement. Inscription vaine et lumineuse. Ravauder sa solitude, jusqu’à l’épuisement, ou jusqu’à l’ivresse. Mais nous sommes trop lâches pour être assez désespéré. Trop faible pour nous arrêter ou nous taire. Inconstant dans notre attente.

Le premier mot fut un cri. Et penser fut d’abord penser l’intolérable, l’inacceptable. Et le premier cri a suivi le premier effondrement. Et il est venu signer la première solitude. Et nous n’avons fait aucun progrès. Des petits désirs pantelants, des ambitions sans exigence, des caprices concupiscents et puis de longues indifférences. Et quelques dieux pour nous distraire.

Alors, écrire c’est encore s’égarer dans une enclave de temps. Une sorte de crique. On y accéderait que par le chemin escarpé de parole, que par une voix transgressée, une voix méconnue, une voix étrangère à notre voix, un monde que nous ne savons pas habiter. Ecrire serait appartenir à la terre sans y appartenir. Une crique. Une île sauvage. Quels sont les lieux inhabités en moi ? Quels sont les lieux escarpés ? On vient tous d’une humanité fracassée. Ecrire est sans issue. Uniquement quitter la crique par la mer. La seule issue se trouve dans le bercement et l’horizon. Et la solitude exténuante, caniculaire. Il y a là, un désir mortel. Inexplicablement mortel. Un point de violence abrupte, que l’écriture délie dans la coïncidence des temps. La brûlure des chairs. La brûlante patience des constellations. Ecrire c’est déjà la mort. On vit dans un temps écrasé. On écrit dans un temps sans limite. Puisque c’est déjà la mort.

Ecrire est sans savoir, et c’est ce qui défait les livres, ce renoncement à toute explication, et cette patience d’une parole crucifiée, béante. Une parole de nuit, avec le retour de l’abandon. Sans cesse le retour de l’abandon.

Franck

16 septembre 2007

Une chose que l'on ne sait pas faire......

C’est une chose que l’on ne sait pas faire, et pourtant on la fait. Et c’est déraisonnable. Et on la fait. Sans savoir vraiment ce que l’on fait. On sait seulement qu’on fait cette chose. Et que c’est important de faire cette chose qu’on ne sait pas faire. Parce qu’elle est impossible à faire. Mais que là, dans l’instant où l’on est, il faut la faire. Que si on ne la fait pas, iceberg_drydockcette chose, il pourrait advenir un irréparable. Ecrire se vit toujours dans l’annonce d’un avenir déjà révolu. Alors écrire c’est repousser la catastrophe ultime de la mémoire. La collision des temps contraire. D’où cette sensation d’écrasement. Et de jubilation enfantine. L’imminence tenue en respect. L’urgence comme viatique. La menace comme respiration. La nécessité comme sang.

C’est une chose que l’on ne sait pas faire. Jamais. Et pourtant on la fait. Comme vivre, comme aimer. Une ignorance brûlante, dangereuse, conquérante. Comme vivre, comme aimer. C’est pour ça qu’on la fait, cette chose d’écrire. Pour perpétuer l’ignorance. La prolonger. L’augmenter.

 

Alors, on consent à la dérive, comme ces glaces lourdes et majestueuses, dans les océans froids du nord. Ecrire, aimer, vivre, c’est toujours un peu dériver, se perdre avec lenteur et grâce. Avec constance. Passer d’un silence à l’autre, jusqu’à n’être plus que de l’eau dans de l’eau.

La fonte des glaces dans l’océan c’est la grande tragédie de la vie, de l’amour, et de l’écriture. Être de grands navires à iceberg_domedla dérive sur un océan sans horizon.

 

Et l’écriture fond à mesure qu’elle se dit.

Et la parole de l’écriture est une eau trop salée.

Et écrire c’est retrouver la voix de nos premières ignorances.

Et c’est une chose que l’on ne sait pas faire, et pourtant on la fait, cette chose.

Jusqu’aux larmes.

Et c’est extravagance.

Franck.

15 septembre 2007

Avant le labour.....

90_003005Au pied de l’écriture on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Avant, Il y a ce temps d’arrêt. Et le monde est contenu dans ce temps d’arrêt. Et le laboureur regarde l’étendue devant lui, et il la sent déjà dans ses mains, dans ses épaules. Déjà il est chair de terre. Là, dans l’avant. Et il n’a déjà plus famille, plus d’âge, plus de nom. Là, le laboureur ne sait plus rien de sa vie. Et il respire profondément, et déjà il cherche les sillons dans son sang, il appelle l’effort et la douleur, il appelle ses muscles. Alors il regarde l’horizon et il respire profondément au pied de champ, au pied de sa peine, au pied de sa misère et de sa gloire.

 

 

 

Et les senteurs remontent de la terre en attente, des odeurs de siècles, de vie et de mort.

Le laboureur au pied de son champ est seul. Toujours. Car c’est l’œuvre répétée de sa vie. Il est seul, sans personne, sans dieux. Il est simplement avec sa désespérance mêlé de singulière impatience. Il est seul, traversé par les violences et les révoltes, traversé par un océan instable, immense et pourtant incertain. Il respire profondément. C’est l’instant de la terre. Et les prières sont épuisées.

 

 

 

Dans l’avant, la terre est sans miséricorde. Elle est encore sans promesse, elle est là dans une absolue présente. Elle attend. Elle attend les larmes et la sueur, elle attend un sang qui la sacre, elle attend le geste assez droit, assez pur pour se90_003016 mettre à trembler. C’est le temps de l’avant. Le temps arrêté de l’avant. Un temps sans partage. Mais un temps découpé par le couteau d’une solitude étincelante et verticale. Le temps de l’avant est un temps sidéré. Un temps sauvage, qui précède le cri, qui précède la rage.

 

 

 

A chaque respiration le champ grandit. Alors le laboureur respire de plus en plus profondément pour que le champ qui grandit sans cesse puisse envahir sa poitrine. Et faire pénétrer chaque sillon, et chaque pierre.

Vaincre le champ, ou périr sous a terre.

 

 

 

Déjà, il ne peut échapper à son champ. Déjà, il n’y a plus de retour. Et si le laboureur se saisi d’un peut de terre pour la porter à ses lèvres c’est plus pour l’embrasser que pour l’éprouver, et s’il pleure c’est plus par débordement que par chagrin. Car le laboureur ne connaît du désir que le frottement âpre et rugueux du manque, il ne connait du destin que l’horizon de son champ.

 

 

 

Au pied de l’écriture on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des holbeinsiècles. Debout, droit sur sa terre comme le capitaine qui sait la tempête et sa cruauté inhumaine. Debout, droit, pesant déjà d’un surcroît de chair et d’os, d’un surcroît de vie. Lourd comme un titan et pourtant fragile comme un cristal.

 

 

 

Alors il y a ce temps de l’avant, ce temps débarrassé de toute intention, ce temps pur de l’amour.

Et le premier mot rentre dans la terre, ainsi le premier pas de danse.

Et le premier mot perce de la terre, avec le gout d’un sang nouveau.

Et le champ n’est plus un champ, il est supplique.

Et la terre n’est plus la terre, elle est voyage.

Et les heures brillent comme des constellations.

Franck.

 

9 septembre 2007

Accomplir la défaite....

L’inaccompli se prolonge indéfiniment. Dans une tension singulière. L’inaccompli du texte. L’inaccompli de l’amour. L’inaccompli est une marque. Notre sceau. Le poinçon qui perce nos chairs jusqu’aux os. L’inaccompli comme l’empreinte de l’éternité. Le sans fin chutera toujours. Et nous porterons le deuil de l’infini. Nos cercueils brillent haut dans le ciel. Et nous applaudissons au spectacle frémissant. Et le texte se déploie dans un espace de tragédie. Le temps nous attend au détour d’un baiser. Comme une vague scélérate. Le texte s’aggrave dans sa chute. Le renouveau, renouvèle toujours la fin. L’inaccompli. La blessure.

 

Il n’y a pas de sagesse, simplement un désespoir qui se renie. Chaque jour j’avance et je m’éloigne. En même temps. Chaque geste, chaque pensée, est imprégné par cette plaie, ce suintement de vie. Ce double mouvement impossible. Incompréhensible. Et le texte s’effondre, là, dans cet espace de misère. Le sans fond de cette misère.

 

De tout temps nous sommes séparés. Inachevable. Il manque toujours un morceau à l’histoire. Il manque toujours de la chair sur l’os. Il manque toujours un baiser à l’amour. Il manque toujours un jour à l’éternité.

Et vivre, c’est être dans le décalage, la non-coïncidence. Et écrire c’est prolonger cet espacement. C’est l’agrandir. C’est l’aggraver. Jusqu’à l’impossibilité de vivre. Il y a une tension singulière dans cet espacement. Comme ce tonnerre qui tarde à venir après l’éclair. L’espace, après l’éclair, est le lieu du langage. Dans cette synchronicité défaillante, perpétuellement défaillante, la parole trouve son chant. Dans cette tension du vide, dans cette brûlure du rien. Dans cet insupportable.

Je vis dans l’attente folle du tonnerre, et cette suspension me laisse sans signification.

Nous vivons des approximations. Tout se tient, mais rien n’est jointif dans nos vies.

Nous faisons des détours. Ecrire est le plus sacré de ces détours, mais c’est quand même un détour. Nous arriverons à Samarcande le jour venu, pour le sacre de l’inaccompli. Ecrire c’est danser sur ses propres ruines. C’est accomplir la défaite.

Franck

8 septembre 2007

En silence, au matin......

Au départ on est loin, on est dans l’inaccessible du temps et de l’espace. Mais les enfants savent d’instinct traverser les impossibles. Les âmes brûlées aussi.

Au départ on est loin, chacun dans sa parole, dans la maison de ses mots, au plus près de l’hémorragie qui épuise nos jours et nos heures. Au départ on est loin, chacun sur l’horizon de la langue, chacun à son pied d’arc-en-ciel, chacun dans sa couleur.
On est loin, séparé par le ciel, et par cette arche irisée.
Au départ on est loin, mais les incantations se répondent, parce que les murmures s’opposent au vacarme du monde et parce que les cris révèlent les silences. Au départ on est loin, mais peu à peu les portes du ciel s’entrouvrent. Pour agrandir l’espace, juste entre la chair est l’os. Juste entre fracas et prières.

Après, arrive le temps du chant et de la danse. Nos musiques s’entrelacent et se nouent pour nous aider à gravir l’échelle des couleurs. Chacun, à son bout d’arc-en-ciel, chemine vers l’autre sur le chemin de la langue, c’est le temps où la voix s’exalte de sa véhémence, de ses soleils, de ses éclairs. C’est le temps où les notes inventent la portée, où la cadence rythme les souvenirs, où l’espérance fleurie comme de larges bouquets, comme les grands cerisiers du printemps. C’est le temps océan, immense et grandiose qui berce nos embrasures, et change les clameurs en louanges fruitées. C’est le temps des flammes et des voyages univers, et des jardins célestes. C’est le temps des tendresses enfantines. La source des mots s’épanche vers l’affluent du cœur.

On est haut dans le ciel, si proche désormais qu’on pourrait se toucher. C’est le temps des soupirs et des apartés, c’est le temps des souffles, pas celui des regrets. C’est le temps des secrets et du sang partagé, des silences que l’on offre dans les mains que l’on tend.

 

C’est un temps éphémère, qui offense les dieux. C’est un temps majestueux, qu’il faudra redonner. Pour une heure enchantée, cent ans de misère. Pour un jour de délice, mil ans de repentir.

Au sommet des couleurs, nous nous sommes croisés. Au plus haut de cette arche de lumière, tendue entre nos deux étoiles. J’ai à peine eu le temps de caresser son ombre, qu’une araignée cruelle a tissé sur nos lèvres un rictus forcé.

Et dans un ciel de marbre durcit par les chagrins, c’est éteint une étoile, en silence, au matin.

Franck.

2 septembre 2007

Petite soeur......

Il y a bien une peur dans le désir qui se déploie. Les temps qui adviennent sont des temps terrifiant. L’amoureuse regarde l’amoureux. Leur présence est accrue du désir. De l’imminence. Ils sont menacés par la joie. Ils le savent. La jouissance signe la fin d’un monde. La fin du monde. Ce qui menace le feu, ce sont les cendres. Le rêveur devant la flamme les voit déjà, c’est pour cela que sa mélancolie s’accroche si bien à l’âtre. A cause des cendres. L’amoureuse regarde l’amoureux. Elle a dans sa chair un feu. Mais elle sait les cendres. Au moment des corps, les amoureux sont graves. Les gestes s’alourdissent, ils sont pris dans une sorte de pesanteur et d’épuisement. La jouissance ouvre la porte des enfers. Les amoureux le savent. C’est une traversée. Comme Orphée.

 

Les dieux immortels ne connaissent pas l’amour. Parfois ils forniquent, jamais ils n’aiment. L’amoureuse regarde l’amoureux, ils savent brusquement qu’ils devront aller plus loin que leur désir de chair, ils devront aller jusqu’à la cendre, jusqu’à la mort. Ils savent qu’il faudra tout effacer. Qu’il faudra tout oublier.

Les amoureux évitent les miroirs de peur que ceux-ci ne gardent le souvenir de leurs gestes. Qu’ils impriment le masque mortuaire de leur jouissance. Les amoureux sont sans image, puisqu’ils sont sans langage. Les amoureux sont sans mémoire, puisqu’ils sont sans langage. Puisqu’ils sont sans miroir. Les amoureux lorsqu’ils se regardent ne se voient pas. Ils se touchent. Se voir les tuerait. Alors ils se regardent et ne se voient pas. Ce regard sans vision, nous envoûte. Il est débarrassé de la mort encore quelques instants. On avait prévenu Orphée. « Ne te retourne pas !»

Dès que le regard se met à voir, c’est la mort qui surgit.

 

Mon amour, nos ombres sentinelles nous parlent à mi-voix. Nos ombres sentinelles se sont détachées de nous, pour vivre des frôlements que nous ignorons. Tu sais mon amour, nos ombres ont leurs exubérances, leurs sacrements. Leurs pénitences, aussi.

Nos ombres sentinelles, sont des ombres courageuses, sans orgueil, qui savent se relever après le trébuchement, qui savent se réchauffer après le tremblement. Nos ombres sont muettes, sans ornement, débarrassées de nos pudeurs frivoles. Elles vont sans nous. Défaites de nos corps, de nos peurs, de nos hésitions. Elles vont l’amble, nos ombres, profitant de nos rêves, elles ne craignent ni le feu, ni la nuit, ni nos deuils, elles vont comme des eaux tranquilles.

Nos ombres, loin de nous, s’entrelacent et s’unissent, elles n’ont que faire de nos apitoiements. Elles se bercent du roulement de la nuit, et elles n’ont pas de saisons, et elles n’ont pas de maison, et elles vont légères, sans corps pour les retenir, sans chaîne pour les accabler, sans jugement pour les opprimer. Elles vont, elles vont, passant d’un silence à l’autre, choisissant nos absences pour se rejoindre, et nos tristesses pour nous abandonner.

Petite sœur, petite sœur des mots, petite sœur des murmures, approches-toi, l’automne arrive avec ses détresses, et ses renoncements. Petite sœur du silence et de l’amour je pose sur tes paupières toutes mes Afriques, tous mes déserts. Je pose sur tes lèvres tous mes fleuves languissants, je pose dans le creux de ta main toutes mes ivresses, et sur ton ventre toutes mes nuits perdues.

Petite sœur, il est temps, approches-toi. Nos ombres nous attendent, elles réclament nos corps pour blanchir les linceuls de leurs fiançailles.

Petite sœur d’écriture, le vent se lève, et l’encre brûle nos derniers mots.

 

Il y a bien une peur dans le désir qui se déploie. Les temps qui adviennent sont des temps terrifiés.

Et l’amoureuse regarde l’amoureux. Et l’amoureux regarde l’amoureuse.

 

Petite sœur prends ma main, et allons !

 

Franck.

1 septembre 2007

L'île d'après......

Les amants dessinent, dans la tristesse des villes, de grands à-plats de silence, à contre jour, à contre soleil. Les amants s’absentent, et dans leurs traces nous y cueillons les songes. Les amants ne parlent plus, les mots ont déjà déserté leurs gestes. Ils se rapprochent des choses ou des êtres, simplement pour les éclairer et les abandonner.

 

Les amants passent, traversent, débordent, tanguent, et chavire. Ils s’effacent. Au bout de leurs regards désinvoltes, ils inventent l’ignorance et cette ivresse cruelle qui l’accompagne.

 

Les amants sont sans bagage, sans histoire, quelques baisers secrets au fond de leur poche, comme ces enfants qui remplissent les leurs de ficelles ou de petits cailloux. Ils sont dans l’angle du jour. Ils ont perdu leurs yeux, ils n’ont que leurs mains pour sculpter les heures, et leur peau pour créer d’autres langues, et leur chair pour fuir leurs peurs anciennes.

 

Les amants se cachent dans les ellipses des coquillages pour se dérober au temps, et au vacarme des villes. Ils se savent en danger. En sursit. Et le poème ne les a pas encore rattrapés. Ils sont dans l’impatience et pourtant sans attente. Demain est un continent lointain, une rive inabordable.

 

Les amants dessinent par étourderie les arabesques des sutures futures.

 

L’écriture est tapie dans la marge. Juste là, dans l’ombre.

Pour après.

Ecrire l’après qui est déjà advenu.

Ecrire est dans le contre temps, comme les amants sont dans le contre jour.

Ecrire c'est l’île d’après. Celle qui n’est pas habitée.

Et les amants chavirent, et l’écriture fait naufrage.

L’écriture est le chant désastreux des amants séparés.

L’usure prochaine des temps révolus.

Les amants n’ont que leur nudité, le poète que son dépouillement.

L’amour a sa nostalgie, le poète sa mélancolie.

 

Et le soleil brûle tous les déserts.

Et les amants ne connaissent pas la rhétorique.

Ils dansent.

Ils dansent.

Ils dansent.

Franck.

30 août 2007

Pour Chris.........

Chris, (in  memoriam) vient à nouveau de me faire un magnifique cadeau. C’est elle qui préside désormais à la décoration de ce lieu, et je ne sais comment la remercier d’inventer à chaque fois des ambiances dans lesquelles je me sens immédiatement à l’aise. Elle a un véritable talent, elle sais d’instinct traduire et mettre en forme ces choses si subtile de l’imaginaire. Et sa boite à outil est et aussi grande que son cœur, pleine de ressources inattendues. C’est là que l’on reconnait une véritable artiste, elle est aussi douée avec la « mécanique informatique », qu’avec les mots qu’inlassablement elle tisse, ou qu’elle brode raccommodant l’âme, la sienne et celle de ses lecteurs, affûtant sa poésie avec bonheur ou avec douleur selon le sang qui traverse ses humeurs. En décoration, comme en poésie Chris est généreuse et sa sensibilité d’écorchée passe dans ses communions d’écritures, ou dans ses remises en question. Chris sais par cœur, que rien n’est acquis lorsqu’on s’approche de la poésie, que tout est à refaire sans cesse, que le poème qui vaut est celui de demain.

Alors mille merci Chris, tu es une amie chaleureuse et constante, indulgente aussi. Et tes colères parfois, ne sont là que pour dire à quel point tu es vivante, vibrante et passionnée, à quel point la poésie n’est pas seulement quelques mots posés ici où là, mais cette poussée droite et vive qui redresse tout le corps et toute l’âme. Mieux que quiconque elle sait que la poésie est une œuvre de vie avant d’être écrite.

Merci mille fois Chris de ce cadeau d’autant plus merveilleux qu’il me vient de toi.

FrancK

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