Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

J'irai marcher par-delà les nuages

14 janvier 2007

Labyrinthe...

Le texte est le labyrinthe de la voix qui tente de le dire. Peut-être à cause de la distance qui les sépare. Un exil. Toujours entre la voix et le texte. Et de cette crainte latente du centre qui pourrait nous dévorer. Minotaure égotique. Alors on suspend l’écriture pour faire taire la voix. La parole est une errance qui n’atteint jamais sa cible initiale. Avec le silence comme fil d’Ariane.

 

Et le destin de l’écriture est un voyage sans fin. Traversée des sables ou des mers. Elle est sans chemin. Elle est en pure perte. C’est ce qui la rend invincible

 

Et parfois, il y a un reste, un surcroît qui déborde du texte. Parfois seulement. Des mots se décrochent et tombent, labyrinthe_chartrescomme s’ils avaient trompés la vigilance du porteur de voix. Des mots débordés. Comme le coolie qui renverse l’eau du seau dans son transport. C’est l’eau rare. L’eau fertile. L’eau détournée. L’eau qui ne sera jamais bue. L’eau du retour. L’eau évadée. L’eau libre. L’eau qui fait fleurir les talus, celle qui inventera les routes futures. Des mots perdus. Comme de l’eau renversée.

Parfois, il y a un reste, un surcroît qui déborde du texte. Parfois seulement. Et c’est la poésie.

 

Y a-t-il des paroles qui ne soient pas destinées, qui n’aient pas de direction ? Des paroles débarrassées de la voix. Des paroles sans intention. Existe-t-il une parole pure ? A part le lapsus. Coquelicot dans les chaumes d’un champ de blé.

 

Et la voix se perd dans des paroles jamais assez nues. Toujours impudiques.

Ecrire bien au-delà des marges. Dans la pliure. Ecrire dans l’affaissement. Le retrait. La défaite. Voilà, la défaite, jusqu’à l’excès, jusqu’à la négligence. C’est sans doute cela la perte. L’excès, la saturation. Dans la voix ou dans le silence. Peut-être que la poésie est, aussi, cette transpiration de la voix. Cette sudation. Un excès de fatigue sous le soleil.

Comme un suintement. L’exhalaison d’un soupir.

Il y a du fracas là-dedans, comme un éclat de verre qui retient une part de soleil. Coupure du réel. Et les vérités sortent de cette coupure. Et c’est pour cela quelles sont rouge.

Il n’y a pas de savoir. Uniquement une voix qui erre dans un labyrinthe. Et nulle connaissance ne nous sauve, hormis de pauvres révélations, et ce fragile tremblement, qui ne signifie rien de plus qu’un fragile tremblement. Rouge. Nostalgique et rouge et mélancolique.

 

Une parole dans la pliure de l’univers. Un puit abandonné dans le désert, et qui s’offre au temps. A la solitude. Et au mystère de la soif et de l’attente.

Aux épousailles de l’oubli et du vent.

Franck.

Publicité
Publicité
6 janvier 2007

Elle sera.....

Tu as glissé comme une ombre neigeuse sur mes cendres fragiles, et tu t’es suspendue, un temps, à ma folie dérivante.

J’étais la poussière et le sable, et tu fus la semence du vent. Et l’éclair.

Et j’étais naufragé, et tu t’es faite île. Et j’étais la soif, et tu t’es faite fruit. Je n’étais qu’une écorce, tu m’as fait arbre.

Tu m’as poussée aux frontières des enfers, aux bords de ces abîmes, de ces archipels pourpres. Infatigable. Tu étais cette lande amère offerte aux souvenirs, qu’une aurore veuve et squelettique incendiait chaque jour. Chaque nuit.

Et j’étais pauvre, tu m’as donné la démesure, et la sérénité, et le soulagement de l’attente. Et j’étais le chaos, tu m’as appris la grâce, l’élégance du geste qui s’enroule sur l’ombre des heures. Je n’étais qu’un son dissonant, tu m’as montré l’octave, lorsque les notes s’épuisent et se faufilent dans les harmonies immaculée. Je n’étais qu’une écume pauvre en déroute, tu as su la tisser en dentelle de givre.

Tu as soufflé sur mes plaies dérisoires, oubliant tes humeurs, tes rumeurs, tes horreurs, tu as soufflé sur mes plaies vaines et frivoles avec la patiente douceur d’une mère attentive, avec cette complicité de sœur câline, et la tendresse d’une femme amoureuse. La tendresse d’une flamme généreuse. Tu fus la chair de mes os, et tes mains, la peau de mes rêves.

Et j’étais la poussière et le sable, et tu fus la lumière et l’étoile. Et j’étais misérable, et tu m’as fait sentier, chemin, passage, pèlerin embrasé. J’étais taciturne, tu fus ventre de délivrance d’aube. J’étais un puits sans fond, tu m’as offert la chair de ta margelle, le chant de ta poulie,  l’alliance de ta corde. Je n’étais qu’un désert, tu m’as fait citadelle Je n'étais qu'une friche, tu m'as fait jardinier. Je n’étais qu’un silence tu m’as fait symphonie. Tu m’as offert tes mots pour nourrir ma parole et tes incantations pour guider mes prières. Tu étais cette voix fauve sarclée de ferveur exaltée, incandescente, étincelante. Et tu étais un orage, un tourbillon enluminé d’innocence égarée. Un royaume sans frontière.

J’étais la poussière et le sable et ton vent a soufflé pour disperser mes cendres, et je devins nuage poussé par ton absence. Et je devins un ciel de miséricorde traversé de lenteur blanche.

Un rêve de papier.

Franck.

2 janvier 2007

Poussière et souffle......

Il arrive à l’alpiniste d’atteindre le sommet, dans l’écriture parfois on fini, mais jamais on n’atteint.

Poussière et souffle. Rien de plus. Rien de moins. Le pitoyable uni à l’invisible du mouvement. Du négligé sur du négligeable. Du rien sur du rien. Evanescence. Insaisissable élan de l’écriture. Des mots qui s’effritent. Poussière de poussière. Inconstance fragile de toutes nos pensées. Moins que du sable, avec ce souffle qui donne l’illusion de la vie. Fécondation poussive des lèvres de l’écriture, glissement de nos expirations autour de nos restes. De la poussière plein la bouche. De la poussière qui tapisse nos poumons. Nos souvenirs. Nos actes. Nos amours passagères.

Poussière. Pénurie de matière, de solidité. Insuffisance. Grains légers des mots qui s’envolent et qui se perdent sur les chemins de la langue. Errance, vagabondage de nos mots qui s’égaillent, que l’on aperçoit dans les rayons de lumière dans l’agitation d’une danse fébrile. Eperdue. Profusion de manque suspendu, qui recherche les recoins de l’âme, pour s’entasser dans les déserts de l’existence. Les royaumes de la poussière sont les greniers, les lieux oubliés, en dehors des passages et des vacarmes. Quand elle se rassemble c’est pour quelques poèmes, quand elle se regroupe c’est pour quelques pages, le temps d’une aurore, puis les mots se désagrègent, sans bruit, sans trace. Les mots traversent la terre sans la toucher, simplement en l’effleurant. Caresse triste d’une parole recherchant sa propre densité, son propre poids, son escale, son havre. Un sourire consentant. La paume d’une main ouverte. Poussière. Nuage d’une matière qui n’est rien. Rien. Un simple passage dans l’air du temps. Une promesse à peine audible. Elle contient toute les formes et n’en possède aucune. Elle ne fait que visiter le jour, sans s’accrocher aux heures. Elle recherche son souffle, celui qui l’emportera plus loin. Ailleurs.

Et la poussière se mêle au souffle. Du négligé sur du négligeable. Il y a dans les noces du souffle et de la poussière, quelque chose qui tient du mystère. Le souffle vient apaiser le vulnérable en nous, le douloureux, comme cette mère qui souffle sur la plaie de son enfant pour en effacer le feu, mais le souffle dans son infini métamorphose encourage aussi la flamme de l’âtre pour lui donner la force et le désir de brûler un peu plus, de chauffer un peu mieux, de survivre plus intensément dans une chaleur renouvelée. Le souffle ponctue la fin de nos peurs en appelant des brindilles de paix. Le souffle est cette voix silencieuse de nos mots. L’armature de notre parole. Il n’est rien, mais il tient tout, comme le vitrail tient la cathédrale. Il se saisit, en la brassant, de la poussière de nos textes, rafraîchissant la langue, inventant des volutes invisibles. Il est la direction de notre errance, le sens de notre persévérance. C’est la source des quatre coins de l’horizon. Il lave, il purifie chacun de nos souvenirs. Il est la première musique, il sera la dernière. Il est le seul langage amoureux, celui d’avant les mots, celui d’avant les mensonges, il est le voile qui habille nos désirs. Il n’est rien, invisible, et pourtant il nous rend à la lumière.

Le souffle se dévoile à nous lorsqu’il passe sur la poussière. Car c’est lui qui révèle le poème. Il en est le sang fugitif.

Il arrive à l’alpiniste d’atteindre le sommet, dans l’écriture, parfois on fini, mais jamais on n’atteint. Au bout des mots il reste toujours un morceau de rocher inviolé, impraticable. Dans l’écriture le sommet est toujours plus loin, toujours plus haut, c’est la voie mystérieuse de l’écriture, sans doute sa voie divine. On est à un souffle du but. Car le sommet s’invente au fur et mesure de l’écriture, toujours avec un souffle d’avance, toujours avec un printemps d’avance. Et peut-être que la littérature réside en cela, dans ce souffle qui maquera toujours à notre dernier souffle. Et on s’épuisera jusqu’à l’asphyxie, jusqu’à l’extinction des mots, jusqu’à écroulement de la parole.

A mordre la poussière.

A agrandir l’univers.

Franck.

« L'Éternel Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant. » (La Genèse)

 

30 décembre 2006

L'hiver, l'océan......

L’hiver, l’océan nous parle une langue inconnue. Il roule son indifférence hautaine. Il y a de l’arrogance dans sa houle. Du dédain. Il parle fort, d’une voix musculeuse avec le détachement des dieux, la désinvolture des puissants, parfois de sourds ricanements. L’hiver, l’océan est un défi. Une menace. Largement ouverte sur le froid. Une béance froide et mugissante. Et la menace vient qu’il n’y a pas d’interruption dans la virilité frontale de l’océan. L’hiver. Et le vent glace toute pensée. Glace et efface toute pensée. L’homme ne s’articule plus à l’espace, au mouvement, droit sur la plage il est une écharde, moins qu’un galet, moins qu’un coquillage. Et brusquement il le sait. Il est dans l’évidence. Aucune parole ne tient, et il le sait. Alors il se tait. Et silence et vacarme vont du même pas, l’hiver, quand l’océan roule son indifférence hautaine. Et les portes de l’exil sont ainsi. Bruyantes et muettes. Inconciliantes. Incommensurables. Il n’y a pas de méditation du froid. Toute pensée est d’abord résistance. Tenir l’affirmation d’une résistance. Il n’y a pas de poésie du froid. L’imaginaire du froid est un imaginaire séparé. Coupé. Tranché. C’est d’abord l’imaginaire d’un refus.

L’hiver, l’océan nous parle une langue inconnue et que l’on comprend parce qu’on l’a toujours su. Le vacarme et le silence de la mort. L’écrasement et le froid. Le vent et son murmure lancinant. Litanie d’une mémoire inaccessible. Comme la mer dans son avancée impossible et constante. Interruption des vagues, de la terre, de la mémoire. Invraisemblable mouvement en avant. Enroulement du temps qui nous lie en se déliant. Et la parole qui accompagne. Parole inaudible hormis la voix qui la porte et la pose, là, au bout des terres connues, à l’orée de l’hiver et de l’océan. La voix chante et c’est une plainte. On sait que c’est une plainte, même si l’on n’entend pas le sens. On sait que c’est une plainte. L’oubli est le râle de la mémoire, son chant plaintif. Quel est ce temps d’hiver ? Quel est ce temps dans le temps ? Cette vague dans la vague ? Cet océan qui bat en moi ? Ce froid qui glace ma voix ?

Je suis un égaré. Je n’ai pas trouvé ma question. Alors toutes les réponses sont fausses. Inadaptées. Nous oscillons sur nos lignes de fuite, funambule de l’errance avec toujours une liberté de retard, à contre temps des marées, tâtonnant à travers nos phrases à la recherche des mots, des rythmes qui sauraient s’allier à notre voix. Adoucir la discordance. L’annuler. Effacer l’horizon. Tout recommencer. Ou tout finir. Bâcler la fin. Car l’écriture ne nous rend pas la vue. Tout juste nous introduit-elle au silence. Et à l’absence. Tout juste nous pose-t-elle à un endroit de nous-même un peu plus supportable. Elle n’efface pas l’illusion. Peut-être, est-elle l’illusion suprême. La seule qui vaille, ou la plus dérisoire. Il n’y a pas d’écriture du bonheur. Aucun savoir ne nous guète au bout de la phrase. Aucune rémission. Les mots s’effacent les uns les autres, les suivants renieront ceux qui précédent, et jusqu’à l’épuisement. Il n’y a pas d’accroissement de la parole, tout au plus une redite, une tentative toujours échouée. Un enroulement. Un retour. Et un effondrement d’écume dans la voix. L’océan n’a pas de centre. Il n’a que des rives, des lieux de fin, des morts toujours recommencées et jamais assouvies. Il est l’épuisement inépuisable. La permanence effrayante. La mort qui s’avance en nous comme une arabesque. Pleine. Dépourvue d’ombres. Pure présence, qui nous assigne à la notre, la suggère, parfois la révèle.

Il y a dans l’écriture comme le sacre des saisons, un surcroît de présence, un dévoilement, un atlantique patient. L’écriture dans son incessant retour, élève notre voix pour l’accorder à celle de l’océan. Il n’y a pas d’accroissement de la parole, simplement une élévation, le sens d’un redressement, sans doute pour que la mort nous frappe à l’endroit le plus haut. Juste à l’endroit de l’étonnement.

Franck

25 décembre 2006

Les mains de l'enfance......

Parce que c’est l’enfance et que l’enfance est la première patrie de la solitude. Parce que tout se résumera là, comme un raccourci. Les premiers gestes s’impriment sur le premier passage de la pellicule. Et la manivelle du temps fait tourner la pellicule. Toujours la même. Images sur images. Temps sur temps. Et la vie se regarde dans la transparence et la confusion des images. L’empilement des images sur la pellicule.

La solitude de l’enfance est un royaume. Une citadelle d’ignorance sublime. On est dans l’abondance du manque, dans doc_29422bl’insuffisance de nos actes, de nos pensées vagabondes, on est dans la lumière perpétuelle des inventions. On manque de rien puisqu’on manque de tout, et que tout est le ciel de nos jours. On est un dieu nu et innocent. Attentif. Et souriant. Effleuré par les heures des jours sans fin, frôlé par le vol suspendu des papillons, caressé par la trace laissée des oiseau, enlacé de clartés légères. C’est le temps des exploits, des conquêtes, où passer de l’ombre au soleil est une aventure incommensurable de mystères et de joies.

Avec l’âge apparaîtront les premières fissures, et grandir annonce la défaite. L’adulte vit dans des champs de ruines. Ecrire tente de redresser les murs de l’enfance. Retrouver les premières traces sur la pellicule.

Je mets mes mots dans la transparence du temps. Je m’effare de la contemplation de l’avenir de ce passé. Ecrire c’est l’enfance qui pousse encore, et tend sa main maculée de terre. 

L’enfance est un ouvrage sans limite. Et l’âge apporte l’ennui, la misère, le désastre. Et l’âge traîne avec lui la fatigue, l’accablement. L’inachèvement. L’enfant n’est pas à lui-même, il est absent de tout. La fatigue de l’enfance advient par trop d’absence. La fatigue de l’adulte arrive par l’inverse, par trop de présence. Trop de présence vaine. La fatigue de l’enfance s’efface avec un peu de repos. La fatigue de l’homme s’aggrave avec le repos.

L’enfance ne se souvient pas de la mort, et l’adulte a oublié la vie. Ecrire c’est tenter de se souvenir et de l’une et de l’autre. Tenter. Tenter seulement.

Car écrire épuise mais ne fatigue pas.

Il y a dans certains jeux de l’enfance la gravité du destin. playa27fw

Nous écrivons bien avant de savoir écrire. Et cette écriture d’avant est la plus simple. La plus puissante. La plus essentielle. L’enfance connaît le geste libre qui se nourrit de lui-même et se désaltère de son propre sang, et trouve avec aisance le passage de la lumière.

Je m’installais sur la lisière. A la frontière du sec et de l’humide. Face à la mer. J’ai passé mon enfance dans la terreur de l’eau. Alors je restais sur la plage. A la frontière du sec et l’humide. Surveillant la mer. Et je passais de longues heures assis dans ce face à face. Sur le bord de la mer, posé sur le sable. Sur la frontière.  A creuser. A creuser le sable. Creuser est le premier acte de connaissance. Il faut une vie pour passer du sable à la terre, et de la terre à la chair. Creuser c’est éprouver la réalité, c’est déjà affronter l’illusion de notre vie.

Alors on est sur le bord de la plage. Face à la mer. S’appliquant à creuser, à trouer, à blesser. Et bientôt le fond du trou se mouille. L’eau apparaît. Et nos gestes s’animent. Plus fort. Plus profond. Une sorte d’excitation fébrile qui nous pousse à creuser toujours plus. A vouloir vider le trou de son eau, de son sable. Le vider de tout.  Et plus l’on creuse, plus le trou s’élargit et se rempli. Et plus l’on s’épuise, à vouloir épuiser le trou. C’est un jeu de l’enfance. Et c’est déjà un jeu de la vie. A chaque brassée, on remonte du sable. Toujours le même sable. Et c’est intarissable, démesuré. On pourrait croire que c’est du même que l’on remonte du trou. On pourrait croire que c’est le même geste. Le même trou. Le même vide. L’enfance s’entête, là ou l’adulte renonce. L’enfance invente l’écriture.

Il s’applique. Attentif et souriant. L’enfant livre son combat contre l’impossible. L’inacceptable. Et sans cesse le trou Un_enfant_sur_la_plage_____by_Silverwolf4000s’agrandi et se rempli. Ecrire c’est ce trou qui s’agrandi. A chaque mot. A chaque texte. A chaque redite. Ecrire c’est épuiser la terre et le vide de la terre. C’est ce trou vers la mer. C’est s’épuiser dans le même geste sans savoir que l’on va vers l’infini de la mer. Et les mots sont le sable, rien de plus que du sable humide, et l’eau l’impossible connaissance. Ecrire c’est ce geste pur et absurde. Pur parce qu’absurde. L’écriture ne dit rien de plus que cette érosion des bords, que ce rien qui veut rejoindre la mer, dans un geste inachevable, fait dans l’urgence.

L’enfant ne connaît pas la mort, il apprend seulement la vacuité de toute chose. Dans le scintillement des flots, le murmure des vagues, et ‘insolence du soleil.

Il n’y a pas d’œuvre. Uniquement ces trous dans le sable, que la marée envahira.

Ecrire c’est être à la frontière du sec et de l’humide et creuser toujours plus profond, toujours plus loin.

« Qu’as-tu fais de ta vie ? »,  « J’ai creusé… et certains jours j’étais heureux…sans raison… »

Ecrire c’est avoir les mains de l’enfance, maculées de terre ou de sable et les tendre au soleil pour y voir briller quelques rêves d’or.

Assis sur le bord du trou.

Face à l’océan.

Franck.

Publicité
Publicité
23 décembre 2006

L'énigme du silence.....

Dans écrire il y a une intention. Derrière le premier mouvement, il y a d’autres mouvements. Et encore d’autres. Jusqu’à l’ultime, qui est une énigme. Dans écrire il y a un secret. Un impossible secret. Ecrire, c’est le traquer. Le cerner. En E289_L_Enigme_Sans_Fin_1938_Postersespérant ne jamais le trouver. Mais le chercher, sans relâche. Une quête à rebours. Et les mots sont comme ces taches d’encres pliées sur une page blanche et offerts à l’interprétation. Ils disent à l’envers, ils se lisent à l’envers. Ils errent dans des jeux de miroirs, maraudant ici ou là des significations arrachées à notre quotidien, à l’accumulation de nos gestes, à nos répétitions incessantes, nos entêtements. Nos avidités. Nos impatiences. Mais dans écrire il a un secret. Une porte scellée. Le dire serait dire le nombre de notre mort.

 

Entre les phrases se trouvent de larges flaques, nos lieux de manque, de silence. Parole dévoilée dans l’instant où elle se dérobe, où elle s’absente. Il y a dans le récit un instant de fatigue, un fléchissement, une courbure dans la voix. Ca ressemble aux cendres d’un désir. Ou, ça ne ressemble à rien. Les mots sont là, suspendus, dans l’attente d’une révélation. Ou plutôt dans la crainte d’une révélation. Entre chaque mot, il y a une eau qui passe, lente et mystérieuse. Une eau patiente. Troublante. Le mot d’après est un mot sauvé, malgré nous. Le mot d’après est une île déserte, une terre isolée qu’il nous faut habiter. Découvrir.

 

i_have_a_secret_by_ElektrischeEntre les mots il y a des visages, des regards, des mains qui se tendent sur la bordure des lettres. Il y a tout un monde. Il y a des soupirs. Le mot d’après est une aube, la consolation d’une nuit blanche.

 

Celle-là resserrait les mots de sont écriture, les rendait dense, enlevait l’espace et la respiration de peur de se faire prendre par un silence. La profusion verbale pour aiguiser son angoisse. Fébrilité d’une langue malade d’elle-même. Ecriture pleine de bruit, de fureur. Pleine. Trop pleine pour accoucher du sens. Voix égarée. Nourrit de sa propre ivresse. Enfermée sur elle-même. Sur sa propre contemplation. Ecriture étouffée. Bâillonnée.

 

Cette autre distendait la parole, la coupant à la césure de la chair et de l’os, ouvrait de larges océans entre chaque mot, faisait naître la nuit et l’aurore. Chaque mot bordait les plaies de la mémoire, offrait leur souffle aux douleurs. Chaque mot dessinait la courbe du temps. Les montagnes. L’hiver, la neige et ses longues marches solitaires où l’espérance colore la mélancolie. Ecriture du murmure. Du crépuscule. Du secret des amants.

 

Il y a dans écrire de l’amour en jachère. De l’abandon. Jusqu’à l’ultime, qui est une énigme. Juste derrière la vitre des211924 mots, justes derrière le miroir sans tain des mots. L’énigme qui tient tout l’édifice. Pourtant il y a des amours en jachères. Dans chaque mot il y a toujours un peu plus que le mot. Et ce plus, peu nous faire vivre, comme il pourrait nous faire mourir.

 

 

 

 

Ils ont inventé les chiffres pour compter leurs troupeaux. Ils ont inventé l’écriture pour y mettre les secrets, pour les brûler. Tous les secrets sont des secrets d’amour. Ecrire, évite de prononcer les mots magiques.

Ecrire scelle le silence autour du désir.

Ecrire définit les contours du pacte.

 

Franck.

20 décembre 2006

Ouvre les yeux.....

Alors vint le temps où il fallut réinventer l’acte. Redéployer les corps dans leurs chairs. Où il fallut oublier, effacer toute la mémoire et tous les gestes. Réinventer la présence. Réinventer le lieu. Et le souffle. Et la pénombre. Et l’horizon. Et les astres qui le défient. 

 

Se retirer définitivement de soi.

Sans force et sans faiblesse. Revenir à l’unique. A cette chose première. A cette chose dernière. Et se préparer à WhereSeaCaressesShore1toucher les deux extrêmes de la joie et de la douleur. Et à condenser chaque respiration dans le ralentissement du temps, et à condenser le désir en lenteur pure.

Et chaque caresse devra atteindre la profondeur des océans, et chaque soupir portera un peu plus loin la soif. Car c’est le temps, mon amour, des corps nus. C’est le temps des grandes moussons, et de nos pertes souveraines.

 

 

 

Alors il est temps que tu acceptes que mes étreintes te rendent ta substance, te rendent à tes premiers tremblements. Et que mes baisers te lavent de tous les baisers déjà donnés, ou pris, ou volés, ou arrachés, ou déterrés.

Je te veux nue comme tu ne l’as jamais été.

Pas ouverte, pas éventrée. Non. Nue. Pudiquement nue, et droite, et fière, et digne, et immensément forte, et immensément nue. Car que valent mes baisers parmi tous ces baisers passés, que vaut mon offrande, à toi à qui fus dérobée.  Que vaut la pureté de mon regard sur ta chair trop souvent convoité. Et que valent des serments pour toi qui fus si profondément trahie.

Comment réinventer la nudité pour toi qui fus si souvent dénudée.

Comment te dire ou te tendre mon désir, à toi qui fus si souvent désirée.

Comment avancer une caresse vers toi, qui fus tant caressée et si mal caressée.

Comment faire du nouveau avec tous ces larmes anciennes, ces plaintes, ces gémissements.

 

 

 

Alors ferme les yeux. Apprends mon silence. Laisse-le glisser sur ta peau. Laisse-le couvrir ta poitrine et s’arrondir sur ton ventre. Laisse-le glisser dans tes chairs. Apprends mon souffle sur ton cou, sur tes cuisses, sur tes reins, laisse-le courir au profond de ta vie, au bord de tes eaux..

 

 

 

Alors ferme les yeux et apprends ma bouche, mes lèvres, souviens toi de chaque temps de la caresse, comme un piano se souvient des notes qui l’on fait sonner. Laisse venir ta peau à mes doigts, vague après vague, plaisir après plaisir, attente après attente. Comme une tentation longtemps refusée. Creuse, frémis, comme ces eaux des grands lacs qui s’irisent, se rident, et se plissent, lorsque les vents du nord les pénètrent.

 

 

 

Ferme les yeux et respire ma clameur et la grâce d’un instant qui ne pourra pas finir. Gonfle ta chair de ma confiance. Devine ce mouvement qui t’enlace et t’espère, entends le froissement de nos murmures qui nous ajustent.

Sois le mouvement même de mon appel.
Sois la réponse à ma main qui t’interroge. Agrandis l’ombre de ton mystère pour le brûler de sa propre révélation.
Sois le corps avant le corps, la chair avant la chair, sois la source miraculeuse, sois l’amour de mon amour. Sois cathédrale et je serais prières. Pèlerin.

Ferme les yeux comme si tout était advenu. Comme si tout était là, enfin, dans cet espace clôt et pourtant sans borne. Comme si tout était là, dans l’espace incendié de mes doigts sur tes seins, de l’espace océan de mon ventre sur ton ventre. Comme si le feu naissait du mélange de nos eaux lustrales. Déploie ton corps, accepte la forme de mon vertige, de ma folie, de mon appel et de mon cri. Fais-moi naître maintenant, puisque j’accepte de mourir maintenant.

Ferme les yeux et guide-moi vers toi. Apprivoise mon geste. Donne-lui l’élan de ta joie. Donne-lui la direction de ton étoile, de ton ciel. Non je ne pleure pas. Non, tu ne pleures pas. Non, ou si peu alors, comme une neige de décembre.
Défais-moi du froid glacé de mon enfance, défais moi des pluies, défais-moi de tous ces jours où je t’ai attendu, de tous ces jours de peur, de mélancolie. Défais-toi de tous ces regards qui t’on percés, de tous ces mots qui t’ont déjà souillés. Défais-toi de ton nom. Défais-toi de tous ces lambeaux de cauchemars.

 

 

 

Ferme les yeux et défais toi, comme moi je suis défait.bm_silentcaresses
Ferme les yeux et accepte que je puisse être ton offrande. Sacre-moi du bout de tes doigts. Accepte que nos corps puissent parler plus que nos mots. Deux corps dans le mouvement simple de leur vie, deux corps avant le dernier saut, avant l’envol, dans leur seule présence dépouillée.
Laisse-moi remonter les grands fleuves de tes jambes.
Laisse-moi rejoindre l’estuaire au plus haut de tes cuisses.
Laisse-moi brasser tes eaux et pousser dans tes chairs d’interminables mascarets.
Laisse-moi être au plus près de l’écume, accepte l’enlianement de nos membres et l’infini pesanteur du sang qui ralenti et l’infini douceur de l’abandon consenti.

Ferme les yeux et sent les astres te tirer par les épaules, laisse la terre remonter dans tes os. Respire ce temps d’avant, laisse-le entrer lentement dans tous tes soupirs, laisse la fièvre agir, accepte que la torpeur éclatante brise nos chaînes.

Mon amour c’est le temps où les chairs se traversent en remontant les sentiers du désir d’un pas sûr et conquérant.

 

 

 

Ouvre les yeux mon amour, c’est l’heure de cueillir la fleur sanglante de nos âmes tremblantes.

Franck.

 

16 décembre 2006

de sel et d'embruns......

Souvent ses mots touchent à l’endroit fragile. La membrane. Celle qui résonne. Frémissement des brumes tout au bout de mes landes mortes. Et nos paroles s’enroulent à nos silences. Glissent sur nos distances. Souvent. Comme ces vagues qui apprivoisent le rivage dans d’incessants retours. Caresse de l’eau qui s’abandonne aux langueurs de la terre.vague_250

Chaque vague porte en elle tout l’océan. C’est pour cela que les vagues ne meurent pas, leur épuisement n’est qu’un reste d’infini. Chaque vague agrandit l’océan. Comme ses paroles ourlées d’écume blanche, qui reviennent s’allonger dans les derniers murmures. Vague tendre qui lèche les plaies d’une terre usée.

Et nos paroles s’appellent. Nous, nous nous taisons. Pour ne rien déranger. Ni le ciel, ni la terre. Nous restons en bordure de nos blessures anciennes. Juste en bordure. Comme l’écume, comme le souffle de l’écume qui souligne d’un trait tremblant la fêlure des rencontres.

Nous sommes dans un espace qui n’existe pas. Qui n’a pas de nom. Pas de lieu. A peine un mouvement lent et silencieux, qu’il faut porter plus loin. Ailleurs.

Esquisse d’un pas de danse, sur le fil tendu de l’horizon. Lointain.

Car nos paroles se reconnaissent mieux que nous-même. Elles se sont mutuellement désignées. Et elles nous ont oublié. femme_mer_robeDélaissé. Dans nos lointains. Nos absences. 

Sans doute est-ce cela, l’exil. Les mots font la ronde autour de nous et nous laissent là, au centre d’un cercle. A chacun son centre, et son cercle.

Pourtant ses mots souvent me touchent à l’endroit fragile. Car elle dessine les contours d’un plus loin. D’un possible. Avec ce goût de sel et d’embruns. Elle trace l’horizon d’un silence rectiligne pour accueillir le soleil à l’orient de nos vies. Des mots ciselés, découpés dans ses champs de solitudes. Des mots précis posés au fil à plomb. Cherchant la verticale absolue, le point d’équilibre entre la nuit et le jour. Alors, elle les pose, là, avec dans le geste cette sorte d’assurance scrupuleuse. Ce raffinement discret. Terriblement puissante et vulnérable. Alors j’habite ses silences, acceptant le balancement de la houle. J’étire au plus large mon rivage, attendant chaque vague, absorbant la moindre écume. Espérant les plus petits coquillages. La vague sur le sable dessine. La vague sur le sable brode. Respire. Elle invente le temps dans son essoufflement. Et l’amour dans sa constance. Et la foi dans sa patience Et la vague sur le sable écrit. A l’encre bleue des abîmes marins, avec les restes de tempêtes et les fracas obscurs des naufrages. Elle écrit. Solitaire et multiple.

Franck.

10 décembre 2006

Ne jamais dire adieu....

Aimer c’est graver le marbre. C’est inscrire sous la peau une histoire définitive. Aimer échappe à l’oubli. Longtemps après l’amour, l’histoire se raconte encore. Même transformée, l’histoire se raconte. Et ce n’est pas de la mémoire, c’est seulement l’amour qui fini de se consumer. Même passé l’amour se vit au présent. C’est pour cela qu’il n’y a pas d’oubli, pas de rémission. Et que l’on se sent perdu et sauvé dans le même instant, toujours renouvelé. Recommencer, c’est seulement continuer, c’est raviver, c’est souffler sur les flammes. Même nouveau, c’est toujours une vieille histoire. C’est remonter la flamme jusqu’à la première étincelle. Remonter le feu. Le premier feu. La première mort. Et jusqu’à la dernière.

Aimer, c’est accepter de ne jamais dire adieu. Même après la fin, même après la haine. Surtout après la haine. C’est le retour sur la scène du crime. Et contempler notre propre cadavre. Aimer c’est dérober des indices au passé pour mystifier l’avenir. Et échouer dans cette opération secrète, alchimique, magique.

Il n’y a qu’un visage en nous. Un visage qui se moque de nos dérisoires tentatives, de nos pathétiques tentations.

Tes mots me touchent comme s’ils avaient des poings. Des poings qui s’abattraient à toute volée à l’endroit de71ae1b4231b0638b_grand ma face, sur le nez par exemple. Je lis tes lettres et ça fait comme des brûlures. Je lis et ça fait des cicatrices, comme une lame d’acier dans le vermillon de la vie.

 

Tes mots me touchent comme s’ils avaient des mains. Des mains douces. Des mains qui se poseraient sur ma peau cornée et usée, à l’endroit du cœur. A l’endroit des battements. Je lis tes lettres et cela fait des caresses. Je lis et cela fait comme un souffle, comme une eau transpercée de lumière.

Il y a surtout cet enroulement du temps, du mouvement à rebours. Cette remontée des saisons. Et cette tension de l’âme à vouloir décrypter la première inscription du marbre. Vouloir lire le nom qui est gravé dessus. Celui qui nous nomme et qui n’est pas le nôtre.

Dis-moi encore les terreurs de l’amour
Dis-moi encore les envoûtements de ta vie.
Apprends-moi les ténèbres, moi qui me crois voyant

 

Dis-moi encore tes secrets d’amour.
Dis-moi encore les magies de ta vie.
Apprends-moi le ciel, moi qui ne fais que le traverser d’un pas agité et inquiet.

 

Chante pour moi. Hurle pour moi.
Danse pour moi. Chiffonne-toi pour moi.
Ris pour moi. Pleur pour moi. Pour moi seul.
Raconte-moi l’amour de dieu et des hommes. Dis-moi leurs chairs et leur sang.
Le visage de l’autre est porteur de notre ombre. Et on ne le sait pas. Même si on le sait. On ne veut pas le savoir. Et nos caresses se souviennent du premier crime. A cause d’un désir pris dans le marbre. L’autre de l’amour nous désigne.

Dis-moi l’enfer qui vrille ta mémoire.
Dis-moi ton délire lancinant et mortel.
Dis-moi tes os et leurs cendres et leur haine.
Dis-moi tes cuisses ouvertes et les tritons que tu recèles.

 

L’amour nous dit en creux, comme la haine d’ailleurs. On hait d’autant plus, que l’autre nous ressemble. Parce qu’on suppose qu’il sait. Il est au cœur de notre misérable secret. Et la haine est bien un désespoir, un apitoiement sur ses propres ruines. Toute haine touche à notre vérité, tout amour à notre illusion. Et vivre, c’est marcher de l’une à l’autre, jusqu’à ce que le fil qui les joint se brise. Par trop de vérité, ou par trop d’illusions.

Dis-moi l’éternité qui porte tes offrandes.
Dis-moi ton âme murmurante et fragile.
Dis-moi ton corps et sa flamme et sa piété.
Dis-moi tes cuisses souples et ces coquillages que tu protèges.

 

Dis-moi toutes ses choses.
Dis-le moi, mille et une nuits, et quelques siècles de plus.

 

Le Fleuve. Les rives changes et pourtant c’est le même fleuve. C’est le même élan. Jusqu’à la fin. C’est le même livre qu’on relit.

Dis-moi le marbre froid de ton cou.
Dis-moi les vipères de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son abîme.
Dis-moi tes râles, tes pertes blanches, tes indécences, tes violences

 

Nous n’avons de cesse que d’aller profaner nos tombes. Pour s’assurer de quoi, au fond ? Chercher la vie au bord dea001880 ce qui a nie ? Il n’en demeure pas moins que nous avons cette passion des os décharnés, des os blanchis, des terres noires. Pour renforcer notre résistance.

Dis-moi la douceur de ton cou.
Dis-moi la forme et la pâleur de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son velours.
Dis-moi tes soupirs, tes abandons, tes pudeurs, tes outrages.

 

Étreinte des contraires. Désenchantement des non-sens. Décidément il n’y a pas d’adieux possibles.

Dis-moi tes litanies comme un poison à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand elle est sacrilège.
Dis-moi le ricanement quand tu plaisantes de moi.
Dis-moi tes conjurations quand je suis trop près de toi.
Dis-moi tes cauchemars et tes arcanes.
Dis-moi la bile de ton sang.

 

Les poésies sont des feuilles qui tombent arrachées par l’hiver. Leur mort annonce le renouveau. Recommencer, c’est seulement continuer, c’est raviver, c’est souffler sur les flammes. Même nouveau, c’est toujours une vieille histoire. C’est remonter la flamme jusqu’à la première étincelle.

Dis-moi ton chant quand tu le donnes à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand tes voiles se défont.
Dis-moi ton rire quand tu te dérobes.
Dis-moi ta prière quand je dors près de toi.
Dis-moi tes rêves et tes mystères.
Dis-moi tes larmes, dis-moi ta joie.

 

Aucune violence n’entame la mélancolie. Elle est la bougie sur le bord de la table. Elle éclaire nos passions, nos écrits. Elle a été témoin du crime. Alors elle peu bien nous accompagner. Même en silence. Aimer c’est accepter de ne jamais dire adieu. Les aux revoirs sont les ricanements du destin. Le bégaiement du temps. Ainsi la haine comme un pitoyable aveu. Et la violence un piètre abandon.

J’aime tes affronts quand ils disent : vas-t-en.
J’aime ton cri qui arrache les miens.
J’aime ton bec quand il déchire mon nom.
J’aime tes crocs qui serrent mes paupières

 

J’aime tes mots quand ils disent : je t’aime.
J’aime ta voix quand elle s’offre à ma voix.
J’aime ta bouche qui appelle mon nom.
J’aime ta langue sur le bord de mes yeux.

 

Et c’est un désastre. De notre cage, nos mots, nos chants s’échappent pour rejoindre le bruit du monde. Chacun dans sa cage. Cacophonie.

Le désir brûle, car derrière ses apprêts il veut notre propre mort et il sait toujours le chemin le plus sûr. Il nous distrait pendant qu’il avance ses pions.

Même passé l’amour se vit au présent. Ainsi la haine.

Ainsi la haine comme un pitoyable aveu.

Dis-moi l’incendie qui dévaste ta langue.
Dis-moi la substance qui écorche tes veines.
Dis-moi les cyclones qui brassent ainsi ta chair.

 

Dis-moi le feu qui brûle ton esprit.
Dis-moi l’étoile qui coule dans tes veines.
Dis-moi tes tempêtes de chair.

 

Alors, Toi la prochaine, tu n’est pas la suivante, tu es encore la première. Tu es la seule, puisque le désastre doit s’accomplir. Et que tu as la forme de l’ombre qui m’anéantira.

 

Alors dis-moi surtout la paix et le recueillement et l’abondance dans le renoncement.
Dis-moi la sagesse des sables et comment on dénude son cœur pour marcher sans impatience vers un point d’eau perdu au fin fond du désert. Dis-moi les paysages de neige, les lumières d’un hiver, et le givre comme un gant de dentelle sur les ramures déshabillées des grands cerisiers.

 

Franck.

9 décembre 2006

Mathématiques....

Il y avait sur la géométrie de ta peau des angles inconnus, des perspectives lointaines qui crissaient sous ma main, de cesmath_001 coins d’ombres où je me perdais, de ces sources d’eau brûlantes qui attisaient la soif, la faim, la peur même. Il y avait des parallèles folles et des ellipses féroces. Il y avait sur ta peau toute une géométrie de l’espace et des chiffres que mes doigts devinaient, pénétraient, décryptaient. Toute l’apesanteur et tous les centres de gravité qui se concentraient dans l’atome du souffle. Et il y avait ce vertige des nombres vers l’infini du désir ; plus ou moins l’infini, selon le sens de nos nuits, selon la pente de nos caresses. Et il y avait ce désordre des chairs, ces frottements lents et profonds à la tangente d’un soleil de nuit et de nos ventres affamés. Et il y avait nos disparitions, et nos abstractions pour lesquelles nous mélangions le chiffre de la bête et le nombre d’or. Et il y avait tes soupirs cosinus et ton cri vertical… et ma main sur ta peau, et mes lèvres sur ta peau, et mes rêves sous ta peau. Et tes larmes, aussi. Arithmétique des jours où nous nous tenions à l’écart-type de nos tentations, où nous faisions nos contes d’apocalypse, additionnant la chair à la chair, multipliant les frémissements.

C’était un temps arithmétique insatiable.

Temps qui s’avançait sur l’hyperbole de tes hanches.

Temps exponentiel.

Asymptote souveraine qui guidait nos heures vers le chant.

Mathématique du silence.

Algèbre universelle des équations à deux inconnus.

Franck.

2 décembre 2006

Ignorants....

L’amour échappait à nos mots. Seuls quelques gestes l’éclairaient. Il nous fallait cette ignorance de nous-même. Comme si les mots pouvaient chasser la présence. Il fallait n’en rien dire. Délimiter un espace inattaquable. Peut-être pour se préserver de l’incommensurable banalité.  Entretenir l’incroyable. Comme au début lorsque je la voyais traverser une pièce et que j’avais cette sensation que le réel tremblait, que j’étais entre deux espaces et que de la voir, elle, me demandait d’ajuster mon regard à ce qui le débordait. Une sensation électrique. Fugace. Troublante.

Parfois nos visages se rapprochaient. Nous fermions les yeux. Presque à se toucher. Sans se toucher. Sentir la seule Image_20d_Oedipe_20et_20Antigoneprésence. Proche. Avec le souffle, la respiration. Parfois elle passait sa main sur mon visage, comme une aveugle qui découvre un inconnu. Doigts légers. Dire l’amour dans ce silence aveugle. Eteindre tous les sens pour concentrer l’unique présence dans cette caresse. Ouvrir les yeux nous aurait annulé, effacé, anéanti.

Nous restions dans la pénombre de nos vies, à caresser les galets du temps. Pierres lisses. Ombres aiguës. Temps sans mesure. Temps de houle où les vagues se balancent de vagues en vagues, portées simplement par le mouvement mystérieux qui les enlace.

Elle brodait des caresses sur la dentelle de nos songes silencieux. Et nous étions dans l’ignorance sensuelle d’une distance impraticable. Proche, sans se toucher, à la portée d’un désir inavoué. Armés seulement de nos tremblements, pour survivre. Moi, l’Oedipe accomplissant le rêve d’Antigone. Aveugle errant, comme la métaphore d’une humanerie.

L’amour bredouille des litanies incompréhensibles, faites du frottement de la parole sur la peau d’un sein, de la coupure des mots à l’endroit du mensonge.

Nous aimons à travers nos blessures, c’est pour cela que les amants s’échangent leurs sangs, c’est pour cela que l’amour échappe aux mots. L’amour naît toujours d’une nuit d’hiver, dans le dénuement d’une saison morte. De nuit. Toujours de nuit. Et nous aimons toujours au travers d’un souvenir ancien. Et nous aimons toujours comme si nous voulions le retrouver. Comme s’il fallait le retrouver. L’urgence de renouer avec le sacrifice premier, qui nous révèle et nous détruit en même temps. La première nuit. Aimer c’est tenter de la rejoindre, dans l’ignorance de nous même. Et remonter le fleuve de nos générations.

Et les corps démentaient nos silences. Et nos corps déniaient nos souffrances.

Recommencer. Recommencer. Pour ne pas mourir. Ou pour mourir plus vite. Epuiser la langueur, fille de nos peurs. Recommencer à aimer. Encore une fois. La dernière. La seule.

Et l’amour se dérobait à nos regards. Comme à nos mots. Comme à nos vies.

Simples. Ignorants. Et tremblants.

Franck.

26 novembre 2006

La maladie des mots.....

Un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c’est hanter ses propres décombres, c’est traverser les champs de batailles de nos défaites.

Les destins naissent au cœur des nuits. De préférence au cœur des nuits sans lune. Car chaque destin est avant tout une peur, une peur tenue à bout de bras, une peur qui vous lèche le visage au cœur des nuits sans lune. Un destin c’est l’histoire d’un franchissement de la lumière. Un voyage de l’obscur au plus clair. Du chaos à l’évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Au début il a eu cette maladie. Cette drôle de maladie. Au début il y a eu cette maladie invisible, presque insignifiante. Et elle rodait, dans le souffle, dans le regard. Et elle ressemblait à l’ennui, à la lassitude. Au début on ne savait pas la nommer, et quand on la nommait on en souriait. Au début on était dans l’insouciance de l’enfance. Et il y avait trop d’enfance en nous pour s’arrêter sur si peu, sur tant d’insignifiance. Trop d’enfance.

C’est une faute. La première. Les autres suivent.

Drôle de maladie, sans formes, sans fièvre. Une maladie de rien, sans médicament. Une maladie qui n’est pas dans les os, qui n’est pas dans les chairs, à peine dans le sang, à peine dans les humeurs, silencieuse comme un serpent nonchalant. Maladie papillon, légère, aux symptômes d’enfance, cachée dans les plis de certains jeux, dans la suspension du temps entre deux rêveries, dans le hoquet entre deux rires, dans l’épuisement soudain qui envahit le ciel, l’air, le soleil. Au début c’est un voile de soie grise posé sur les yeux, sur la langue et tout au fond du crâne. C’est pour cela qu’il faut du temps pour se rendre compte qu’on en est atteint. Elle est juste un coin planté dans le fil des jours, par lequel s’échappe la joie.

C’est une maladie sans nom. Sans vrai nom. Et ceux qui la disent, ne disent rien, ou si peu. Ils en disent l’écorce, la peau, l’écume, mais taisent le long cheminement d’une douleur sans douleur, et le glissement progressif vers les ténèbres. Oui, rien ne dit cet épuisement du désir, l’effondrement du sang dans les couloirs du vide et cette vacuité insolente qui vrille chaque instant. Maladie de l’inaccessible, puisque rien n’est désormais intelligible, puisque tout est définitivement inabordable directement. Puisqu’il faut sans cesse inventer des chemins différents, pour relier en soi ce qui est disjoint, ce qui est décollé. Puisque tout est un champ d’épreuves, puisque toute la joie, tout les plaisirs se dérobent comme une eau qui s’infiltre dans les fissures de chaque geste.

Et la bougie de l’enfance se consume lentement, brûlant les dernières forces, absorbant dans sa lassitude, son accablement les dernières lumières. C’est comme un sourire qui s’efface. Ca ne fait pas de bruit un sourire qui s’efface, ça ne fait pas de bruit une enfance qui s’engourdie.

Dans les fissures du regard. Voir sans voir. Ne rien entendre aux débuts, aux fins.

La maladie des mots. C’est le nom que je lui donne. J’aurai pu dire la maladie de la vie, c’est la même chose. La maladie des mots. Il faut bien comprendre, en nous les mots sont malades. Ont peut les dire mais on ne les voit pas. On ne peut les écrire, ils se masquent, se dissimulent, se voilent. Et lire devient un champ de chardons à traverser. Et il y a 32magnifdes rivières souterraines sans fin dans lesquelles se perd la parole, et il y a des cavernes des gouffres où elle suite. Où elle goutte. Mot à mot. Et se fige dans la pierre, et dans les sécrétions de la langue, et dans les obscurs méandres d’un apprentissage impossible. Lire est un champ de chardon, comme si entre chaque mot griffait, avant qu’un néant apparaissait. Et écrire ne ressemble à rien, comme si la main se refusait, comme si l’œil s’aveuglait, comme si toutes les pensées devaient avant d’éclore traverser l’épaisseur d’un brouillard. Et il ne reste que l’oreille, qui fait ce qu’elle peut pour lire, pour écrire, pour attraper la musique derrière la stridence des brumes.

Drôle de maladie, que la maladie des mots. Elle n’empêche rien et pourtant elle entrave tout, même les rêves, surtout les rêves et le désir. Au début on est de plein pied dans l’existence, et puis la maladie des mots vous prends, et c’est comme un escalier qui se dresse devant vous, un escalier qu’il faut monter pour toutes choses, pour tous les gestes, même les plus anodins. Et vivre revient à anticiper cet escalier. Puisqu’il est là. Puisque chaque geste devra d’abord le franchir, puisque lorsqu’on arrive à la chose désirée on est déjà épuise de cette escalade.

Au début de l’enfance on reste insouciant, on croit que la vie c’est ça, que c’est cet escalier, alors on monte sans compter nos efforts, et l’on est épuisé, épuisé de tout.

L’œil, la voix, l’oreille, tout est dans le désordre et la confusion. Lorsque vous voyez un mot, votre voix ne sait le dire, lorsque entendez un mot, votre main ne sait l’écrire et votre œil est aveugle aux sons.

Il faut bien comprendre, le cerveau est parti en vacance, il gambade et vous ne pouvez le retenir, il court à travers champs et vous ne savez pas où il est. Il est en vadrouille.

Alors les mots se collent les uns aux autres, se coupent n’importe où, s’écrivent comme on les chante. Ils n’entendent rien aux règles de la vie, ils dansent et se faufilent quand on veut les saisir. Mots vagabonds, mots affranchis de tout, même de nous. Il faut bien comprendre, nos mots ne se soumettent pas, ils dictent leurs danses, leurs chants. Ils n’habitent pas chez nous.

Au téléphone Patricia me raconte. Elle est docteur des mots. Elle travaille avec des enfants dont les mots les ont quittés. Elle passe des heures avec eux à aller chercher les mots qui se sont perdus, à rassembler toutes les lettres, à les mettre dans le bon ordre. C’est un beau métier docteur des mots. Au téléphone, elle me raconte. Elle fait des associations, des sites, pour parler des mots malades, des mots perdus, des mots qui ne s’articulent pas à la langue. Elle me raconte. Surtout l’histoire de cette maman. De cette maman écrasée de honte de peur.

« Je lui ai parlé de toi… tu sais depuis l’enfance son calvaire, et toutes les difficultés, à masquer, à contourner…. Alors je lui ai parlé de toi, et de l’écriture… de la tienne, tu sais l’écriture de la maladie des mots….j’avais imprimé ton texte celui où tu parle de ça, « Je fais des fautes »…et j’ai voulu lui lire…et puis, tu sais l’instant était presque grave, comme si l’on touchait le centre de l’univers… tu sais elle ne lit jamais, à cause de l’effort, à cause que c’est impossible, alors tu imagines… à haute voix, c’est comme un chemin de croix, avec les chardons sur la langue… » A l’autre bout de la voix, j’écoute, et je sens monter la brutalité d’une émotion. Violente. Qui racle tous les souvenirs d’un seul coup. « Alors je commence à lire ton texte… et puis elle m’arrête… elle me prends le texte des mains, et elle dit : « je vais lire, moi… moi je vais lire »…. Alors elle commence… » Patricia me raconte cette femme lisant le texte, ânonnant le texte. Et moi j’ai l’impression de l’entendre, de la voir trébucher dans mes mots, oui je la vois tomber de la langue et se relever, se redresser, s’épuiser à chaque chute, mais se relever, comme si cela devenait vital de retrouver une dignité là, à cet endroit, à ce moment précis. Et j’écoute Patricia, et des larmes coulent, lentes, grosses, et dans cette fraction de temps, je sens déborder tout l’ennui et la désespérance de mon enfance. Et je sens que les chardons ne me blessent plus. « Tu sais, c’était dur, elle accrochait, elle buttait… » « Oui, je sais… les chardons… »

Il ne faut pas s’y tromper, car on pourrait en sourire, la maladie des mots n’est que la partie visible, parfois risible…mais c’est la vie entière qui est contaminée.

Chaque pensée.

Chaque geste.

Imaginez ce grand escalier en amont du désir, cette escalade qui brise tous les plaisirs. Imaginez toutes les stratégies qu’il vous faut inventer pour éviter cet escalier, pour éviter l’épuisement, l’ennui. Imaginez tous ces détours qu’il vous faut prendre, imaginez combien de fois on s’y perd, dans ces détours.

Elle me disait, au téléphone, toute cette émotion, de ces pas balbutiants dans le lire. Et je me souvenais. De ses heures que je passais dans le silence de ma solitude à lire a haute voix. A lire sans accrocher un seul mot, à lire en essayant d’effleurer le texte. Seulement. Aller, Franck, ce paragraphe, ce paragraphe sans bafouiller… tendu jusqu’à me casser en mille parties. Et immanquablement la bafouille arrivait. Immanquablement. Parfois dans les derniers mots du paragraphe.

Elle me disait toute cette émotion, de cette femme lisant mon texte…

Alors, j’ai lu envers et contre tout, passé les embûches les unes après les autres. Des milliers de livres, avec plus d’entêtement que de plaisir. Toujours les chardons dans les yeux et les escaliers. Alors j’ai écrit, envers et contre tout. Inventant mon écriture à force de l’écrire, avec plus d’entêtement que de plaisirs, parfois, mais avec la certitude que les chardons fleurissent aussi. Un jour.

Avec la certitude qu’un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c’est hanter ses propres décombres, c’est traverser les champs de batailles de nos défaites. C’est monter en premier les escaliers du désir, comme on monterait des gammes, comme on monterait des marées, avec entêtement, constance. C’est dire et redire en articulant chaque phrase de la vie, avec obstination, âpreté, en hurlant s’il le faut.

Je sais l’image qui se dresse en haut de l’escalier. Image tutélaire. Celui qui tenait la parole et les silences. Celui qui possédait les livres.

Quand je lis à voix haute j’ai le goût de tes cendres dans la bouche. Je suis sans haine, mais sans amour ni pardon pour toi. Je te dois tous les escaliers de la terre et toutes les ivresses. A dix ans je savais que j’écrirai. J’ai mis une vie à le faire, ma patience s’est habituée au goût de tes cendres. Et je t’userai, comme j’use ma langue et mes mots.

Quand j’écris je suis éternel et cela suffi à ma joie d’avoir l’éternité pour savourer ta cendre et de voir fleurir les chardons en haut des escaliers.

Tu vois, papa, j’aime les livres longs, épuisants, j’aime les textes longs, épuisants… mon âme est faite d’attente, et de cette lente montée vers les étoiles. Et contre ça, tu ne peux rien. Les marches de mon escalier sont faites de mots… et la langue est infinie.

Un voyage de l’obscur au plus clair. Du chaos à l’évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Franck.

(Pour tous les dyslexiques et les dysorthographiques)

(Merci Patricia pour cette image...)

19 novembre 2006

Une histoire de rien....

En parlant du rien, puisque c’est toujours de cela dont il s’agit. De ce lien qu’on a avec lui. Du badinage qu’on entretien avec lui. De nos nuits d’ivresse avec lui. De nos noces décomposées. Puisque c’est toujours de cela dont il s’agit. De cette longue histoire avec ce si peu. Je me souviens. De ce rien qu’on ne sait pas nommer, qu’on reconnaît à peine, de ce rien vaste comme un océan, à l’apparence insignifiante, à l’appétit d’ogre. Et puis, sa veulerie. La notre plutôt. Oui, je me souviens de ce temps d’analyse. De ce temps du divan. De ce temps de la parole et du silence. De ce long monologue jeté à un plafond fissuré. Répandu dans une pénombre d’antichambre.

Au départ, ça commence dans une profusion, une exaltation de la parole. Au départ on est dans l’aisance de l’histoire. Des histoires. On essaye tout, par chronologie, par thèmes. On départ on pense que ça ne finira pas, qu’on aura toujours quelque chose à dire.

Avant d’entrer chez la femme de l’ombre on a préparé tous les pans de notre histoire à révéler. On veut expliquer, faire comprendre.

Derrière, elle ne dit rien, ou si peu. Parfois elle pointe un détail, un mot. On s’arrête, on évite, on bifurque. Et on parle, on raconte. Notre histoire n’est pas très intéressante, pourtant à force de la dire on pourrait la croire passionnante. Au départ rien n’est très important, les mots se bousculent. On cherche des vérités qui sont bonnes à dire, enfin. Et puis des vérités plus douloureuses. Et même ces vérités douloureuses sont bonnes à dire, encore. Et le temps passe, on est de plus en plus précis. On cherche le détail, on soulève les souvenirs un à un, à la recherche du signe, de la marque qui porte notre nom, qui désigne notre fatalité. Et la femme de l’ombre accompagne cette profusion tapie dans son silence, avec l’abandon nécessaire à tout bonne patience. Papa, maman, les sœurs qu’on pas eu, ce qu’on à fait, ce qu’on a pas fait, nos femmes, nos enfants, nos amours, le sexe de nos amours, nos masturbations, nos faits d’armes, nos défaites, notre grandeur, notre misérabilité. Il faut tout dire, alors on dit tout, dans l’ordre ou dans le désordre. Nos peines, nos chagrins, nos lâchetés, l’ennui, l’enfant qu’on était, l’enfant qu’on est resté. Au départ, c’est un grand ménage, un grand déballage, on gansouille dans nos eaux saumâtres. La dame de l’ombre attend. Peut-être que si l’on se retournait on la verrait sourire, ou dormir. Mais au départ on se moque de tout cela, on est seulement dans l’ivresse des mots. Dans cette délation de nous-mêmes, dans ces aveux de confessionnal. On parle, on paye, comme si on allait aux putes et tout est bien ainsi. On se demande parfois à quoi tout cela peut servir, mais on continue. A cause de l’ivresse.

Trois fois par semaine. Et les mois passent. Bien sûr on commence à voir derrière l’histoire de drôle d’articulations. On voit bien certaines formes invisibles à l’œil nu de la vie quotidienne. On voit bien d’autres histoires sous les histoires. On voit bien d’autres mots sous les mots. On voit bien des larmes sous les sourires, ou quelque abîmes sous les vagues. On devine bien d’autres désirs sous les désirs. A chaque séance on monte une marée. Et la mer est sans fin, et le temps de l’océan sans limite. Et la dame de l’ombre devenait peu à peu mon oreille. Peu à peu mes yeux.

Et puis, un jour, l’eau des mots commence à se tarir. Le flot est moins important, de gros cailloux de silence font des remous, où les mots viennent s’enrouler. Tourbillons d’écume blanche, où la parole disparaît comme dans une sorte de vortex de la langue. Et la dame de l’ombre est toujours là. Silence contre silence. Au début cela n’est pas fréquent. Pour éviter ces écueils on prépare plus à l’avance. Mais le dernier quart d’heure devient difficile à combler. Il y a du sable sous la langue. Des cendres dans la voix. Un peu plus de rouge dans les silences. Un peu plus de sang dans l’attente. Un peu plus de peur dans les souvenirs.

Il y a une ivresse du silence. Un vertige. Presque une volupté.

Et puis une douleur.

Avec le sentiment de dérisoire. Une vie est faite de si peu de chose au fond. Même bien remplie. Il y a si peu d’événement. Si peu de encontre. Si peu à en dire.

Alors c’est le temps des silences qui commence. De ces séances vide. Vide et lourdes, et douloureuse. Le temps du rien. Des colères contre la dame de l’ombre. Des colères contre soi.

Il n’y a plus qu’un filet spasmodique d’une eau troublé, tremblante. Si peu assurée de couler vraiment. Il n’y a plus que le lit asséché d’une vie désossée. Avec un limon sombre qui se fendille. Avec ses flaques boueuses.

S’allonger sur le divan pourpre devenait pénible, presque insupportable. Le silence se nourrit de lui-même. Il s’encourage. Se fortifie. S’additionne. S’engraisse.

Il arrive que les couches de silence soient si épaisses, si compactes, qu’il devient presque impossible de le rompre, de le traverser. Chaque phrase part du plus loin du ventre, et remonte avec lenteur tout au long de l’estomac, pour venir peser sur les poumons. Chaque phrase cherche son souffle dans un air raréfié. Et les mots prennent des sens bizarres, baroques. Ce sont des mots tiroirs. Remplis de mystères.

La dame de l’ombre est à son œuvre. Elle tient ferme l’autre bout du silence. Elle tend la corde du silence. Sur laquelle quelques pauvres mots tentent de garder l’équilibre. C’est le temps des larmes, des doutes, des nœuds. Sous notre vie il y a des paysages étranges. Derrière nos souvenirs il y a des plaines venteuses, des landes tristes.

De quoi parlons nous quand nous avons tout dit. Que reste-t-il à dire. Au-delà de l’histoire, bien après l’anecdote. Bien avant.

Allongé je regarde la fissure du plafond. Je ne veux rien dire. Je ne veux plus rien dire. Plus jamais. Et cela dure, des séances entières. Parfois je sens mon corps envahi de chaleur. Parfois j’ai froid. Et je cède. Aux mots. Aux relents des mots. A leurs spectres.

Là, on ne raconte plus.

Il ne reste que des lambeaux de phrases. Des bulles qui crèvent le plafond, qui crèvent le lit du torrent asséché, bulles de souffre. Sous le lit, il y a d’autres lits, plus sombres, plus denses.

Bien après, il n’y a plus que des formes. Car peu à peu on entre dans le royaume des ombres. Et la dame de l’ombre semble bien les connaître.

Temps du rien. Souvent j’avais l’impression de construire une muraille invisible, à l’envers du décor. Temps du vide. Lancinant. Epuisant. Temps des redites. De l’usure. Comme si l’on agrandissait le vide. Comme si c’était cela l’important. Comme si à force d’être dans ce rien continuel cela donnait une consistance au vide. Comme s’il était vivant en nous. Longue traversée. Longue marche de la parole où les silences pèsent plus que les mots prononcés, où le temps vide compte plus que tous les actes posés.

Quatre ans. Quatre ans. Dans le désordre du sens. Quatre ans à être éparpillé dans ses défaites, à flotter dans ses naufrages. A creuser le son de sa voix, à border la parole, comme on borde un enfant malade. A errer. A n’être qu’uns errance.

Un jour on arrête. Pus précisément on suspend. On accroche son silence au clou de l’amour planté dans la fissure du plafond. Un jour on suspend. Il ne faudrait pas. Mais on le fait. C’est ainsi.

Après, bien après, on commence à écrire. C’est les mêmes mots, c’est le même silence. C’est la même voix. C’est la même douleur et la même exaltation. C’est aussi vain et aussi essentiel. Comme une errance souveraine. Comme une ultime dignité.

Franck.

18 novembre 2006

Longtemps...malgré les étoiles...

Longtemps. Dépouiller l’acte de toutes les arabesques du plaisir, de toutes les facilités, de toutes les passions, de toutes les excuses, de toutes les raisons, de toutes les déraisons. Le faire assez longtemps pour le dénuder de tout. De tout. Des justifications, des explications. Jusqu’à l’os. Au-delà de l’os. Etre dans la lenteur progressive de cet échange, de cette clarification. Cette décantation de l’être. Comme l’acquittement d’une dette. Même si ce n’est pas une dette. Donner à l’acte la chance de la durée. Uniquement la durée. Tenter d’atteindre la constance de la mort. Fabriquer du temps, même vain, même insignifiant, surtout insignifiant. Cette patience renouvelée. S’appliquer à l’acte, au geste. Sans rien attendre en échange, ni remissions, ni miséricorde. Accepter et s’appliquer. Et même si cet entêtement est désespéré. Désespérant. Même.

 

Dans chaque acte, dans chaque geste il y a d’abord une partie friable, fragile, faible, ça s’appelle l’enthousiasme. Après cela se durci. Cela s’appelle l’ennui. Et tout commence là. A cet endroit dur de l’ennui. Notre endroit, lâche, notre endroit inconstant, mou, indéterminé. C’est bien avec ça qu’il faut vivre.

 

Il n’y a là, ni grandeur, ni noblesse, dans cette usure du geste. Non, il n’y a rien, sinon l’affirmation et l’insistance de ne céder à rien. Tout acte prend sa dimension parce qu’un jour on consent à le faire, et à le faire longtemps. Ainsi le laboureur. Ainsi le pèlerin. Ainsi l’océan et ses marées. Ainsi l’attente amoureuse. Ainsi la solitude. Ainsi l’écriture.

 

Toute chose inutile faite longtemps allume une étoile ? Tout acte qui peu à peu nous vide, non parce qu’il nous dérobe, tout acte qui nous épuise parce qu’il réclame plus que lui-même, parce qu’il réclame notre substance, nous augmente ?

 

Le longtemps donne l’illusion du toujours et le toujours donne l’illusion de l’éternité. Illusion contre illusion. Qu’importe. Au bout du compte il ne restera que l’os. Et puis les cendres de l’os. Et puis, rien. Malgré les étoiles. Il faut bien atteindre la mort avant qu’elle nous atteigne. Il faut bien être mort avant qu’on soit mort. Car on pourrait aimer en chemin, et tout s’aggraverait, inutilement. Malgré les étoiles. Et les baisers de cendres. Crâne contre crâne. Os contre os. Illusion contre illusion. Malgré les étoiles.

Franck.

11 novembre 2006

A peine quelques mots.....

Comme une sorte de patrimoine génétique nous marchons dans nos textes avec une poignée de mots, toujours les mêmes. Et quoiqu’on fasse, il sont là, toujours les mêmes. La même poignée de cailloux qui roulent sur notre parole. Et ils sont la rocaille de notre langue. Et l’on voudrait en changer, et l’on n’y parvient pas, puisque l’on se décomposerait si l’on y parvenait. On pourrirait sur place. Dans l’instant. C’est eux, ces quelques mots de hasard, qui nous tiennent, avec les tonnerres qu’ils traînent, et les tempêtes qu’ils brassent. Tout tient sur quelques mots. Cinquante, cent, pas plus. C’est notre trésor et notre chemin de croix. Quelques mots, toujours les mêmes. Bien sûr que l’on veut les contourner, et que les chemins du texte veulent s’en éloigner, mais ils reviennent comme une vague, comme une grosse marée, comme si notre pensée, toute notre pensée se rassemblait là, en quelques mots, toujours les mêmes, comme si nos sensations, nos impressions, nos sentiments, nos élans, notre espérance tenait entiers, là. En quelques mots. Toujours les mêmes. Un petit sac de cailloux. Poussière tenace du verbe.

Ils s’inscrivent dans le texte à notre insu, on ne fait que les retrouver, on ne fait que leur céder. On butte, on trébuche dessus. Et puis on cède. On ne les a pas choisi, ils ont toujours été là, en nous, avant nous. Ils nous attendaient.

 

Ecrire c’est le double mouvement qui tente de nous en éloigner, et qui nous y ramène. Toujours. Dans chaque texte il y a une fatalité. Il y a ce mouvement de la vie et de la mort. Et il y a ces mêmes mots entre les deux élans du mouvement, cette tension de quelques mots jetés au hasard de la page et qui se regroupent, pour nous signifier, pour nous éprouver un peu plus.

Même chant de l’usure. Et ils sont la voix d’avant notre voix, et ils nous précédent dans les saisons à venir, dans les saisons passées. Nos pauvres mots. Misérables. Pitoyables.

Peut-être nous gardent-ils en nous même de peur que l’on s’enfui ? Peut-être sont-ils la terre de notre exil ? Et le seul chant que nous connaissons. Sable, restes, rognures de nos chagrins. Ils enchaînent notre langue. Ils nous signent. Ils nous saignent. Ils nous assignent. Ils sont le champ clos de nos errances, de nos courses empêchées. De notre pauvreté.

On les répète sans cesse, c’est cela qui nous effraie, qui nous sidère. Qui nous fait croire fou, déraisonné.

 

Alors on appelle le silence, pour les taire, pour les tuer, pour les blesser. Mais, même au creux de notre silence le plus profond, ils sont là, tapis dans l’ombre de la langue, ou dans un coin de désir, ou dans un éclat d’espérance.

Chacun a les siens, comme chacun a sa croix. Ces pauvres mots qui débordent de leurs significations, parce que nos vies les a dévoyé, corrompu, parce qu’on les a chargé comme des navires et qu’ils dérivent, maintenant dans notre parole, loin des ports et des escales, loin des rives, loin des âmes.

 

Alors on les retrouve de texte en texte, comme des hoquets de la langue. On les retrouve avec des habits différents, des couleurs changées, ils tentent de se dissimuler, mais toujours ils reviennent. Toujours ils sont là. Cailloux usés de notre indigence. Cailloux roulant la langue, pesant du poids du malheur, du destin, comme un enchantement ou un ensorcellement. Et ils sont la litanie de nos jours, de nos heures d’écriture, et ils conduisent le texte là où ils veulent, toujours au bord du gouffre, toujours au bord des peurs, découpant la forme de notre île, découpant nos distances.

 

Au début on les croit nos amis. Alors on les invite au festin de la parole. On croit aux noces, aux significations, aux Myosotis_20scorpioidesrévélations. Ils permettent d’avancer dans la langue. Et puis on commence à les user. Ils deviennent familiers. Trop. C’est après qu’ils se déploient. Parce qu’ils sont juste un peu plus grands qu’eux-mêmes, ils se déploient. Parce qu’ils débordent juste un peu de leur sens, parce qu’il y pend toujours un peu de notre chair. Ils se déploient, comme la toile d’une araignée. Ils sont là avant le texte. Avant nous. Pour parler le texte à notre place. Pour raconter leur propre histoire, indifférents à la notre. Ils racontent une histoire qu’on ne comprend pas toujours, une histoire dont on est exclu souvent.

D’où nous viennent ces mots, ces mots qui se répètent ? Comment se sont-ils accrochés à notre langue ? Que savent-ils que nous ne sachons pas ?

 

Peut-être qu’écrire c’est ne pas utiliser toute la langue ? Peut-être que c’est tenter de tout dire avec très peu ? Peut-être qu’écrire c’est précisément cette répétition inlassable de quelques mots ? Peut-être que c’est cette pénurie, cette pauvreté de nous, cette indigence. Peut-être qu’à force de les répéter, leur sens peut s’agrandir à l’infini. Peut-être qu’il ne suffirait que d’un seul mot ? Un et innombrable… peut-être….

 

Les plus beaux bouquets sont fait de peu de fleurs. Pas les plus grandes. Pas les plus belles. J’en ai reçu d’éternel, qui n’en avaient qu’une.

Une petite fleur de talus, froissée, nue, tenant l’univers dans ses pétales.

Franck.

4 novembre 2006

Le silence des amants...

Il y avait ces instants où nous restions silencieux. Dans cette petite maison. L’hiver. Avec simplement le feu qui crépite. Je me souviens. Les lentes après-midi. Patientes. Sereine. Chacun en soi et en l’autre. En même temps. Avec parfois un regard vers l’autre pour s’assurer de l’épaisseur du temps. Eprouver la présence. L’éclat de son œil. Son sourire. Nos gestes se ralentissaient. S’adoucissaient. Les moindres mouvements devenaient concentrés, appliqués. La lecture du livre s’approfondissait. Et le feu accompagnait nos présences. Andante. Les heures se lovaient dans de grands coquillages moelleux. Interminables spirales de ces instants où nous restions silencieux. Instants de velours pourpres. Lents affaissement. Avec seulement la respiration de nos regard. Infiniment proches. Infiniment seuls. Infiniment souverains. Deux îles d’un même océan. Même dérive dans la saison des lenteurs et des ombres amicales. Instants défaits de toute attente, dénoués de toute fièvre, déliés de tout enjeu. Le fil de soie des siècles brodait des heures lumineuses sur la dentelle de nos mystères. Je me souviens de cet hiver d’avant la fin, d’avant la neige, je me souviens de ces instants où nous restions silencieux, de sa peau blanche et de ses yeux baissé sur son livre de poésie, de la lenteur de ses gestes pour tourner les pages, du froissement de tulle de son visage lorsque sa rêverie trébuchait et qu’elle la relançait un peu plus loin, un peu plus fort. Transparence vacillante de la lumière d’hiver, souffle lent d’un voyage à travers nos temps mélangés. Hors de soi, loin de soi, et en soi pourtant. Sans langage pour le dire. Sans langage pour nous dire. Uniquement nos respirations pour le vivre. Le prolonger. Temps débordé de nous-même. Offert. Accueilli. Temps des marges, en dehors de nos chronologies. Et nous étions comme survivants de nous-mêmes. Eternels dans ce temps suspendu, à l’arrière des mondes connus, devant nos vies décomposées. Ignorants de tout sauf de ce temps incrusté dans le silence. Instants sans mémoires, dépourvus de tout. Même de l’écho. Même de la menace. Même de nos chairs. Même de nos sexes.

Instants tenus dans l’équilibre d’un songe. Tendus entre les rives d’un océan étrange, à la fois immense et tellement étroit. Familier. Bienveillant. Chaud.

Fragile.

Il y a un moment où le silence se nourrit de lui-même, il s’encourage. Il vit. Et il veut vivre plus. Il s’additionne. Alors il appuie un peu plus fort sur les yeux, sur les poumons. Il se recroqueville au fond de la gorge. Il se met à vibrer pour éprouver nos faiblesses, nos chemins, nos désirs, notre jouissance. Temps du silence où la mort est douce. Parce que nous avons quittés les lieux, le temps des horloges, quittés les malentendus. Car le silence n’est pas l’absence de bruit, ou de mots, le silence est un surcroît, la saturation de l’existence singulière, l’extrême tension de la signification. C’est entrer dans une cathédrale.

Le silence à deux c’est comme un livre aux pages blanches qu’on lirait à deux. Et au fur et à mesure des pages, le texte s’écrirait. L’histoire du monde ou des amants des neiges, texte océan, texte aux lenteurs cruelles et belles, texte étrange sans rimes ni contours, sans ponctuation, une interminable litanie aux dialogues entrelacés, aux souffles entremêlés.

Il y a dans ce silence partagé, ce silence à deux, comme l’augmentation d’une danse. Car le silence possède sa propre grâce, une élégance particulière qui appelle la miséricorde. Il vient pas à pas de l’arrière de nos vies pour nous débarrasser du poids de nos chairs et préciser l’exacte définition de notre présence ici. C’est pour cela que le silence est parfois douloureux. Comme l’amour, comme l’extase. L’extrême nudité de la parole. L’extrême passion du don, comme une épiphanie des amants.

Franck.

29 octobre 2006

La couleur des océans.....

L’écriture tient dans cet effort à gagner une rive qui se refuse à notre brasse. Dans cet échec toujours renouvelé. Et plage_hawaiconsenti. De la mer dont on est sorti il nous reste le mouvement lent et monotone, et parfois furieux, des marées. L’impossible immobilité. L’impossible rivage. Et l’écriture s’essaye à définir les contours d’une réalité sur laquelle on ne pourra prendre pied. Avec ses noces impraticables. Imaginaires. Illusoires. La plage est une cicatrice. C’est pour cela que les amants s’y confessent. Ils ont l’instinct des tragédies et des sacres. Et l’écriture tente de regagner la plage, de rejoindre les amants, elle a l’instinct du sacrifice. Et l’écriture, et les amants sont dans le même lieu, dans le même temps, et ils ne peuvent pas se voir, et ils ne se rencontreront jamais. Et c’est dans ce jamais, qu’il faut hasarder sa vie. La concevoir et l’endurer. Et le poète tourne le dos aux amants de la plage, et choisit l’horizon. Parfois certains amants le suivent. C’est rare. La couleur bleue de la mer vient de là. Des naufrages des amants. Et de leur résurrection au fond des océans. Et du chant des poètes qui n’en finissent pas d’agoniser.

 

 

 

Car il m’a fallut naître….

Naître…..Naître…….Naître…..

 

 

 

ÐÑ

 

 

 

Le reflux

 

 

 

La douleur violente c’est peu à peu retirée. Marée basse. Lentement retirée. Chaque instant nouveau découvre l’étendue du désastre. L’infini du désastre. Plus je suis déserté par les eaux plus je perçois l’effroyable déchirure. Ecartelé, déchiré, je ne sens plus la torture dans ma peau, dans ma chair, dans ma viande. C’est plus sournois, plus diffus. Comme de l’eau qui se retire d’une plage. Une eau pleine de lassitude. Un effondrement si lent. Un effondrement vague après vague. Effondrement d’énergie. De l’âme. Après le corps c’est toujours l’âme qui veut disparaître.meduse_sol

Quelque chose de l’unité n’existe plus.

A chaque instant je crois me dissoudre dans le vide laissé par la déchirure, par la vague. Il n’y pas d’angoisse, pas de peur, seulement une tension permanente. Permanente, lancinante, agaçante. La sensation que l’océan se vide vague après vague. C’est ça qui use. Etre l’alpha et l’oméga du néant.

Au-delà du désespoir.

Un désespoir qui n’a pas de forme, pas de résistance. L’eau de l’âme déserte la plage. Il n’y a plus rien que le vide. Vague à l’âme. Vide épais, pesant. Le vide ce n’est pas un rien sans consistance, non, c’est un rien compact, pâteux. Il est sans forme, mais il est lourd, tellement lourd. Lourd comme l’éternité, comme la mort.

Vague après vague je disparais un peu plus, recroquevillé sur mon vide, sur mon absence. Séparé, divisé, déchiré, en exil de la vie. L’autre vie. Celle d’avant.

Avec seulement cette tension. A moins que ça soit çà. La vie. Le souffle tendu dans une attente vaine. Pas d’envie, pas de désir, que de l’attente. Attendre l’envie et le désir. Espérance de désir... pour désirer rien. Rien, jusqu’à la fin des temps.

Se souvenir. Ca ne marche pas. Je n’ai pas de mémoire. Les images semblent sortir de mon corps. Plus vivantes que moi. Mais ce n’est pas du souvenir. C’est du sang que j’entends battre sur mes tempes, c’est l’odeur qui envahie mes fosses nasales. Ma gorge.

Noir. Tout le reste est noir. Je n’ai plus de passé, d’ailleurs je n’ai plus rien. Je ronge l’attente comme un vieil os usé. Je ne peux même pas me tuer. Il n’y a rien à tuer. Personne. Je suis là. C’est tout, je suis là. Mais je n’existe pas. Tout a reflué. La plage est déshabillée, nue.

Je suis nu. Non. Je suis rien.

Quelque chose passe, s’épuise. Je ne sais pas ce qu’est le temps. Quelque chose s’épuise. Quelque chose en moi s’épuise. Du temps, du rien. Sans violence, sans révolte, comme la mer qui se retire. La mer qui s’enroule sur elle-même, qui s’absorbe elle-même, qui ravale ses sanglots, vague après vague, laissant derrière elle cette hideuse dentelle moussue, rouge, silencieuse qui s’accroche encore à quelques cailloux miséreux, qui n’en finissent pas de s’user, eux aussi.

Je ne suis plus lié à mon corps. Je sens quelque chose qui résiste, alors je dis que c’est mon corps. Mais je ne suis pas sûr. Avec les dernières vagues mon image disparaît et les miroirs se taisent. Ils ne me savent pas. D’habitude les miroirs savent les images. Là, ils ne me savent pas. Pas encore. Pour toujours. Peut-être.

J’ai les yeux tournés vers l’intérieur. Même pas. Je suis aveugle. Le monde a perdu son épaisseur. Etranger, abandonné au-delà de la mer.

Au-delà de la mère. Bien après la dernière vague. Ce n’est pas un lieu, c’est…. ça ne se défini pas. Ca ne se dit pas.

La plage est vide, encore humide. J’ai tout oublié, l’eau, la tempête, le bruit, les cris, la souffrance. Je ne souffre pas. C’est pire.

Je vis.

Au fond de ma gorge, ce goût fétide qui m’empêche d’hurler. Ce goût laissé par la dernière vague. Senteur marine. Non, plus fade, comme l’odeur blanche de la mort. Je suis là dans un présent mobile, indéfini. Je ne sais pas si je dors, je ne fais pas la différence. A cause, sans doute, de ma mémoire. Saturée de douleur, de néant.

Le seul mouvement qui me reste c’est celui de la mère qui s’enfuie.

Je m’éloigne du rivage.

Toujours un peu plus.

J’entends ma respiration. C’est la mer qui rumine. La mer monstrueuse méduse halète.

Allaite.

Je vois son corps immense trembloter. Non, c’est moi qui tremblote. Je suis une méduse qui tremblote. La transparence épaisse d’une méduse échouée au bord de l’océan : et qui tremblote.

Une mère à marée basse laisse toujours une impression d’inachevé.

D’inachevé.

Elle pourrait descendre encore, descendre sans fin.

Mais, à un moment donné, il y a la dernière vague. Puis plus rien. Puis l’attente.

 

 

 

ÐÑ

 

 

 

L’étale

 

 

 

A force d’attendre je crois voir les images.

Des morceaux d’images.

Mon corps de méduse est trop mou pour accrocher les images. Pourtant je les sens, elles s’incrustent, elles glissent, elles rampent. Ma tête ne peut les retenir. Ma chair non plus. Je ne comprends pas. Pas de maîtrise, pas de sens, pas de forme. Rien qu’une femme écrasée dans les plis désespérés d’un corps mou, translucide. Et moi. Et ça. Morceau d’image. Morceau de corps.

Pas de son, pas d’odeur.

Peut-être une odeur. Je ne peux pas dire ce que c’est. Une odeur. De toute façon elle est mélangée à la couleur. Peut-être l’odeur de la méduse. Je ne sais pas d’où elles viennent, les images. Les morceaux de cette femme. Cette femme éventrée. Il n’y à pas de sang. Pourtant elle est éventrée. Je le sais. Quelque chose de la méduse le sait. Au bout de la mère, au bout du mouvement ces choses là se savent. Tout le monde le sait qu’elle est éventrée. Pas besoin de sang pour le savoir. Les méduses ne saignent pas.

Immobile.

Je sors d’une blessure baveuse.

Je suis la blessure.

Pour toujours.

La mère immobile. Seulement les images superposées de cette femme. Je sais que c’est moi. Je ne le vois pas. Je le sais. J’ai toujours su qu’elle était éventrée sur des lits poisseux de désir.

Ma peau est gluante comme une méduse gluante.

Pour toujours.

Elle a cette sorte d’immobilité étrange. L’image. La femme. La mère. L’immobilité vertigineuse des rêves. La peau est pâle. Il faut dire la viande. La viande correspond mieux à ce que je sais. Une viande gluante, visqueuse, ouverte.

La femme est ouverte. Les cuisses sont ouvertes. C’est normal. C’est toujours comme ça. On dirait une méduse oubliée au bout d’une plage. Elle. Moi. Je ne suis pas sûr, parce que se sont des morceaux d’images. Et puis, je n’ai pas tous les mots parce que je suis en morceaux et ouvert.

Non, c’est elle qui est ouverte. Quand on est ouvert, on n’a jamais tous les mots. Je le sais. Tout le monde le sait.

Il faudrait faire des phrases. Pour mieux respirer. Des phrases longues avec de la mémoire. Je suis sûr qu’il faut de la mémoire. Tout le monde a de la mémoire et peut faire des phrases longues qui racontent des histoires. Les phrases longues, c’est pour raconter les histoires de la mémoire. Les histoires du temps. Du vrai temps.

Avec de l’avenir et du passé.

Non, pas du passé.

Plus jamais du passé.

La mémoire ce n’est seulement que pour du passé.

Je n’ai pas de passé, alors je n’ai pas de mémoire. Les images, c’est du présent. Rien que du présent. Tout est enfermé dans les images. Tout s’y arrête, comme la mer, comme la méduse.

Si seulement l’eau pouvait revenir. La mère. Mais elle est basse, moi, je suis trop las, trop lisse. Même éventré.

Trop lisse. Eventré de l’intérieur.

L’exil.

Je suis exilé. C’est le mot qui convient. Hors de mon lieu. Prisonnier ailleurs, plus loin, encore plus loin, dans les images sans doute. A l’intérieur c’est vide. C’est pour ça que je suis exilé. Un vide à l’intérieur qui sépare et déchire.

 

 

 

ÐÑ

 

 

 

Le flux

 

 

 

Seulement un peu d’eau.

Le moment où l’univers reflue.

L’eau suce à nouveau la terre.

La terre aspire.

J’aspire

Comme un trop plein de vide.

Jusqu’à l’écœurement.

Tout d’abord il y un bruit imperceptible. Un peu de mousse qui se forme. Quelques bulles, un peu comme de la bave qui viendrait blanchir le sable. A nouveau. Quelque chose à nouveau s’accroche.

Entêtement fatal.

Avant le mouvement il y a l’intention du mouvement. Un désir, un rien. L’écume baveuse qui vient mouiller un peu plus loin le sable. On pourrait croire que cette mouillure tente de surgir du sable. Une mouillure de l’intérieur du sable.

Avant le mouvement il y a cette impression de suintement de l’intérieur.

La respiration vient après.

Du silence sort un souffle.

Il est diffus. Il est là : lent, profond, inévitable.

Inévitable.

C’est vraiment un souffle. Une respiration vivante.

L’infini qui respire.

Un trouble. Une ivresse.

Sensation troublante, comme est troublante l’apparition de cette mouillure venue de l’intérieur. Quelque chose de vivant. Trop vivant.

Cette respiration, cette succion, cette bave.

Rien n’est coordonné. Je ne perçois ces éléments que séparément. Pas d’unité.

Il n’y a pas d’unité.

Au début il n’y a jamais d’unité.

Que ce souffle. A l’intérieur. Plus d’eau. Seulement le souffle. La mémoire de l’eau qui berce.

Quand la mère se retire.

Quand la mère se retire il y a l’effroi. L’abandon à l’effroi. Bercé dans l’effroi. Je crie.

Rien que du cri. Pas les mêmes cris. D’autres. J’en ai plein la gueule. Ils me submergent, m’envahissent.

Maintenant la mer est à l’intérieur. La mère. Je crois. Son mouvement. Tout remue à l’intérieur avec cette respiration. Une vague moussue m’enveloppe, mais en dedans. Elle clapote insignifiante et têtue.

C’est quoi le néant ? La mère peut-être ? Sans doute. L’extase des ténèbres. La mère c’est toujours l’extase des ténèbres. Elle est là dedans. A jamais. Fascinante comme la mort, ou quelque chose qui y ressemble. La seule chose vivante ici c’est la mort.

Elle monte à l’intérieur comme une marée naissante. Le flux de la mort. Le reflux de la mère.yun_2785

Maintenant la mer est là, qui monte comme une désespérante envie. Inexorable attraction du désir. Douloureux dans la chair. Plus profond encore que la chair. Dans le ventre. J’ai un océan dans le ventre. Un océan de désir douloureux dans le ventre. Quelque chose qui grossi, qui déferle. Vague après vague. Toujours plus haut. Plus fort. Impitoyable avalanche de la mer qui monte du plus profond du ventre.

Tout s’agite. Maintenant. L’univers bouillonne. Plus bas que le ventre, à l’endroit ultime d’où la marée remonte. Le seul endroit. Le lieu. D’où se dressent les vagues. Le trou obscur de l’univers.

J’entends les bruits de la mère. La mer s’arque boute sur un désir convulsif pour enrouler ses vagues toujours plus loin dans le ventre, vers une plage inaccessible.

Inaccessible. Voilà, c’est tout. Inaccessible. Le reste, tout le reste est un perpétuel recommencement.

La seule réalité se sont ces marées inutiles dans un univers inutile.

Il y a quelque chose de vain dans les marées. Pendant un instant, pendant que la nature pousse on se prend à espérer. Puis elle reflue. Se recroqueville.

Les marées n’accouchent de rien. La mer n’accouche de rien. La mère aussi.

Sûr d’une chose. L’invincible douleur. Le mal absolu de la déchirure.

Rien d’autre.

Se taire.

Regarder la mer jusqu’à l’ultime marée.

 

 

 

Tout est dans ce mouvement qui donne l’illusion de la vie. Va et vient. Apparition. Disparition. On croit naître de ce mouvement. Illusion.

J’existe depuis avant. Avant la déchirure. Avant le mouvement.

Comme la méduse.

Je suis né d’un va et viens. Du frottement des chairs. De l’usure désespérée des chairs entre elles. Rien de plus. Rien de moins.

Rien de beau là-dedans. L’usure inéluctable du va et vient des chairs. De la mer. De la mère. Né d’un épuisement de l’eau.

Illusion d’amour ou croire à la nécessité des choses. Rien n’est nécessaire. Au mieux il y a l’usure.

Danse macabre de l’usure des chairs. Deux méduses aussi vaines l’une que l’autre. Rien de nécessaire là-dedans.

L’amour. L’absence. Illusion de l’autre. C’est toujours le même vide, à cause de la même déchirure. La mer se contemple seul.

La mère aussi.

La seule réalité c’est le va et vient de la mer, ces marées qui montent et qui descendent, cette usure des chairs. Il n’y a rien à trouver, pas le moindre sursit.

Au mieux expier des illusions. Pris dans un jeu de reflets.

Jouet des transparences.

Pourtant la jouissance se dit dans des hurlements de bête.

La naissance aussi.

Les mêmes cris. Je viens de cette usure des chairs et d’un désir douloureux.

D’un reste.

D’un surcroît de tristesse au bout d’une plage désertée.

D’un épuisement.

Ne l’oublie jamais. Jamais. Méduse abandonnée. Rien de plus.

Le reste d’un combat obscène et douloureux. Des corps qui s’entremêlent dans le désordre d’un désir brutal. Des corps qui mugissent, se tordent. Des corps violents. Des chairs offertes.

L’extase. Comme un effondrement. Comme à l’heure incertaine du soir. Heure incertaine…. Plus tout à fait le jour…. Pas encore les ténèbres. L’effondrement progressif de la lumière. Extase où la mort bave ses poisseuses secrétions.

Extase. Torpeur des frottements. Usure des chairs. Du temps.

Quant au reste c’est l’histoire d’une marée. Perpétuelle ignominie.

Vacuité insoutenable.

 

 

 

L’écriture tient dans cet effort à gagner une rive qui se refuse à notre brasse. Dans cet échec toujours renouvelé. Et consenti.

De la mer dont on est sorti il nous reste le mouvement lent et monotone, et parfois furieux, des marées.

L’impossible immobilité.

L’impossible rivage.

Et l’écriture s’essaye à définir les contours d’une réalité sur laquelle on ne pourra prendre pied.

 

 

 

 

 

 

Franck

28 octobre 2006

Ca ressemble....

Faire taire les voix à l’intérieur. Ce n’est pas vraiment des voix. Ca ressemble à une agitation continuelle. Comme un vacarme qui ne ferait pas de bruit. Un mouvement insaisissable. Des pensées liquides, flottantes. Il faudrait un vrai silence, une véritable immobilité. Pourtant cela flotte. Avec cette impression de chercher des rives, et de m’épuiser à ne pas les trouver. De n’atteindre rien. Personne. Mon regard cherche une île. L’horizon de la ville meurt à chaque coin de rue, ou agonise dans les moindres troquets. Les saisons ne sont pas jointives. C’est ça le problème. Un espace les sépare. Et on ne le sait pas. Comme les jours. Comme les heures. On peut s’y perdre. Et la ville est dans cette dérive molle, insignifiante. Je cherche un sourire, un acquiescement, un pays où habiter. Un continent. Ca ressemble à une agitation continuelle, les émotions ne tiennent pas, elles s’effondrent, les sensations se condensent sur la vitre du jour. Je ne tiens rien. Morcellement. Rester dans l’indifférence du monde. Emiettement du désir, comme s’il cassait sur les lignes de faille. Brisure étoilée du désir. Une île. Seulement une île. Aborder, accrocher une autre saison. Souvent, écrire, c’est comme évider avec une lame pointue l’évidence et la banalité des jours. C’est un travail absurde. Ca ne s’accroche à rien. Pas même aux saisons. Rétracté, tassé dans un temps excavé, curé, taraudé par la lame des mots. Un jour, plus un jour, plus un jour. Un texte, plus un texte, plus un texte. Déraisonnable. Insensé. Ca ressemble à une agitation continuelle. Et pourtant rien ne bouge vraiment. C’est une instabilité de l’âme. Ou de quelque chose qui pourrait y faire penser. L’âme on ne sait jamais ce que c’est. On dit ce mot quand on ne sait plus, et que l’on veut continuer à nommer. Ca fait du mystère là où il n’y a que de l’ignorance. Ca fait du profond et du lointain là où il n’y a qu’une lande, ça tient compagnie à la vacuité. Comme s’il y avait une partie plus noble, comme s’il y avait en nous, tout au fond, caché, un trésor. Un centre. Et qu’une lumière affleurerait de ce lieu central. Alors on dit qu’écrire, ça nous rapproche de ce centre. Alors on évide, on creuse. Ce n’est pas vraiment, creuser. On dit creuser parce que cela ressemble à creuser. C’est plutôt une insistance, un entêtement, qui n’a aucune valeur en lui-même. On fait, on refait par manque d’imagination. Au bout d’un moment, même la douleur est confortable. On ne sait pas vraiment à quel moment elle devient confortable. Et écrire devient une complaisance.

Les désirs lancés trop loin s’enroulent sur l’horizon et nous reviennent, bredouilles. Ils font une large arabesque, une sorte de boucle et reviennent juste à l’endroit d’où ils sont partis. Les désirs lancés trop loin, font des nœuds coulants qui étreignent la gorge. Les désirs lancés trop loin ne meurent pas. Ils se vengent.

Franck.

22 octobre 2006

Elle n'a pas de nom.....

Elle, elle n’a pas de nom. Ou alors elle les a tous. Maintenant elle est vieille. Et elle n’a plus de nom. Elle a usé le sien à force de silence. De repli. Et maintenant elle est seule. Et vieille. Et sa maison est trop grande.

Il faut imaginer la Creuse. Et dans la Creuse au pied du plateaux des Mille Vaches quelques maisons perdues. Il faut imaginer le froid, la neige ou la pluie. Il faut imaginer l’inconstance du soleil. Il faut imaginer les nuits sans étoile, et l’agonie des horizons dans les replis brumeux des bois, des vallons.

Il faut imaginer que dans certaines parties du monde le silence est plus lourd, le temps plus lent. Il y a des endroits du monde où aucune philosophie n’a de prise, aucune poésie. Des endroits sans exotisme. Des endroits en dehors de tout langage pour les dire. Alors ils se taisent. Et le jour se lève avec hésitation, et le soir et la nuit arrivent comme des fatalités. Il y a des endroits de la terre qui ne portent rien, à part quelques tombes sur lesquelles l’hiver s’assoit.

Les dieux ne passent jamais par ces lieux. Les dieux préfèrent les déserts, les montagnes, les océans, les grandes étendues, parfois les villes. Les dieux ont besoin d’espaces pour s’étendre et peser sur les humains, pour jouer avec eux. Mais là, que pourraient-ils faire, les dieux, à par s’ennuyer, que pourraient-ils faire à part pleurer sur leurs créations.

Les âmes qui habitent ces lieux sont des âmes revenues, des âmes à qui l’on ne peut rien conter. Elles ne sont pas perdues. Elles sont là. Coincées entre l’ombre et le silence. Elles regardent le temps qui suinte, effarées, muettes. Sans tristesse, mais sans joie.

Elle, elle n’a pas de nom. Ou alors elle les a tous. Elle est venue ici il y a plus de quarante ans. D’un autre continent. D’un continent de soleil. Elle suivait son amoureux. Elle l’aurait suivit au bout du monde. Et le bout du monde fut la Creuse. La basse Creuse. Elle venait d’Algérie, lui était militaire. Après la guerre ce fut La Courtine et ses environs, comme on aurait put dire l’enfer et ses dépendances. Comme on aurait pu rien dire. Elle suivait son amoureux et c’était tout. Et c’était ça l’important. Elle pourrait s’appeler Aïcha, ou Fatima, ou bien Djamila ou Leila ou Tahira, mais qu’importe son nom. Plus personne ne l’appelle. Plus personne ne se souvient. Elle est là, sans savoir vraiment pourquoi elle est là. Et maintenant elle est seule. Le mari militaire est mort, les enfants sont partis, et la maison est pliée dans le silence.

Elle se souvient de son départ d’Algérie, ce dernier jour de soleil où la ville éclatait encore d’une blancheur insolente. Elle savait bien les torrents de sang sous cette blancheur, mais elle suivait son amoureux. Elle voyait Alger dévaler la colline comme l’écume scintillante d’une vague, alors elle a pleuré. En silence. Elle a regagné sa cabine pour cacher son visage et commencer à expier.

Maintenant elle a soixante quinze ans, lui il est mort, les enfants sont partis et elle reste seule, là dans ce lieux impossible du monde. Et chaque jour la solitude agrandit un peu plus les murs de la maison, et chaque jour le silence la ride un peu plus, la tasse un peu plus, l’accuse un peu plus.

Alors elle a décidée. Elle a décidé d’aller régler ses comptes une bonne fois pour toute. Puisqu’elle est à l’âge des folies. Il est temps de commencer. Car il y a un temps pour le silence, et il y a un temps pour la vie.

Que reste-t-il d’elle ? Depuis longtemps elle ne se regarde plus dans les miroirs. Elle n’ose même plus se souvenir d’avant. Avant quand elle était jeune et qu’elle courrait pieds-nus dans les sables. Petite gamine effrontée à la longue chevelure brune. Elle passait ses vacances dans le M’Zab. Petite princesse des dunes toujours essoufflée d’une course. Une poignée de dattes dans la poche elle disparaissait tout le jour. Elle n’avait pas une seconde à perdre. Courir. Jouir du soleil. Se rafraîchir aux sources.

Et puis on l’a mariée. Fini les courses folles à demi nue dans les sables. Fini les couchers de soleil. Fini les ciels du désert. Et puis ce premier mari est mort. Et puis il y a eu la guerre. Et puis il y a eut ce Français. Et puis le départ. Et puis Alger belle comme un poignard qui traverse le cœur. Et puis la Creuse. Et d’autres enfants. Et une longue nuit. Longue, large comme un désert. Silencieuse comme un désert. Et puis la flamme c’est peu à peu rapetissée. La lumière de ses yeux c’est peu à peu éteinte. Elle a perdu sa langue, ses prières, ses rêves. Elle a appris à oublier, à ne plus se souvenir. Elle a appris le temps de la Creuse, lent, lourd, infini. Epuisant. Triste. Temps humide et froid, et vain.

Que reste-t-il d’elle ? Son corps aujourd’hui n’a plus de forme. Sa poitrine est aussi lasse qu’elle, ses hanches sont épaisses et pesantes. Sa peau s’est creusée, ravivée, sillonnée, plissée, depuis longtemps elle a perdue cet éclat ocré des sables et de la joie et des rires.

Alors c’est venu doucement. Au début s’était comme le goût d’un bonbon sucré. Elle y pensait, et s’était tellement fou qu’elle riait d’elle-même.

Les pensées essentielles nous viennent d’abord des chairs, du corps. Quand elle y pensait, elle se sentait transpercée. C’était une pensée immense, elle croyait, au début, qu’elle ne pourrait pas la faire entrer dans son esprit, tellement elle était grande et folle, cette pensée.

Ça lui est venu après la mort de son homme. Ça lui est venu d’une stridence du silence. Ça lui est venu par derrière, en cachette. Ça lui est venu de l’épaisseur des murs et du froid. Oui, vraiment ça lui est venu comme une folie de joie.

Le temps de Creuse est un temps arrêté. On peu s’y asseoir et y rester des siècles à…. A quoi au juste. Méditer ? Non, on ne médite pas dans ses lieux. Rêver ? Encore moins, quels rêves pourraient venir à part quelques cauchemars vagabonds. On s’assoie dans ce temps de Creuse et on attend, et on s’ennui d’attendre la mort, et on est là, simplement là. A attendre rien.

Alors c’est venu doucement, comme si ce désir s’était mis en marche à la création du monde, un petit désir de rien du tout, qui aurait traversé l’univers, un désir d’une fragilité impensable, un désir sans forme, comme une petite lumière qui entrerait dans le sang par la petite porte. La plus petite. C’est venu comme un printemps. Et elle se surprenait à sourire quand l’idée lui piquait l’intérieur du cœur.

Et elle ne voulait pas y croire.

Et c’était une folie.

Et puis un jour elle a dit : « Je vais aller à la Mecque… »

Elle, la sans nom, la sans langue, la sans dieu. Elle, la perdue, elle, la naufragée, allait partir pour cette longue remontée du temps. Elle, elle allait remettre en marche les horloges de l’univers. Elle irait. Elle s’expliquerait de vive voix. Elle, la sans voile, la sans foi. Elle irait. Elle, la sans lieu, la sans mémoire, elle irait. Elle, la ridée, l’épuisée, l’ignorée. Elle, Femme_voil_el’effacée, elle irait. Elle réapprendrait les prières qu’elle a oubliées.

Soixante quinze ans c’est le temps des folies et de la vie. C’est le temps des noces divines. C’est le temps des amours incommensurables.

Elle, ces histoires de religions, ne l’intéresse pas. Ce qui l’intéresse, elle, c’est Dieu. C’est cette chose impossible qui la bouleverse, qui brasse ses chairs et sa mémoire. C’est ce truc immense de bonté. Ce qui l’intéresse c’est les prières de sa langue, l’odeur de sa langue. Ce qui l’intéresse c’est les sables de l’enfances, ces ses courses dans le désert, c’est la chaleur, la transpiration. Ce qui l’intéresse c’est d’avoir un nom. Voilà, un nom. Un nom inscrit dans le ciel des vivants et des morts.

Depuis combien de temps n’a-t-elle pas porté le voile ? Ne l’a-t-elle jamais porté ? Le soir dans un petit village de Creuse Aïcha, essaye son voile. Elle apprend à le mettre, devant le grand miroir de sa chambre, elle apprend de nouveaux gestes. Aïcha est une enfant. Parce que son cœur est rempli d’une tempête de printemps. « Je m’appelle Aïcha et je viens du désert… et j’y retourne… je suis Aïcha, la petite fille des sables… et j’y retourne… » Et c’est sa seule prière. Et c’est beau et simple comme un conte des mille et une nuit.  « A Soixante quinze ans il est temps de choisir le bon époux… ». Bien sûr elle se sent un peu maladroite avec ce voile, elle n’a pas l’habitude. Mais son cœur bat. Fort. Elle s’apprête. Chaque soir elle relit quelques pages du Coran. Ce vieux livre qu’elle avait ramené dans ses bagages il y a si longtemps, et qu’elle n’avait jamais ouvert. Et quand elle l’ouvre, dans ses soirées de Creuse, elle sent l’odeur d’un pays, les épices et la chaleur d’un soleil. Elle tourne les pages dans l’autre sens, elle remonte le cours du fleuve. Elle remet avec patience sa langue dans sa parole. Elle mâche chaque mot avec délice. Elle récite les prière en articulant et en cherchant la musique de son sang. Et c’est un printemps. Et elle est heureuse.

Photo_Tomaz_LevstekAïcha la Creusoise est comme une amoureuse, car elle connaîtra son nom et ira l’inscrire au temple de son sang. Et ça sera naître à nouveau.

Les bateaux, les avions, les trains ne connaissent pas les chemins qui vont de La Courtine en basse Creuse, à La Mecque en Arabie Saoudite.

Il faut bien que les hommes inventent les routes.

Au départ d’un chemin, quel qu’il soit, même le plus petit, même le plus pauvre, surtout le plus pauvre, il y a toujours un désir, un amour à rejoindre, un rêve à cueillir.

Aïcha invente aujourd’hui une route qui n’existait pas, et c’est ce qui la fait belle sous son voile. Et cette route, maintenant est inscrite. Inscrite dans le livre des étoiles. Cette route portera son nom jusqu’à la fin des temps, et après la fin des temps. Et si au moment du départ Aïcha a peur elle sait bien que cette peur fait partie de sa joie.

Aïcha n’est plus vraiment seule. Elle est d’un voyage au loin, et d’une prière interrompue il y a si longtemps. Aïcha est d’un silence intenable et d’une solitude insupportable, mais elle est aussi d’un rêve, et d’un sang, et d’un désert. Elle est de cette terre, de cette terre misérable de la Creuse, elle est de toute la terre. Elle n’est plus perdue puisqu’elle à un nom, un seul, et quand Dieu la nomme elle se retourne, elle sait que c’est elle. Elle, Aïcha la Creusoise, fille du désert et des larmes, fille de l’oubli, et du mépris.

Et tout est en ordre. Elle a fermée la petite maison de Creuse. Elle a respiré, et pour la première fois elle a senti cet air vif et pur d’un lieu impossible ou seuls quelques miracles arrivent encore à survivre.

Franck.

15 octobre 2006

Dans le passage......

Chaque texte nous laisse dans le passage. Un éternel passage. Sans rive. Être là. C’est tout. Toujours partir et ne jamais arriver. Là. Dans le courant d’air de la vie. Les volets battent, les portes claquent et le texte nous laisse là. Entre. Pantelant dans le passage. Lourd. Sans aisance.

Les textes sont des orphelins. L’espace d’un instant on a cru pouvoir leur offrir une famille…. Et puis ils nous quittent, alors on reste dans le passage. Et c’est nous l’orphelin à secourir. Le texte nous a seulement accueillit un court instant dans sa famille de mots, sa famille turbulente et bruyante. Et après la famille nous quitte. Et l’on reste là, dans le passage encombré de désordre et de silence.

Et l’on sait qu’on ne sera d’aucune famille.

Le texte ne ment pas, il nous promet la solitude et il nous la donne. Comme une fleur rouge sang. Il l’incruste même. Il labagan01 grave, de peur qu’on oublie que s’est nous qui l’avons sollicité. Elle devient notre nom.

Et nous restons dans le passage. Entre les portes du désir. Coupé des horizons. Immobile entre deux mouvements, deux élans. Et c’est ainsi depuis la nuit des temps. Car la nuit des temps est le lieu du poème. Toujours. La nuit. Et après le passage. L’entre deux.

L’attente.

L’inquiétude.

On ne ressort pas complètement indemne des mots. Avec cette double sensation. L’accroissement et la perte. La douceur et la violence. Comme dans le vertige.

Pendant le texte les atomes de la vie sont portés à incandescence. Comme dans l’amour quand les corps s’effleurent d’insouciance et d’oubli, ou quand ils se cognent l’un à l’autre dans l’abandon et l’ivresse. Comme dans l’amour où brusquement on sait qu’il n’est plus question de douleur mais de débordement, où l’extase décide de ne plus descendre, mais au contraire, de monter. Le mascaret ride le fleuve comme un frisson de jouissance. Le texte nous a défait du temps, jeté hors des doutes, il nous a pris la main et le cœur pour nous faire traverser l’infini à la perpendiculaire de nos passions et dans la diagonale de nos souvenirs. Le texte réinvente la géométrie de l’espace et du corps, dans les angles se trouvent l’ombre et le souffle, et les parallèles se rejoignent sur les lèvres des rêves, et les ellipses nous réchauffent de leurs foyers majestueux. Et c’est un temps simplifié où les équations retrouvent leurs inconnues. Et les ondes ne vibrent plus, elles ne font que trembler, que frémir, et elles n’oscillent plus, elles ne font que se balancer comme les roseaux dans la brise d’été. Et le mascaret redresse le fleuve de sa langueur chagrine.   

Et juste après le texte, la droite se raidie, l’infini se relativise, les parallèles s’assagissent et se mettent à bonne distance l’une de l’autre, comme des inconnues qui se toiseraient de haut. Les perpendiculaires s’ennuient à nouveau, et l’ombre quitte les angles morts de la vie pour se répandre en obscurs savoirs. Après le texte c’est le tems des redites, des pensées sur la pensée, des constructions fragiles. Après le texte c’est le temps des insectes. Temps mesuré, sans ambition, sans imagination, qui ne sait que finir. L’entre temps du texte, avec le fleuve vautré dans sa lassitude féroce et gourmande. C’est un temps somnambule, nos actes ressemblent à des actes mais ils n’en ont plus la vérité, comme si le rêve était clivé, ou troué par la lame du soleil.

On est dans le passage, dans les couloirs du jour avec des portes à l’infini, des portes closes. Et le fleuve qui coule dans son infinie indifférence hautaine. Et notre maladresse importune les silences, car ici, dans le passage, ils ont changé de nature, d’humeur. Ils nous regardent, ils nous désignent. Certains nous accusent.

Après le passage. Un autre mascaret. Après… Un autre…

Et la hache du texte coupe un peu plus mes amarres.

Je suis en partance pour l’exil.

Un jour il n’y aura plus de retour possible.

Un jour…

 

Franck.

 

( « On ne sort du temps que par la bonté. » C. Bobin)

Publicité
Publicité
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
J'irai marcher par-delà les nuages
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 168 003
Catégories
Pages
Publicité