Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

J'irai marcher par-delà les nuages

22 février 2006

De nos Soleils........

Souvent un silence vient se mettre en travers de la parole. Sa voix se suspend comme si elle se trouvait tout près d’un vide. La chute des mots. Et le silence. Là. Comme un lac infranchissable. Un lac d’orage et de glace. Les mots n’accrochent plus la voix, ils sont dans l’ignorance d’eux-mêmes et de la chose à dire. Ils sont habillés de points de suspension pour passer inaperçu, pour ne pas dire ce qu’ils voudraient dire, pour ne plus dire, parce qu’ils ont peur du sens et des conséquences du sens. Du vertige. De la chute. Traversée d’un espace chancelant. Traversée blanche de l’indicible. De l’instant qui se désaccorde.
Moi aussi je trébuche dans ce silence. Brusquement il claque. En fait, non, le mot est mal choisi, il ne claque pas, ça ressemble plutôt à une crevaison, la chair des mots retombe sur la chair du vide dans une sorte d’affaissement, de réduction à l’intérieur.
On trébuche dans un silence, on pourrait aussi ne pas s’en relever.

Pourtant les siens sont lumineux. Pourtant les siens sont essentiels. Car il faut s’arrêter.
Alors elle s’arrête.
Et tout son être se rassemble, et tout est là, condensé dans cette absence apparente. Toute sa présence est là. Manifeste. Souveraine. Ce silence n’efface pas sa personne. Ce silence l’appelle, la nomme, la désigne. Ce silence est un chant. Son chant. Lourd, grave, comme ces vents qui traversent la steppe mêlés à la neige, aux souvenirs, à la confession des mourants. Ce silence racle les peaux mortes de l’os, dénude de l’inutile, enlève les masques et les apparats. C’est le temps de la reconnaissance, de notre reconnaissance et de l’apprentissage, de notre apprentissage. C’est le temps de l’apprivoisement et ce silence est le jardin proposé qu’il nous faut traverser chacun de son coté, marchant l‘un vers l‘autre, tenant chacun un bout de ce silence, chacun, comme si l‘on se tenait la main. Chacun. Car ce silence sacre dans la douleur, puisqu’il oblige. Puisqu’il est contraction du ventre des mots avant l’accouchement du sens et l’accomplissement du jour. Puisqu’il est baptême, et immersion, et efforcement de vie. Puisqu’il est racine malaxant, pétrissant, façonnant les graines de joies, de rires, d’espérances. Puisqu’il est parfum avant d’être fleur. Puisqu’il est attente nuptiale. Puisque la vérité de l’amour c’est le silence qui le précède.

Car elle est de la naissance comme on est d’un pays, d’un lieu, ou d’une mémoire.
Elle est de ces contrées de la vie qui hésite encore. De cet endroit si fragile, qu’il nous fait trembler lorsque nous y repensons. Elle est de ce lieu premier, du premier jour. De cette aube désarmée, vulnérable. De la première goulée d’oxygène, du premier éclaboussement de soleil. Elle est de ce lieu du premier mot, celui qui se crie dans la peur, l’exaspération, l’étonnement, la colère et la délivrance.
Car elle connaît la source puisqu’elle y retourne chaque jour, puisque c’est son chemin. Puisque accueillir est la forme de son destin.
« Bienvenu parmi nous » elle dit. Même si certains matins elle n’y croit pas assez. Puisqu’elle nous sait si coupables, si étroits, si pleutres, si vains. Et pourtant elle pardonne, chaque matin, pour aller accueillir l’enfant qui naît.
Car elle est magicienne. Elle sait que les enfants naissent d’abord dans les mots. Alors elle accompagne la parole de la mère. Avant de préparer les linges elle répare la parole. C’est pour ça, le silence. Il faut bien la réparer cette parole. Il faut bien que l’enfant y trouve sa place dans cette parole de mère. La chaleur des mots vient souvent d’un silence offert. Elle est là pour ça. Pour accoucher les mots avant que l’enfant naisse. On ne le sait pas assez, ce que l’enfant tète ce sont les mots blancs du lait.

Car sa lutte commence avant. Bien sûr, elle accouche les enfants, mais elle sait que c’est avant que ça commence. Accompagner la mère c’est labourer une terre. C’est la faire respirer, c’est appeler sa voix, puisque l’enfant nait dans la voix de sa mère.
Alors elle se tait, et par le poids de sa présence elle fait venir les mots. Un à Un. Bien avant la perte des eaux. Dans le secret des murmures et des larmes, dans l’abandon et le découragement elle fait accoucher la vie bien avant que l’enfant ne paraisse. C’est presque biblique. Et c’est un long chemin. Les mères souvent croient qu’il faut préparer la chambre pour accueillir l’enfant et omettent l’essentiel. La parole. La parole disant le désir. Les mots qui s’incarneront. Et la chair qui naîtra de cet appel.
Alors chaque matin elle remonte le courant de la vie bien au de-là de la vie. Et c’est ça qui lui donne cette lumière. Et c’est ça qui lui donne cette gravité. Et c’est pour cela que son silence brûle.
Chaque jour elle va à ce puits de mystère qu’est la vie, ce long puits profond abritant une eau si claire et elle tire sur la corde des mots de la mère pour faire issir les yeux, les mains, la bouche, tout un corps de chair avant la chair. Elle tire sur la corde des mots dans le silence et la concentration, presque dans la prière, puisque la prière est don, puisqu’elle est offrande. Elle remonte des ténèbres du puits l’eau de vie, l’eau claire, l’eau des rire de demain.

En fait elle ne travaille pas, elle danse. Mieux, elle accompagne. Et accompagner c’est faire une place à l’autre. Ou danser avec lui.

La vérité du mot c’est le silence qui le suit.

La vérité de l’amour c’est le silence qui le précède.

La vérité de naître c’est le silence qui l’accompagne.

Et ce silence te grandit en enfance, donc il te grandit en vie.
Et j’aime tes silences parce qu’ils sont des promesses, comme la nuit qui se tait pour faire place à l’aurore.
J’aime tes silences, même les plus fragiles, même les plus douloureux, puisque c’est le temps des labours, des terres brassées. C’est le temps des contractions, juste avant le naître.
J’aime tes silences, puisqu’ils nous sollicitent à l’endroit de nos douleurs… à l’endroit de nos soleils.
De nos soleils…..
Franck


Publicité
Publicité
19 février 2006

La Dune.....

Elle m’a dit, c’est bizarre tes textes maintenant, on dirait qu’ils disent le contraire. Le contraire de ceux d’avant. Avant, tu allais vers un au-delà, tu tentais de franchir la barrière de l’impossible. Aujourd’hui, ils sont tout en concentration, en retour vers un centre.
Avant. Il y des siècles. Presque deux mois. Presque deux vies.
Avant, l’autre n’existait pas. Il n’était que l’émanation d’un fantasme, d’un désir dévoyé, la sensation d’une boursouflure qui grossi et se nourrit que d’elle-même. La sensation exaltante de combler un espace infini par la magie d’un mot, d’une phrase. Boursouflure du rêve, avec ces images d’un impossible devenu accessible. Magie de l’instant qui efface d’un seul coup l’espace et le temps. Sans limite. Comme si la marée visait un au-delà des terres. Une marée sans rivage pour pouvoir l’accueillir Avant l’autre n’était que l’image de l’autre. Ce n’était qu’un jeu de reflet, la trace prégnante d’un désir vain. Vaste champ de miroirs où les images cascadent les unes dans les autres, s’entrechoquent et ricochent sur un imaginaire blessé par ses propres blessures. Imaginaire de lambeaux ou de bandes Velpeau, bandelettes d’irréels qui cachent des plaies bien réelles. Le fantasme c’est l’océan sous la mer. Sous la mère diraient certains. Sans doute. Il y a là, un jeu avec la mort. Un je avec la mort. Toujours avec le fantasme. Puisqu’il est question, au bout du compte, d’un anéantissement. Puisqu’il s’agit que l’on perde. Il est attirant, comme le chant des sirènes. Qui voulaient tuer l’élan désirant des argonautes. On est autiste et on ne le sait pas. Un autiste qui serait hors de lui-même, hors d’atteinte de lui, et qui ne pourrait plus rentrer dans sa maison. Le chant qu’on entend, celui qui nous guide, nous vient de l’intérieur. Car l’autre n’existe pas. Même s’il a l’apparence d’un ange, il n’existe pas. Les anges n’existent pas. On le sait, tout le monde le sait. Et pourtant, on veut croire parce que on a besoin d’un signe. On a besoin que le monde nous réponde à cet endroit de l’impossible. A cet endroit de l’insensé.
Mais le monde se tait. On le sait depuis la nuit des temps.
Le monde se tait. Il nous tait.

J’ai dix-neuf ans. Je suis au milieu du Sahara. Je l’ai tellement voulu ce désert, je lai tellement rêvé. Des nuits entières penché en silence sur des cartes à fabriquer des itinéraires. Avec tous ces noms de pays des mille et une nuit. Je suis au milieu des sables de la planète, dans ce lieu du vide, dans ce lieu du rien. Mer de dune inerte, houle figée dans l’instant minéral et brûlant. Sable poussière, comme nos vies, comme nos mots, qui effritent leurs lettres et leurs sons dans la véhémence des amours inachevables. Poussières. Dans un infini indifférent. Silence des sables infinis.
Je suis sur la dune. La plus haute, la plus belle, la plus vierge. Lisse et ocrée, avec cette ondulation impossible à décrire. Nette et tranchante, et à la fois si fragile. Océan de poussières orangé ou seul le soleil et vent peuvent prendre place et naviguer des heures avec ce mutisme de lame de couteau. Effilement des crêtes où les ombres affinent toujours plus les bords coupant du regard. Je suis assis les yeux calcinés de vide et les mains enfouies dans le sable, à la recherche d’une sensation. Qui ne vient pas. Je me cherche sous le sable et je ne me trouve pas. Je suis brusquement devenu insaisissable. Je devient poussière et aussi vide que le désert. C’est à ce moment là que ça déferle. Une immense tristesse. Elle vient de nulle part. A moins qu’elle ne vienne juste de cette émotion de matière du sable sous mes doigts. De ce contact vrai. Dans lequel chutent des années de rêveries.
Je suis là où je voulais être et pourtant tout s’effondre à l’intérieur. C’est un lent et long glissement. Je regarde la magie qui m’entoure et je sens cette vague de mélancolie froide m’envahir. Depuis toujours c’est la même. Après ça sera encore la même. Je ne suis plus dans le paysage, j’en suis décollé. J’ai appelé ça l’exil. C’est la première fois où je l’ai ressenti de cette façon, aussi clairement. Assis sur la dune, la plus haute, la plus belle, la plus vierge. J’essaye de parler, je m’en souviens. A qui ? Parler au milieu des sables est une expérience incongrue. Les mots n’adhèrent pas à l’air. Ils semblent tomber en poussière pour se mélanger au sable, au sable, au sable…Ici, la parole est vaine, tout réclame des actes, du faire, de l’agir, du vivre, du survivre et je me sens écrasé entre mon rêve et la réalité. Je ne sais plus ce que je suis venir faire ici. L’émiettement. J’ai voulu cet instant et maintenant qu’il est là, tout s’effondre….

Elle m’a dit : pour la première fois, j’ai quelqu‘un en face de moi. En fait, on est l’un en face de l’autre. Cet autre là, existe, et c’est nouveau. C’est la première fois pour moi aussi. Je sais que là, il n’y a pas de fantasme, j’en ai fait déjà la traversée. On est en face l’un de l’autre. C’est pourquoi mon écriture se retourne comme la peau d’un lapin écorché. Je ne dis pas le contraire, je dis simplement l’envers.
L’envers d’Avant.
J’en suis au plus vif, au plus sanglant de la peau des mots.
Depuis quelques jours l’autre existe. Un vrai autre. Un, qui se trouve en face de moi.
Et ça change tout.
Le fantasme peut s’arrêter.
Et le rêve et la vie peuvent commencer.
Il y a de la douleur dans le décilement. Mais pas seulement. Il y a comme une mise en mouvement. Une remise en route. Au départ c’est lent et lourd. C’est pesant. On vient de si loin.

Je suis sur la dune et le chemin sera long, mes pas s’enfoncent dans le sable. Je ne sais pas où ils me mènent, mais je sais que quelque chose de pur et d’inaliénable grandi dans ma chair. La lente montée d’un désir.

Comme une fleur inexorable.

Et l’aube, enfin, peut se lever.

Franck

16 février 2006

... C'est le temps du caillou....

Il me faut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Le juste balancement de la vague. Retrouver la marche sur le fil tendu entre mes rêves et la réalité. Il est temps de se séparer de l’inutile pour renouer avec l’essentiel. C'est-à-dire le pauvre. Le nu. L’évident. J’ai trop perdu de temps à suivre des routes qui n’étaient pas les miennes, ou des jupons trop courts sur des cuisses trop légères. Espérant l’impossible parce qu’il était impossible, en mettant du symptôme au cœur même du désir. Je suis las de moi et de mes errances vaines. De mes amours adolescents sans issue. Je suis las des anges et des diables, des saintes ou des catins, de ce cortège d’ombres qui traverse mes nuits. Je me suis tant perdu à vouloir l’impensable. Il est temps de laisser les morts aux morts et de souffler sur ce qui me reste de vie. Je suis las des trahisons, des promesses sans lendemain. Je suis las, infiniment las des bassesses, des veuleries, de ceux qui parlent trop fort, dans des écritures trop pleines, sans espaces, sans attente, sans espoir.
Au départ, tous les chemins se ressemblent, on marche insouciant la tête en l’air et les mains dans les poches. Et c’est bien après, qu’on s’aperçoit que l’on s’est trompé. On est très engagé, on est même perdu. On s’entête, on s’obstine.
Alors, il me faut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Petit Poucet recherchant ses cailloux. Un à un remonter le souvenir à travers mes forêts. L’endroit exact où le chemin a basculé, où les pas se sont égarés. Remonter au premier caillou. Qu’elle est la dernière question avant le premier caillou ? Avant. Juste avant. Avant les premières morts et les premières nuits cauchemars. Avant l’obscure. Avant la fin. Il y a forcément un fil qui tient tout cela.

 

C’est l’histoire de tous les contes, le héros se morfond et s’ennui, alors il quitte sa maison, son pays, il veut voir le monde, le vent et aimer toutes les femmes, il veut sentir son sang lui brûler les veines, il veut être roi, prince, poète, capitaine, jardinier, il veut la richesse, les honneurs, les amours, il veut les plus hautes montagnes, les déserts les plus vastes, les océans les plus dangereux. Alors il part sur les routes, sur toutes les routes. Et il coure. Et il s’épuise. Et il s’ennui. Et il s’ennui toujours. Et le monde s’est rétréci, et la princesse était une souillon, et il ne fut pas capitaine et à peine sergent, et il ne fut pas poète, à peine s’avait-il écrire, et il ne fut pas jardiner toutes ses roses se fanaient, et ses montagnes ne furent que des collines desséchées, et ses déserts de pauvres landes arides et ses océans quelque mares aux canards. Et ses rêves s’usaient.
C’est l’histoire de tous les contes. Alors il s’en revint. Il revint au lieu de sont départ. Et plus il se rapproche, plus il se sent léger. Léger mais triste. Et  plus la marche lui semble douce, plus il se met à pleurer. Plus il se rapproche, plus il se dépouille de ses manteau d’illusions, et plus il est nu, et plus il se sent riche. Riche mais perdu. C’est l’histoire de tous les contes. De retour dans sa maison, il est de retour en lui-même. Il s’habite de nouveau. Il est à l’heure exacte de lui. Mais il ne le sait pas. Pas encore. Il est sans fard. Sans impatience. Sur le chemin, devant sa maison, une voix l’interpelle : « Tu ne me reconnais pas ?... Tu te moquais de moi, il y a longtemps…tu voulais conquérir le monde, et moi, tu ne me regardais pas… tu voulais des princesses, des richesses…. Alors la pauvre Fanette, tu ne la voyais pas… Et pourtant tu es là, maintenant, où sont tes princesses … où sont tes richesses ? Qu’as-tu fait de ta vie ?»
C’est l’histoire de tous les contes. Fanette tenait dans bras un enfant d’une blondeur de blé tendre. : « Ma richesse, à moi, elle est là…. à user tout mon temps dans cette terre d’enfance, à labourer chaque jour un peu plus profond cette terre d’espérance faite de chair fragile… et qu’as-tu labouré, toi, durant tout se temps ?  Ta famille avait un champ, regarde les ronces, les taillis le recouvre….Mais si tu veux, je t’aiderais…mon époux est parti, lui aussi, alors je t’aiderai…. mais d’abord aide-toi….commence à creuser ton sillon. Creuse la terre ou le ciel, mais creuse. Creuse ce qui est à toi. Creuse au centre de ton désir. Creuse et ne te relève pas. Creuse ton champ ou le ciel, creuse le chant ou la prière, mais creuse sans t’arrêter. Creuse droit. Dans le sens de ta vie. Vas toucher l’os derrière tes chairs molles. Et je t’aiderai…..C’est l’histoire de tous les contes.

Il se leva et il creusa.
Longtemps.
Profond.
Un jour il dit à Fanette : « Vient là, viens voir…. »
Ils sont devant le champ tout retourné, tout labouré. Avec la terre noire qui fait des boursoufflures, comme des cicatrices.
Il déplia un petit mouchoir. « De mes errances j’avais gardé quelques morceaux de rêves, ils sont en poussière, mais c’est ce qui me reste. Ces quelques cendres grises. Un rêve c’est comme une étoile, c’est loin et cela brille quand il fait nuit. Un rêve c’est silencieux, comme une étoile. Mais les rêves meurent comme les étoiles. Voilà ce qui me reste. Voilà ce qui reste de mes élans, de mes tentations, de mes peurs, de mes larmes, voilà ce qui reste des chemins que j’ai parcouru. Regarde, comme c’est pauvre. Regarde cette poussière de vie comme elle est fragile et triste. Comme ces étoiles qui meurent en silence et dans l’indifférence du temps et de l’espace. Voilà, tout est là… Alors si tu le veux, maintenant que cette terre noire est toute retournée, maintenant qu’elle est prête, nous allons semer ensemble. Et je crois que ces rêves là, sur cette terre là, sauront donner de belles moissons. La cendre des rêves est un bon engrais.
C’est l’histoire de tous les contes. Au départ on est là, dans l’ennui et le désespoir de nous-mêmes. Après l’on quitte sa maison, laissant tout en désordre. Sourd, aveugle, remplis de soi et d’orgueil. Et plus l’on s’éloigne, plus l’on se quitte. Mais on ne le sait pas. On est dans la distance de soi. Et puis un jour, au détour d’une aventure malheureuse de plus, on comprend, alors on consent.

On consent à ce retour vers le centre. Vers le lieu. Vers le seul endroit de soi habitable. Là où l’on est nu, et pauvre. Mais entier.

« Tu vois Fanette cette poussière, c’est ce qui me reste, et cette terre noire sera grosse de ces cendres. Et le noir de ce champ, sera demain l’or d’un blé. Et le pain qui cuira aura la saveur des aurores… »

 

Les contes naissent dans la nuit c’est pourquoi on les murmure. Ils ont besoin de la pénombre d’une flamme. Ils ont besoin d’accrocher leurs mots au rouge sang d’un feu ardent.
Ils ont surtout besoin de notre écoute, de notre attente…

Les contes naissent d’un épuisement.
Ils naissent d’un retour et d’un abandon.
Je suis las de mes errances, las du vacarme des anges maudits, las de cette mort rampante qui empoisonne mon sang, las des chants macabres, des agitations verbeuses, des danses de Saint Guy… c’est le temps du retour.
Un caillou… puis un caillou…puis un autre…
C’est le temps du début, celui de la création.
Et du silence de l’aube.

Franck.

14 février 2006

... C'est un point d'infini.....

Le texte devient une urne. Les mots y tombent et s’y rassemblent pour raconter une autre histoire. Une urne dégoulinant de cendres. Poussière de vie brûlée. Calcinée. Une autre histoire. La même, mais pourtant si différente. La même. Une vie dans la vie. De l’eau sur de l’eau. Du temps sur du temps. Du désespoir sur nos larmes. Une vie vécue à l’intérieure de notre vie. En cachette de notre vie.  Une vie puissante et inconnue de nous. Une vie silencieuse et brutale, et cruelle. Savage. Quelque chose est à l’œuvre et s’oppose. S’oppose à nous et pourtant nous déploie. Et se dresse. Implacablement se dresse. Marionnette. Et seuls les mots de cendres la dise cette vie de nous vécue, cette vie par nous vécue. Le texte raconte derrière le vacarme des sons, une autre histoire. La notre. La vraie. Celle qui ne se dit pas. Celle qui se déroule derrière nos gestes, celle qui tapisse les murs de nos pensées colorant d’étrange façon les heures, les jours, les saisons. Les mots tombent au fond de l’urne funéraire du sens. Dans le vrac de notre existence. Dans l’indécence de leurs postures obscènes. Texte bribes. En morceaux. En éclats. Je voudrais brûler les cendres. Mais elle ne brûle plus. Elles sont froides ou tièdes. Ce sont des cendres. Les cendres ne brûlent pas. Eclats poudreux d’un reste d’incendie. Le texte raconte autre chose et je ne sais pas quoi. Il faudrait tout ressortir, tout étaler, là. Devant moi, les yeux ouverts, dans l’ombre et le silence. Vider la vie consumée, calcinée. Il faudrait tout étaler pour interroger à nouveau, interroger sans cesse l’autre histoire, l’autre vie. Dans le silence. Et épeler chaque mot comme si nous renommions chaque objet de la création, comme si nous appelions chaque objet, chaque visage. Longue litanie. Mes mots me parlent et je ne les entends pas. Ils disent, mais je ne comprends pas. J’ai beau les mâcher, les réduire, je n’en trouve pas la saveur. Le texte me sait, mais il me tait, il me nie. Et plus j’écris, plus je me sépare, plus je m’éloigne. Du centre. Du sens. Je sais, qu’il me sait. Même devant moi, les yeux ouverts, le thorax ouvert, je ne vois rien, je ne sens rien. Hormis le déchirant passage de la parole sur les parois du corps, comme un glacier raclant la roche. Et la glace passe gardant son mystère, sa langueur et son effroyable silence.
Cherche-t-on, le secret dévoilé ou la rémission ? Que vaut-il mieux, l’aveu ou la miséricorde ? Ou rien de tout cela. Ou tout à la fois.
L’urne des mots est un tribunal silencieux, tout nous dénonce et rien ne nous nomme.

Chaque mot possède deux couleurs, deux sons, deux sens, deux poids, deux destins. Chaque mot porte en son sein un morceau de vie et une part de mort. Chaque mot est à la fois un cri et un murmure. Chaque mot nous attache et aussi nous délie. Chaque mot est son propre contraire, il nous appelle et nous dénie, il nous frappe et nous caresse. Chaque mot nous dit pour mieux nous trahir, il nous espère pour mieux nous désespérer. Il nous accompagne pour mieux nous perdre et nous séduit pour mieux nous tromper. Le sang des mots est noir tout chargé de cendre qu’il est. C’est le poids des faiblesses qui lui donne cette couleur. Et les mots nous accusent sans nous dénoncer. Et ils nous désignent sans nous révéler.
Pourtant chaque mot renferme un silence. Le cœur de la brûlure recèle un silence intact. C’est un point minuscule, plus petit qu’un diamant. Chaque mot est percé d’un silence, c’est pour cela que l’on ne s’entend pas et encore moins les autres.
Chaque mot, comme chaque vie, est percé d’un silence, c’est par là que passent les constellations et les météores, c’est l’endroit de la parole qui ne peut être lésé, le seul endroit qui échappe à l’urne et aux cendres.
C’est un point d’infini brodé au cœur du mot.

Franck

13 février 2006

....à l’heure exacte de nous-mêmes.....

Il y a un moment où les peaux se rencontrent. Il y a un endroit du jour qui fait comme un vertige. Où la lumière s’absorbe. On est dans l’absence de soi. Dans le silence de sa raison. Juste dans le vertige des peaux, des corps. Des souffles. Comme si l’on versait vers une fatalité ou que le réel s’accordéonait dans la stridence d’une harmonie désaccordée. Le soufflet de l’instrument s’écrase sur lui-même comme deux corps qui se rejoignent. Avec le souffle et cette respiration de fin du monde. Et cette aspiration qui brûle les entrailles. Précipitation des gestes qui cherchent l’octave, d’une symphonie inachevable. Suspension. Temps d’urgence suspendue. Accrochée aux quatre clous du destin. Juste un vertige. Quand la chair se frotte contre la chair. Juste à l’endroit du désir. Et l’abandon qui cascade et ricoche sur tous les os. Il y a des heures à angles droits. Qui sonnent dans l’aigu. Un temps qui sacre d’un poids trop lourd les battements du cœur. Comme si le passé accourait telle une meute affamée, se partager la dépouille d’un présent qui se terre entre deux caresses maladroites. Temps des proies où les ombres se lèvent en même temps et courent en tous sens dans la maison du cœur ouverte à touts les vents, la maison que vous venez de déserter. C’est un moment vent, de tempêtes, c’est un moment de landes, qui appelle au grand rassemblement de nos fantômes silencieux, qui passent et repassent entre la paupière et l’œil, juste derrière le regard. 

De quel amour es-tu, mon amour ? D’où vient ce vent qui brasse nos chairs ? D’où viennent l’attente et ce dénouement qui s’effondre ? Comme les cartes de ce château….

D’où vient cette mort étrange qui ricane dans un coin attendant son tour pour se repaitre des rêves perdus et des pleurs venu avec le crépuscule ?

C’est bien au cœur de cet effondrement qu’il faudra se relever. C’est bien ce mur de plomb qu’il faudra traverser. Il faudra bien que nos caresses et nos baisers traversent enfin la muraille. Même s’il faut des larmes. Surtout s’il faut des larmes. C’est bien de là que nous partons. Du plus loin. Si près et pourtant si loin de nos propres corps, comme si nous avions déserté l’espace d’un vertige, notre âme, comme si nous étions sortis de nous-mêmes en claquant la porte. Il nous faudra bien revenir. Et sonner à l’heure exacte de nous-mêmes.

Je n’ai pas peur d’avoir peur. Je n’ai pas mal d’avoir mal.

Franck

Publicité
Publicité
8 février 2006

Comme le premier jour....

Il arrive un moment où c’est le bout. La fin. Même le corps ne veut plus. Elle me questionnait sur ces instants. Et ma mémoire refluait. Je voyais des images. La chambre. Et je n’arrivais pas à lui expliquer clairement. La journée où je suis mort. Depuis dimanche, j’y repense. J’essaye de retrouver la chronologie. Je ne vois que la chambre. Verte. C’est l’été. Par la fenêtre la masse de la verdure, les bois brûlants de vert. Le ciel. Bleu. Et la rivière en bas. Je l’entends à peine. C’est l’été les eaux sont basses. La fenêtre est ouverte. C’est l’été, il fait chaud. Je ne sais plus vraiment la chronologie. Trois quatre jours d’alcool absolu. Je ne me souviens que de la rage. La rage à boire. Aller au bout. Les grandes rasades de whisky bues au goulot qui arrachent une grimace à la déglutition. La brûlure de la gorge et le sang qui s’enflamme. Trois ou quatre jours impossibles. Sans chronologie. La seule compulsion du geste comme fil rouge. Et le dégoût, et la grimace, et la cigarette qui cautérise la plaie. Simplement la rage d’en finir. Deux, trois bouteilles de whisky dans la journée. Et ce train bleu de tristesse foudroyante, comme des éclairs. Je n’ai plus de pensée. Rien. Hormis des sensations, des impressions. Il n’y a pas de temps, pas d’espace. Je bois un marais amer aux herbes filandreuses. Haut-le-cœur, vomissement qui ne vomissent rient. Je revois ma main qui tient la bouteille, je dévisse le bouchon métallique du plat de l’autre main. Scansion. Répétions du geste qui tue. Stridence de la brûlure dans le sang. Jusqu’où le corps peut tenir. Trois, quatre jours. Je ne sais plus. Déjà je sens le rétrécissement. L’accélération et le rétrécissement. Chaque mouvement traverse un coton grattant, chaque regard sort d’une pâte lourde. Les jours sont une longue gorgée qui n’en finie pas. Aucune exaltation. Il n’y a plus que la rage, qui livre son dernier combat contre désespoir infini. Infini, est le mot qui convient le mieux. Sans borne. Aller au plus droit, au plus vite. Remplir au plus vite. Plein. Déborder même. Pour être sûr d’être plein. Sans vide.
Je tombe. J’ai du tomber. Je ne m’en rappelle plus. Au bout de trois ou quatre jours j’ai du tomber. Ma tante me dit que le docteur arrive. Je ne veux pas le voir. Portant il est là. Un jeune. C’est un remplaçant. Je ne le connais pas. J’ai du mal à tenir debout. Il m’entraine le long de l’étang. Il parle. J’aime sa voix. Alors j’écoute. Un peu. Je voudrais lui dire Mais qu’y a-t-il à dire ? Rien. Il faudrait tout reprendre depuis le début. Quel début ? Où ça commence tout ça ? Avant Jésus Christ ? Et puis mes jambes ne me portent plus. Il m’ausculte. Il est inquiet. Je le vois, il ne dit rien, mais il est inquiet. Il se fait aider, on me rentre à l’intérieur. Il s’agité. Je l’entends il téléphone « Hôpital… Ambulance… urgence… ». Il dit qui rappellera. Il revient me voir. Je lui dis que je ne bougerai plus d’ici. Pas d’ambulance, pas d’hôpital. Rien. Ici, simplement ici. Sur ce lit. Il est inquiet. Perfusion. Toutes les heures il revient me voir. La tension chute. Il a peur, je sens sa peur. Dans le couloir j’entends des bribes de conversations.
Je suis allongé dans la chambre verte. C’est l’été. Je ne bouge plus. Je sens le poids les couvertures sur mon corps de gisant. C’est ce moment-là que j’ai senti que ça partait. Petit à petit, quelque chose c’est mis à quitter mon corps. Plus ça quittait mon corps et plus je sentais une pesanteur. Ca ressemblait à un fluide qui quitte le corps. Les jambes, les bras, les mains, les doigts. Le bout des doigts. Surtout le bout des doigts. La vie qui fuit un corps percé. Epanchement. Ecoulement. Cela dure longtemps. Il ne sent plus mon pouls. Piqûre. Le soir tombe. La fraicheur entre dans la chambre. Et c’est la nuit. La lampe de chevet est allumée. Je sais qu’il ne faut pas que je m’endorme. Je sais que si je le fait ça sera la dernière. Ce sont des choses que l’on sait. Que le corps sait. C’est la nuit, et tout ce que j’ai de force continue de s’écouler de moi. Quelque chose de l’abandon. Ca n’en finit pas. Je ne peux faire aucun geste. La tension continue de baisser encore un peu. Je n’ai plus peur. Je suis arrivé. Le bout. Il faut simplement laisser. Laisser aller. Il revient en pleine nuit. Quelle heure est-il ? Mon endroit n’a plus besoin d’heure. Qu’importe. Il est là en pleine nuit. Il s’est assis à coté du fauteuil, près du lit. Il parle. Au début, je ne comprends pas ce qu’il dit. Sa vois est très loin. Ou c’est moi qui ne suis déjà plus ici. Où suis-je ? Dans quel pays ?
C’est l’Afrique ? Là aussi je suis allongé sur une couchette. Ca fait trois jour que je me vide. La dysenterie. Trois jours de douleur, de contraction, de spasme. Dans cette cabine, il doit faire plus de cinquante degrés. La déshydratation vient vite. La transpiration et les spasmes permanent qui vous font chier de l’eau et après, plus rien. Quand il n’y a plus rien, il n’y a plus rien. L’intérieur du corps de tord, se presse, se convulse… et rien… après c’est le sang, qui vient. Il coule le long de ma cuisse. Mopti, sur le Niger. A la période de basses eaux les grands bateaux à fond plat servent d’hôtel. La cabine est exiguë. L’air est irrespirable. Trois jours et quatre nuits de spasmes ininterrompus. Il y a un point de chaleur où l’on ne pense plus. Comme un seuil de douleur qui empêche toute réaction salutaire. On me traînera au dispensaire des pères blancs.
Là, c’est la nuit. Le jeune docteur parle au loin de ma vie. C’est un murmure. Sa voix semble traverser les siècles. Il veille un mort qu’il voudrait ressusciter. Il ne se sert que de sa voix. Et de la parole blanche. D’instinct il a choisit la parole du lait. Celle de l’aveu, celle de la prière. La parole qui s’adresse à l’absence pour révéler plus que pour manifester. C’est une voix de cierge tremblant. Une voix de catacombe. De Crypte voûtée. Voix de chair qui parle à la chair. D’ombre qui glisse sur l’ombre. Froissements du silence comme un léger éclat de lumière dans une nuit sans lune. Chemin de voix et de paroles obscures sorties du seul désir de se survivre à elle-même. Il faut imaginer… il est très près de moi. Mais sa voix, au départ vient d’un autre pays. Pourtant j’entends sa respiration. Son souffle. Ses silences. Parfois il se tait. Et c’est la nuit. Et je parts. Dans ce coton noir. Velours de ténèbres. Ce n’est qu’un son monocorde, mélopée lancinante de la voix humaine. Qui appelle. Depuis des siècles qui appelle au-delà des membranes de la mort. On n’apprend pas la voix dans les écoles de médecine. On n’apprend pas le chant de la voix sous la lampe écrasé d’une nuit d’été. Qu’apprend-t-on dans les écoles de médecine ? Non, on n’apprend pas le murmure de la vie quand il faut le mêler au souffle du mourant. Non, on n’apprend pas la flamme bleu et rouge qui colore chaque mot venu du ventre comme un râle, comme une plainte, comme une complainte obstinée, entêtante, démesurément humane et vivante. Vivante. Il faut que la voix soit faible, si faible pour passer dans les couloirs du vide, de la mort. Il faut qu’elle soit si puissante pour porter une respiration si éteinte.
Je ne dors pas. Pourtant c’est la nuit. Peut-être la dernière. Et ces morceaux de souvenirs. Le fleuve. Le Niger. La nuit du fleuve. Cette douleur qui n’en finie pas. Avec les spasmes. La nuit, je me traine à travers les coursives pour accéder au pont A l’air libre. La chaleur de ce bateau ferraille me sortir.  La nuit il semble régurgiter tous les feux du soleil. Chaleur étouffante qui surgit en bouffée d’enfer des entrailles même du bateau. La nuit je me traine sur le pont pour respirer. Je suis recroquevillé dans un coin de nuit, plié sur cette douleur, et ces contractions. Je me cache dans la nuit, tordu par des douleurs de parturiente. Je n’accouche de rien. Rien. Pourtant…

Maintenant la voix remonte le fleuve. La voix a pris le chemin du fleuve d’Afrique. La voix suit les lentes courbes du fleuve. Peu à peu j’entends la voix de la nuit qui traverse les membranes de la mort. Qui suit la veine du fleuve. Le sang du fleuve.
Il est à coté de moi et sa voix s’est accrochée à ce souvenir, et elle remonte lentement mes veines. Le fleuve de mon corps. Je sens la fraîcheur douce des eaux du fleuve prendre possession de mes chairs. Centimètre par centimètre. Et sa voix devient de plus en plus claire. Audible. Comme si le souffle du lait se transformait en eau cristalline. Avec lenteur. Ca commence par les extrémités, les bouts des doigts, les mains, les pieds, les bras, les jambes. Le fleuve de sa voix me recouvre peu à peu rendant plus pesant le poids des couvertures. Avec ce picotement d’eau claire sous la peau. Quelque chose remonte. Je le sens. Je le sang. Ca vient de sa voix et d’un souvenir d’Afrique. Ca vient du fleuve. Du grand fleuve qui traverse mon corps. De ce fleuve qui traverse tous les Sahara pour chercher l’océan. Simplement porté par la voix de ce si peu docteur.

Sous les draps, j’ai bougé.
Un peu.
Il me reprend la tension.
« Putain, elle remonte… ». C’est alors que je vois briller ses yeux. Je vois ces petites gouttes de larmes de fleuve sur le bord de ses yeux.
Les eaux remontent, comme une grande marée sortie du néant.

Je vois son sourire. Il paraît épuisé.
Qu’as-tu-dit petit docteur pendant toutes ses heures ? Qu’as-tu-dit ? Quelles sont tes incantations de sorciers ? Où es-tu allé me chercher ?
Tu as ouvert la fenêtre, la fraîcheur de la nuit d’été est rentrée dans cette chambre verte. Tu as éteins la lumière pour éviter de faire entrer les insectes. Je voyais un morceau de ciel étoilé. Etoilé. Et ce fut mon premier consentement. Il m’a dit « Dormez… maintenant. » Et j’ai dormi. Calme. Bercé simplement par un chant mystérieux. Qui avait brassé mes eaux, mes chairs.

La route fut longue. Mais elle a commencé là. Sur les contreforts de cette nuit étoilée. Avec ce premier consentement au fleuve, et à la voix insensée qui a su glisser sur ses eaux. Voix de cierge vacillant, comme le premier lait, comme le premier jour.

Franck.

5 février 2006

Ce grand champ de neige.....

Recherche du lieu. Géographie impossible. Cartographie de nos vies, de nos actes. Impossible chemin qui s’enroule en forme de destin. Impossible traversée du sens. Besoin de nommer, de dire ce qui n’a pas de nom, ce qui n’a jamais été dit. Relevé cadastral dans le champ vacant des rêves, des désirs, du temps qui se déploie. Resituer les mots dans un espace, une localisation. Ils faut les ancrer dans la chair vivante. Encrer le désossement de la parole.
Jamais rien n’est dit. Il faut s’en convaincre. Puisque la vérité se trouvent dans l’entre-mot, dans l’entre-texte, dans cet élan de nous qui nous échappe et qui pourtant nous révèle. Sans nous. Dans notre absence même. Qui nous condense.
Qui nous recouvre. Linceul de la langue.
Hors-lieu qui s’agrippe au parois vertigineuse de la mémoire.
Frottements des lieux impossibles sur l’arrête d’un temps impossible. La déchirure c’est le premier lieu, grand vortex pour cette traversée impossible.
Impossible comme l’ultime forme de notre devenir. Notre dé-présence. Notre dé-naissance.
Quand il n’y a plus rien il reste le mouvement. Le seul mouvement. L’invisible mouvement. Comme le vague qui résume l’océan. Insaisissable vague que rien ne fixe. Qui est là, sans être là, qui est déjà ailleurs. Mouvement incessant de retour, de redéploiement. Déséquilibre du vivant à la recherche de son centre, de son lieu fictif. Centre de gravité. Gravité. Grave. Comme la pesanteur de la joie.
L’écriture dessine les contours de ma peau. En creux. Par défaut. Le vivant se révèle là, dans le silence. Un silence pochoir. Qui cache et révèle. Qui tait mais donne à entendre.
Oppositions des formes pochoir qui se répondent à l’inverse d’elles-mêmes. Là, dans la béance. Lieu suture, lieu coupure.
Ici il n’y a pas de vérité. Seulement une résonance. Le corps qui résonne avec la chair des mots. Avec le mouvement. Le balancement des vagues dans le corps. Lent. Comme un labour profond qui trace les dessins de la cicatrice. Un labour qui va chercher la terre d’en-bas. La terre maudite. La terre noire. Celle des moissons futures.
Jamais rien n’est dit. Hormis le mouvement, l’élan vers une forme qui nous échappe toujours.
Depuis quelques semaines, mes textes chuchotent entre eux. Ils se répondent dans un espace nouveau. Textes. Sous-textes. L’espace de la déchirure. Lieu des métamorphoses. Les textes construisent une forme que je ne vois pas encore. Une matrice invisible. Forme pure du mouvement. Comme si les bords de l’infini s’agrandissait dévoilant des étendues nouvelles et des profondeurs étranges. Je ne peux que m’accrocher au mouvement, au seul rythme. Au brassage des eaux. A la scansion. A la stridence.
Sortir du ventre des mots, de leur chaleur, accoucher d’une autre respiration. Une autre chair. La déchirure, comme la forme pure de l’avènement.
Je suis sur la coupure. Juste là. A l’endroit où tous les mots ont été épuisé. Accepter cet épuisement. Consentir, à ce grand champ de neige, et aux cendres. Consentir à l’hémorragie. Lent cheminement du renouvellement. Marche vers l’aube. L’aube qui sacre la fin de l’épanchement de nuit. L’enfin, de la fin.
L’aurore arrache les derniers lambeaux de nuit, sa parole vivante ouvre sur un nouveau baptême, l’alliance rayonnante de la lumière et du printemps, noce du jour et du consentement.
J’ai traversé ce grand champ de neige, ni vivant, ni mort… autre…
J’ai traversé ce grand champ de neige afin que s’épuise le passé.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour que chaque mort trouve sa place. Sa juste place.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour rejoindre la rive des vivants.
Innocent de rien, mais le pas plus pesant. Comme la joie : grave. J’ai devant moi un océan et cette lumière qui troue les vagues, et ce mouvement vers l’aurore calme, comme un premier matin.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour blanchir ma parole et pour pouvoir l’offrir lavée, nettoyée, purifiée.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour changer de saison.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour ouvrir la déchirure. Pour la bénir aussi. Et l’aimer, puisque c’est le sens de demain. Puisque c’est le seul endroit habitable. Puisque c’est mon lieu. Le lieu des résurrections. La déchirure comme seule naissance possible.
J’ai traversé ce grand champ de neige enfonçant mes mots jusqu’à la perte du sens, grelottant d’effroi, glissant d’un vide à l’autre.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour voir fleurir un grand champ de blé piqué de rouge par le frissonnement des coquelicots, bruissant de bleu par la source d’eau claire….
Franck

 

2 février 2006

Ca sera suffisant.....

Au début on ne sait rien. Les choses se tricotent au plus loin de soi.  Comme une avancée qui commence au cœur nuit. A l’heure obscure. Tout change et on ne le voit pas encore. Cela vient de loin. Comme la brise qui sort d’un mystère, d’un lieu d’absence. D’un au-delà. Je me souviens, dans le désert. L’identique dans l’identique, la course vers l’horizon vide. Et pourtant quelque chose changeait à l’approche de l’oasis. Comme si l’eau du puits parfumait l’air bien avant son apparition. Il y a quelque chose en nous qui sait. Bien avant nous. Et plus que nous. Et mieux que nous. Une inscription dans le grand livre du temps.

Tout nous parle autour de nous, chaque heure porte le signe ou la marque d’une révélation. Qui nous dirait qui nous sommes. Et qui nous dit la route. On ne sait rien, et pourtant tout est là pour crier : avance. Pose ton pied ici, entre l’ombre et la lumière, si tu veux accéder au mystère. Ce sont les terres fragiles qui sont les plus nourricières, et les lumières tremblante qui éclairent au mieux notre route.

Au début on ne sait rien, parce que l’amour part de loin. Comme le puits du désert qui marche à notre rencontre. Ou comme le vol des oies sauvages cherchant le nord de notre désir. Cheminement silencieux. Pas lent sur nos terres inconnues. Du plus loin de notre ombre, là où même notre voix ne s’aventure pas. L’amour part de l’endroit le plus seul, de l’endroit le plus vide et remonte patiemment nos veines, traverse nos océans, pour venir submerger chacune de nos branches, chacune de nos feuille, et jusqu’à nos plus fine rémiges frémissantes.

L’insignifiance occupe nos vies, et guide nos gestes. L’insignifiance fait du bruit, c’est d’ailleurs à cela qu’on la reconnait, au bruit qu’elle fait en nous. Et le vacarme nous voile l’essentiel. Et le vacarme nous empêche d’entendre l’amour qui se met en marche. Dans le silence du lointain, dans nos lieux d’abandons. Quelque chose chuchote, et c’est là que tout se tient, que tout se rassemble, dans ce murmure d’aurore, dans cette douce pâleur.

Quelque chose chuchote et on ne sait pas qu’une armée est en  marche. On ne sait pas que l’univers double ses infinis.

C’est venu comme chuchotement. Un parfum nouveau. L’odeur d’un pain qui habite la maison du cœur. Le parfum d’une présence. La lumière du jour tremble légèrement et on sait que tout va changer. Une transparence nous accompagne, disons, une ombre claire. La vie de tous les jours est toujours un enfer, mais déjà il a le goût du paradis. Peu à peu on découvre que l’attente n’était pas vaine que les errances affectives n’étaient que des errances. On sait… on sent un havre, on sent le souffle de la terre rougir à nouveau notre sang. L’île qui approche. La fin et le début. Le picotement des chairs comme après un long sommeil. Ou le passage d’une frontière. Un autre pays.

Je suis dans l’écorchure de mon écriture, juste à la blessure des mots. Je ne serais jamais ailleurs. Rien ne dit la vérité. Rien ne dit le mensonge. Il faut accepter la fragilité d’un hors temps. L’insensé d’un hors vie. L’avancée patiente dans les mots pantelants. Dans leur misère… L’avancée, le pas à pas. Ne pas redouter l’infection sur l’écorchure. Puisque l’infection est l’éternel combat, l’éternel affrontement de la mort contre le vivant, sur la plaie jamais refermée de nos heures.

Ecrire c’est le moment où l’on n’écrit pas. C’est l’instant qui sépare deux mots. Deux phrases. Deux chapitres. C’est l’élan qui cherche à se survivre. C’est cet élancement de tout le corps dans l’espace inconnu qui sépare les mots avec leurs cortèges de sons, d’odeurs, avec le glissement du sens dans la recherche d’une couleur plus juste, un saut dans le vide toujours recommencé. Toujours à inventer. Avancer dans les mots c’est comme avancer dans l’amour. Puisqu’écrire c’est déjà aimer, c’est encore aimer. Ecrire dans cette hésitation brûlante qui nous pousse comme une fatalité à rechercher le plus claire de notre eau,  c’est faire la place à cet autre de l’amour qui nous suit en silence dans l’ombre de nos gestes, sur la pente de nos actes et jusque dans le plus intime de nos pensées ou de nos rêves. Ecrire, c’est l’accueillir, cet autre de nous. C’est cela consentir. Puisqu’il ne s’agit pas d’être sauvé, mais trop souvent d’expier. Puisque rien n’est donné hormis ce chemin sur lequel je marche et qui me mène d’un mot à l’autre, de silence en silence, hormis ce chemin qui me mène vers toi, dans ce murmure tremblant d’une aube neuve. 

Dans ce tumulte de lumière.

J’irai vers toi, lentement. Avec la juste impatience que mon errance trop longue à su dompter. Il faut juste que j’enlève les dernières souillures pour être devant toi comme l’aube blanchissant les ténèbres. Blanc du deuil souverain. Blanc des brûlures infligées. Blanc dans une parole blanche. Proche du murmure, proche du bruissement. Blanc et sans crainte. Dans la toute puissance de mon consentement.

Tu m’offriras du pain.

Ça sera suffisant.

Alors le soleil pourra se lever.

Franck.

30 janvier 2006

On peut vivre dans la déchirure....

Pas de nouvelles d’Estelle. Quarante minutes pour faire place nette. Nette ? Si l’on peut dire. J’étais en colère. Son geste n’était pas élégant. Par texto.  J’étais en colère. Contre elle, contre son mensonge, contre les mots du vin qu’elle disait. Quarante minutes. Elle était mal. Je le voyais. Mal. Je n’ai rien dis. Elle s’excusait. Là, je n’ai rien dis. Éviter les paroles vaines. Faire vite, simplement faire vite. Ne rien dire de son mensonge. Comme l’Autre. Ici l’alcool, là le meurtre, dans les deux cas la même histoire d’amour. Le même enfant laissé sur le bord d’un chemin. Le même abandon. Estelle est empêtrée chaque jour un peu plus. La soif appelle la soif. Et l’Être du vin grossit un peu plus à chaque gorgée. Comme du désespoir bu jusqu’à la lie. Du désespoir qui se nourrit de lui-même. Comme l’Autre qui se saoule de ses mots, dans l’ivresse d’une rage qui ne trouve plus sa forme. Et les mots la mentent, tous les jours un peu plus. Demain j’appellerai Estelle. Lui dire que tout va bien, qu’elle ne s’inquiète pas. Que je ne lui en veux pas. Qu’elle ne se sente pas coupable de ça en plus. Je lui dirais aussi ce qu’elle ne veut pas entendre, que si elle veut, un jour, quand elle sentira que c’est le moment, je serais là… qu’on ira voir le médecin ensemble. Je veux qu’elle entende que je la respecte là, dans sa totalité, avec le vin. Mais que je ne peux pas jouer la comédie de ne pas savoir, de ne pas voir. Que mon seul cadeau c’est de savoir et de lui dire : je sais le pays que vous habitez, l’immensité du désert qui étire toutes vos heures. Que mon amitié pour vous, englobe tout, même votre ivresse titubante, même les mots pantelants. Vous n’êtes pas seulement l’amie d’avant, d’avant le vin, vous êtes l’amie d’aujourd’hui, même avec vos trahisons qui sont, au fond, si dérisoires. Même avec vos mensonges… Je l’appellerais sans cette colère, que j’ai déjà oubliée. Je voudrais qu’elle vive encore pour qu’elle ait le temps de renaître. Je voudrais assister à sa naissance. Alors je lui dirais : je vous accompagnerai. L’Autre c’est pareil, mais je ne lui dirais rien, de toutes les façons elle sait.


Les instants d’une vie ont parfois de drôles de couleurs. Contrastées et contradictoires. La même semaine deux personnes que je croyais proches trahissent et poignardent. Et la même semaine deux autres personnes se lèvent comme un soleil dans ma vie. Grand ménage de l’hiver qui prépare le printemps. Et je sais que le printemps sera beau cette année. Je n’ai plus rien et pourtant je n’ai jamais été aussi riche. Ce qui devait partir est parti pour faire la place au printemps…
Et dénouer les derniers liens.

Hier, Patricia, m’a passé le livre de Bauchau. L’incipit : « Nous ne sommes pas dans la réconciliation. Nous sommes dans la déchirure. On peut vivre dans la déchirure. On peut très bien. »
Il faut accepter la béance… Combien de fois j’ai déjà fait ce choix ? Il faut le refaire, à nouveau. Mieux.
J’ai terriblement envie de reprendre mon analyse en ce moment. Mais de faire une didactique. Confusément je sais que ma place est là, dans cet espace de la déchirure, dans la béance. Patricia m’encourage.
Il est peut-être temps de retourner mon écriture comme la peau d’un lapin qu’on dépèce. Il faut que j’appelle Estelle demain. Lui dire que rien n’est grave. Que l’important c’est elle.

J’écris, et à l’instant je reçois un message : une petite fille vient de naître son nom veut dire « cœur ». Jour de nouvelle Lune. La conjonction de la Lune et du soleil. La lumière qui émet, et celle qui peut la recevoir…Noce de lumière…
Je sais que c’est un signe. Le centre, le pur, l’inaliénable… Cœur. Il est dans la béance.

Elle marchait de biais. On ne pouvait pas se rencontrer. C’est l’évidence. J’ai souvent marché contre les évidences. C’était comme une sorte d’exigence. Aller vers le plus impossible, le plus improbable. Et croire que c’était là, dans cette interrogation pathétique que pouvait se révéler mon accord le plus intime à la vie. Mon  consentement.

Je regarde Patricia, elle aussi est à son œuvre. Sculpter cette falaise à main nue et aveugle. On est tous aveugles pour nous-mêmes. Je vois dans ses yeux à la fois la certitude et le doute, mais ainsi l’infini mouvement de la vie, juste au bord des tremblements. Elle cherche la précision du mot pour coller au plus près de l’idée. Avancer, revenir, mouvement incessant pour user la pierre de la vie. Parfois ses mots se suspendent et s’accrochent un reflet de lumière. Assurer sa prise dans la lumière. Papillon. Pensée coquillage qui cherche son centre. Revenir à l’essentiel. L’essentiel, la déchirure. Cette trouée de lumière dans l’océan.

Tout un mois d’évènements en cascade, contre temps sur contre temps, catastrophes, ruptures, pas un jour sans son cortège de désastres.
Ça commence le jour ou je publie le texte sur Marie. Je savais qu’en interrogeant le pur, le net, le clair, les hordes se déchaîneraient. Ça n’a pas manqué. On ne touche pas impunément, même du bout des doigts, un rayon du soleil. Tous mes points sombres on été questionnés. Tous. Sans exception. Jusqu’à l’Autre, incapable d’être dans le déploiement d’une amitié saine. L’autre cherchant des monstres partout et, croyant en trouver, vient buter et trébucher sur son ombre errante sur la lande. L’autre. L’Autre dans son déferlement de haine, qui oublie toute retenue et qui touche enfin le fond de sa vérité

Et pourtant au bout d’un mois… tout est plus clair. Par la force des choses la cohabitation avec Estelle est terminée. L’Autre enterre ou déterre toujours ses mêmes morts, ou ses figures littéraires. . Il fallait la dire pour pouvoir la taire. Maintenant je peux la taire.

Et surtout j’ai mes deux nouveaux soleils, il en fallait bien deux. Il fallait la dire pour pouvoir la taire. Maintenant je peux la taire.

pour ce pays au-delà des nuages.
La déchirure est belle au printemps, c’est sa meilleure saison, la saison des naissances, des aurores, des promesses…
Le sens de ces jours c’est la traversée.

Conrad  dans "Typhon». Il dit un capitaine dans la tempête. Me mettre en face de la vague. Les premières m’ont désaxé. Il faut traverser les vagues. Au début, je voulais éviter. Il n’y a rien à éviter. Si l’on exige le meilleur il faut accepter le pire. Si on croit au meilleur, alors le pire peut venir.
J’appellerai Estelle, pour lui dire que même dans la nuit où elle est, je la vois, parce que cette traversée je l’ai faite déjà, je sais chaque heure de ce qu’elle vit, chaque seconde, chaque éternité du cauchemar. J’en connais tous les recoins.

Je me croyais pauvre alors que j’étais riche. Riche d’une offrande à faire. Riche d’un printemps à venir.  Riche de pouvoir accueillir ces gestes si purs que l’on m’a fait cette semaine. Ces gestes qui m’interdisent de me plaindre des offenses.
Oui, tout s’efforce en nous, et je commence à voir les fils qui reliaient mes derniers textes, cette mise en scène à notre insu des forces qui nous travaillent et nous pétrissent comme un pain qui devra lever et cuire et se fendre pour être partagé.
Franck

29 janvier 2006

Maintenant l'odeur du pain....

Elle revient toujours avec des paroles allusives. C’est habituel. C’est le fonctionnement. Elle n’a rien vu. Elle n’a rien voulu voir. Seulement préoccupée pas ses mots. Sa souffrance. La lutte contre sa souffrance et l’envahissement. Et le rejet. Elle n’a pas vu que j’ai voulu ça. Ça. Pour elle. Parce que c’était la seule solution. Accepter sa haine. La prendre pour m’en faire un linceul. Lui faire ce cadeau de sa haine pour moi. Qui peut comprendre ? Moi-même je n’en reviens pas. Je sais quand j’ai mis la mécanique en route. Je sais le jour. Il fallait que je le fasse, pour elle. Pour qu’elle entende. Je sais qu’elle a entendu. Au fond de ses peurs, elle a entendu. Elle sait ce qu’il faut faire maintenant. Elle l’a toujours su. Maintenant elle sait qu’il faut qu’elle pose tout. Tout. Qu’elle pleure longtemps. D’abord longtemps. Qu’elle pleure profond. Au plus profond, c’est le plus difficile. Elle sait maintenant qu’il faut qu’elle arrête de faire sans faire, de dire sans dire, d’aimer sans aimer, de haïr sans haïr, être ça sans être ça, ou autre chose sans être autre chose. Elle sait que les mots se tirent la langue. Elle sait qu’elle doit arrêter d’écrire sans écrire, de se dire sans se dire, de mentir sans mentir, d’être vraie sans être vraie, d’être engagée sans être engagée. Elle sait tout ça. Elle sait son impossible relation à l’autre. Avec toutes ses peurs. Impossible. Elle sait où se trouve la clé. Dans le coffre de l’enfance. Elle le sait. Papa, maman. Maman qui part voir d’autres hommes que papa. Papa, si bon, si faible, si humilié. Maman qui séduit, qui trompe, qui trahit. Il faut bien être comme maman, pour qu’elle m’aime. Bien sûr. Elle le sait. Tout vient de là, même l’horrible, après. Même l’horrible maintenant et toujours et à l’heure de notre mort. Amen.

Aujourd’hui son écriture fait résistance à l’intérieur. C’est par là qu’elle résiste au pardon. A la rémission. Ce n’est pas frontal, c’est à coté. En biais de la vérité. Son écriture la trompe. Elle le sait maintenant. Comme sa mère. Et les hommes ne sont pas aimables, comme son père. Défaillant, toujours. Ou alors, amant et complice de la mère. Décevant au final. Toujours décevant.
Elle sait maintenant.
J’essaye de comprendre l’identique là où il n’y a que différence. Sa mère, la mienne. Rien. Pourtant…On ne brise jamais les liens on en incise uniquement la surface. On n’en coupe que la peau. Les mythologies nous font croire que l’on peut trancher dans le vif. Oui, on tranche, mais ça ne sépare pas la nuit du jour. Il faut être dans dilution. Dans le précipité. J’appelle ça : l’effondrement.
Encore hier, elle est venue poser ses mots sous la blessure. Par défi. Par ignorance. Puisque le lien n’est que blessé, jamais coupé.
Enfant j’allais à pêche. Occupation d’ennui, d’usure et de patience. Apprentissage du mystère. Dans l’attente se crée toute une relation au monde, aux rêves, aux espérances. Toutes nos stratégies s’élaborent, là, au moment où l’on prépare sa ligne. Choix du bouchon, grosseur de l’hameçon, plombage. Plaire à sa proie. La séduire. Se dire que les belles couleurs du bouchon n’effraieront pas, se dire que la profondeur choisie sera la bonne, la seule possible. Se dire que l’hameçon sera assez gros, assez solide pour les petits poissons, comme pour les gros. Plomber juste ce qu’il faut. Pour que la plume soit droite. Se dire que le choix de l’asticot est essentiel, ou que le ver doit être appétissant. Se dire que la pêche est une histoire de vie et de mort, que seul le vivant attrape le vivant. Et que la mort est au bout. Au bout de cette attente, au bout de cet ennui. A mort comme une joie. Jouissance de la perte et de la destruction. Réduire l’autre à soi. Pêcher du vivant pour être sûr d’être soi-même en vie, prendre cette vie pour se nourrir d’une mort apprivoisée. Pas douloureuse, parce qu’infligée.
Je me souviens de ces longues après-midi à regarder ce bouchon descendre la rivière. A chercher l‘endroit mystérieux où le poisson se trouverait. Choisir ce reflet sur l‘eau courante plutôt qu‘un autre. User jusqu‘à l’épuisement sa patience. Être là, dans cet espace infini entre la jouissance et le désespoir.
Les gestes de l’enfance ne sont pas très précis. Souvent la ligne s’emmêle. Le fil de nylon se met en pelote. En nœud.
C’est l’autre épreuve initiatique. Le nœud.
Les première fois, on tire. On pense que la seule force sera suffisante. On tire. Et le nœud se serre. La pelote se fixe. On connaît là, l’insupportable frustration. Quelques temps auparavant on faisait ses premières prière aux dieux des pêcheurs. Et là, on profère ses premiers jurons aux dieux des enfers. On tire. Et le nœud est toujours là.
On ne sait rien de la vie. Donc on ne ait rien des nœuds. On a beau le regarder, il est là, et nous renvoi à l’impossible. L’inacceptable. L’intolérable.
On ne sait rien de la vie. Alors on tire jusqu’a ce que ça casse. On coupe le nœud. Au dessus et en dessous, on le réduit à rien, et on jette la pelote nouée au fil de l’eau. Reste à recoller les deux bouts de la ligne, des plombs sont partis, de la longueur de fil, mais qu’importe, le nœud n’est plus là. Alors pour recoller les deux bouts on fait un autre petit nœud, petit celui-ci, un nœud maîtrisé, un nœud à nous. On le voudrait presque invisible, mais solide, on voudrait qu’il relie, mais qu’il ne soit plus là. C’est l’instant de la cicatrice. La blessure. Celle qui reste. On peut relancer sa ligne, mais ce n’est plus pareil. On sait qu’elle est imparfaite, on sait que tout le monde le sait, même les poissons, on sait, on croit que ces eaux de la vie et de la mort réclame une perfection. Une perfection qui jamais n’existera plus. A cause de ce petit nœud. Celui que vous avez fait. Si petit. Mais vous ne voyez que lui. Il est là planté au milieu de votre désir. Ces nœuds d’enfance laisse tomber un voile sur le soleil. Quelque chose de notre sang s’assombri.
On ne tranche pas les nœuds. On l’append plus tard.
Plus tard on prend la pelote. On la pose bien à plat avec douceur et précaution. On la pose dans la lumière du soleil. On la pose et on la regarde. Longtemps. Très longtemps, s’il le faut. Ce regard c’est l’échange, mais c’est la reconnaissance. C’est admettre. C’est accepter. Voir l’entrelacs du fil. Et commencer à défaire. Lentement. Très lentement. Je me souviens de mes doigts maladroits. Autre exercice de patience. Mais là, l’attention est à son comble. On est dans une autre dimension. On est dans le lieu du nœud où la règle c’est le geste juste. Comme ailleurs c’est la parole juste. A tout moment le nœud peut se resserrer. Élargir, étirer les fils, agrandir sans forcer, repérer les impasses. Toujours être au plus juste de soi, de son regard, cela peut prendre des heures, sans doute des siècles. Mais on ne pas faire l’économie de ce dénouement.
Chaque ligne dénouée est forte de notre patience donnée, de nos énervements vaincus, d’une pureté gagnée sur l’infâme de nos vies.
On ne tranche pas les liens. Ni les nœuds.
Qui a-t-il dans le lien sinon, déjà, l’extrême vérité du nœud ?
Qui a-t-il dans le nœud, sinon ce grand champ de neige et la mort qui souffle au bout?
Alors le geste juste est de remettre le lien là où il était. Et si la honte existe elle n’est pas mon fait, c’est à l’Autre de s’en arranger. La réalité, n’est pas magique, elle est la réalité. Je la lis, elle me lit. Le reste n’est que danse macabre.
Je ne veux pas de son nœud sur ma ligne. Je dénouerais un a un les fils. J’ai la patience et la douleur des grands chênes. Mon écorce est craquées, fissurée, hésitante, tourmentée mais mon cœur est droit. Sans honte, et sans regret. Je ferais donc les choses dans l’ordre. Fil après fil…

Je sais un pays où les aurores ont l’odeur du pain frais.
Je sais un pays où l’amour lève durant la nuit où l’amour cuit au feu de bois, où l’amour se partage comme un morceau de pain…

Franck

26 janvier 2006

...Tre Cavalli....

Elle est revenue à Paris. Comme il y a un an. Presque jour pour jour. Comme un anniversaire. Comme un rituel. Déjà. « Je suis à Paris… on peut se voir dimanche…. ». Elle surgit toujours de nulle part. Sa voix au téléphone est agréable. Une voix amie. Je suis tout de suite bien dans sa voix. « Comment tu vas ?... », « Comme un poisson  qui se noie… mais c’est sans importance ». D’où sorts-tu petite Sandra ? C’est quoi ton pays ? Que viens-tu faire dans mes landes ? Dans mes déserts. En ce moment je suis vent et glace. « Et puis tu me parlera de mes étoiles, comme l’année dernière… ». Pourquoi es-tu là dans mon paysage austère ? Pourquoi traverses-tu ce chemin de broussailles ? Tu sais bien qu’on peut s’y perdre.

Elle était à l’heure. Je l’ai vu arriver de loin, elle courait presque. J’ai vu de loin sa blondeur en bataille arriver dans ce soleil d’hiver. Essoufflée. Avec le bout du nez un peu rouge. La bise. Et tout de suite après, elle a collée son visage dans mon cou. J’ai pensé : un petit oiseau. J’ai pensé : plume. J’ai pensé : grâce. J’ai pensé… déjà elle me prenait le bras. Et nous marchions. Elle n’a pas changée. « Toi, non plus ; tu n’as pas changé. » Je sais qu’elle ment. Mais son mensonge est agréable. Si, j’ai changé. Je suis plus…. Plus loin. Je sais que je suis plus loin… et encore un peu plus perdu qu’avant.

Je me souviens qu’il neigeait l’an denier. Comme dans ce long poème du Hugo : L’expiation. Il neigeait… Il neigeait, il neigeait toujours… Pourquoi j’ai cette neige au bord des yeux. « Après la plaine planche une autre plaine blanche… » Combien de plaine blanches j’ai déjà traversées ? Combien de retraite de Russie ?

En marchant je pensais à ce livre d’un auteur italien Erri De Luca « Tre Cavalli ». Son idée, est que la vie d’un homme, peu se diviser en trois parties, et chacune d’entre elle, représente, en temps, la vie d’un cheval. Chaque homme à trois vies de cheval à sa disposition. Suis-je à la fin de mon deuxième cheval…est-il en train de mourir ?.

Ca y est, il est mort. Le deuxième cheval. Pendant que j’écrivais ce texte…. …………………………………………………………………………………………………

Je reprends. Le troisième cheval, n’est peut-être pas encore né. Peut-être faudrait-il qui ne naisse pas. Entre ces deux paragraphes ; quelques jours. Simplement quelques jours qui se sont ouverts comme un gouffre. Ce n’est pas sa vie que l’on voit défiler. C’est autre chose.

Sandra est repartie. Comme si elle appartenait à une autre histoire. A d’autres mots. Cette année nos corps ne se sont pas rencontrés. Simplement un baiser. Tendre et long. Comme un désespoir ou un effondrement. Lent et profond…..

Dimanche de janvier ensoleillé. Froid. Mais ensoleillé. Couleur de plâtre. Au moment où je marche vers cette exposition de photo avec elle à mon bras, je ne sais pas que mon deuxième cheval est à l’agonie. Mais quelque chose en moi sait. Soleil de plâtre, désagréable au touché. Lisse et grinçant à la fois.

Je n’ai pas aimé ce deuxième cheval. Maintenant qu’il meurt je le sais. Il n’avait pas le sens de l’orientation. Et son trot était dur, cassant, brisant…Il voulait aller vers un truc qu’il appelait rédemption, mais il n’avait pas le sens de l’orientation.

Un soleil de plâtre. Une exposition de portrait d’Isabelle Huppert. Dizaine de portraits tous différents, tous identique, comme si la pléiades de photographes de renoms, n’arrivait pas à entamer le mystère d’un regard ou d’une vie. Identique. La permanence du même. Je pensais au texte de l’agonie de ma mère. Avec ce vaste paysage de neige. Celle sur les portraits avait ce paysage dans le regard. Pas froid, pas chaud. Mais une vaste étendue, longue comme l’infini de la perte. Sandra passe d’une photo à l’autre, pressée. Au fond, cette expo ne l’intéresse pas. Moi je regarde ce visage, qui dit l’intégrité et la permanence, qui résiste à l’envahissement. Un visage qui dit : vous n’aurez que ma présence, que mon « être-là », et rien de plus. Le reste se trouve dans l’infini de ce champ de neige que j’ai devant les yeux, en arrière de la mémoire. Là où il fait froid. Là où je vis. Là où vous n’irez jamais.

Aujourd’hui le deuxième cheval est mort. Il a été achevé. Normal. C’est elle qui a mit la dernière balle. Elle, l’autre. L’autre de mes mots. L’autre de l’impossible. Elle a l’habitude des exécutions. Sommaire. C’est mieux ainsi. L’autre sans visage. J’ai toujours su que cela viendrait d’Elle. Son goût pour la mort. Pour le meurtre.

L’expiation. « Il neigeait… ». Tout est mélangé. A la fin tout se mélange. Elle, Elle arrive à la fin de son premier cheval. Elle ne le sait pas. Si, je crois qu’Elle sait.

Je passe de photo en photo, et Sandra s’ennuie. Elle ne le montre pas. Je voudrais la serrer dans mes bras, mais c’est inutile. Et puis je pense à l’Autre. Au coup de grâce. Voilà, la grâce. La grâce jusqu’à la cruauté. Il faut bien ça pour achever son deuxième cheval. Au moment de l’expo, tout se prépare. J’aurais du comprendre ce soleil de plâtre. Cette lumière rappeuse, au goût fade. Sandra : tu crois que je vais le trouver mon prince à moi ?... et si s’était toi ? Non, Sandra, ce n’est pas moi. Moi je n’existe pas, ou plus…. Je ne suis juste qu’un reflet.

Elle sourit. Je pense à l’Autre, à ce moment précis. Elle aussi n’est qu’un reflet… de nos cerveaux malades, encombrés.

Le cheval tombe. Il relève la tête, ses membres s’agitent et batte l’air. Il souffle, et ses nasaux frémissent. Il essaie de se relever. Il s’effondre. La masse de chair s’effondre. Ses yeux. Je me souviens de ses yeux. Bijou, il s’appelait. Bijou. Vieux Bijou. Une pate cassée. Cassée de partout. Elle va dans tous les sens. Et tes grands yeux savent déjà. C’est la fin, mon brave Bijou. La voiture en te percutant t’a blessé aussi à l’épaule. La chair, les muscles tout ça est à vif. D’abord on ne sait pas, on croit que sera sauvé. Alors on te recoud. Pendant que le vétérinaire passe l’aiguille dans chaque muscle déchiré je rapproche les chairs. J’ai mes mains qui touchent ton os Bijou. Pour la douleur on a mit un tord nez que Frédérique tient de toute ses forces.  Plus tard dans la nuit. Tu prendras un coup de chevrotine dans ta face. Tes yeux savaient tout ça, Bijou, lorsque tu nous regardais. On fut plusieurs à creuser ta tombe. C’était interdit, mais là-bas en Corse dans ces temps, on pouvait décider que Bijou resterait là, face à la mer, et que tu entendrais le galop de tes frères faire résonner ta mort.

Plus tard, nous marchons dans la rue avec Sandra. Elle est bavarde. J’aime ça. Mais j’ai la tête ailleurs. Elle est futile Sandra. Et j’aime ça, aussi. J’ai des hennissements dans la gorge. L’autre de la mort s’approche, c’est inscrit sur le plâtre de ce soleil.

Je suis soulagé. Sans joie, mais soulagé.  Mon deuxième cheval fut un cheval de misère engoncé sous ses harnais…

L’autre de la mort s’approche, maintenant je sais que c’était Elle. L’arme déjà braquée. On savait tous les deux que c’était ça l’issue. La seule ? Il fallait que deuxième cheval meure. Elle savait qu’il faudrait tirer.

Elle l’a fait.

C’est bien ainsi.

Sandra est repartie. Toujours avec son petit sourire triste.

Elle, Elle l’a fait.  Elle a tué mon deuxième cheval. Comme Elle tuera son premier à Elle. Bientôt. Elle rencontrera le silence.

Il faut que le troisième cheval naisse. Le premier a appris ce qu’il ne fallait pas, le deuxième a désapprit. Le troisième volera… je le sais déjà…j’ai des morceaux d’ailes plantés dans la chair. d'Elle.

Franck

25 janvier 2006

...ce qui vous reste....

Il y a comme ça, même au cœur de l’errance comme un sentiment d’urgence, d’imminence. La mise en place d’un certain ordre au très fond du désordre. On le reçoit comme de l’acharnement. Table rase. Il faut que rien ne subsiste.

Le vide se met en ordre.
Il ne subsistera rien.
Et c’est mieux ainsi.

Ni remords.
Ni regrets.
Rien.
A
Peine
Se souvenir.
Simplement la trace.
Comme une ombre de plus.
Jusqu’à ce que les ombres nous recouvrent.
Me revient la lancinante complainte des hommes sans noms, comme si ma mémoire avait voulu garder ces mots. Juste ces mots. Comme s'ils devaient servir de tout tempd pour aujourd'hui...

Graver la pierre de nos souvenirs. Au burin des haines reçues. Au poinçon des oublis. Et les mateaux frappent l'indiférence...

« Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste
Donnez-moi ce qu'on ne vous demande jamais.
Je ne vous demande pas le repos
Ni la tranquillité
Ni celle de l'âme, ni celle du corps.
Je ne vous demande pas la richesse
Ni le succès, ni même la santé.
Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement

Que vous ne devez plus en avoir.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste.
Donnez-moi ce que l'on vous refuse.
Je veux l'insécurité et l'inquiétude.
Je veux la tourmente et la bagarre
Et que vous me les donniez, mon Dieu, définitivement.
Que je sois sûr de les avoir toujours,
Car je n'aurai pas toujours le courage
De vous les demander.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste.
Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.
Mais donnez-moi aussi le courage
Et la force et

la Foi. »

La seule prière qui fut entendue.
Comme quoi Dieu écoute parfois.
Il suffit de savoir lui demander.
Franck

20 janvier 2006

Un corps si étroit.....

Le plus souvent nous ne parlions pas. Il y avait comme un rituel des visites dans sa chambre. Nous nous succédions. Un par un. Il y avait la chaise à coté du lit, pour ma grand-mère. Sa mère. La chaise des larmes sèches. Et puis il y avait le fauteuil, pour l’autre grand-mère. Le fauteuil des histoires. Elle disait « Maman, racontez moi une histoire…. » Elle appelait sa belle-mère « maman ». Ca se faisait, avant. Claire savait raconter les histoires. Une conteuse sans le savoir. Claire avait la voix haut-perchée et le rire éclatant. Et le sens de la dérision, comme celui de la fatalité. L’arthrose lui avait tordu toutes les articulations, les pieds, les genoux, les hanches, les doigts. Et puis elle avait Georges, comme si sa croix n’était pas assez lourde. Georges le fantasque, l’iconoclaste, Georges le poète des arbres et des animaux. Claire comptait plus sur sa canne, que sur Georges. Le fauteuil c’était mieux pour elle. Claire avait toujours une anecdote à raconter, dans une auberge il se passe toujours quelque chose. Toute l’humanité défile dans une auberge. Alors Claire racontait. Souvent quand elle riait cela déclenchait des quintes de toux. Heureusement elle ne riait pas souvent, sauf avec Claire. Les autres s’asseyaient sur le lit. Elle ne tenait plus beaucoup de place dans ce grand lit. Elle ne froissait même plus les draps. Elle n’avait déjà plus de pesanteur dans ce monde. Il neigeait. Dehors il neigeait. Sans joie, l’effritement lent du ciel qui arracherait ses dernières peaux. Confettis de silences glacés. Presque trop lourds au regard. Noël approchait. Il neigeait. Dans sa chambre la chaleur était étouffante. Les carreaux étaient recouverts de condensation, comme un voile de petites perles opaques et tristes. Parfois je passais ma main sur la vitre et je voyais la neige, et l’immense tilleul. Et derrière les ronflements, les raclements de sa respiration. Je sentais son regard sur moi. Mais souvent nous ne parlions pas. Parler l’épuisait. Alors il fallait choisir les bonnes paroles à dire. Ne pas se perdre dans les détails. Pour le reste les regards devaient suffire. Sa main était posée sur le drap. Sa main. Ce qui reste d’une main, une fois que la chair, le sang l’on quitté. Ce qui reste d’os et craquement. Avant ses mains étaient magnifiques, plus jeune elle avait été manucure, puis après esthéticienne. Alors les mains elle connaissait. L’entretient des ongles. Limage, ponçage, gommage. La petite navette de daim qui me fascinait tant, et qu’elle utilisait pour faire briller les ongles. Le petit bâtonnet de bois, pour repousser les peaux, les pinces en tous genres. Les vernis, les couleurs. Elle s’appliquait sur chaque doigt, à colorer, à peindre sans déborder sur la lunule. Sa main était posée sur le drap. Et je n’osais pas la prendre. Elle semblait si fragile cette main. Il fallait la pommader pour que les os ne crèvent pas la peau froissée, fripée. Et les veines gorgées d’un sang noir et lent et brûlant. Tes pauvres mains maman. Qui ne savent même plus prier, sinon être là encore un peu. Il neigeait. Et la neige en tombant recouvrait l’immense coupole chauve de l’immense tilleul. Et notre immense tristesse. Silencieuse. De la mort blanche qui avance à pas mesuré, certaine de sa victoire, lent traineau sur la neige. Elle a déjà pris tes mains et ton visage. Sauf tes yeux maman. Sauf tes yeux. A pas mesurés sur cette plaine blanche, ou chaque jour fait la trace plus profonde comme des veines vidées de leur sang. Pendant nos instants, je restais assis sur le lit à coté de toi. Et nous nous regardions, vidés de nos paroles, vidés de la langue qui aurait pu les dire. Il est des pays trop froids pour que les mots adviennent, il est des heures trop fragiles pour porter la voix. Alors il restait le regard dans lequel on serrait chaque seconde comme des fruits, qui déjà, auraient donnés tous leurs jus. On était dans ce pays lisse et froid, sans borne, sans lendemain, sans attente. Sans rien. Lisse et froid, comme du métal. Quand l’attente à déjà rendu l’âme. Il neigeait maman, et cette neige nous la mangions en silence à nous en faire casser les dents. Mais en silence, puisque ce pays de la chambre où nous étions, était inhabitable. Parfois je t’aidais à t’asseoir, mais tu ne tenais plus. Chaque articulation semblait se disloquer, j’en profitais pour prendre tes oreillers et pour les regonfler. Et ton corps se déposait, à nouveau sur eux, sans à peine les déformer. Et ta main d’os se posait sur ma figure que tu touchais comme pour la reconnaître une nouvelle fois, et je sentais les tremblements de ta vie, et je sentais les tremblements de la mienne, maman. Nous n’étions rien de plus que ces tremblements. Et ces soupirs à peine soufflés, dans ce temps arraché, calciné, dévasté. Car chaque seconde nous était volé et il fallait en gagner d’autres, et il fallait en trouver d’autre pour avoir la force de trembler encore. Il neigeait, maman. Et la blancheur se dessinait sur ta peau comme en transparence. Tu étais ce vaste champ de neige au-delà de la mort. Et je voulais mourir de ta mort, aussi. Tu comprends, maman. Mourir avec toi, dans la blancheur de cette neige qui tombait comme un sacre. Le plus souvent nous ne parlions pas. Tu voulais simplement que j’approche ma tête pour que tu puisses poser tes lèvres sur mon front. Tu voulais ma chaleur, et je prenais la tienne. Combien de fois nous avons fait ces gestes pour se dire sauvé, un tout petit instant, de nos déchirements ? Ma tête bercée entre tes os, ma tête sur ta poitrine essoufflée et pantelante. Ma tête posée sur cette horreur sublime. Sur cette neige épuisée, qui n’en fini plus de tomber sur nos vies. Dans le délabrement silencieux du ciel de cette chambre surchauffée par la fièvre du temps dans ses ultimes bruissements. Il neigeait, et dans le grincement du parquet on entendait les clameurs d’une autre rive ou les foules vont en cortège se perdre dans les champs d’asphodèles. Chaque regard était un froissement de plus, et la pâleur des sourires disaient de long gémissements, ceux qui vont en glissant sur les étendues neigeuses, au-delà des fleuves, au-delà des déserts, bien après nos vies et nos lamentations, comme les longues supplications qui tombent dans l’oubli. Il neigeait et nous étions dans cette intimité silencieuse et brûlante à veiller sur nos morts inlassables, nos morts en infusion dans chaque grain de lumière, dans chaque bouffée d’air qui te manquait peu à peu. Respirer, une fois sur deux, une fois sur trois, une fois sur moi, respirer de temps en temps, de moins en moins souvent, jusqu’à très rarement, jusqu’à ces instants où le feu de tes yeux vacillait, proche du noir, avant de repartir avec l’hésitation d’un animal blessé. Les étoiles, aussi, respirent mal, maman. Je le sais, je les ai vu ; la nuit, on les entend hurler, on entend leurs souffles rauques et chuintant. Respire encore, maman… encore… encore une fois.
Il neigeait, sous nos peaux, il neigeait sur cet immense tilleul aux milliers de ramures noires, noires comme un immense poumon mort soufflant encore son sang et ce qui reste de vie dans cet instant du soir.
Il neigeait, pour adoucir la chute que fait l’âme en tombant au fond du corps. Il nous fallait aller à l’essentiel, au plus direct, bien après toute les questions. Rassembler le tout de la vie, en des mots de rien.
Tu aimais ma lecture, parfois hachée, des poésies que je te lisais. Et ma voix chevrotait légèrement, et tes yeux embrasait cette chambre, et cette chambre allumée jour et nuit, éclairait cet immense tilleul, et la neige qui tombait.
« Pardonne-moi… pardonne-moi mon grand… » Ce sont les derniers mot qu’elle m’a adressé. Et j’ai serré l’os qui caressait ma joue comme le trésor le plus fragile qui n’est jamais existé. Il faut porter le pardon des morts. C’est lourd. Mais c’est plein de lumière. C’est lourd comme la neige qui tombait et qui au loin faisait un bruit d’enfer.
Comme la neige, qui tombait…. Qui tombait…..dessinant dans la nuit, pour ton corps si étroit, un si grand escalier, qui montait… qui montait…comme la dernière prière que je n’ai pas su bien faire…. Tout là-haut… par delà les nuages…. Derrière la nuit. Il faut porter le pardon des morts. Le porter en silence sous les grands tilleuls et les déposer sur la neige blanche pour que vienne le printemps.

Franck

20 janvier 2006

Ce matin........

Drôle de journée hier. Il faut bien en passer par les choses inévitables. Ma « logeuse », m’a donnée mon congé. Huit jours à peine, c’est un peu court. Mais elle est pressée. La nouvelle est arrivée par texto. C’est mieux par texto. Ca fait moderne. Hier au soir, en rentrant, impossible de parler avec elle. La première bouteille était vide. La deuxième presque vide. « J’ai bien reçu votre message Estelle, quoiqu’il arrive je serais parti la semaine prochaine… d’ailleurs,  si cela avait été possible je serais parti ce soir… ». Elle a essayé de m’expliquer… une histoire compliquée… les mots ne venaient pas… elle cherchait…. Rien ne venait…  Nous en sommes restés là. Drôle de journée. Hier.

Ce matin un autre texto, aux aurores... des mots clairs, généreux, des mots qui disent demain avec le ciel qui va avec... unlong texto, envoyé par une personne qui tend la main, parce qu'elle sait que c'est là que se tien le coeur. Dans la main.

Les jours se suivent mais ne ressemblent pas... pas toujours.

Ce matin, dans le métro, je lisais au hasard du recueil… Neruda… oui, toujours… depuis des mois j’ai les deux mêmes recueils dans mon sac…

Je suis tombé sur celui-là. Allez savoir pourquoi j’ai eu envie de le mettre ici…

Alors voilà….

Franck.

L’OUBLI

Tout l’amour dans une coupe

grande comme la terre, tout

l’amour – étoile et épine –

je te l’ai donné, mais tu as marché

avec tes petits pieds, avec tes talons sales

sur le feu, et tu l’as éteint.

Ah ! grand amour, petite aimé !

Je ne me suis pas arrêté dans le combat.

Non, je n’ai pas cessé d’avancer vers la vie,

vers la paix, vers le pain pour tous,

mais je t’ai levée dans mes bras,

je t’ai fondue à mes baisers

et regardée comme jamais les yeux d’un  homme

à nouveau  te regarderont.

Ah ! grand amour, petite aimée !

Mais tu n’as pas alors pris l’exacte mesure

de celui qui avait choisi, gardé pour toi

le sang, le blé et l’eau

et tu l’as confondu

avec le frêle insecte tombé sur tes genoux.

Ah ! grand amour, petite aimée !

N’attends pas que je me retourne

pour te regarder au loin, reste

avec ce que je t’ai laissé, promène

ma photo trahie, moi

je vais poursuivre mon chemin qui est d’ouvrir

de large voies contre l’ombre, de rendre

douce la terre, de partager

l’étoile pour ceux qui arrivent.

Reste en arrière.

Car la nuit est venue pour toi.

L’aube peut-être

nous permettra de nous voir.

Ah ! grand amour, petite aimée !

(Pablo NERUDA)

19 janvier 2006

C'est quoi la honte ?........

Elle publie mes textes..... je publie les siens... d'ailleurs ils étaient là...je ne fais que republier... Elle a la mémoire sélective....et les affections instables... et des sincérités successives....Aujourd'hui elle est dans la haine, la haine de moi, mais chez elle, la haine c'est comme l'amour... alors, va pour la haine. C'est bien aussi.

Elle voudrait que j'enlève le lien qu'il y a chez moi. Et comme elle est maladroite, elle ne sait pas le demander. Elle croit qu'il suffit d'exiger. Elle croit que tout le monde fonctionne comme elle. C'est sa façon de tout mélanger. Elle dit qu'elle a honte de se savoir dans ma liste. Mais je crois qu'elle ne sait pas le sens du mot... alors elle dit ça, comme elle aurait dit autre chose.
Elle veut blesser, faire mal... mais l'on sait d'où cela vient...alors c'est sans importance.
Quant au "lien", je verrais. C'est moi qui décide en l'occurence.
On écoute ce qu'elle avait à me dire il y a quelques temps... c'est dommage elle aurait pu être un grand écrivain....
Franck.

"ON PEUT TOMBER amoureux d'amitié sur le net. Cela m'est arrivé cette année. Je crois qu'il s'agit de cette année. On ne se connaît pas. Je n'ai pas voulu aller plus loin (pour l'instant) que le net. Pourquoi ? Parce que j'ai aimé quelqu'un de son âge juste avant. Quelqu'un de sa génération. Je ne suis pas de sa génération et ne le serais jamais. Dans mon corps. Dans mon coeur c'est autre chose, il n'y a pas de génération au niveau des coeurs, que celui qui dit le contraire vienne me le dire en face et sans rire. Ces derniers temps, voire même depuis le début, je suis moins investie que lui dans cette amitié. Cela ne veut pas dire que je ressente moins d'attachement pour lui que lui pour moi. Je ne sais pas quel attachement il a avec les autres qui viennent ici lui dire qu'ils sont bouleversés, désolés, attristés. Je ne veux pas lui dire ça, ce n'est pas ma place, j'ai une place, enfin je crois, ici, il m'a donné son code, son numéro, l'invitation ne marchait pas. Il est élégant. Vous l'avez vu en photo ? Il n'aime pas ce qu'il écrit. En ce moment, il trouve que ça tourne en rond et ce qu'il écrit est loin de ce qu'il vit, loin et extrêmement proche, il comprend ma douleur maintenant, la douleur non pas d'écrire mais de dire face à des gens qui font les trois singes presque à chaque instant de leur vie. Les moments de doute sont nombreux lorsqu'on essaie d'être authentique. Je devrais taper moins vite sur mon clavier, je ferais moins de fautes de frappe, moins d'oublis de petits mots. Il est élégant, vous l'avez vu en photo, moi je l'ai vu. Mon mari avait son âge à peu près, mon mari était un intellectuel, enfin au début, ensuite il est devenu alcoolique, parce que j'ai découvert qu'en fait, il me le cachait, tellement bien, tellement sournoisement que j'ai eu l'impression d'être la femme la plus idiote de la planète. La planète des Morts, c'est chez moi, c'est les démons bleus. Les démons sont souvent de toutes les couleurs : le noir ne représente pas forcément la mort ou la dépression. L'amie indienne de mon frère, sa correspondante avec qui il a eu une petite aventure pendant quelques temps, m'avait dit : dans ma famille, mon père disait que le noir était la pudeur et l'innocence. Je l'ai vu en photo, il a donné ses photos. Je crois qu'il avait besoin d'une amitié, nous en avons tous besoin. Mais là je parle de lui. Il avait besoin d'amour. Comme nous tous je pense. Surtout moi, avant vous. Non je plaisante. Bref, il est en train de voir l'absurdité de l'écriture dans le monde, et du coup son importance. Franck tu devrais ressentir face au réel à quel point c'est une force, une résistance, un pouvoir, avec lequel on n'est pas obligé de s'enivrer d'égo. On n'est pas obligé. De rien. Simone m'a demandée : c'est de la fiction ? Comme si j'étais capable de faire de la littérature avec de la fiction, moi. Comme si j'avais la prétention ou la bêtise de faire de la littérature avec de la fiction. La fiction : un bon polar, une histoire d'amour, un roman à l'eau de rose, les tribulations de personnages auxquels on ne croit pas une seconde. Qui n'enivrent plus. C'est comme de faire l'inverse, tout raconter bêtement, en prenant le temps de lecture aux gens avec ses soucis. Il doit bien exister une voie encore non explorée, je pense. Il ne faut pas avoir peur de chercher. Je cherche. La merde dirait certains, d'ailleurs souvent je la trouve. Souvent ils viennent me voir en privé, comme je mets contactez l'auteur, mettre des messages dans les commentaires ils n'osent pas : mes textes il paraît ne mérite pas de commentaires, dans le bon ou dans le mauvais sens du terme. Franck mes messages n'étaient pas petits, ni même laconiques. Bon d'accord, on était en train de se regarder, de se regarder en disant à l'autre sans ouvrir la bouche : bon tu viens ? Tu ne viens plus ? Tu ne m'entends plus ? Tu ne m'aimes plus ? Tu m'aimes ? Tu m'aimes vraiment ? Tu sais qu'écrire c'est au nom de l'amour sinon va au Diable ? Tu ne le savais pas ? Et bien...Mais écrire l'amour c'est périlleux m'a dit un trou du cul qui se croyait plus malin que les fesses de Jupiter (et l'aile de mon oiseau bleu). Si le soleil refuse de briller en toi en ce moment Franck, et c'est le plus important de mon érotique chaos, va le voir pour moi, va lui dire qu'il y a un prix pour avoir le droit de t'illuminer. La peau, les yeux, les cheveux, les cheveux deviennent plus clairs avec l'été. Je déteste l'été. C'est comme un hiver mais de feu, je déteste l'été parce que je panique en été. C'est un souvenir de la maison des morts de l'enfance. Très très grave. On ne se remet jamais de son enfance, c'est une maladie chronique, c'est une dégueulasserie faite par les dieux. S'ils m'entendent. Tu as vu mon trouble, tu as vu mon malaise et tu n'as pas su quoi dire. Je vais te dire : moi j'ai vu le tiens, au même moment, j'ai vu le tiens et je n'ai pas su quoi dire non plus. Donc si nous n'avons pas trouvé les mots, ça veut dire que les mots ne nous ont pas trouvé. Les mots ne trouvent jamais personne, sauf les Grands Ducs de l'Académie Royale qui écrivent des phrases sans fautes de frappe et avec un langage tellement ahurissant de noblesse qu'Angéline et les Récits de la Maison des Morts peuvent aller se rhabiller au niveau du . Je t'aime Franck. Tiens, c'est spontané, c'est mon coeur qui vient de parler, je ne sais pas pourquoi je te dis ça comme ça, je te le dis parce que c'est vrai, je n'ai pas pour habitude de raconter des choses fausses. Comme ça au débotté. Si tu m'entends. Tu sais, laisse les gens regarder Dolmen : le samedi soir, ils doivent pas regarder Lost qui est beaucoup mieux, parce que ça nous vient des Amériques. Celui qui se sent à l'aise dans sa littérature doit être proche du bouffon je pense. Pourquoi ? Encore une avec ses certitudes qui la rendent bête d'être intelligente, je crois en fait que ceux qui se sentent à l'aise dans leurs mots ont un problème quelque part, certainement au niveau de la vision, de la vista disait, paix à son âme, Jean-Pierre Raffarin. On dirait que tu attends des autres qu'ils entendent ton écriture, justement les gens qui n'ont pas envie de faire d'efforts, qui sont à leurs places, bien chaudes, qui ne veulent pas les quitter. Tout en rêvant de le faire secrètement. Ecoute, laisse-les regarder ce qu'ils veulent. C'est toi le commandant de ton radeau. Ecoute-moi : ne souffre pas à cause de ça. Laisse couler pour le reste aussi. Toi et moi nous avons la chance d'avoir une issue de secours remplie d'humanité et de noblesse (enfin tu vois ce que je veux dire, quand j'utilise des mots comme ça il faut les multiplier en fait par...). Ils ont le pouvoir du plancher des vaches, à juste valeur ils savent utiliser les appareils de la Maison des Morts, nous ne savons pas, alors nous inventons notre appareil, l'écriture. L'écriture. Même Dieu a essayé, même Allah, même la voisine d'en face, Madame Mortier, elle veut ouvrir un blog pour parler tricot, on croit rêver. Ils n'ont que le tricot pour les faire jouir on dirait. Non je plaisante. C'est pas ici, Franck que tu vas trouver du réconfort, peut-être auprès de mon sein, tu devrais parler aux animaux, sans honte, tu devrais regarder le ciel pendant des heures, sans peur, tu devrais marcher pieds nus dans l'herbe, comme j'ai fait, tu devrais trouver une jolie petite minette de 23 ans et peut-être, éventuellement, l'aimer après l'amour, baiser n'a jamais fait de mal à personne, sauf peut-être à nos crises de foi. Je suis souvent très forte pour relever le moral des gens que j'aime je ne sais pas si ça marche encore. Encore maintenant. Moi-même, pour dire toute la vérité, je suis incapable de me réconforter comme ça. Jean : "tu sais réconforter les gens, parce que tu ressens ce que tu dis". Dans ce sous-sol qui vibre Franck est-ce que tu m'entends ? Ils imaginent le monde qu'à leur image, alors impose ta chance, va vers ton risque, montre que ta parole existe, même par le silence en dernier recours. Utilise du savon pour t'en laver les mains aussi. Comme je fais lorsque je remonte de ma visite quotidienne, tu sais que j'ai beaucoup de Goulag dans mes sous-sols, et aussi des Chambres à Gaz, et aussi des morceaux de jardin avec des arbres fruitiers, oh mon Dieu mon homme est un sage de la connaissance. Je t'aime Franck, donc tes doutes, vu de l'extérieur, vu de ton écriture, ne sont pas justifiés. Car tu vois ton écriture différemment des autres. Avoir du recul sur ce qu'on écrit ce n'est pas donné à tout le monde. Ni à chaque ligne, ni à chaque moment, tu n'es pas parfait : les regardeurs de Dolmen non plus. L'amour lui doit être parfait. On en veut n'est-ce pas Franck, de l'amour parfait ? Si je n'avais pas été faite avec des défauts, je crois bien que j'aurais pu te donner un amour parfait et qui dure, qui dure comme le lapin duracel, qui ne s'arrête jamais pendant que les autres stoppent net toutes les cinq minutes. Le lapin Duracel , Franck, faisons de la pub pour le Lapin Duracel. Je t'aime Franck. Tu vois, mon malaise, je n'ai pas su le voir correctement, le tiens non plus, donc je n'ai rien dit, je ne savais pas quoi dire. Toi non plus d'ailleurs. J'avais mal au crâne ce matin en me réveillant. Tu crois que mon psy m'en voudrait s'il savait que j'enregistre sur mon baladeur mp3 nos échanges ?

Si écrire était faire l'amour et si nous avions le droit de faire l'amour à nos amis sans que cela prête à confusion, il faudrait surtout que tu ne prennes pas ce texte comme on pourrait...le prendre, car en t'écrivant, à toi qui est mon ami bien plus que ça je crois que je t'ai fait l'amour comme je ne l'ai jamais fait à un ami en lui écrivant avant de te connaître.

Donc à toi mon ami,

Chastement,

Avec l'expression de ma Considération Amoureusement distinguée

ANGELINE

(Jackie's Strength by Tori Amos)."

15 janvier 2006

Cendres......

Il y a eut cette période à Fréjus. Ou nous sommes retrouvés face à face. J’en ai déjà parlé ici. Mais les images reviennent Elle sont là. Devant. Opaques. Comme un rappel à l’ordre. L’ordre, c’est le mot exact. Opaque ne convient pas. Épaisses. Elles sont épaisses ces images. Il y a cuisine et nous deux. Lui, moi, entre nous la table. Sur la table, une bouteille de Porto ou de Ricard, ça dépend de l’heure. Entre nous la table et un grand silence. Une habitue. Un jeu. Un je ? A la maison le silence a toujours existé, il était l’arme. L’arme absolue. Tu n’auras rien, pas même ma parole. Rien que ce silence. Je te réduis à mon silence. C’est-à-dire : rien. Maintenant, dans cette cuisine, moi aussi je le tais. Silence contre silence. Le mien vaut le tien. Tout a été dit. Depuis longtemps. Tout. Sauf l’essentiel. Je ne sais plus à quel moment je suis passer à la haine. La haine froide. Silencieuse.
Mais je sais que là, en face de lui, dans cette cuisine, c’est la haine. Ce père n’est pas de moi. Je le sais. Il écoute la radio. Toujours les même gestes. Le frottement des mains. Cette façon de racler sa gorge, ou d’éprouver sa barbe avec trois doigts, ou encore cette manière de croiser les jambes. Il a posé ses dents sur la table. Ces dentiers lui font mal. Alors il pose ses dents sur la table. Et je vois brusquent ses lèvres presque aspirer par sa bouche.

Il est au bout. Il le sait. Il sait que je le sais aussi. On n’en parle pas. « Je veux être brûlé… ». Je ne réponds pas. Tu seras brûlé. J’y veillerai personnellement. J’irai même derrière, là où c’est interdit, à l’endroit du four. Là où l’on voit rentrer le cercueil. Là où l’on voit les flammes.
On ne parle pas. Puisque tout est dit. Et que chacun tait l’autre.
Le glaçon dans le verre de Ricard. Tu as l’habitude de le faire tourner avec tes doigts. Ça va durer des jours. Des semaines. Des mois. Aux même heures, avec le même silence que l’on reprend. Que l’on poursuit. Là où l’on s’était arrêté.
Tout ça, je l’ai déjà dit. Pourtant c’est là, en travers de ma parole. Le goût amer du silence. Ces jours interminables. Dans l’attente des bonnes conjonctions.
On fait la place de la mort. On le sait tous les deux. « Je veux mes cendres dans le golf de St Raphaël… ». Ce jour il faisait gris. La mer était calme. Gris et calme. A peine quelques risées de vent. Seul en mer. Avec lui. Avec ses cendres. Grise. Et calme. Et les mouettes crieuses. Le bruit du moteur. L’écume blanche. La trace blanche de la mort qui s’avance dans la mer. Bouillonnement de la mort. Il a fallut mettre en panne. Et j’ai ouvert la boite à silence. Le bout d’un voyage. Voyage au bout du silence. J’ai ouvert l’urne, c’est comme cela que ça s’appelle. L’urne. Là où l’on met les voix. Les voix silencieuses. J’avais choisi ; elle avait la forme d’une main tendu vers le ciel. Il fallait dévisser au niveau du poignet. Cendres blanches. On en été où ?. Où est-ce que les choses ce sont arrêtés ? Parce qu’il a fallut que tu meurs pour que je nomme ça la haine. Avant je n’osait pas encore. Je ne le disait pas. C’était en moi. Et c’était suffisant. A la place de nous il y avait le « Lien ».
Pourtant, un jour quelque chose s’est cassé. Il y a longtemps. Je revois cette soirée. Cette soirée d’alcool et paroles désordonnées, de discussions vaines, d’explications tordues par l’ivresse. C’était un temps où je buvais avec toi. Conversation de sourds. C’était à Paris dans mon appartement. Une des rares fois où tu es venu me voir. Nuit de paroles bousculées d’ivresse. Je me souviens l’immense tristesse qui coulait dans mes veines. Je me souviens que j’ai voulu te parler de cette immense tristesse, grande comme un océan, une des rare fois où j’ai voulu te parler du poison dans mes veines de vie. Mais tu étais déjà dans le maudissement. Tu ne voulais pas entendre. Tu ne voulais pas entendre ma vie hors de toi, ma vie de misère hors de toi. Pour toi, j’étais ton même. Seulement ton même, en plus jeune. Alors tu ne voulais pas entendre ma vie et mes océans. Alors tu a voulu me faire taire. Tu as cherché les mots les plus durs, les insultes les plus blessantes. Ça je m’en souviens. Et je me souvient bien de ce que je t’ai dis : « …mais moi je t’aime… » Et puis j’ai crié, avec tous ces sanglots dans la gorge. J’ai crié : « Je t’aime…moi… ». Quelque chose me débordait. Comme l’enfance qui ressurgit d’un seul coup. Submergé, envahi, démantelé par l’impossible dire, l’impossible entendre. « Mais, je t’aime… moi… »
« Tu déraisonnes …. Tu ne sais plus ce que tu dis….. Tais-toi… »
Me taire. Toujours. Tout est venu dans ce moment là. Tout. Mille ans d’enfance. Mille ans d’attente. Mille ans de distance. Mille ans de désirs en retrait. Tout. Dans cet instant d’effondrement. Tout.
Et malgré l’ivresse il est dans la maîtrise. Malgré l’alcool, il veux faire taire ma voix, avec les mots obscènes qui sorte de ma bouche. Les mots à ne pas dire.
Il veut me faire taire. Il voudrait que ça s’arrête. Retourner à son silence misérable et méprisant. Mais j’ai crié.
Il me regarde. Sa face change. Les traits se durcissent. Je connais bien ce visage. Les maxillaires crispés. Je sais que là, il a envie de frapper. Je vois qu’il veut me frapper avec son poing. Il n’arrive pas à parler. Il est tout en haine et dégoût.
Du fond de mon cri, je vois. Et je sais. « Si tu me touches je te tue….. », « Si tu me touches…. Tu entends ?…»
Dans cet instant je ne suis plus qu’une extension de sa folie. Je le sens. Pour lui je viens de sortir des règles De la loi. Il ne fallait pas dire ces mots. Je devais être seulement un autre lui-même, une excroissance le lui, l’excroissance de son pouvoir. L’expression de sa domination. Je devais être son outil silencieux et obéissant. Son prolongement. La justification de sa raison. En fait, un sexe fantasmatique de plus qu’il pouvais branler comme il voulait. Enfant : « Je vais de foutre une branlée… ».
Je suis son sexe fantôme, qu’il branle pour en sortir sa semence. Je suis sa chose qu’il branle. Sa jouissance. Tout ce qui sort de moi, lui appartient. Tout ce qui sort de moi est à sa seule gloire. Et pourtant il est dans le dégoût ces choses de la jouissance le dégoûte. Il ne touche pas. Il ne touche pas les corps. La peur. Pour lui je n’ai pas de corps. Je suis une simple image. Une image de lui. Le corps, la chair, le sang lui font horreur. Il ne touche pas. Jamais. Il ne sais pas toucher. Frapper… oui. Ou ma mère, quand il lui touchait le sexe devant mes huit ans. La main sous la culotte. Dans le ventre de mes huit ans. Là, il touchait. Seulement, là.
Entre nos corps la distance est incommensurable. Sauf les coups. Entre… rien.
Un silence de haine noire. Celle qui n’a pas pour lui. Il l’a pour moi, juste dans cet instant.
Je sais. Il sait. S’il bouge, ça dérape. S’il bouge. Je le tue.

C’est là. Ce jour là. Je l’ai vu nu, tel qu’en lui-même, dans l’intrusion qu’il fait au milieu de mon rêve.
« Tais-toi!…surtout, tais-toi!…. » Il ne supporte pas de ne plus se voir en moi… alors il faut que je me taise… comme toujours. Se taire. Manger et boire le silence. Surtout boire…
J’ai ouvert l’urne. Et j’ai regardé les cendres blanches. Le poids des silences. Réduit en cendres blanches. Si peu de cendres pour tant de silences. Si peu de cendres pour tant de haine. Je me suis penché pour secouer l’urne. Une pluie légère. Poudre de vie et mort. Poudre d’amour et d’enfance. Poudre de perlimpinpin. Pluie d’oublie. Poussières, poussières, poussières….poussière de lui, que le vent rabat sur moi…. J’en ai plein sur moi, de toi… plein sur la figure… j’en ai toujours plein mes silences de toi… j’en ai sur la bouche, je crache… c’est fade… les cendres sur le bateau… je passe la main dessus… trace sur mes mains, trace blanches…mon pull est plein de toi…. Même tes silences de cendre je les ai mangé, même aujourd’hui j’en ai encore le goût… là… le goût, du taire…Le goût du mépris, une poudre blanche et pâteuse et fade et écoeurante…

Écrire c’est essayer de renaître de tes cendres, de ton goût….de ta haine, et de la mienne….

Franck

12 janvier 2006

Du verre brisé.......après le déluge.....

La fin a toujours le même goût. La même forme. Presque les mêmes mots. On est dans le mouvement de la fin, dans le repli. Une éclosion à rebours. Un rétrécissement. Chaque heure est une ride de plus au jour. Dans la fin, il y a quelque chose de métallique, cela ressemble à un cuivre usé, sali, verdi par des moisissures qui remontent des chairs. Jusqu’au fond de la bouche. Une éclosion à rebours. Comme la mer qui ravale ses vagues une à une pour les enfermer dans l’immense coquillage du temps. Tout s’absorbe. Avec lenteur. Avec certitude. Avec entêtement. Presque avec acharnement. Comme si pour atteindre la mort il y avait des peaux à enlever, des écorces à briser. Déciller le rêve.

Hier, j’ai retrouvé des morceaux de notes prises ils y a quelques jours, quelques siècles…  « …donne une flèche à ta cible, donne une tige à ta fleur, donne de la chair à ta chair, donne ta coupe à mes lèvres, donne mes mains à ta prière. Oui, prends mon souffle, prends ma voix, prends mes jours. C’est le temps où l’acte s’invente à nouveau, comme une première fois, ou comme la seule fois. Soit là, sans passé et sans nom. Simplement là, couverte de ton plus beau frisson. Et que nos cris fleurissent, eux qui n’articulent plus la langue, puisque rien ne pourra plus se dire, puisque tout est advenu. Maintenant. »

Dérision des paroles. Les mots dansent la carmagnole sur nos cercueils.

Je tombe à l’intérieur de mon corps. Lente chute. Comme une extase. Noire. Infiniment noire. Faire taire pour ne plus s’entendre. Je sais ces océans vides. Glacés de silences obscurs. Un infini vidé de son élan, de son mouvement et qui n’offre pas même, un pli pour cacher ma propre honte. Un infini bordé de tessons de bouteille. Il y avait un fleuve, il y avait la mer, à la place la peau craquelée du songe et cette entaille brune et ocre qui remonte la large cicatrice de nos terres désertées.

Dérision des paroles. Verre brisé. Verre pilé. Crissant à chaque souvenir. Il y avait un fleuve. Il n’en reste qu’un rêve ténébreux. Une trace rougie de silences.

Je sais des voix peintes au minium pour cacher la rouille qui les ronge. Je sais ces corps qui ont soif à la place du cœur. Je sais ces chairs qui aiment se monter et s’ouvrir dans le jus de leurs désirs. J’ai eu le temps de connaître la bas, le vil, le monstrueux. Tous les chemins de croix se ressemblent, tous ne permettent pas de ressusciter. Dérision des paroles quand les actes les maudissent. Dérision de la vie quand la mort la maudit. Oui, je sais tous ces mots qui tissent des chaînes. A chaque maillon un mépris de plus, et même dans leurs silences la violence continue à se dire. Surtout dans leurs silences. Lourde chaîne qui pèse sur la langue de celui-là ou de celle-là.

Chaque mot est l’image d’un spectre.
Chaque phrase un marais bourbeux.
Comme si les mots excusaient les actes.
Il faut beaucoup de mots pour faire taire les silences honteux.
Il faut beaucoup dire autour, pour avoir l’illusion d’effacer le centre.
Le centre.
D’où la voix s’échappe.
Et qui dit nos intentions plus que nos tristes vérités. Malgré nous.
Puisque les vérités du jour sont les mensonges de demain.
Souvent on est venu me reprocher ici, une certaine lumière, comme si cette lumière leur faisait de l’ombre à leur ombre. Comme si le seul combat digne ou légitime à mener se trouvait là. Comme si le mal absolu commençait là. Triste alibi philosophique, qui consiste à dire : c’est avec vos bons sentiments que le mal existe et se répand. Quand tout sera éteint, il faudra bien continuer à avancer.  Avec qui ? Il restera ceux qu’on n’a pas fait taire. Et seuls les morts voient la nuit. Il restera les crieurs, les aboyeurs. Triste alibi philosophique qui cache mal les excuses faites, par avance, à leurs propres complaisances d’eux-mêmes. Juges qui condamnent les juges, juges plus féroces que les juges. L’éternel recommencement du même. Puisqu’au fond c’est là, la sécurité. Puisque là, il n’y a rien à inventer. Il suffit de rajouter un peu de confusion, et quelques couches de noir sur un tableau déjà très sombre et de prendre l’envers du décor et le tour et joué. Même derrière, on est encore dans le tableau. Phaéton à laissé son char s’emballé.

Deucalion, par contre,  à construit une barque assez grande pour y loger ses rêves, ses espérances, assez grande pour que tout y loge. Même toi, même moi.

Franck

3 janvier 2006

Toutes le bonnes choses ont une fin.....

Ce que tu viens de faire Angéline est malhonnête à tous les points de vues. (Je viens de supprimer un texte d’Angéline qui reprenait dans l’intégralité un message qu’elle avait reçu de Patricia). C’est d’une bassesse sans nom. Depuis quelques jours tu essayes d’éprouver ma patience. Ok, on y est. C’est le bout. Donc, pour être clair, j’ai changé la serrure et mis la modération des commentaires. Je te suggère de retourner chez toi. Et de me foutre la paix.

C’est au fond, ce que tu cherchais… courageuse mais pas téméraire….et puis ça te fera l’occasion vomir un peu plus sur moi dans ton blog. On sait la procédure, voir même le processus…. Je n’ai eu envers toi que des gestes amicaux, mais tu prends cela pour de la faiblesse, quand tu en as eu besoin je t'ai ouvert cette porte sans condition, et voilà ce que tu en as fait… attention à l’orgueil, à la vanité et à la jalousie Angéline, ça dévore même le talent. Surtout le talent….

L'astrologue t'avait dit : un début d'année difficile...ça se confirme...Saturne quand tu nous tiens....

Franck

31 décembre 2005

NARCISSE.......

Il y a des moments de grâce. Quelque chose qui saisi l’intérieur. Une main qui empoigne vos tripes et vous assèche de toutes vos eaux. Comme ça. Dans l’instant. Vous lisez et brusquement plus rien n’a d’importance. Vous lisez et vous vous dites : « Il se passe quelque chose ici… », dans ces lignes, que vous lisez et relisez, comme si elles renfermaient tous les secrets.

Il y a des moments de pur bonheur de lecture, même si ce bonheur est douloureux, puisque ce n’est plus seulement de la lecture. Puisque tout notre être s’engage dans un mouvement irraisonné. On a honte d’abord. De ce plaisir. Indécent ce plaisir. Pourtant il est là. On a honte d’être dans cet intime dont on se sait indigne. Ça ressemble d’abord à une perte. Comme dans la chute. Quelque chose de brutal. La même sensation, l’instant où je sors de l’avion. Brassage des chairs et de la pensée. Je tombe. Dans le texte. Dans les mots. Dans la vie qui gonfle, dans cette excroissance de vie, dans cette boursouflure de vie, dans cette abondance de vie. Il y a comme un appel. Je tombe dans le texte et brusquement je n’ai plus envie de me raccrocher. Je veux m’effondrer sans fin. Dans ces mots. Dans ses mots. Je veux comprendre cette impression. Voilà, c’est une chute vers le haut.

Il y a des écritures qui vous excluent. Elles se suffisent à elles-mêmes. Et puis, il y en a d’autres qui vous accueillent. Celle-ci accueille. L’encre qui les inscrit est rouge sang. Rouge vif. Rouge vie. Les mots disent la vie impossible, l’impossible image d’une enfance perdue, l’impossible monté vers la parole. Une parole en escalier qui monte. Les mots disent l’humiliation et l’écoeurement, et l’impossible de l’amour à dire et a faire. Des mots échardes, des mots barbelés, des mots murailles, des mots forteresse écroulée. Oui, elle dit des mots de souffrance et de douleurs insupportables à décrire. Pourtant entre chaque ligne d’autres horizons. Pourtant les mots nous disent plus, parce qu’il nous accueillent. Ils nous invitent. Ils nous invitent à entendre et peut-être à nous recueillir. Ils nous invitent à grandir et à nous éventrer de nos faiblesses. Comme s’il y avait une issue dans cette écriture.

Il y a dans vos mots madame, une infinie générosité. Quelque chose qui na pas été entamé par les boues et les cloaques de la vie. Il y a quelque chose d’intact. Il y a un socle dur et pur.

Souvent je m’interroge sur l’écriture, sur son sens, sa valeur. Vous êtes la réponse à toutes ces questions. Votre geste d’écriture a une telle limpidité, une telle authenticité. Une telle vérité. Une présence désarmante.

Madame, j’ai avancé dans vos mots pas à pas. En silence. Et j’ai relu. Toujours en silence. Et avec gravité. Pour laisser venir à moi l’émotion. Pour laisser venir à moi la vague. Accueillir votre offrande, en préparant la place en moi. Quelle place immense vous prenez madame ! Vos mots n’ont pas besoin d’être criés, ils se disent seulement, et en les disant à haute voix, en prononçant chaque mot, chaque syllabe, on se rend compte que les choses du monde vont un peu mieux. On se dit, puisque vous existez comme cela, dans cette parole là, alors les choses du mondes ne sont pas complètement désespérantes.

Il y a des écritures qui prennent qui gardent. Elles sont prédatrices. Et puis il y en a d’autres qui rendent. Comme la votre qui nous rend à nos devoirs premiers, qui nous rend plus digne, puisqu’accepter de vous lire c’est devenir plus homme, plus humain. Un peu plus à chaque mot, à chaque ligne.

Vous dites une expérience terrible. Qu’en dire ? Sinon, vous écouter. Mais que vaudrait cette expérience sans cette voix qui la dit, cette voix qui s’est assez dénudée d’elle-même pour réinventer une virginité, une transparence, une tremblante. Vous restituez plus qu’une expérience mais quelque chose d’universel. Vous nous donnez la chance de nous sauver, et surtout la force de croire encore un peu. Juste assez pour vouloir continuer.

Souvent je suis dans les affres du doute, mais votre écriture me rassure parce qu’elle dit un chemin possible, acceptable. Certes, où les cicatrices saignent toujours, où rien n’est gagné d’avance, où rien n’est vraiment encore guéri, mais où l’on sait que tout pourrait l’être. L’humanité dont vous parlez, madame, vous êtes allée a chercher loin, profond, et elle a encore le goût de votre sang et la forme des échardes qui sont plantées dans votre chair, mais elle est là, dressée et digne, dans une fore démesurée. Alors je vous retourne le compliment que vous faisiez à Elle : « Elle est ce que je voudrais voir fleurir sur vos chemins… ». Cette phrase vous va bien. Elle dit la fleur, sa fragilité, ses couleurs, son parfum et le chemin, qu’il soit d’errance ou de labour, qui soit de joie ou de labeur, elle dit nos marches insensées et nous rappelle à la vigilance, à être attentif, car sur les talus de nos désespoirs poussent les fleurs incomparables.

Je sais bien madame, qu’au-delà des mots que vous prononcez il y a une souffrance aigue, véritable, prégnante, qu’il y a l’impossible paix, l’impossible rémission, j’entends bien les jambes lourdes qui montent cet escalier de misère, et j’ai honte de vouloir vous dire merci de livrer cela, oui, j’entends bien l’inaccessible forteresse d’où votre voix s’échappe et pourtant j’ai envie de vous dire merci. Parce que si être humain c’est appartenir à votre humanité, alors je veux bien être humain. Parce que boiter avec vous semble la meilleur façon de rétablir l’équilibre désastreux de nos vies.

Merci Marie http://narcisse.hautetfort.com/

Franck

29 décembre 2005

Ferme les yeux......

C’est quoi l’amour ? Elle demandait. C’est comment... faire l’amour ? Elle voulait savoir. Pas la technique, mais l’amour...

Alors vint le temps où il fallut réinventer l’acte. Redéployer les corps dans leurs chairs. Où il fallut oublier, effacer toute la mémoire et tous les gestes. Réinventer la présence. Réinventer le lieu.

Se retirer définitivement de soi.

Sans force et sans faiblesse. Revenir à l’unique. A cette chose première. A cette chose dernière. Et se préparer à toucher les deux extrêmes de la joie et de la douleur. Et à condenser chaque respiration dans le ralentissement du temps, et à condenser le désir en lenteur pure.

Chaque caresse devra atteindre la profondeur des océans, chaque soupir portera un peu plus loin la soif. C’est le temps mon amour des corps nus. C’est le temps des grandes moussons, et de nos pertes souveraines.

Alors il est temps que tu acceptes que mes étreintes te rendent ta substance, te rendent à tes premiers tremblements. Et que mes baisers te lavent de tous les baisers déjà donnés, ou pris, ou volés, ou arrachés, ou déterrés.

Je te veux nue comme tu ne l’as jamais été.

Pas ouverte, pas éventrée. Non. Nue. Pudiquement nue, et droite, et fière, et digne, et immensément forte, et immensément nue. Car que valent mes baisers parmi tous ces baisers, que vaut mon offrande, à toi à qui tout fus volé.  Que vaut la pureté de mon regard sur ta chair trop souvent convoité. Et que valent des serments pour toi qui fus si profondément trahie.

Comment réinventer la nudité pour toi qui fus si souvent dénudée.

Comment te dire ou te tendre mon désir, à toi qui fus si souvent désirée.

Comment avancer une caresse vers toi, qui fus tant caressée et si mal caressée.

Comment faire du nouveau avec tous ces soupirs anciens, ces plaintes, ces gémissements.

Alors ferme les yeux. Apprends mon silence. Laisse-le glisser sur ta peau. Laisse-le couvrir ta poitrine et s’arrondir sur ton ventre. Laisse-le glisser dans tes chairs. Apprends mon souffle sur ton cou, sur tes cuisses, sur tes reins, laisse-le courir au profond de ta vie, au bord de tes eaux.

Alors ferme les yeux et apprends ma bouche, mes lèvres, souviens toi de chaque temps de la caresse comme un piano se souvient des notes qui l’on fait sonner. Laisse venir ta peau à mes doigts, vague après vague, plaisir après plaisir, attente après attente. Comme une tentation longtemps refusée. Creuse, frémis, comme ces eaux des grands lacs qui s’irisent, se rident et se plissent lorsque les vents du nord les pénètrent.

Ferme les yeux et respire ma clameur et la grâce d’un instant qui ne doit finir. Gonfle ta chair de ma confiance. Devine ce mouvement qui t’enlace et t’espère, entends le froissement de nos silences qui nous ajustent.

Sois le mouvement même de mon appel.
Sois la réponse à ma main qui t’interroge. Agrandis l’ombre de ton mystère pour le brûler de sa propre révélation.
Sois le corps avant le corps, la chair avant la chair, sois la source miraculeuse, soit l’amour de mon amour.
Ferme les yeux comme si tout était advenu. Comme si tout était là, enfin, dans cet espace clôt et pourtant sans borne. Comme si tout était là dans l’espace incendié de mes doigts sur tes seins, de l’espace océan de mon ventre sur ton ventre. Comme si le feu naissait du mélange de nos eaux lustrales. Déploie ton corps, accepte la forme de mon vertige, de ma folie, de mon appel et de mon cri. Fais-moi naître maintenant, puisque j’accepte de mourir maintenant.
Ferme les yeux et guide-moi vers toi. Apprivoise mon geste. Donne-lui l’élan de ta joie. Donne-lui la direction de ton étoile, de ton ciel. Non je ne pleure pas. Non, tu ne pleures pas. Non, ou si peu alors, comme une neige de décembre.
Défais-moi du froid glacé de mon enfance, défais moi des pluies, défais-moi de tous ces jours où je t’ai attendu, de tous ces jours de peur, de mélancolie. Défais-toi de tous ces regards qui t’on percés, de tous ces mots qui t’ont éventrée. Défais-toi de ton nom. Défais-toi de tous ces lambeaux de cauchemars.

Ferme les yeux et défais toi, comme moi je suis défait.
Ferme les yeux et accepte que je puisse être ton offrande. Sacre-moi du bout de tes doigts. Accepte que nos corps puissent parler plus que nos mots. Deux corps dans le mouvement simple de leur vie, deux corps avant le dernier saut, avant l’envol, dans leur seule présence dépouillée.
Laisse-moi remonter les grands fleuves de tes jambes.
Laisse-moi rejoindre l’estuaire au plus haut de tes cuisses.
Laisse-moi brasser tes eaux et pousser dans tes chairs d’interminables mascarets.
Laisse-moi être au plus près de l’écume, accepte l’enlianement de nos membres et l’infini pesanteur du sang qui ralenti et l’infini douceur de l’abandon consenti.
Ferme les yeux et sent les astres te tirer par les épaules, laisse la terre remonter dans tes os. Respire ce temps d’avant, laisse-le entrer lentement dans tous tes soupirs, laisse la fièvre agir, accepte que la torpeur éclatante brise nos chaînes.

Mon amour c’est le temps où les chairs se traversent en remontant les sentiers du désir d’un pas sûr et conquérant.

Ouvre les yeux mon amour, c’est l’heure de cueillir la fleur sanglante de nos âmes tremblantes. 

Publicité
Publicité
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
J'irai marcher par-delà les nuages
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 167 983
Catégories
Pages
Publicité