De nos Soleils........
Souvent un silence vient se mettre en travers de la parole. Sa voix se suspend comme si elle se trouvait tout près d’un vide. La chute des mots. Et le silence. Là. Comme un lac infranchissable. Un lac d’orage et de glace. Les mots n’accrochent plus la voix, ils sont dans l’ignorance d’eux-mêmes et de la chose à dire. Ils sont habillés de points de suspension pour passer inaperçu, pour ne pas dire ce qu’ils voudraient dire, pour ne plus dire, parce qu’ils ont peur du sens et des conséquences du sens. Du vertige. De la chute. Traversée d’un espace chancelant. Traversée blanche de l’indicible. De l’instant qui se désaccorde.
Moi aussi je trébuche dans ce silence. Brusquement il claque. En fait, non, le mot est mal choisi, il ne claque pas, ça ressemble plutôt à une crevaison, la chair des mots retombe sur la chair du vide dans une sorte d’affaissement, de réduction à l’intérieur.
On trébuche dans un silence, on pourrait aussi ne pas s’en relever.
Pourtant les siens sont lumineux. Pourtant les siens sont essentiels. Car il faut s’arrêter.
Alors elle s’arrête.
Et tout son être se rassemble, et tout est là, condensé dans cette absence apparente. Toute sa présence est là. Manifeste. Souveraine. Ce silence n’efface pas sa personne. Ce silence l’appelle, la nomme, la désigne. Ce silence est un chant. Son chant. Lourd, grave, comme ces vents qui traversent la steppe mêlés à la neige, aux souvenirs, à la confession des mourants. Ce silence racle les peaux mortes de l’os, dénude de l’inutile, enlève les masques et les apparats. C’est le temps de la reconnaissance, de notre reconnaissance et de l’apprentissage, de notre apprentissage. C’est le temps de l’apprivoisement et ce silence est le jardin proposé qu’il nous faut traverser chacun de son coté, marchant l‘un vers l‘autre, tenant chacun un bout de ce silence, chacun, comme si l‘on se tenait la main. Chacun. Car ce silence sacre dans la douleur, puisqu’il oblige. Puisqu’il est contraction du ventre des mots avant l’accouchement du sens et l’accomplissement du jour. Puisqu’il est baptême, et immersion, et efforcement de vie. Puisqu’il est racine malaxant, pétrissant, façonnant les graines de joies, de rires, d’espérances. Puisqu’il est parfum avant d’être fleur. Puisqu’il est attente nuptiale. Puisque la vérité de l’amour c’est le silence qui le précède.
Car elle est de la naissance comme on est d’un pays, d’un lieu, ou d’une mémoire.
Elle est de ces contrées de la vie qui hésite encore. De cet endroit si fragile, qu’il nous fait trembler lorsque nous y repensons. Elle est de ce lieu premier, du premier jour. De cette aube désarmée, vulnérable. De la première goulée d’oxygène, du premier éclaboussement de soleil. Elle est de ce lieu du premier mot, celui qui se crie dans la peur, l’exaspération, l’étonnement, la colère et la délivrance.
Car elle connaît la source puisqu’elle y retourne chaque jour, puisque c’est son chemin. Puisque accueillir est la forme de son destin.
« Bienvenu parmi nous » elle dit. Même si certains matins elle n’y croit pas assez. Puisqu’elle nous sait si coupables, si étroits, si pleutres, si vains. Et pourtant elle pardonne, chaque matin, pour aller accueillir l’enfant qui naît.
Car elle est magicienne. Elle sait que les enfants naissent d’abord dans les mots. Alors elle accompagne la parole de la mère. Avant de préparer les linges elle répare la parole. C’est pour ça, le silence. Il faut bien la réparer cette parole. Il faut bien que l’enfant y trouve sa place dans cette parole de mère. La chaleur des mots vient souvent d’un silence offert. Elle est là pour ça. Pour accoucher les mots avant que l’enfant naisse. On ne le sait pas assez, ce que l’enfant tète ce sont les mots blancs du lait.
Car sa lutte commence avant. Bien sûr, elle accouche les enfants, mais elle sait que c’est avant que ça commence. Accompagner la mère c’est labourer une terre. C’est la faire respirer, c’est appeler sa voix, puisque l’enfant nait dans la voix de sa mère.
Alors elle se tait, et par le poids de sa présence elle fait venir les mots. Un à Un. Bien avant la perte des eaux. Dans le secret des murmures et des larmes, dans l’abandon et le découragement elle fait accoucher la vie bien avant que l’enfant ne paraisse. C’est presque biblique. Et c’est un long chemin. Les mères souvent croient qu’il faut préparer la chambre pour accueillir l’enfant et omettent l’essentiel. La parole. La parole disant le désir. Les mots qui s’incarneront. Et la chair qui naîtra de cet appel.
Alors chaque matin elle remonte le courant de la vie bien au de-là de la vie. Et c’est ça qui lui donne cette lumière. Et c’est ça qui lui donne cette gravité. Et c’est pour cela que son silence brûle.
Chaque jour elle va à ce puits de mystère qu’est la vie, ce long puits profond abritant une eau si claire et elle tire sur la corde des mots de la mère pour faire issir les yeux, les mains, la bouche, tout un corps de chair avant la chair. Elle tire sur la corde des mots dans le silence et la concentration, presque dans la prière, puisque la prière est don, puisqu’elle est offrande. Elle remonte des ténèbres du puits l’eau de vie, l’eau claire, l’eau des rire de demain.
En fait elle ne travaille pas, elle danse. Mieux, elle accompagne. Et accompagner c’est faire une place à l’autre. Ou danser avec lui.
La vérité du mot c’est le silence qui le suit.
La vérité de l’amour c’est le silence qui le précède.
La vérité de naître c’est le silence qui l’accompagne.
Et ce silence te grandit en enfance, donc il te grandit en vie.
Et j’aime tes silences parce qu’ils sont des promesses, comme la nuit qui se tait pour faire place à l’aurore.
J’aime tes silences, même les plus fragiles, même les plus douloureux, puisque c’est le temps des labours, des terres brassées. C’est le temps des contractions, juste avant le naître.
J’aime tes silences, puisqu’ils nous sollicitent à l’endroit de nos douleurs… à l’endroit de nos soleils.
De nos soleils…..
Franck