Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

J'irai marcher par-delà les nuages

22 juillet 2005

The Needle and The Damage Done

twin8

Celui qui viendra sera comme le bruit des nuées de corbeaux s'envolant dans le soleil juste avant l'heure du coucher du soleil, au dessus de chez moi. La première fois j'ai été inquiète. Celui qui viendra devra se rendre compte de l'absurdité de la chair. Les préliminaires exquis, comme ils prétendent. Alors que celle qu'elle a été, elle ne peut que faire, que refaire, qu'en parler, et en reparler, surtout face à des choses qui lui disent : non. On ne veut pas entendre ça. Celle qu'elle a été n'avait pas beaucoup de temps pour découvrir les caresses, déjà les conversations. Car entre deux amoureux, ça commence par une conversation. Peu importe le sujet. On s'en fout du sujet : Damien on s'en branle du sujet. Arrête avec ton sujet. Arrête. Ils parlent. Ils se plaisent. Des fois, ça dégoûte quelqu'un, mais mon cerveau comme disait Hervé était mis en mode automatique. Comme lorsque nous allons nettoyer un petit vieux qui a fait dans ses couches. Comme j'en parlais hier. Celui qui vient devra nettoyer les couches de notre lit. Hum, et devra aussi réapprendre à nettoyer les couches de son propre lit. Du mien, du sien, du nôtre. Elle a été baignée dedans, pas le temps pour les embrassades, pour les envolées lyriques et stupides de la belle langue : tu sors ta queue et tu la mets dans ma bouche. C'est ça le métier, le plus vieux métier du monde comme vous prétendez. Pour le légitimer. Pour vous dédouaner : comme il est très vieux, on ne peut pas l'arrêter. Ce métier. Quel métier vous m'avez fait, quel métier vous m'avez donné, quel métier auquel j'ai pu dire oui. Et surtout celles qui l'ont traversé, ce métier, on ne leur donne même pas une chance d'en parler comme elles veulent : comme si elles étaient respsonsables finalement des décisions politiques qui ont plongé vos siècles dans l'ignorance et les guerres (je suis teneuse d'un Goulag et d'un Baraquement intellectuels). Comme si la souffrance ne poussait personne et n'offrait pas de cadeaux. Je crois qu'elle est un cadeau sublime et irrecevable. Celui qui viendra se trouvera devant des champs, dans lesquels les blés auront été brûlés par le soleil. Le soleil. De printemps. Et celui qui viendra devra se retourner en arrière, pour regarder, car même s'il ne faut pas, au risque de se transformer en sel ou en sable fin, on s'en fout Damien avec la structure, va structurer chez toi, dégage, il faudra prendre avec celle qui est ce risque majeur. Regarder en arrière car je sais trop bien vers quoi on tend à aller. Ceux qui chantent le Gospel regardent vers la Divinité. Et Celle qui était, Franck, celle qui était, celle que j'étais oublie ce que les autres disent sur le péché qu'elle a commis. Et ce péché reviendra inlassablement. Sous-tendu. Il s'est tu. Il ne parle plus. C'est fini mais il est là. Le monstre. Le monstre pour Aileen Wuornos c'était une grande roue, normalement les enfants adorent les Grandes Roues. Mais pour elle c'était un monstre, comme pour son entourage, elle, c'était un monstre. Alors qu'elle rêvait un peu trop d'Hollywood enfant. Et bien Celle qui était c'était pareil qu'Aileen. Qui est morte, assassinée. Comme elle a assassiné des hommes. Le soleil de l'été n'a rien dit à ce sujet-là. Car les envolées lyriques sont magnifiques pour qui a envie de gonfler son plumage. Alors qu'en fait : le mec il vous embrasse dans le cou, c'est un délice complet ou alors un ratage absolu, l'homme se figure qu'il bande pour vous mais en fait ses bourses sont pleines du trop plein d'amour et d'excès de compréhension de cet amour qui le hante depuis des mois, donc il a envie de vous, il met vos pointes de seins entre vos dents, il mordille un peu peut-être inconscient, de revoir dans ces instants-là, quelque chose comme le salut de ses dents au sein d'une mère qu'il ne suce plus depuis des années, sans quoi la société aurait faussement déclarée : anormal ! Pendant le procès. Celle qui a été (car on ne peut plus être) a vu des procès, des procès en forme de métaphores, avec des carafes et des cruches, bien sûr tous les jours elle entend dans la bouche des gens et dans leurs écrits informes, sans saveurs et sans odeurs des procès, des petites violences et surtout leurs flatteries sans le sens, sans le temps retrouvé. Celui qui a pêché lui pêchera une première pierre, précieuse, rouge, verte, orange, quelque chose de plus beau que le métal. De plus noble que le cuivre. Car celle qui viendra ne supporterait pas de voir son Prince porter une couronne de métal ou de cuivre, ni même de le voir se tronquer lui-même dans une stupéfiante conversation avant de passer à table avec son miroir. Je crois que le monde est assez obscène comme ça, inutile d'en rajouter. Car tous les hommes n'aiment pas être sucés. C'est délicat comme question, comme sujet. Donc ils entraient et elle n'était pas très habituée à des envolées lyriques. Il entrait et se déshabillait. Des fois elle avait l'impression de les voir comme s'ils étaient...des monstres. Elle parle au sens littéral du terme. Elle avait des craintes mais l'époque était une époque de fin de siècle, et l'époque était confuse. Elle tendrait aujourd'hui à laisser la place à la Bourgeoisie la plus crasse. La confusion. Soyez prudents. Partout, tout le temps, dans l'écrit, partout, surtout dans l'écrit. L'abattoir sent très mauvais, son activité reprend. Celui qui vient fera de son mieux au final. Finalement. Qu'il soit lui-même, comme eux sont eux-mêmes, c'est très important. De ne pas se trahir. De ne pas trahir sa famille, son clan, son ghetto, son goulag, son baraquement, car le travail rend libre. Cela donne envie de sourire, face au passé, de ressortir une phrase comme celle-là, mise sur les portails, les grandes portes. Le travail rend libre. L'argent. Celui qui vient avait-il besoin d'argent ? Que se passait-il vraiment ? Et S. lui avait dit : socialement, il est versatile. Ils changent d'avis. Il met une langue dans le nombril. Il laisse une petite traînée de salive, sur la peau. Elle a un ange tatoué au dessous de son nombril. Et comme musique dans la chambre c'était du Prodigy. C'était bien mais insupportable. Et il avait sniffé entre ses seins, c'était dans le contrat. De la poudre blanche, pour les enfants c'était de la drogue (de la farine). De la farine des blés brûlés par un soleil d'été. Qui s'est disputé avec le printemps un jour. Les vingt printemps d'une jeune fille en femme devenir. Devenir une femme, travailler le travail rend libre, en tout cas l'indépendance oui. Le travail rend indépendant. Le travail rend libre. C'est pareil Arbeit Macht Frei Achtung. Ich worte...J'ai complètement perdu mon Allemand. Celle qui était n'aimait pas de toute façon les teutons, qui respiraient la drogue entre ses seins, dans le creux du nombril, comme mettre la langue, et ensuite embrasser doucement et tendrement, sans obscénité, son sexe. Avant de le mordiller méchamment, jusqu'au sang, car bien sûr, il ne faut pas se leurrer, c'était doux au début, la société est comme ça au début, après bien sûr, elle a été mordue, après elle mord. Jusqu'au sang, elle a été voir son gynécologue qui était surpris de voir une femme si LIBRE (?)  pendant les ébats des amants : elle se faisait mordre là ? Des traces et des coupures bien sûr. De la farine de blé, d'un été brûlé. Arbeit Macht Frei. Le monde est assez obscène comme ça, inutile d'en rajouter.

ophelia

ANGELINE

Publicité
Publicité
21 juillet 2005

Celle qui viendra....

Celle qui viendra sera montée sur les chevaux d’argent de l’aurore, elle aura l’élégance des brume matinale et la grâce des rosées de printemps. Elle sera dans le galop de sa parole d’or et d’orage et portera haut l’oriflamme de ses souvenirs blanchis par le feu des enfers.
Elle aura dans sa chevelure les couleurs de la nuit, et quelques restes d’étoiles et sur son front large seront visibles les constellations lointaines. Elle aura dans ses yeux l’histoire des folies humaines et sur ses lèvres le goût des oranges amères. Sur son cou elle aura la trace des ruisseaux et dans sa voix le murmure des sources profondes. Sur ses bras s’enrouleront les rosiers du désir et ses mains porterons des bijoux de coquillages nacrés.
Celle qui viendra chevauchera le jour en tirant avec elle, le soleil et sa traîne, et ses feux, et ses flammes, et ses corolles aussi.
Ses courbes diront la ligne de nos vies, la ligne de nos fugues, la ligne des symphonies, la ligne des infinis. Elle aura sur les plis de sa peau, calligraphiés les poèmes les plus rares, avec l’encre la plus douce. Elle aura sur ses seins la place de ma bouche et sur son ventre l’emprunte de mon ventre, et sur ses cuisses le dessin de mes mains et dans ses chairs secrètes frémira déjà l’intime de nos nuits, mêlé de liqueurs d’hydromel et d’ambroisie sauvage. Celle qui viendra aura dans ses reins la vigueur des lionnes, la fureur des foudres, et sur son dos coulera les sueurs de l’amour. Elle aura dans ses cris la force des prières et son offrande aura l’orgueil des dieux et l’abandon des reines.

Celle qui viendra s’est déjà mise en route j’ai aperçu de loin le cortège qui l’annonce et les trompettes s’honorent de son arrivée prochaine et son nom s’est inscrit dans chair des étoiles. Qu’elle vienne des enfers ou qu’elle vienne d’ailleurs mon âme est assez grande pour y rêver à deux et si les mots sont trop lourds il restera le silence qu’on partage encore mieux quand on est enlacé.
Et quand elle sera là, celle qui viendra, je recueillerai le parfum de son cœur dans les boucles du temps, et l’âme de ses mots, et son sourire doré et sa main qui se tend sur l’ombre de ma main, et les feux qu’elle charrie, et sa tendresse obscure, et son amour tremblant sur mon amour tremblant.

Franck.

20 juillet 2005

Etape de transition.....

Il s’est passé plein de choses sur ce blog, ces derniers jours. La porte est ouverte et le vent s’engouffre. A l’intérieur se sont les courants d’air. Les rideaux volent, les fenêtres claquent. C’est un grand vent. C’est un peu comme l’amour quand il entre dans un cœur. Il y a tellement de vent qu’on est obligé de sortir de la maison de l’âme. Et puis le vent s’effiloche dans les feuilles des peupliers, et maison retrouve son calme. On est riche souvent de ce qui ne nous appartient pas. Comme aujourd’hui où je me sens riche de ne rien posséder.

Alors prendre un baluchon avec quelques mots à l’intérieur, quelques souvenirs, un morceau d’arc-en-ciel, trois notes de musique et s’en aller dans le bas de la page. Il y a toujours un espace dans le bas des pages, un espace où le ciel apparaît.

Il faut se remettre en route de l’écriture. Et consentir à l’âpreté d’un chemin difficile. Un chemin sans fin. Aujourd’hui j’aurais voulu m’asseoir sur le bas coté, j’aurais voulu m’allonger dans un grand champ de blé, reposer mon âme, et perdre mon regard dans le bleu du ciel. Et puis le chemin est là.
Ceux qui marchent vers Compostelle donnent une direction à leurs pas. Moi je suis dans l’errance, nul lieu ne m’attend. C’est normal, je suis un peu perdu parfois. Souvent.

J’ai regardé mes étoiles ce matin. En principe je les connais. Mais j’aime voir bouger les planètes autour du zodiaque. Bon, la nouveauté c’est que Saturne quitte le Cancer. C’est une bonne nouvelle. L’étau de desserre. Plus de deux années de lourdeur de pesanteur. Saturne est toujours le lieu d’une épreuve. Le lieu d’un défi. J’ai une longue histoire avec lui, nous nous connaissons bien. Souvent il s’attaque à ce que vous avez de plus cher. Saturne prend, dévore, arrache, ce n’est pas la mort, c’est le trépas. C’est la planète des sages. Quand il eut accepté de rendre ses enfants, quand Jupiter fut installé sur le trône, advint l’Age d’Or de Saturne. Il la maison de Saturne c’est le Capricorne, la petite chèvre Amalthée. Amalthée et sa corne d’abondance. J’adore cette petite chèvre. Sans doute, parce que j’ai affaire avec Saturne. Bref, je l’adore. Si fragile, si têtue, si généreuse. Et sa corne d’une infinie richesse. Donc Saturne quitte mon signe. La pleine Lune de demain me promet une journée électrique et quelques surprises ; nous verrons bien. Tout cela n’a pas beaucoup d’importance. De toutes les façons, je lis très mal mon thème ; l’histoire du cordonnier mal chaussé. Et c’est mieux ainsi.

Il faut se remettre en route et consentir. Ne rien retenir. Ne pas succomber à la tentation de fermer les mains.

Quand maman est morte, je suis revenue à la pension. Autour de moi il y avait un silence respectueux. Le soir de mon retour les pères oblats, ont organisé une messe en l’honneur de ma mère. Dans la chapelle. Une courte bénédiction. Puis ils ont fait passer le requiem de Mozart. Classique. Des camarades se trouvaient derrière l’autel, et suivaient la musique avec les lumières. La chapelle s’embrasait, puis s’assombrissait. Je crois que c’est là que j’ai compris. Avec cette musique et ces lumières. Là, et seulement là.

Je ne sais pas pourquoi ces souvenirs me reviennent aujourd’hui. A cet instant précis.

" C’est quoi le bonheur ?….. " Il avait une quarantaine d’année. C’est lui qui s’occupait de la division des premières à laquelle j’appartenais. Une grande gueule. Mais je l’aimais bien. C’était le moins pire. A dix sept ans on pose toujours des questions stupides. " C’est quoi le bonheur ?… "
" Dites donc, Nicolas, vous avez de drôles de questions !… Laissez-moi un peu de temps !… " Le lendemain il est venu vers moi. " Ecoutez, Nicolas vous m’emmerdez avec vos conneries !….. " Et puis la voix s’est adoucie, il a enlevé ses lunettes, il a regardé haut dans le ciel. Je revois sa tête. Et il a commencé à se parler à lui-même. " …Et si le bonheur était cette main tendue….alors je parcourrais le chemin terrestre avec joie… "
Merci monsieur Carano, vous étiez un type bien. Peut-être que c’est ça le bonheur : tendre la main.

Mais s’est difficile monsieur, au bout des doigts j’ai mis mes yeux et mon cœur. Quoi y mettre, sinon son cœur et ses yeux. Un jour elle m’a dit " touche les mains avant les yeux ". C’est difficile, mais chaque jour j’essaye.

Franck

19 juillet 2005

...C'est là que je veux brûler !

Au départ je ne voulais pas le faire. Et puis cela m’est apparu comme une évidence. N’on pas qu’Angeline ai besoin de moi, non. Mais pour dire, ce que je crois de son aventure littéraire. Pour dire son talent à l’état brut. Comme ce diamant trouvé dans la boue de la terre. Chaque jour en la lisant j’envie ce talent, cette force, ce courage.

" Le hasard m'a fait tomber sur votre blog. J'ai commencé à lire, un peu dans le désordre et puis j'ai tout repris. Je ne saurais décrire… mais j'ai cru entendre une musique. Derrière les phrases… une musique lente, grave. Derrière les mots brutaux, crus, provocants, parfois injustes, derrière des mots brûlés jetés pour blesser un papier trop pur, une musique et des fulgurances, et puis l'odeur acre du sang qui s'écaille, comme un chant qui se coagule dans l'âpreté d'un rire qui se fige. " Ce fut ma première impression. La sidération Il y des écritures qui font cet effet. Peu je le reconnais. Cela m’est arrivé avec Calaferte. Quand je la lis, je pense à Calaferte. Parfois à Miller. Ces mots arrachés du néant. Puisque l’important est de se survivre pour avoir le droit de ressusciter.

Et puis il fallait lire et dire cette révélation.  "  Oui, je crois que tu écris avec votre corps, comme tu dis esprit et chair mélangés. J'irai plus loin, à certains moment ce n'est pas la chair qui écrit, mais la viande ; comme si tout partait de la viande. La chair nous renvoie à quelque chose de sacré, tandis que la viande c'est déjà l'enfer en nous qui brûle.
Cette sensation, bien sûr, n'est pas constante, j'ai même l'impression qu'au fur et mesure de tes textes la chair apparaît plus souvent. En attendant, il faut mettre l'os à nu.
Non, ton écriture n'est pas lourde, même dans ses maladresse dues à l’urgence absolue, non ton écriture n'est pas lourde, je dirais qu'elle est drue. Drue, parce que chargée de vie, vigoureuse parce que débordante d'espoir, abondante parce que saturée de douleur. Tu avances dans tes mots comme un soldat entêté, sans aucune complaisance, ni pour toi, ni pour les autres. De toute façon tu es déjà consumée, tu ne risques plus rien, chaque pas te rapproche du plus loin, du plus pur. "

Un jour j’ai rajouté : " A te lire, on sait pourquoi écrire et un acte grave et lumineux. "

Chaque jour une cascade, chaque jour cette marée de l’âme, ou cette moisson du ciel.

" Ta parole est vraie parce quelle est folle, parce qu’elle est défaite, parce qu’elle est en équilibre sur le fil coupant de l’âme, parce qu’elle est sans cesse inachevée. Elle est vraie parce qu’indéchiffrable, puisque qu’elle dit l’impossible de nos existences. Angéline la vérité n’est pas donnée, elle est un surcroît, ou un reste plutôt, il faut user nos vies pour la faire apparaître. C’est pour cela que la vérité fait mal, c’est d’ailleurs comme ça que nous la reconnaissons : parce qu’elle fait mal.

La vérité du mot c’est le silence qui le suit, la vérité de l’amour c’est le silence qui le précède.

Il te faut conquérir l’âme du monde pour l’accomplir ou le brûler. Pour l’accomplir en le brûlant.
La puissance n’est rien s’il n’y a pas l’abandon et l’abandon pure folie s’il n’y a pas l’offrande.
L’amour véritable c’est peut-être cela, la puissance et l’offrande qui passent ensembles sous la même arche, la puissance qui s’exalte de sa disparition, saisie d’un trouble d’une douleur sublime pour ouvrir le ciel, éclabousser la nuit.
Il y a dans ce que tu écris quelque chose qui résiste à la désespérance, quelque chose qui appartient à la joie "

Et ainsi de sa pureté : " Qui sait lire ne peut douter de ta pureté. La pureté ce n’est pas un état donné, une chose acquise pour l’éternité, la pureté c’est pas la blancheur naïve, la candeur intouchable, non, rien de tout ça. La pureté fait mal parce qu’elle brûle, c’est une marche épuisante vers la dépossession, vers l’abandon, c’est arracher de soi des lambeaux de mémoire, arracher la chair des souvenirs, c’est enflammer son sang, c’est être dans le jour et inventer la nuit, c’est être dans la nuit et accueillir chaque mot comme des lucioles, c’est savoir que les paroles du soir sont souvent encombrées et qu’il faut avant de s’en servir les blanchir dans un grand bain de silence, c’est savoir que les paroles du matin n’effacent jamais totalement la nuit parce que dans la rosée des mots on décèle toujours quelques chagrins inconsolés, c’est faire rentrer le soleil dans la maison des mots et c’est jeter au vent des poèmes oubliés. "

Un jour on lui avait dit de nouvelles paroles blessante, comme s’il fallait toujours blesser la blessure : " L’autre jour tu mentionnais quelqu’un qui t’avait traité de " petite écri-vaine ", rien que de le lire cela m’a fait mal. Quelle violence ! Quelle hargne ! Quelle aigreur au fond ! Faut-il souffrir beaucoup pour prendre la peine d’écrire cela au lieu de passer son chemin ! Non, Angéline tu n’es pas une " écri-vaine ", sûrement pas. Mais plutôt une écri-veine, à cause du sang qui circule dans tes textes, un sang lourd et épais, chargé d’histoires, de regards, de rencontres. Oui ! Ecri-veine parce que tes mots reviennent tous vers le cœur. Tes mots partent des organes les plus lointains, les plus malades parfois, les plus blessés souvent et remontent dans les veines du langage, dans les veines de la mémoire, pour converger enfin vers le cœur. Un jour tu as été arrachée, jetée dans l’ailleurs du cœur, là-bas dans le lointain Portugal et tes mots de sang veineux coulent un à un chaque jour pour le rejoindre ce cœur, pour être dans ce cœur au plus près de la vie battante.

Tes mots bouillonnent d’amour, pourquoi ne voient-ils pas ? "

Elle écrit la Maison des Morts, c’est un drôle de maison : " Ta maison Angeline est une drôle de maison, c’est la maison des glaces, des reflets, on croit voir l’autre et c’est soi-même que l’on voit, on croit voir les vivants et c’est morts qui apparaissent et inversement et à l’infini. Les intellos diraient : une mise en abîme. J’aime cette expression : mettre en abîme, un regard en poupée russe, l’infinie décomposition du réel pour en trouver l’ultime résistance, l’ultime souffle.

Elle est belle ta maison Angeline, les gens se promènent dans tes pièces, autour de tes meubles, dans tes couleurs, et pourtant ils se reconnaissent dans chaque objet, comme si c'était leur propre maison. Ils y a ceux, qui visite ta cuisine, ceux qui sont dans ton salon, évidemment beaucoup veulent visiter ta chambre ou ta salle de bain. Elle est ouverte à tous les vents, parfois tu y as froid, tu voudrais la quitter, faire le ménage une bonne fois pour toutes, chasser tous ces gens qui se croient chez eux, qui mettent les pieds sur la table, et leurs doigts sur tous tes souvenirs, et puis c’est sans fin, il y en a toujours d’autres et d’autres qui viennent et ils te parlent tous en même temps. C’est une maison ouverte au vent des mots…comme ton cœur… "

Et toujours des textes qui arrivent du plus profond de nous même : " Ce matin j’avais décidé de ne pas écrire, pour me mettre dans vide, dans le rien. Et puis impossible. J’ai lu ton texte. Impossible de ne pas t’écrire. A nouveau tu pose ta main d’écriture sur mon corps. Je la sens sur mon bras. J’ai lu ton texte. Texte de nuit. Texte de bruit, de chaleur, de désir, de crépuscule où les corps se frôlent, se frottent, mélange leurs salives, leurs sueurs, où le sexe est dans tous les gestes, tous les mots, tous les regards. Nuit délire, nuit dérive. Nuit lumière. De ta nuit lumière tu me parles, et j’entends chacune de tes paroles. Ta plume gratte le papier, chaque mot veut le déchirer, arracher les fibres du blanc pour que le noir de l’encre s’infiltre jusqu’au sang. Comme si le papier était ta peau et qu’il fallait la trouer une bonne fois pour toutes. Voilà pourquoi je continuerais à penser et à dire que tu es quelqu’un de bien. On sait bien qu’il n’y pas de bien et de mal, surtout quand on a connu le " Mal ", et je ne ferais pas de psychologie à deux balles, les discours tu les connais tous et tu les as tous entendus ; tes nuits brûlées sont riens, la seule chose qui importe c’est d’approfondir l’écriture. Nous le savons tous les deux, c’est là que ça se passe, le reste, le jugement des uns ou des autres, le correct ou l’incorrect on s’en fous. Tu es déjà plus loin, non, plus profond convient mieux, tu es plus profond. Celui là qui te frôle au hasard de la nuit, ne touche rien, et il ne le sait pas, il touche sa mort et il ne le sais pas, il a un royaume à coté de lui et il ne ferme ses doigts que sur du sable brûlant qui s’échappe, il serre du vide alors qu’il a un soleil à aimer. Il ne sait rien du corps morcelé, de l’écriture morcelée, il ne sait pas les organes tremblants, il ne sait pas le chaos puisque c’est lui le chaos, il ne sait rien des mots qui pleurent, des nerfs vrillés. "

Je ne suis pas un professionnel de l’analyse littéraire, et au fond cela ne m’intéresse pas vraiment. L’analyse. Certains pourraient dire que le style d’Angeline est brouillon, ou cassé… c’est le contraire. Son style s’accroche à la pensée qui est tout sauf linéaire et il faut cerner au plus près la chose à dire. Il y a des vérités qu’on ne perce pas de front. Contrairement aux petites vérités les vérités importantes sont comme le feu, elles brûlent alors il faut les cerner comme un incendie. Sur plusieurs front. Son style, c’est plusieurs front à la fois pour cerner au plus près une réalité du monde, une vérité de l’être. C’est une lutte pied à pied, mot à mot. On peut ne pas aimer c’est légitime, mais on ne peut pas remettre en cause l’intention.

Il y a une chose qui est importante sans laquelle on ne comprend pas. C’est l’extraordinaire courage, et l’extraordinaire dignité.
Tout d’abord dans ce refus d’être dans la victimisation. Angeline ne témoigne pas, elle fait de la littérature. Même si elle se sait misérable, comme nous tous. Son orgueil c’est de faire de la littérature. Parce que la dignité est a ce prix. Il serait facile d’être victime. Mais la littérature oblige à sortir de soi-même l’incorruptible noyau, notre joyau le plus pur, le plus intact, le moins sali.
En cela elle me fait penser à Joé Bousquet. Lui aussi a du convaincre qu’il ne faisait pas une littérature de paralytique. Et ça lui a coûté. Cher.
La dignité c’est le refus de la complaisance. Et là je sais ce que cela coûte. Il m’est arrivé d’être complaisant, avec moi-même. Je lutte, mais il m’arrive d’y revenir. Angeline ne l’est jamais. Et d’abord avec elle-même, en suite envers son écriture. Même quand elle parle des chairs, des sexes, du sexe. Ses mots sont là pour dire une vérité qui nous habite tous, et non pour nous faire saliver ou nous faire horreur.
Quant à l’horreur, elle le répète souvent ce n’est pas elle qui l’a inventé. La dire c’est nous faire souvenir qu’elle vient des humains, comme nous.
Qui peut dire sans cillé qu’il est exempt de toutes bassesses. Dire le monde dans ses trivialités c’est aussi appeler ses lumières. Les mots ont deux versants. Il faut vouloir passer derrière.
Pour être sûr d’atteindre la cible il faut une écriture polyphonique. Une écriture instinctive, sans fard, sans maquillages, nue, sans apprêt. Et c’est cela qui est difficile à entendre. Regardez, l’énergie, regardez l’invention, regardez l’art quand il se crée, comme ça devant vous

Angeline n’est pas sans lumière puisqu’elle écrit,
elle n’est pas sans musique puisqu’elle écrit,
elle n’est pas sans espérance puisqu’elle écrit,
elle n’est pas sans amour puisqu’elle écrit.

Et pour finir, si elle est l’enfer ; c’est là que je veux brûler.

Franck

18 juillet 2005

Je lui ai dis.....

Ils y a des villages où des fêtes s’organisent et d’autres où ils préfèrent les barbecues. Hier, il y avait un petit orchestre, une chanteuse et deux musiciens pour l’accompagner. C’est un petit village l’été. Qui se prépare à la fête. Ailleurs il y a des tempêtes. Des ouragans. Des famines. Ailleurs il y des amours qui se défont. Alors on fait des fêtes. Pour éviter qu’ils ne se défassent, les amours. Je lui avais dit : "

Tu comprends, j’ai vu ses premiers pas dans votre amour, et surtout j’ai vu comment un miracle arrive, comment la lumière jaillie, j’ai tenté, parfois maladroitement, de l’accompagner, mais tu sais avec seulement des mots, c’est difficile. " Mais quand on est dans l’amour on n’entend pas on est sourd. Je n’aime pas les fêtes, cette joie fabriquée dans laquelle je n’arrive pas à entrer. La chanteuse est jolie, son sourire est éclatant. Dans ce genre d’ambiance il y a toujours quelque chose qui s’effondre en moi. Sans doute le collectif. Je ne suis pas collectif. Devant la parade sociale, une part de moi s’effondre. Ce sont ma cousine et son mari qui organisent. Ils sont installés sur la place du village. Petit restaurant, bar, tabac, journaux, pêches, chasse, cadeaux. J’appelle ça le drugstore. Il fait chaud les gens sont sur la terrasse. C’est l’été. Il faut comprendre. Des pizzas, du vin rosé. Et puis l’orchestre. Je me suis installé, légèrement en retrait. J’écris sur des feuilles de papiers. Ailleurs aussi il y a des fêtes, des sociétés qui se regroupent autour d’un barbecue pour se dire qu’elles s’appartiennent. Je lui avait dit : " Oui, j’ai vu ses premiers pas de lumière, alors c’est important que je te le dise. Ce qu’il faut que je te dise c’est : protège-la. Tu vois, quand je lis son texte de ce matin, je sais qu’il faut que tu la protège. Je sais qu’elle ne va pas aimer ce que je dis, mais bon, tant pis. Protège-la. Mais attention, pas n’importe comment. Tu la connais, c’est une vraie liberté cette fille, cet ange. Il ne s’agit pas de l’empêcher de dire, de parler, d’écrire, il ne s’agit pas de la mettre sous verre, elle ne supporterait pas, il ne s’agit pas de l’empêcher de se confronter à la laideur du monde, de fréquenter les morts, de la mettre à l’abri, non rien de tout ça. " Je suis seul à ma table. J’observe les visages. J’ai toujours fait ça. Regarder les visages. A l’affût d’un éclat. La jeune serveuse s’agite dans tous les sens. Elle est belle comme un cœur, elle est dans sa jeunesse triomphante. Elle tourne, elle vire, entre les tables les bras chargés d'assiettes, de verres, on dirait qu’elle marche sur des notes de musiques. Quand elle passe, les hommes se retournent ou la suivent du regard. Sans doute à cause des lueurs qui l’entoure. Quand elle croise la table où je suis assis, elle me sourit. Normal, je suis élégant, et surtout le cousin de la patronne. Ca aide. Moi, je suis dans un temps d’absence. Je pense à ces autres fêtes, et puis aux orages, aux ouragans qu’il y a dans certaines âmes. J’aime bien quand on me sourit. Tout le monde aime ça. Je lui avais dit : " Tu comprends, tout le monde veut lui faire des enfants, avec des idées maron, avec des yeux maron. Alors il faut que tu la protèges. Je sais, elle n’a besoin de personne, elle est forte, elle sait se défendre, mais bon y’en à marre de toutes ses salissures. Y’a des jours, où y’en à marre. Tu comprends, sa peau, son ventre, son sexe, l’intérieur de son ventre c’est à elle. Et elle, elle te donne tout ça, alors c’est un peu a toi maintenant. C’est votre lumière à tous les deux. " Mais les lumières de l’amour sont fragiles. Parce qu’en fait ce ne sont pas de vraies lumières. Ce sont des tremblements de l’air. Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi je suis dans ce retrait du monde. Seul à ma table. Dans le silence de mon écriture. Dans le vacarme d’une société qui se donne à une fête, l’été. Je n’aime pas les fêtes. Ou ce sont les fêtes qui ne m’aiment pas, c’est pareil. Les gens rient, mangent, certains se sont mis à danser. Demain ils diront : On a passé une bonne soirée. Aurélie, elle s’appelle la jeune serveuse. Elle a un amoureux Aurélie. Il l’a surveille dans un coin du bar, ils ont des clins d’œil complices, quand on est dans le triomphe de la jeunesse on a toujours un amoureux. La nature a horreur du vide. Alors Aurélie est comblée. Je lui avait dit : " Pour se défendre, elle n’a besoin de personne, parce qu’elle est forte, c’est une guerrière, elle est forte, mais fragile, comme toutes les personnes essentielles, comme toutes les personnes incroyables. Je sais que tu sais qu’elle est exceptionnelle, mais elle est fragile. Parce qu’elle rare. Alors il faut que tu la protège. Tu sais, ça sera simple et incroyablement difficile à la fois. Ca sera ton œuvre la plus compliquée, la plus dure, la plus dangereuse, la plus urgente, la plus quotidienne. Oui, cela sera compliqué, parce qu’on apprend pas cela dans nos éducations, alors il te faudra tout inventer, les mots, les gestes, les silences, les matins, les saisons, tout quoi. " Oui, c’est compliqué et terriblement difficile de se situer dans la grâce d’un air frémissant. C’est comme renaître chaque jour. C’est comme écrire. Beaucoup d’amoureux deviennent de vrais écrivains quand ils sont au début de l’incendie. Après ils rangent leurs stylos, dans le tiroir, là où ils mettent leur rêves. Ils ferment à clé, parce qu’un rêve qui vous regarderait chaque jour serait un véritable supplice. Comme l’écriture. Je lui avais dis : " Je sais que tu as toutes les qualités, et en particulier celles du cœurs, - ce sont les plus importantes -, mais il va falloir te surpasser. Parce que la protéger ce n’est pas l’empêcher, c’est l’augmenter, c’est élargir encore plus son âme, c’est embellir chacun de ses jours, c’est embrasser ses blessures, c’est parfois même les aimer, ses blessures. Pour la protéger, il te suffira de l’aimer. Tu vois, c’est simple. Et tu vois comment c’est compliqué.
Il faut que tu l’aime, que tu lui dises à chaque instant, ton amour. Il faut que tu la nourrice de ton amour, tu sais bien qu’elle ne se nourrit que de ça. Vous êtes les enfants du miracle, alors il faut que tu sois à la hauteur. Je ne dis pas ça pour te mettre la pression. Je te le dis parce que je sais que tu peux l’entendre. Tu comprends, jusqu’à présent tu as vécu dans l’inconscience du monde, aujourd’hui tu es rentré dans le feu du monde. Alors il faut que tu la protéges. Et pour cela il faut que ton amour brûle comme un soleil. Je sais c’est une image un peu banale, mais parfois j’ai du mal à trouvé les mots à la hauteur. Soleil, c’est banal, mais ça représente bien la chose. "

On oublie toujours qu’il faut augmenter l’autre. Bien sûr c’est difficile. Car il ne s’agit pas d’être dans les chairs, mais dans l’âme des chairs.

Je suis assis seul à ma table, dans le coin le plus vide de la soirée. La nature a horreur du vide. Moi je l’affectionne. On ne cultive jamais assez son vide. Résultat, quand l’autre arrive, il n’a plus de place, il ne sait pas où poser son amour. Tout est plein. Rempli. On devrait répéter cela dans tous les sermons, dans toutes les écoles : si vous voulez que quelque chose arrive cultivez votre vide, agrandissez-le, débarrassez-vous de ces morceaux d’égo trop gras, trop gros, trop riches, trop sûr d’eux-mêmes, boursouflés de pouvoir. Enlevez tout ce qui est inutile en vous ; l’autre vaux mieux que vous parce qu’il vous augmente. C’est ça augmenter l’autre, c’est se défaire de son égo. Je lui avais dit

: " Tu sais qu’elle va m’en vouloir de te dire tout ça, peut-être que toi aussi, tu ne vas pas apprécier mon intervention. Mais qu’importe. Tu dois la protéger. N’essaye pas de la saisir, laisse la plutôt aller libre dans les eaux qui l’appellent, même si ces eaux te paraissent glauques, laisse là ; mais aime-là, elle n’a besoin que de ça. Un amour brûlant, comme une éternité. " Le vide. C’est bien là, que les choses peuvent arriver, comme dans l’errance, la mère du vide, ou sa sœur. Il n’y a pas de fin, pas de début, il y a seulement un acte en déséquilibre. Juste une vacuité de l’instant. C’est ici que prennent place les prières, les holocaustes et l’insoutenable de l’amour. Juste là. Dans cet instant de perte. Je lui ai dit : " Voilà ce que je voulais te dire. Je me doute que tu n’avais pas besoin de moi pour le savoir, mais c’était aussi une occasion de faire connaissance.
Vous êtes, tous les deux, les enfants du miracle et vos enfants seront des révélations de miséricorde. De la lumière sur de la lumière. "

Je suis parti avant la fin. Bien avant. Quelque chose me brûlait à l’intérieur, encore de l’égo à détruire. Parce qu’il lui faudra une place immense. Quelque chose d’infini. Parce ce qu’elle traîne des tonnerres, des révolutions, des orages d’été, des ouragans, les mondes marchent avec elle, et les diables et les saints, et quand elle passe le ciel lui fait une révérence. Elle connaît l’histoire d’Orphée, c’est pour cela qu’elle ne se retourne plus. Je lui avais dit : " De la lumière sur de la lumière. "

Alors je brûle…

Franck

Publicité
Publicité
17 juillet 2005

La jetée...

mulholland14

En parlant de pont, j'étais sur la jetée, un pont coupé en deux entre deux pays, car vu l'importance de la distance, les constructeurs de la jetée se sont dit : "on n'y arrivera jamais". Donc le pont est devenu une jetée. Quelque chose qui pénètre l'océan. L'image n'est pas innocente. A Calais il y avait du vent, beaucoup de vent, et cette ambiance sucrée que possède le Nord. Vous vous dites : "sucrée ?" Ce n'est pas n'importe quoi c'est ce que je pense. Enfin non, c'est l'effet que ça me fait, à mettre au passé, lorsque je m'y rendais. Calais. Il y a toujours des pêcheurs et des gens qui viennent sur la jetée. Ils sont habitués, en couple, rarement seuls. On voit plus de couples que de gens seuls. Peut-être que seul ça n'a pas d'importance. La solitude n'a pas envie d'aller se balader sur une jetée, avec ce vent. Et voir l'eau au bord, polluée, par les algues et les sachets plastiques. Les marchands de glace, on les dévalisait. On se disait : les glaces italiennes sont délicieuses. Beaucoup de gens en raffolent. Je le regardais et à l'époque je croyais évidemment que c'était lui. La bonne personne. Le romantisme est une belle garce. J'étais avec lui. Devant la jetée. Et nous étions bien ensemble. Mon chien venait de mourir subitement, mon labrador, j'étais bien avec lui. J'avais besoin de réconfort, et il était là pour me le donner. Gratuitement. Cependant, j'étais aveugle. Je ne voyais pas tout. La jetée n'aime pas beaucoup le vent. C'est fragile vous savez ces choses-là. Les ponts, les jetées, les passerelles. Ou les métros londoniens. On ne dirait pas comme ça. Mais d'un coup de vague et hop : vous vous retrouvez SDF sans plus rien, vous avez faim et votre famille est portée disparue. J'ai vu ça à la télévision. En parlant de pont, Franck n'a pas pensé à la jetée. Sur laquelle un gamin était assis près d'un baril rempli de crabes vivants. Il avait des taches de rousseur ce gamin, des dents de lapin, il était objectivement laid mais amusant. Il pêchait. Il avait quelque chose de misérable, les gens du Nord le portent sur eux. Un peu comme moi, quelqu'un m'a dit un jour : "tu es belle avec cette tristesse dans le regard". Je n'avais pas réagi je crois plus à ces faux compliments sordides. Je ne réagis pas toujours au mensonge. Des fois, on est trop fatigué. Et puis le mensonge se montre parfois sous un jour tellement bête, qu'il est inutile d'en rajouter. C'est éclatant. La jetée n'est jamais fatiguée Franck. Franck. Et tu sais quoi ? La jetée, si elle pouvait parler. Elle dirait le nombre de Ferry qu'elle a vu passer. Les couples se tiennent, l'un contre l'autre, le vent est dur, froid, sec, marin, comme vous voulez, salé surtout. Salé. Normal. Il faut être né là-bas pour comprendre. La différence entre le Nord et la Bretagne. Par exemple, car les Bretons sont spéciaux, m'a dit je ne sais plus qui. Sur la jetée, on mangeait donc nos glaces italiennes, à la pistache, coulis fraise et vanille, lui chocolat. Quand j'y repense aujourd'hui je me dis : c'est pathétique. Dans le sens navrant. Mais à l'époque il était beaucoup pour moi. Il était l'amour. C'est resté un ami cet homme-là. C'est resté un ami qui s'est bien débrouillé pour avoir fait un enfant d'ailleurs. La graine a été déposée, maman est venue la chercher. La jetée est toujours en train de se disputer avec l'océan. Toujours, il faut qu'il y ait la jetée qui ne soit pas d'accord. Des fois elle est d'accord. Des deux, je ne sais pas lequel vit le plus dans le faux-romantisme de l'amour, le genre étranglement émotionnel, nous sommes liés à jamais, tout est rose entre nous deux et nous avons des ailes dans le ciel, la la. C'est surtout entre deux personnes que la perversion pointe le bout de son nez. C'est clair. Bon je vais vous dire la vérité au lieu de raconter n'importe quoi : Franck m'a permis de venir ici parce que, ici, ben, en fait, il m'accueille. C'est quelqu'un qui sait lire Franck. Nous n'écrivons pas les mêmes choses, on pourrait croire que c'est assez contraire. Mais il m'est arrivé quelque chose : j'ai eu des contacts pour l'édition de mon recueil de poèmes et j'attends une réponse et c'est assez invivable comme situation. Je n'attends pas de réponse positive, mais en fait, j'attends. Donc en lui parlant j'avais besoin, en fait, de l'entendre me dire que c'était vivable. Nous avons tous besoin d'être rassuré un jour ou l'autre. Je vois ça tous les jours, il existe même des malades mentaux qui ne voudraient que ça dans la vie, être rassurés. Car quoique vous en disiez, votre monde n'est pas rassurant. C'est vrai ce que je dis là. J'arrête pas de le dire. Ce n'est pas grave de le dire, ça ne plombe pas le blog de Franck, la vérité n'est pas exceptionnelle et je vois tellement de gens qui ne voient pas ou d'autres qui ont tellement peur de le dire aux autres que je suis bien obligée à ma façon, minuscule, de le dire. On me demande souvent pourquoi j'écris comme ça, on me dit : "le monde n'est pas comme ça, ça va en fait, c'est l'histoire de l'humanité, depuis l'aube de l'âge de pierre". Ils sont hallucinants. Ils n'entendent pas ce qu'ils disent, vraiment. S'ils entendaient, forcément, ils n'existeraient plus. Sur la jetée je n'étais pas très à l'aise, c'est vrai. Mais je l'oubliais j'étais avec lui. Je l'aimais. L'apôtre, comme je l'appelle aujourd'hui. Aujourd'hui ça me fait bien rire. Le désarroi est quelque chose qui existe. Récemment, une femme m'a dit que je n'avais pas le droit d'évoquer la parole du Christ et de la mêler à ma sordide existence. Il existe des gens qui au nom de l'amour soi-disant, ou du faux-romantisme de l'amour sont incroyablement haineux. J'ai écrit il me semble à plusieurs reprises que c'était de la littérature. Ce que je faisais. Mais les gens n'aiment pas les littératures qui s'écrivent au fil des pensées intimes. Pourquoi ? Parce que ça nous ramène au mensonge ambiant. La jetée avec toi l'apôtre, je te parlais de tout ça, et tu m'avais dit : laisse-les, viens dans mes bras. Aujourd'hui c'est un homme que tu prends dans tes bras, et je suis bien contente que tu m'aies quittée : nous étions faits pour être amis. Avec Franck, je ne sais pas, l'amour serait possible mais il a tellement d'admiratrices, aux étranglements émotionnels certains, je ne sais pas avec laquelle il est le plus lui-même (humour, blague, plaisanterie, je plaisante, attention). Le plus important c'était que je l'aimais. Jean. Et que parfois, j'adore remercier les gens. Je n'aime pas leur souhaiter une bonne journée, ou une bonne année, ou un joyeux Noël. Je ne sais pas pourquoi. C'est l'impression du rite, certainement, que je trouve indécent. Mais merci, c'est pas mal. Ou alors : tiens, je te l'offre. C'est un cadeau. Encore meilleur.

C'était gentil d'être là tout à l'heure, Franck, au fait. Dans ce texte, la phrase la plus importante est l'avant- dernière.

ANGELINE

16 juillet 2005

Le pont...

Ce matin les mots étaient épais, pâteux. Je ne savais où les poser. Je suis ni bien ni mal. Mais les mots s’absentent parfois. Ils ne donnent plus leurs significations. Souvent je dis qu’ils se tirent la langue. C’est ainsi…

Il a décidé de faire un pont. Georges mon grand-père. Il voulait toujours des choses insensées. A cet endroit la rivière fait au moins douze mètres. Mais c’est là qu’il veut faire passer son pont. Et il veut un vrai pont en pierre, avec une arche.

Faire un pont c’est comme traverser l’océan. Ou écrire un poème. Les ponts et les poèmes sont la même choses. L’un traverse la rivière sans la toucher, l’autre traverse la langue sans la toucher. A chaque fois qu’un poème touche la langue il s’écroule, comme le pont. Le poème doit permettre de traverser la langue sans la toucher pour que le cœur ai les pieds au sec.

Dans le village à coté, il est allé voir un maçon. Il le connaissait bien. Bibar on l’appelait. Petit, trapus, nerveux. A l’époque il devait avoir soixante cinq ans. Comme Georges. Bibar était un ancien boxeur, il avait gardé cette démarche voûtée qu’ont les boxeurs. Et un tic ; avec le pouce il se frottait la narine. " Tu as déjà fait un pont ? ", " Non… " En fait Bibar avait passait sa vie à monter des mûrs pas toujours très droits. Mais des mûrs seulement. Solide, mais pas toujours très droit. " Ca te dit de construire un pont ? " " Euh !…. " " Mais seulement tous les deux…. " " Alors c’est d’accord, tous les deux…seulement… "
C’est comme ça qu’ils se sont mis au travail. Georges lui a montré l’endroit, l’autre à coté remuait déjà des épaules comme s’il allait monter sur le ring. Drôles de silhouettes tous les deux. Autant Georges est imposant comme un taureau, autan Bibar paraît chétif. Je m’en souviens, ils ont les mains dans poches et ils regardent la rivière. Moi je dois avoir une douzaine d’années. Et le pont c’est comme traverser l’océan. Ils ont décidé d’écrire leur poème à deux. Simplement pour l’amitié. Pour un temps à mettre en dehors du temps. George avait toujours des envies baroques. Depuis la nuit des temps on avait traversé la rivière à l’aide du gué, mais ce jour là il fallait un pont. Parce qu’un pont c’est autre chose que du béton. Un pont c’est un poème. Tous les deux ils se respectent, c’est souvent comme ça entre les hommes. Quelque chose d’invisible les relie. Bibar a dit, je fais les plans. Alors ils se sont retrouvés au café. Là s’était du sérieux. Au nombre de kir qu’ils ont bu s’était même du très sérieux. Je crois que les pyramides ont commencé comme cela. Ou la muraille de Chine. Deux types qui s’emmerdent dans leur vie et qui décident ensemble de bâtir un pont, pas forcement pour traverser une rivière, mais pour traverser une poésie.
Bibar a sorti un misérable papier de sa poche, qu’il a ouvert pour découvrir un misérable dessin. " J’ai réfléchi, on va le faire comme ça… " Georges, pas contrariant : " T’as raison Bibar !.. " Les architectes sont souvent trop précis dans leurs plans et il manque la dimension du kir, dans leurs dessins. Les villes seraient plus habitables si les architectes voulaient traverser des poèmes. Georges à tout de suite vu à l’exactitude du trait la dimension de l’ouvrage. Il jubilait mon grand-père. En prévision du bon temps qu’ils allaient passer ensemble. " T’as bien fait tes calculs Bibar ? " " T’occupe, on va mettre du béton, si je me suis trompé, avec le béton qu’on va mettre le pont ne risque pas de s’écrouler. Du béton Georges ! du béton !… " C’était son mot, à Bibar : le béton. C’était mieux qu’une règle à calcul, mieux que les équations du second degré. Le béton, quand tu en mets beaucoup, mais beaucoup, tu ne risques rien. Le pont coûterait cher, mais il tiendrait. Foi de Bibar !

Toutes les après-midi ils se retrouvaient à la rivière. Bibar au béton, Georges au casse-croûte. Moi je les suivais, je ne comprenais pas tout, sauf, que ce qui les unissait tous les deux était encore plus solide que le béton de Bibar.
Peu à peu Bibar amenait, les planches pour les coffrages, les tiges de ferrailles pour le béton, le sable, les graviers, et bien sûr le ciment. Le chantier prenait forme. Et puis Bibar amena la bétonneuse.
Ils y ont travaillé dur. Ce fut long, laborieux, souvent l’heure du casse-croûte se poursuivait et il leur devenait impossible de continuer à travailler. Ils se racontaient leur vie, Bibar ses combats, ou la dernière fois où il a mis son poing dans la gueule d’un " grand ", Georges, lui, il racontait la marine et le temps où il avait fait le tour du monde. Parler assèche même les gosiers les plus poétiques, alors le vin de Georges faisait merveille.
Quand George rentrait, ma grand-mère lui demandait où il était passé : " Au pont… " Ca voulait tout dire. Au pont. " Tu as vu dans quel état tu es… ? " " Tu me fais chier… ! " Georges était un vrai poète.

Ils ont commencé par les piles. Il en a fallut des bétonneuses, et des sceaux ! Mais s’était le plus facile. Coffrer, mettre des kilos de ferrailles, et après des tonnes de béton. Ca, Bibar savait faire. Où cela s’est compliqué, c’est pour l’arche. Une arche de douze mètres. La précision des calculs de Bibar rassurait Georges. Et s’il avait un doute, il y a avait le dessin de Bibar. Donc, pas de problème. Faire un pont c’est comme traverser l’océan. Ou suivre les plans de Bibar. A force, de l’avoir dans sa poche le papier était devenu illisible. Néanmoins religieusement Bibar le sortait régulièrement et le regardait d’un air savant en hochant la tête, et avec un coup de pouce sur sa narine, il le remettait dans sa poche.

Ils étaient beaux à voir, ce n’était pas des enfants, ils étaient plus…ils avaient une sorte d’irréalité. Ils riaient, ils se moquaient l’un de l’autre et quand ils étaient fatigués, ils buvaient. Moi je portais les sceaux de béton.

Et c’est ainsi que le pont fut construit. L’arche bien sûr posa des problèmes, aujourd’hui encore on voit bien qu’elle n’est pas équilibrée, et qu’elle tourne légèrement. Mais le pont est là. Toujours là. Depuis quelques temps ce n’est plus un pont clandestin, il est marqué dans les cartes IGN. Parce que bien sûr, au départ, il a été construit sans permis. On ne demande l’autorisation à personne pour faire un poème, alors pourquoi demander quand on fait un pont.

Ce matin j’étais sur ce pont. Je l’observais. Un pont va toujours quelque part, or celui là ne va que dans un champ sans importance. En fait, il va plus loin. Il y a du béton dans ce pont, mais je sais qu’il y a autre chose. La rivière le sait. Si l’on ne fait pas de bruit, on peut entendre porter par le bruit de l’eau, des histoires de boxe, et de tour du monde. En remontant de la rivière, ce matin, j’ai vu briller quelque chose au pied d’un arbre. Je me suis approché, c’était un bout de goulot de bouteille qui dépassait. Alors je l’ai déterrée. Elle n’était pas cassée. Je l’ai prise, elle est là devant moi. Et c’est elle qui dicte les mots et l’histoire du pont.

Faire un pont c’est comme traverser l’océan….

Franck

15 juillet 2005

Les Oies Sauvages......

Pour S.

Maintenant ils roulent. Il fait nuit. Et ils roule vers….Il faut reprendre un peu plus tôt. C’est un voyage qui s’est décidé très vite. Dans une sorte d’urgence. Parce que l’amour a ses brasiers et ses trous d’ombres, et ses espaces creux. L’amour est une perpétuelle question. Alors ils ont décidé de faire ce voyage. Un peu absurde. Mais il fallait faire quelque chose. Là tout de suite. Prendre un sac, le remplir de vêtements pris un peu au hasard. Et partir. Ils ont pensé à Venise. Mais ils ont éclaté de rire. Non, pas Venise. Pas le sud. Toutes les directions du sud sont impossibles. Alors il a dit, le Nord. Elle a dit pourquoi pas. Le Nord pour lui c’était d’abord un souvenir de chanson. Une chanson triste que chantaient les marins ou les soldats perdus. En roulant il se remémorait les paroles :
" Les oies sauvages vers le Nord
Leurs cris dans la nuit montent
Gare aux voyages car la mort
Les guettent par le monde. "
Il le savait ce voyage serait le point de fin, ou le premier élan. Il savait qu’ils n’en reviendraient pas indemne. Elle aussi le savait. Et tous les deux le voulait ainsi.
" Au bord de la nuit qui descend
Voyage grise escadre
L’orage gronde et l’on entend
La rumeur des batailles."

L’amour à besoin de s’arracher du temps et des autres et des mots. L’amour a besoin d’une mer de silence pour trouver ses marques.

Ici, lui, on l’appellera Lui, et elle, on l’appellera Elle. Leurs noms n’ont pas d’importance. Ils ont tous les noms. Ou ils n’en ont aucun.
Elle lui a dit : " Si l’on va vers le Nord, alors on va au bout du nord, jusqu’à la dernière terre. " Elle avait rajouté : " Tu es d’accord… ? ". Lui il avait compris ce que cela voulait dire. La dernière terre. Le bout. La fin. Ou la renaissance.
Dans l’amour, on ne dit pas tous les mots. C’est d’ailleurs à ça que l’on reconnaît l’amour. A ces trous dans la parole. Plus que des trous. Combien d’amants se sont perdus, là, dans ses gouffres. Les amants parlent par ellipse. L’important c’est toujours ce qui n’est pas dit. Tous les deux le savent. C’est pour cela qu’ils sont ici, ensembles, sur cette route vers le Nord, vers la Norvège. Vers le bout de la terre. Ils savent qu’ils ne sont pas partis vers une géographie, mais plutôt vers un lieu du cœur. Lui, il aurait dit de l’âme. Mais elle n’emploie pas ce mot. Il y a des mots comme ça qu’elle n’emploie pas. Des choses qu’elle ne fait pas. Tous les deux savaient que ce voyage décidé n’importe comment était le voyage le plus important de leur vie. C’est pour cela qu’il était absurde. Rien de préparé, simplement les passeports, et une carte routière achetée sur l’autoroute. Lui, il avait jeté dans le coffre quelques couvertures, une petite tente, les sacs de couchage. On ne sait jamais.
" Au bord de la nuit qui descend
Voyage grise escadre
L’orage gronde et l’on entend
La rumeur des batailles."

Ils n’avaient pas l’intention de faire du tourisme. Non, ils devaient simplement aller loin, très loin, ensemble. User leur présence. User leur silence. Ils en en avaient l’habitude du silence. Ils se connaissait bien. La vie de chacun était déposée sur la main de l’autre. Et dans leurs yeux ils se parlaient.
L’amour n’aime pas le bruit, et parfois les silences sont bruyants. Ils n’aimaient pas les paroles inutiles, le caquètement de la bouche qui ne dit rien, sinon la peur du silence. Mais quel est le mot qui convient après un très long silence. Le mot à la hauteur d’un silence. Pas évident. En fait ce voyage devait servir à cela. Trouver ce mot. Lui il avait dans sa tête cette chanson.
" En avant vole les armées
Et cingle aux mers lointaines
Tu reviendras mais nous qui sait
Où le destin nous mène. "

Il fait nuit, ils roulent, la nuit est chaude. Ils ont passé la Belgique presque s’en rendre compte. A part ces lumières sur l’autoroute. Maintenant ils sont en Allemagne. Lui, il s’arrête de temps à autre pour fumer une cigarette. Elle n’aime qu’il fume dans la voiture. Elle a raison, elle voudrait qu’il s’arrête de fumer. On est au début du voyage. Elle met de la musique. C’est toujours elle qui met la musique. Elle a plus de goût que lui pour ces choses là. Il fait nuit. Il sait qu’elle aime ça, rouler de nuit. Il la regarde du coin de l’œil. Il l’a trouve belle. Il l’a toujours trouvé belle. Ses cheveux sont défaits, ils flottent légèrement dans l’air qui rentre par la vitre entrouverte. Elle a gardé ses lunettes de soleil. Elle aime être cette ténébreuse qui traverse la nuit. Elle a posé son pied droit nu sur le dessus de la boite a gants. Elle a une pose impudique. Pas tout a fait. Elle n’aime pas l’impudeur. Mais là, il fait nuit, ils roulent. Il peut voir ses cuisses au-dessus des genoux. Elle est belle.

L’amour est un voyage impossible. Parfois il lui prend la main pour y déposer un baiser. Elle sourit.
Dans ce voyage ils sont trois. Derrière, invisible il y a un ange. On appelle ça un ange. Mais contrairement à ce que l’on croit il n’est ni bon, ni mauvais, il ne protège pas vraiment. Il est là c’est tout. A un moment donné du temps il y a comme un tintement. Seuls les anges les entendent. Alors le plus proche se déplace pour voir ce qu’il en est. C’est comme ça que le troisième passager de la voiture est arrivé. Il a entendu tinter. Et il est arrivé. Il les regarde. Ils sait tout d’eux. Mais il est ronchon. Lui il aurait aimé une mission plus au sud. Les plages l’été, tous ces corps presque nus, toutes ces sueurs qui s’échangent, les boites, la musique à fond. Il aurait préféré. Là, c’est le silence. Ses " clients " ne parlent pas. La musique est bonne. Mais s’est loin d’être Ibiza. Et puis la Norvège, quelle idée ! Il sent d’instinct que c’est une mission sérieuse, grave. Il ne sait pas s’il sera à la hauteur. Mais si le ciel a tinté c’est que sa présence était requise. Toutes les choses importantes sont inscrites dans le ciel. Ca tout le monde le sait, ou presque. C’est pour cela, qu’avant, les dieux plaçaient dans les cieux les âmes des humains valeureux. Chaque étoile est une âme. Mais les âmes pures sont des constellations. Peut-être que ces deux là en deviendront une. C’est bien pour un ange de promouvoir une constellation, ça lui donne du galon. Là, il les regarde. Elle, elle est belle. Il voit sont cœur en feu. Et sa jambe, et sa cuisse. Il n’a pas de sexe, les anges n’en ont pas, mais cela ne l’empêche pas d’aimer les belles choses. Il voit sont cœur en feu, et l’infini qui l’habite. Cela fait longtemps qu’il n’avait pas vu un infini si profond. Presque angoissant tellement il est profond. Lui, il lui fait une drôle d’impression. Décidément ils ne vont pas ensembles, pourtant il ressent comme une évidence. Les anges sentent bien cela. Les évidences. Lui aussi il est dans le feu. Mais ce n’est pas le même qu’elle. Plus contenu.

Lui, il pense à tout cela en conduisant. A l’urgence du voyage. A l’urgence de l’amour. A la gravité. Pourtant cela ne fait pas si longtemps qu’ils sont ensembles. Mais c’est cette histoire d’infini, d’absolu qui le taraude. Comment éviter la banalité des heures, des jours, des saisons ? Comment éviter l’effondrement des corps après l’amour ou l’usure des chairs ? Comment réussir à inventer cette langue toujours nouvelle pour dire la beauté de ses yeux, la douceur de son souffle ? Il la regarde. Il sait que ce voyage est une épreuve. Qu’au bout, plus rien ne sera comme avant. Parce qu’il ne vont pas vers une géographie, mais vers ce lieu de l’âme insensé. Ce lieu qui ressemble à la folie, puisqu’il est sans raison, qu’il est tout en tremblement, puisqu’il est tout en abandon. Au bout il faudra bien arracher son cœur, arracher sa chair. Il le sait. Et il sait qu’elle le sait aussi.

Il fait chaud, ils montent vers le nord, vers le bout de la terre. Il a peur. Et même si elle paraît nonchalante dans cette pose impudique, il sait qu’elle a peur aussi. Elle a peur parce qu'elle a toujours eu peur dans sa vie. Il avait découvert quelqu'un d'étrange : terrorisée par sa famille. Elle n'aimait pas sa mère ni son père qui passaient leur temps à boire et à regarder des émissions pathétiques à la télévision. Elle faisait tout dans la maison. Elle faisait tout, la vaisselle, le ménage, la cuisine. Son père était étrange avec Lui. Lorsqu'elle a commencé à vouloir le présenter à ces parents indignes. Il a pensé : cet endroit ressemble à la folie : la fille a pris la place de la mère et la mère a pris la place du chien. Le chien a pris la place d'un arbre, dehors. Les enfants dehors lui jettent des cailloux. Attaché constamment, il mord. Depuis que les gosses ont essayé de le brûler, il était méchant, très méchant, sauf avec elle. Elle savait le prendre. Elle ne le caressait pas car la bête ne supportait plus qu'on la touche. Elle lui donnait à manger et elle voyait dans l'oeil qui lui restait : quelque chose comme de la gratitude. Dans l'oeil d'une bête.

Ils avaient peur parce que à la radio, ils parlaient de nouveaux soldats, envoyés au front. Pour très bientôt. Ella couchait avec son père depuis l'âge de quatorze ans. Personne ne le savait mais les gens lui renvoyaient sa détresse à la figure. Ils devaient le sentir. Les gens avec leurs égos flexibles. Luis lui avait dit en écrasant une cigarette dans sa paume, nu sur le lit, après l'amour, tandis qu'elle nue devant le miroir coiffait ses cheveux longs, qu'il voulait l'emmener. Loin de son père. Une fille ne fait pas l'amour avec son père. C'est n'est pas une chose naturelle, c'est une invention. Lui disait-elle. Elle souriait, les yeux pleins de larmes. Lorsqu'ils faisaient l'amour, elle n'avait plus de problème, le plaisir n'était plus coupable. Allongé, nu, il lui tendait la main, en souriant, elle lui prenait, en lui rendant ce sourire si gentiment donné. Elle l'aimait dans ces moments-là.

Son père à Luis, lui qui aimait elle, Ella, voulait l'envoyer en Irak, combattre. Le Nord était loin, sur la route ils avaient peur. Ils étaient heureux mais la peur était aussi heureuse pour eux. Le père de Luis était très autoritaire et avait dit à son fils un jour : "tu seras un militaire ou tu ne seras pas". Il ne rigolait pas, cet homme. Luis avait eu l'apparition de l'ange un jour, alors qu'il sortait de la douche. Ruisselant, nu, il avait vu l'ange lui redonner espoir : c'est vrai qu'à cette époque il pleurait seul dans sa chambre. Il était comme ça. Dans un coin de la salle de bains, comme ça. Comme un cadeau. Et puis il n'aimait pas les bars de militaire. Il était allé dans les toilettes une fois, il avait surpris une poupée Barbie style années 40 comme Veronika Lake, coiffée de la même façon faire une fellation à un marine musclé comme l'incroyable Hulk. Il avait pleuré en fumant une cigarette dehors, en regardant son reflet et celui de la lune derrière le sien dans une flaque d'essence ou de liquide réfléchissant.

Il savait lui tendre la main dans des moments comme celui-là. A la radio, des explosions, des meurtres, des viols et des 14 juillet triomphales.

  • En avant marchent les armées

  • Au loin la mer déjà s'est retirée

  • Il reviendra vers nous qui sait

  • Avec courage et force au-delà des Ardennes

Ils se sont arrêtés. Quelque part dans un endroit désert. Il s'arrête souvent dans des choses désertes, elle dit. Ils se font un sourire. Ils donneraient envie à l'âme la plus impersonnelle, la plus froide. La plus imperméable aux sentiments. Comme si on pouvait négocier avec les sentiments. Comme si nous pouvions négocier avec l'amour. C'est plutôt l'inverse. La station était grande. Elle était restée dans la voiture, prostrée. Je serais restée prostrée comme elle si j'avais été Ella. Elle écoutait à la radio les chants de militaires qui partaient dans des pays où les contrôles à l'aéroport étaient moins importants que dans les leurs pour aller anéantir cette menace pesante qu'était le terrorisme. Il a demandé qu'on lui mette de l'essence. Ils avaient oublié le Nord. Ils étaient ensemble, ils attendaient de l'essence. La voiture allait caler dans quelques kilomètres sinon. Et il fallait absolument la remplir. Ils étaient ensemble de toute façon. Mais l'endroit ressemblait à un désert. A un désert d'Irak. Il a pensé : je dois être déserteur maintenant. Elle a regardé la station-essence et lui qui faisait le tour, au même moment elle a pensé : il doit être considéré déserteur maintenant. Ils étaient faits pour se rencontrer décidément.

Il a vu dans un enclos des chevaux. Des familles. Bruns, Purs Sangs, Racés, Noirs, Mouchetés. Un homme âgé est descendu tout sourire vers la voiture. Il a regardé les chevaux de toutes les couleurs en trouvant qu'ils étaient beaux. Comme Elle. Ella a dit bonjour au vieux monsieur. Qui sur son visage avait l'expérience de sa vie. Il lui a fait le plein. En attendant, Luis regardait les chevaux. Il avait envie de pleurer. Tout allait bien, ça le rendait triste. Les militaires allaient l'attaquer en justice maintenant, c'était sûr. Car lorsqu'ils n'attaquent pas, ils défendent, et lorsqu'il n'y a personne à attaquer, ni même personne à défendre, ils attaquent en justice.

L'homme demanda à Ella si elle n'avait pas soif. Elle lui dit : "non". "On va vers le Nord". "Par la route ? Vous auriez dû prendre l'avion".

Elle avait croisé ses doigts, elle avait regardé la route qui semblait n'avoir jamais de fin. Devant eux.

Franck & Angéline

14 juillet 2005

Petite princesse de sable.....

Après Tessalit on arrive au Mali. On passe à travers des montagnes de roches noires. C’est du désert de pierre. Dans les pierres la sérénité a du mal à trouver son chemin. Le sable c’est du temps, c’est de l’eau, c’est vivant. Les pierres exigent plus. Les pierres savent des choses, souvent elles vous accusent ou se moquent de vous, certaines vous défient. C’est pour cela qu’on les casse ou qu’on les escalade. Ou qu’elles vous cassent. Les pierres c’est une pensée toute faite ou presque, le sable c’est le rêve. Après Tessalit, bien après, on retrouve du sable. Ce n’est pas le même. La couleur. Ou peut-être le parfum, parce que le désert a aussi des parfums, mais ce sont des parfums impossibles, on ne peut pas les raconter. C’est plat, infiniment plat, et puis quelques végétations. D’où vient cette vie, et, est-ce de la vie ? Ou l’idée qu’on s’en fait. L’écorce. L’os. Sur le sable des os, des squelettes d’animaux. La vie quoi. Des épineux qui ressemble à des os, des squelettes qui font la pantomime. Des signes qui sont incompréhensible pour des humains. Même les dieux ont renoncé à comprendre. Bien après, cela fait des petites touffes. Rares et pourtant innombrables. Parce qu’on est dans le désert. Tout est sans fin.

Le soir tombe. Le camion roule à une allure régulière à travers cette végétation rare et squelettique. Le camion c’est un vaisseau. La preuve, la nuit il se sert des étoiles pour rouler. Il y a le capitaine, s’est le propriétaire du camion. Il est dans la cabine avec le chauffeur et le cuisinier. Et au-dessus de la cargaison, derrière, il y a le graisseur et les passagers. Nous étions trois à ce moment du désert. Nous deux et un marabout. Le marabout est un vrai personnage. Nous deviendrons amis, plus tard (ami n’est pas le mot, un ami c’est autre chose, une amie aussi c’est autre chose). Il nous invitera dans sa maison de terre battue à Gao. Il nous parlera la nuit sous les étoiles. Il nous racontera la bible et le coran. Et toujours les étoiles. Et le thé. Sa voix était grave, profonde, il levait toujours ses yeux au ciel avec un mouvement de la main, comme pour nous montrer que tout y était inscrit. A ce moment là je ne savais pas qu’il avait raison. Là, nous étions sur le camion. Il était assis sur un sac de dattes, son chèche légèrement défait qui flottait au vent. Le soir tombait. Et puis le camion quitta la piste et direction du soleil couchant. Quand on est arrivé au campement il faisait presque nuit.
C’était un village touaregs. Quelques tentes, trois dromadaires faméliques. Il y avait un petit feu qui donnait un peu de lumière et des ombres autours. Des ombres immobiles. Le capitaine se dirigea vers les ombres et quand il revint tout le monde s’agita. Nous dormirions ici. On s’est approché des ombres. Des femmes. Que des femmes. Une dizaine. Les hommes étaient partis avec les troupeaux chercher des pâturages. Là autour du feu il n’y avait que des femmes touaregs. Les anciens étaient sans doute sous les tentes, on ne les voyait pas. J’ai rarement vu beauté plus évidente que les femmes touaregs. Si vous vouliez savoir ce qu’est la dignité, la majesté, l’élégance regardez le visage et les yeux des touaregs. Nous faisions un large cercle autour de ce petit feu, qu’une femme entretenait avec précision. Et puis on a entendu des cris déchirants. Le marabout était penché sur une chèvre. Sacrifice. Dans des règles. Le couteau sacré du marabout fut rapide. La bête dépecée sur-le-champ. Ouverte. Vidée. Là, à cet endroit de la terre on ne peut pas faire de sensiblerie. Les pierres vous l’on dit. Parce que les pierres savent beaucoup de choses. Elles nous ont dit : " …et tu t’assoiras, et tu te tairas. ". Le marabout se rapprocha du feu. Il tenait dans la main le foie sanglant de l’animal. Avec son couteau il coupa quelques morceaux, qu'il piqua dans de fines branches d’épineux. Et il nous tendit un de ces bâtonnets sanguinolents.
Le foie cuit m’est assez insupportable. Le foie cru, n’en parlons pas. Nous avons mangé ce morceau de chair rouge et tiède. C’est le cuisinier du camion qui s’occupa de préparer la nourriture du soir. Pour tout le monde.
A coté de moi était assise un jeune touaregs. Dans la nuit, le blanc de ses yeux était éclatant de mystères. Dans la danse des flammes son visage était d’une pureté magique. Je n’ai jamais su son âge. Treize, quatorze ans. Elle me parlait. Je ne comprenais pas. Elle savait quelques mots de français. Nous avons mangé cote à cote dans la gamelle commune. Les femmes et l’équipage du camion avaient des discussions animé. Pour eux, cet arrêt, était une halte habituelle. Le marabout entouré de deux femmes semblait aux anges.

La jeune touareg restait assise à coté de moi. Elle a pris ma main. Et elle m’a parlé. Elle a touché le petit anneau doré que j’avais au doigt. Je ne comprenais toujours pas. Elle faisait des efforts, elle était d’une beauté pure et éclatante dans son voile sombre, et dans cette nuit du bout du monde je ne voyais que la lumière qu’elle transmettait. " Donne…donne ça…… et mariage toute la nuit…ici…. Mariage…toi…moi…mariage. Donne ça à moi… ".
J’ai donc compris. Drôle de halte cet arrêt touaregs.
Je regardais celle qui voulait se marier toute la nuit avec moi. Je la regardais avec cette infinie tristesse qui vous prend quand vous entendez une étoile rendre l’âme. Elle était belle. Et brusquement j’étais tellement triste. Brusquement il y a quelque chose du monde qui vous rattrape là. Dans cet endroit. Vous avez beau vous dire que cela se passe depuis la nuit des temps, vous ne vous y faite pas. Elle a treize ans Franck ! Tu es belle princesse de nul part, tu es peut-être la plus belle que je n’ai jamais vu et que je ne verrais jamais. Tu es belle, mais tu comprends….. Non, tu ne comprends pas ? Je ne sais pas te dire princesse…. Pas comme ça, pas ici, pas pour ça… et puis tu comprends, tu as….non, l’âge, pourtant si, l’âge…. Je ne sais même pas ton nom petite princesse du désert. Je disais, non. Alors elle a pris ma main et nous avons regardé le feu. Longtemps. Très longtemps. Et toi tu tenais ma main. Pour que je ne me perde pas dans la nuit. Pourtant j’étais perdu princesse. A un moment ,elle est partie s’allonger sur une sorte de natte, elle s’est enroulée dans une couverture. Un dernier regard vers moi. Puis ses yeux diamants se sont fermés.

J’ai eu du mal à dormir. Les hommes partent, sur une terre insensée, chercher une herbe improbable, de puis des siècles ils font cela. Les femmes attendent. Et d’autres hommes arrivent, avec quelques billets, ou des anneaux dorés. Et les femmes se marient toute la nuit. Drôle de monde Franck. Pourtant je la trouvais belle. Tout le monde aimerait serrer dans ses bras une princesse du désert. Allongé dans mon sac je voyais les étoiles. Elles n’avaient pas la même couleur. Et le désert n’avait pas le même parfum.

Au matin, nous repartions. Les préparatifs furent rapides. Le marabout est sorti d’une des tentes. Le capitaine également. Ils firent leurs ablutions de sable et de pierres, et leurs prières. Nous bûmes le thé brûlant. Un de ces thés qui vous vient du fond des âges. Parce que la théière vient, elle aussi, du fond des âges. Une théière qui a fait autant de thé qu’il y a d’astres dans le ciel. Et chaque étoile a rajouté son goût. Thé d’amertume et de réglisse, et de miel. Thé de la parole donnée et du silence échangé. Ce premier thé du matin m’a toujours émerveillé. On rajoute un peut d’eau, et de nouvelles saveurs apparaissent. La couleur est plus claire, et la tendresse plus évidente. Encore un peu d’eau et c’est un thé de sucre d’or. Alors nous bûmes le thé. Et bientôt il fallut partir. La petite princesse de la nuit s’affairait autour d’une tente. De temps à autre nos regards se croisaient. Je suis allé vers elle. Je lui ai souri. Elle aussi a souri. Alors j’ai enlevé l’anaux doré de mon doigt et je lui ai tendu. Elle a hésité. Elle s’est approchée. Je l’ai encouragé à le prendre. Elle a tendu sa main. J’ai glissé l’anaux à un de ses doigts. S’était un grand silence, dans le désert. Plus rien ne respirait à cet instant dans le désert. Voile petite princesse. On est marié, maintenant. Tu es ma première épouse petite princesse.

Nous sommes montés sur le camion. Elle était à quelques mètres. Nous nous regardions. Le camion commença à avancer. Ma petite princesse touareg le suivait, pieds nus, en protégeant l’anneau de son autre main. Elle levait la tête vers moi. Il y avait dans son expression une joie indescriptible, parce qu’on y voyait aussi de la douleur.

Petite princesse tu es celle qui la première me demanda en mariage, et nous nous sommes marié au petit matin d’un désert. Tu portais mon anneau. Et de ce matin là, personne ne pourra nous faire divorcer. Tu as été ma première épouse, et tu seras la dernière. C’est les étoiles qui le disent. Et le désert. Et les pierres. Je ne sais ce que tu as pu devenir, petite princesse, peut-être as-tu perdu l’anneau, peut-être l’as-tu vendu, mais peut-être que tu l’as encore, et qu’il t’arrive de raconter notre histoire si simple à tes enfants. L’histoire de ton premier mari.

Le camion s’éloignait, et j’apercevais encore ta silhouette qui le suivait. Longtemps j’ai vu ton bras se lever dans le ciel.

Où es-tu ma petite princesse aux pieds nus ? J’ai encore ton visage devant moi quand je t’ais tendu l’anneau, et je ne peux toujours pas décrire ce mélange de joie de fierté et de tristesse. Et ta course derrière le camion, et cette main qui s’agite et ta voix éraillée dans ce matin du désert. On ne s’est pas touchés petite princesse sinon du bout des doigts, du bout des yeux et pourtant devant le ciel nous nous appartenons… je ne sais pas ton nom, qu’importe, tu les a tous. L’amour c’est ça petite princesse, c’est ton regard de joie effondrée, sur une terre plate et sous un ciel lisse et ce pincement au cœur quand je repense à toi.

Franck

13 juillet 2005

Deux Anges passent.....

On départ on marche. C’est une promenade. Après le chemin n’a plus de contour. On n’est pas Alice, mais on traverse quelque chose. On ne sait pas si c’est un miroir. Mais il y est question de lumière. On marche et ce n’est plus une promenade. C’est une tempête.
Alors sur le chemin on croise une ombre. Ce n’est plus la réalité, ce n’est pas le rêve non plus. Brusquement on sait que tout peut arriver : le pire, le meilleur…le définitif.

Maintenant vous être deux ombres, dans la tempête d’un chemin perdu. Au départ vous êtes dans la distance la plus grande. Deux enfants. Deux fantômes. Deux ombres. Et c’est un chemin inconcevable.
A droite la montagne, à gauche l’apique. Autour la nuit. Et dans le cœur le feu, et dans les yeux les mondes qui s’effondrent.
Ils sont les deux seuls. Les premiers. Ou peut-être les derniers. C’est la même chose, puisque c’est sans fin. Ils marchent. De toutes les façons ils ne peuvent pas faire demi-tour. Ils sont dans leurs avancées.
A droite la montagne, à gauche l’apique. Ils sont deux ombres perdues. Deux enfants. Ils ont mille ans. Mais ce sont deux enfants. Plus avancent, plus c’est la nuit. C’est elle qui marche devant. Parfois il aperçoit la blancheur de son épaule dénudée. Pour ne pas se perdre, il lance des mots loin devant, certains retombent en corolle de lumière douce. Pour ne pas le perdre, elle lui tend parfois quelques silences à travers la nuit. Ils n’ont pas d’autre solution que d’avancer, a droite la montagne, à gauche l’apique.
Maintenant ils sont dans leur incendie, dans leur holocauste. Mais ils ne le savent pas. Ils avancent seulement. Ils n’ont ni froid, ni chaud. Ils ne sont pas seuls puisqu’ils sont ensemble, pourtant ils se sentent seuls dans cette marche, puisqu’il faut enjamber les os des morts. C’est normal, ils sont dans la traversée des vies. Les cimes sont impossibles à voir, c’est une montagne qui se perd dans la nuit. A droite la paroi, à gauche le précipice.
Elle, elle murmure sans cesse. On dirait des chants, des berceuses, des incantations. Sa voix est douce. Lui, il n’entend pas tout, mais il trouve que sa voix est belle, comme son corps d’ombre blanche. Ils n’ont que leurs mots, que leurs prières, parce qu’ils sont dans la traversée de la langue.

Un jour, au bout de plusieurs siècles, ils sont au bout. Sur le dessus de la montagne. A la fin de la terre. Un jour, à la fin de la terre ils peuvent enfin s’asseoir, et se voir, et se toucher. Un jour, et c’est le dernier jour. Ils sont assis dans la nuit. Au plus haut de la nuit.
Et elle, elle pose un silence sur ses lèvres à lui. Et lui, il pose un mot clair dans le sang de son cœur à elle. Ils sont deux enfants. Ils ont mille ans. Ils sont assis et se taisent, et se serrent. Leur peau est chaude. Et leur chair tremble un peu. Ils ont peur. C’est normal. Puisque c’est la fin.
Au-dessus d’eux, dans une ouverture du ciel il y a comme un vitrail de lumière. C’est là qu’ils vont. Ils le savent. Ils savent le saut dans le vide. Leurs mots, leurs silences ne suffisent plus. Alors, sur la dernière pierre de cette impossible montagne, il s’allongent. Et se serrent. Et leurs ventres se touchent, et c’est un baiser infini. Maintenant ils sont dans la traversée de l’amour. On ne peut plus les voir. Parce qu’ils s’absentent de la nuit et de leur corps. Lui, il entre sa chair, dans la sienne à elle. Ils se regardent. Elle, elle accueille sa chair à lui, dans la sienne. Lui, il est elle, et elle, elle est lui. Ils ne sont plus qu’un seul corps, qu’un seul souffle, qu’un seul sang. On ne peut plus les voir.

Sauf, peut-être ce bruit d’aile et ces ombres et cette immense lumière étrange quand le ciel c’est ouvert.

Franck

12 juillet 2005

Le sang en partage.....

Un matin vous ouvrez l’écran et vous êtes sous une pluie d’étoiles. Une grande lumière. Je voudrais que chacun puisse recevoir une fois dans sa vie cette pluie de mots sur leur visage et sur leur cœur, comme si le ciel se déchirait pour nous montrer l’au-delà, quelque chose d’encore plus grand que le ciel. J’appelle cela l’offrande pure. Vous la reconnaissez parce qu’elle arrive avec la foudre et qu’elle vous oblige à baisser la tête et qu’elle s’entend dans le recueillement. Et vous êtes sans crainte parce que vous les avez traversées toutes, et vous ne frémissez pas, même si cette pluie vous brûle la chair, et vous ne parlez plus puisque les mots se sont effacés de la langue.
Ton offrande pure, Angeline, est le plus beau présents qu’il m’a été donné de recevoir. Alors je relis et ne me lasse pas de regarder une à une les fleurs de ce bouquet. Il faut comprendre… les couleurs, les parfums et ses éclats d’une luminescence céleste. L’impression que ces couleurs, ces parfums, ses éclats me passent directement dans le sang. Comme si cela passait directement du sang au sang. J’aime l’idée d’avoir de ton sang dans mon sang. Parce que je sais de quoi il est fait ton sang.

Un jour les dieux lassés des hommes ont pris le rayon le plus étincelant du soleil et l’eau de la source lunaire la plus pure et ils les ont mélangés avec un ouragan. Ils y ont rajouté la lave des volcans et les cœurs palpitants de deux amants. Et ils ont compris que ce breuvage était le plus insensé qu’il soit. Trop fort, trop vrai, trop pur. Il n’y avait personne sur terre pour recevoir cette eau de vie. Depuis la nuit des temps ils cherchent, ils espèrent, car même les dieux espèrent. Et un jour ils t’ont trouvé. C’est ce sans qui coule en toi. Et les dieux t’on dit : " Tu te serviras de ton sang pour inventer des mots, car après ta parole les langues périront. " Ils t’on dit : " Avec ton sang tu écriras l’histoire du monde et des hommes et si ton sang est trop épais tu le mêleras à tes larmes. " Ils t’ont dit : " Nous avons tout essayé, même le déluge et rien n’y a fait, toi tu n’auras que cette parole écrite avec ton sang, et tous ceux qui pourront la lire sans cligner des yeux ou de l’âme seront sauvés. " Ils ont dis : " Tu écriras nue, et on devra te lire nu. " Donc tu vois, je connais l’histoire, je sais bien de quoi il est fait ton sang.

Et toi seule sait qu’il faut déchirer les mots pour en voir la beauté et qu’il faut les trouer pour laisser passer la lumière et qu’il faut passer derrière, à l’envers de la langue pour trouver les silences. Tu sais qu’il faut affronter le chaos cent fois et se relever cent une, pour la moindre couleur prise sur l’aile d’un papillon. Tu sais tout cela, et mille autres choses.

Il y a des amours qui n’ont pas besoin de la chair puisqu’ils ont le sang en partage..

A mon amie Angeline que j’aime et qui a les clés d’ici, non par privilège mais par évidence. Et l’évidence c’est quand on colle au ciel instantanément. Et dans évidence il y a danse, alors je danse Angeline, je danse……

Merci d’être là….. merci d’être toujours là…. Merci, merci….Aujourd’hui je danse Angeline

Franck

12 juillet 2005

Jackie's Strenght

toriamos

ON PEUT TOMBER amoureux d'amitié sur le net. Cela m'est arrivé cette année. Je crois qu'il s'agit de cette année. On ne se connaît pas. Je n'ai pas voulu aller plus loin (pour l'instant) que le net. Pourquoi ? Parce que j'ai aimé quelqu'un de son âge juste avant. Quelqu'un de sa génération. Je ne suis pas de sa génération et ne le serais jamais. Dans mon corps. Dans mon coeur c'est autre chose, il n'y a pas de génération au niveau des coeurs, que celui qui dit le contraire vienne me le dire en face et sans rire. Ces derniers temps, voire même depuis le début, je suis moins investie que lui dans cette amitié. Cela ne veut pas dire que je ressente moins d'attachement pour lui que lui pour moi. Je ne sais pas quel attachement il a avec les autres qui viennent ici lui dire qu'ils sont bouleversés, désolés, attristés. Je ne veux pas lui dire ça, ce n'est pas ma place, j'ai une place, enfin je crois, ici, il m'a donné son code, son numéro, l'invitation ne marchait pas. Il est élégant. Vous l'avez vu en photo ? Il n'aime pas ce qu'il écrit. En ce moment, il trouve que ça tourne en rond et ce qu'il écrit est loin de ce qu'il vit, loin et extrêmement proche, il comprend ma douleur maintenant, la douleur non pas d'écrire mais de dire face à des gens qui font les trois singes presque à chaque instant de leur vie. Les moments de doute sont nombreux lorsqu'on essaie d'être authentique. Je devrais taper moins vite sur mon clavier, je ferais moins de fautes de frappe, moins d'oublis de petits mots. Il est élégant, vous l'avez vu en photo, moi je l'ai vu. Mon mari avait son âge à peu près, mon mari était un intellectuel, enfin au début, ensuite il est devenu alcoolique, parce que j'ai découvert qu'en fait, il me le cachait, tellement bien, tellement sournoisement que j'ai eu l'impression d'être la femme la plus idiote de la planète. La planète des Morts, c'est chez moi, c'est les démons bleus. Les démons sont souvent de toutes les couleurs : le noir ne représente pas forcément la mort ou la dépression. L'amie indienne de mon frère, sa correspondante avec qui il a eu une petite aventure pendant quelques temps, m'avait dit : dans ma famille, mon père disait que le noir était la pudeur et l'innocence. Je l'ai vu en photo, il a donné ses photos. Je crois qu'il avait besoin d'une amitié, nous en avons tous besoin. Mais là je parle de lui. Il avait besoin d'amour. Comme nous tous je pense. Surtout moi, avant vous. Non je plaisante. Bref, il est en train de voir l'absurdité de l'écriture dans le monde, et du coup son importance. Franck tu devrais ressentir face au réel à quel point c'est une force, une résistance, un pouvoir, avec lequel on n'est pas obligé de s'enivrer d'égo. On n'est pas obligé. De rien. Simone m'a demandée : c'est de la fiction ? Comme si j'étais capable de faire de la littérature avec de la fiction, moi. Comme si j'avais la prétention ou la bêtise de faire de la littérature avec de la fiction. La fiction : un bon polar, une histoire d'amour, un roman à l'eau de rose, les tribulations de personnages auxquels on ne croit pas une seconde. Qui n'enivrent plus. C'est comme de faire l'inverse, tout raconter bêtement, en prenant le temps de lecture aux gens avec ses soucis. Il doit bien exister une voie encore non explorée, je pense. Il ne faut pas avoir peur de chercher. Je cherche. La merde dirait certains, d'ailleurs souvent je la trouve. Souvent ils viennent me voir en privé, comme je mets contactez l'auteur, mettre des messages dans les commentaires ils n'osent pas : mes textes il paraît ne mérite pas de commentaires, dans le bon ou dans le mauvais sens du terme. Franck mes messages n'étaient pas petits, ni même laconiques. Bon d'accord, on était en train de se regarder, de se regarder en disant à l'autre sans ouvrir la bouche : bon tu viens ? Tu ne viens plus ? Tu ne m'entends plus ? Tu ne m'aimes plus ? Tu m'aimes ? Tu m'aimes vraiment ? Tu sais qu'écrire c'est au nom de l'amour sinon va au Diable ? Tu ne le savais pas ? Et bien...Mais écrire l'amour c'est périlleux m'a dit un trou du cul qui se croyait plus malin que les fesses de Jupiter (et l'aile de mon oiseau bleu). Si le soleil refuse de briller en toi en ce moment Franck, et c'est le plus important de mon érotique chaos, va le voir pour moi, va lui dire qu'il y a un prix pour avoir le droit de t'illuminer. La peau, les yeux, les cheveux, les cheveux deviennent plus clairs avec l'été. Je déteste l'été. C'est comme un hiver mais de feu, je déteste l'été parce que je panique en été. C'est un souvenir de la maison des morts de l'enfance. Très très grave. On ne se remet jamais de son enfance, c'est une maladie chronique, c'est une dégueulasserie faite par les dieux. S'ils m'entendent. Tu as vu mon trouble, tu as vu mon malaise et tu n'as pas su quoi dire. Je vais te dire : moi j'ai vu le tiens, au même moment, j'ai vu le tiens et je n'ai pas su quoi dire non plus. Donc si nous n'avons pas trouvé les mots, ça veut dire que les mots ne nous ont pas trouvé. Les mots ne trouvent jamais personne, sauf les Grands Ducs de l'Académie Royale qui écrivent des phrases sans fautes de frappe et avec un langage tellement ahurissant de noblesse qu'Angéline et les Récits de la Maison des Morts peuvent aller se rhabiller au niveau du style. Je t'aime Franck. Tiens, c'est spontané, c'est mon coeur qui vient de parler, je ne sais pas pourquoi je te dis ça comme ça, je te le dis parce que c'est vrai, je n'ai pas pour habitude de raconter des choses fausses. Comme ça au débotté. Si tu m'entends. Tu sais, laisse les gens regarder Dolmen : le samedi soir, ils doivent pas regarder Lost qui est beaucoup mieux, parce que ça nous vient des Amériques. Celui qui se sent à l'aise dans sa littérature doit être proche du bouffon je pense. Pourquoi ? Encore une avec ses certitudes qui la rendent bête d'être intelligente, je crois en fait que ceux qui se sentent à l'aise dans leurs mots ont un problème quelque part, certainement au niveau de la vision, de la vista disait, paix à son âme, Jean-Pierre Raffarin. On dirait que tu attends des autres qu'ils entendent ton écriture, justement les gens qui n'ont pas envie de faire d'efforts, qui sont à leurs places, bien chaudes, qui ne veulent pas les quitter. Tout en rêvant de le faire secrètement. Ecoute, laisse-les regarder ce qu'ils veulent. C'est toi le commandant de ton radeau. Ecoute-moi : ne souffre pas à cause de ça. Laisse couler pour le reste aussi. Toi et moi nous avons la chance d'avoir une issue de secours remplie d'humanité et de noblesse (enfin tu vois ce que je veux dire, quand j'utilise des mots comme ça il faut les multiplier en fait par...). Ils ont le pouvoir du plancher des vaches, à juste valeur ils savent utiliser les appareils de la Maison des Morts, nous ne savons pas, alors nous inventons notre appareil, l'écriture. L'écriture. Même Dieu a essayé, même Allah, même la voisine d'en face, Madame Mortier, elle veut ouvrir un blog pour parler tricot, on croit rêver. Ils n'ont que le tricot pour les faire jouir on dirait. Non je plaisante. C'est pas ici, Franck que tu vas trouver du réconfort, peut-être auprès de mon sein, tu devrais parler aux animaux, sans honte, tu devrais regarder le ciel pendant des heures, sans peur, tu devrais marcher pieds nus dans l'herbe, comme j'ai fait, tu devrais trouver une jolie petite minette de 23 ans et peut-être, éventuellement, l'aimer après l'amour, baiser n'a jamais fait de mal à personne, sauf peut-être à nos crises de foi. Je suis souvent très forte pour relever le moral des gens que j'aime je ne sais pas si ça marche encore. Encore maintenant. Moi-même, pour dire toute la vérité, je suis incapable de me réconforter comme ça. Jean : "tu sais réconforter les gens, parce que tu ressens ce que tu dis". Dans ce sous-sol qui vibre Franck est-ce que tu m'entends ? Ils imaginent le monde qu'à leur image, alors impose ta chance, va vers ton risque, montre que ta parole existe, même par le silence en dernier recours. Utilise du savon pour t'en laver les mains aussi. Comme je fais lorsque je remonte de ma visite quotidienne, tu sais que j'ai beaucoup de Goulag dans mes sous-sols, et aussi des Chambres à Gaz, et aussi des morceaux de jardin avec des arbres fruitiers, oh mon Dieu mon homme est un sage de la connaissance. Je t'aime Franck, donc tes doutes, vu de l'extérieur, vu de ton écriture, ne sont pas justifiés. Car tu vois ton écriture différemment des autres. Avoir du recul sur ce qu'on écrit ce n'est pas donné à tout le monde. Ni à chaque ligne, ni à chaque moment, tu n'es pas parfait : les regardeurs de Dolmen non plus. L'amour lui doit être parfait. On en veut n'est-ce pas Franck, de l'amour parfait ? Si je n'avais pas été faite avec des défauts, je crois bien que j'aurais pu te donner un amour parfait et qui dure, qui dure comme le lapin duracel, qui ne s'arrête jamais pendant que les autres stoppent net toutes les cinq minutes. Le lapin Duracel , Franck, faisons de la pub pour le Lapin Duracel. Je t'aime Franck. Tu vois, mon malaise, je n'ai pas su le voir correctement, le tiens non plus, donc je n'ai rien dit, je ne savais pas quoi dire. Toi non plus d'ailleurs. J'avais mal au crâne ce matin en me réveillant. Tu crois que mon psy m'en voudrait s'il savait que j'enregistre sur mon baladeur mp3 nos échanges ?

Si écrire était faire l'amour et si nous avions le droit de faire l'amour à nos amis sans que cela prête à confusion, il faudrait surtout que tu ne prennes pas ce texte comme on pourrait...le prendre, car en t'écrivant, à toi qui est mon ami bien plus que ça je crois que je t'ai fait l'amour comme je ne l'ai jamais fait à un ami en lui écrivant avant de te connaître.

Donc à toi mon ami,

Chastement,

Avec l'expression de ma Considération Amoureusement distinguée

ANGELINE

(Jackie's Strength by Tori Amos).

11 juillet 2005

Le goût de la vanille.....

Arrivés à Abidjan les choses devinrent plus compliquées. Nous n’avions pratiquement plus d’argent. Mais un hasard heureux nous a mis sur le chemin d’une société de courtage vendant des encyclopédies. Notre petite aventure a plu à ses gens et nos voilà embauchés, pour vendre des encyclopédies. Il faut dire que la société en question ne prenait aucun risque puisqu’il n’y avait pas de rémunération fixe, nous étions payés uniquement à la commission. Dix pour cent au premier versement du client, dix pour cent au dernier versement du client. Le lendemain de notre embauche l’ami avec qui j’avais entrepris cette traversée de l’Afrique, s’est réveillé couleur marron foncé : hépatite virale. Le jour même il fut rapatrié sanitaire. Me voilà seul. Mais avec un travail. Un commencement de travail. J’ai fait mes premières armes dans les administrations d’Abidjan. Dur. Ma nature plutôt réservée s’accommodait mal de ce travail de bateleur. Toujours a la limite du mensonge. Et puis vendre des encyclopédies à des personnes qui manifestement avaient des besoins plus urgents me laissait un goût amer. Je n’avais pas le choix. On a toujours le choix mais là, je me suis senti en situation de survie. Après une huitaine de jours d’entraînement, je fus prêt. Prêt à partir en brousse, c’est comme cela qu’on appelait les villes de l’intérieur du pays. C’est là que j’ai fait la connaissance de Christophe et de Georgette, ils étaient camerounais et cousins. Le travail consistait à écumer systématiquement une localité et sa périphérie et de progresser ainsi de localité en localité. Nous ne devions vendre uniquement au africains possédant un compte en banque (pour les traites), donc nous cantonnions exclusivement aux fonctionnaires : instituteurs, professeurs, policiers, gendarmes et autres représentant de ministères. Les employés de banques aussi pouvaient faire l’affaire. Partir en brousse s’était partir pour trois semaines, c’est pourquoi on partait à deux. J’adorais partir avec Georgette. Elle était gaie, bavarde, rigolote et belle comme un mirage. Son sourire était une merveille et son rire une cascade d’eau claire. Georgette était une charmeuse, elle se savait belle, et jouait souvent de ses avantages physiques pour conclure une vente. Elle me disait " Franck, celui là je le sens bien… " je comprenais ce que cela voulait dire, alors je la laissais seule avec sa proie. Quand elle vendait Georgette mentait, j’en avais honte souvent. Elle roulait des yeux. Elle s’asseyait sur le bureau des instituteurs. Faisait rire toute la classe. Oui, parce qu’on vendait pendant les heures de cours, ça marchait mieux. Georgette s’approchait, Georgette minaudait, elle faisait ses yeux de biches, jouait la timide, ça n’allait jamais plus loin, cela suffisait amplement. Georgette vendait plus que moi. Durant ces trois semaines de brousse, nous logions dans les petits hôtels locaux. Pas de climatiseur, seulement des moustiquaires qu’il fallait soigneusement inspecter pour en boucher les trous. Georgette m’aimait bien, à l’époque j’avais dix neuf ans et elle avec ses vingt cinq ans jouait ma grande sœur. A chaque fois qu’elle réussissait une vente elle me la racontait dans les détails en riant et en tapant dans ses mains. Qu’elle était belle Georgette ! Je crois que j’en suis tombé amoureux tout de suite. Alors c’était une fête lorsque nous partions pour trois semaines en brousse. Pour l’hôtel nous avions droit à une petite avance sur commission. Petite. Pour manger, il fallait se débrouiller. La seule façon s’était de vendre des dictionnaires au comptant. Tout cela était très précaire, mais exaltant. Georgette faisait tout avec enthousiasme et bonne humeur, pour ma nature plutôt sombre, elle était d’un dynamisme incroyable. Et puis Georgette était belle. Quand c’était à elle de conduire, je passais des heures à le regarder. Mais Georgette n’était pas une amoureuse. Elle avait des petites aventures d’un soir sur quant elle était de repos a Abidjan. Elle était en permanence dans la séduction, mais se réservait pour les moments qu’elle choisissait. Mes yeux énamourés ne l’impressionnaient absolument pas. Georgette riait. Souvent après avoir dîner nous nous retrouvions soit dans la chambre de l’un soit dans la chambre de l’autre pour bavarder, pour rire encore. J’adorais la voir dans son pagne multicolore qu’elle portait avec beaucoup de négligence. Elle s’allongeait sous la moustiquaire et prenait des poses lascives et éclatait de rire en voyant ma figure. Lascive mais jamais indécente. Elle avait de la mesure et des limites Georgette. Elle jouait les divas, mais son air coquin, désamorçait toutes tentatives déplacées. Et puis ma timidité ne me poussait pas à l’audace. Et puis, à dix neuf ans je n’étais pas très dégourdi. D’ailleurs je ne le suis toujours pas. Sa peau noire foncé et son sourire ravageur me bouleversaient. Quand elle sortait de la douche j’aimais sentir son parfum vanillé. Et elle, elle adorait se moquer de moi. " Toi, le blanc….. " Elle riait. En brousse le samedi soir elle voulait sortir. Nous allions dans les endroits qu’elle choisissait, des petites boites de nuit locale. Une masure en planche, un comptoir en bois, quelques chaises une ou deux tables, et un tourne-disque, sûr que comme DJ cela ne valait pas Guetta. Elle dansait jusqu’à s’étourdir, elle aimait ça, danser. Elle bougeait son corps jusqu'à la trans. Il arrivait que les mouvements soit très suggestifs. Mais Georgette dansait, et tout aurait pu s’écrouler autour. Les hommes bien sûr ne voyait qu’elle, elle adorait avoir une cour autour d’elle, ne cour qui se frottait à elle. Quand elle était épuisée nous rentrions comme deux amoureux. Sa transpiration et la vanille m’envoûtait. Devant sa porte de chambre elle déposait un baiser sur ma joue, et elle disparaissait.

Nous avions passé une semaine difficile, peu de contrats et la saison des pluies faisait tomber des trombes d’eau toutes les après-midi dans des orages grandioses. Nous étions fatigués, énervés ; nous nous sommes accrochés. Ce fut bref mais violent. Georgette était susceptible, et colérique parfois. Arrivés à l’hôtel en milieu d’après-midi, un hôtel minable, chacun est rentré dans sa chambre en claquant la porte. Je me suis allongé sous ma moustiquaire et j’ai dormi. J’ai entendu l’orage épouvantable. Avec ce bruit de tonnerre qui roule sur la forêt et vous éclate à la figure. Je me morfondait. Je ne savais pas comment faire pour nous réconcilier. Je n’osais pas aller taper à la porte de sa chambre. Et la nuit est venue. La pluie a cessé. J’ai entendu gratter à ma porte. Elle a ouvert. Et je l’ai vue penaude dans son pagne comme une petite fille prise en faute. Nous n’avons rien dit. Elle est venue se glisser sous le voile de tulle. Elle a rampée vers moi. On ne parlait pas. Elle s’est collée à mon corps. C’est elle qui m’a embrassé. Un baiser de vanille. Chaud, brûlant. Un baiser épais, à pleine bouche, à pleines dents. Sa langue était bonne, forte, exigeante, ses lèvres étaient puissantes, tyranniques, insatiables. Ce baiser n’en finissait pas, et j’aurais voulu qu’il ne finisse jamais. Dans l’agitation son pagne s’était défait, et dans la lumière électrique j’ai pu voir ce corps noir magnifique. Nous avions chauds. Elle m’a déshabillé. Elle riait, aux éclats. Ces choses là étaient légères pour elle. Georgette ne prenait rien au sérieux. Surtout pas l’amour. Georgette ne faisait pas de poésie. Elle préférait la fièvre, le feu, la friction des corps, la succion des chairs. Alors le noir et le blanc se sont mélangés. Mes mains ont touché sa peau. Partout. Ses seins, son ventre, ses cuisses, son sexe, ses fesses, la cambrure de son dos, ses épaules larges et douces. Je sentais ses muscles, et son incroyable ardeur. Il faisait chaud et sa peau était bonne, et son corps était gorgé de saveurs. Ses seins, ses fesses rondes, fermes, joyeuses incendiaient mes doigts. Et j’ai pris ses cheveux crépus à pleines mains pour la sentir plus proche. Instants d’ivresse. Elle m’a attiré sur elle. Ses cuisses était largement ouvertes. Elle m’a guidé. Je me souviens encore de la chaleur de ses chairs.

Ô Georgette, toute l’Afrique à pour moi ton odeur, et les cris de plaisirs que j’entendais dans la demi conscience où j’étais. Irréel. Tout me semblait irréel. Tes mains sur mes reins, tes lèvres invincibles, l’appétit de ta bouche et de ton souffle et ce noir et blanc. Ton sexe ouvert disait le rouge du soleil qui se couche dans les herbes hautes et sauvages, le sang de l’antilope, disait la source où les animaux s’abreuvent, disait l’humidité chaude de ton pays. Dans ton extase généreuse, tu m’as fait buffle, Georgette, tu m’as fait lion, tu m’as fait roi. Toute l’Afrique en cadeau, tu m’as donné Georgette. Et plus encore. Ta sève avait la rage d’une lionne, ta chair la profondeur des forêts, et ta bouche tous les parfums de la brousse. Nos chairs sont restées longtemps liées. Et nous nous sommes endormis dans les bras l’un de l’autre. Ton souffle dans mon cou, nos cuisses entremêlées. Quand j’ai éteins la lumière j’ai bien vu que c’est moi qui faisait tache, dans le noir de la nuit. Ö Georgette, ta peau était noire mais à l’intérieur c’était un arc-en-ciel. Et ce goût de vanille Georgette ! Ce goût de vanille…
Au matin Georgette riait….parce que la vie était belle pour Georgette. Moi, j’étais amoureux et le noir m’habitait.

Franck

10 juillet 2005

Une année de sable....

Aujourd’hui c’est mon anniversaire. Et le temps pèse un peu plus lourd. Et le soc entre encore un peu plus profond dans la terre des de la mémoire. Labourage des chairs. Emiettement des heures. Un voile qui se tend sur l’horizon.
Drôle d’année.
Une année de sable qui s’échappe de mes mains poreuses et malhabiles.
Une année de sable dans mes veines. Dans mes déveines.
Une année de plus qui vient s’empiler sur le tas des autres. Tas dérisoire.
Drôle d’année, à cultiver les illusions comme un jardinier entêté, à fabriquer une langue de ronces et de broussailles. Une langue morte. Plus morte que moi, qui ne suis guère vivant.
Drôle d’année à n’étreindre que des ombres, à ne fabriquer que du vent et à ne récolter que du vent ou seulement du rien. A s’arracher les yeux sur des miroirs aux alouettes.
Une année virtuelle. Qui pourtant pèse lourd en désillusions ? Paradoxe des temps : moins ça existe, plus ça compte. Comme à qui perd, gagne ou l’inverse. Ou, à qui perd, perd deux fois plus.
Aujourd’hui je voudrais être autiste et amnésique. Me recroqueviller sur moi, me rouler en boule sous les couvertures et ne plus bouger, et d’attendre que tout passe. Je ne suis pas fait pour le monde, pour les autres, sinon ça se saurait, depuis le temps… Et je continue à m’acharner à croire en l’incroyable, à espérer en l’impossible. En fait ce sont les dieux qui sont autistes, ils se rient de nos gesticulations vaines, insignifiantes et ridicule.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire, et je n’ai plus de couleurs sur ma palette, mon pinceau est cassé. Même ma colère est vaine. Xercès battants les flots. " Au clair de la lune mon ami Pierrot, prête-moi ta plume pour écrire un mot, ma chandelle est morte, je n’ai plus de feu, ouvre-moi ta porte pour l’amour de dieu ". Vas te faire foutre Pierrot, toi et ta porte, vas’y avec dieu, ça vous promènera !
Depuis quelques mois je suis sur " la toile " ( à prononcer toâle) ou sur le Net comme on voudra, qui n’a rien de net. J’écris, je lis, j’écris… Au départ on écrit pour soi ou pour elle, c’est pareil, après on écrit pour soi et pour les autres, et là c’est foutu. A chaque mot on y laisse un morceau de chair, au bout du compte, il ne reste que les os. Et ça cliquette, les os, c’est tout se que ça fait : ça cliquette.
Comment imaginer qu’ici ce soit différent qu’ailleurs, que dans-la-vraie-vie ? Ce sont les mêmes gens. Certains avec des masques, en plus.
Naïf ? Oui, sûrement, et je n’en suis pas fier.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire et je ne veux pas qu’on me le souhaite, parce qu’on ne fête pas les défaites.
J’ai envie de fermer, ici. De ne plus avoir attendre ce qui ne pourra jamais arriver. Je croyais qu’écrire pouvait servir à souffler, sur les choses et le monde, quelques parfums de roses, quelques poussières d’étoiles… balivernes tout ça !
En fait il n’y a rien à attendre et c’est sans doute mieux ainsi.
On est tous empêtrés dans nos moi visqueux, dans nos ego malades, et on croit que quelques mots changeront ce qui a mis si longtemps à s’élaborer, à se mitonner.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire et je suis en colère, en colère contre moi, contre ma faiblesse, mon indigence, ma crédulité, ma bêtise et ce fond de vanité insane. Ce matin tout m’emmerde et en particulier ce blog et le net.
Parce que ce matin c’est mon anniversaire et que ça me met en colère.

Franck

9 juillet 2005

Sans appui et avec appui...

" Je suis vivant sans vivre en moi
et si puissant est mon désir
que je meurs de ne pas mourir "
(St J de la X)
Depuis des semaines je cherche des mots. Des mots dans tous les sens. Dans les yeux, les doigts, la bouche, j’en mâche tout au long du jour. C’est une activité de dément. De fou. Chercher des mots à l’infini, ou l’infini dans les mots et être dans l’attente que le mot nous révèle à nous même, ou nous révèle l’autre de nous même. L’autre dans l’ombre de nos jours. L’autre qui saigne dans le moindre de nos actes. Alors un jour on se met à chercher des mots qui diront cette voix perdue, on fait pleurer les mots, on les fait crier, hurler, pour dire ce qu’on ne dit jamais, on y met des couleurs pour les attirer, les orner, se dire qu’ils ne sont pas ce qu’ils sont, qu’ils ne disent pas ce qu’ils disent. On croit qu’ils on leur propre lumière. Alors on cherche. On fabrique des images, pour servire d’icône, de pentacle magique, de gri-gri ; exorciser nos peurs, nos vides, nos faiblesses, nos absences. On fabrique des images et l’on se croit sauvé du temps, du manque. Certains jours on croit tenir la beauté au bout de sa plume, l’image est belle les mots sont rares, ils disent l’impossible de dire autrement, parce qu’ils deviennent l’évidence de l’instant. Tout se mêle, les couleurs, la musique, et on les lit, ces mots, on les lit et relit à haute voix pour se convaincre un peu plus qu’ils détiennent une partie de ce quelque chose qu’on ignore, et qui nous ronge de l’intérieur. Et puis la plume tombe. Une fois de plus. On se dit que le blanc de la page c’est le blanc du cœur, que là sur le blanc de la page on est à la surface de l’âme, qu’on touche à l’essentiel et puis on déchire la page, avec ses morceaux d’âme accrochés à ces quelques lettres d’encre rouge.

Tout est dans la littérature et pourtant la vie est ailleurs. Il y a tout sauf, le primordial. Je donnerais tous mes poèmes, tous mes mots, pour un seul baiser d’elle. Toute la littérature n’est rien si ses lèvres ne frôlent pas mes lèvres et si son souffle ne m’anéantit pas. Et je ne suis rien si sa main ne touche pas mes yeux. Rien si ma chair ne rejoint pas sa chair, rien si je ne bois pas son sang, rien si sa voix ne prononce pas mon nom, rien… et mes empires ne sont rien sans son ciel de lumières et mes victoires grotesques sans sa miséricorde et mes bijoux honteux sans sa chaste vertu, et mes offrandes vaine sans ses aurores pâles. Oui, je ne suis rien et pas un mot ne me sauvera.

Pourtant sans amour, pas de littérature, puisque c’est le même mot ; et sans littérature qu’en serait-il de l’amour ? On sait tous que l’amour que l’on vit, que l’on fait ne se dit pas. Faire arriver les mots c’est faire retirer le corps et quand le corps y est les mots refluent. L’amour se dit dans le manque. Et l’écriture c’est l’impossible tentative d’abolir le vide qui me sépare d’elle. Impossible, c’est pourquoi l’on recommence sans cesse et qu’on réécrit à l’infini la même chose depuis l’aube des temps. Il faut regagner un silence comme on regagne la rive pour se sauver d’un naufrage. Il faut regagner un silence et laisser les mots vous quitter un à un, goutte à goutte. Les dieux ne s’y trompent pas ils entendent mieux les prières muettes, comme les mères à l’écoute du silence de leurs enfants.
J’ai cherché des mots, des mots dans tous les sens.
Je suis entré dans l’usure des mots, puisque je suis dans la marge de sa présence.

" Sans appui et avec appui
sans lumière en l’obscure vivant
tout entier me vais consumant "
(St J de la X)

Franck

8 juillet 2005

Six mois.....

Estelle m’a appelé hier pour me dire « Ca y est… c’est fait… il est parti hier au soir à neuf heures quarante… » Lui c’est Daniel. Le cancer a fini par lui bouffer le cerveau. Estelle je la connais depuis longtemps, c’est moi qui lui ai présenté Daniel. Estelle je l’aime bien avec ses allures de titi parisien. Estelle elle n’a jamais eu de chance avec ses mecs. Le premier la faisait travailler comme une esclave dans son magasin, mais Estelle s’en foutait, parce qu’elle l’aimait. Et puis, il commença à la tromper. Elle l’aimait toujours, mais souffrait, se sentait humilié dans son amour. Blessée. Alors elle a divorcé. Mais elle l’aimait encore. Le deuxième était un bidochon prétentieux, sans envergure, il aimait jouer à l’homme en humiliant Estelle. Mais elle est restée sept ans avec lui. « Vas me chercher une bière… », « t’es bien trop conne… », « tu vas pas sortir comme ça on dirait une pute… » Sept ans, lui aussi elle l’aimait et elle s’en voulait de l’aimer parce qu’il l’humiliait en public. Estelle, pour ne pas déplaire à ses mecs a pris l’habitude de s’habiller comme un garçon, et de ne pas se maquiller. Estelle c’est une optimiste, j’adore quand elle rit, elle rit souvent, malgré sa vie triste. Estelle se bat, pour ses deux garçons, pour bouffer, pour se loger, mais elle rit. Au bout de sept ans elle a eu le courage de partir. Souvent elle me téléphonait parce qu’elle souffrait de cette séparation. « C’est un con, un vrai con, mais je l’aime… » qu’elle disait. Alors on parlait des heures au téléphone. Estelle je l’ai connu dans mon travail, j’avais besoin d’une commerciale. Son coté direct, m’a plu. C’était une bosseuse. Bosseuse et intelligente. Elle comprenait par instinct ce qui se passait sur « le terrain ». Quand j’avais un rapport à rédiger pour un client je faisais venir Estelle et je lui disais : « Raconter moi…. » Elle savait ce que cela voulait dire. Pendant qu’elle parlait je prenais des notes et au bout d’une heure j’avais de quoi faire un dossier de trente pages, avec toutes les anecdotes adéquates. Cela fait presque vingt ans que je connais Estelle, et l’on s’est toujours vouvoyé. Bizarre. On est devenu ami. Pourtant il n’y a jamais rien eu d’ambiguë entre nous. L’un comme l’autre nous savions qu’il n’existerait jamais rien d’autre qu’une amitié entre nous. Le vouvoiement est resté, cela nous fait sourire parfois. Nos routes se sont souvent écartées mais le contact persiste. Nous nous racontons nos histoires, nos échecs, c’est sans doute la seule personne avec laquelle je me sens libre de tout dire. Sans fard. Estelle aime employer des mots crus. Et Estelle est bavarde, quant elle commence à raconter une histoire vous êtes sûr d’avoir droit à tous les détails et toutes les digressions. C’est exaspérant. Et elle adore m’exaspérer. « Au fait, Estelle, au fait !… » « Oui, mais je vous explique, c’est pour que vous compreniez… ». Estelle veut être précise. Dans sa vie c’est tout le temps la révolution, mais dans ses explications c’est précision et minutie. A paris nous habitions le même quartier quand elle a été seule souvent elle m’invitait à manger. Nous avions toute la soirée pour parler de tout, le travail, les amours, les enfants. Chez elle s’est tout petit mais c’est agréable, chaud, rassurant. Au mur elle a collé toutes sortes de petits objets, des boites surtout, boites de cigarettes, de bonbons, de savon, et puis des photos. Venise. Elle adore Venise pourtant elle sait qu’elle n’ira jamais. Estelle a fait un tas de petits jobs, elle aurait pu faire une carrière, mais ce qu’elle aime par-dessus tout c’est la rue, le contact direct avec les clients, parler, bavasser comme elle dit. Chez elle adorait me montrer son rayon de livres érotiques. C’est son côté provocant. Estelle est pudique dans sa vie, dans ses gestes, mais dans ses mots et dans ses pensées c’est autre chose. Alors, parfois elle me racontait ses histoires de « cul ». Oui, parce qu’après le benêt buveur de bière, elle à galérée, de mauvaises histoires en mauvaises histoires. Un jour, je lui ai présenté Daniel. Il était dans mon équipe de commerciaux. Je l’aimait bien Daniel. Un peu bourru, mais avec un large cœur. Daniel n’a jamais voulu passer cadre. Il voulait que sur sa feuille de paye il y ai le mot « ouvrier ». Alors il a gardé pendant quinze ans la même qualification, même si son travail avait évolué. Il avait l’honneur de sa classe Daniel. Il ne voulait pas la trahir. Sa classe. Daniel n’était pas utopiste, mais il croyait encore au « grand soir ». Il pensait que les pauvres un jour à force d’être humiliés se lèverait pour le grand partage. Daniel n’avait pas lu Marx, d’ailleurs il ne lisait pas, mais il avait un grand cœur. L’injustice le mettait en colère, et quand il se mettait en colère, Daniel, cela faisait du bruit. Daniel avait le sens de l’équité et de la dignité. Entre tous les deux le courant a passé tout de suite. Daniel et Estelle. Bizarre ? Non, au font il allait bien ensemble. Du jour au lendemain ils sont redevenus comme des enfants, ils se sont fait une cour maladroite et touchante. J’ai servi d’intermédiaire, de boites aux lettres, de confident à l’un et à l’autre. Daniel amoureux.. c’est comme si un barrage cédait. Il était dans sa nouvelle révolution, moins assidu à son travail, mais brillant dans lumière du jour. Estelle redevenait coquette… et puis les choses se sont concrétisées. Daniel a tout quitté, trente ans de mariage et d’ennui t de petit pavillon de banlieue, pour venir s’installer à Paris dans le petit appartement d’Estelle. Cela a duré six mois, six mois où je n’ai plus eu aucune nouvelles d’eux. Lui il partait tôt du boulot, il arrivait en retard, il avait la mine réjouie. Six mois. Et le cancer est arrivé. Il n’ont eu que six mois de répit, de jeunesse, d’amour fou à un âge où l’on pense à marier ses enfants. Eux ils allaient manger des glaces aux Champs Elysées, ils montaient à Montmartre, ils allaient à Honfleur, ils allaient au cinéma, au restaurant, le soir ils faisaient des promenades à pied dans les rues de Paris. Six mois. Et puis le diagnostique. Cancer. Un an de souffrances. Estelle a vécu cela dans une folie complète. Ne comprenant plus rien à sa vie. Elle l’a soigné, chaque jour un peu mieux, chaque jour un peu plus. Tout le monde sait comment ça fait un cancer, la chimio, les rayons et puis la douleur, l’incompréhension. La stupeur aussi. Très vite il a arrête de parler. Très vite sa colère est tombée sur Estelle. Estelle s’en foutait, elle savait qu’il l’aimait. Et que c’est la façon des mourant pour dire qu’ils aiment. Comment dire qu’on aime la vie, qu’on aime Estelle, quand on va mourir demain, dans trois jours, dans un mois. Il n’y a pas de mot. Il n’y a que la colère. Estelle me téléphonait régulièrement, parce qu’elle n’en pouvait plus, elle ne comprenait rien. Alors elle a appris tous les gestes, pour dire l’amour autrement qu’avec des rires. Elle a appris le silence, elle si bavarde, elle a appris à ne pas pleurer, à rester là, à côté de lui, dans la pénombre du petit appartement. Elle me disait, « je n’en peux plus… je ne sais plus quoi faire…. » « J’ai pas de bol avec mes mecs, les deux premiers c’étaient deux connards, et le troisième, qui est bien… il meure » Elle disait ça avec un ricanement de défit. Hier, elle m’a dit « C’est fini… voilà… c’est fini… il est mort dans mes bras. Son cœur s’est emballé, il a eu trois sursauts, et au troisième….. » Estelle est toujours précise quand elle explique. Elle ne pleurait pas au téléphone. Il fallait qu’elle s’occupe de tout. Elle m’a dit « Je vous rappelle… », parce qu’avec Estelle on se vouvoie toujours. Six mois. Seulement six mois de bonheur, d’insouciance, de tempêtes chaudes… Six mois. Franck
7 juillet 2005

Le saut de l'Ange......

Je voulais seulement te souhaiter un bon séjour dans cette grande ville, je sais l'épreuve que c'est pour toi, mais je sais aussi ton courage fait de vaillance et d’ardeur et puis ta résolution de ne rien céder au néant, alors je crois que ce voyage sera un bouquet de plus dans ton jardin d'amour. Chaque jour tu inventes de nouvelles fleurs, des fleurs inconnues et rares aux pétales de velours, aux couleurs déraisonnables, inaccessibles, inconcevables. Chaque jour, tu conçois de nouveau parfums que tu tresses avec les rayons de la lune, pour en faire les longs cheveux d’or des comètes que tu enfantes.
Bien sûr tu vas me manquer, mais cela n'a pas grande importance, parce que je vois autour de tes phrases l'amour s'élargir, autour de tes jours les saisons s’accroître, autour de ton cœur la clarté s’enrichir, nuance par nuance. Et c'est une mer immense et bleue, et le soleil se réjouit dans les vagues, et le soleil roule sur l'écume, et tes yeux sont envahis d'embruns qui leurs donnent ce brillant singulier...
Bien sûr tu vas me manquer, mais cela n’a pas grande importance, puisque tu es dans ta marche glorieuse, dans ton avancée nuptiale, dans ta traversée des siècles, dans ta résurrection des temps, et que chaque nuit tu franchis des champs de bataille étoilés, et que tu transformes toutes les guerres en orage divin, et chaque blessure en prière. Tu as le don de vie, parce que tu en connais le prix exorbitant, tu as bu dix fois tout ton sang, déchiré cent fois tes entrailles , et mille fois pleurée sans raison. Puisque les raisons tu les avais toutes, mais que tu les laissais aux autres comme les restes d’un festin répugnant. Oui, tu as le don de vie puisque tu es morte tant de fois et tant de fois ressuscitée. Ta terre est bonne parce que les mots plantés un à un ont su germer en épis généreux, puisque tes mots plantés ont du aller chercher la lumière au plus profond des ténèbres, oui, cent fois tu es remontée des boyaux sombres, cent fois tu as tendu les bras vers ces cortèges d’ombres, cent fois tu as caché ton visage dans tes mains pour masquer tes blessures, les morsures dans ta chair, les cassures dans tes yeux.
Je veux simplement te dire que m'a tendresse t'accompagne...
Prend soin de toi. Soit légère pour marcher sur les eaux, et explorer les lueurs de cette ville étrange, ou parcourir les arcanes décomposés de cette cité inexplicable indéchiffrable.
Je suis avec toi petite soeur
je t'envoie ma main pour que tu la serres si tu vois des fantômes se profiler, et ne t'occupe pas d’eux : je veille.
vole.... vole
je ne dormirais pas
Vole
et chante
et ris aux éclats
et danse
et reviens un jour me dire que tu est heureuse

Franck

6 juillet 2005

Le dernier soir.....

Et puis il y eut la dernière journée. Le dernier soir. La dernière nuit. Deux ans sans voile, sans ombre, juste à la fin cette petite distance. On n’enferme pas un oiseau. Il nous enchante parce qu’il nous choisit. Parce qu’il est là chaque matin libre de chanter ou de voler ailleurs. Isabelle était un oiseau. Elle en avait la légèreté, la délicatesse, la mobilité. A la fois craintive et imprudente. Durant deux ans, chaque matin elle chantait. Enfin, c’est une image, elle était longue à sortir du sommeil. Dés que j’étais debout, elle se glissait dans la chaleur de ma place, je devinais sous la couette, les formes alanguis de son corps. Alanguis et langoureuses. Le matin c’était son instant de volupté, les yeux à peine entrouverts, elle prenait le temps de se débarrasser de tous ses rêves nocturnes, ou de leurs trouver une fin heureuse. On n’enferme pas un oiseau. Il nous envoûte parce que chaque matin, il est comme au premier jour, dans la renaissance des heures, dans leur gloire, et dans leur achèvement.
J’ai toujours su que le dernier soir arriverait, nous étions dans des âges différents, elle descendait le fleuve et moi je le remontais, elle avait l’océan à connaître et moi, je devais m’en défaire. Dans un remous des flots nous sommes reconnus, je lui disais les mers, les marées et l’écume, elle me chantait les sources et la lumière des ruisseaux. Durant deux ans nos eaux se sont mélangées, ainsi que nos mots et nos rêveries. Durant deux ans rien n’a pesé, pas même le vent, deux ans de grâce éclatante, fulgurante, mais j’ai toujours su que la dernière nuit arriverait.
Trois jours avant elle est entrée à la maison l’air grave, j’étais plongé dans le silence d’un livre, dans le temps vacillant du livre.  " Il faut qu’on parle…. "
Je crois que j’ai su à cet instant. Les explications n’ont jamais beaucoup d’intérêts, elle viennent poser des mots de terre épaisse sur le parfum des roses. Expliquer c’est être sourd. "  Il faut que je prenne un peu de recul… " " Non, Isabelle ce n’est pas de recul qu’il te faut mais d’espace… " Le fleuve nous tirait dans des lieux différents. C’est l’heure des migrations. " Entends les cris des oies sauvages vers le Nord… ". J’avais du sable dans les yeux et le livre aux mots de pierres est tombé. Je n’ai pas marqué la page, puisque je savais que ce livre je ne le finirais jamais, en tombant le livre a arraché un bout du ciel et quelques étoiles se sont éteintes. Les étoiles qui s’éteignent ne font pas de bruit, pas même un sanglot, elles s’éteignent dans un soupir, seulement un soupir.

Et il y eut la dernière nuit. Nous l’avions voulu ainsi. Une dernière nuit. Dans l’éclat de la lampe je cru la découvrir pour la première fois. Nous savions que nos gestes seraient maladroits, nous savions que la fièvre serait longue à venir, qu’il lui faudrait traverser la glace de nos os et de nos chairs froides. Elle était droite devant moi, les yeux fermés. Je l’ai lentement déshabillée. Elle ne bougeait pas, était-elle encore là ? Sa peau m’a parue plus blanche que d’habitude, plus tremblante, quelque chose chancelait dans les climats de la nuit. Lentement elle fut nue. Droite et nue, les yeux fermés. Sa poitrine se soulevait avec ampleur comme si elle cherchait un air qui lui échappait, comme si elle essayait de rattraper les instants qui se défaisait. Nous ne parlions pas. Tout avait été dit. Il n’y avait que nos respirations, nos souffles, et le froissement des peaux, et l’infime grincement du ciel. J’ai caressé son corps nu et droit, toujours avec lenteur, toujours avec l’attention extrême des actes grave, des actes ultimes, puisqu’il y aurait une dernière caresse, puisqu’il y aurait un dernier baiser, puisqu’on était à la fin des temps.
Et puis nos mains se sont touchées, elles se sont reconnues, et confessées dans le croisement de nos doigts, et nos mains ont réchauffé nos peaux frissonnantes, et nos bouches se sont effleurées, et nos langues échangées. Sur notre dernier lit nous somme couchés, bordés de nos souvenirs, ivres d’amertume et de tentations fauves. Sur notre dernier lit nous nous sommes noyés.
Pour la dernière fois j’ai respiré la mousse sombre et soyeuse de son ventre, cette mousse généreuse qui protégeait l’ornière rouge et humide du mystère, j’ai baisé à l’infini sa bouture de nacre impatiente et passionnée qui décorait nos extases et colorait sa voix. J’ai défroissé ses chairs secrètes comme les ailes d’un papillon magique sortant d’une chrysalide de cristal. Nos corps se consumaient dans cette lute lente où les perdants étaient connus d’avance, nos corps se brisaient un peu plus à chaque frottement, ils grimaient des dernières déchirures, comme si les chairs saignaient plus que nos âmes. Nous avons sombré dans un abîme de chaleur barbare, pour dérober ce qui restait à prendre, jusqu’à la dernière goutte de ce miel âpre et acéré, qui brûlait l’intérieur de nos vies. Les caresses étaient presque rugueuses, même douces, elles étaient rugueuses, elles voulaient marquer les peaux de traces ineffaçables, indestructibles, éternelles. Oui, rendre éternels, les derniers instants, les derniers cris, les dernières plaintes. Nos corps se sont cognés l’un contre l’autre. Pour oublier. Qu’ils se perdaient. Et l’espace d’une seconde je me suis vu condamné, sans secours, à sonder l’entrée de son fleuve secret jusqu’à la mort ou à l’extinction des flux. Et l’espace d’une seconde j’ai vu ses yeux chargés de tous les cieux. Et quand elle m’a serré de ses bras, de ses cuisses, de son ventre, tout m’a abandonné, et je su que j’étais aussi seul qu’au premier jour.
Franck

5 juillet 2005

Le soleil se couche toujours deux fois......

Certains soirs nous nous faisions la lecture, à tour de rôle. On s’installait dans le salon, assis sur la moquette et chacun à son tour nous lisions un poème à l’autre ou un texte qu’on choisissait dans la bibliothèque. Nous nous racontions nos humeurs par poésie interposée. Nous nous disions notre amour ou un chagrin du jour. Même quand on s’aime fort, il arrive que quelques tristesses fugitives nous arrivent par l’arrière de la mémoire, un souvenir dépasse et voilà qu’on trébuche. Même les cœurs amoureux sentent parfois rouler sur un rire ou un soupir une larme de nostalgie. Les cœurs amoureux sont nus c’est pour cela qu’ils sont fragiles. Un soir, après le repas, Isabelle me dit qu’elle voudrait voir le soleil se coucher. C’était la fin du printemps, les journées étaient longues. Nous avons sauté dans la voiture, pour contourner la petite colline et nous fûmes en face du disque sanglant du soleil à l’horizon. Nous dominions la vallée de la Creuse. Nous nous sommes serrés l’un contre l’autre en fixant un soleil immense qui lentement disparaissait. Il faisait calme, il faisait bon dans l’air et dans nos âmes. A travers ma chemise je sentais la chaleur de son corps. Elle a posé sa tête sur mon épaule. Nous ne disions rien. Plus le soleil baissait, plus le ciel s’embrasait. Et puis j’ai compris que des larmes coulaient sur ses joues. Souvent s’était sa manière de parler, de dire que tout allait bien, qu’il ne fallait rien rajouter et rien enlever. Qu’elle était à un endroit serein de son cœur et que sa source de vie débordait légèrement histoire que ses larmes fertilisent un bout de terre pour que quelques fleurs sauvages s'y abreuvent. Bientôt le soleil fini par disparaître. Dans un immense fracas de rouge et d’ocre. Nous nous sommes regardés, j’ai baisé ses larmes. Je lui ai dit : " Viens…. Vite…. " Nous sommes remontés en voiture et à toute vitesse j’ai parcouru les quatre lacets qui nous séparaient du haut de la colline, j’ai freiné, nous sommes descendus. Et nous avons vu un morceau de soleil qui s’apprêtait à disparaître. Comme dans le Petit Prince. J’ai vu son visage, il n’y avait plus de larme, mais une expression que je ne lui connaissais pas, une expression claire et brillante d’enfant réjoui. Le soleil disparu pour la deuxième fois pendant que ses lèvres se posaient sur ma joue.
Nous sommes rentrés doucement, enveloppé par la magie de cette soirée au deux couchers de soleil.
Arrivés chez nous sans se concerter nous sommes allés nous assoire sur notre coin de moquette, là où nous nous faisons la lecture, en silence nous avons allumé quelques bougie et un peu d’encens, et lentement chacun a choisi ses livres, pour les dire à l’autre. Je me souviens, en fond sonore il y avait Vivaldi, des petites sonates pour piccolo. Elle a lu quelques lettres de Juliette Drouet adressées à Hugo et quelques poèmes de Marceline Desbordes-Valmore, je lui ai lu des lettres de Joé Bousquet adressées à Poissons d’or, peut-être du Musset ou du Baudelaire, mais certainement du Calaferte. Nous nous appliquions à lire, pour ne pas tituber dans les phrases. Trouver le souffle, l’intonation qui convient, trouver la résonance avec le ventre. Voilà, trouver la voix du ventre, dans les graves, une voix basse, sourde qu’il faut aller chercher loin, très loin. Une voix qui s’essouffle un peu, à peine, mais qui pourrait s’éteindre si l’amour qui la portait venait à faiblir. La lecture finissait presque en murmure. Nos voix se faufilaient entre les lueurs et les ombres tremblantes des bougies. Ce soir là, nous avons lu jusqu’à épuisement des mots. Elle s’était rapproché de moi. Nous nous touchions et toujours nos voix qui s’ajoutaient l’une à l’autre dans ces drôles de berceuses, elles s’accouplaient, elles s’incorporaient, s’accueillaient, comme si les mots prononcés devaient d’abord atteindre la peau. Et quand la parole s’épuisa ce sont nos mains qui poursuivirent la lecture. Nos bouches muettes cueillaient désormais le reste des mots qui subsistaient sur nos lèvres, sur nos corps brûlants. Oui, je me souviens d’avoir bu de longues phrases autour de ses seins, et d’avoir rassemblé quelques alexandrins au creux de sons ventre et sur ses cuisses exaltées courraient encore des rimes sonores et sur son dos coulaient les débris d’un poème décomposé. Sa main sur ma poitrine caressait les restes d’une lettre d’amour et nos jambes conjuguaient tous les temps du verbe adorer. Nous avons échangé nos salives aux goûts de sonnets, effleuré nos visages à chaque couplet et nos corps enlacés dans une ode profonde redonnaient à la prose les couleurs du chant. Nous nous sommes endormis, nus entrelacés sur ce bout de moquette au milieu des livres ouverts et dans les lueurs des bougies fatiguées. Quand je me suis réveillé, le jour se levait, elle était étendue déshabillée de tous les mots de la langue, nue comme une offrande, j’ai simplement cueilli sur ses lèvres entrouvertes les lettres du mot amour, elles avaient résisté à nos jouissances et attendaient la rosée du matin pour s’offrir dans un dernier silence.

Franck

4 juillet 2005

Elle lisait.......

On connaît tous cette chanson de Brassens dédiée aux Passantes : " Je veux dédier ce poème à toutes les femmes qu’on aime durant quelques instants secrets…. " Nous étions deux dans le compartiment du train. Elle et moi. Nous étions assis l’un en face de l’autre, elle, coté couloir et moi, coté fenêtre. Elle devait avoir vingt cinq ans, des cheveux châtains mi-longs ondulant sur ses épaules, des yeux noisette, une frimousse adorable. C’était l’été. Elle portait un polo beige, très léger et une jupe en daim bordeaux. Il faisait chaud. Sa jupe était courte mais elle la portait avec pudeur. Elle lisait. Et je n’arrivais pas à voir le titre de son livre. On croit souvent que les gens ressemblent aux livres qu’ils lisent. Il se dégageait d’elle quelque chose de simple, de sain, de vivant. Elle était belle et j’avais du mal à rester concentré sur ma lecture. J’évitais de la fixer ne voulant pas la mettre mal à l’aise, quand il lui arrivait de lever les yeux mon regard fuyait dans tous les sens comme si j’avais était pris en défaut. Au début la forme de mon désir commence toujours par un coup dans la poitrine, juste après je sens une grosse bulle monter au cerveau où elle éclate, alors se répand quelque chose de doux et douloureux à la fois dans tout mon corps. L’effondrement vient après. Un effondrement vaporeux. Je ne commence jamais par désirer le corps. Je tombe amoureux. Entre deux rayons de lumières, je tombe amoureux. En fait, je suis un sentimental. Pour mon malheur. Mais cela commence toujours de la même façon. Au bout de quelques minutes je perçois les premières piqûres de la fatalité. Une petite voix qui me dit que tout est vain, que les histoires de hasard n’existent pas, que je suis condamné à aimer en silence toutes les femmes qui me percent le cœur. Et que rien ne sera dit. Parce que tout est impossible à jamais. Elle lisait, calme, posée, tournant régulièrement les pages de son livre. Je me suis mis à attendre un signe. Je voulais que le monde me fasse un signe. Forcer, me paraissait incongrue. Lui parler le semblait impossible. Alors je la regardais dans le reflet de la vitre. Et plus je la regardais plus je brûlais. Ses gestes étaient lents, gracieux sans être maniérés, elle avait des mains fines, élégantes, des mains faites pour se poser sur des lèvres amoureuses, ou caresser un visage, des mains faites pour se glisser dans les cheveux, ou tenir un pinceau d’aquarelle, ou simplement tourner les pages d’un livre. Comme elle le faisait, là, devant moi. Quatre heures de voyage. Quatre heures à rêver, à se taire, à espérer n’importe quoi, un signe invisible, impossible, insensé. Elle était infiniment belle. La peau légèrement halée. Nous étions en été. Avec seulement une petite chaîne d’or autour du cou, un cou où j’aurais aimé poser ma tête, pour ne plus bouger, pour tout oublier, pour me dire sauvé de tous mes naufrages, de toutes mes errances. Poser ma tête et sentir son cœur battre, comme si s’était elle, qui me donnait son sang pour me faire renaître. Avec ma main scellée sur son ventre pour sentir la vie s’écouler avec lenteur, pour sentir sa vie consumer mes rêves et anéantir ce lac froid et profond qui gisait au fond de ma mémoire. Elle lisait, et elle s’est inclinée sur le coté pour appuyer sa tête sur la vitre du compartiment. Maintenant elle aussi semblait rêvait, ses yeux quittaient fréquemment sa page de lecture et se perdait dans un lointain imaginaire. Durant quelques instants j’ai cru qu’elle cherchait mon regard. Nos yeux se sont croisés. J’ai cru voir un léger sourire sur ses lèvres. Mais cela n’a duré qu’une fraction de seconde. Je crois que je n’ai même pas répondu. Je me suis affolé. Le train continuait à fendre le jour. Maintenant je revoyais ses lèvres découvrant ses dents blanches. Et je les imaginais s’entrouvrir pour offrir un baiser, j’imaginais cet éclat de salive, cette chair tendre et humide se poser sur mes yeux, pour toujours, pour ne plus voir le monde qu’à travers son souffle chaud, être définitivement dans la tremblance de ce voyage ferroviaire, rester dans cet entre-deux de la vie, l’entre-deux villes, l’entre-deux âmes. Lèvres de pétales rougis par le soleil, lèvres qui disent l’absolution, lèvre de chambres d’amants, lèvres de soupirs, lèvres chaudes du réveil au matin, lèvres de ferveur et d’ivresse. Bouche ardente et vertueuse, bouche de pécher et de rémission. Ne plus manger que son haleine, ou que les exhalaisons de son cœur. Elle lisait et j’étais dans un voyage incroyable. Etre seulement un silence qui courrait sur sa peau, sur ses seins, être un silence pour la protéger et lui garantir la lumière éternelle, être un silence dans lequel nous pourrions nous enfuir, nous cacher, être un silence pour disparaître au bout de ce voyage. Il aurait fallu lui dire quelque chose, lui dire que ses yeux de terre sauvage attendaient l’eau bleue d’une source rare, lui dire que ses yeux sucrés étaient fait pour la lueur douce des cierges, que ses yeux de sable étaient fait pour les longs pèlerinages. Il aurait fallu, mais je ne disais rien, comme si tout cela n’avait servi à rien.

Nous sommes arrivés à Austerlitz. Je lui ai descendu son sac. Nous sommes souris. Dans le couloir elle s’est retournée vers moi. A nouveau un sourire timide. Sur le quai je l’ai perdu de vue.

" Chères images aperçues
espérance d’un jour déçues
vous serez dans l’oublie demain
pour peu que le bonheur survienne
il est rare qu’on se souvienne
des épisodes du chemin. "

Franck.

Une fois dans le taxi quelque chose m’a noyé. Une tristesse infinie. Un désespoir disproportionné. J’avais sa silhouette devant mes yeux, juste avant que je ne la perde des yeux sur le quai. Légère, elle ne courait pas elle ne marchait vers personne. J’aurais pu la rejoindre, lui dire la lumière dans ses cheveux, lui dire l’or que j’ai vu tomber quand elle a sauté sur le quai. J’aurais pu lui prendre la main, lui baiser les bouts des doigts. On aurait pu marcher ainsi jusqu’au bout du jour, et traverser les saisons, simplement portés par son parfum d’opale, et la transparence de l’air, et le mouvement de son corps souple comme l’onde d’un ruisseau. Mais je ne lui ai pas parlé….

" alors au soir de lassitude
tout en peuplant sa solitude
de fantômes du souvenir
on pleure les lèvres absentes
de toutes ses belles passantes
qu’on a pas su retenir. "

Publicité
Publicité
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
J'irai marcher par-delà les nuages
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 167 983
Catégories
Pages
Publicité