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J'irai marcher par-delà les nuages

5 décembre 2020

Que deviennent nos cris qui ne sont pas criés ?...

 

Nous sommes des revenants. Nos yeux connaissent déjà le paysage sans fin de la mort. Nulle frayeur dans le regard. Seulement une grande lassitude. Le retour est toujours plus éreintant. Le déjà-vu épuise le sang. Ce perpétuel retour constitue la forme la plus aboutie de notre aller simple. C’est pour cela que les miroirs existent. Nous sommes en marche vers un en deçà de nous-mêmes. Un déjà-vécu sans conséquence. D’ailleurs, il ne faut en tirer aucune conséquence : les conséquences sont les pires des illusions. Elles tiennent nos heures dans la prison des temps clos.
Le difficile, c’est l’enfermement dans sa propre demeure, avec l’impossibilité d’ouvrir les portes de sa maison. On est à l’intérieur. Rien n’y pénètre. Ni lumière ni voix. Rien. Rien ne sort. Les verrous sont tirés. Ni la nuit, ni le jour : rien ne pénètre.
Ne plus écrire. Trop simple.
Tout a été écrit, cela veut dire que rien n’a été dit. Que tout reste à formuler ! Une autre fois. Jusqu’au bout. Jusqu’à la fin. Psalmodier jusqu’à l’ivresse. Même si c’est inutile. Surtout si c’est inutile. La mélopée n’est plus sacrée, elle n’atteint plus les cieux. Les a-t-elle atteints un jour ? Est-ce important ?
Respirer. Faire entrer l’air. Profondément. Sentir l’échange des gaz dans le sang, dilater les poumons. Respirer. Seulement cela.
Écrire que l’on respire. Écrire que l’on sent l’air se mélanger, que c’est la seule chose que l’on maintient. Que tout est organique ! Qu’il n’y a qu’une chimie ! Qu’une organisation de molécule. Un échafaudage de particules. Que l’on n’écrive que cela. Jamais rien de plus. Que tout le reste n’est qu’une boursoufflure. Qu’une triste illusion.
Il faut repartir du début. Du cri. Reformuler le cri. L’équation du cri. Un cri débarrassé de sa douleur, de sa peur. Un cri pur, net. À l’état brut. Un cri sans chagrin puisqu’il les contient tous. Sans cause. Le cri comme le premier mot. Le seul audible, le seul compréhensible.
L’enfant qui nait sait déjà tout. Il crie. Après il passe sa vie à oublier ce cri. Il passe sa vie à oublier qu’il savait. Derrière chaque geste, derrière chaque parole, ce qui compte, c’est le cri. Faire entrer l’air dans ses poumons. Déployer le cri. L’épaissir. L’ accroitre . Lui redonner sa nécessité. Son immédiateté. Son acharnement. Appeler le cri. D’abord dans ses poumons, à l’endroit des échanges des molécules, à l’endroit où le dehors devient du dedans. Quand le dehors devient du dedans, il devient un cri. Toujours. On ne le sait pas, parce que l’on a oublié le moment du naitre. Le premier échange des molécules qui devient un cri. La première vérité, sans doute la seule que l’on ne dira jamais. L’originelle affirmation. Car le sourire n’est qu’un cri dévoyé, un cri qui s’est déjà compromis, un cri qui a déjà vendu son âme. Le rire n’est qu’un cri prostitué. Une forfaiture. Écrire le signe.
Que deviennent nos cris qui ne sont pas criés ? Sont-ils musique ou poésie ? Sont-ils torrents ? Bourrasques ? Sources ou plaintes dans les landes de bruyères ? Supplique ? Oraison ?
Que devenons-nous, nous qui ne crions pas ? Que pèse notre vie sans cri pour l’alourdir, pour l’enraciner, pour la densifier ?
Alors, remonter le fil du souffle. Respirer intensément. Sentir le froid de l’air passer dans l’incendie du sang. Alors, n’écrire que cela, l’effondrement du dehors dans le dedans. L’écrasement des molécules dans les chairs vivantes et respirantes. L’écrasement. N’être plus que pulsations, vibrations. Jusqu’à la convulsion. Psalmodier jusqu’à l’ivresse. Du souffle sur du souffle, avec le cri qui se déploie dans un arrachement somptueux. Du souffle qui frotte sur du souffle. Du sang noir pour du sang rouge ; élévation lente, cène sanglante et hurlante. Cérémonie solennelle du cri initial, annonciateur, prédicateur. L’engramme. L’ordalie.
C’est après qu’arrive le chant.
Le chant… D’abord, la voix. Le texte doit tenir dans sa voix. Tenir en entier. L’œil seul est muet, il n’entend rien au chant. Beethoven est sourd, mais il continue de jouer. L’œil n’est pas suffisant : il a besoin de ses doigts pour entendre.
Le chant relie la chair au verbe
Que le chant… L’exhalaison de la matière du mot. Le dépassement du mot dans sa traversée. Chopin jusqu’à la dissonance. Aller jusqu’au bout de l’audible, juste avant que l’harmonie ne se casse. Cet instant existe juste avant la brisure. Dans Chopin, il y a toujours un point d’effondrement, une note par où passe la lumière.
C’est l’accident dans la parole qui la révèle.
L’impact.
Le trou juste avant le mot. Juste après.
Décider d’écrire dans les trous, dans les manques. Se donner une chance de mourir. Là.
Inventer de l’éternité. Pas parce que c’est beau, mais parce qu’il le faut.
L’arbre ne fait pas du beau, il fait de l’arbre. Il fait de la puissance d’arbre. Il est constant dans son désir d’arbre. Il est constant dans sa chair d’arbre.
Il s’efforce. Autour du nœud. Autour de la folie qui durcit sa mémoire. Il invente ses branches dans les saisons à venir. Autour du nœud ligneux. Il appelle le vent, la tempête. Il appelle ce qui peut le briser. Ce qui doit le briser. L’arbre écrit. On le sait à cause du chant. Avec ses renaissances perpétuelles. La buche dans le feu dit le poème de l’arbre, raconte sa légende. Les amoureux qui s’y chauffent le savent. Ils entendent, ils écoutent la voix de l’arbre, la chair de l’arbre. Car le feu est l’âme de l’arbre. Quand le bois craque, c’est un silence qui se contracte, c’est le chant de la puissance de l’arbre. C’est la chaleur des étés, ce sont les neiges d’hiver, c’est le vol des oiseaux. Jusqu’aux cendres.
Nous sommes des revenants. Nos yeux connaissent déjà le paysage sans fin de la mort. Nulle frayeur dans le regard. Seulement une grande lassitude. Le retour est toujours plus éreintant. Le déjà-vu épuise le sang. Ce perpétuel retour constitue la forme la plus aboutie de notre aller simple. C’est pour cela que les miroirs existent. Nous sommes en marche vers un en deçà de nous-mêmes. Un déjà-vécu sans conséquence. D’ailleurs, il ne faut en tirer aucune conséquence : les conséquences demeurent les pires des illusions. Elles tiennent nos heures dans la prison des temps clos.
Écrire efface ma trace. Me retranche de l’avalanche des peurs. Je suis dans un reflet de silence. Écrire délimite un bord. Une ligne franche, brutale, presque coupante. L’en deçà, l’au-delà. Il y a le bord, puis il n’y a rien. Plus rien n’existe, pas même le vide. Rien. Des lieux, des temps qui n’ont pas la force d’exister, ou alors qui ne l’ont plus.
Les miroirs sont autistes. Cela afflige leurs voix. Ils ne diront rien des temps de la fin.

Franck.

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22 novembre 2020

L’œil… la main...

Comme si le texte était ce pont, cette arche entre les yeux et la main. Car voir n’est pas suffisant, voir n’épuise pas notre désir. Voir n’apaise pas assez nos peurs. Voir, parfois, les augmente. Voir propose un monde qui nous est sans nul doute étranger. Voir est déjà un exil. Toucher est alors le premier geste d’appropriation. D’incorporation. Faire rentrer dans le corps ce que l’œil a vu. Apprivoiser la distance, l’espace, les formes. À cause de l’horizon, voir nous suggère un temps d’après, une menace toujours possible à venir. Avec le voir, nous sommes toujours misérables, dépendants. Isolés. Relégués. Le monde du voir est sans limites. Sans arrêt. Éternellement passant. Insaisissable. Incompréhensible. Inhabitable. Car toucher est si pauvre. Ma main se pose sur si peu de choses. Si peu de peau. La main définit la frontière de mon étroite maison. La proximité rassurante. Le presque soi. Le dérisoire.
L’amoureuse et l’amoureux occupent cet espace sans épaisseur entre le voir et la main. L’incorporation. L’amoureuse et l’amoureux passent des yeux à la main, de l’image à la main. De l’infini du possible à ce baiser-là, à cette lèvre-là, à cette peau si blanche, si présente, si chaude, si souple. Là, dans la paume ouverte du désir.
Écrire refait le même chemin à rebours. La décorporation. L’écriture nait de la chair. C’est son premier mystère. Sa première révélation. Elle nait de la chair, de la voix de la chair. Elle nait de la consistance d’un toucher. De la contrainte des masses. De leur frottement. Au départ de l’écriture, se trouve le sang rouge, puis les caillots gluants. Au départ, il y a la main qui tremble. Il y a le geste. Le mouvement qui s’exhorte lui-même. Au départ, écrire, c’est extraire du vivant primitif.
Le cri est la première chair du mot. Il n’est pas encore vision. Il est la défenestration de notre prison, il n’a pas encore trouvé la main. C’est une chair décrochée. Écrire, c’est tenir ce cri assez longtemps pour en faire sortir les images, pour le faire passer au voir, pour le faire devenir monde, univers, constellation. L’offrande à l’œil.
L’amour dit ce premier cri à l’envers.
Tout se joue entre l’œil et la main. Dans ces allers-retours qui tentent de les relier. Écrire, aimer, le même chemin, l’aller et le retour d’une vie. L’un comme l’à rebours de l’autre.
Le texte est ce pont, cette arche. Le lieu des métamorphoses. Le mot est un geste qui voit.

Franck.

15 novembre 2020

La question des corps dans le corps…

Il y avait cette question du corps. Non pas de la chair, mais du corps. L’enveloppe, la surface, la frontière. Le mouvement. Puis les mots comme une peau. L’écriture trace une forme mystérieuse. Un corps. Une écorce de cicatrice. Ils sont l’écrin dans lequel la vie tente de résister. Entre souffle, et étouffement.

Je regarde ma main, là, avec l’écran où les mots s’alignent. Une vision incongrue. L’écriture définit un autre corps, une autre peau. Ma main dans le corps du texte. Une autre main. À la surface de ma peau, il existe comme un pli, comme si la lumière se repliait sur elle-même. L’écriture trace un autre corps, d’autres formes qu’il faudrait habiter. Comme si l’enjeu était là. Dans cette distorsion des formes, des corps. Cet effort pour tenter de les faire coïncider. La voix invente un souffle, une autre respiration, un autre ventre. La voix du texte ne s’entend pas avec l’oreille, mais avec les yeux de l’autre. Le corps du texte habite une autre solitude.
Écrire est ce lent travail du feu pour décoller l’enveloppe. Un équarrissage minutieux. Le dépeçage d’un cadavre. Écrire, c’est dessiner les contours d’une ile inconnue, c’est trouer l’océan.
En fait, écrire, c’est quitter l’ile, quitter les contours définis de l’ile. C’est être du côté des eaux, avec le trou de l’ile en plein cœur. Puis le vent dans l’écume. Le scintillement dans l’éternel mouvement. Écrire, c’est cracher sur sa vie, avec dans sa bouche une peinture arc-en-ciel, comme le sauvage dans sa grotte qui crachait sur sa main appuyée sur le mur, pour en inventer la forme. Le contour de sa vie. Comme pour nous dire que tout arrive à cette jonction du dehors avec le dedans. Comme pour nous dire l’océan troué par sa main, par son souffle, par sa salive. La main en pochoir devient le premier poème, né du souffle et du crachat. De la déchirure des formes. De leur débordement.
Le texte est un au-delà de la peau, il en est le contour extérieur. Le pays au-delà du pays.
À la frontière, c’est la guerre. Les chairs poussent ou se rétractent. Le sang bat ou s’assèche. Les os craquent.
Les territoires de mon corps se déforment au gré de mes défaites ou de mes conquêtes. Plus souvent, de mes défaites, . Protée insaisissable. La peau se casse, se déchire. À la frontière, c’est la guerre du silence et de l’obscure.
Le texte n’invente pas de nation, il invente simplement des terres inconnues vouées à l’amour ou à l’abandon. Des pays sans nom.
L’écriture définit un autre corps, une autre peau. Ta main posée sur le corps du texte. Ta main, à la surface de ma peau, comme si ta lumière se repliait sur l’ombre que je te tends. L’écriture dessine Ton corps, et les formes s’ajoutent aux formes. Le texte invente des terres, les seules qui nous réunissent. Le texte invente le lieu où nous nous aimons, ce continent d’ivresse pure où nous n’irons jamais, puisqu’il brule, là, dans l’incendie, dans l’instant de le dire, avec les mots qui en sont la cendre. Le texte est le lieu où nous nous aimons, où la peau la plus fine se pose sur la peau la plus fine. Écrire, c’est inventer un continent disparu. Où Tu habites. Où j’habite. Où nos corps s’additionnent dans les angles des mots. Dans le cri.
Un souvenir qui s’invente. C’est un peu comme un feu. La flamme d’un feu. Naitre de sa propre disparition.
Le livre en est le chemin. Les rêves sont les fleurs de talus qui le bordent.
Ton souffle suffira pour l’éterniser.

Franck.

« La tête d’Orphée. – Où est mon corps ?
Eurydice. – Près de moi. Contre moi. Maintenant, tu ne peux plus me voir, et j’ai la permission de t’emmener.
La tête d’Orphée. — Et ma tête, Eurydice… ma tête… où ai-je mis ma tête ?
Eurydice. — Laisse, mon amour, ne t’occupe plus de ta tête… »

Le texte en italique est de Jean Cocteau : Orphée.

8 novembre 2020

Il faut une place infinie…

Au départ, on ne le sait pas. Puisqu’écrire nous vient d’un mystère. D’un mystère ou d’une fatigue, ou d’un ennui, ou d’un désir impossible. Écrire, c’est d’abord un amour qui ne tient plus à l’intérieur du corps, comme si les dimensions n’étaient plus adaptées. Écrire vient d’abord d’un épuisement de la langue, puis de cette fatigue, d’un savoir qui ne se suffit plus à lui-même. Les parois de sa vie sont envahies, mais l’on ne sait pas si cela nous vient d’un mal ou d’un bien, d’une révolte ou d’une bonté. C’est le prolongement d’une vie démembrée, d’une vie rendue brusquement impraticable. Inaccessible. Le bruit des jours nous devient insupportable. Écrire, c’est d’abord la vie en échec. L’amour empêché.

Le cri. La première écriture, c’est une écriture d’amour. Elle dit « je t’aime », ou « je te déteste ». Elle dit un geste qui ne tient plus dans la chair. Elle dit que l’on n’appartient plus au monde des vivants. Le premier mot invente le premier univers. Le cri. Le cri qui enferme déjà tous les secrets, ceux du temps ceux de la mort. Les peurs. La mort, qui entre toujours par la porte des mots. Toujours. Toujours par les coins d’ombres, les océans de silences. La mort qui cherche toujours les jointures, les désarticulations. Les premiers mots écrits sont des désarticulations. Des déboitements, par où la mort se faufile.

Car il faut faire de la place. Chaque mot écrit réclame sa place. Surtout le premier, qui est le nom de la mort. Car tous ceux qui suivront voudront le dénier, l’abolir, l’effacer. Le premier mot figure déjà une signature. C’est pour cela que l’on écrit à l’envers du temps, à cause de ce premier mot. Qui dit notre mort. Qui dit la fin, juste au moment du début. Alors, il faut faire de la place, car il s’agit de faire entrer un ciel entier. Avec ses constellations, ses soleils, ses lunes. Alors, on dit infini. Une place infinie.

Au départ, tout est plein, chaque espace de soi est rempli, comme une certitude, comme une évidence, les mots ne sont que l’image d’eux-mêmes, une surface lisse. Nénufars sans racines. Reflets vagues et flottants. Rien n’a traversé, rien n’a pénétré. Tout est trop plein, trop entier, trop lisse. Le vide ne se décrète pas. C’est un abandon. C’est partir sans bagages, retourner sa peau à l’envers. Mettre l’intérieur, à l’extérieur. Un peu comme une naissance, l’intérieur à l’extérieur, le retournement des peaux.

Le vide est un abandon. Lent, douloureux, puisque nos illusions, nos mensonges, résistent. Chairs molles accrochées aux os qu’il faut curer. Racler.

Puis un jour, cela devient un accueil, une aube. Les mots se posent dans leur désordre de lumière et de rosée. L’amour, la mort dans un espace infini. L’écriture peut alors déployer son chant, comme la mer déploie ses vagues. L’amour, la mort dans leurs mouvements incessants.

N’être rien que cet espace vide, comme ce grand champ de blé moissonné où poussent des coquelicots. Rouges. Fragiles et rouges. Comme l’or des moissons. Taches de sang dans l’immensité des constellations. Rouge. Infiniment vivant. Infiniment naissant.

Franck.

25 octobre 2020

Ce grand champ de neige…

 

Recherche du lieu. Géographie impossible. Cartographie de nos vies, de nos actes. Impossible chemin qui s’enroule en forme de destin. Impossible traversée du sens. Besoin de nommer, de dire ce qui n’a pas de nom, ce qui n’a jamais été dit. Relevé cadastral dans le champ vacant des rêves, des désirs, du temps qui se déploie. Resituer les mots dans un espace, une localisation. Il faut les ancrer dans la chair vivante. Encrer le désossement de la parole.
Jamais rien n’est dit. Il faut s’en convaincre. Puisque la vérité se trouve dans l’entre-mot, dans l’entre-texte, dans cet élan de nous qui nous échappe, et qui, pourtant, nous révèle. Sans nous. Dans notre absence même. Qui nous condense.
Qui nous recouvre du linceul de la langue.
Hors lieu qui s’agrippe aux parois vertigineuses de la mémoire.
Frottements des lieux impossibles sur l’arête d’un temps impossible. La déchirure, reste le premier lieu, grand vortex pour cette traversée impossible.
Impossible comme l’ultime forme de notre devenir. Notre dé-présence. Notre dé-naissance.
Quand il n’y a plus rien, il reste le mouvement. Le seul mouvement. L’invisible mouvement. Comme la vague qui résume l’océan. Insaisissable vague que rien ne fixe. Qui est là, sans être là. Qui est déjà ailleurs. Mouvement incessant de retour, de redéploiement. Déséquilibre du vivant à la recherche de son centre, de son lieu fictif. Centre de gravité. Gravité. Grave. Comme la pesanteur de la joie.
L’écriture dessine les contours de ma peau. En creux. Par défaut. Le vivant se révèle là, dans le silence. Un silence pochoir. Qui cache, mais révèle. Qui tait, mais donne à entendre.
Oppositions des formes pochoir qui se répondent à l’inverse d’elles-mêmes. Là, dans la béance. Lieu de suture, lieu de coupure.
Ici, il n’y a pas de vérité. Seulement une résonance. Le corps qui résonne avec la chair des mots. Avec le mouvement. Le balancement des vagues dans le corps. Lent. Comme un labour profond qui trace les dessins de la cicatrice. Un labour qui va chercher la terre d’en bas. La terre maudite. La terre noire. Celle des moissons futures.
Jamais rien n’est dit. Hormis le mouvement, l’élan vers une forme qui nous échappe toujours.
Mes textes chuchotent entre eux. Ils se répondent dans un espace inconnu de moi. Textes. Sous-textes. L’espace de la déchirure. Lieu des métamorphoses. Les textes construisent une forme que je ne vois pas encore. Une matrice invisible. Forme pure du mouvement. Comme si les bords de l’infini s’agrandissaient, dévoilant des étendues nouvelles, des profondeurs étranges. Je ne peux que m’accrocher au mouvement, au seul rythme. Au brassage des eaux. À la scansion. À la stridence.
Sortir du ventre des mots, de leur chaleur, accoucher d’une autre respiration. Une autre chair. La déchirure, comme la forme pure de l’avènement.
Je suis sur la coupure. Juste là. À l’endroit où tous les mots ont été épuisés. Accepter cet épuisement. Consentir, à ce grand champ de neige et aux cendres. Consentir à l’hémorragie. Lent cheminement du renouvèlement. Marche vers l’aube. L’aube qui sacre la fin de l’épanchement de nuit. L’enfin de la fin.
L’aurore arrache ses derniers lambeaux de nuit, sa parole vivante ouvre sur un nouveau baptême, l’alliance rayonnante de la lumière, du printemps, noce du jour et du consentement.
J’ai traversé ce grand champ de neige, ni vivant ni mort… Autre…
J’ai traversé ce grand champ de neige afin que s’épuise le passé.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour que chaque mort trouve sa place. Sa juste place.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour rejoindre la rive des vivants.
Innocent de rien, mais le pas plus pesant. Comme la joie : grave. J’ai devant moi un océan avec cette lumière qui troue les vagues, et ce mouvement vers l’aurore calme, comme un premier matin.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour blanchir ma parole, pour l’offrir lavée, nettoyée, purifiée.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour changer de saison.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour ouvrir la déchirure. Pour la bénir aussi. L’aimer, puisque c’est le sens de demain. Puisque c’est le seul endroit habitable. Puisque c’est mon lieu. Le lieu des résurrections. La déchirure comme seule naissance possible.
J’ai traversé ce grand champ de neige enfonçant mes mots jusqu’à la perte du sens, grelotant d’effroi, glissant d’un vide à l’autre.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour voir fleurir un grand champ de blé, piqué de rouge par le frissonnement des coquelicots, bruissant de bleu par une source d’eau claire…
Quelle que soit l’histoire, nous n’écrivons toujours qu’au présent.

Franck.

 

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17 octobre 2020

Frontière…

 

Nous ne respirons que dans les passages, dans l’entredeux. Nous ne vivions qu’à l’approche du crépuscule ou de l’aurore, dans ces temps défaits, dans l’attente des franchissements.
Écrire, c’est être sur la ligne de faille, toujours au bord d’une invocation, toujours sous la menace d’une imprécation. Nous sommes maudits, nous le savons, et nous puisons là toute notre bonté, toute notre joie. Nous sommes maudits, mais l’écrire allume un ciel étoilé.
Écrire invente un langage où il n’y a plus de lieu, où il n’existe que la peur, l’effroi, l’inconcevable, mais d’où jaillissent le feu et la lumière.
Écrire, c’est tracer une peau dans l’entredeux inhabitable. Ce qui nous sauve, c’est l’oubli… Alors, nous recommençons, toujours naissants… Toujours naissant… Infiniment… Toujours aimant.

Franck…

11 octobre 2020

Tectonique des plaques…

 

La redite, l’insistance, la persistance, les trois stades de la maladie d’écrire. Plus on avance dans cette maladie mortelle, moins elle pèse. Plus elle est grave, plus elle se déploie dans le sang, dans les jours, plus elle s’agrippe à chaque fibre, à chaque respiration, plus elle est mordante aux jointures du rêve, plus elle nous éloigne, plus elle nous épuise et moins l’on voudrait en guérir.
La redite, l’insistance, la persistance constituent les autres formes païennes, de la litanie, de la prière, de l’oraison, car il s’agit d’atteindre la chair, jusqu’à l’au-delà de la chair.
Atteindre la dimension de sa mort. Être dans la juste dimension de sa mort. Celle qui viendra. Celle pour laquelle on est là.
Passer de la fatalité, au don à recevoir, pour finir à l’offrande gracieuse.
La littérature nait d’un frottement, comme les plaques tectoniques. Deux mouvements lents qui s’opposent, pierre contre pierre, temps contre temps, puissance contre puissance, usure contre usure. Le résultat, c’est le volcan, le tremblement de terre, la vague scélérate. La littérature est le lieu impossible, le lieu d’une précieuse brulure, inhabitable, invivable. Inachevable. Car dans le même mouvement, se mêle le renouveau avec la fin. Les plaques tectoniques de notre vie bougent la grande masse de nos souvenirs, de nos illusions, de l’accumulation répétée de nos regards, de ce magma informe, tremblotant comme de la gélatine peureuse. Toutes ces plaques bougent, s’incrustent, s’insinuent les unes dans les autres, s’engloutissent dans l’oubli, l’indifférence, le mépris et l’abjuration. Cela frotte, cela racle, cela cure, cela écrase. Des continents d’existence, qui à force de dériver, se choquent, se heurtent. Se brisent. C’est un fracas de douleur et d’extase
L’écriture se nourrit de notre disparition. Atteindre la dimension de sa mort. Être dans la juste dimension de sa mort, à force de redite, d’insistance, de persistance. Comme si la maladie de l’écriture effaçait nos vanités, nos prudences. Comme si la maladie de l’écriture tranchait dans le gras, le ventru, l’inutile. Pour qu’à la fin on puisse juste enfiler un voile d’ombre. La peau de l’ombre sur notre peau de chair. Sans plis, sans couture, ni ourlet.
Le corps de l’écriture est le lieu du frottement, des masses brassées, le lieu de l’imminente menace. La redite, l’insistance, la persistance. Le corps de l’écriture est toujours marqué des stigmates, du symptôme d’un temps pur.
Le temps pur est un temps vécu à sa juste proportion, à son juste poids. Un temps débarrassé. Il tient debout par sa seule force, sa seule volonté. Sa seule nécessité. C’est un temps qui n’est pas comptabilisé dans nos ans. Il est pur, parce qu’il n’a pas d’épaisseur. De la durée, il ne possède que la lumière. Il est éclat. Étincelle. Il est le chant.
La maladie de l’écriture possède trois stades : la redite, l’insistance, la persistance, plus cette maladie s’aggrave, plus elle vient en lieu et place de l’inconstance, de l’impermanence, de la précarité.
On connait alors les trois degrés de la puissance : la faiblesse faite de boue, d’ivresse, la fragilité faite de verre et obsidienne, la tremblance faite de silences consumés et d’éternité.
L’autre nom de l’abondance.

Franck.

4 octobre 2020

Une crique...

 

Alors, écrire, c’est encore s’égarer dans une enclave de temps. Une sorte de crique. On y accèderait que par le chemin escarpé de parole, par une voix transgressée, une voix méconnue, une voix étrangère à notre voix, par la muqueuse d’un monde que nous ne savons pas habiter. Écrire serait appartenir à la terre sans y appartenir. Une crique ou une ile sauvage. Quels sont les lieux inhabités en moi ? Quels sont les lieux escarpés ? Quelles sont les étendues dévastées ? On vient tous d’une humanité fracassée. Écrire est sans issue. Peut-être quitter la crique par la mer, quitter l’ile. La seule brèche se trouve dans le bercement de l’horizon. La solitude exténuante, caniculaire. Il y a là un désir mortel. Inexplicablement mortel. Un point de violence abrupte, que l’écriture délie dans la coïncidence des temps. La brulure des chairs. La brulante patience des constellations. Écrire, c’est déjà la mort. On vit dans un temps écrasé. On écrit dans un temps sans limites. Puisque c’est déjà la mort.
Écrire est sans savoir, c’est ce qui défait les livres, ce renoncement à toute explication, cette patience d’une parole crucifiée, béante. Une parole de nuit, avec le retour de l’abandon. Sans cesse le retour de l’abandon.
Écrire est sans savoir. Un cri, avec la face effarée par une peur qui ne dit pas son nom. Un silence l’accompagne, un long silence prémonitoire…

Franck.

26 septembre 2020

La voix trouée…

 

Écrire, c’est tracer une frontière. À la fois une limite, un passage. Un au-delà de la limite. Écrire est un lieu de passage où la langue et la voix partent pour l’exil.
Écrire, parle déjà une autre langue que la nôtre.
Écrire, c’est passer la ligne imaginaire de l’être. La ligne inimaginable.
Le pays d’après recèle des dangers. Des vies, des morts.
Le pays d’après n’a pas de nom. Rien ne le désigne. Il n’est pas innommé, il reste innommable. Écrire le sait. La voix qui parle « l’écrire » le sait. C’est pour cela qu’elle est trouée.
Écrire révèle les contours d’un lieu impossible. C’est une autre langue que la nôtre. Une autre voix. On n’y reconnait pas notre vie, ni nos jours, ni nos heures. Cela ressemble un peu à notre mort. Pourtant, rien n’est triste. Même si la mélancolie s’insinue dans la voix, car écrire la rend nécessaire, incomparable, surprenante, irréprochable. Invincible.
Le pays d’après est un pays clos. On ne le connait pas, et pourtant on s’en souvient. L’écriture en fait le tour en un silence. Alors dans l’infime de cet espace des univers entiers dérivent.

Franck.

20 septembre 2020

Une chose que l’on ne sait pas faire…

 

Alors, on consent à la dérive, comme ces glaces lourdes, majestueuses, dans les océans froids du nord. Écrire, aimer, vivre, c’est toujours un peu dériver, se perdre avec lenteur, avec grâce. Avec constance. Passer d’un silence à l’autre, jusqu’à n’être plus que de l’eau dans de l’eau.
La fonte des glaces dans l’océan, c’est la grande tragédie de la vie, de l’amour et de l’écriture. Être de grands navires à la dérive sur un océan sans horizon.
Car l’écriture fond à mesure qu’elle se dit.
Car la parole de l’écriture est une eau trop salée.
Car écrire, c’est retrouver la voix de nos premières ignorances.
Car c’est une chose que l’on ne sait pas faire, pourtant on la fait, cette chose.
Jusqu’aux larmes.
Et c’est extravagant.

Franck.

13 septembre 2020

La porte de l’infime…

 

Mes journées d’écriture sont vides. Intensément vides. Voluptueusement vides. Une place infinie pour chaque instant. Avec l’attente dénudée, sans impatience. Une avancée lente et cadencée dans le texte. Avec ce sentiment d’une urgence sacrée.
Car dans ce temps, il existe aussi des luttes cosmiques. C’est un temps ouvert. Vif. Ardent. Brulant. Fait d’absence totale. De déraison, aussi. Car dans ce temps, il y a des douleurs, des douleurs accueillies. C’est le temps de l’infime. Du petit, du fragile. Du consentement. On s’offre à notre vie pour enfin l’inviter, la reconnaitre. La recevoir en retour.
À la jonction des mots, dans cet espace qui les sépare, des univers font leur révolution. Dans ces silences qui trouent le texte, des arcs-en-ciel se faufilent. Chaque texte pèse le poids des siècles lorsqu’il passe la porte de l’infime.

Franck.

6 septembre 2020

Fantôme.....

 

Je suis un fantôme qui avance sur les décombres d’un royaume d’ombres.
                                                                           J’ai dans le cœur un abime qui bruisse…
                                                                                                           Je vais sur un fil, guidé par des chuchotements
                                                                                                           jaillis du silence.

 

Franck.

30 août 2020

Colère...

 

Nous naissons d’une colère, d’une vieille colère, d’une colère archaïque sans forme, sans fond, une sorte de stridence qui s’accroche à nos entrailles. Lorsque nous lâchons tout, elle résiste, elle ne nous quitte jamais. C’est elle qui nous tient rassemblés, unis, entiers. L’écriture nous vient d’une colère d’enfance. De l’envahissement, du saisissement de nos chairs par un afflux de sang. Elle est inapaisable, c’est ce qui nous sauve. Notre part divine nous vient de cette colère. Nous aimons pour l’oublier.

Franck.

« J’avais peu de chaleur. Peu de chair sur les os. Cette chair ne suffisait que pour la colère, l’ultime sentiment humain. Ce n’est pas l’indifférence, mais la colère qui demeure en dernier, elle est le sentiment le plus proche des os. » (Récits de la Kolyma, Varlam Chalamov Verdier)

23 août 2020

Hormis l’horizon…

 

Écrire, c’est le moment où l’on n’écrit pas. L’instant qui sépare deux mots. Deux phrases. Deux chapitres. Deux textes. C’est l’élan qui cherche à se survivre. C’est cet élancement de tout le corps dans l’espace inconnu qui sépare les mots de leurs cortèges de sons, d’odeurs, avec le glissement du sens dans la recherche d’une couleur plus juste, un saut plus net dans le vide toujours recommencé. Toujours à inventer.
Avancer dans les mots, c’est comme avancer dans l’amour. Puisqu’écrire c’est déjà aimer, c’est encore aimer. Écrire, c’est cette hésitation brulante qui nous pousse comme une fatalité à rechercher le plus clair de notre eau, c’est faire la place à cet Autre de l’amour qui nous suit en silence dans l’ombre de nos gestes, sur la pente de nos actes, jusque dans la plus intime de nos pensées ou le plus secret de nos rêves. C’est la paume des heures.
Écrire, c’est accueillir, cet autre de nous. C’est cela consentir. Puisqu’il ne s’agit pas d’être sauvé, mais le plus souvent d’expier.
Puisque rien n’est donné hormis ce chemin sur lequel je marche, et qui me mène d’un mot à l’autre, de silence en silence, de peur en peur. De l’eau sur de l’eau jusqu’aux marées d’hiver. Puisque rien n’est donné hormis l’horizon…

Franck.

7 août 2020

L'ininspiration...

 

Ce n’est pas l’inspiration qui vient à nous manquer. Elle ne compte pour rien. Ce n’est pas l’inspiration, mais la volonté acharnée de vivre. Un vouloir. Un noir vouloir à vivre encore. Mourir un peu plus loin, un peu plus tard. On écrit toujours dans un après, non par inspiration, mais dans l’extension d’un temps inhabitable. Écrire commence lorsque les muses sont mortes. Sur l’octave supérieure de l’abime. Là où le révolu reste encore à vivre. L’accroissement d’un désastre. L’inévitable développement de la fin..

Franck.

3 août 2020

L'entretemps...

 

Chaque texte nous laisse dans le passage. Un éternel passage. Sans rive. Être là. C’est tout. Toujours partir, et ne jamais arriver. Là. Dans le courant d’air de la vie. Les volets battent, les portes claquent, mais le texte nous laisse là. Entre. Pantelant dans le passage. Lourd. Sans aisance. Estropié du désir.
Les textes sont des orphelins. L’espace d’un instant, on a cru pouvoir leur offrir une famille… Puis ils nous quittent, alors on reste dans le passage. C’est désormais nous l’orphelin à secourir. Le texte nous a seulement accueillis un court instant dans sa famille de mots, sa famille turbulente, bruyante. Après, cette famille nous quitte.
Alors l’on reste là, dans le passage encombré de désordre, de silence.
On sait que l’on ne sera d’aucune famille, d’aucune fratrie.
On appartient déjà à la ruine, au désastre.
Le texte ne ment pas, il nous promet la solitude, il nous la donne. Comme une fleur rouge sang. Il l’incruste même. Il la grave, de peur que l’on oublie que c’est nous qui l’avons sollicité. Elle devient notre nom.
Alors, nous restons dans le passage. Entre les portes du désir. Coupé des horizons. Immobile entre deux mouvements, entre deux élans. C’est ainsi depuis la nuit des temps. Car la nuit des temps demeure le lieu du poème. Toujours. La nuit. Après le passage. L’entredeux.
L’attente.
L’inquiétude.
On ne ressort pas complètement indemne des mots. Avec cette double sensation. D’accroissement et de perte. La douceur, la violence. Comme dans le vertige. L’aggravation d’une pesanteur.
Pendant le texte, les atomes de la vie sont portés à incandescence comme dans l’amour quand les corps s’effleurent d’insouciance, d’oubli, ou quand ils se cognent l’un à l’autre dans l’abandon ou l’ivresse. Comme dans l’amour où brusquement on sait qu’il n’est plus question de douleur, mais de débordement où l’extase décide de ne plus descendre, mais au contraire de monter.
Le mascaret ride le fleuve comme un frisson de jouissance. Le texte nous a défaits du temps. Jeté hors des doutes, il nous a pris la main, le cœur, pour nous faire traverser l’infini à la perpendiculaire de nos passions, dans la diagonale de nos souvenirs. Le texte réinvente la géométrie de l’espace, du corps, et de son poids de chair tremblante. Dans les angles se trouvent l’ombre, le souffle. Les parallèles se rejoignent sur les lèvres des rêves. Les ellipses nous réchauffent de leurs foyers majestueux.
C’est un temps simplifié où les équations retrouvent leurs inconnues. Car les ondes ne vibrent plus. Elles ne font que chanceler, que frémir, elles n’oscillent plus. Elles ne font que se balancer comme les roseaux dans la brise d’été.
Le mascaret redresse le fleuve de sa langueur chagrine.
Juste après le texte, la droite se raidit, l’infini se relativise, les parallèles s’assagissent, se mettent à bonne distance l’une de l’autre, comme des inconnues qui se toiseraient de haut. Les perpendiculaires s’ennuient à nouveau, et l’ombre quitte les angles morts de la vie pour se répandre en obscurs savoirs.
Après le texte, c’est le temps des redites, des pensées sur la pensée, des constructions fragiles. Après le texte, c’est le temps des insectes. Temps mesuré, sans ambition, sans imagination, qui ne sait que finir.
L’entretemps des textes, avec le fleuve vautré dans sa lassitude féroce, gourmande. Ce sont des temps somnambules, nos actes ressemblent à des actes, mais ils n’en ont plus la vérité, comme si le rêve était clivé, ou troué par la lame du soleil. Ou de l’insomnie.
On reste dans le passage, dans les couloirs du jour avec des portes à l’infini, des portes closes. Et le fleuve qui coule dans son infinie indifférence hautaine. Notre maladresse importune les silences, car ici, dans le passage, ils ont changé de nature, d’humeur. Ils nous regardent, ils nous désignent. Certains nous accusent.
Après le passage. Un autre mascaret. Après… Un autre… Une autre encre…
La hache du texte coupe un peu plus mes amarres.
Je suis en partance pour l’exil.
Un jour, il n’y aura plus de retour possible.
Un jour, cela sera la disgrâce…

Franck.

26 juillet 2020

Les oies sauvages...

 

Les oies sauvages emportent dans leur vol vigoureux les restes des saisons, avec les chants, les promesses. Leurs cris déchirent les restes des amours. Les oies sauvages vont vers le nord, la fin des terres, la fin des temps. Vol des défaites, des après. Vol d’ombres dans un ciel indifférent. Les oies sauvages creusent nos désirs, dépouillent nos dernières espérances.
Ce qui fascine dans le vol désespéré des oies sauvages, c’est cette énergie, cet entêtement. Cette folie. Ces cris sans visages.
Rapides et immobiles, comme les grands voyageurs, les oies sauvages, qui partent vers le nord, ne touchent plus terre, elles appartiennent au ciel.
Irréparablement.

Elles disparaissent peu à peu, effaçant leurs traces avec leurs cris, dans l’infini qui les dévore.

Franck.

19 juillet 2020

Asphyxie...

 

Revenir sur l’errance. Comme une boucle infinie. Un sentier qui perd sa trace. La route s’absorbe dans la fin d’un rêve. Dans les glissades de la fin d’un rêve. Partir sans jamais arriver. Puisqu’il n’y a pas de lieu. Jamais. Sinon les lieux de la route empierrée de l’âme. Sinon les chaos des heures puis la défaite des jours.
J’ai mis le ciel dans mes yeux, au plus près de mon sang. J’ai fait briller des étoiles au plus près de mon ventre. Il m’est arrivé de prier des dieux en exil. J’ai soufflé dans les couleurs des fleurs pour éclairer ma nuit. Je crois même avoir pleuré, certains soirs, sur la peau de quelques souvenirs. J’ai surtout jeté des mots au hasard.
Faire de l’égarement le seul chemin, le seul recours.
Sur la route de l’errance, il me faut sans cesse passer entre deux grandes statues. La blanche, et la noire. L’amour, et l’insondable solitude, puis consentir à ne pas entendre leurs chants, consentir à baisser les yeux pour ne pas bruler les derniers souffles. Baisser les paupières du cœur pour appeler à mon secours les silences du pèlerin.
Puis consentir, comme un adieu aux armes vaines.
Avancer les paumes ouvertes, les paupières baissées.
Ici, c’est une mer de verdure sévère. Une verdure de tempête. Une verdure de gros temps. Les bois viennent mourir dans les champs en écumant leurs dernières branches. Sans rage, mais dans la puissance sereine des grandes marées. Des embruns de verdures s’éclatent dans les deniers rayons d’un soleil d’automne moribond. Un soleil épuisé de ses feux. Appauvri de sa gloire. Au bord du naufrage. Lui aussi voudrait prier. Lui aussi voudrait consentir. Mais ses forces se résignent. Alors, il abandonne une lumière pâle, si pauvre. La lumière des fins, et des promesses déshabillées.
Je suis ici le temps d’une escale. Entre deux vies. Entre deux souvenirs. Comme au temps des oasis, et des grands déserts. Je suis dans l’antre de moi-même juste au-dessus de l’os. Que je voudrais curer une dernière fois. Le blanchir de mes mots. Encore.
Ici, c’est une verdure immense, massive, impossible à décrire. Un paysage peint au couteau avec de larges trainées de couleurs épaisses. Des monts, des vallons comme une grosse mer houleuse. Je flotte.
C’est quoi flotter ?
Le flottement, c’est toujours le risque de l’errance, c’est souvent être rejeté sur des rivages inconnus. Le moment entre les lieux. Même entre les lieux du corps. Dans l’absence de soi. Dans ce mouvement qui tire vers l’extérieur. Dans un lointain. Dans un lointain sans forme, sans bornes. Comme une chute. Je flotte dans un mouvement inconnu d’où ma voix ne sort pas. C’est un silence cassant comme l’oubli. Ce n’est pas un exil. Le flottement, c’est un oubli. L’exil nous tient dans la tension, la colère, le ressentiment, la trahison, l’injustice. L’oubli n’a pas de forme. On est sans lieu, sans autres. Suspendu. Vidé du sang. Bousculé par les mouvements erratiques des heures, des humeurs, des regards. Comme une hémorragie, une perte de substance. Avec cette envie de hurler, de crier. Toute cette réingurgitation comme s’il fallait ravaler sa vie. Chaque heure, chaque jour. Là. Dans ce lieu hasardeux, sans frontières. On voudrait appeler, s’ancrer dans la chaleur d’un regard. Mais le flottement est un lieu qui n’existe pas, où nul ne peut vous voir… Sans secours.
« À quelle station t’arrêtes-tu ? » « Là-bas… Plus tard… Là-bas… » « La prochaine ? » « Non ! Jamais la prochaine… Mais l’ultime, l’extrême. Je suis de la dernière station, de celle qui vient après toutes les autres. Au-delà des voies… Là où nul passager ne monte. Je suis du pays des landes, des bruyères froides du cœur, des grands champs de neige, des océans glacés, car mon ciel est traversé par le vol singulier des oies sauvages qui vont vers le nord. »
Pourquoi cet effondrement, cette coupure, ce glissement des chairs de l’œil et de l’âme, ce frottement de l’absence sur les mots de la langue, cette parole qui ne sait plus s’arracher ?
Ici, dans cette verdure brutale, il y a quelque chose d’écrasant. Une présence absolue.
Alors, je marche. Pour m’arracher au flottement, je marche. Je marche, comme j’écris. Pareil. Pour retrouver le corps, le souffle. S’immerger dans ces forêts grandioses. Comme écrire. Pareil. Le corps qui s’arcboute dans l’épuisement des muscles. Comme ces mots déterrés, extraits de mes restes. Le corps qui retrouve sa puissance. Sa rage vitale. Sa survie dans la douleur des muscles asphyxiés. Comme la prière offerte aux lèvres d’un mourant. L’extrême tension du corps. Ces noces obscures du silence avec la solitude. Marcher sur ces pentes infinies couvertes de forêts drues. Comme écrire. Souffrance primitive et sauvage du corps dans le vrai sang des muscles. Souffrance sans recours. S’arrêter. Continuer, trouver la limite. Être dans la limite. Même au-delà. Ces marches épuisantes ne sont plus un effort, mais une lutte.
Comme écrire.
Quelque chose se rassemble, là, dans un instant qui efface tout. Tout. Monter encore, pour finir. Rechercher la pente la plus droite, la plus éprouvante, la plus absurde. La plus féroce. Comme écrire, rechercher le geste le plus droit. Maintenant, mes pieds, mes mains s’accrochent. Mes genoux aussi. Ne pas glisser. Ne pas perdre les mots, surtout leurs lumières. Coller à la paroi de cette montagne. Coller toujours aux battements du cœur, du sang, , qui jaillit dans mon corps. Comme écrire. Étendre Projeter mes membres sur la pente vers une douleur plus grande, plus absolue. Le corps collé. Hors de moi, mais totalement moi. Dans la rage. La colère. S’arrêter. Impossible. Fixer un point là-haut, pour y jeter ce qui me reste de souffle. Même la mort est vaincue dans cet effort insensé. Simplement l’instant qui rassemble tout. Qui aggrave tout. Tout ce qui restait au fond de ma mémoire. Être dans l’instant du premier geste. Du seul geste. Comme la phrase qui s’arrête parce qu’elle attend du silence une consécration. Fixer un autre point. Un arbre, une pierre, une branche, une souche. Toujours la rage pour survivre à l’essoufflement, au feu du corps. À l’incendie qui brule ma tête, ma poitrine. Comme écrire. Comme aimer. Et gagner une fois de plus sur l’errance, le flottement. Comme écrire.
Comme aimer.
Maintenant, le sommet, et son ciel.
Maintenant, le sommet, son ciel, comme un port après la traversée des mers. Comme un port qui sacre le voyage.
La fin sans la fin. L’arrivée qui invente un retour.
Un possible.
Comme écrire ou prier. Ou simplement pleurer comme un enfant. Sans raison. Sans saison. Seulement à cause de la lumière, de cette joie incoercible d’être en vie. Le corps détruit de souffrance, mais rayonnant d’avoir survécu à l’asphyxie. Comme écrire. Comme écrire.

Franck.

5 juillet 2020

Le flot...

 

L’eau du texte s’infiltre dans mes veines, lent fleuve de fatalité mystérieuse et obscure. L’eau lourde du texte cherche son issue, son océan. Mon corps est une terre ravinée, usée, qui s’épuise dans le flot. Alors le flot lent cherche la nuit, le flot lent traque les ombres. Le flot lent engloutit des cités entières. C’est le flot du texte, fait de chaos, de débordement, de son invincible poussée.

Franck

28 juin 2020

Un cygne...

Car il faut savoir que j’ai vu sur la lisière de mon sommeil un grand cygne écarlate. Un grand cygne s’avançant en silence. Un incendie sur les eaux. Un grand cygne écarlate comme si l’eau lentement s’embrasait.
L’embrasement et l’étreinte.

Franck

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