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J'irai marcher par-delà les nuages

10 octobre 2021

L’orage…

 

Entre l’éclair et le tonnerre git un espace de temps. Quelque chose est suspendu. L’attente urgente. L’imminence. La menace. La fatalité.

L’image éclate à la vue. Le temps se tord, le vacarme arrive, comme s’il arrivait d’une autre dimension.

D’abord, le bruit du ciel est sourd, lent, invisible, le roulement est lointain. L’oreille s’alerte, l’œil ne voit rien. Le corps se met à l’affut. Après, l’orage est là, et les choses s’inversent. D’abord, la vue, après le craquement. Les sens se perdent dans cette désynchronisation.

Entre les deux phénomènes, l’un auditif, l’autre spéculaire, quelque chose se passe en nous. Quelque chose nous rassemble, nous retient, nous brule. Au bout du compte, nous augmente. La conscience s’aiguise. Nous savons, en même temps nous ne savons pas. L’immédiateté fait défaut, il subsiste un écart, alors cela nous plonge dans la stupeur. Ce temps d’écart n’est pas un temps vide. C’est un temps d’extrême agitation, parfois de peur, pas toujours. L’univers fait un pas de côté. Il nous requiert, et pourtant, dans cet écart même, nous ne sommes pas là. Nous nous absentons.

C’est le temps de l’écriture. Le juste avant, le juste après, l’entrebâillement du temps. Le passage entre deux dangers, entre deux catastrophes. Il n’y a pas de nom pour ce passage. Pas de nom pour cet espace de temps. Le monde défusionne. Il se sépare. Ce trou dans la langue, ce manque à dire permet à l’écriture de passer. C’est le temps du surgissement. Le coin dans le bois qu’il déchire.

L’écriture nous vient de cette désynchronisation des sens, du défaut de la langue pour nommer ce temps singulier. Quelque chose est à dire. Nous ne savons pas quel mot convient, alors on tente de les dire tous. Il y a un espace pour réordonner l’univers : c’est ce temps chaotique, silencieux, stupéfiant, toujours entre deux désastres.

Franck.

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3 octobre 2021

Trébuchement…

 

Trébuchement. Avec le sursaut pour éviter la chute. Rien du poème n’est prémédité. Quelle que soit la constance mise à la table d’écriture, quelle que soit la patience, le travail. Rien du poème n’est prémédité. Il y a toujours un trébuchement, un sursaut, une contorsion de la parole pour éviter la mort. Encore un peu. Juste un peu. La métaphore ouvre sa corole pour récupérer dans sa vasque les mots dans leurs déroutes. On se croirait sauvé. Pourtant, on se trompe. Mais c’est la seule chose que l’on sait faire. Le poème nait d’un échec.

Au commencement était la perte. Après ce fut le manque. L’attente. Écrire, c’était tenter d’échapper à la perte, au manque, à l’attente, y échapper tout en y revenant toujours. L’écriture reste mon seul présent encombré. La possibilité d’une présence à soi-même. Un évènement imprévisible. Advenir, là, dans cet instant, qui ne vient jamais.

Franck.

26 septembre 2021

Nuit du ventre…

 

Le jour replie sa lumière, tire le grand voile clair avec lenteur, faste, avec le geste large et ample du crépuscule. Le jour se retire emportant dans sa ruine les lambeaux, les hardes usées par le soleil, les images fatiguées, les paysages exténués, toutes ces couleurs éreintées, ces nuances élimées par tant de regards frivoles, irréfléchis. Sans compter la pauvreté de nos regards, l’insignifiance de nos croyances incertaines portées sur les lieux, le monde, les âmes. Capitulation du jour, abandon des vérités éphémères. Déroute de nos fraternités provisoires. Avec nos amours qui s’effilochent, nos amours trop lourdes, impossibles à endurer, impossible à hisser, oriflammes froissées, chiffons délaissés.

La nuit.

J’ai une nuit sur le bord des paupières, et jusqu’au fond de l’œil. Une nuit entre mes mots. Au creux de ma parole. Une nuit ouverte comme une déchirure florissante. J’ai une nuit plantée dans le ventre, une nuit de viscères. Une nuit intestinale. Une nuit archaïque, séculaire. Une nuit d’avant les temps, d’avant les saisons. D’avant le jour. Nuit ouverte et sans fin. Noire. Encore noire. Toujours noire. Flots noirs de ténèbres. Hémorragie d’ombres inquiétantes. Car c’est la nuit que les choses viennent, c’est la nuit que les choses naissent.

La nuit. Sans partage. Vaste lande de solitude et de dénuement. Nuit du ventre. Car nous venons de là. Du ventre et de la nuit. D’un ventre opaque, abondant et d’une nuit interminable. Nuit sans regard. Nuit du chaos décisif. Abyssal. Liquide de nuit. Flottement aveugle de nos peurs. Je suis de cette première nuit qui ne porte pas de nom, de celle qui ne se dit pas, de celle qui s’invente elle-même, de celle qui se prolonge de sa propre épaisseur. Je suis de cette nuit qui s’arrache au néant, de celle d’avant la mort, de celle d’après la mort. Temps cloaque. Temps du bercement. Temps sans mémoire, sans lendemain. Temps élémentaire, informe, brutal. Sans issue. Temps plat de mes premières noyades, de ce premier naufrage. Inondation des gestes, de la respiration dans cette mer saturée de nuit, dans ce débordement d’exigences sans forme, sans mot. Rien. Rien que cette nuit, et ce premier désir confus. Rien, que cette surenchère, que cette excroissance, que cette tumeur d’envie cellulaire. Je suis un débordement de chair, de néant, d’ombres flottantes, une simple exagération de la nuit, une outrance des ténèbres. Je suis la démesure de ce rien, qui s’épuise à s’ennuyer, à vouloir malgré tout. Vouloir comme une fatalité. Un vouloir sans grandeur. Illimité. Monstrueux.

Nuit.

Je suis d’une nuit sans possible. Une nuit bordée d’aucun crépuscule, d’aucune aube. Une nuit sans étoiles. Une nuit effarée. Affolée. Une nuit d’épouvante. De linceul. Une nuit sans rivage, sans continent. Une nuit faite de nuit. Sans autre recours qu’elle-même. Enfantement de nuit. Ombre sur ombre. Agonie sur agonie. Océan sur océan. Pierre sans visage. Pierre tremblante. Pierre recouverte de la peau d’un seul rêve. L’unique soie d’un rêve sans sommeil. Unique viatique pour passer de la nuit à la nuit. Toujours de la nuit à la nuit. L’unique muqueuse d’un rêve interminable. Membrane inquiète du désir.

L’écriture vient de cette nuit, de cette membrane, de cette inquiétude. Écriture du ventre. Écriture intestinale. Écriture ouverte, béante. Écriture qui n’a pas d’autre issue qu’elle-même. Écriture de viscères et d’ombres. Écriture du premier mouvement, qui s’exagère pour se survivre. Car juste après le chaos, se présente le premier mouvement, le premier mot, le seul, celui qui nous nomme, celui qui nous sacre, celui que l’on ne sait pas dire, celui que l’on cherchera tout au long du jour, celui qui s’effacera de nos encres. Mot trou. Mot néant. Mot nuit. Mot d’avant le silence. Mot creusé, excavé, évidé de son sens. Mot océan, au destin des marées infatigables. L’écriture vient de l’impossibilité de dire ce mot, de l’inventer même. Il est pourtant là, gisant dans le sang des veines, à l’affut de nos renoncements et de nos abandons. L’écriture est ce retour incessant au ventre, ce retour à cette première nuit sans forme. À cette première solitude débordante, comme un engloutissement. Alors c’est un désastre. C’est une exaltation. C’est le seul chemin. De nuit. Toujours de nuit. Puisque c’est là que tout s’élabore. Puisque c’est là que tout macère. Nuit, avec son suintement d’aurore. Nuit où les mots se vidangent, du cœur au sang, puis du sang aux premières lueurs du jour. Là où le rien s’effondre un peu plus pour laisser la place à la plus fragile des paroles, la plus faible, la plus vulnérable, celle née de sa propre impuissance à se dire, de cette douleur qui accompagne les résurrections, de ces chagrins accablants, de ces souvenirs poisseux.

Écriture du néant posée sur la nuit, avec juste la peau d’un rêve autour des mots. Juste une membrane frissonnante dans la chair de la langue, juste ce désir comme la première étoile dans le tout premier ciel.

Franck.

19 septembre 2021

Inutile…

 

Que signifie ce temps de l’assèchement des eaux ?
Qu’est-ce qui nous déserte ?
Que nous dit la voix qui se tait en nous ?
Avons-nous si peu d’amour en nous ?
La grâce est ce poids qui nous fait descendre en nous, cela nous allège du monde.
La pesanteur est cette illusion d’être au monde, ce sentiment fluide de collaboration universelle au principe de réalité, de faire de l’ensemble. Être ensemble. Le grégaire rassure, il nous fait monter à la surface de nous-mêmes. La surface, le lieu des reflets. Des mirages.
Je cherche un temps creux. Un temps vide jusqu’à l’ennui. Sentir le poids de l’abandon et de l’exil
Attendre, et savoir que rien ne viendra. Rien, ni personne. Mais attendre. Sentir cette tension accablée en moi. Être défait de tout. Attendre l’attente. Dans la vitre du temps, je vois mon reflet qui s’efface. Tout est silence, sans douleur. Sans tristesse. Sans joie. Mais tout est silence. Sans horizon. Un silence abattu, exténué, dépouillé de lui-même.
Il y a des silences, pleins, gorgés, généreux, des silences glorieux, qui vibrent dans le soleil. Des silences qui font tinter les heures, battre le sang. Il y a ces temps de retrait qui étincèlent parce qu’ils portent une lueur invincible. Il y a cette absence royale, presque orgueilleuse qui dresse en nous un océan sauvage, envoutant, indomptable.
Puis ces silences déshabillés, nus, trop nus, aveuglants, suffocants. Des silences qui s’infiltrent jusqu’à l’assourdissement, acouphène de l’âme, bruissement singulier qui nous fige dans une sorte de sidération. On les sent inutiles. On se sent inutile. C’est pour cela que parfois on écrit.

Franck.

12 septembre 2021

Sans peur, sans mémoire…

 

Il y a des solitudes sans peur, sans mémoire, on s’y trouve comme dans une maison ouverte au vent. Rien n’est là, puisque tout peut y être. Le vent balaye nos temps morts.
Je me souviens du désert. Des premières douleurs dans les premiers regards. Je me souviens de ces longs jours des premières luttes, de ces solitudes encombrées. Du frottement.
Le désert nous éprouve. Plus on le croit beau, plus on s’en éloigne. La beauté est le premier leurre. J’étais loin des solitudes sans peur, sans mémoire. J’étais loin. Mais je ne le savais pas.
Je me souviens du désert, de mes temps discordants, de cette terrible solitude du début.
Pesante incompréhension. Impossible ajustement. La solitude nous réclame en entier, elle ne supporte pas les demi-mesures, les infidélités, les approximations de l’âme. Les pensées du début écorchaient le silence du désert. On le sentait à cette stridence, à cette hésitation dans la marche, au bruissement sourd de l’intérieur.
La beauté nous égare. L’immense nous fascine.
Peu à peu, les sables sont entrés en moi. Bien des pas, bien des nuits plus tard. Bien des vies plus tard. J’avais un désert comme trésor, mais je ne le savais pas. Il m’a fallu user mes peurs, épuiser ma mémoire. Il m’a fallu aller sans but, et me perdre si souvent.
Il y a des solitudes sans peur, sans mémoire, il suffit d’ouvrir sa maison au vent…La première matière de l’écriture.

Franck.

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5 septembre 2021

Ce qui n’a pas de nom n’existe pas…

 

Ce qui n’a pas de nom n’existe pas.
Vivre, c’est nommer. Tout le reste est voué à une longue dérive dans les limbes.
Aimer, c’est nommer. C’est désigner le nom de l’amour.
L’inspiration fait rentrer l’air dans les poumons. Il y a l’échange, la purification des sangs. L’air traverse la gorge. Puis il est pris dans la bouche. Les cordes vocales vibrent. Le nom de l’amour est prononcé. Une fois prononcé, ce nom est inscrit. D’abord dans les chairs. Puis dans le corps. Jusqu’à la peau des os.
Écrire, c’est nommer. C’est nommer passionnément, jusqu’à ce que la langue vienne à manquer. Passer du cri au chant. De la peur à la joie.
Je ne peux atteindre le silence qu’après avoir nommé. Juste avant, c’est la nuit de la nuit. Le chaos. Écrire, c’est vouloir quitter la nuit pour rejoindre le silence. Entre les deux, il y a le nom de l’amour.
Nous sommes tous dans ce voyage. De la nuit chaotique à la nuit silencieuse. Entre les deux, il y a le nom de l’amour. Il faut sortir de la nuit pour pouvoir y revenir.
Nommer, c’est transformer le néant en infini. La frontière du mot créé agrandit l’univers. Dire le nom de l’amour, c’est agrandir l’amour. La pauvreté du mot ouvre sur la richesse de la langue.
Ce qui n’est pas nommé n’est pas vivant. Ce qui brule en nous, c’est le nom prononcé bordé par de vivants silences.
Taire n’est pas le silence. C’est le contraire de l’amour. Ne pas savoir nommer n’est pas l’ignorance, c’est la peur du vivre. Ne pas vouloir nommer, c’est détruire le nom de l’amour.
Écrire, c’est rentrer dans la lumière du nom de l’amour.
Écrire, c’est le surgissement du mot. Aimer, c’est le surgissement du nom. Nommer est dans ce surgissement. C’est faire naitre ce que le silence pourra emporter. Le silence ne vaut que par le mot qu’il contient.
Le poète écrit avec une encre mystérieuse qui s’efface à peine écrite. Les mots s’en vont dans la nuit peupler l’âme des siècles.
Les amants ne connaissent qu’un nom qu’ils prononcent interminablement dans la nuit des corps et de la chair. Le seul nom de l’autre, dit comme une litanie. Ce seul nom qui contient tous les mots de la langue. Cette langue dite avec cette encre singulière, qui s’efface à peine écrite.
Ce qui n’a pas de nom n’existe pas.
Aimer, c’est dire le nom de l’autre. C’est faire un écrin de silence pour contenir l’univers. Le silence d’avant qui est néant, le silence d’après qui est lumière. Deux silences tissés dans la langue.
Écrire est l’histoire de ce chemin qui part d’un silence, et qui va vers un silence.
Un seul silence fait boiter la langue.
Un seul silence fait pleurer la chair.
Deux silences, le premier qui bénit l’autre.
Il nous faudra nommer toutes les étoiles du ciel dans un seul poème pour apaiser la nuit et retourner au silence.

Franck.

29 août 2021

Deux silences…

 

Il y a deux silences qui accompagnent l’écriture : le taire et le vide. Les deux parfois se confondent. Deux univers du manque s’affrontent en nous. Dans le premier,  nous nous absentons de la langue, dans le second, c’est la langue qui s’absente de nous, l’un résiste, l’autre s’effondre, l’un nous vient d’une fatigue, l’autre d’une innocence perdue…

*

L’écriture ne vient que par des trous de silence. Dans ces espaces désertés se dessinent les contours du sens. Le réel est l’envers de ces trous. L’autre rive du ruisseau. Écrire est une traversée.

*

Nous restons une énigme moins pour les autres que pour nous-mêmes.
L’écriture est la langue de cette énigme. Une clé semble possible. Écrire est cette quête.

Franck.

15 août 2021

L’os…

 

Car il est une saison au-delà de laquelle il faut débarrasser la langue des tourments qui l’encombrent, des émotions qui la masquent. Il est un lieu de l’écriture situé plus profond que les chairs : là se tient l’os. Écrire commence à cet endroit. Écrire commence avec la seule confrontation qui vaille, celle des formes obscures, sans nom, avec la langue secrète et mystérieuse de l’os.
Écrire, sans autre projet que d’oser le frottement des ombres, des mots, et de tenter dans la phrase qui se déploie de retrouver les mouvements des siècles, ceux de la mer, du vent, l’inexprimable voix.
Écrire, c’est retrouver une langue qui nous précède.
Dans la désynchronisation du temps, de la langue, dans l’écart, surgit l’écriture, faite d’urgence, et de la folie du vivre.

Franck.

8 août 2021

Le fil…

 

Écrire tend à dire le silence, car lui seul empoigne l’éternité. Ce que l’on cherche dans écrire, c’est habiter un silence sans fin.
Les mots dits ne valent que par ce silence qui les appelle, par ce silence qui les recueille. C’est à ce seul prix qu’au cœur du présent jaillit l’instant éternel.
Il existe un fil, chacune de ses extrémités porte un nom, l’une s’appelle solitude, l’autre se nomme amour. C’est le même fil, celui qui nous sert à tisser la trame des jours.
Il y a quatre mots qui tiennent la vérité du monde. Ils sont reliés deux à deux : la solitude et l’amour, puis le silence et l’éternité. Seul écrire consent à chacun. Seul écrire les maintient brulants.
Écrire sur écrire, c’est aimer en dépit, ou en surcroit, mais c’est aimer encore, c’est aimer toujours…
Le désespoir n’est pas dépourvu de joie…
La solitude n’est pas dépourvue de dévouement…

Franck

1 août 2021

Le perdu de la chair…

 

« Toute l’expérience poétique tend à restituer au corps l’actualité de la naissance, l’instant toujours imminent, toujours prêt à renaitre où le monde extérieur ne faisait pas échec à l’unité congénitale de l’extérieur et de l’intérieur. Ce but physique éclaire toute la poésie. Toute son action est subordonnée à une expérience physique qui ne tient pas compte de la mort, ou qui prétend en épuiser le contenu comme si nous buvions à petits coups notre verre de ténèbres. »
Joë Bousquet : Papillon de neige

Il y a cette expérience du corps, de la séparation. Au départ, existe cette déchirure. Nous naissons d’un arrachement, d’un débordement de sang. Nous étions sans voix, sans la nécessité de la langue. Nous venons d’un premier hurlement. Nous étions chaleur, nous chutons dans le froid. Nos chairs se souviennent. Toute l’écriture tient dans ce souvenir. Dans cette chute. Écrire est cette tentative impossible de dire l’indicible, le temps d’avant la langue. La voix qui parle en moi, c’est ma chair qui résiste, ce sont mes os qui se remémorent.
La poésie n’est pas une langue, elle est seulement le souvenir d’un silence perdu ou plus précisément d’un mutisme perdu. Écrire, c’est résister au temps, c’est tracer une ligne qui relie des mondes irréparablement déchirés. Écrire est une naissance à l’envers. Pas un retour en arrière, mais plutôt un retournement de la chair. C’est installer un silence dans le bruit de la langue, le primordial silence.
La poésie dit toujours la même chose, la défaite des mots, avec la gloire des ténèbres. Elle cherche la sidération, le silence d’avant la suffocation, d’avant les poumons.
La mémoire ce n’est pas le passé, c’est le chemin sur lequel je vais. Elle n’est pas pour autant le futur, elle est seulement la respiration de la chair. Écrire condense les temps dans le souffle.
Le silence a deux faces : la première est l’extase, la deuxième est l’épouvante. Écrire tente d’effacer ce qui sépare ces deux silences, ces infinis qui nous mutilent en même temps qu’ils nous délivrent.
Écrire, c’est le perdu, c’est ce qui manquera toujours à la chair, mais qui la rend supportable, c’est ce qui l’épuise sans cesse, c’est le froid que je sens au cœur du feu qui brule.
On commence toujours par la mort, écrire nous y ramène irrémédiablement.
Le corps est saturé de mort, elle s’écoule en nous, c’est la seule eau qui nous désaltère vraiment.

Franck.

25 juillet 2021

La vie tremblante…

 

Écrire, c’est passer du côté de la nuit. Chaque mot est un lambeau d’ombre, un épuisement, un reste, le balbutiement du néant. Aucun soleil ne se lève aux aurores d’écriture. Rien. Il n’y a que la nuit, celle qui annonce une nuit plus grande encore, celle de nos tombeaux, de nos morts quand le noir s’effondre sur le noir, quand la fin est là, dressée dans le miroir des yeux comme cette ombre plus sombre encore, qui veille sur nous, son aile noire posée sur nos yeux et ses griffes accrochées à nos entrailles.
L’écriture nait d’un singulier mariage, celui de la nuit et du silence.
Écrire nait d’un terrible paradoxe, la mort la plus sauvage au cœur de la vie la plus tremblante.

Franck.

18 juillet 2021

Dire toujours la fin…

 

Écrire, revient toujours à dire la fin du monde. C’est mettre le passé comme horizon, mettre la mort à sa table avec la disparition dans chaque temps du souffle. Écrire, c’est finir, c’est toujours finir, avec assez de joie pour recommencer, inlassablement, dire la fin avant la fin, dire l’insoutenable avec assez d’espoir. Déployer son regard sur la lande, sans frayeur, regarder le désert de la lande, des brumes, du vent, du froid, puis aller, aller sans cesse plus loin, plus au froid, plus au vent, toujours plus vivant.

Franck.

11 juillet 2021

Trois grains…

 

L’écriture trace au large de nous-mêmes les frontières d’une liberté inatteignable. L’enjeu demeure là. Insupportable et jubilatoire. Écrire définit une liberté que nos gestes répudient. Écrire dépasse notre liberté. C’est ce qui vient après. Écrire advient après la traversée du désert, dans un pays qui outrepasse nos gestes, nos jours. On a connu l’esclave, l’homme libérable, l’homme libéré, l’homme libre, seulement bien après, le poète. Le poète nait des mirages du désert. Il nait dans le tremblement de la lumière. D’un étourdissement. Il nait dans ces océans bleus qui surgissent au-delà des sables. Il nait de cette marche insensée vers ce froissement de l’horizon. Il nait d’une folie.
L’œuvre reste dans un temps qui nous est étranger, d’un regard effaré par l’incessante perte. L’œuvre est toujours dans le deuil d’elle-même, elle se déploie sur un linceul.
Les lectures sont de grandes funérailles.
L’incessante perte. Écrire, c’est le mouvement que l’on fait pour se saisir d’un oiseau. Juste le mouvement. L’élan. L’oiseau s’envole à chaque fois. Ce que l’on a voulu saisir s’envole à chaque fois, il reste à peine la trace du geste dans l’air, la trace de ce désir fulgurant, insensé. L’éclat du poème. La perte. Toujours la perte. Un élan qui efface un mystère, qui en ouvre un nouveau. Comme si le geste toujours vain réveillait l’éternité.
Le poème est toujours en retard du prochain. L’écriture trace au large de nous-mêmes les frontières d’une liberté inatteignable.
Le savant demandait : « Que gagnes-tu à écrire des poèmes ? » Le monde des savants est un monde simple. Il est fait de réponses apparemment justes à des questions apparemment importantes. Contrairement au monde des poètes qui lui est fait de réponses apparemment fausses à des questions apparemment sans importance. Le savant ne saura jamais que dans le poème si rien n’est juste tout y est vrai. Le savant demandait : « Que gagnes-tu à écrire des poèmes ? » La vraie question aurait pu être : « Que perds-tu à écrire des poèmes ? »
Que perds-tu à provoquer les gargouilles de la mémoire ? Que perds-tu dans ce cortège de phrases nuptiales ? Que perds-tu dans cette langue constellée de féroces désinvoltures, dans ces soubresauts démesurés, dans ces dévotions infidèles ? Que perds-tu dans ce vagabondage de crucifié, qui longe les lisières craquelées de l’innommé ? Que perds-tu à cette plainte sourde et furieuse ? Que perds-tu à vider ces grandes charrettes d’envoutements ? Que perds-tu dans ces conjurations fracassées, brisées, fendues, dévorées de boues vaincues ? Que perds-tu dans ces fabuleuses absolutions aux coroles béantes et poussiéreuses ? Que perds-tu dans ces danses qui s’abiment dans la soie, à l’ombre des profondeurs béantes ? Que perds-tu… ? Que perds-tu, nom de Dieu ?
Je voudrais tout perdre, même encore plus. Je voudrais tout perdre, qu’il ne me reste rien, hormis trois grains de tendresse au creux de ma paume ouverte, que je tendrai vers Elle. Trois grains de soleil pour éclairer sa part absente. Trois sourires. Trois baisers. Trois aurores buissonnières. Trois calices de caresses. Trois soupirs. Trois silences. Trois fois rien, en somme.

Franck.

4 juillet 2021

Ignorance…

 

Il fallait bien en convenir, le mouvement s’était détaché. Le geste s’était défait. La sidération venait de l’impossibilité à reprendre son souffle. Lente dérive inévitable. L’éloignement de soi à soi. La séparation. Séparé de soi, du geste, du mouvement.
Nous passons une vie à couver l’œuf de la solitude. Nous ne le voyons pas. Il se tient là au creux de chacun de nos jours. Gestation sans naissance. Éventration.
Écrire désigne notre solitude, lui donne un nom. Quel est le nom de ma solitude ? Consentement ? Peut-être.
Nous n’avons que notre mémoire, et la voix qui la dit ne nous appartient déjà plus.
Je flotte sur mon passé, comme un bouchon de liège désespéré. Un passé sans ancrage. L’incessant mouvement des jours qui sombrent chaque jour un peu plus. Je flotte, bousculé par l’écume.
Il fallait bien en convenir, le geste s’était défait.
Quelque chose en soi se refuse à soi. Un rejet, une répudiation. Une nuit qui monte. Noire, toujours plus noire. Une disgrâce.
Un chagrin pèse, mais on ne le connait pas. Jamais.
On est inconsolable, mais on ne sait pas de quoi. Jamais.
Alors, un jour on écrit. Pour parfaire cette ignorance.

Franck.

27 juin 2021

Le temps écrasé…

 

C’est comme l’océan dans toutes ses dimensions. Le temps se déploie non seulement dans l’infini de la houle, d’horizon en horizon, mais aussi dans l’épaisseur de ses abimes. Le temps est long, mais profond aussi. Plus il s’égrène, plus il s’enracine.
Écrire efface les horizons en plongeant vers l’abime. Plus on écrit, plus on s’enfonce vers la nuit. Vers la nuit silencieuse, une lente descente du signifié à l’insignifiable. Du mouvement à l’écrasement. Le temps du texte est un temps écrasé. Un temps sans durée, un temps dans l’épaisseur de la nuit.

Franck.

 

20 juin 2021

Le vieux silence…

 

Au bout du texte survit un long râle inaudible, la forme ultime de l’expiation. Le silence encombré des morts. Le vieux silence n’en finit pas de peser sur les noces obscures de la parole défaite et de l’oubli. Quelque chose dans le texte se refuse dans la longueur d’un long râle inaudible. Dans une lenteur épuisante. C’est peut-être cela le chaos. Le vieux silence et la vieille parole.

Franck.

13 juin 2021

Refus...

 

Il y a dans l’écriture quelque chose qui se refuse au bonheur. Qui maintient la distance. L’écriture se déploie dans ce renoncement. Dans cette absence. Dans cette lande battue par les vents. Écrire, c’est mettre un ciel de solitude entre soi et le monde, pour se sentir assez déshabillé, pour s’en sentir plus proche.

Il y a quelque chose dans l’écriture qui se refuse au bonheur.

Franck

6 juin 2021

La marge des miroirs…

 

Nous écrivons à l’envers des miroirs. Dans l’autre pièce du temps. La pièce vide. Nous écrivons sur des reflets, sur les morceaux éclatés de la lumière, sur l’autre rive des miroirs. Nos histoires ne sont rien, nos vies ne s’écrivent pas… Ce qui s’écrit ne nous appartient plus depuis longtemps. Nous sommes faits de ce que nous n’avons pas vécu. Comme au pochoir. Comme une dentelle qui ne vaut que par les trous. L’essentiel tient dans la marge vide… vide…

Franck.

 

30 mai 2021

Du chaos dans l’azur…

 

Chaque mot du texte est un morceau de solitude. Il est un pays clos, un monde à lui tout seul, qui nous laisse souvent à l’extérieur, un peu démuni. Pantelant.
Chaque mot du texte charrie des âmes mortes. Nos âmes mortes.
Chaque mot du texte devient Charon qui nous fait payer cher la traversée du fleuve. L’oubli. Il réclame son dû, sa part de vie tremblante, sa part de chair écarlate.
Chaque texte est une nef vagabonde sur les eaux noires. Vacillante. Toujours au bord du naufrage.
On regarde l’écran avec la forme de la page blanche. Le clavier, avec les lettres. Un champ de bataille de lettres inanimées. Le chaos.
Au départ, c’est toujours un chaos. J’ai toujours ce sentiment de chaos. L’ordre du monde est une apparence, il suffit de souffler dessus pour que la confusion se révèle.
Écrire nous donne l’illusion d’une mise en ordre. Au chaos du monde, j’inscris mon propre chaos. Écrire est d’abord une désunion. Aux rumeurs du monde, ma voix étouffée s’ajoute. Du bruit sur du bruit. Du chaos sur du chaos.
La cathédrale de pierre s’élève. Les architectes voulaient le plus grand, le plus puissant pour dire la foi. Le plus haut pour la citadelle de prière. Vaste maison de pierres, de lumière, de lourd, d’impalpable. De pesanteur, de beauté. D’ordre. Tout autour de l’édifice, un peuple de statues, dressé dans la rigueur de la pierre taillée dans l’éternité. Un peuple de saints racontant l’histoire de l’humanité, les peurs, les faiblesses de l’homme, racontant l’enfer et le paradis. La grande arche, ce portique en ogive sous lequel la foule passe. Inépuisable cortège de misère, qui passe sous l’ordre de dieu. Puis la foule entre, baissant la tête, dans le grand livre de pierre. L’ordre de l’éternité.
Nous ne pensons que par ennui ou par peur. L’intelligence protège ou tue, c’est pour cela que l’on ne peut pas écrire avec de l’intelligence. Écrire, c’est le contrepoison.
L’intelligence est si peu amoureuse.
L’attente et le rêve. Le rêve qui s’enlise. La patience dans l’indifférence du ciel et des étoiles.
Écrire n’est rien, sinon le chant. Le chant passager. Écrire, reste le sourire de l’ange inscrit dans la pierre de la cathédrale de Reims.
Écrire est une désunion, une désolidarisation. C’est quitter l’ordre du monde pour rejoindre le chaos du vivant. Le chaos de l’azur.
L’ouragan de bleu dans la symphonie des étoiles.
Le sourire de l’ange n’efface pas la pierre, il la rend supportable. Il nous dit : rien n’est sérieux puisque tout est grave. Une tempête d’espérance pour ensevelir nos ombres.
Chaque mot du texte est un morceau de solitude. Il est un pays clos, un monde à lui tout seul, qui nous laisse souvent à l’extérieur, un peu démuni. Pantelant.
Chaque mot du texte charrie des âmes mortes. Nos âmes mortes.
Chaque mot du texte devient Charon qui nous fait payer cher la traversée du fleuve. L’oubli. Il réclame son dû, sa part de vie tremblante, sa part de chair écarlate.
Chaque texte est une nef vagabonde sur les eaux noires. Vacillante. Toujours au bord du naufrage.
Il y a des solitudes là-dedans.
Des tristesses dans la pliure des lettres, à l’articulation des mots. Les élans que l’on espère nous viennent du souffle de nos héros défunts.
Il y a des enfers dans les mots que l’on écrit. Des petits, des grands enfers. Car les mots ont le gout de la fin. C’est leur façon d’être en avance sur nous, d’une saison, d’une vie, d’une mort.
Les mots que l’on écrit ne sont pas des mots, ce sont des comètes. Derrière leur lumière, ils trainent une longue queue de misère. Des cataclysmes. Des mémoires. Le texte est un engloutissement. Il sacre une disparition.
Le sourire de l’ange n’efface pas la pierre, il la rend supportable. Il nous dit : rien n’est sérieux puisque tout est grave. Une tempête d’espérance pour ensevelir nos ombres… et passer à demain… et passer à demain…

Franck.

23 mai 2021

Transitoire…

 

Depuis des jours, je cherchais le mot qui dit ce rapport au silence. J’invente des silences transitoires. Transitoire, c’est le mot que je cherchais. Avec l’idée d’un passage, d’une coupure et d’un passage. D’un changement de rive. De l’extérieur à l’intérieur. Silence contre silence. Silence du monde contre silence de l’âme.
Je passe d’un silence à l’autre. J’arpente. Le silence est la seule musique de l’errance. Car elle n’a pas de lieu, pas de son, pas de nom. Pas de route. Pas de fin.
Écrire est une tentation pour briser les chaines bruyantes du monde. Mais écrire échoue à ce vouloir. Mais écrire le sait. L’écriture est le produit de cette première mise en échec. De ce premier ratage. C’est une tragédie. L’écriture, c’est d’abord le chant de cette tragédie. La geste. L’odyssée. La tentation de relier la voix au silence.
Au tout début, dans le jardin d’Éden, les sons et les silences étaient réunis, ils ne faisaient qu’un. Qu’un seul mouvement. Comme un soleil. Chaque bruit portait en lui sa part de silence, chaque silence trouvait avec aisance son harmonie. Puis Dieu nous chassa. Dieu brisa l’alliance, il sépara les sons des silences, comme si brusquement il créait deux univers impossibles, comme s’il ouvrait en deux un fruit juteux, avec les chairs à vif et le sang qui s’échappe. Blessure inguérissable. Alors, depuis la nuit des temps, il manque un son à nos silences, il manque un silence à nos rumeurs. Il manque un souffle à notre vie, un horizon à nos rêveries. Un sourire à nos soupirs. Une bonté à nos désirs.
Cette séparation fut la signature du manque. Le manque fut la signature de nos vies. L’incomplétude.
Nous reconnaissons dans l’Autre cette part de silence ou ce timbre, cette tonalité. L’accord. Nous lui implorons ce tumulte qui fécondera notre silence.
Je passe d’un silence à l’autre. Toujours en retard d’une harmonie. Transitoire. Avec l’idée d’un passage, d’une coupure. D’un changement de rive.
Mais je ne suis pas d’une rive, je suis d’une traversée. Écrire reste ce voyage. Je ne suis d’aucun port, d’aucun aboutissement. Je ne suis que navire. Je ne vis que de vent, d’horizon, que d’écume et de sel. Je ne connais la route que la nuit, en suivant les étoiles.
L’écriture nait de la confrontation d’un vacarme et d’un silence. L’écriture nait dans ce frottement. L’inscription silencieuse de la voix. C’est une lutte, comme la vie et la mort. J’écris en silence, dans un monde bruyant. Me taire dans les bruits de la ville. Me taire au milieu de ces grognements, de ces rumeurs, de ces vociférations. Écrire là, dans cette opposition, dans ce contraste, qui révèle le lieu de la charnière, ma jointure au monde. Mon inconciliance. Être là, mais s’absenter. L’écriture nait de mon silence, du vacarme qui l’entoure, de ma solitude et de l’agitation autour. Car mon absence n’est pas un retrait, c’est une sorte de réfutation, de contestation. Une façon de lutter contre l’écrasement. Imposer, même modestement, mon taire au monde. Peut-être un refus aussi. Ou simplement la marque de l’impossible.
Je passe d’un silence à un autre. Car mes silences sont transitoires.
Un jour, le silence sera complet, le monde et l’âme se tairont. Silence avec silence. Ce sera le temps de la contemplation. Le temps dépouillé. Illimité. Les rives seront débordées. Il n’y aura ni livre, ni mot, ni geste, simplement le monde avec le souffle. Il n’y aura plus d’écriture puisque tout sera dit dans la présence et dans l’instant. Il n’y aura que le monde, et cette étonnante brulure. L’inverse de la mort.
On reconnait la mort à son vacarme, à son impossibilité d’accueillir le silence, d’en faire l’offrande gracieuse. L’accord des silences est le don ultime du vivant au vivant.

Franck.

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