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J'irai marcher par-delà les nuages
31 juillet 2022

La voix...

 

Il y a une voix qui vit dans l'écriture. On reconnait l'écriture à cette voix singulière, étrange qui l'abrite. Lorsque nous lisons, nous entendons parfois cette voix. Elle n'a rien à voir avec l'oralité. C'est une voix. Elle semble sortir d'un feu obscur, d'un feu sans âge. Écrire, c'est faire parler cette voix en nous, ou par nous, sans savoir si elle nous appartient, ou si elle vient d'un ailleurs mystérieux. Elle semble précéder le texte, sans jamais être tout à fait le texte. C'est dans cet à-peu-près, que la stridence se produit... Alors, le poème peut naitre...
Au moment de l'écrire, c'est elle que l'on appelle dans le dédale des souvenirs, des mots, des sonorités. Elle habite en nous, comme la trace d'un passé lointain, comme le témoignage d'une humanité révolue, ou d'une autre à venir... La voix en nous qui se fraye un souffle dans le chant du texte, nous inscrit dans l'ordre des générations. C'est l'humanité entière condensée dans un murmure immémorial.
Toutes les scansions, les ruptures, les silences, tout ce qui ponctue, tout ce qui construit le rythme, la couleur, n'est que la danse rituelle pour inviter la voix... Dans l'écriture, existe le partage d'un feu, d'une peur et d'un chant pour apaiser la peur... Dans écrire, résiste une offrande...
Avant le livre, avant l'écriture, d'où venait la voix ? Où se cachait-elle ? Écrire, c'est retrouver le chant du monde, la première grotte, le premier feu, les premiers tremblements, les premières prières...
La voix qui parle en nous ne nous appartient pas, elle nous traverse, nous devons la faire passer, la transmettre, comme un feu sacré...
Elle ne dit rien, elle ne dit que la mémoire des siècles...
Elle ne dit rien, elle ne dit que mon dénuement et mon déchirement...

Franck.

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7 août 2022

Avant le labour...

 

Au pied de l'écriture, on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Avant, survient ce temps d'arrêt. Le monde est contenu dans ce temps d'arrêt. Le laboureur regarde l'étendue devant lui, il la sent déjà dans ses mains, dans ses épaules. Déjà, il est chair de terre. Là, dans l'avant. Il n'a déjà plus famille, plus d'âge, plus de nom. Là, le laboureur ne sait plus rien de sa vie. Il respire profondément, déjà il cherche les sillons dans son sang, il appelle l'effort, la douleur, il appelle ses muscles. Alors, il regarde l'horizon puis il respire profondément au pied du champ, au pied de sa peine, au pied de sa misère et de sa gloire.
Alors les senteurs remontent de la terre en attente, des odeurs de siècles, de vie, de mort.
Le laboureur au pied de son champ est seul. Toujours. Car c'est l'œuvre répétée de sa vie. Il est seul, sans personne, sans dieux. Il est simplement avec sa désespérance mêlée de singulière impatience. Il est seul, traversé par les violences, les révoltes, traversé par un océan instable, immense, et pourtant incertain. Il respire profondément. C'est l'instant de la terre. Maintenant, les prières sont épuisées.
Dans l'avant, la terre est sans miséricorde. Elle est encore sans promesse, elle est là dans une absolue présente. Elle attend. Elle attend les larmes, la sueur, elle attend un sang qui la sacre, elle attend le geste assez droit, assez pur pour se mettre à trembler. C'est le temps de l'avant. Le temps arrêté de l'avant. Un temps sans partage. Mais un temps découpé par le couteau d'une solitude étincelante et verticale. Le temps de l'avant est un temps sidéré. Un temps sauvage, qui précède le cri, qui précède la rage.
À chaque respiration, le champ grandit. Alors, le laboureur respire de plus en plus profondément pour que le champ qui grandit sans cesse puisse envahir sa poitrine. Y faire pénétrer chaque sillon à venir, chaque pierre à briser.
Vaincre le champ, ou périr sous la terre.
Déjà, il ne peut échapper à son champ. Déjà, il n'y a plus de retour. Si le laboureur se saisit d'un peu de terre pour la porter à ses lèvres, c'est plus pour l'embrasser que pour l'éprouver, s'il pleure, c'est plus par débordement que par chagrin. Car le laboureur ne connait du désir que le frottement âpre et rugueux du manque. Il ne connait du destin que l'horizon de son champ.
Au pied de l'écriture, on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Debout, droit sur sa terre comme le capitaine qui sait la tempête, avec sa cruauté inhumaine. Debout, droit, pesant déjà d'un surcroit de chair, d'os, d'un surcroit de vie. Lourd comme un titan et pourtant fragile comme un cristal.
Alors, arrive ce temps de l'avant, ce temps débarrassé de toute intention, ce temps pur de l'amour.
Alors le premier mot rentre dans la terre, ainsi que le premier pas de danse.
Le premier mot perce de la terre, avec le gout d'un sang nouveau.
Le champ n'est plus un champ, il est supplique.
La terre n'est plus la terre : elle est voyage.
Les heures brillent désormais comme des constellations.

Franck.

14 août 2022

Le sillon...

 

Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n'écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu'il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C'est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s'épuisant.
Toujours, ce qui fascine, c'est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L'imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement.
Écrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. Vaine, donc indispensable. La forme produit du sens. Le laboureur le sait bien, lui qui s'applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Ainsi, de sillon en sillon, toujours le même, à chaque fois toujours différent. L'épreuve renouvelée sans cesse. La grâce des saisons. Car la puissance de la récolte tient à ce consentement à l'harmonie de chaque sillon. La perfection du trait.
Le gout du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croute de la terre pour en faire apparaitre la mie. Chaque sillon est l'histoire d'une vie. Chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts.
Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure, de précaution. Le geste est puissant dans l'élan, léger dans sa sollicitude, puisqu'il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coups, sans arrogance.
Car le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte, et pain. La forme du champ appelle la veillée, les ombres, le silence du repas partagé. Car le pain a la couleur de la terre, et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Elle porte une croissance qui la dépasse, qui l'anoblit.
Le champ est beau des moissons qu'il soulèvera. Mémoire de la terre dans les feux de l'été. Le texte tient debout par un sens qu'il ignore. Le texte brille de ce qui n'est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.
Les champs de blé nous émeuvent parce que l'on entend dans leur crissement, l'été, le souffle du laboureur qui a retourné cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons.
Ce qui nous plait dans le balancement des épis, c'est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l'or du champ, c'est le souvenir de cette terre nue, noire, cette terre hachurée, éraflée, blessée. Ce qui nous saisit dans le texte, c'est la qualité du silence qu'il tisse avec nous. Comme si l'important n'était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots, le silence du laboureur attelé. Des contretemps, dans le temps des saisons. Ce gout de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.
L'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.
Tous les jours, recommencer à enfiler le harnais pour tirer. C'est pour cela qu'écrire n'est pas une activité heureuse, puisque c'est un ouvrage sublime.
Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n'écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu'il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C'est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s'épuisant.
Le navire désempare les ports à chaque coup de vent. Il invente la mer, c'est le sens du voyage. Un autre temps. Les chronologies sont désarticulées. Le texte avance dans le temps de la mer, dans son oscillation, ses remous. Car s'il rêve d'un port, ce n'est qu'un rêve, qu'un prétexte. Sa volonté de navire est de bourlinguer sans fin. Les navires n'appartiennent pas à la terre. Plutôt ils n'appartiennent pas à « une » terre. Car ils les condensent toutes. Ils sont les plaines, les montagnes, les fleuves, ils sont toute l'histoire de l'humanité, jetés dans un seul mouvement en avant, dans un unique élan ininterrompu. Un navire, c'est une galaxie qui dérive, qui avance. Ainsi, le texte qui progresse sur un océan d'ombre.
Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Entre les deux : l'océan. L'océan et le chant des baleines.
Avec l'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.

Franck.

17 octobre 2022

Les oies sauvages...

 

Les oies sauvages emportent dans leur vol vigoureux les restes des saisons, avec les chants, les promesses. Leurs cris déchirent les restes des amours. Les oies sauvages vont vers le nord, la fin des terres, la fin des temps. Vol des défaites, des après. Vol d'ombres dans un ciel indifférent. Les oies sauvages creusent nos désirs, dépouillent nos dernières espérances.
Ce qui fascine dans le vol désespéré des oies sauvages, c'est cette énergie, cet entêtement. Cette folie. Ces cris sans visages.
Rapides et immobiles, comme les grands voyageurs, les oies sauvages, qui partent vers le nord, ne touchent plus terre, elles appartiennent au ciel.
Irréparablement.
Elles disparaissent peu à peu, effaçant leurs traces avec leurs cris, dans l'infini qui les dévore.

Franck.

 

7 novembre 2022

L'entretemps...

 

Chaque texte nous laisse dans le passage. Un éternel passage. Sans rive. Être là. C'est tout. Toujours partir, et ne jamais arriver. Là. Dans le courant d'air de la vie. Les volets battent, les portes claquent, mais le texte nous laisse là. Entre. Pantelant dans le passage. Lourd. Sans aisance. Estropié du désir.
Les textes sont des orphelins. L'espace d'un instant, on a cru pouvoir leur offrir une famille... Puis ils nous quittent, alors on reste dans le passage. C'est désormais nous l'orphelin à secourir. Le texte nous a seulement accueillis un court instant dans sa famille de mots, sa famille turbulente, bruyante. Après, cette famille nous quitte.
Alors l'on reste là, dans le passage encombré de désordre, de silence.
On sait que l'on ne sera d'aucune famille, d'aucune fratrie.
On appartient déjà à la ruine, au désastre.
Le texte ne ment pas, il nous promet la solitude, il nous la donne. Comme une fleur rouge sang. Il l'incruste même. Il la grave, de peur que l'on oublie que c'est nous qui l'avons sollicité. Elle devient notre nom.
Alors, nous restons dans le passage. Entre les portes du désir. Coupé des horizons. Immobile entre deux mouvements, entre deux élans. C'est ainsi depuis la nuit des temps. Car la nuit des temps demeure le lieu du poème. Toujours. La nuit. Après le passage. L'entredeux.
L'attente.
L'inquiétude.
On ne ressort pas complètement indemne des mots. Avec cette double sensation. D'accroissement et de perte. La douceur, la violence. Comme dans le vertige. L'aggravation d'une pesanteur.
Pendant le texte, les atomes de la vie sont portés à incandescence comme dans l'amour quand les corps s'effleurent d'insouciance, d'oubli, ou quand ils se cognent l'un à l'autre dans l'abandon ou l'ivresse. Comme dans l'amour où brusquement on sait qu'il n'est plus question de douleur, mais de débordement où l'extase décide de ne plus descendre, mais au contraire de monter.
Le mascaret ride le fleuve comme un frisson de jouissance. Le texte nous a défaits du temps. Jeté hors des doutes, il nous a pris la main, le cœur, pour nous faire traverser l'infini à la perpendiculaire de nos passions, dans la diagonale de nos souvenirs. Le texte réinvente la géométrie de l'espace, du corps, et de son poids de chair tremblante. Dans les angles se trouvent l'ombre, le souffle. Les parallèles se rejoignent sur les lèvres des rêves. Les ellipses nous réchauffent de leurs foyers majestueux.
C'est un temps simplifié où les équations retrouvent leurs inconnues. Car les ondes ne vibrent plus. Elles ne font que chanceler, que frémir, elles n'oscillent plus. Elles ne font que se balancer comme les roseaux dans la brise d'été.
Le mascaret redresse le fleuve de sa langueur chagrine.
Juste après le texte, la droite se raidit, l'infini se relativise, les parallèles s'assagissent, se mettent à bonne distance l'une de l'autre, comme des inconnues qui se toiseraient de haut. Les perpendiculaires s'ennuient à nouveau, et l'ombre quitte les angles morts de la vie pour se répandre en obscurs savoirs.
Après le texte, c'est le temps des redites, des pensées sur la pensée, des constructions fragiles. Après le texte, c'est le temps des insectes. Temps mesuré, sans ambition, sans imagination, qui ne sait que finir.
L'entretemps des textes, avec le fleuve vautré dans sa lassitude féroce, gourmande. Ce sont des temps somnambules, nos actes ressemblent à des actes, mais ils n'en ont plus la vérité, comme si le rêve était clivé, ou troué par la lame du soleil. Ou de l'insomnie.
On reste dans le passage, dans les couloirs du jour avec des portes à l'infini, des portes closes. Et le fleuve qui coule dans son infinie indifférence hautaine. Notre maladresse importune les silences, car ici, dans le passage, ils ont changé de nature, d'humeur. Ils nous regardent, ils nous désignent. Certains nous accusent.
Après le passage. Un autre mascaret. Après... Un autre... Une autre encre...
La hache du texte coupe un peu plus mes amarres.
Je suis en partance pour l'exil.
Un jour, il n'y aura plus de retour possible.
Un jour, cela sera la disgrâce...

Franck.

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17 novembre 2022

L'ininspiration...

 

Ce n'est pas l'inspiration qui vient à nous manquer. Elle ne compte pour rien. Ce n'est pas l'inspiration, mais la volonté acharnée de vivre. Un vouloir. Un noir vouloir à vivre encore. Mourir un peu plus loin, un peu plus tard. On écrit toujours dans un après, non par inspiration, mais dans l'extension d'un temps inhabitable. Écrire commence lorsque les muses sont mortes. Sur l'octave supérieure de l'abime. Là où le révolu reste encore à vivre. L'accroissement d'un désastre. L'inévitable développement du fini.
Le texte s'obscurcit, non pas lorsque les mots viennent à manquer, mais par renoncement lâche à mon sang. Par concession à l'oubli, à l'ennui. Par ma chair qui capitule, par ma voix qui s'accable. Avec la mort au bout. Lorsque je ne consens pas à bruler assez vite, assez fort. À aimer sans douleur.
C'est le vouloir-vivre qui fait écrire. Le vouloir-vivre nous met immanquablement en face du pire de nous-mêmes.
C'est ce pire qui nous fait reculer.
Les mots se refusent à la mort qui en nous s'avance. À la mort avec laquelle on pourrait pactiser. Le texte s'effondre toujours sous le poids de notre indignité. Les mots ne se rendent pas, ils ne capitulent pas. Ils s'éloignent de nous en nous écorchant pour ne pas avoir été dits. La mort ne les capture jamais vivants. Ils sont libres. La prison est pour nous.
Au moment d'écrire, nous sommes un nœud de relations, un nœud de forces dont les plus importantes tentent de nous broyer. La dignité de l'écriture réside dans cette lutte étrange, presque invisible entre nos désirs contradictoires et le brasier du sang. C'est de ce frottement que nait le texte. De cet écrasement vaincu.
Écrire touche aux confins de l'univers, pour essayer de les dépasser, c'est le geste des dieux qui tracent un grand cercle de feu dans lequel ils jettent les galaxies dans un grand éclat de rire.
Alors, ce n'est pas l'inspiration qui vient à manquer. C'est notre bras qui tremble. C'est la vie qui reflue en nous. Un continent qui recule, qui s'efface. Une mer vaincue qui ne survit plus aux marées d'équinoxe. Le soleil peut alors se lever sur la vacuité de nos jours.

Franck.

16 décembre 2022

Hormis l'horizon...

 

Écrire, c'est le moment où l'on n'écrit pas. L'instant qui sépare deux mots. Deux phrases. Deux chapitres. Deux textes. C'est l'élan qui cherche à se survivre. C'est cet élancement de tout le corps dans l'espace inconnu qui sépare les mots de leurs cortèges de sons, d'odeurs, avec le glissement du sens dans la recherche d'une couleur plus juste, un saut plus net dans le vide toujours recommencé. Toujours à inventer.
Avancer dans les mots, c'est comme avancer dans l'amour. Puisqu'écrire c'est déjà aimer, c'est encore aimer. Écrire, c'est cette hésitation brulante qui nous pousse comme une fatalité à rechercher le plus clair de notre eau, c'est faire la place à cet Autre de l'amour qui nous suit en silence dans l'ombre de nos gestes, sur la pente de nos actes, jusque dans la plus intime de nos pensées ou le plus secret de nos rêves. C'est la paume des heures.
Écrire, c'est accueillir, cet autre de nous. C'est cela consentir. Puisqu'il ne s'agit pas d'être sauvé, mais le plus souvent d'expier.
Puisque rien n'est donné hormis ce chemin sur lequel je marche, et qui me mène d'un mot à l'autre, de silence en silence, de peur en peur. De l'eau sur de l'eau jusqu'aux marées d'hiver. Puisque rien n'est donné hormis l'horizon...

Franck.

30 décembre 2022

Ecrire...(encore)

 

Écrire est une épreuve. Toujours.
Cela dit un mystère.
Autre chose que ce qui est dit.
Une vérité toujours cachée, qui se dérobe.
Plus on se croit près. Plus on s'éloigne.
Il y a deux centres, deux foyers comme dans une ellipse.
Choisir l'un des foyers, c'est renoncer à l'autre. S'approcher de l'un, c'est s'éloigner de l'autre.
La poésie dit une vérité autre, quelque chose qui ne serait pas la vérité du poète.
Écrire comprime les temps, les déforme, les rend poreux, et l'âme se faufile dans cette porosité.
Le poète s'y perd. C'est de cette perte inscrite à l'avance que l'écriture nait.
C'est de cet échec.
Alors, on recommence.
Même joyeuse, l'écriture est douloureuse. La main qui porte le mot sait déjà l'inachevable. Il y a une joie obscure qui git, là, pesante, en nous.
Contradiction. Dans le même temps où l'écriture se déploie, apparait une rétraction qui traverse les chairs.
Il y a quelque chose en nous qui sait, mais qui ne dit pas, quelque chose qui dit, mais qui ne sait pas. Dans écrire, il y a comme l'aveu d'un secret que l'on ne sait pas. C'est pour cela qu'écrire a à voir avec le silence. La pénombre. Le murmure. Quand le murmure devient inaudible, alors le chant commence.
Chant sans paroles. Cela résonne, sans raison.
Le chant traverse, transfigure. C'est l'eau de l'âme.
Un surcroit des mots. Le chant vit hors des mots de l'écriture. Le chant n'est que du temps métamorphosé.
C'est la nuit au cœur d'écrire. Invisible, indicible, pourtant...
Écrire appelle l'impossible de l'Autre. La solitude immémoriale, le vide qui me sépare du monde, mais qui dans le même temps permet le monde en nous.
Nous venons d'une déchirure. Écrire dit la déchirure. Uniquement cet instant éternel de la séparation. Vivre, c'est tenter de l'oublier. Écrire, c'est tenter d'y revenir sans cesse.
Alors, on recommence.
On cherche cette joie douloureuse.
La répétition me rapproche de l'immobile, et l'immobile de l'éternel.
Les sillons s'ajoutent. Ce n'est jamais le même sillon, on croit que c'est le même geste, mais les sillons s'ajoutent. Le champ des semailles est à ce prix.
On creuse toujours la même terre, pour autre chose qu'un sillon. Pour une moisson à venir.
Même joyeuse, l'écriture reste douloureuse.

Franck

10 janvier 2023

La voix...

 

Il y a une voix qui vit dans l'écriture. On reconnait l'écriture à cette voix singulière, étrange qui l'abrite. Lorsque nous lisons, nous entendons parfois cette voix. Elle n'a rien à voir avec l'oralité. C'est une voix. Elle semble sortir d'un feu obscur, d'un feu sans âge. Écrire, c'est faire parler cette voix en nous, ou par nous, sans savoir si elle nous appartient, ou si elle vient d'un ailleurs mystérieux. Elle semble précéder le texte, sans jamais être tout à fait le texte. C'est dans cet à-peu-près, que la stridence se produit... Alors, le poème peut naitre...
Au moment de l'écrire, c'est elle que l'on appelle dans le dédale des souvenirs, des mots, des sonorités. Elle habite en nous, comme la trace d'un passé lointain, comme le témoignage d'une humanité révolue, ou d'une autre à venir... La voix en nous qui se fraye un souffle dans le chant du texte, nous inscrit dans l'ordre des générations. C'est l'humanité entière condensée dans un murmure immémorial.
Toutes les scansions, les ruptures, les silences, tout ce qui ponctue, tout ce qui construit le rythme, la couleur, n'est que la danse rituelle pour inviter la voix... Dans l'écriture, existe le partage d'un feu, d'une peur et d'un chant pour apaiser la peur... Dans écrire, résiste une offrande...
Avant le livre, avant l'écriture, d'où venait la voix ? Où se cachait-elle ? Écrire, c'est retrouver le chant du monde, la première grotte, le premier feu, les premiers tremblements, les premières prières...
La voix qui parle en nous ne nous appartient pas, elle nous traverse, nous devons la faire passer, la transmettre, comme un feu sacré...
Elle ne dit rien, elle ne dit que la mémoire des siècles...
Elle ne dit rien, elle ne dit que mon dénuement et mon déchirement...

Franck.

26 janvier 2023

Un peu de poussière...

 

Il arrive à l'alpiniste d'atteindre le sommet. Dans l'écriture, parfois on finit, jamais on n'atteint.
Poussière et souffle. Rien de plus. Rien de moins. Le pitoyable unit à l'invisible du mouvement. Du négligé sur du négligeable. Du rien sur du rien. Évanescence. Insaisissable élan de l'écriture. Des mots qui s'effritent. Poussière de poussière. Inconstance fragile de toutes nos pensées. Moins que du sable, avec ce souffle qui donne l'illusion de la vie. Fécondation poussive des lèvres de l'écriture, glissement de nos expirations autour de nos restes. De la poussière plein la bouche. De la poussière qui tapisse nos poumons. Nos souvenirs. Nos actes. Nos amours passagères. De la poussière au gout de cendres.
Poussière. Pénurie de matière, de solidité. Insuffisance. Grains légers des mots qui s'envolent et qui se perdent sur les chemins de la langue. Errance, vagabondage de nos mots qui s'égaillent, que l'on aperçoit dans les rayons de lumière dans l'agitation d'une danse fébrile. Éperdue. Profusion de manque suspendu, qui recherche les recoins de l'âme, pour s'entasser dans les déserts de l'existence. Les royaumes de la poussière sont les greniers, les lieux oubliés, en dehors des passages, des vacarmes. Quand cette poussière se rassemble, c'est pour quelques poèmes, quand elle se regroupe, c'est pour quelques pages, le temps d'une aurore, puis les mots se désagrègent, sans bruit, sans trace. Les mots traversent la terre sans la toucher, simplement en l'effleurant. Caresse triste d'une parole recherchant sa propre densité, son propre poids, son escale, son havre. Un sourire consentant. La paume d'une main ouverte. Poussière. Nuage d'une matière qui n'est rien. Rien. Un simple passage dans l'air du temps. Une promesse à peine audible. Elle contient toutes les formes, n'en possède aucune. Elle ne fait que visiter le jour, sans s'accrocher aux heures. Elle recherche son souffle, celui qui l'emportera plus loin. Ailleurs. Alors les mots se dérobent sous leurs propres pas.
Mais la poussière se mêle au souffle. Du négligé sur du négligeable. Il y a dans les noces du souffle et de la poussière, quelque chose qui tient du mystère. Le souffle vient apaiser le vulnérable en nous, le douloureux, comme cette mère qui souffle sur la plaie de son enfant pour en effacer le feu, mais le souffle dans son infinie métamorphose encourage aussi la flamme de l'âtre pour lui donner la force, le désir de bruler un peu plus, de chauffer un peu mieux, de survivre plus intensément dans une chaleur renouvelée. Le souffle ponctue la fin de nos peurs en appelant des brindilles de paix. Souffle, voix silencieuse de nos mots. L'armature évanescente de notre parole. Il n'est rien, mais il tient tout, comme le vitrail tient la cathédrale. Il se saisit, en la brassant, de la poussière de nos textes, rafraichissant la langue, inventant des volutes invisibles. Il est la direction de notre errance, le sens de notre persévérance. C'est la source des quatre coins de l'horizon. Il lave, il purifie chacun de nos souvenirs. Il est la première musique, il sera la dernière. Il est le seul langage amoureux, celui d'avant les mots, celui d'avant les mensonges, il est le voile qui habille nos désirs. Il n'est rien, invisible, cependant il nous rend à la lumière.
Le souffle se dévoile à nous lorsqu'il passe sur la poussière. Car c'est lui qui révèle le poème. Il en est le sang fugitif.
Il arrive à l'alpiniste d'atteindre le sommet. Dans l'écriture, parfois on finit, jamais on n'atteint. Au bout des mots, il reste toujours un morceau de rocher inviolé, impraticable. Dans l'écriture le sommet est toujours plus loin, toujours plus haut, toujours ailleurs, c'est la voie mystérieuse de l'écriture, sans doute, sa voie divine. On est à un souffle du but.
Car le sommet s'invente au fur et à mesure de l'écriture, toujours avec un souffle d'avance, toujours avec un printemps d'avance. Peut-être que la littérature réside en cela, dans ce souffle qui maquera toujours à notre dernier souffle. Alors l'on s'épuisera jusqu'à l'asphyxie, jusqu'à l'extinction des mots, jusqu'à l'écroulement de la parole. Jusqu'aux cendres.
À mordre la poussière.
À agrandir l'univers en aggravant la voix.
Il ne restera que quelques poussières d'or entre la joie et la désespérance.
L'oubli dans l'ignorance de l'oubli.
Écrire possède dans sa paume une flamme un peu noire pour dissimuler nos vanités, pour ne jamais oublier qu'oublier, c'est oublier la fin. Car ce qui sauve le dernier souffle, c'est qu'il ne sait pas qu'il est le dernier.
Parfois, dans écrire, on finit. Jamais on n'atteint.
« L'Éternel Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant. » (La Genèse)

Franck.

 

 

8 février 2023

Arbre...

 

Il y a ce rêve : sans doute, veut-il me parler. Me signifier.
Dans ce rêve, il y a un arbre. Massif. Imposant, au bout d'une plaine perdue. Inconnue. Un arbre posé dans le repli de l'horizon.
Je ne me souviens jamais de mes rêves. Là, il y a un arbre. Presque trop grand. Immense. C'est un rêve d'arbre. Quelque chose tire mon écorce. Quelque chose tord ma chair rigide et filandreuse. L'arbre est isolé. Seul. Paysage dépeuplé. Sauf l'arbre. Dans sa lenteur à vivre. Dans sa difficulté à dire. Dans l'étirement engourdi de sa fibre.
Hors de sa forêt, l'arbre ressemble à une tragédie. Une lente lutte, résolue, tricotant de l'éternité dans les mailles inconstantes et inexorables des saisons. Déborder sa chair. Mourir chaque année, et déborder sa chair quand même. Puissance lente, fatale, traversée de toutes les fragilités. C'est un arbre posé au loin comme un vaisseau tendant sa voilure au ciel. Large voilure de verdure argentée.
Je ne sais dire de quel arbre il s'agit. Est-ce un chêne, un orme. Le rêve ne le dit pas. Le tronc est gros, lourd, sculpté de profonds ourlets, d'épaisses plissures, de longues blessures écaillées de temps. Bourrelets de croutes de sève coagulée. Dans le silence de la plaine, l'arbre déborde ses fractures, ses balafres, et chaque saison trace sa marque, sa morsure. Les crocs du temps se plantent dans le bois qui se donne, qui s'offre, et s'épuise, ce bois qui s'appuie sur ses effondrements, qui se redresse de ses propres défaites en tirant sur ses bras décharnés, en saisissant une portion de ciel ou en accrochant ses branches à quelques nuages compatissants. C'est un rêve d'arbre. C'est donc un rêve de solitude. De patience.
Dans le rêve, il a cette plaine de nulle part, puis cet arbre dressé dans son silence. Cette impression de silence dans le rêve. Ce silence, là, maintenant à l'heure de l'écriture. Comme une puissance. Comme une désolation. Quelque chose de la vie qui se survit. Quelque chose de la mort qui persévère. Une mort assidue, endurante, calme. Infatigable. Minutieuse. Avec seulement le vent dans la ramure. Seulement cet élan languissant presque immobile, engourdi par le délaissement, cette tension sans fin. Un épanchement.
Il y a l'arbre dans ce rêve, moi qui suis comme l'arbre. Peut-être dans l'arbre. On ne sait jamais dans les rêves. Je suis l'arbre pris dans mon écorce, et le tourment de mes branches. Comme l'arbre dans son travail d'arbre, à chaque temps du temps, grandir, à chaque cadence, déborder un peu plus. S'étirer au plus bas, au plus profond, pour monter au plus haut, au plus large. Comme la folie d'une chimère déraisonnable. Folie que ce vouloir sourd, douloureux d'aller prendre le silence de la terre, puis à force d'épuisement, à force de débordement, en faire le chant du vent. Rêve. Extravagance. Égarement. Désossement des terres noires avec lenteur, constance, à travers chaque saison. Même les plus froides, même les plus chaudes, même celles que l'on oublie. De siècle en siècle. L'arbre solitaire est comme la nuit, il n'a pas de lieu, seulement l'éternité comme un danger. Il est un dieu déchu condamné au murmure et à la prière. Il est un dieu déchu qui défie encore les cieux, la foudre. La foudre.
À chaque strie, un chapelet tremblant.
À chaque strie, l'incision des jours.
À chaque strie, l'arbre dans sa croissance s'éloigne de lui, il fabrique l'ombre qui l'emportera.
Chaque feuille est comme le déploiement d'un mot.
Chaque feuille récite la vie de l'arbre depuis son début, depuis le premier humus, chaque feuille dans son brouhaha de verdure prépare le long silence de l'hiver.
Chaque feuille est comme un poème qui expire dans le vent. Lente symphonie du dépouillement et de la croissance. Lente symphonie de l'écriture qui se déploie sur chaque strie du temps comme un cœur qui bat, comme une stridence au centre des fibres ligneuses.
Il y a ce rêve. Sans doute, veut-il me parler. Me signifier.
Il y a l'arbre dans ce rêve, moi qui suis comme l'arbre. Un rêve de la permanence, du précaire, de l'éternité dans l'éphémère. Un rêve de lenteur, de pesanteur. Comme une puissance. Comme une désolation. Chaque mot serré dans l'écorce craquelée, venu d'une sève lente. Si lente. Macération lente d'amour. De débordement des chairs du bois, dans cet étirement vertical. Le gras de la terre noire plein les cuisses, le sexe, les bras nus tendus vers un baiser insensé. Amarre tenace et solide où s'ancrent les cieux.
Il y a dans chaque arbre solitaire quelque chose de l'amour qui se dit. Quelque chose du vertical, du lent. Comme une cathédrale. Comme un navire. L'arbre solitaire est toujours un arbre amoureux, toujours. C'est un prophète qui scrute le silence pour s'en faire de l'écorce.
Là, dans sa plaine sans nom, il dompte l'éternel, et il invoque ce qui viendra bien après l'éternel.
Dans le rêve, il y a l'arbre solitaire, droit, dans sa résistance, dans sa paix, dans sa présence pure, comme une grâce
Chaque arbre dans son murissement d'écorce fabrique les saisons. Sa tension vers le ciel cherche une éternité, c'est pour cela que nous y gravons nos cœurs enlacés, pour inscrire nos âmes amoureuses dans la vie du temps.
De la terre, aux constellations.
Car les arbres parlent aux étoiles, les oiseaux et le vent ne s'y trompent pas. Chaque arbre est une passerelle pour les cieux, le plus court chemin vers l'infini.
Lorsque nous posons notre main sur leurs troncs, dans l'échange des sangs, c'est la vie incorruptible que nous cherchons, c'est l'évidence d'une révélation. C'est l'instant brutal multiplié jusqu'à la fin des temps.
Les arbres ne meurent pas, c'est ce qu'ils nous apprennent lorsque nos lèvres se posent sur les oreilles de leur écorce. Un et innombrable. Comme une présence irréductible. Seule la foudre les fait faillir, ou la hache.
Les arbres sont faits d'attente patiente, de solitude déployée en saison, ils sont le chant des siècles, le reposoir des dieux.
Écrire, c'est faire de l'arbre. C'est murir sous l'écorce de la parole, la saison à venir. C'est faire du temps, dont les mots sont les graines. Écrire, c'est faire de l'arbre, c'est réunir la terre et le ciel en dépliant chaque mot avec la persévérance du bois, c'est étendre le texte en tronc, en branches, en ramures, jusqu'aux feuilles, jusqu'aux fleurs, c'est tendre ses fruits en offrande.

Franck.

 

 

27 février 2023

Les quatre matières...

 

Il faut revenir sur les quatre horizons du texte. Les quatre éléments. La matière. Pas le sujet. La matière. Le texte n'est en rien sorti de la pensée. Pour se poser, le texte a besoin de s'alourdir, de traverser la matière, la consistance d'une matière. L'imaginaire a besoin de s'incarner d'abord dans un élément, que cela soit l'eau, le feu, la terre ou l'air. L'imaginaire sort en droite ligne du cerveau reptilien. De cette adhérence fondamentale au monde qui nous entoure. Nous étions pierre, terre, sable, puis nous les avons quittés. Nous étions sources, ruisseaux, fleuves, océans, puis nous les avons quittés. Nous étions feu, incendie, soleil, puis nous les avons quittés. Nous étions brises, ouragans, tempêtes, souffles fragiles, puis nous les avons quittés. Nous avons quitté nos lieux, mais quelque chose en nous se souvient.
Le texte est cette tentative de retrouver ce temps d'avant la parole. Temps nu, pauvre, temps miraculeux. Cela n'a rien à voir avec le chant béat des romantiques pour la nature. Car ici, il est question de substance, de matière, de l'essence même des mots du texte. Des quatre horizons, de cet effort de vie qui nous pousse à les déborder tous les quatre à la fois. Car le texte est d'abord un écartèlement. Du bas au plus élevé, du plus étroit au plus démesuré, du plus fugitif à l'éternel. Le texte est une traversée du temps et de l'espace, une traversée de la terre, de l'eau, de l'air, du feu. La remontée des peurs vers le désir. Voyage orphique. Chaque texte tient dans sa gueule les fils de la métamorphose. Écartèlement bien avant que la croix fût inventée.
Il faut revenir sur les quatre horizons du texte. Les quatre matières. Les quatre lieux. Nos premières maisons. Nos quatre dimensions. La parole se creuse et se nourrit de matière, c'est pour cela qu'elle se sait, qu'elle se veut éternelle. La recherche d'une consistance, la seule façon d'obtenir une résonance. Un écho. La réponse du même sans fin.
La terre pousse en nous ses chaines montagneuses, même si nous ne sommes rien de plus qu'un peu de sable mélangé à de la poussière... Même...
Quand s'écoule dans le vent des siècles notre poignée de terre noire, flamboient toujours quelques grains d'or pur dans un pli de l'univers.
Le texte est une armée en marche sur la page blanche. Perdre ou gagner n'a pas de sens puisqu'il faut livrer bataille. Qu'importe puisqu'à la fin du jour, j'aurais cessé de vivre. Puisque le texte se défera, puisque la nuit couvrira les restes de mes rêves. Qu'importe puisque je sourirai, que le papillon perdu se posera sur mes lèvres. Qu'importe puisque demain il faudra recommencer.
L'eau du texte s'infiltre dans mes veines, lent fleuve de fatalité mystérieuse et obscure. L'eau lourde du texte cherche son issue, son océan. Mon corps est une terre ravinée, usée, qui s'épuise dans le flot. Alors le flot lent cherche la nuit, le flot lent traque les ombres. Le flot lent engloutit des cités entières. C'est le flot du texte, fait de chaos, de débordement, de son invincible poussée.
Il faut revenir sur les quatre horizons du texte puisque la moindre goutte d'eau, la moindre trace de rosée enferment en son centre les cieux, même les confins des cieux, puisque le moindre grain de sable appelle tous les déserts, ceux de Mars, ceux de Vénus, puisque la plus fragile des étincelles éclaire les nuits de l'univers, puisque le plus délicat des vents d'été pourrait nous laver de tous nos péchés...
Car il faut savoir que j'ai vu sur la lisière de mon sommeil un grand cygne écarlate. Un grand cygne s'avançant en silence. Un incendie sur les eaux. Un grand cygne écarlate comme si l'eau lentement s'embrasait.
L'embrasement et l'étreinte.

Franck.

 

 

14 mars 2023

Asphyxie...

 

Revenir sur l'errance. Comme une boucle infinie. Un sentier qui perd sa trace. La route s'absorbe dans la fin d'un rêve. Dans les glissades de la fin d'un rêve. Partir sans jamais arriver. Puisqu'il n'y a pas de lieu. Jamais. Sinon les lieux de la route empierrée de l'âme. Sinon les chaos des heures puis la défaite des jours.
J'ai mis le ciel dans mes yeux, au plus près de mon sang. J'ai fait briller des étoiles au plus près de mon ventre. Il m'est arrivé de prier des dieux en exil. J'ai soufflé dans les couleurs des fleurs pour éclairer ma nuit. Je crois même avoir pleuré, certains soirs, sur la peau de quelques souvenirs. J'ai surtout jeté des mots au hasard.
Faire de l'égarement le seul chemin, le seul recours.
Sur la route de l'errance, il me faut sans cesse passer entre deux grandes statues. La blanche, et la noire. L'amour, et l'insondable solitude, puis consentir à ne pas entendre leurs chants, consentir à baisser les yeux pour ne pas bruler les derniers souffles. Baisser les paupières du cœur pour appeler à mon secours les silences du pèlerin.
Puis consentir, comme un adieu aux armes vaines.
Avancer les paumes ouvertes, les paupières baissées.
Ici, c'est une mer de verdure sévère. Une verdure de tempête. Une verdure de gros temps. Les bois viennent mourir dans les champs en écumant leurs dernières branches. Sans rage, mais dans la puissance sereine des grandes marées. Des embruns de verdures s'éclatent dans les deniers rayons d'un soleil d'automne moribond. Un soleil épuisé de ses feux. Appauvri de sa gloire. Au bord du naufrage. Lui aussi voudrait prier. Lui aussi voudrait consentir. Mais ses forces se résignent. Alors, il abandonne une lumière pâle, si pauvre. La lumière des fins, et des promesses déshabillées.
Je suis ici le temps d'une escale. Entre deux vies. Entre deux souvenirs. Comme au temps des oasis, et des grands déserts. Je suis dans l'antre de moi-même juste au-dessus de l'os. Que je voudrais curer une dernière fois. Le blanchir de mes mots. Encore.
Ici, c'est une verdure immense, massive, impossible à décrire. Un paysage peint au couteau avec de larges trainées de couleurs épaisses. Des monts, des vallons comme une grosse mer houleuse. Je flotte.
C'est quoi flotter ?
Le flottement, c'est toujours le risque de l'errance, c'est souvent être rejeté sur des rivages inconnus. Le moment entre les lieux. Même entre les lieux du corps. Dans l'absence de soi. Dans ce mouvement qui tire vers l'extérieur. Dans un lointain. Dans un lointain sans forme, sans bornes. Comme une chute. Je flotte dans un mouvement inconnu d'où ma voix ne sort pas. C'est un silence cassant comme l'oubli. Ce n'est pas un exil. Le flottement, c'est un oubli. L'exil nous tient dans la tension, la colère, le ressentiment, la trahison, l'injustice. L'oubli n'a pas de forme. On est sans lieu, sans autres. Suspendu. Vidé du sang. Bousculé par les mouvements erratiques des heures, des humeurs, des regards. Comme une hémorragie, une perte de substance. Avec cette envie de hurler, de crier. Toute cette réingurgitation comme s'il fallait ravaler sa vie. Chaque heure, chaque jour. Là. Dans ce lieu hasardeux, sans frontières. On voudrait appeler, s'ancrer dans la chaleur d'un regard. Mais le flottement est un lieu qui n'existe pas, où nul ne peut vous voir... Sans secours.
« À quelle station t'arrêtes-tu ? » « Là-bas... Plus tard... Là-bas... » « La prochaine ? » « Non ! Jamais la prochaine... Mais l'ultime, l'extrême. Je suis de la dernière station, de celle qui vient après toutes les autres. Au-delà des voies... Là où nul passager ne monte. Je suis du pays des landes, des bruyères froides du cœur, des grands champs de neige, des océans glacés, car mon ciel est traversé par le vol singulier des oies sauvages qui vont vers le nord. »
Pourquoi cet effondrement, cette coupure, ce glissement des chairs de l'œil et de l'âme, ce frottement de l'absence sur les mots de la langue, cette parole qui ne sait plus s'arracher ?
Ici, dans cette verdure brutale, il y a quelque chose d'écrasant. Une présence absolue.
Alors, je marche. Pour m'arracher au flottement, je marche. Je marche, comme j'écris. Pareil. Pour retrouver le corps, le souffle. S'immerger dans ces forêts grandioses. Comme écrire. Pareil. Le corps qui s'arcboute dans l'épuisement des muscles. Comme ces mots déterrés, extraits de mes restes. Le corps qui retrouve sa puissance. Sa rage vitale. Sa survie dans la douleur des muscles asphyxiés. Comme la prière offerte aux lèvres d'un mourant. L'extrême tension du corps. Ces noces obscures du silence avec la solitude. Marcher sur ces pentes infinies couvertes de forêts drues. Comme écrire. Souffrance primitive et sauvage du corps dans le vrai sang des muscles. Souffrance sans recours. S'arrêter. Continuer, trouver la limite. Être dans la limite. Même au-delà. Ces marches épuisantes ne sont plus un effort, mais une lutte.
Comme écrire.
Quelque chose se rassemble, là, dans un instant qui efface tout. Tout. Monter encore, pour finir. Rechercher la pente la plus droite, la plus éprouvante, la plus absurde. La plus féroce. Comme écrire, rechercher le geste le plus droit. Maintenant, mes pieds, mes mains s'accrochent. Mes genoux aussi. Ne pas glisser. Ne pas perdre les mots, surtout leurs lumières. Coller à la paroi de cette montagne. Coller toujours aux battements du cœur, du sang, , qui jaillit dans mon corps. Comme écrire. Étendre Projeter mes membres sur la pente vers une douleur plus grande, plus absolue. Le corps collé. Hors de moi, mais totalement moi. Dans la rage. La colère. S'arrêter. Impossible. Fixer un point là-haut, pour y jeter ce qui me reste de souffle. Même la mort est vaincue dans cet effort insensé. Simplement l'instant qui rassemble tout. Qui aggrave tout. Tout ce qui restait au fond de ma mémoire. Être dans l'instant du premier geste. Du seul geste. Comme la phrase qui s'arrête parce qu'elle attend du silence une consécration. Fixer un autre point. Un arbre, une pierre, une branche, une souche. Toujours la rage pour survivre à l'essoufflement, au feu du corps. À l'incendie qui brule ma tête, ma poitrine. Comme écrire. Comme aimer. Et gagner une fois de plus sur l'errance, le flottement. Comme écrire.
Comme aimer.
Maintenant, le sommet, et son ciel.
Maintenant, le sommet, son ciel, comme un port après la traversée des mers. Comme un port qui sacre le voyage.
La fin sans la fin. L'arrivée qui invente un retour.
Un possible.
Comme écrire ou prier. Ou simplement pleurer comme un enfant. Sans raison. Sans saison. Seulement à cause de la lumière, de cette joie incoercible d'être en vie. Le corps détruit de souffrance, mais rayonnant d'avoir survécu à l'asphyxie. Comme écrire. Comme écrire.

Franck.

23 avril 2023

Avant le labour...

 

Au pied de l'écriture, on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Avant, survient ce temps d'arrêt. Le monde est contenu dans ce temps d'arrêt. Le laboureur regarde l'étendue devant lui, il la sent déjà dans ses mains, dans ses épaules. Déjà, il est chair de terre. Là, dans l'avant. Il n'a déjà plus famille, plus d'âge, plus de nom. Là, le laboureur ne sait plus rien de sa vie. Il respire profondément, déjà il cherche les sillons dans son sang, il appelle l'effort, la douleur, il appelle ses muscles. Alors, il regarde l'horizon puis il respire profondément au pied du champ, au pied de sa peine, au pied de sa misère et de sa gloire.
Alors les senteurs remontent de la terre en attente, des odeurs de siècles, de vie, de mort.
Le laboureur au pied de son champ est seul. Toujours. Car c'est l'œuvre répétée de sa vie. Il est seul, sans personne, sans dieux. Il est simplement avec sa désespérance mêlée de singulière impatience. Il est seul, traversé par les violences, les révoltes, traversé par un océan instable, immense, et pourtant incertain. Il respire profondément. C'est l'instant de la terre. Maintenant, les prières sont épuisées.
Dans l'avant, la terre est sans miséricorde. Elle est encore sans promesse, elle est là dans une absolue présente. Elle attend. Elle attend les larmes, la sueur, elle attend un sang qui la sacre, elle attend le geste assez droit, assez pur pour se mettre à trembler. C'est le temps de l'avant. Le temps arrêté de l'avant. Un temps sans partage. Mais un temps découpé par le couteau d'une solitude étincelante et verticale. Le temps de l'avant est un temps sidéré. Un temps sauvage, qui précède le cri, qui précède la rage.
À chaque respiration, le champ grandit. Alors, le laboureur respire de plus en plus profondément pour que le champ qui grandit sans cesse puisse envahir sa poitrine. Y faire pénétrer chaque sillon à venir, chaque pierre à briser.
Vaincre le champ, ou périr sous la terre.
Déjà, il ne peut échapper à son champ. Déjà, il n'y a plus de retour. Si le laboureur se saisit d'un peu de terre pour la porter à ses lèvres, c'est plus pour l'embrasser que pour l'éprouver, s'il pleure, c'est plus par débordement que par chagrin. Car le laboureur ne connait du désir que le frottement âpre et rugueux du manque. Il ne connait du destin que l'horizon de son champ.
Au pied de l'écriture, on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Debout, droit sur sa terre comme le capitaine qui sait la tempête, avec sa cruauté inhumaine. Debout, droit, pesant déjà d'un surcroit de chair, d'os, d'un surcroit de vie. Lourd comme un titan et pourtant fragile comme un cristal.
Alors, arrive ce temps de l'avant, ce temps débarrassé de toute intention, ce temps pur de l'amour.
Alors le premier mot rentre dans la terre, ainsi que le premier pas de danse.
Le premier mot perce de la terre, avec le gout d'un sang nouveau.
Le champ n'est plus un champ, il est supplique.
La terre n'est plus la terre : elle est voyage.
Les heures brillent désormais comme des constellations.

Franck

8 septembre 2019

Vacillant...

 

Car il nous faudra choisir entre le plein et le vide. Entre le trop-plein et le trop vide. J'ai quitté chaque être, chaque chose, chaque lieu. J'ai quitté ma maison, mes ancêtres, ma mémoire, j'ai laissé derrière moi les aubes blanches et leurs promesses, j'ai ouvert des portes et franchi des seuils de chagrins, j'ai déplié un à un chaque souvenir, j'ai prononcé tous les mots pour me défaire des paroles vaines. J'ai déshabillé chacun de mes désirs. J'ai abandonné toutes mes richesses d'or et de pierres. J'ai oublié toutes les grandes pensées, toutes les morales, toutes les fois, j'ai renoncé à tous les dieux. J'ai rompu tous mes liens, répudié toutes mes épouses. J'ai parcouru les chemins les plus pauvres, traversé les landes amères, les déserts lumineux, j'ai grimpé sur les sommets les plus hauts, habité les grottes les plus profondes. J'ai eu soif. J'ai eu faim. J'ai eu peur. J'ai débarrassé mon sommeil de tous les rêves. J'ai attendu, jusqu'à ce que l'attente se lasse et se décompose. J'ai même aimé jusqu'à la douleur. J'ai agrandi l'univers pour y loger de plus grands désespoirs, j'ai inventé des océans violents pour être sûr de mes naufrages. Je me suis vêtu de silences et d'ombres. J'ai même connu l'ivresse et ce qu'il y a après l'ivresse. J'ai épuisé mon sang et ce qui reste après le sang. Car il nous faudra choisir entre le plein et le vide. Entre le trop-plein et le trop vide. Entre la pesanteur et la grâce. Car il nous faudra choisir entre les tremblements et les frissons. Et n'être qu'un souffle vacillant.

Franck.

15 septembre 2019

J'irai marcher par-delà les nuages...

Écrire nous vient d’un premier langage, d’une première voix. Une voix insensée. Une folie de langage.
C’est la langue du lait.
C’est la première langue que nous entendons. C’est la plus vraie puisqu’elle nous nourrit. C’est la plus juste puisque nous la comprenons dans l’instant où nous l’entendons. Elle n’est qu’un murmure, qu’un simple souffle à peine audible, elle est pourtant tout l’univers lorsqu’elle nous parvient.
Écrire, c’est tendre l’oreille au passé, c’est se souvenir de ce souffle sur le souffle, de cette chair sur la chair, de ce blanc sur le blanc. Écrire, c’est retrouver cette enfance éperdue, cette langue blanchie par l’amour, cette langue offerte par le sein avec la première nourriture.
C’est pour cela qu’écrire nous vient d’une faim, d’un manque effréné, et comblé par la langue et les mots. Écrire, c’est retourner à ce premier sang, à ce premier murmure, à ces premiers silences, à cette première folie.
Lorsque nous écrivons, c’est la trace de la voix de nos mères qui vient fasciner nos mots. La cadence du poème n’est que le bercement ancien d’une mère. La lumière des mots n’est que l’éclat brûlant d’un amour incendié, blanchi, révolu…

Écris ! Écris à partir de l’os ! Racle ! Sois dans l’arrachement, sois au plus pauvre de toi-même, au plus nu, au plus seul.
Car il te faudra arrêter de parler à haute voix, refuser le vacarme des paroles vaines, la tonitruance des pensées faciles.
Retrouve le murmure.
Le son du ventre. La résonance première.
Celle que l’on appelle, la langue blanche.
La langue du lait.

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On n’écrit jamais pour plaire ou séduire, on écrit pour se retrouver. Ailleurs. Chaque mot te rapproche d’un lieu inconnu plein de mystère, un lieu inévitable. Écrire prolonge un rêve commencé il y a longtemps, dans l’enfance, un rêve commencé quand tu étais blotti dans le plus fragile abandon du regard de ta mère qui t’avait fait — toi si infirme — roi si rayonnant.
Écrire, c’est d’abord retrouver ce sommeil plein de couleur, de chaleur où l’amour n’est pas promis, mais donné comme une éternité, offert comme la première nourriture, la seule dont tu n’auras jamais besoin.

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Écrire te fait retrouver ce rêve où tu n’es là pour personne sauf pour le murmure incompréhensible, attendri d’une mère devenue folle parce qu’elle s’est enfin oubliée et qu’elle divague dans les méandres de ton visage, de son amour éperdu, un amour-océan sans limites.
Tu es envahi par le blanc de la page, et les mots viennent parfois te secourir du vertige. Ils sont les traces, les signes qui te relient au ciel, à la terre. Et l’encre te retient de sombrer dans les défaites toujours imminentes.

Écrire, c’est un grand vent qui secoue les branches de l’âme emportant les feuilles les plus faibles, celles qui ne tiennent que par le doute, et qui deviendront les mots les plus brûlés de ta langue.
Écrire, c’est être dans cet arrachement, dans cet envol au milieu d’une tempête, dans cette chute soudaine au cœur d’un vide terrifiant et miraculeux.

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 Traverser le rêve d’écriture, c’est traverser un amour rouge comme le sang, tranchant et bleu comme une lame aiguisée, ardent comme le feu d’une forge, un amour ravagé de silence et de vent.

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On écrit avec ses silences. Ce sont eux qui laissent leurs empreintes d’ombres, de cendres sur la blancheur des pages. Un silence se couche sur un autre silence, ainsi de suite, silence sur silence, dans un grand lit d’absence pour consommer les unions enflammées de l’espérance et de l’épuisement. Silence sur silence, lumière sur lumière, et cela : éternellement…

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Écrire, c’est cette façon d’être au monde, ou de ne plus y être. C’est interroger le silence, en glaner une once de lumière. C’est user le temps, le polir longuement pour en obtenir quelque élixir subtil. C’est entretenir un feu avec de minces brindilles d’encre usée. C’est écouter dans la foule le bruit que fait la solitude et dans la solitude les rumeurs de la foule. C’est ouvrir des portes interdites avec la seule clé des mots. C’est se croire riche, et se vouloir pauvre, être désarmé et pourtant invincible. C’est mourir plusieurs fois par jour et renaître pour que demain advienne. C’est dormir dans l’attente, et se réveiller dans la prière.

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Née d’un manque, l’écriture entretient souvent avec la douleur une relation incestueuse. Elle souffle sur nos entrailles pour en attiser les brûlures dans des noces solitaires, sauvages.
C’est tout cela et mille autres choses. C’est la parole la plus affaiblie qui puisse être dite, car elle git, mourante au fond de notre vie. On en cueille alors parfois les effluves tremblantes dans le creux de quelques mots…

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Voilà l’instant…
L’encre accablée glisse sur les cristaux d’une heure éparpillée, solitaire.
Pesanteur douce, attristée, comme un temps de neige.
Se mettre à écrire, c’est distiller du temps bleu en chauffant nos jours au rouge du cœur.
La brume qui s’évapore, ce sont mes renoncements, mes peurs qui se délient.
Ce qui reste est si infime que je pourrais le perdre d’un simple soupir, si infime, pourtant si abondant que je pourrais en vêtir un ciel entier…
La vérité du mot, c’est le silence qui le suit. La vérité de l’amour, c’est le silence qui le précède, car il nous faut conquérir l’âme du monde pour l’accomplir ou le brûler, pour l’accomplir en le brûlant.

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Chaque fois que l’on marche vers l’écriture, c’est comme aller au-devant d’une aurore, c’est aller vers l’absolu du silence, vers l’absolu de la solitude. C’est aller vers un sacre.

On le sent à cette densité si particulière de l’air à l’approche des mots, à ce désordre dans les saisons du sang, à la brusque gravité des heures, à cette simplification des couleurs comme lorsque le jour se lève près des grands lacs aux eaux lisses et noires, aux eaux cousues de brumes.

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L’écriture n’est pas une occupation, elle ne peut réconforter de l’ennui, puisqu’elle est la forme ultime de l’ennui. Elle ne peut nous consoler de nos échecs, puisqu’elle les sacre tous, jusqu’au dernier. L’écriture ne nous lave de rien, ne nous rend ni pires ni meilleurs. Elle n’est qu’une affirmation portée à ébullition, qu’un fer rougit fiché dans le cœur. Un surcroît de désir éparpillé sur les chemins de croix de nos vies. Un écho. Un tintement de l’âme. Une trace. Elle est le miroir de nos défaites, l’horizon crevé de nos rêves. Un espace creusé qui appelle la vie à l’état brut. La vie sans formes. La palpitation originelle. La pulsation. Elle est notre nuit religieuse. Elle n’est que ce cri que nous retenons. Ce long hurlement dans les étoiles.

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Écrire c’est l’intention sans intention. La volonté sans volonté. C’est un désir avant que le désir s’incarne. Écrire nous vient de l’après, de ce retournement des chairs, d’un futur qui n’a pas de nom, que seul le texte désigne. D’un possible.

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Arriver les mains vides dans une sorte d’agonie vigilante. Attendre. Arriver au pied d’une éclipse et encore attendre. C’est une ignorance solennelle qui nous fait longer les flancs de l’abîme. Toujours attendre.
Écrire, c’est aller vers l’étreinte, c’est recomposer les corps de l’étreinte. Derrière chaque attente, il y a une étreinte, l’étreinte est un au-delà de deux corps. C’est recomposer le corps des dieux.
Écrire, c’est l’étreinte des cieux.
Assez de vie dans la mort qui vient.
Assez d’amour dans la vie qui reste.
Assez de joie dans la peur qui s’efface.

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L’écriture nous vient de cette désynchronisation des sens, du défaut de la langue pour nommer ce temps singulier. Quelque chose est à dire. Nous ne savons pas quel mot convient, alors on tente de les dire tous. Il y a un espace pour réordonner l’univers : c’est ce temps chaotique, silencieux, stupéfiant, toujours entre deux désastres.
Le poème naît d’un échec.

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Au commencement était la perte. Après ce fut le manque. L’attente. Écrire, c’était tenter d’échapper à la perte, au manque, à l’attente, y échapper tout en y revenant toujours.

L’écriture reste mon seul présent encombré. La possibilité d’une présence à soi-même. Un évènement imprévisible. Advenir, là, dans cet instant, qui ne vient jamais.

L’écriture vient de cette nuit, de cette membrane, de cette inquiétude. Écriture du ventre. Écriture intestinale. Écriture ouverte, béante. Écriture qui n’a pas d’autre issue qu’elle-même. Écriture de viscères et d’ombres. Écriture du premier mouvement, qui s’exagère pour se survivre.
Car juste après le chaos, se présente le premier mouvement, le premier mot, le seul, celui qui nous nomme, celui qui nous sacre, celui que l’on ne sait pas dire, celui que l’on cherchera tout au long du jour, celui qui s’effacera de nos encres. Mot trou. Mot néant. Mot nuit. Mot d’avant le silence. Mot creusé, excavé, évidé de son sens. Mot océan, au destin des marées infatigables. L’écriture vient de l’impossibilité de dire ce mot, de l’inventer même. Il est pourtant là, gisant dans le sang des veines, à l’affût de nos renoncements et de nos abandons. L’écriture est ce retour incessant au ventre, ce retour à cette première nuit sans forme.
Écrire, c’est rentrer dans la lumière du nom de l’amour.
Écrire, c’est le surgissement du mot. Aimer, c’est le surgissement du nom. Nommer est dans ce surgissement. C’est faire naître ce que le silence pourra emporter. Le silence ne vaut que par le mot qu’il contient.

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Le poète écrit avec une encre mystérieuse qui s’efface à peine écrite. Les mots s’en vont dans la nuit peupler l’âme des siècles.

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Écrire est l’histoire de ce chemin qui part d’un silence, et qui va vers un silence.
Un seul silence fait boiter la langue.
Un seul silence fait pleurer la chair.
Deux silences, le premier qui bénit l’autre.
Il nous faudra nommer toutes les étoiles du ciel dans un seul poème pour apaiser la nuit et retourner au silence

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L’écriture ne vient que par des trous de silence. Dans ces espaces désertés se dessinent les contours du sens. Le réel est l’envers de ces trous. L’autre rive du ruisseau. Écrire est une traversée.

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Écrire, sans autre projet que d’oser le frottement des ombres, des mots, et de tenter dans la phrase qui se déploie de retrouver les mouvements des siècles, ceux de la mer, du vent, l’inexprimable voix.

Écrire, c’est retrouver une langue qui nous précède.
Dans la désynchronisation du temps, de la langue, dans l’écart, surgit l’écriture, faite d’urgence, et de la folie du vivre.
Écrire tend à dire le silence, car lui seul empoigne l’éternité. Ce que l’on cherche dans écrire, c’est habiter un silence sans fin.
Les mots dits ne valent que par ce silence qui les appelle, par ce silence qui les recueille. C’est à ce seul prix qu’au cœur du présent jaillit l’instant éternel.

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Écrire sur écrire, c’est aimer en dépit, ou en surcroît, mais c’est aimer encore, c’est aimer toujours…
Le désespoir n’est pas dépourvu de joie…
La solitude n’est pas dépourvue de dévouement…
Le silence a deux faces : la première est l’extase, la deuxième est l’épouvante. Écrire tente d’effacer ce qui sépare ces deux silences, ces infinis qui nous mutilent en même temps qu’ils nous délivrent.
Écrire, c’est le perdu, c’est ce qui manquera toujours à la chair, mais qui la rend supportable, c’est ce qui l’épuise sans cesse, c’est le froid que je sens au cœur du feu qui brûle.

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Écrire, c’est passer du côté de la nuit. Chaque mot est un lambeau d’ombre, un épuisement, un reste, le balbutiement du néant. L’écriture naît d’un singulier mariage, celui de la nuit et du silence.

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Écrire naît d’un terrible paradoxe, la mort la plus sauvage au cœur de la vie la plus tremblante.

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Écrire, revient toujours à dire la fin du monde. C’est mettre le passé comme horizon, mettre la mort à sa table avec la disparition dans chaque temps du souffle. Écrire, c’est finir, c’est toujours finir, avec assez de joie pour recommencer, inlassablement, dire la fin avant la fin, dire l’insoutenable avec assez d’espoir. Déployer son regard sur la lande, sans frayeur, regarder le désert de la lande, des brumes, du vent, du froid, puis aller, aller sans cesse plus loin,plus au froid, plus au vent, toujours plus vivant.

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L’écriture trace au large de nous-mêmes les frontières d’une liberté inatteignable. L’enjeu demeure là. Insupportable et jubilatoire. Écrire définit une liberté que nos gestes répudient. Écrire dépasse notre liberté. C’est ce qui vient après. Écrire advient après la traversée du désert, dans un pays qui outrepasse nos gestes, nos jours

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Écrire, c’est le mouvement que l’on fait pour se saisir d’un oiseau. Juste le mouvement. L’élan. L’oiseau s’envole à chaque fois. Ce que l’on a voulu saisir s’envole à chaque fois, il reste à peine la trace du geste dans l’air, la trace de ce désir fulgurant, insensé. L’éclat du poème. La perte. Toujours la perte. Un élan qui efface un mystère, qui en ouvre un nouveau. Comme si le geste toujours vain réveillait l’éternité.

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Le poème est toujours en retard du prochain. L’écriture trace au large de nous-mêmes les frontières d’une liberté inatteignable.

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Écrire désigne notre solitude, lui donne un nom. Quel est le nom de ma solitude ? Consentement ? Peut-être.
Un chagrin pèse, mais on ne le connaît pas. Jamais.
On est inconsolable, mais on ne sait pas de quoi. Jamais.
Alors, un jour on écrit. Pour parfaire cette ignorance.

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Écrire efface les horizons en plongeant vers l’abîme. Plus on écrit, plus on s’enfonce vers la nuit. Vers la nuit silencieuse, une lente descente du signifié à l’insignifiable. Du mouvement à l’écrasement. Le temps du texte est un temps écrasé. Un temps sans durée, un temps dans l’épaisseur de la nuit.

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À l’approche de l’écriture, il existe un présent débarrassé, un présent fixe comme l’éternité.
Il y a dans l’écriture quelque chose qui se refuse au bonheur. Qui maintient la distance. L’écriture se déploie dans ce renoncement. Dans cette absence. Dans cette lande battue par les vents. Écrire, c’est mettre un ciel de solitude entre soi et le monde, pour se sentir assez déshabillé, pour s’en sentir plus proche.

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Il y a quelque chose dans l’écriture qui se refuse au bonheur.

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Nous écrivons à l’envers des miroirs. Dans l’autre pièce du temps. La pièce vide. Nous écrivons sur des reflets, sur les morceaux éclatés de la lumière, sur l’autre rive des miroirs. Nos histoires ne sont rien, nos vies ne s’écrivent pas… Ce qui s’écrit ne nous appartient plus depuis longtemps. Nous sommes faits de ce que nous n’avons pas vécu. Comme au pochoir. Comme une dentelle qui ne vaut que par les trous. L’essentiel tient dans la marge vide… vide…

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Écrire nous donne l’illusion d’une mise en ordre. Au chaos du monde, j’inscris mon propre chaos. Écrire est d’abord une désunion. Aux rumeurs du monde, ma voix étouffée s’ajoute. Du bruit sur du bruit. Du chaos sur du chaos.

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Écrire n’est rien, sinon le chant. Le chant passager. Écrire, reste le sourire de l’ange inscrit dans la pierre de la cathédrale de Reims.
Écrire est une désunion, une désolidarisation. C’est quitter l’ordre du monde pour rejoindre le chaos du vivant. Le chaos de l’azur.
L’ouragan de bleu dans la symphonie des étoiles.
Le sourire de l’ange n’efface pas la pierre, il la rend supportable. Il nous dit : rien n’est sérieux puisque tout est grave. Une tempête d’espérance pour ensevelir nos ombres… et passer à demain… et passer à demain…

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La parole qui se déploie est à rebours.
Et ce retour répare l’avenir, desserre l’étreinte du temps.

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Écrire est une tentation pour briser les chaînes bruyantes du monde. Mais écrire échoue à ce vouloir. Mais écrire le sait. L’écriture est le produit de cette première mise en échec. De ce premier ratage. C’est une tragédie. L’écriture, c’est d’abord le chant de cette tragédie. La geste. L’odyssée. La tentation de relier la voix au silence.
L’écriture naît de la confrontation d’un vacarme et d’un silence. L’écriture naît dans ce frottement. L’inscription silencieuse de la voix. C’est une lutte, comme la vie et la mort. J’écris en silence, dans un monde bruyant

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Il y a dans écrire de l’amour en jachère. De l’abandon. Jusqu’à l’ultime, qui est une énigme. Juste derrière la vitre des mots, justes derrière le miroir sans tain des mots

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Écrire scelle le silence autour du désir.

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Écrire, c’est le double mouvement qui tente de nous en éloigner, mais qui nous y ramène. Toujours. Dans chaque texte existe une fatalité. Il y a ce mouvement de la vie, de la mort. Il y a ces mêmes mots entre les deux élans du mouvement, cette tension de quelques mots jetés au hasard de la page, qui se regroupent, pour nous signifier, pour nous éprouver un peu plus.

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D’où nous viennent ces mots, ces mots qui se répètent ? Comment se sont-ils accrochés à notre langue ? Que savent-ils que nous ne savons pas ?
Peut-être qu’écrire, c’est ne pas utiliser toute la langue ? Peut-être est-ce tenter de tout dire avec très peu ? Peut-être qu’écrire, c’est précisément cette répétition inlassable de quelques mots ? Peut-être est-ce cette pénurie, cette pauvreté de nous, cette indigence. Peut-être qu’à force de les répéter, leur sens peut s’agrandir à l’infini. Peut-être qu’il ne suffirait que d’un seul mot ? Un, et  innombrable… Peut-être…
Les plus beaux bouquets sont faits de peu de fleurs. Pas les plus grandes. Pas les plus belles. J’en ai reçu d’éternels, qui n’en avaient qu’une.
Une petite fleur de talus, froissée, nue, tenant l’univers dans ses pétales.

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Les mots tombent sur la tranche. En tombant, ils coupent la lumière. D’un côté : l’ombre ; de l’autre : le silence.
Le mot est voué à cette violence, à la coupure, à la faille. Ils sont là pour blesser, tuer.
Écrire est la chose la plus bleue que je fais. Même lorsque mon imaginaire est envahi de rouge, le mouvement reste bleu.
Alors, l’écriture, c’est bien cette sensation de bleu au cœur sanglant du rouge.
Vivre est la chose la plus rouge que je fais.
Écrire est la chose la plus bleue que je fais.
Ma rêverie a la couleur d’or d’un soleil à l’aube.
Ma mémoire est blanche, aussi blanche qu’un grand champ de neige.
Mon enfance reste désespérément grise.
Les mots tombent sur la tranche. En tombant, ils coupent la lumière. D’un côté : le silence ; de l’autre : les couleurs.

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Alors, on écrit, pour ne plus penser ou croire que l’on pense. On écrit pour la métamorphose des temps. On écrit pour faire sortir la parole de la chair, parce que le vivant se tient là, dans les tremblements, dans ce corps si lourd, qui sans cesse nous échappe. On écrit pour le ramener à nous, pour que l’on habite un peu plus nos jours. On écrit pour se consoler que les évènements soient si rares, qu’ils ne viennent jamais nous sauver, que les traces qui sillonnent notre mémoire resteront à jamais obscures. On écrit simplement pour la danse, la musique, pour effacer la gravité, le poids, l’indécence, la défaite. On écrit pour ne pas crier, ou pour crier plus fort que le vacarme du monde, ou pour opposer au silence du ciel, le silence de la miséricorde… On écrit simplement pour ne jamais détourner le regard, pour ne jamais baisser les yeux, alors on écrit pour affronter l’effroi, digne, joyeux, jubilant… pour la danse, pour la musique, et c’est tout… !

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Car rien n’est dit, ou si peu.
Car il nous faudra signifier au-delà de nos paroles, dans l’avant du dire, dans l’intention claire, dans le chant inaudible, murmurant, n’être que cantilène, n’être que berceuse.

Qu’est-ce que tu écris ? Je n’en sais rien. Je brasse les temps, mes peurs. Je fais de mon passé un futur acceptable. Je fais de l’avenir des souvenirs lumineux. J’étire les bords du présent. Je déploie l’instant, j’agrandis l’impossible frontière des aurores. Que pourrais-je faire d’autre, sinon ces trous dans la durée, sinon brouiller les cycles, faire entrer en moi assez de folie, effacer ma trace pour que la mort m’oublie ou qu’elle me sacre ? Qu’importe ! Je n’écris pas ce qui se raconte, je n’écris pas ce qui se dit, j’écris ce qui se marmonne, ce qui se murmure. J’écris pour le souffle, pour rester en deçà du silence.

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Mais comment écris-tu ? Je n’en sais rien. À part le désordre, cette agitation qui nourrit mon attente, juste après l’appel. Car j’appelle, certains mots me répondent, vagues échos en résonance. J’écris dans la lenteur, presque dans l’arrêt. Rumination de la langue. Pesant
dégorgement. Mastication des humeurs amères. Mâchement de chaque souvenir où se mêle le souffle d’aujourd’hui. Incantation lancinante, jusqu’à l’envoûtement, jusqu’à la folie. Assonance de l’âme. J’écris crucifié sous le poids d’une interminable transfusion. L’inachevable échange des sangs. Cette impression de séparation, de ruine. Atteindre mes défaites, ce point d’inflexion du destin, le point frontière, le point de séparation des eaux. Le point invivable parce qu’il n’a pas d’espace, et qu’il n’a plus de temps. Point mort, où même la mort s’épuise. Où certains jours, elle recule terrifiée par sa propre image. Point juste assez vaste pour esquisser un pas de danse.

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Alors, où écris-tu ? Je n’en sais rien. Ce n’est jamais le même endroit et pourtant chacun se ressemble. J’écris sur des débris de néants, sur des restes, sur la trace infime, dérisoire que laisse le vol des oiseaux dans l’œil de l’amoureuse. J’écris sur les gouttes de pluie, parfois sur des larmes. J’écris dans les bourrelets des nuages entre la blancheur et le gris, entre les boursouflures et l’étirement. J’écris sur le fil de l’éclair dans les zébrures de lumière, sur des pétales de roses, ou sur l’élytre des cigales, sur le souffle des accordéons, ou dans mes landes froides. J’écris dans des lieux qui n’existent plus, dans les citadelles détruites, dans les villes incendiées. J’écris dans le recommencement et dans la fin, ou sur la peau de mes amours perdues. J’écris sur l’ourlet de mes cicatrices, sur le cuir noirci des trahisons. Parfois, j’écris dans l’épuisement du rêve, ou sur des vertiges, ou sur le champ de neige qui s’étend derrière la vitre de ma mémoire. J’écris sur le rouge, et dans le rouge des amours, dans la profusion et la parcimonie, dans l’avant et dans l’après. Jusqu’à l’incandescence. Jusqu’au pétillement de l’univers lorsque les étoiles claquent leurs doigts pour accompagner le chuchotement, ou la prière, ou seulement le silence.

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Quand écris-tu ? Je n’en sais rien. Tout le temps, ou jamais. Je suis sur le rocher, j’attends la marée. La noyade. L’échouement. Lorsque la véhémence me submerge, ou lorsque l’arrachement me cloue. Quand écris-tu ? J’écris aux temps creux. Aux contretemps du temps. Au temps du naître. Au temps du mourir. Dans les fissures des crépuscules, jusqu’aux affleurements des aubes. J’écris surtout dans les autres saisons, celles qui viennent après, ou celles que l’on a oubliées. J’écris dans les temps ouverts aux quatre vents, dans les temps des mille solstices, celui des roses des temps égarés, ou dans le cœur brulé des éclipses. En fait, j’écris dans les temps pauvres, les temps abîmés, dépossédés de leur durée, les temps usés, délaissés. Dans ces temps qui nous quittent, dans ces temps qui nous manquent. Ou ces temps cueillis, au hasard, comme l’on cueille une mure sur les ronciers des chemins. Temps pèlerinage. Temps des cortèges ombreux ou des longues processions.
Je sais ces plaines froides qui dévorent la langue, chaque mot de la langue, et l’écriture qui gratte la glace, le texte pris dans les hurlements des bourrasques de l’impossible dire. Comme si la parole était traversée dans sa chair par un fil barbelé. Impénétrable parole qui me laisse désarmé, en exil, banni de mon propre désir, relégué, refoulé de ma propre demeure. Mon œil effaré fixe dans l’ombre du ciel le vol bouleversant des oies sauvages vers le nord. Comme un destin mille fois répété, comme une usure lancinante et troublante. Sur le ciel gris et noir de mon enfance. Le vol des oies sauvages vers le nord. Comme une fatalité. Mille fois répétée. Laborieuse berceuse qui ne survit plus à la nuit qui s’approche. Cet épuisement. Cette envie de nord. De glace. De fin…

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Aimer et écrire accomplissent le même souffle, la même arche… C’était il y a longtemps… au temps des arabesques…

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La parole est une errance qui n’atteint jamais sa cible.
Le destin de l’écriture est un voyage sans fin. Traversée des sables ou des mers. Elle est sans chemin. Elle est en pure perte. C’est ce qui la rend invincible.

Écrire bien au-delà des marges. Dans la pliure. Dans le givre. Dans le désir dessaisi. Écrire dans l’affaissement. Le retrait. La défaite. Voilà, la défaite, jusqu’à l’excès, jusqu’à l’étourdissement. C’est sans doute cela la perte. L’excès, la saturation, le vertige, l’ivresse. Dans la voix suspendue ou dans le silence cent fois enduré. Peut-être que la poésie est aussi, cette transpiration de la voix. Cette sudation. Un excès de fatigue sous le soleil.
Le murmure d’un gisant.
Comme un suintement. L’exhalaison d’un soupir.
Le poème, c’est ce qui sépare la nostalgie du désespoir.
Une parole dans la pliure de l’univers. Une parole d’angle mort. Un puits abandonné dans le désert, qui s’offre au temps. À la solitude. Au mystère de la soif et de l’attente.
Aux épousailles de l’oubli et du vent.
Alors, seulement commence la parole du ventre, le dialogue de l’ange et de l’enfant.

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Car l’écriture ne nous appartient pas. Posée ici, elle est vouée à l’errance. C’est une mendiante vêtue de sa seule pauvreté. Elle est un enfant qui vous quitte. Elle n’a nul lieu, nulle direction. Elle est à peine un bouchon dans l’océan. Posée ici, elle appartient au hasard. Elle ne reviendra jamais frapper à votre porte. Elle demeure vouée à l’errance à la recherche d’autres solitudes, jusqu’à la cendre de la cendre.

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Aux noces du texte, il n’y a pas d’invité, ce sont des noces furtives, puisqu’elles sont dérobées au hasard, à la fatalité. Noces de l’absence, du silence. Fêtes de nos désespoirs où l’on consume les chairs brulées de l’amour et les visages perdus. Oui ! Tous ces visages égarés. Nos temps d’affaissement. Le temps du texte arrache les mauvaises herbes de nos vies, pour en faire des bûchers, et souffler sur nos cendres. Nos cendres à venir.

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Chacun a dans les mains du cœur un morceau du symbole. L’écrivant et le lecteur. Si le hasard leur fait rapprocher les deux morceaux qui pèsent sur leur vie, quelle que soit la coïncidence, ou quel que soit l’ajustement, il reste toujours une difformité inconciliable. C’est ici, dans cet espace impossible à combler, que réside la lumière. Le miracle.
Le texte vit de cette dissonance, il brille de l’impossible. Il brille d’un trou, d’un trou d’inconciliance par où s’échappent la vie et l’espérance dans cette effusion de silence.

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Écrire, c’est entrer dans un lieu où rien du monde n’est dit, où le « je » s’effrite comme une ruine des temps passés, où il ne reste que la trame osseuse du désespoir. Écrire, c’est éteindre chaque lumière, afin que la nuit revienne, dans l’impossible silence.

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Car l’écriture nous vient d’abord d’un creux, d’une insuffisance, de l’hémorragie qui s’ensuit, d’une rareté, d’un déficit.
Elle vient de nos dernières résistances quand elles cèdent, quand l’être, en nous, s’abandonne, et se perd.
Elle vient de notre marche sur la jetée quand celle-ci s’arrête, et que l’océan est ici, devant, démesuré, terrifiant, que tout en nous se projette vers l’infini. L’écriture vient de cet arrêt brutal, et de ce prolongement. De ce saut dans l’immensité. De cette marche sur les flots. Quand plus rien ne nous soutient, à part le fil tendu de la langue, une ombrelle de désir dans la main droite, et quelques notes de musique dans la main gauche.
Car l’écriture, c’est bien déterrer des ciels vacillants d’étoiles en réveillant les gisants, c’est bien ce creusement de l’ombre avec toujours cette avancée sur le fil comme une entrée dans la cathédrale : de l’arche à l’autel, du soleil au fanal, tenter le passage impossible du clair au lumineux, du crépuscule à l’aube, des secrets au mystère. Accepter l’envoûtement. L’appeler. Messe noire pour noce blanche. Toujours. Toujours. Puis infiniment recommencer jusqu’à ce que plus rien ne subsiste de nous. C’est bien cela, n’est-ce pas ? C’est bien cette folie ? C’est bien cet impossible orgueil des vaincus, qui sachant leur défaite se cambrent une dernière fois, face au néant ? Cet impossible orgueil des déshérités, des dépourvus, des dépouillés ? Rien. N’avoir rien que sa langue, rien que des mots, rien qu’une musique. Rien d’autre. Avoir assez de désespoir, de contradictions, de frontières pour pouvoir les déborder et les excéder. C’est bien cela, n’est-ce pas ? Dites-moi que c’est bien cela, parce que sinon il faudra que je brûle chaque mot prononcé, chaque mot écrit, il faudra que le silence ne soit plus le sacre de la parole, mais son unique sépulcre. Il le faudra bien.

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Le texte n’est qu’un échange. Ce n’est pas moi qui évoque l’arbre, mais l’arbre en moi qui parle. J’ai un océan en moi. Sa voix est bien plus intéressante que toutes mes raisons ou déraisons. Si tu veux tracer un cercle, regarde la vague, son mouvement, regarde-la se creuser, se rétracter, regarde-la aspirer l’air pour déployer sa puissance dans ce mouvement d’enroulement. Inspiration, expiration. Respiration du cercle. Ligne pénétrée d’un souffle. L’océan recommence indéfiniment, comme pour parfaire sa nature d’océan.
Il y a dans la constance un défi serein fait à la mort.
Il y a dans l’effacement de soi une renaissance possible.
Il y a dans la prière assez d’abandons pour faire jaillir une source.
Il y a dans l’amour tous les printemps et leurs cerisiers en fleurs.
Il y a dans la solitude une humanité à sauver.
Il y a dans cette pierre la patience d’une étoile et la bonté fervente d’un silence

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Le mot sort du muscle, du muscle qui se contracte, du muscle gorgé de sang. Il y a là, une réconciliation. C’est comme aimer…

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J’écris à l’intérieur de l’écorce. En deçà de ma peau. Sur les parchemins des viscères. J’écris dans un étouffement progressif. À l’intérieur. Pas à pas, je remonte la spirale du coquillage de ma langue.

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Il faut repartir du début. Du cri. Reformuler le cri. L’équation du cri. Un cri débarrassé de sa douleur, de sa peur. Un cri pur, net. À l’état brut. Un cri sans chagrin puisqu’il les contient tous. Sans cause. Le cri comme le premier mot. Le seul audible, le seul compréhensible.
L’enfant qui naît sait déjà tout. Il crie. Après il passe sa vie à oublier ce cri. Il passe sa vie à oublier qu’il savait. Derrière chaque geste, derrière chaque parole, ce qui compte, c’est le cri. Faire entrer l’air dans ses poumons. Déployer le cri. L’épaissir. L’accroître. Lui redonner sa nécessité. Son immédiateté. Son acharnement. Appeler le cri. D’abord dans ses poumons, à l’endroit des échanges des molécules, à l’endroit où le dehors devient du dedans. Quand le dehors devient du dedans, il devient un cri. Toujours. On ne le sait pas, parce que l’on a oublié le moment du naître. Le premier échange des molécules qui devient un cri. La première vérité, sans doute la seule que l’on ne dira jamais. L’originelle affirmation.
Alors, remonter le fil du souffle. Respirer intensément. Sentir le froid de l’air passer dans l’incendie du sang. Alors, n’écrire que cela, l’effondrement du dehors dans le dedans. L’écrasement des molécules dans les chairs vivantes et respirantes. L’écrasement. N’être plus que pulsations, vibrations. Jusqu’à la convulsion. Psalmodier jusqu’à l’ivresse. Du souffle sur du souffle, avec le cri qui se déploie dans un arrachement somptueux. Du souffle qui frotte sur du souffle. Du sang noir pour du sang rouge ; élévation lente, cène sanglante et hurlante. Cérémonie solennelle du cri initial, annonciateur, prédicateur. L’engramme. L’ordalie.
C’est après qu’arrive le chant.

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Écrire efface ma trace. Me retranche de l’avalanche des peurs. Je suis dans un reflet de silence. Écrire délimite un bord. Une ligne franche, brutale, presque coupante. L’en deçà, l’au-delà. Il y a le bord, puis il n’y a rien. Plus rien n’existe, pas même le vide. Rien. Des lieux, des temps qui n’ont pas la force d’exister, ou alors qui ne l’ont plus.

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Les miroirs sont autistes. Cela afflige leurs voix. Ils ne diront rien des temps de la fin.
L’écriture naît de la chair. C’est son premier mystère. Sa première révélation. Elle naît de la chair, de la voix de la chair. Elle naît de la consistance d’un toucher. De la contrainte des masses. De leur frottement. Au départ de l’écriture, se trouve le sang rouge, puis les caillots gluants. Au départ, il y a la main qui tremble. Il y a le geste. Le mouvement qui s’exhorte lui-même.
L’écriture trace un autre corps, d’autres formes qu’il faudrait habiter. Comme si l’enjeu était là. Dans cette distorsion des formes, des corps. Cet effort pour tenter de les faire coïncider. La voix invente un souffle, une autre respiration, un autre ventre. La voix du texte ne s’entend pas avec l’oreille, mais avec les yeux de l’autre. Le corps du texte habite une autre solitude.
Écrire est ce lent travail du feu pour décoller l’enveloppe. Un équarrissage minutieux. Le dépeçage d’un cadavre. Écrire, c’est dessiner les contours d’une île inconnue, c’est trouer l’océan.
En fait, écrire, c’est quitter l’île, quitter les contours définis de l’île. C’est être du côté des eaux, avec le trou de l’île en plein cœur. Puis le vent dans l’écume. Le scintillement dans l’éternel mouvement.
Écrire, c’est cracher sur sa vie, avec dans sa bouche une peinture arc-en-ciel, comme le sauvage dans sa grotte qui crachait sur sa main appuyée sur le mur, pour en inventer la forme. Le contour de sa vie. Comme pour nous dire que tout arrive à cette jonction du dehors avec le dedans. Comme pour nous dire l’océan troué par sa main, par son souffle, par sa salive. La main en pochoir devient le premier poème, né du souffle et du crachat. De la déchirure des formes. De leur débordement.

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L’écriture définit un autre corps, une autre peau. Ta main posée sur le corps du texte. Ta main, à la surface de ma peau, comme si ta lumière se repliait sur l’ombre que je te tends. L’écriture dessine Ton corps, et les formes s’ajoutent aux formes. Le texte invente des terres, les seules qui nous réunissent. Le texte invente le lieu où nous nous aimons, ce continent d’ivresse pure où nous n’irons jamais, puisqu’il brûle, là, dans l’incendie, dans l’instant de le dire, avec les mots qui en sont la cendre. Le texte est le lieu où nous nous aimons, où la peau la plus fine se pose sur la peau la plus fine. Écrire, c’est inventer un continent disparu. Où Tu habites. Où j’habite. Où nos corps s’additionnent dans les angles des mots. Dans le cri.

Puisqu’écrire nous vient d’un mystère. D’un mystère ou d’une fatigue, ou d’un ennui, ou d’un désir impossible. Écrire, c’est d’abord un amour qui ne tient plus à l’intérieur du corps, comme si les dimensions n’étaient plus adaptées. Écrire vient d’abord d’un épuisement de la langue, puis de cette fatigue, d’un savoir qui ne se suffit plus à lui-même. Les parois de sa vie sont envahies, mais l’on ne sait pas si cela nous vient d’un mal ou d’un bien, d’une révolte ou d’une bonté. C’est le prolongement d’une vie démembrée, d’une vie rendue brusquement impraticable. Inaccessible. Le bruit des jours nous devient insupportable. Écrire, c’est d’abord la vie en échec. L’amour empêché.
Puis un jour, cela devient un accueil, une aube. Les mots se posent dans leur désordre de lumière et de rosée. L’amour, la mort dans un espace infini. L’écriture peut alors déployer son chant, comme la mer déploie ses vagues. L’amour, la mort dans leurs mouvements incessants.
N’être rien que cet espace vide, comme ce grand champ de blé moissonné où poussent des coquelicots. Rouges. Fragiles et rouges. Comme l’or des moissons. Taches de sang dans l’immensité des constellations. Rouge. Infiniment vivant. Infiniment naissant.

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Jamais rien n’est dit. Il faut s’en convaincre. Puisque la vérité se trouve dans l’entre-mot, dans l’entre-texte, dans cet élan de nous qui nous échappe, et qui, pourtant, nous révèle. Sans nous. Dans notre absence même. Qui nous condense.
Qui nous recouvre du linceul de la langue.

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L’écriture dessine les contours de ma peau. En creux. Par défaut. Le vivant se révèle là, dans le silence. Un silence pochoir. Qui cache, mais révèle. Qui tait, mais donne à entendre.
Oppositions des formes pochoir qui se répondent à l’inverse d’elles-mêmes. Là, dans la béance. Lieu de suture, lieu de coupure.
Ici, il n’y a pas de vérité. Seulement une résonance. Le corps qui résonne avec la chair des mots. Avec le mouvement. Le balancement des vagues dans le corps. Lent. Comme un labour profond qui trace les dessins de la cicatrice. Un labour qui va chercher la terre d’en bas. La terre maudite. La terre noire. Celle des moissons futures.
Jamais rien n’est dit. Hormis le mouvement, l’élan vers une forme qui nous échappe toujours.

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Je suis sur la coupure. Juste là. À l’endroit où tous les mots ont été épuisés. Accepter cet épuisement. Consentir, à ce grand champ de neige et aux cendres. Consentir à l’hémorragie. Lent cheminement du renouvellement. Marche vers l’aube. L’aube qui sacre la fin de l’épanchement de nuit. L’enfin de la fin.
L’aurore arrache ses derniers lambeaux de nuit, sa parole vivante ouvre sur un nouveau baptême, l’alliance rayonnante de la lumière, du printemps, noce du jour et du consentement.
J’ai traversé ce grand champ de neige, ni vivant ni mort… Autre…
J’ai traversé ce grand champ de neige afin que s’épuise le passé.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour que chaque mort trouve sa place. Sa juste place.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour rejoindre la rive des vivants.
Innocent de rien, mais le pas plus pesant. Comme la joie : grave. J’ai devant moi un océan avec cette lumière qui troue les vagues, et ce mouvement vers l’aurore calme, comme un premier matin.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour blanchir ma parole, pour l’offrir lavée, nettoyée, purifiée.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour changer de saison.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour ouvrir la déchirure. Pour la bénir aussi. L’aimer, puisque c’est le sens de demain. Puisque c’est le seul endroit habitable. Puisque c’est mon lieu. Le lieu des résurrections. La déchirure comme seule naissance possible.
J’ai traversé ce grand champ de neige enfonçant mes mots jusqu’à la perte du sens, grelottant d’effroi, glissant d’un vide à l’autre.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour voir fleurir un grand champ de blé, piqué de rouge par le frissonnement des coquelicots, bruissant de bleu par une source d’eau claire…

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Quelle que soit l’histoire, nous n’écrivons toujours qu’au présent.

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Ainsi, de la frontière, car c’est le mot que l’on a inventé, on aurait pu dire : l’écriture, cet entre-deux mondes, ce lieu sans épaisseur de la déchirure, ce lieu vide de la douleur. Un jour on a dit la frontière, puis on l’a tracée. Brûlante, définitive, absolue. Alors, on a pu enfin écrire sur cette brûlure.
Écrire, c’est être sur la ligne de faille, toujours au bord d’une invocation, toujours sous la menace d’une imprécation. Nous sommes maudits, nous le savons, et nous puisons là toute notre bonté, toute notre joie. Nous sommes maudits, mais l’écrire allume un ciel étoilé.
Écrire invente un langage où il n’y a plus de lieu, où il n’existe que la peur, l’effroi, l’inconcevable, mais d’où jaillissent le feu et la lumière.
Écrire, c’est tracer une peau dans l’entre-deux inhabitable. Ce qui nous sauve, c’est l’oubli… Alors, nous recommençons, toujours naissants… Toujours naissant… Infiniment… Toujours aimant…

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L’écriture se nourrit de notre disparition. Atteindre la dimension de sa mort. Être dans la juste dimension de sa mort, à force de redite, d’insistance, de persistance. Comme si la maladie de l’écriture effaçait nos vanités, nos prudences. Comme si la maladie de l’écriture tranchait dans le gras, le ventru, l’inutile. Pour qu’à la fin on puisse juste enfiler un voile d’ombre. La peau de l’ombre sur notre peau de chair. Sans plis, sans couture, ni ourlet.

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Le corps de l’écriture est le lieu du frottement, des masses brassées, le lieu de l’imminente menace. La redite, l’insistance, la persistance. Le corps de l’écriture est toujours marqué des stigmates, du symptôme d’un temps pur.
La maladie de l’écriture possède trois stades : la redite, l’insistance, la persistance, plus cette maladie s’aggrave, plus elle vient en lieu et place de l’inconstance, de l’impermanence, de la précarité.
On connaît alors les trois degrés de la puissance : la faiblesse faite de boue, d’ivresse, la fragilité faite de verre et obsidienne, la tremblance faite de silences consumés et d’éternité.
L’autre nom de l’abondance.

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Écrire est la longue énumération de ce temps défait. La liste des noms des absents. La liste des silences. Dénombrement. Démembrement. Inscription vaine, lumineuse. Ravauder sa solitude, jusqu’à l’épuisement, ou jusqu’à l’ivresse. Mais nous sommes trop lâches pour être assez désespérés. Trop faible pour nous arrêter ou pour nous taire. Inconstant dans notre attente. Traître par oubli.

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Alors, écrire, c’est encore s’égarer dans une enclave de temps. Une sorte de crique. On y accéderait que par le chemin escarpé de parole, par une voix transgressée, une voix méconnue, une voix étrangère à notre voix, par la muqueuse d’un monde que nous ne savons pas habiter. Écrire serait appartenir à la terre sans y appartenir. Une crique ou une île sauvage. Écrire est sans savoir, c’est ce qui défait les livres, ce renoncement à toute explication, cette patience d’une parole crucifiée, béante. Une parole de nuit, avec le retour de l’abandon. Sans cesse le retour de l’abandon.

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Écrire est sans savoir. Un cri, avec la face effarée par une peur qui ne dit pas son nom. Un silence l’accompagne, un long silence prémonitoire…

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Écrire, c’est définir une frontière. À la fois une limite, un passage. Un au-delà de la limite. Écrire est un lieu de passage où la langue et la voix partent pour l’exil.
Écrire, parle déjà une autre langue que la nôtre.
Écrire, c’est passer la ligne imaginaire de l’être.

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Le retour lent est chargé de l’immensité. L’épuisement porte en lui l’infini.
Il porte un désert.
Parfois un puits.
Ceux que l’on voit marcher dans le désert ne vont nulle part, ils reviennent, ils reviennent… Toujours, ils reviennent, c’est ce qui fait leur étrange beauté.
Moins ils sont là, plus leur présence est grande. Ils habitent le temps.
C’est l’ultime secret du désert.
Ainsi, les grands textes qui ne sont qu’enroulements des temps. Retour et enroulement du silence. Un glissement lent sur le silence d’une parole qui s’épuise. L’effacement puis la révélation de la présence inouïe.

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Écrire, c’est tracer une frontière. À la fois une limite, un passage. Un au-delà de la limite. Écrire est un lieu de passage où la langue et la voix partent pour l’exil.
Écrire, parle déjà une autre langue que la nôtre.
Écrire, c’est passer la ligne imaginaire de l’être. La ligne inimaginable.
Le pays d’après recèle des dangers. Des vies, des morts.
Le pays d’après n’a pas de nom. Rien ne le désigne. Il n’est pas innommé, il reste innommable. Écrire le sait. La voix qui parle « l’écrire » le sait. C’est pour cela qu’elle est trouée.
Écrire révèle les contours d’un lieu impossible. C’est une autre langue que la nôtre. Une autre voix. On n’y reconnaît pas notre vie, ni nos jours, ni nos heures. Cela ressemble un peu à notre mort. Pourtant, rien n’est triste. Même si la mélancolie s’insinue dans la voix, car écrire la rend nécessaire, incomparable, surprenante, irréprochable. Invincible.

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Écrire se vit toujours dans l’annonce d’un avenir déjà révolu. Alors, écrire, revient à repousser la catastrophe ultime de la mémoire. La collision des temps contraires. D’où cette sensation d’écrasement, de jubilation enfantine. L’imminence tenue en respect. L’urgence comme viatique. La menace comme respiration. La nécessité comme sang.
Car l’écriture fond à mesure qu’elle se dit.
Car la parole de l’écriture est une eau trop salée.
Car écrire, c’est retrouver la voix de nos premières ignorances.
Car c’est une chose que l’on ne sait pas faire, pourtant on la fait, cette chose.
Jusqu’aux larmes.
Et c’est extravagant.

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Écrire nous oblige à revenir, après l’exhumation de nos morts,  aux instants pauvres. Nos moissons d’écriture sont laborieuses. Peu de grains, les épis sont mangés par l’oubli, puis les rêves s’en vont avec l’été. Écrire, c’est marcher sur le chemin des saisons, se laisser surprendre par l’éclat d’un caillou, l’odeur des buissons ou de la terre mouillée après l’orage.
La plus grande place en soi pour que l’infime y entre. Car nous manquons d’attention, d’application, de vigilance. Nous sommes sans soin, nous dépensons le temps avec la désinvolture des nouveaux riches. Le monde pense à notre place, cela suffit à nos illusions.
Mes journées d’écriture sont vides. Intensément vides. Voluptueusement vides. Une place infinie pour chaque instant. Avec l’attente dénudée, sans impatience. Une avancée lente et cadencée dans le texte. Avec ce sentiment d’une urgence sacrée.

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À la jonction des mots, dans cet espace qui les sépare, des univers font leur révolution. Dans ces silences qui trouent le texte, des arcs-en-ciel se faufilent. Chaque texte pèse le poids des siècles lorsqu’il passe la porte de l’infime.

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La seule bonté ne nous sauve pas, la seule fureur ne nous apaise pas. Écrire, c’est accueillir les deux en même temps. Le texte naît d’une violence absolue qui porte en elle une rémission non moins absolue. Ce qui nous guide vers l’écriture n’est jamais aussi clair que nous voulons le dire, il y a des forces obscures qui nous traversent, mais il existe toujours au cœur de la nuit la plus sombre la possibilité d’une aurore. Ce qui tient l’écriture, c’est la lutte intérieure entre ce qui nous détruit, et ce qui nous pardonne. La seule miséricorde s’étouffe au fond de la nuit d’un couvent, car nos crimes sont impuissants, sans force, pour maintenir au plus haut le poème. Sans doute que la beauté de l’œuvre n’est qu’une tentative de réconciliation, toujours
renouvelée, de nos puissances de destructions, confrontées à notre générosité la plus nue.
Ce qui nous fascine dans l’écriture, ce qui nous y ramène, c’est l’inextricable. C’est la présence vivante, en nous, de deux passions mortelles, inséparables. Inévitables.
Écrire ne nous sauve ni de l’une ni de l’autre.

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Écrire, c’est entrer dans un ordre de signification différent.

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Écrire, c’est ouvrir les veines de l’amour,
C’est une saignée dans la chair du désastre,
C’est le temps rouge de l’attente sans fin.
Écrire, c’est le feu du silence, c’est user une pierre par de lentes caresses.
C’est user sa mémoire, c’est déplier ses rêves.
Écrire, c’est l’abondance de la solitude, c’est la redouter puis l’étreindre dans le même temps
C’est une eau vive de douleurs, c’est la joie de s’y désaltérer, d’en avoir toujours soif
Écrire, c’est revenir sans cesse au seuil d’un murmure
C’est  polir un cristal pour éclairer sa nuit.
Écrire, c’est l’oubli de l’oubli, c’est l’effacement des siècles, des folies, des peurs.
Écrire, c’est ne plus espérer puisqu’il n’y a plus rien à espérer, puisque tout est là dans cette blessure somptueuse et sauvage.
Écrire, c’est descendre vers l’obscure de nos légendes, c’est sacrer le mystère, c’est frissonner sans trembler, c’est errer sans jamais être perdu.
Écrire, c’est n’être défait de rien ou de tout, c’est sans cesse refaire le même geste, toujours plus lentement, c’est un songe sans illusions, mais tout en gravité.
Peser assez sur la blancheur des mots pour en extraire la stridence.
Écrire, c’est accueillir l’effondrement comme une aube rédemptrice, dilapider les trésors cachés de nos vies décomposées.
Écrire, c’est refuser toutes les richesses, puisque chaque mot appelle une pauvreté toujours plus grande, toujours plus nue.
Écrire, c’est charger un navire, prendre le large sur la peau tendre de l’horizon.
C’est prier dans des cathédrales de silence, loin de toute clameur, dans l’absence absolue, un et innombrable, bouleversé d’urgence.
Écrire, ce sont toutes les saisons rassemblées, et la symphonie des neiges éternelles.
Écrire, c’est être sans toit, sans feu, c’est habiter un chant, c’est brûler infiniment, en pure perte, en pur don.
Écrire, c’est être sans dieu, et pourtant croire à la résurrection de la chair.
Écrire, c’est s’ouvrir les veines de l’amour, en laisser couler le sang jusqu’à l’abolition des temps.

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Écrire est une épreuve. Toujours.
Cela dit un mystère.
Autre chose que ce qui est dit.
Une vérité toujours cachée, qui se dérobe.
Plus on se croit près. Plus on s’éloigne.
Il y a deux centres, deux foyers comme dans une ellipse.
Choisir l’un des foyers, c’est renoncer à l’autre. S’approcher de l’un, c’est s’éloigner de l’autre.
La poésie dit une vérité autre, quelque chose qui ne serait pas la vérité du poète.
Écrire comprime les temps, les déforme, les rend poreux, et l’âme se faufile dans cette porosité.
Le poète s’y perd. C’est de cette perte inscrite à l’avance que l’écriture naît.
C’est de cet échec.
Alors, on recommence.

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Même joyeuse, l’écriture est douloureuse. La main qui porte le mot sait déjà l’inachevable. Il y a une joie obscure qui gît, là, pesante, en nous.
Contradiction. Dans le même temps où l’écriture se déploie, apparaît une rétraction qui traverse les chairs.
Il y a quelque chose en nous qui sait, mais qui ne dit pas, quelque chose qui dit, mais qui ne sait pas. Dans écrire, il y a comme l’aveu d’un secret que l’on ne sait pas. C’est pour cela qu’écrire a à voir avec le silence. La pénombre. Le murmure. Quand le murmure devient inaudible, alors le chant commence.
Chant sans paroles. Cela résonne, sans raison.
Le chant traverse, transfigure. C’est l’eau de l’âme.
Un surcroît des mots. Le chant vit hors des mots de l’écriture. Le chant n’est que du temps métamorphosé.
C’est la nuit au cœur d’écrire. Invisible, indicible, pourtant…
Écrire appelle l’impossible de l’Autre. La solitude immémoriale, le vide qui me sépare du monde, mais qui dans le même temps permet le monde en nous.
Nous venons d’une déchirure. Écrire dit la déchirure. Uniquement cet instant éternel de la séparation. Vivre, c’est tenter de l’oublier. Écrire, c’est tenter d’y revenir sans cesse.
Alors, on recommence.
On cherche cette joie douloureuse.
La répétition me rapproche de l’immobile, et l’immobile de l’éternel.
Les sillons s’ajoutent. Ce n’est jamais le même sillon, on croit que c’est le même geste, mais les sillons s’ajoutent. Le champ des semailles est à ce prix.
On creuse toujours la même terre, pour autre chose qu’un sillon. Pour une moisson à venir.
Même joyeuse, l’écriture reste douloureuse.

 

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Écrire, c’est le moment où l’on n’écrit pas. L’instant qui sépare deux mots. Deux phrases. Deux chapitres. Deux textes. C’est l’élan qui cherche à se survivre. C’est cet élancement de tout le corps dans l’espace inconnu qui sépare les mots de leurs cortèges de sons, d’odeurs, avec le glissement du sens dans la recherche d’une couleur plus juste, un saut plus net dans le vide toujours recommencé. Toujours à inventer.

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Avancer dans les mots, c’est comme avancer dans l’amour. Puisqu’écrire c’est déjà aimer, c’est encore aimer. Écrire, c’est cette hésitation brûlante qui nous pousse comme une fatalité à rechercher le plus clair de notre eau, c’est faire la place à cet Autre de l’amour qui nous suit en silence dans l’ombre de nos gestes, sur la pente de nos actes, jusque dans la plus intime de nos pensées ou le plus secret de nos rêves. C’est la paume des heures.
Écrire, c’est accueillir, cet autre de nous. C’est cela consentir. Puisqu’il ne s’agit pas d’être sauvé, mais le plus souvent d’expier.

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Le texte s’obscurcit, non pas lorsque les mots viennent à manquer, mais par renoncement lâche à mon sang. Par concession à l’oubli, à l’ennui. Par ma chair qui capitule, par ma voix qui s’accable. Avec la mort au bout. Lorsque je ne consens pas à brûler assez vite, assez fort. À aimer sans douleur.

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Au moment d’écrire, nous sommes un nœud de relations, un nœud de forces dont les plus importantes tentent de nous broyer. La dignité de l’écriture réside dans cette lutte étrange, presque invisible entre nos désirs contradictoires et le brasier du sang. C’est de ce frottement que naît le texte. De cet écrasement vaincu.

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Car le texte doit révéler l’inconnu. Non pas l’inconnu du savoir, mais le toujours innommé qui gît en nous : le fou, le saint, le lumineux. L’inaccessible présence qui nous brasse. Écrire, c’est se défaire de nous. L’entêtement du geste. L’acharnement d’une répétition qui nous efface peu à peu. Labyrinthe de miroirs. Où se démêlent l’absent de l’écriture et le présent du texte. Où se dédoublent les voix. Se situer juste à cet endroit de l’âme où le retour du même n’est pas exactement le même. Comme si l’écho nous revenait prononcé par une autre bouche. Décalage. Contretemps. Contrepied. Esquive des présences qui toujours se dérobent, toujours surgissent. Là. Dans ce champ des défaites. Où les ruines ne sont plus le résultat de la décomposition du nouveau, mais où les ruines seraient toujours l’expression la plus nouvelle du futur.

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L’écriture avance vers les confins, vers les lieux du décollement du sens. Imprenable. Même par la main qui la produit. Surtout par cette main. Un cheminement, paume ouverte. Prête aux stigmates. Comme le signe d’un accomplissement.

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Le texte est habité d’une puissance vivante qui m’écrase chaque fois un peu plus.

Entre l’amour et le désir, il y a un espace.
Entre l’écriture et le texte, il y a un espace, le même.
La nuit. L’imprononçable nuit. Le lieu des grands gisants.
Entre mes lèvres et Tes lèvres. La nuit.
La nuit que je traverse à chaque mot, pour Te rejoindre, enjambant les gisants et les siècles.
Retraçant infatigablement le chemin qu’il Te faudra consacrer.     
Comme écrire.

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Quelque chose se rassemble, là, dans un instant qui efface tout. Tout. Monter encore, pour finir. Rechercher la pente la plus droite, la plus éprouvante, la plus absurde. La plus féroce. Comme écrire, rechercher le geste le plus droit. Maintenant, mes pieds, mes mains s’accrochent. Mes genoux aussi. Ne pas glisser. Ne pas perdre les mots, surtout leurs lumières. Coller à la paroi de cette montagne. Coller toujours aux battements du cœur, du sang qui jaillit dans mon corps.
Comme écrire.

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Étendre. Projeter mes membres sur la pente vers une douleur plus grande, plus absolue. Le corps collé. Hors de moi, mais totalement moi. Dans la rage. La colère. S’arrêter. Impossible. Fixer un point là-haut, pour y jeter ce qui me reste de souffle. Même la mort est vaincue dans cet effort insensé. Simplement l’instant qui rassemble tout. Qui aggrave tout. Tout ce qui restait au fond de ma mémoire. Être dans l’instant du premier geste. Du seul geste. Comme la phrase qui s’arrête parce qu’elle attend du silence une consécration. Fixer un autre point. Un arbre, une pierre, une branche, une souche. Toujours la rage pour survivre à l’essoufflement, au feu du corps. À l’incendie qui brûle ma tête, ma poitrine. Comme écrire. Comme aimer. Et gagner une fois de plus sur l’errance, le flottement.
Comme écrire.
Comme aimer.
Maintenant, le sommet, et son ciel.
Maintenant, le sommet, son ciel, comme un port après la traversée des mers. Comme un port qui sacre le voyage.
La fin sans la fin. L’arrivée qui invente un retour.
Un possible.
Comme écrire ou prier. Ou simplement pleurer comme un enfant. Sans raison. Sans saison. Seulement à cause de la lumière, de cette joie incoercible d’être en vie. Le corps détruit de souffrance, mais rayonnant d’avoir survécu à l’asphyxie.
Comme écrire.
Comme écrire.

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L’eau du texte s’infiltre dans mes veines, lent fleuve de fatalité mystérieuse et obscure. L’eau lourde du texte cherche son issue, son océan. Mon corps est une terre ravinée, usée, qui s’épuise dans le flot. Alors le flot lent cherche la nuit, le flot lent traque les ombres. Le flot lent engloutit des cités entières. C’est le flot du texte, fait de chaos, de débordement, de son invincible poussée.

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Écrire, c’est faire de l’arbre. C’est mûrir sous l’écorce de la parole, la saison à venir. C’est faire du temps, dont les mots sont les graines. Écrire, c’est faire de l’arbre, c’est réunir la terre et le ciel en dépliant chaque mot avec la persévérance du bois, c’est étendre le texte en tronc, en branches, en ramures, jusqu’aux feuilles, jusqu’aux fleurs, c’est tendre ses fruits en offrande.

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Écrire possède dans sa paume une flamme un peu noire pour dissimuler nos vanités, pour ne jamais oublier qu’oublier, c’est oublier la fin. Car ce qui sauve le dernier souffle, c’est qu’il ne sait pas qu’il est le dernier.

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Parfois, dans écrire, on finit. Jamais on n’atteint.

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Écrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. Vaine, donc indispensable. La forme produit du sens. Le laboureur le sait bien, lui qui s’applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Ainsi, de sillon en sillon, toujours le même, à chaque fois toujours différent. L’épreuve renouvelée sans cesse. La grâce des saisons. Car la puissance de la récolte tient à ce consentement à l’harmonie de chaque sillon. La perfection du trait.
Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n’écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu’il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C’est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s’épuisant.

Écrire au pas du marcheur, c’est avoir traversé sa vie. Mille fois être mort, pour renaître à chaque aube. C’est brûler sans rien incendier. C’est aimer sans regret. Être dans cette impulsion de la parole qui cherche devant, sa récompense, simplement dans ce mouvement d’aller en avant, calme, dans l’équilibre des sons, des images, dans la retenue du souffle. Écrire le pas, c’est supporter un soleil et les planètes qui tournent autour, c’est construire un monde pour l’offrir. Le pas s’invente à chaque pas. Il n’est jamais le même. Puisqu’il est consentement, puisqu’il est totalisation, comme le murmure, comme l’aveu, comme la prière.

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Au pied de l’écriture, on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Debout, droit sur sa terre comme le capitaine qui sait la tempête, avec sa cruauté inhumaine. Debout, droit, pesant déjà d’un surcroît de chair, d’os, d’un surcroît de vie. Lourd comme un titan et pourtant fragile comme un cristal.

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Alors, arrive ce temps de l’avant, ce temps débarrassé de toute intention, ce temps pur de l’amour.
Alors le premier mot rentre dans la terre, ainsi que le premier pas de danse.
Le premier mot perce de la terre, avec le goût d’un sang nouveau.
Le champ n’est plus un champ, il est supplique.
La terre n’est plus la terre : elle est voyage.
Les heures brillent désormais comme des constellations.
L’écriture porte en elle la tentation du retour, c’est pour cela qu’elle s’écrit à rebours du temps qui la dit.
Retour sur l’inaccompli.
Sur l’inaccompli des temps à venir. Sur l’inaccompli éternel. L’impossible accomplissement. L’impossible sacre.
L’écriture passe son temps à se suspendre, comme si dans ses stases successives se trouvait sa vérité ultime. La Vérité. L’écriture cherche son silence, dans l’au-delà des mots ou dans leur accablement. L’accomplissement du dire dans le vide. Le vide d’après.

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L’écriture est solaire, elle se souvient de la nuit, c’est ce qui en fait l’éternel chemin de croix, car l’écriture, c’est la mémoire du désastre. Car l’écriture est solaire. C’est pourquoi elle a affaire aux ombres, aux empreintes qui s’effacent, aux rêves qui rattrapent nos gestes, à ce qui respire encore dans les coins les plus perdus de nos vies.

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Comme si le geste de l’écriture avait besoin de s’arrêter pour s’accomplir. L’ultime appel à la vie. Avec le geste qui se resserre. Comme la matière dans l’atome. Resserrement de l’espace de l’écriture pour lui donner la puissance du cri. Le cri. Le mot dénué de parole. Le dire pur. Le tintement de la vie dans la chair.
La révélation.
La peau vulnérable du poème se raidit jusqu’à la cassure, jusqu’à la faille de lumière brutale.

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Écrire, c’est autre chose qu’écrire. C’est avant tout signifier le feu, et tout ce qui pourra détruire le feu.
Le feu. Le feu séparé de la chaleur. Le feu comme principe d’ascension et de disparition. Chemin de retour à la nuit.
Retour à la nuit lumineuse.

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Il y a une voix qui vit dans l’écriture. On reconnaît l’écriture à cette voix singulière, étrange qui l’abrite. Lorsque nous lisons, nous entendons parfois cette voix. Elle n’a rien à voir avec l’oralité. C’est une voix. Elle semble sortir d’un feu obscur, d’un feu sans âge. Écrire, c’est faire parler cette voix en nous, ou par nous, sans savoir si elle nous appartient, ou si elle vient d’un ailleurs mystérieux. Elle semble précéder le texte, sans jamais être tout à fait le texte. C’est dans cet à-peu-près, que la stridence se produit… Alors, le poème peut naître…
Au moment de l’écrire, c’est elle que l’on appelle dans le dédale des souvenirs, des mots, des sonorités. Elle habite en nous, comme la trace d’un passé lointain, comme le témoignage d’une humanité révolue, ou d’une autre à venir… La voix en nous qui se fraye un souffle dans le chant du texte, nous inscrit dans l’ordre des générations. C’est l’humanité entière condensée dans un murmure immémorial.
La voix qui parle en nous ne nous appartient pas, elle nous traverse, nous devons la faire passer, la transmettre, comme un feu sacré…
Elle ne dit rien, elle ne dit que la mémoire des siècles…
Elle ne dit rien, elle ne dit que mon dénuement et mon déchirement…

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Il y a dans l’écriture la mort permanente, continuelle, du présent. Le temps en nous se brasse. En nous, il y a de la mort qui parle lorsque l’écriture est là, mais pas seulement : il y a le balancement lent entre l’inachevé et l’inachevable, puis l’urgence à reprendre sans cesse. Un feu meurt qu’un sang singulier entretient. Il y a de la lutte dans cet échange des sangs et des temps. Le mot ne tient que par celui qui n’est pas encore là. Le vide nous menace, la défaite, la perte incommensurable. Écrire, lire, nous jette dans le même désarroi. Le lecteur lit en lui son propre poème, il fouille en l’autre qui écrit, ce qui n’est que de lui. L’émotion du lire naît de la coïncidence. Dans le silence, de lire quelque chose se condense, se précipite. Le reste d’un futur déjà trop vieux, ou d’un passé toujours à revivre. La fin du poème nous laisse toujours brûlants, dévastés, elle laisse la trace en nous de ce qui manque… Le temps et l’amour…
Les amoureux ne lisent pas.

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Écrire, c’est être traversé par une question, toujours la même. Qui ne se dévoile jamais de la même façon, sauf dans cette sorte de dérobement, cette esquive qui nous fait chanceler. Écrire, c’est être traversé par une stridence, une urgence sans objet, puisque le sens d’écrire est toujours en deçà de l’écriture. En deçà, ou à côté, un « ce n’est pas cela » qui se défait en nous.
Écrire, c’est déjà échouer, mais cet échec est la seule force à opposer à la peur et au néant. Écrire, c’est s’approcher, sans jamais atteindre. C’est savoir que rien ne sera jamais atteint, mais s’approcher sans cesse. Alors, on recommence. Toujours plus loin, toujours plus profond, toujours plus seul. Le silence est le métronome des mots. Il bat en nous. Écrire, c’est traverser un silence pour aller sur l’autre bord, l’autre rive. Mais les bords et les rives n’existent pas. On le sait. Mais écrire, c’est se défaire de ce savoir. C’est ne plus rien savoir. C’est aller…

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Écrire travaille cette longueur, dans cette usure du temps, dans l’épuisement qui y préside, dans cet écroulement qui suit. Écrire, cela prend le temps, tout le temps. La chair, toute la chair. Cela surgit de ce point de néant qui gît en nous. C’est le retour à la voix de l’enfance, la voix dépourvue de mot, qui n’est que murmure. Ce qui prend du temps, c’est de défaire l’homme, le déshabiller de la vie qui l’écrase… Écrire, c’est puiser dans l’ennui, le meilleur de nous-mêmes. Que reste-t-il quand tout est dépecé, raclé ? Que reste-t-il de l’inutile, du vain de nos jours ? Que peut-on écrire lorsque tout a été dit ? Mal dit. Mais dit quand même. Écrire, c’est le souvenir de la terre une fois les amarres jetées. C’est la fin, après la fin. Oui ! C’est trouver un chemin possible.
Écrire, c’est labourer les champs du souvenir, pas pour dire le passé, mais se croire encore vivant.
C’est aussi consentir à l’inachevable. C’est poser là une lumière sur la margelle du vide, une étoile au bord du néant. Écrire, dit bien cet ourlet de tristesse cousu avec un fil d’or pur.
On est perdu, mais du perdu jaillit le feu qui coure sur l’océan, alors la houle nous emporte en même temps qu’elle nous ramène au ventre de nos mères.

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La phrase reste souvent en suspension, dans l’hésitation, dans l’appel. Comme si elle était arrivée au bout des terres connues. Elle reste là, incomplète, pitoyable, inachevée. Alors, on y met notre souffle, notre respiration, on la pousse pour l’aider, pour qu’elle tente d’atteindre la rive du mot suivant. On lance dans cette poussée notre corps entier, nos muscles, nos os, nos nerfs, avec cette tension de toutes les fibres, de toutes les cellules. On y met notre patience, notre attente, pour désensabler cette phrase prise dans les ornières d’une parole exsangue.
On cherche, cela ressemble au travail du musicien qui essaye les notes sur son clavier. Ce n’est pas le beau qu’il cherche. Il cherche la vérité de la note. L’exacte évidence. La certitude. Celle qui s’emboîtera à sa juste place dans le mur du son, le mur de la musique. L’édifice de ses jours. La certitude, même l’espace d’un souffle, même l’espace d’un mot. La certitude d’un seul mot. Le mot qui manque à sa vie, là, dans l’instant où il manque à la phrase.
Le temps du manque, des fragiles certitudes. Toujours à recomposer. Comme si les mots se déliaient de leur pacte au fur et à mesure. Comme si chaque conquête annonçait la défaite.
Le texte s’avance en nous, avec cette lenteur pesante.
Il s’avance, il dévore notre vie.

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Écrire, c’est dire, mais dire n’est jamais vraiment lisible, puisque dire se fait au couteau, juste entre la chair et l’os. Dire, c’est signifier. Signifier, c’est toucher du doigt le soleil et chaque étoile du ciel. L’écriture révèle la trace du couteau à chaque souffle de la voix.
Écrire porte la voix. Une voix qui erre en nous. Écrire, c’est l’antimatière de la parole. Un trou noir de l’espace des mots. Le trou noir de l’attente, des tempêtes de l’attente, et du soleil de l’attente. Léger comme une grâce…
« Écrire, ce n’est pas parler » : c’est chanter juste avant la mort.
Léger.
Léger.
Chanter, juste avant la mort.

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L’innocence n’est pas un pays perdu. C’est un pays oublié, en contrepoint du réel.
Écrire en est la trace, l’empreinte, ou le point de fuite.
L’innocence ne cesse de nous rappeler son effacement. Sans doute, la raison pour laquelle écrire s’obstine pour en revivre le souvenir. Un souvenir absent ; son absence même, donnant au geste d’écrire son sens de pureté déchue.
Il y a dans toute innocence la puissance d’un diable qui veille.

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Avant l’amour, il y a la danse. Après l’amour, il y a l’écriture, avec son écroulement. L’immobilité de la langue, le rêve, son mouvement impossible. Après l’écriture…

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Écrire est une nostalgie d’un monde qui n’existe plus. C’est une maladie du vivre, qui nous pousse à retrouver les premiers temps du silence, de la peur, de l’affut. Se sentir traversé. Emporté. Englouti dans l’instant qui précède tous les instants. Débarrassé des jours.
Je reste là, immobile, dans l’attente absolue de l’engloutissement. Écrire seulement, l’écriture en train de naître, surprendre la trace du silence qui jaillit, la blessure qui le suit.
Mes textes ne disent rien. Ils ne disent que l’imminence, l’imminence toujours renouvelée, comme dans la chasse ancestrale, où vivre et survivre se tiennent dans le même temps, serrés l’un contre l’autre, pour se sentir délivrés, de la langue, de la peur, de la fin, de l’éternelle fin…
Alors, dans cet espace impossible du texte qui se fait, ce lieu inhabitable tremble, toujours vacillante, l’éclat d’une joie indemne, d’une joie encore intacte… L’indicible printemps…

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Il faudrait imaginer l’écriture qui s’effacerait juste après avoir été écrite, de même que la lecture du livre emporterait les mots au fil des yeux, et blanchirait les pages. À la fin, tout serait blanc, comme un paysage de neige. Comme en hiver lorsque tout est blanc.
Ce qui tient ne tient que dans l’instant. Tout s’efface. C’est pour cela que nous recommençons.
Nous venons de cet effacement.
L’écriture est un lieu impossible, sans cesse contredit.
Au fond de chaque nuit, il existe une nuit encore plus profonde, qu’aucune aurore ne couronnera.
Il existe un hiver qu’aucun printemps ne délivrera.
Ainsi, nous allons… Ainsi, nous devons aller… avec le vent qui efface nos traces et fait trembler les blés…
De l’hiver à l’hiver, du noir, au plus noir encore, du plus seul au plus désolé, du murmure au silence…
Aller, aller sans cesse…
Écrire dit seulement ce mouvement, la neige, le vent dans les blés…

Alors, on écrit pour dire cette folie, que l’errance n’est pas le résultat de la seule ignorance, que l’on a pitié de nous-mêmes seulement par lâcheté, parfois par miséricorde.
Si l’on tend l’oreille, si on la colle au plus près de notre langue, alors on peut entendre, tapis au fond des chairs, un enfant perdu. C’est le chant de la langue, le lieu de notre exil…
Alors, on va vers cet enfant, on écrit pour qu’il vive… Encore un peu.

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Écrire ne dévoile pas le secret. Écrire le désigne.
Parfois, il l’efface.

 

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J’ai senti dans l’écriture cette sauvagerie originelle, cette douloureuse véhémence qui court le long des nerfs, qui s’enroule aux os, qui perce les chairs. Toutes ces choses du désir d’avant le désir. Un intense vouloir sans forme, sans objet. L’état rudimentaire du vivant.
Écrire traverse ces contrées archaïques, ces pays sans mot, sans question, sans réponse. Uniquement une sorte de stridence ancestrale qui revient du fond des temps. C’est cette première chose disgraciée qui dénude, qui appelle.
C’est le premier désert à traverser.
Car il faut bien dire que tout viendra de ces lieux défigurés.
Car écrire ne vient pas du haut. Écrire vient du bas, de l’encore plus bas. De la croûte vitrifiée de l’en deçà du temps, de cette terre noire qui passe dans nos veines et qui racle.
Écrire nous renvoie aux gestes primitifs. Aux pensées sans pensées. À l’absolue nécessité d’être, sans rien savoir de l’être. Écrire, au début, c’est ne rien savoir. Après, le savoir de l’écrit nous échappe, nous abandonne. C’est porter la vie plus loin. Sans rien connaître de ce loin. De ce plus.

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Longtemps après l’écrit apparaissent parfois quelques étoiles.
Le texte tient par l’expansion des mots qui le traversent. Par l’hémorragie qui en résulte.
Même la pénurie doit être excessive. Même le manque. Surtout le manque. Le manque en abondance.
À cet instant de l’écriture, on sait qu’il va falloir perdre quelque chose de soi. Car les mots naissent de cette perte suivie de cet écrasement. De cette déchirure entre l’air que l’on respire, le poumon qui hésite dans son mouvement d’aspiration, d’élargissement. Ils naissent aussi de cette peur, de cette tension qui vrille jusqu’à l’insoutenable parfois. Parfois seulement. Que puis-je perdre encore que je n’aurais pas déjà perdu ?
Au départ, écrire, c’est errer dans cet espace de silence, dans la volonté toute tendue de la perte. Comme pour le sacre d’une défaite. Puisqu’écrire est une défaite. Majestueuse défaite. Somptueuse. Mais défaite, aussi. Puisque c’est la continuation, la sanctification de l’inachevable, puisque c’est la prolongation du manque, jusqu’à sa magnificence, dans la profusion du vide, jusqu’à son débordement. Ruissellement de néant, écoulement magnifique, hémorragie de mortification vaine, pourtant indispensable.

Tenir le texte, c’est tenir la distance, l’infinie distance, la tenir à bout de bras, à bout de rêve. Écrire, c’est labourer, avec lenteur et détermination. C’est labourer son corps, sa chair, sa mémoire. C’est appeler la rêverie, n’en recevoir que la poussière, surtout ne pas s’en contenter. C’est vouloir le plus, le mieux, le toujours, l’irrévocable. C’est savoir notre finitude, mais continuer à croire en l’éternité. C’est ne rien lâcher, même dans l’abandon. Ne rien lâcher. Tenir. Tenir la note et le texte, comme on tiendrait la main de l’amoureuse.

Parce qu’écrire ne nous sauve pas, pourtant les mots nous secourent quand ils viennent à nous. Ils nous mettent en sursis, en espérance. Puisqu’écrire, c’est rejoindre, rejoindre l’inconnu qui nous appelle. Puisque c’est répondre au cri inconnaissable par un cri inconnu. Puisqu’écrire, aimer, c’est le même chemin. Puisque celui qui écrit, quelle que soit sa situation, est en état d’amour. Même s’il ne le sait pas. Écrire, c’est aimer, c’est témoigner de notre solitude, puis l’encrer pour l’offrir, c’est poser une forme là où il n’y avait que chaos, et célébrer le manque puisqu’il est promesse. Oui ! Écrire, c’est le sacre du manque, du mouvement qui exige que l’on le dépasse pour le prolonger dans les flammes de notre désir.

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Chaque texte est une mélodie et l’impossible tentative de la dire.
Les mots se lovent dans la courbure du temps, à l’endroit creux, là où les eaux se rassemblent, larges flaques de mémoires et d’oubli, comme un œil qui fixe le ciel, par défi, ou par négligence. Flaques qui s’accrochent encore à la terre, mais qui savent le combat déjà perdu. Rétraction des eaux de la parole. Assèchement lent. Lent. Un chant qui s’épuise.
Alors, l’écriture part de là, de ce rétrécissement des possibles, de cet empêchement des espérances, de cette simple et évidente fatalité. Le geste part de là, il est sans illusion. C’est ce qui lui donne sa couleur. Sa lumière. Un peu de lumière dans l’infini du néant. Quelques braises pour réchauffer les cieux.

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Nous écrivons toujours sur une page de nuit. Une page entièrement noire. Parfois, nous grattons assez fort le noir pour faire apparaître le blanc de la langue. Parfois, aussi, nous grattons trop fort. La page se déchire, la nuit saigne, la parole meurt avant d’être dite.
L’écriture est trouée, parce que la langue est trouée.
Lorsque la phrase se déploie, puis se ferme, et se clôt, elle dessine un trou. Les écritures non trouées ne disent rien. Il nous faut sentir ce trou, le vertige qui l’accompagne, sans doute la peur, celle des grandes tragédies. Lorsque l’on va, par folie, chercher la langue gisante entre l’os et la chair, lorsqu’on la tire, souvent dans un déchirement, pour la faire surgir, elle a la forme du trou qui nous habite, ce trou qui nous accompli, ce vide qui nous révèle, qui nous construit.
Je suis un précipice.
Le vide hante nos vies.
Vivre, c’est chuter, sans fin. Le reste n’est qu’illusion ou divertissement.

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Écrire est une folie, la seule qui nous fasse souvenir qui nous sommes.

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Écrire cherche à délivrer l’enfant en nous. L’enfant prisonnier de l’ennui, de ce temps abattu qui écorche ses ailes. Souvent, l’enfance, perdue dans ses rêveries, ne sait plus trouver l’espace entre la joie et la mélancolie. Alors, il demeure, là, figé, pétrifié. Vitrifié, comme une terre désossée de ses promesses.
Alors, j’écris sur un bout de trottoir, dans le passage de la vie, dans le flot continu des existences, des visages, puisant sans cesse dans les ombres lumineuses le plus clair de mon encre, la plus insouciante des solitudes.
Écrire n’est pas une occupation.
Parfois, c’est un destin.
À coup sûr une malédiction.

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L’écriture se joue dans son effacement, elle n’est jamais plus présente que lorsqu’elle se retire. Écrire n’est rien, sinon le consentement à ce rien. L’infinie jouissance du désespoir.
Quelque chose se dérobe, ici.
Écrire, hurle la vision étouffée. Comme si le ventre des mères manquait toujours à nos mémoires. Le langage s’arrête à la porte des sexes. Nous écrivons la nuit, pour refaire le voyage. En vain. Pour le refaire quand même.
Nous ne vivons pas de nos rencontres, mais de leur oubli. Toujours dans l’après-coup d’un contretemps.
C’est pour cela que nous écrivons, pour ajouter de la musique à ces rythmes cassés. Comme si la fin ne se suffisait pas à elle-même. Comme s’il fallait la dire, la redire pour s’en convaincre. Ou pour résister. Ou seulement pour continuer d’aimer. En pure perte. Mais aimer encore.

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Écrire, c’est détrôner les dieux. Comment pourrait-il en être autrement ? Que vaudrait une parole qui ne viserait qu’à les servir ? Il n’y a pas d’orgueil là-dedans. Simplement le déploiement d’un geste nécessaire. Les dieux nous ont inventés pour qu’on les tue. Le poète achève la création du monde.
Écrire, c’est bien tracer le domaine des dieux pour y mettre le feu. Pouvoir contre pouvoir. Magie contre magie. Miracle contre miracle. Le poète a un avantage dans cette lutte, car il n’a pas l’arrogance des dieux, il n’a que son désespoir, parfois sa désinvolture. C’est bien suffisant.
Écrire, c’est nommer l’infinie négligence des dieux.

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Rejoindre un cœur est un voyage impossible. Rejoindre un cœur est une vraie folie, parce que les mots tombent, ils nous échappent, se brisent aussi facilement qu’un souvenir, ils ont besoin de toute notre attention pour rejoindre, à force de couleur, de musique, d’élan, une parole juste, attendue. Peut-être secourable.
L’amour court sur la lame d’un sabre, un mot trop lourd, trop pesant et c’est la blessure. La rosée qui l’abreuvait, qui le nourrissait, se transforme en sang, c’est ce que l’on appelle le sang du poète.

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Le plus court chemin pour le mot, c’est le baiser.

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Combien de temps pourrai-je encore tenir les bords tranchants de l’écriture ?

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Nommer est un travail solitaire et silencieux.

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Écrire nourrissait la forme la plus achevée de sa mélancolie.
Alors, pour ne pas être écrasé, il opposait à ce monde si présent ses landes intérieures si évanescentes. Il croyait qu’écrire, était la dernière forme d’une sorte de résistance. Une résistance à l’état brut. Effacer ce qui tentait de le broyer.
Écrire était cette tentation d’établir un continent aussi vaste que l’océan.
Un continent né de sa voix.
Chaque mot était une île débordée, une île posée sur son horizon mélancolique. Chaque mot était un voyage perdu. Chaque mot épuisait un peu plus son sang.
Alors, désormais il connaissait tous les mots de son malheur. Un à un, il les avait incorporés. Il en avait épelé chaque lettre, il les avait prononcés dans le recueillement, il avait même bâti sa solitude autour d’eux. Chacun se tenait comme une île dans son océan. Il avait fait le rêve fou d’agrandir assez chacune de ces îles pour qu’elles se rejoignent toutes.
Toutes.
Écrire était cette tentation d’établir un continent aussi vaste que l’océan.

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L’écriture ne tient que dans le renoncement à la littérature. Que dans le constat toujours renouvelé, que nous sommes à la fin d’un monde.
Écrire suppose une ignorance définitive et absolue ; la désespérance en un devenir littéraire.

Écrire est un geste déjà advenu. C’est parler une langue morte. Écrire, c’est maintenir le geste qui en se dévoilant, défait la langue même dans laquelle il prétend se déployer. Une marée à l’envers, où la mer ravale une à une ses vagues, découvrant un vide toujours plus grand…
Saturne dévorant ses enfants.

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Car je sais des mots ruisselant comme la lumière des vitaux, je sais des cryptes de silence pétries dans la pierre des prières, je sais des recueillements, des passions, des chemins de croix, qui valent bien les leurs. Chaque texte vaut une église. Le simple murmure d’un poème fait chanceler la moindre chapelle.
L’écriture tient les bords du temps.
Écrire conjure le vide.
C’est la tentative d’un dialogue avec sa part la plus irréductible, sans doute la plus douloureuse.
Il s’agit de côtoyer les ombres de les frôler, de les désigner de les ressusciter. Il faut rajouter quelque chose au vivre, soit pour le parfaire soit pour le refaire pour lui donner sa dimension de silence. De fièvre.
En fait, écrire nous dit l’ombre de nos actes, de nos paroles, le trou décelé dans l’écorce crevassée de nos vies démembrées.
Écrire touche à la substance même de ce que nous ignorons.
Ce qui fut ignoré sera écrit.
Ce qui n’a pu être dit sera écrit.
Ce qui n’a pu être écouté sera écrit.
Ce qui a été refusé sera écrit.
Ce qui a été perdu sera écrit.
Ce qui a été espéré sera écrit.
Ce qui a été pleuré sera écrit.
Ce qui a été sali sera écrit.
Alors, alors seulement, ce qui aura été écrit sera chanté.

Franck.

1 décembre 2019

Comme une langueur désolée...

Parce que la vague est un envoûtement. Que sa puissance vient de loin. D'un ailleurs. D'un autre temps. Parce qu'elle a commencé bien avant notre regard, comme la lumière des étoiles. Comme un long écho du temps. Comme une langueur désolée.
Les vagues naissent d'un endroit secret de l'océan. Nul n'en sait le lieu. Tous le redoutent. C'est un lieu de puissance et d'effondrement. C'est le lieu de la mer qui invente les naufrages. Là, au centre de ce lieu, il a un point, un point minuscule, si petit qu'il n'a pas d'espace, c'est sans doute un point d'orgue. On sait qu'il existe, mais nul ne l'a vu, et nul ne pourra jamais le voir, c'est là que naissent les vagues. Toutes les vagues.
Elles naissent d'une inquiétude de la terre et d'une résonance, d’une sorte de vibration. Elles naissent d'un murmure des dieux, elles naissent d'un désenchantement, d'une affliction, comme ces mères qui accouchent, et qui au moment de l'apparition de l'enfant hésitent entre la joie et le désespoir. Comme une langueur désolée.
Il y a dans la naissance des vagues comme un haussement d'épaules de l'océan. À peine. Mais suffisant, comme un désintérêt, une sorte de dédain ou d'indifférence, comme si l'océan était déçu par les rêves de l'humanité, comme s'il s'en retournait chez lui au centre des abîmes, et que le haussement d'épaules, ce tremblement de colère rentrée fasse naître les vagues. Un long frissonnement venu des âges de l'univers. Comme une langueur désolée.
Dans l'envoûtement de la vague, il y a cette mémoire douloureuse et cette oscillation, et cet ébranlement des eaux du dédain, et le rappel incessant de notre indigence, cette espèce d'absence, cette perpétuelle défaillance.

L'écriture de l'eau qui roule, tente de reprendre le mouvement d'avant, celui dont on vient. Reprendre la main sur le tangage des rêves et la vacillation de la raison. Comme la danse du chamane, comme s'il s'agissait de rappeler les forces premières, celles du sang ancestral, de retrouver le pur, le non corrompu. L'inaltérable. Appeler la démence et l'ivresse du balancement, et les faire rentrer sous sa peau, et les faire glisser le long des os, et tendre ses viscères à ce brassement monotone jusqu'à l'écœurement, jusqu'au vomissement. Comme une langueur désolée.

C'est une écriture de la mémoire et de l'oubli, de l'amour impossible, et de la mort trop lente et trop lointaine, c'est une écriture qui s'aveugle sur l'horizon, qui tremble, et qui s'essouffle.
L'écriture de la mer ce n'est pas l'écriture du voyage, elle n'a pas cette tension secrète et sourde, ce n'est pas l'écriture de l'ailleurs, du partir, elle a trop de retour dans sa langue, trop de langueur dans sa perte, trop de folie dans son ignorance.
L'écriture de la mer ne porte pas l'espérance, elle n'est pas la bouteille qui contient le message, elle n'est qu'une vague. Que la vague. Une et innombrable. Elle n'est qu'une eau dans l'agitation de son errance, elle n'est qu'elle-même, dans cet au-delà d'elle-même toujours renouvelé. Elle n'est que la simple extension de la clarté. Expansion de l'abandon. Elle n'est que son instant dilaté, sans autre volonté que de l'être pleinement. Infiniment perdue, infiniment retrouvée. Elle se contient, elle se résiste et si elle ploie parfois, si on l'entend se briser, c'est pour mieux se recomposer, mieux se reconcentrer. Aller de l'éclat du mot à l'esquille de la parole. Aller de l'identique défait de l'habitude, à l'identique enveloppé de sa propre recomposition. Embrun paradoxal de l'infime et de l'immense. Paradoxe de la plénitude et du doute. De la dérive. Et de l'oubli. Comme une langueur désolée.

Il y a dans l'écriture de la vague une sauvagerie insoupçonnée, née des profondeurs immobiles qu'elle recouvre, de cette résignation à ne signifier rien d'autre que le mouvement, que la présence. Une présence débarrassée de l'ombre, car elle est l'égale du soleil. Elle porte sa propre lumière, c'est ce qui la rend si étrange. Si envoûtante.
Et l’astre rayonnant si révérencieux à son égard.

Il y a dans la vague un envoûtement, venu de sa patience, et de son entêtement à reformuler sans cesse la mer dans sa totalité, et dans ce renouvellement de l'attente, et dans cette joie inquiète qui la fait se gonfler, et dans la résignation qui la fait s'éclater. Il y a dans cette respiration la forme d'un chant inhumain. Le chant de tout ce qu'il y avait avant et de tout ce qu'il y aura après.
Comme une langueur désolée.

Il y a sur le bord de la vague un rire d'enfant ou un rayon de lune, c'est ce qui la blanchit et lui donne la force d'aller au bout de son enroulement, d'aller au bout de son outrance dans la profusion du verbe, et dans cette démesure lancinante.
Le soleil dit : « Je suis... ». La Mer dit : « Je consens... ». Et la vague murmure : « Je m'efforce.... Comme la graine et la fleur, je m'efforce... comme l'arbre, je m'efforce. »

Dans l'écriture de la vague, je m'efforce, comme dans une prière débarrassée. Une prière sans adresse, comme le rire d'un enfant qui perce la lumière.
Malgré cette langueur affligée.

Franck.

5 janvier 2020

Saba...

Au creux d'une défaillance de lumière, j'ai vu au fond de tes prunelles les grandes étendues de poussières blanches du royaume de Saba,
aux confins de tous les déserts,
là où les prières deviennent de simples souffles, des chants d'azur éparpillés.
Souviens-toi, en ces temps-là, tu étais reine
Reine gracieuse à la pâleur singulière
Reine du pays du vent.

J'ai vu ta beauté, légère comme un ciel d'été, glisser avec douceur vers le seuil inconsolé de ma retraite obscure, ta lumière bleue avait la transparence envoûtante de ces jeunes mamans penchées sur un sommeil d'enfance, dans tes yeux scintillait cet espace d'éternité qui appelle la joie pure d'une prière lancée au firmament.

Ta présence fut comme un souffle de mésange, un frôlement rayonnant, une pluie étincelante semée sur mon océan de langueur.
Une fleur mystérieuse plantée au jardin de mes absences.

Franck.

12 janvier 2020

Retour manquant...

 

La fin ne dit jamais la fin. La fin serait ce retour manquant. Il nous manquera toujours ce récit, celui du retour manquant. Le livre est sans doute cette tentative, écrire le récit qui manquera à jamais à notre vie. Le début ne dit jamais le début. Les récits du début sont troués. Il manque toujours une histoire à notre histoire.

Franck

18 janvier 2020

Déluge....

 

Il y a toujours eu la mer, et le mouvement, et le souffle, et le regard qui s'abîme. Dans la contemplation des flots il y a le souvenir d'un déluge, d'un engloutissement, d'une catastrophe incommensurable. La mer nous menace toujours d'un trop long silence, d'une trop longue absence, et d'une mémoire tragique. Quand elle monte ses marées, quand elle revient vers nous, c'est pour nous désigner, c'est nos plaintes qu'on entend, dans les vagues qui meurent à nos pieds, elles redisent sans cesse le châtiment toujours possible, et que les dieux ne sont pas indulgents. Puis, lorsque la mer reflux, elle emporte avec elle nos lambeaux de vie défaite. Nos paroles s'ensevelissent, nos rêves se décomposent, il nous reste alors l'oubli comme seule  innocence, et l'ennui comme seule liturgie. Avec le reflux revient la nuit.

Nous n'écrivons jamais nos pensées, il y a si peu d'idées, si peu de pensées... nous écrivons nos peurs, et cette mémoire, et ce déluge d'avant. Écrire c'est faire pénitence d'un drame crépusculaire qui nous a précédé, et dont nous ne savons rien. Écrire c'est entendre l'océan traverser nos âmes, et unir un cri au lent mouvement des flots qui agitent nos chairs inquiètes. La mémoire de l'écrire nous menace toujours d'un trop long silence, d'une trop longue absence, et d'un déluge, d'un engloutissement, d'une catastrophe incommensurable. Écrire, c'est dire l'exil qui nous guette, et les tempêtes, et les vagues, et les cieux qui s'y noient.....

Franck.

22 janvier 2020

L'île d'après...

Les amants dessinent, dans la tristesse des villes, de grands aplats de silence, à contre-jour, à contre soleil. Les amants s'absentent, dans leurs traces nous y cueillons les songes. Les amants ne parlent plus, les mots ont déjà déserté leurs gestes. Ils se rapprochent des choses ou des êtres simplement pour les éclairer ou les abandonner.
Les amants passent, traversent, débordent, tanguent. Ils chavirent. Ils s'effacent. Au bout de leurs regards désinvoltes, ils inventent l'ignorance avec cette ivresse cruelle qui l'accompagne.
Les amants sont sans bagage, sans histoire, quelques baisers secrets au fond de leur poche, comme ces enfants qui remplissent les leurs de ficelles ou de petits cailloux. Ils sont dans l'angle du jour. Ils ont perdu leurs yeux, ils n'ont que leurs mains pour sculpter les heures, leur peau pour créer d'autres langues, leur chair pour fuir leurs peurs anciennes.
Les amants se cachent dans les ellipses des coquillages pour se dérober au temps, au vacarme des villes. Ils se savent en danger. En sursis. Le poème ne les a pas encore rattrapés. Ils sont dans l'impatience, pourtant sans attente. Demain est un continent lointain, une rive inabordable.
Les amants dessinent par étourderie les arabesques de futures aurores pâles sans secret.
L'écriture sera tapie dans la marge. Juste là, dans l'ombre.
Pour l'après.
Écrire l'après qui est déjà advenu.
Écrire est dans le contre temps, comme les amants sont dans le contre-jour.
Écrire, c'est l'île d'après. Celle qui n'est pas habitée, celle offerte aux tempêtes, à l'obscur mouvement des vagues.
Et les amants chavirent, et l'écriture fait naufrage au large.
L'écriture est le chant désastreux des amants déliés de leurs serments trop lourds.
L'usure prochaine des temps révolus, défaits.
Les amants n'ont que leur nudité, le poète que son dépouillement.
L'amour a sa nostalgie, le poète sa lente mélancolie.
Le soleil brûle tous les déserts.
Les amants ne connaissent pas la rhétorique.
Ils dansent.
Ils dansent.
Ils dansent.

Franck.

28 janvier 2020

Une île...

 

 

Je suis une île infatigable.
Je suis une île qui attend son naufrage
Je suis une île que les marées écorchent.
Une île brûlée par les passions défuntes
Une île foudroyée par l'attente
Une île sans rivage
Sans horizon
Si nue que le soleil ne la regarde plus.
Qu'un silence trop lourd pourrait faire chavirer.
Je suis une île infatigable.

Franck.

16 février 2020

TCHANG LI....

 

Extraits du journal de TCHANG LI ( Maître LI) précepteur du prince Livre des Sagesses.

-         " La vertu du chef, c’est la dignité du soldat.

-          Ne jamais exiger des autres le courage que l'on n’a pas.

-          Une pensée que l'on ne peut traduire en acte est inutile.

-          Ne pas agir est la tentation du faible, trop agir est la tentation du fou.

-          L’action délivre du doute.

-          L’ennemi qui vit en nous est plus redoutable que l’armée qui nous fait face.

-          On se croit multiple, mais le grand général est « un », inséparable de lui-même.

-          Il n’y a pas de grand général sans ascèse.

-          La grandeur est affaire d’âme pas de taille.

-          J’aligne ma troupe sur le plus grand, jamais sur le plus petit.

-          Accepter la guerre est une erreur, refuser la guerre est aussi une erreur.

-          Le soldat se nourrit de la vertu du capitaine, le capitaine se nourrit de la vertu du soldat, c’est de cet échange que naissent les grandes armées.

-          Ne pas sanctionner le mauvais soldat, c’est sanctionner le bon soldat.

-          Sanctionner c’est la première bonté.

-          L’exemplarité c’est le premier manuel d’apprentissage.

-          Être exemplaire pour le général c’est donner un espoir, un chemin, au soldat.

-          Le grand général dit :  « Je ne défends pas ceux-là pour qu’ils m’aiment, je les défends pour qu’ils soient forts, même contre moi. »

-          Vouloir se faire aimer de sa troupe c’est être sans ambition. Ne pas être aimé de sa troupe c’est s’être trompé d’ambition.

-          Diviser pour mieux régner, c’est déjà accepter la défaite.

-          Lorsque le capitaine est plus vertueux que le général, la guerre sera perdue.

-          Croire qu’une armée n’est que l’addition des régiments fera perdre la guerre.

-          Commander n’est pas seulement utiliser les compétences, c’est avant tout saluer les vertus.

-          Ne confonds jamais la faiblesse et la bonté.

-          La bonté seule rassemble, elle a deux jambes : la vérité et la constance.

-          Il faut croire aux grands actes, aux grands destins, mais c’est dans les actes les plus petits de tous les jours qu’ils se bâtissent.

-          Le grand général dit :  « Il faut être ambitieux pour les autres, mon ambition personnelle n’aura jamais d’issue, elle sera toujours illégitime. »

-          La vérité fait peur, on cède au mensonge par lâcheté et par une vision trop courte.

-          Aucun soldat ne souhaite n’être ramené qu’à ses seuls actes, qu’à ses seules pensées, chaque soldat se sait, se veut plus débordant que son assignation dans les rangs. Commander c’est se nourrir de ce débordement.

-          Protéger le mauvais capitaine c’est exposer tous les autres.

-          Il n’y a pas de grandes stratégies, il n’y a que les actes justes de tous les jours."

 

Franck

8 mars 2020

Traverser...

Traverser.
Jusqu’à l’intense immobilité d’un silence. Le texte est habité d’une puissance vivante qui m’écrase chaque fois un peu plus.
Entre l’amour et le désir, il y a un espace.
Entre l’écriture et le texte, il y a un espace, le même.
La nuit. L’imprononçable nuit. Le lieu des grands gisants.
Entre mes lèvres et tes lèvres. La nuit.
La nuit que je traverse à chaque mot, pour te rejoindre, enjambant les gisants et les siècles.
Retraçant infatigablement le chemin qu’il te faudra consacrer.

Franck.

15 mars 2020

L'anachorète...

 

L’anachorète a fait trois tas devant sa grotte. À droite, il a posé ses gestes, tous ses gestes, toutes ses actions. À gauche, il a fait un tas de tous ses vêtements. Au centre, il a déposé sa parole. Toute sa parole. Tous les mots de sa langue, même son nom. Puis il est entré dans la grotte, il s’est assis. Il a fermé les yeux. Alors, il n’y eut ni avant ni après. Il n’eut plus à traverser le grand champ de neige. Il était la neige. Un et innombrable.
L’écriture tient les bords du temps.

Franck.

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