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J'irai marcher par-delà les nuages
21 août 2017

- 108 - Une éponge...

Au départ, tout est loin. Le désir tisse des distances, et le rêve les survole. Comme l’oiseau. De haut. Nous ne sommes que des mythes. Des histoires à dormir debout. D’ailleurs, nous dormons la plupart du temps.
Nous ne nous rencontrons jamais. Car si cela se produisait, nous en serions terrifiés. Notre corps est le lieu d’une histoire qui nous échappe. Nous nous présentons de face et nous vivons de dos. Des mythes. Nous ne sommes que des mythes. Et le temps nous traverse malgré nos prières.
Nous absorbons le temps comme une éponge. Il remonte dans l’espace des tissus de l’âme. Il s’insinue dans toutes nos absences, il suinte, transpire. L’eau du temps s’infiltre. Eau douloureuse, écrasante et saumâtre. Notre vie d’éponge s’alourdit. Nos chairs se flétrissent. Notre sang se dilue.
Écrire, c’est presser l’éponge. Pas plus. Pas moins. Mais c’est un geste qui se dérobe. C’est un geste qui se refuse. C’est vouloir mesurer ou arpenter le néant. Tout au plus nous confirmera-t-il notre qualité d’éponge. Peut-être un peu plus léger. D’autant plus léger que le geste d’écriture est net, fort, et qu’il vient de loin. Qu’il est obstiné, acharné, résolu.
Il n’y a rien à découvrir. L’univers est composé de temps. Nous sommes les grains de sable d’un gigantesque sablier. Nous coulons, passant d’un néant à un autre néant. Nous naissons et mourons dans le resserrement. Dans la contraction. Dans ce hoquet du temps. Nous naissons d’un rétrécissement. Écrire, c’est ce dégorgement d’éponge, pour boucher le sablier du temps. C’est un rêve fou. Impossible. Nous le savons, mais nous le tentons. Chaque texte est une victoire. Une victoire sur qui ? Sur quoi ?
Écrire, c’est presser l’éponge, évacuer l’eau du temps pour faire entrer dans les fibres de l’âme le silence. L’éponge est plus légère, mais elle reste toujours une éponge.
Au départ, tout est loin. À la fin, tout est loin. C’est un désespoir. Le désir a tissé des distances irrémédiables, insurmontables, et le rêve a épuisé son vol.
Nous ne nous rencontrerons jamais, malgré nos efforts, puisque nous n’avons pas de rive. Nous ne sommes que des mythes qui gardent leurs secrets. Nos piètres confidences ne dévoilent rien. Nous sommes bien trop loin de nous pour nous atteindre. Nos ombres nous survivront : elles ont bien plus d’élan vital que nous ; elles ont bien plus d’acharnement que nous. Elles ont la patience pour elle. Elles guettent nos défaillances. Nous en avons tant.
Alors, l’écriture part de là, de ce rétrécissement des possibles, de cet empêchement des espérances, de cette simple et évidente fatalité. Le geste part de là, il est sans illusion. C’est ce qui lui donne sa couleur. Sa lumière. Un peu de lumière dans l’infini du néant. Quelques braises pour réchauffer les cieux.

Franck.

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23 août 2017

- 110 - La hache...

J’ai lu cette phrase de Kafka : « Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée autour de nous. »
C’est exactement cela. Je rumine autour de l’idée du livre. J’en suis si loin. Mes textes dérivent, mais ce ne sont que des textes. Ils coupent, mais ne pourraient trancher la mer gelée. Ils ont la pesanteur que je leur destine. Mais ce ne sont que des textes. Le livre, c’est un autre continent, un autre acier.
Alors, tenter de hisser la vie à la hauteur du livre. Mais le livre est toujours plus fort que l’écrivain qui le porte. C’est de l’inégalité de ce combat que le livre se développe. Les grands livres ont écrasé leurs auteurs.
Suis-je prêt à cet écrasement ? Suis-je prêt à le vouloir assez ?
Mon livre sera cataracte, ou ne sera pas.
Chaque texte précise peu à peu le lieu du combat. Ils marquent. Bornent. Resserrent l’espace.
Se dépouiller de toute indulgence. Encore. Revenir à l’essentiel, à l’amour, à sa brulure. Le désespoir, ne pas oublier le désespoir.
Chaque texte précise, mais il est encore un compromis, une façon d’accommoder des possibles.
Faire monter en soi les grands lacs de néant. Ces océans vides, tout en mesure. Tout en démesure. L’orgueil de la mélancolie. La respiration noire de la chair. Le cri.
Aurais-je la force de rassembler toute la gravité de l’enfant jouant ? Les grands livres sont écrits par de grands enfants. Il n’y a qu’eux pour avoir assez d’application dans la déraison, d’ascèse légère, de sérieux dans l’invention, de violence désinvolte. Ils ne connaissent de la beauté que la chair des mères. Ils n’inscrivent rien dans le temps, ils ne s’égaillent que dans l’éternité, et dans les risées de lumière du jour. Ils sont dans une énergie brutale, sauvage, totale. Tyrans, et mendiants à la fois, insupportables. Étincelants.

Franck.

24 août 2017

- 111 - Vrac...

Nous écrivons toujours sur une page de nuit. Une page entièrement noire. Parfois, nous grattons assez fort le noir pour faire apparaitre le blanc de la langue. Parfois, aussi, nous grattons trop fort. La page se déchire, la nuit saigne, la parole meurt avant d’être dite.

*
Ici, le « je », le « on », le « nous », s’entremêle en permanence. Ils sont là, pour dire l’indifférenciation, le « non-lieu » de la langue. Sa défaite. La défaite de celui qui la déplie.

*
Ici, le « je » ne fais pas de portrait. Il n’y a pas de psychologie. Il profère le récit de la légende. Il est juste un point imaginaire où vient s’accrocher le réel.

*
Le « on », c’est l’impossibilité du lieu.

*
 Le « nous », tente comme un geste désespéré, de désigner une humanité incertaine, une fraternité dans l’ordre du temps et du destin. Il protège le geste de l’écriture d’une trop grande complaisance.

*
L’écriture est trouée, parce que la langue est trouée.
Lorsque la phrase se déploie, puis se ferme, et se clôt, elle dessine un trou. Les écritures non trouées ne disent rien. Il nous faut sentir ce trou, le vertige qui l’accompagne, sans doute la peur, celle des grandes tragédies. Lorsque l’on va, par folie, chercher la langue gisante entre l’os et la chair, lorsqu’on la tire, souvent dans un déchirement, pour la faire surgir, elle a la forme du trou qui nous habite, ce trou qui nous accompli, ce vide qui nous révèle, qui nous construit.
Je suis un précipice.
Le vide hante nos vies.
Vivre, c’est chuter, sans fin. Le reste n’est qu’illusion ou divertissement.

*
Écrire, c’est maintenir l’écart.
Tout tient dans ce pas de côté. Passer du « contre » la mort, au « avec » la mort.
L’écart est le lieu de notre solitude.

Franck.

8 septembre 2017

- 120 - Le premier mot, après le dernier mot...

L’instable et le fugitif. Il connaissait tous les mots de son malheur, il les avait prononcés tant de fois. Nommer, c’était sa façon de croire en l’éternité. Non pas que l’éternité l’intéressât particulièrement — il était bien trop usé pour imaginer le sans fin de cette usure —, mais la mort inévitable submergeait chacune de ses heures.
Alors, écrire était devenu comme ces chansons d’enfance destinées à conjurer les peurs. Dire, ce n’était pas sortir hors de soi, c’était incorporer. Annuler les distances.
Maintenant, il en était sûr, écrire, c’était le corps du Christ, car la voix du texte est dévoreuse.
Alors, il se disait que nommer, c’était manger ses peurs, comme l’hostie du verbe. C’était les apprivoiser et déjà commencer à les aimer. Peut-être.
Nommer est un travail solitaire et silencieux.
Douter. Il doutait de tout. Il savait que douter ce n’est pas ne pas avoir de certitude. Douter, c’est n’en avoir qu’une seule. Il doutait de tout, sauf au moment de l’écriture où le sentiment d’une évidence l’étreignait, aussi puissante que fugitive.
Au bout du compte, tout aggravait la conviction désastreuse de sa précarité.
Écrire nourrissait la forme la plus achevée de sa mélancolie.
Le réel, le vécu, le vrai, le tangible, l’irréfutable étaient bien là. Trop sans doute. Le monde, ses guerres, sa désagrégation, son quotidien, sa banalité, ses foules bruyantes, sa sauvagerie, sa suffocation, son aveuglement, il en était, bien sûr, traversé. Bouleversé, même.
Alors, pour ne pas être écrasé, il opposait à ce monde si présent ses landes intérieures si évanescentes. Il croyait qu’écrire, était la dernière forme d’une sorte de résistance. Une résistance à l’état brut. Effacer ce qui tentait de le broyer.
Alors, désormais il connaissait tous les mots de son malheur. Un à un, il les avait incorporés. Il en avait épelé chaque lettre. Il les avait prononcés dans le recueillement. Il avait même bâti sa solitude autour d’eux. Chacun se tenait comme une ile dans son océan. Il avait fait le rêve fou d’agrandir assez chacune de ces iles pour qu’elles se rejoignent toutes. Toutes.
Écrire était cette tentation d’établir un continent aussi vaste que l’océan.
Un continent né de sa voix.
Agrandir chaque mot pour qu’il rejoigne, pour qu’il déborde, pour qu’il rencontre, pour qu’il engendre.
Chaque rêve devait avoir la consistance d’un roc, et pour cela il fallait mâcher longuement la parole des mots. Incorporer pour annuler la distance, le temps. Nommer, nommer sans cesse, pour aggraver la tension du néant. Il égrainait son chapelet païen non pour la vie éternelle, mais pour l’éternité de la vie, non pour sa vie à lui, mais pour la vie tout court. Nommer, et tout d’abord éteindre la vieille parole par de très longs silences.
Alors, il avait inventé ses paysages de miséricorde.
Le tout premier : la mer.
Parce que la mer est par nature mélancolique. Puis il y eut les vagues, les marées.
Puis les landes brumeuses, sauvages, puis derrière les grands champs de neige sans fin, tristes, affligés, découragés. Les chemins errants, les talus, les champs de blé. Et toujours les vagues incessantes comme si déjà la mort le berçait.
Ses décors n’avaient pas de vraies formes, ils épousaient l’horizon.
La métaphore, c’est tenter une connivence. C’est espérer une réconciliation. C’est appeler une fraternité. Inventer du vivant pour un mort. Donner du souffle au dernier souffle.
Il connaissait tous les mots de son malheur, il les avait prononcés tant de fois. Géographie de l’absence, du retrait, entre mémoire et oubli.
Il avait dit la menace, le sans fin, il avait dit le fragile, le désastre, et l’effondrement. Chaque fois, il avait dit la vacuité infinie de toutes choses, chaque fois il était tiraillé entre l’urgence et la lenteur. Il avait dit l’impossible, l’inaudible, mais toujours l’errance et la désespérance revenaient. Il avait dit le vertige, la chute, avec l’écrasement qui s’en suit, la déchirure brulante. Il avait dit l’attente, les grandes passes de silence. Mais toujours : l’usure, la déperdition, l’à rebours. Il avait dit : la parcimonie aussi, la patience insondable, démesurée.
Chaque mot était une ile débordée, une ile posée sur son horizon mélancolique. Chaque mot était un voyage perdu. Chaque mot épuisait un peu plus son sang.
Alors, désormais il connaissait tous les mots de son malheur. Un à un, il les avait incorporés. Il en avait épelé chaque lettre, il les avait prononcés dans le recueillement, il avait même bâti sa solitude autour d’eux. Chacun se tenait comme une ile dans son océan. Il avait fait le rêve fou d’agrandir assez chacune de ces iles pour qu’elles se rejoignent toutes.
Toutes.
Écrire était cette tentation d’établir un continent aussi vaste que l’océan.
Qu’y a-t-il après les mots ?
Qu’y a-t-il après les iles ?
La disgrâce est-elle la seule issue ?
Sans doute faut-il consentir. Consentir comme la première prière. Consentir, c’est déjà un regard de bonté posé sur notre vie. C’est s’ouvrir béant au pire et au meilleur. C’est n’être exempt de rien, mais encore capable de tout.
Consentir, c’est le premier mot après le dernier mot.
C’est le premier nom de la passion.

Franck.

14 septembre 2017

- 122 - L'inachevable...

Il y a dans l’inachevé une absolue tristesse. L’inachevable dans l’inachevé vous rejette dans un exil sans retour. Quelque chose en nous ne rejoint plus le monde. Quelque chose en nous se détache, se défait. Coquillage usé, abandonné après la marée. Il y a dans cette image du coquillage une désolation. Quelles que soient sa beauté, la nacre, l’irisation, il est là, arraché. Infiniment mort. Vidé de sa chair. L’inachevable dans l’inachevé nous amène à l’endroit des marées qui déposent des coquillages usés sur une plage dévastée, affligée.
L’inachevable en moi, c’est la mort qui s’infiltre, c’est la nuit qui grandit, c’est la fin avant la fin.
C’est la mort qui parle dans le vivant qui se tait.
Il faut s’imaginer marchant sur le chemin. Toute notre vie, nous errons de point en point, de source en source, de printemps, en cerisier fleuri, chacun à sa course, chacun sa direction, chacun à son pas, ses futaies ombreuses, ses vallons, ses plaines lumineuses. Mais derrière nous marche une ombre invisible et lointaine. Le temps passe. Au début, on ne voit pas l’ombre. Elle est loin, insignifiante, dérisoire. Elle est l’inachevé. Mais elle est loin. Alors, on continue.
Sans faire de bruit, elle se rapproche. Insidieuse. Lentement, elle se rapproche. Elle est toujours l’inachevé. Mais on ne le sait pas. On ne le croit pas. La beauté des saisons, les sourires complices, les baisers volés vous aveugle, les amours, les fraternités du voyage vous font tout oublier, jusqu’à l’inachevé qui marche au loin derrière vous, qui se rapproche, toujours un peu plus.
Puis un jour, un jour plus clair qu’un autre, au détour d’un quai de gare, vous voyez dans les yeux de celui qui s’en va l’ombre qui vous suit depuis le début. L’inachevé s’est rapproché, il est si près que l’on peut le voir dans le regard de l’autre. Car c’est toujours l’autre qui désigne l’inachevé derrière vous.
Maintenant, il demeure là. Il ne s’appelle plus l’inachevé. Il est l’inachevable. Son ombre recouvre votre ombre. Désormais, il est là, en vous accroché à chacun de vos gestes, à chacun de vos rêves. Il est la couleur des choses et du temps. L’inachevable prend la forme de vos mots, il devient la voix. Le murmure au fond du ventre, il n’est que sa présence ombreuse dans votre sang.
C’est toujours l’autre, qui vous dit au creux de l’oreille : « Ne te retourne pas… Ne dis rien… » Les trains s’en vont, les quais de gare se vident. Puis l’inachevé devient l’inachevable.
L’inachevable transforme l’ordre des temps. Il supprime le futur de votre voix, l’autre, le semblable parle au passé, au passé simple, composé, antérieur… Il ne reste qu’un présent à partager : c’est le nom de l’infinie tristesse.
Une concordance des temps impossible.

Franck.

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1 octobre 2017

La silencieuse...

La silencieuse passe d’une attente à l’autre. Souveraine et déchue. Conquérante et
défaite. Sur sa bouche la marque d’un baiser toujours renouvelé, ineffaçable.
La silencieuse caresse le temps, glissant ses doigts dans la fourrure des
heures.
Le silence est une passion brûlante. Qui n’a pas d’autre nom que la trace de
cendre qu’il laisse dans le regard. La silencieuse écoute l’horizon, le chant
monocorde et lancinant de l’horizon, l’écho dans ses chairs des distances
infinies.
La silencieuse est une amoureuse blanchie de souvenirs et de vouloirs
inconnaissables, toujours en avance d’un désir, en avance d’une saison. Comme
les terres perdues de l’océan, ces îles singulières, sans paroles, vouées aux
chants des marins, des houles, des vents, inconsolables des temps à venir.

Franck.

28 octobre 2017

Tu es...

Si tu étais le Feu, tu ne serais pas un feu intime, serein, mais plutôt ce brasier ardent aux flammes exubérantes. Ou peut-être serais-tu cette clarté incertaine, perdue et vacillante d’une bougie posée au bord de la nuit.

Si tu étais l’Air, tu ne serais pas le mouvement, l’agitation, mais seulement le frémissement, le dialogue subtil d’une brise intermittente dans les feuilles tremblantes d’un grand peuplier, l’été, lorsque tout hésite et se tait.

Si tu étais la Terre tu ne serais pas celle des labours épais, gras et fumants, tu serais celle des chemins de Provence aux odeurs singulières offerte aux dieux du vent, terre de méditation, terre claire presque blanche, pure, presque trop pure.

Si tu étais l’Eau, tu les serais toutes.
Celles des sources qui hoquettent,
celles des ruisseaux qui dégringolent en s’amusant,
ou celles immobiles et profondes des lacs.
Pour tes jours de puissance, tu serais fleuve triomphant, roulant sa cavalcade comme une horde obstinée, eau chargée d’espérance sautant dans des cris de joie par-delà les cataractes.
Et le soir, à l’heure de la prière, tu serais l’eau de la mer,
eau lancinante et berçante du pays de l’enfance,
cette eau laborieuse, remontant vague après vague ses grandes marées de l’âme, égrainant son écume comme un beau chapelet, eaux magiques et mystérieuses.

Mais tu n’es ni le Feu, ni l’Air, ni l’Eau, ni même la Terre.
Tu es bien plus que cela.
Tu es née d’un silence,
Ou simplement d’un souffle.
Tu effleures mon âme d’un unique, d’un si tendre sourire.
Tu es née de la nuit, du concert des étoiles et d’un rêve ancien.
Tu es mon aurore blanche et pâle.
Encore toute enveloppée de désirs nocturnes.
Née d’un matin d’ailleurs, d’outre vie, bien au-delà du temps qui passe.
Tu es ma beauté tranquille et paisible,
Ma beauté rare qui surprend mon regard, beauté faite de transparence lumineuse et d’envoûtements.
Tu es mon voyage qui transporte mon cœur vers des contrées impénétrables, inexprimables, si lointaines.
Tu es mon parfum à la fois subtil, ensorcelant, aussi léger qu’une caresse. Insondable. Presque impalpable comme un voile de soie.
Tu es ce chant profond coloré de résonances intrigantes, et de douces incantations murmurées. Complainte divine qui appelle la grâce.
Tu es ombre et lumière.
Sous tes doigts se dessinent les mondes.
Et ton rire est ma voie lactée.
Née d’un silence,
Ou simplement d’un souffle.
Princesse céleste, aux yeux azur comme les souvenirs, à la peau opale comme une promesse, au sourire bleuté comme une énigme.
Née d’un silence,
Ou simplement d’un souffle.

Franck.

5 novembre 2017

Le puits...

De quoi est faite la voix de l’écriture ? J’ai des chevaux dans la poitrine. Des galops. Des hennissements. J’ai des contrées sauvages. Du vent dans le sang. Des expiations terreuses, des étranglements. Des vacillements. De quoi est faite la voix de l’écriture ?

Je vais au texte comme si j’allais au puits. Les mains vides. Le pas lourd. Tenant le seau de la langue, le seau vide de la langue. Je vais au texte dans cette pénurie habituelle. La soif chevillée au sang.
Aller vers le texte, c’est d’abord cette marche vers le puits, ce lieu troué de l’existence. Ce lieu usé. Il y a une mélancolie dans ce voyage. Et quoi que nous fassions, il est toujours identique. S’il n’y avait pas ce souvenir de la soif à venir. Ce chemin dans sa nostalgie est notre seul secours.

À l’orée du texte, nous lançons notre seau de misère dans le vide. Seau percé. Les blessures ont laissé de si larges entailles. Notre vie est si peu jointive, nous manquons de tant cohérence, de continuité, d’unité, d’ accord, nous sommes un champ de discorde. Aller vers le puits est une épreuve. Lancer le seau est un danger. Le seau troué de nos vies.
Pour chaque phrase il faut tirer sur la corde, usure contre usure. C’est l’eau que l’on perd qui est la plus douloureuse. C’est ce qui déborde qui nous arrache. Puiser dans la langue, c’est souvent remonter du rien, de la perte ; il faut de la constance.

Chaque jour je recommence le même texte. Comme si j’allais au puits assouvir la même soif, avec mes mains trouées comme un seau percé. Au bout de la corde il y a si peu d’eau.
On écrit avec ce reste. Avec ce si peu. Avec cette patience. Cet entêtement.
J’ai dans l’oreille le chant de l’eau qui retombe. Dans la gorge le goût de l’insuffisance.

Chaque jour le seau doit descendre un peu plus profond, et la remontée est chaque jour plus longue, plus épuisante. La soif gagne sur la soif.
Aller vers le texte, c’est comme aller au puits, avec l’espérance de quelques gouttes oubliées par la fatalité. Avec la certitude que rien ne pourra étancher la soif. Quelques gouttes. Seulement quelques gouttes.

Comme cette lumière que je cueille au bord de tes prunelles
Tu sais les miroirs ont l’innocence de l’enfance. Ils disent les vérités éternelles, c’est pour cela que nous les traversons. C’est pour cela que nous baisons leurs tempes, pour apaiser la mort en nous.
Aller vers le texte c’est comme aller vers le puits, où je te retrouverai assise sur la margelle usée d’une parole déshabillée. Alors je pourrais couvrir ta peau de cette eau rare, de cette eau dépourvue, de cette eau miséreuse. Mes mots sont pour ta soif. Car ta soif fait chanter les poulies usées du temps. Laisse-moi poser ces quelques gouttes d’eau sur tes yeux. Si le seau n’en remonte pas assez, mes baisers feront le reste.

Franck.

12 novembre 2017

Petite soeur...

Il y a bien une peur dans le désir qui se déploie. Les temps qui adviennent sont des temps terrifiants. L’amoureuse regarde l’amoureux. Leur présence est accrue du désir. De l’imminence. Ils sont menacés par la joie. Ils le savent. La jouissance signe la fin d’un monde.
Ce qui menace le feu, ce sont les cendres. Le rêveur devant la flamme les voit déjà, c’est pour cela que sa mélancolie s’accroche si bien à l’âtre. À cause des cendres. L’amoureuse regarde l’amoureux. Elle a dans sa chair un feu. Mais elle sait les cendres. Au moment des corps, les amoureux sont graves. Les gestes s’alourdissent, ils sont pris dans une sorte de pesanteur, d’épuisement. La jouissance ouvre la porte des enfers. Les amoureux le savent. C’est une traversée. Comme Orphée.

Les dieux immortels ne connaissent pas l’amour. Malgré leurs accouplements, jamais ils n’aiment. L’amoureuse regarde l’amoureux, ils savent brusquement qu’ils devront aller plus loin que leur désir de chair, ils devront aller jusqu’à la cendre, de l’autre côté de la frontière. Ils savent qu’il faudra tout effacer. Qu’il faudra tout oublier.

Les amoureux évitent les miroirs de peur que ceux-ci ne gardent le souvenir de leurs gestes. Qu’ils impriment le masque mortuaire de leur jouissance. Les amoureux sont sans image, puisqu’ils sont sans parole. Les amoureux sont sans mémoire, puisqu’ils sont sans langage. Puisqu’ils sont sans miroir. Les amoureux lorsqu’ils se regardent ne se voient pas. Ils se touchent. Se voir les détruirait. Alors ils se regardent et ne se voient pas. Ce regard sans vision les envoûte. Il est débarrassé du deuil encore quelques instants. On avait prévenu Orphée. « Ne te retourne pas !»
Dès que le regard se met à voir, c’est le néant qui surgit.

Mon amour, nos ombres sentinelles nous parlent à mi-voix. Nos ombres sentinelles se sont détachées de nous, pour vivre des frôlements que nous ignorons. Tu sais mon amour, nos ombres ont leurs exubérances, leurs sacrements. Leurs pénitences, aussi.
Nos ombres sentinelles sont des ombres courageuses, sans orgueil, qui savent se relever après le trébuchement, qui savent se réchauffer après le tremblement. Nos ombres sont muettes, sans ornement, débarrassées de nos pudeurs frivoles. Elles vont sans nous. Défaites de nos corps, de nos peurs, de nos hésitations. Elles vont l’amble, nos ombres, profitant de nos rêves, elles ne craignent ni le feu, ni la nuit, ni nos deuils, elles vont comme des eaux tranquilles.
Nos ombres, loin de nous, s’entrelacent, s’unissent, elles n’ont que faire de nos apitoiements. Elles se bercent du roulement de la nuit, elles n’ont pas de saisons, elles n’ont pas de maison, elles vont légères, sans corps pour les retenir, sans chaîne pour les accabler, sans jugement pour les opprimer. Elles vont, elles vont, passant d’un silence à l’autre, choisissant nos absences pour se rejoindre, nos tristesses pour nous abandonner.
Petite sœur, petite sœur des murmures, approche-toi, l’automne arrive avec ses détresses, ses renoncements. Petite sœur du silence, petite sœur de l’amour, je pose sur tes paupières toutes mes Afriques, tous mes déserts. Je pose sur tes lèvres tous mes fleuves languissants, je pose dans le creux de ta main toutes mes ivresses, et sur ton ventre toutes mes nuits perdues.
Petite sœur, il est temps, approche-toi. Nos ombres nous attendent, elles réclament nos corps pour blanchir les linceuls de nos fiançailles.
Petite sœur de lumière, le vent se lève, l’encre brûle nos derniers mots.
Il y a bien une peur dans l’incandescence du désir qui se déploie. Les temps qui adviennent sont des temps terrifiés.
Et l’amoureuse regarde l’amoureux. Et l’amoureux regarde l’amoureuse.
Petite sœur prends ma main, et allons !

Franck.

18 novembre 2017

La source...

Veiller au surgissement. Ainsi la source. Toujours naissante. Renouvelant l’acte en permanence. Ce qui en moi surgira ne sera entaché de rien. Du vierge. De l’enfant étonné.
Au début de l’écriture, on est si loin de la source. Les seuls fils qui sont là, à notre disposition, ce sont les souvenirs, la mémoire. Alors on affronte ces gros paquets d’eau chargée de temps, bouleversée de nos écumes. Écrire c’est d’abord se débarrasser de l’eau vieille. Le premier temps de l’écrit, c’est assurer son pas dans le courant contraire de l’eau. À rebours. Puis remonter. À contre temps de la pente, recevoir de face le flot de nos jours perdu. L’innombrable vacuité en tourbillon, en cascade, en remous.
Il y a quelque chose à épuiser en nous. On ne sait pas ce que c’est, au début. On est simplement dans un continuel ressac. L’écriture est le déploiement d’un geste qui s’écrase. Toujours. Le double mouvement d’un enroulement et d’un empêchement. L’écriture est à la jointure de cet empêchement. C’est cela qui épuise, la résistance au flot. Le pas alourdi, imprécis.
C’est alors que l’on sait qu’écrire c’est avant écrire que cela commence. Écrire appartient à la source. Comme l’amour, comme toutes les choses essentielles. Elles viennent du surgissement. Elles sont avant la mémoire. Elles sont sans souvenirs. Toujours naissantes. Comme l’amorce d’une éternité. La source c’est l’œil. L’œil du vivant, qui contient toutes les cibles, tous les océans. Déployant dans le même temps, son intention et sa fin.

Je t’ai aimé bien avant de t’aimer, comme une source éternellement naissante dans le flot insipide de mes jours. Je t’ai seulement reconnu dans l’élan, dans cette suspension qui s’en est suivie.
Le geste qui se renouvelle sans cesse égal, nous paraît immobile. Il y a dans l’amour cette suspension, cette fixité. Un perpétuel élan, que le temps n’accroche pas. Les horloges délaissent les amoureux, les oublient. Ils sont dans une faille du temps. D’où la stupeur qui nous frappe lorsque nous en rencontrons.
L’amour, l’enfance, l’écriture n’appartiennent pas au temps, ils sont des lieux. Pas des paysages. Des lieux. Comme les constellations, les océans, les sources, les landes. Des lieux, avec des lumières qui les traversent, des mouvements qui les animent, des fixités qui les sacrent, des mystères qui les agrandissent. Des lieux sans frontière, des lieux qui se débordent eux-mêmes, qui s’inventent au fur et à mesure des éclairs, des désirs, des embrasements, des grâces. Tomber amoureux, c’est tomber dans un de ces lieux. Comme retomber dans l’enfance, ou entrer dans l’écriture.
Dès que le temps s’insinue dans ces lieux, s’en est fini. De l’amour, de l’enfance, de l’écriture.

Il faut veiller au surgissement.
Remonter assez haut vers la source.
Dépasser le désert d’épuisement. Là, où il n’y a plus de passé.
Et la voix de l’écriture est la dernière habitante d’une étoile en feu.
Je te le répète, je t’ai aimé bien avant toi, bien avant moi, bien avant mes folies ouvragées, bien avant mes dérives broussaillantes et sauvages. J’ai l’âge de ton île. Je viens des pôles sanglotants. Je suis passé par les ivresses des bateaux naufrageant. J’ai connu les décombres des éclipses, les aubes rugueuses. J’ai connu le givre du matin se transformant en cendres. Tu sais la mort est une statue de pierre qui nous regarde en clignant des yeux. Je n’ai cessé de blanchir mes mots, d’en extraire les moindres lambeaux, afin d’accroître ton nom en moi, d’en faire des semailles crissantes à la lisière de mes désespoirs. Ton nom, comme cette lumière qui coule d’un vitrail ébloui. Ton nom que je prononce en embrassant l’ombre à l’extrémité d’un silence vulnérable et vibrant. Sais-tu que je suis dans un étrange crépuscule, comme un peuple de sable sorti du froissement des limbes. J’ai dans mon crâne des cathédrales d’argile et d’encens, des étreintes singulières aux ailes de papillons, dans ma langue rôde l’écume, les tourbillons d’une source d’eau douce au creux de l’océan.
Lorsque je dis ton nom, je surgis à moi-même plus vrai que le soleil.
Un puits miraculeux au bout de ma marche.
Toujours naissant. Renouvelant mon acte en permanence. Alors ce qui en moi surgit, n’est entaché de rien. Du vierge. De l’enfant étonné. De l’enfant retrouvé. De l’enfant reconquis.

Franck.

19 novembre 2017

Soirée...

Nos promenades silencieuses, t’en souviens-tu ?
Et ces soirées de murmures consumées dans la pénombre ?
Chacun à sa table d’écriture, le poème de l’un s’enroulant au poème de l’autre.
Nous n’avions qu’une parole pour deux, cela nous suffisait. Le même souffle, le même geste.
Dehors, il neigeait. L’hiver devenait fraternel, la nuit était lente.
Nous frôlions avec précaution l’écorce frissonnante du temps, avec cette audace séculaire
des ignorants, au rythme des flammes et des craquements du bois.
Dans l’obscurité la vie guettait, avec ses achèvements, nous allions d’un feu encore innocent
vers une aube déjà coupable.

Franck.

25 novembre 2017

Tu comprends...

Je me suis saisi d’un essaim de lueurs cristallines, pour éclairer la page blanche. Je cherche à nouveau l’ultime perfection de la cadence. Écrire c’est envoyer une barque sur l’océan, sans aviron, sans boussole. C’est remonter à l’origine de ses craintes. C’est vivre à titre posthume. C’est risquer la genèse dans la fin de toute chose. Un coup de hache sur la voûte des cieux.

Je serai le dernier capitaine du dernier vaisseau. Je faucherai à grands coups de tristesse, les vagues et l’écume. Je moissonnerai l’océan de ses tempêtes, le viderai de ses humeurs marines. J’ai dans la voix des tonnerres oubliés, des orages solitaires, des moussons indécises, des tornades enchevêtrées. J’ai trop de guerres perdues pour fêter l’espérance. Trop de morts dans les yeux, trop de sang dans mon sang. J’ai trop d’attente dans mes heures, trop de cendres sur mes mots.

Je serai le dernier capitaine du dernier vaisseau. Les chemins vont tous en enfer. Et les poètes se maudissent eux-mêmes, bien avant tous les autres. Ils meurent bien avant leur mort. C’est ce qui les fait écrire. Les noces de l’innocence, de l’ivresse comme une apocalypse du silence.

À force d’épuisement j’ai des colères à détruire. À force d’abandon j’ai des blasphèmes dans les veines. Je voudrais pouvoir arracher les mots comme on arrache de mauvaises herbes. Dans mon jeu j’ai des solitudes d’avance, comme des atouts que l’on garde avant d’achever la partie. J’ai des folies aussi, des jurons, des profanations.

J’écrirai le poème qui n’a jamais été écrit. Pour toi, oui pour toi seule. Tu comprends. Il faut que tu comprennes. Il y aura dans ma voix tous les mots de langue. J’appellerai dans mes vers les éléments, les infinis, les océans, les prières connues ne seront bonnes qu’à griller avec leurs dieux, avec leurs apôtres. Je t’écrirai le poème qui débordera toutes les formes, tous les sons, toutes les images. Il sera profusion et désert, il condensera toutes mes larmes, tous mes chagrins. Un et innombrable. Constellation. Fleuve.
Je cueillerai tous les jardins de la terre, par pur excès, par simple folie.
Car tu comprends, il faudra commencer par tout épuiser, par tout dessécher, par tout vider. Il faudra commencer par tout consumer.

Car je ne désire qu’une chose, n’être plus rien que ce souffle tendu vers tes lèvres. Que cette caresse que ta peau prolonge. Qu’un ventre que ton ventre complète.
Je brûlerai comme de l’encens sacré pour effleurer ton corps, pour être dans ton corps, pour être le parfum de ta chair.
Avec les fils d’or et d’argent de mes mots, j’attacherai ensemble l’aube avec le crépuscule, pour que l’on soit à jamais dans le même temps. Inséparables. Invincibles. À la verticale du soleil.
Le poème effacera les saisons, adoucira les rides.
Tu comprends chaque mot prononcé sera un univers incalculable. Je les choisirai dans l’urgence, le vertige, dans la volupté, dans l’écrasement. Ils seront cataractes. Talismans. Tu comprends, chaque mot portera en lui une lumière d’étoile, il aura traversé le silence des cieux, il aura affronté, les dieux, les diables. Chaque mot que tu liras, de ce poème impossible, mon amour, tu ne pourras plus le prononcer, il s’effacera à jamais de ta langue, à jamais il s’inscrira dans ta chair. Tu comprends, mon amour, les mots gorgés de sang sont imprononçables.
Comme la mort.
Comme l’amour.

Franck.

2 décembre 2017

Le film...

Tenir l’instant. Le maintenir. Ne plus le lâcher. À l’intérieur c’est un film. Ça y ressemble. Il surgit dans le désordre des séquences. Il s’accroche. Je m’accroche. Je ne l’appelle pas. Il est là. Je le laisse prendre la place. À l’intérieur. Avec les images. Ça ressemble à un film. C’est un film très court. Quelques séquences. C’est l’histoire d’une rencontre. La caméra est dans mon œil. Quand il surgit, ça va très vite. Une fraction de seconde. Mais je tiens l’instant. J’ai la sensation que tout est en morceau. Une décomposition d’images. Comme si de l’eau passait dans la mémoire. L’eau du temps. Alors il faut tenir l’instant. L’étirer. L’agrandir.
Ce n’est pas un grand film. Ce n’est pas un film d’auteur. C’est un petit court métrage dans le désordre des séquences. Il y a simplement un peu d’eau qui coule sur les images. C’est l’histoire d’une rencontre. Cela ne dure pas. C’est normal. Les rencontres ne durent pas. Après ce n’est plus des rencontres. Là, c’est uniquement une rencontre. Après le film s’arrête. Il repasse dans les boucles du temps, de la mémoire. Sans cesse il repasse. Il veut trouver sa place dans le labyrinthe, dans ce fatras que sont mes jours. Alors il repasse.
Il faut que je tienne l’instant. Assez longtemps. Parfois on oublie. L’eau envahit tout. Les formes, les contours disparaissent. On passe sa vie à oublier. Là, je veux que ça reste. Quand le film se présente, je ne le chasse pas. Je le laisse. Dans ma tête, c’est un film silencieux. Pas muet. Silencieux. Les deux personnages parlent, mais on ne les entend pas. Moi, j’entends. Le son est dans un autre lieu de ma mémoire. L’image et le son ne sont pas synchronisés. Dans ma mémoire ce sont déjà des extraits. Il y a des images qui ont déjà disparu.
C’est un dimanche. Cela n’a pas d’importance dans le film, mais c’est un dimanche. Le matin, ça, c’est important, à cause de la lumière. Il fait beau, mais il y a un léger voile dans le ciel. Une luminosité franche de matin avec juste un voile léger. C’est un quartier de Paris. La rencontre se passe à Paris, cela aurait pu être ailleurs, mais c’est à Paris. Ils ont rendez-vous. Des milliers de gens font la même chose, à Paris ou ailleurs. C’est banal. Les gens se donnent des rendez-vous et s’attendent. Au départ ils veulent se rencontrer. Après ils ne veulent plus, mais c’est trop tard. Ça s’est imprimé sur la pellicule. C’est inscrit dans l’histoire des étoiles. Tout est inscrit, avec les gestes, avec la lumière qui les portait. Ce ne sont pas des films d’auteur. Cela forme simplement la texture des ténèbres dans la profondeur des cieux. Ils ont rendez-vous dans un bistrot. Le bistrot a un nom amusant : "chez Gudule"….Le nom du bistrot n’a pas d’importance dans l’histoire qui se déroule. Mais c’est le nom du bistrot, alors il faut le dire.
Le film commence toujours de la même façon. Elle, elle est assise à la terrasse du café. Il n’y a qu’elle. C’est le matin dans Paris. Elle est assise. Elle attend, lui.
J’ai la caméra dans l’œil. La caméra, d’abord elle cherche. Puis l’œil s’aperçoit qu’il n’y a qu’elle. Ils se sont trouvés. Il n’y a pas de musique sur les images de la mémoire, ce n’est pas comme dans les vrais films. Là, c’est silencieux. Il n’y a pas de ralenti non plus.
À partir d’ici, le champ de vision de la caméra se rétrécit. Il n’y a plus que le visage d’elle. Autour c’est flou. Dans la mémoire de l’œil, le visage d’elle est très proche. Plus proche que dans réalité d’une rencontre. Parfois, l’œil dérive à droite ou à gauche. Je me souviens. Je ne peux pas la regarder trop longtemps en face. C’est presque douloureux.
Alors il parle. Leur conversation va droit à l’essentiel des choses de leur vie. C’est une conversation naturelle. Sauf, que rien n’est naturel. C’est comme dans la tragédie grecque.
Les histoires s’emboîtent comme des poupées russes, de la plus simple à la plus cruelle. Ce qui caractérise les histoires, c’est qu’elles ont une fin. C’est que la fin est inscrite dans le début, en filigrane. Dans le film, si l’on regarde bien, tout est inscrit dès le premier instant. La couleur du matin. Le voile dans ciel. Peut-être le nom du bistrot. Gudule. C’est une dérision. Le destin des humains est dérisoire. On sait. Tout le monde le sait. On fait comme si on l’oubliait. Puis il y a quelques signes qui nous arrivent. Gudule, c’est un signe, ce n’est pas un nom, ce n’est pas un lieu ni un temps. C’est un signe.
Il ne veut pas la regarder tout le temps de la séquence. La beauté d’elle, est troublante. À chaque fois qu’il la regarde dans les yeux, il a la sensation de manquer d’air. Il reprend son souffle. Ça ne se voit pas sur l’écran. À chaque fois que la scène passe, je ressens la même pointe. Comme si un scalpel passait à l’intérieur de ma poitrine. Un effleurement glacé.
Dans le film de ma mémoire, il est très proche d’elle. C’est un effet du temps. Dans le film de ma mémoire, les images sont des morceaux d’images, seulement des morceaux. Un peu comme un kaléidoscope. Les yeux. Le point d’éclat vif au centre. La bouche. La peau du visage. Le nez. Chaque partie se sur-imprime sur les autres. Il faut faire un effort pour retrouver le visage dans la nudité du premier instant. De l’eau passe dans ma mémoire poreuse.
Je me concentre. Ses yeux. Sa bouche. Ses lèvres. Son sourire.

Voilà, le sourire. Il faut garder le sourire. C’est par le sourire que tient le film. La porte d’entrée du visage c’est son sourire à elle. La séquence où ils sont assis tous les deux à la terrasse de chez Gudule se brouille. Elle n’est pas dans l’ordre. La mémoire a déjà fait des coupes.
Plus le film repasse, plus les nœuds se nouent. C’est le sens de la fatalité que de nouer les nœuds. Il faut garder ces instants. Il faut les garder. Déjà je sens l’effacement.
Tes traits sont moins précis. J’insiste, c’est le sens de ma folie. Revenir sur l’inutile. Tenir le vain, l’accessoire. Tenir tous ces fils qui pendent. Il ne faut pas être négligent avec ses souvenirs. Il faut les dire, leur trouver des mots, leur tisser un  destin.
Toujours cette même sensation quand ton visage apparaît, cette sensation de bouleversement, comme si les images passaient d’abord dans le sang, comme si elles infusaient les chairs.
C’était un dimanche, tu es arrivée comme une plume, comme une grâce. Tu as choisi cet instant si particulier pour apparaître, l’instant où la lumière se gorge de silence. L’instant où les dieux sont occupés à autre chose, où ils détournent le regard, où ils laissent faire.
Tu es arrivée avec cette légèreté de brise printanière. Tu as posé tes doigts avec douceur sur la porte de tendresse et tu es entrée. Légère. Depuis, ma maison est dans tous ses états. Tu as simplement soufflé, et j’ai senti ta présence. Une présence considérable.
Depuis, j’ai dans la tête ce film qui passe et repasse sans arrêt. Pour ne pas oublier. Pour mourir un peu moins vite.
C’était un dimanche. Tu es arrivée comme l’écume d’une vague, un rire d’océan, comme une ivresse, une folie. Tu es arrivée comme la chaleur qui précède les feux. Tu es arrivée juste après l’aube dans l’ascension verticale du soleil, avec juste un voile, juste tes yeux, et le fracas d’un sourire. Certains êtres nous manquent bien avant que nous les connaissions, bien avant que nous les ayons rencontrés. Quand ils sont là, ce manque nous sacre.
Alors je suis de ton absence. Tu es ma procession, ma croissance, mon témoignage. Tu enfantes mes heures,  je nais dans ton regard, j’augmente par ta seule lumière. Je suis ton pèlerin. Pauvre et silencieux.
……..
Les saisons cachent leurs misères et raccommodent leurs troublantes humeurs par un long fil de tristesse.

Franck.

10 décembre 2017

Ton innocence flotte auréolée d’un tremblement limpide...

Je suis une eau errante dessourcée. Je n’en finis pas de couler hors de toute direction, de tout sens. Je cherche un lieu, une âme, un lien, un parfum, une voix. Il n’y a pas d’issue à l’errance, c’est d’ailleurs comme cela que nous la reconnaissons. Pas d’issue.
Il me faut dénuder le temps.
Il gît nu, désormais, dans son impudique pureté, étendu dans le lit de la langue, j’ai posé mon cœur sur l’oreiller des mots, pour recouvrir mon corps d’un linceul transparent…
Temps nu…
Qui plante sa lame tranchante dans le gras de ma vie jusqu’à en toucher l’os…
Temps nu d’attente verticale, crépusculaire, parenthèse frémissante aux paupières du rêve.
Faux blanche dans un champ d’asphodèles…
Temps nu du silence…. Écoulement bourdonnant de substances misérables dans la veine des heures.

Je te parle du plus profond de ce grattement d’os. De ce temps arrêté.
J’essaye de rejoindre avec quelques mots murmurés, et l’écriture la plus virginale, avec ce si pauvre, ta rive farouche couleur d’ambre…
Car tu le sais, le monde s’enchante de la parcimonie, de la rareté, cela l’allège du trop-plein, de l’excès, de la tonitruance. Le monde a aussi besoin de ce " si-peu ". Comme ces prières qui montent des cloîtres : silencieuses, invisibles, cris inaudibles à force de s’opposer au mal, au vide, au néant, à nos insuffisances…tous ces riens, ces " si-peu " jetés dans l’espace !
Le monde s’enchante d’une seule présence invisible, d’un seul geste, d’un seul baiser, du seul mot prononcé dans le dénuement et dans l’absence de toute réponse.

Mais mon amour tu vas l’amble, battement désaccordé au creux d’un monde désarticulé.
Brûlure sacrée des instants rares
Orchidée cueillie sur les lèvres du jour
Je t’ai vu dans mon rêve allongé, les yeux fermés
Ni vivante
Ni morte
Plus que vivante
Plus que morte
Plus vraie qu’un soleil
Sur l’oreiller fragile des mots, j’ai rapproché ma bouche pour souffler sur ta gorge une caresse rouge.
Sous l’arche de ton sommeil vacillant, ma voix devint rumeur innombrable…
Murmure ruisselant…
…. Ton innocence flotte auréolée d’un tremblement limpide.
Ta chevelure noire déverse des champs de comètes frémissantes.
Ta bouche savoureuse s’arrondit dans la chair sanguine des oranges.
Tes yeux consolés chancellent comme des guirlandes de chandelles.
Tes mains délicates en éventails balaient les poussières désargentées de la nuit comme l’aile du papillon effleure le cœur des roses.
Et ton sourire amande a la chaleur des étreintes.
Et ta voix captivante connaît le luxe, l’harmonie des plus grands paradis.
Et ton front réfléchit la lumière et la grâce des lys.
Et ta peau séraphine se perle de rosée.
Et ton corps élégant traverse enfin l’aurore……
Traverse enfin mon rêve.

Franck.

17 décembre 2017

La tentation de Saint Antoine...

J'ai marché en marge de ma vie. De longues années. Sans doute même de longs siècles. Pour m'arrêter un jour au bord de votre visage
Et j'ai voulu m'asseoir
Et ne plus bouger
Jamais
Simplement vous regarder
Toujours

Au creux d'une défaillance de lumière, j'ai vu au fond de vos prunelles les grandes étendues de poussières blanches du royaume de Saba
Aux confins de tous les déserts
Là où les prières deviennent de simples souffles, des chants d'azur éparpillés
Souvenez-vous, en ces temps-là, vous étiez reine
Reine gracieuse à la pâleur singulière
Reine du pays du vent
Vous trôniez au centre d'un temple de sable, d'étincelles d'éternité
Souveraine majestueuse d'une citadelle de lumière et de tourbillonnement
Princesse immaculée miraculée des limbes juste assez boiteuse pour ne point offenser Dieu
Votre présence effleurante flottait légèrement comme un lambeau de rêve
Ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs
Oui, vous étiez reine vos gestes le dessinaient
Déesse, vos yeux le révélaient
Et votre voix chantait le chuchotis des amants éternels...

En ces temps là, ermite désolé, je vous ai vu venir, vous sortiez de la nuit emmitouflée d'ombres claires, drapée d'un grand voile constellé
En ces temps là mes os grinçaient de peur
Je passais de dune en dune, de jour en jour, de blessure en blessure, conquérant d'un vide toujours à venir dans la seule espérance d'une stridence inattendue
Le cœur vert
Je passais les bras ouverts au grand vent chaud étreignant des mirages si lointains
Entre mes doigts coulaient déjà ces cendres de temps
J'étais une étoile noire tombée dans de trop grands hasards
De sombres hasards
Un baiser m'eut sauvé
Pas même un baiser
Rien
Pas même une enfance
Seulement des restes d'amours effilochés
En ces temps-là, votre silhouette délicate est passée sur mon cœur
À glacé mon sang
Votre parfum disait l'infini de l'espoir.
Alors au fond de l'horizon le soleil tout à coup bascula dans son lointain sépulcre
Souvenez-vous

J'ai vu votre beauté, légère comme un ciel d'été, glisser avec douceur vers le seuil inconsolé de ma retraite obscure, votre lumière bleue avait la transparence envoûtante de ces jeunes mamans penchées sur un sommeil d'enfance, dans vos yeux scintillait cet espace d'éternité qui appelle la joie pure d'une prière lancée au firmament.
Votre présence fut comme un souffle de mésange, un frôlement rayonnant, une pluie étincelante semée sur mon océan de langueur
Une fleur mystérieuse plantée au jardin de mes absences.

Nous sommes entrés sans prononcer un mot dans la chambre nuptiale de la nuit
laissant grand ouvert les cristallines portes de l'infini pour laisser passer la clarté nuageuse des songes et la fourmillante folie des séraphins éthérés.
Et j'ai bu votre bouche fondante comme l'hostie sacrée et me suis enivré d'une sève à la saveur irréprochable
Dans ces heures rougies au feu des extases éruptives, blanchies aux soupirs de vos invitations, ma mort fut percée d'une flèche de lumière argentée.
Sur votre épaule nue, un ange a déposé ses ailes de silence et sur vos seins opalins j'ai pu laisser couler mes larmes quand votre ventre orageux traversait mon âme transfigurée d'éclairs rougeoyants.
Vos entrailles de chairs pourpres brûlaient mes oraisons laborieuses dans une fulgurance invincible, vertigineuse. Je me noyais sous l'arche inespérée de vos émois, balayé par des rafales de joie.

Et j'ai vu mes mains de prières sur votre corps de louanges.

Et j'ai vu votre ventre lieu infini de la mort exacte.
Et j'ai eu soif de vos eaux généreuses, ce rien à l'âme qui bouleverse toutes les certitudes : marée sauvage, sans retour, sans rémission, effroyablement délicieuse
Et j'ai ouvert les mains pour recueillir jusqu'à l'ultime goutte de vos bruissements et je n'ai pu saisir que l'or de vos silences.
Nous avons partagé la nuit et ses gerbes étoilées recouvertes d'un seul manteau de paix jusqu'à ce que l'aube de sable pousse un large soupir incandescent.
Une rose des sables, rouge.
Dans l'athanor creusé par nos corps, là où votre peau s'est irisée de désir vertical a germé une rose des sables, rouge.
Il ne me restait qu'à attendre l'achèvement des temps en recueillant l'écumeuse blancheur des jours indifférents et de regagner à pas lent mon impatience souveraine à nouveau consentie. Érosion lancinante sous l'œil noueux du souvenir
Frontière sablonneuse inviolable de l'exil.

Au départ il n'y a rien
À la fin il n'y a rien
Entre les deux la mer
L'abîme

Oh, mon Dieu je suis là et je cherche à comprendre
Oh, mon Dieu la nuit n'est plus la nuit
Elle était une source.....elle devint l'océan
Elle était une étoile ....elle devint l'univers
Oh, mon âme brûle et je suis si pauvre seigneur
Je n'ai plus d'espérance mon seul désir est de prier sans fin au cœur de la nuit du monde.
La prière s'enroule au feu de nos secrets, seul l'écho de cette nuit du monde la porte, légère, douce, tendre, on croirait la voir s'élever sur les ailes d'un ange... Et jusqu'au royaume des cieux... »

Franck.

26 décembre 2017

Juste un peu...

Tu  ressembles à tes mots.
Juste un peu absente,
juste un peu distante...

Une eau calme qui se perd dans les reflets du ciel.
Et ton visage semblait lissé par une étrange sérénité, les paupières baissées comme ces vierges à l'enfant debout dans les ruissellements d'un vitrail.
Visage pali de silence que rien ne pourrait froisser.
Si tu étais parfum tu serais mélodie d'un rose léger relevé d'une petite pointe de vert, une senteur du soir à la fin du printemps. Senteur et lueur du soir avec ce je ne sais quoi d’affaibli, mais de persistant, une note qui se soutient dans la dissonance pour parfaire l'harmonie, ainsi rendre hommage par avance à la nuit.
Au coin de ton sourire s'est logée une douce tristesse.
Visage de neige sur le rouge du cœur.
Un ange est posé sur ton épaule. Il te protège des vacarmes, t'aide à effleurer la lumière, te donne sans doute cette gravité, uniquement pour te vêtir de pudeur pastel. Pour ne pas blesser le soleil.
Tu viens de si loin, du pays des landes, du pays des pluies, des brumes, tu viens d'un temps oublié. Tu es d'ailleurs, toujours au-delà d'un voile comme si tu te tenais derrière une fenêtre qu'un déluge éclabousse, pour me dissimuler tes larmes.
Tu es toujours penchée sur un travail minutieux, brodant quelques étoiles sur des robes crépuscules, peignant quelques tableaux, écrivant, ou simplement assise, perdue dans les aurores incertaines d'une interminable prière.
Tu es enveloppée de ton seul silence dans l'ombre rougissante de la flamme entêtée de cette bougie solitaire ; grand aplat de chair blanche sur les sanglots de la nuit.
Droite. Droite, sans être raide, tu traverses l'espace pour l'orner, simplement l'orner ; une flûte qui jouerait entre les cordes d'une harpe, une brise dans les fougères d'un sous-bois, légère comme le pourpre de l'âme enroulé à la blancheur des nuages.
Et les miroirs à ton passage se taisent, respectueux. Ils frissonnent de cette coulée d'ombre claire qui les traverse.
Visage de neige sur le sang noir des souvenirs.

Parfois on croit te voir flotter pareil aux épis mûrs dans la tremblance de l'été, tu sembles alors dans une sorte d'attente lointaine, comme si l'instant qui devait suivre allait  t’annoncer la promesse de l’amour éternel à cueillir. On ne pourrait t'approcher sans risquer de briser l'infini de ton rêve sans risquer de dissiper le charme d'un mystère.

Tu es là, simplement, âme discrète, qui bât des ailes pour frôler la vie.
Visage de neige, caresse du temps sur l'onde mélancolique des eaux.

Sur tes lèvres la brise a déposé les lettres du mot amour, que tu sembles épeler en un lent murmure silencieux.
Juste un peu absente.
Juste un peu distante.

Franck.

2 janvier 2018

J'ai vu...

J'ai vu tant et tant...
J'ai vu des visages défaits, par la douleur ou par la peur, j'ai vu des chagrins d'enfants inépuisables, comme ceux-là à la peau si noire, aux ventres si gros, sur des corps si maigres, aux yeux si effarés, si désemparés. J'ai vu les chagrins ordinaires, qu'on ne console pas, ou jamais assez. J'ai vu la violence des mots, des gestes et des intentions s'abattre sur des vies innocentes. J'ai vu des solitudes impensables, des terres frappées par le gel et le vide, où les âmes se cassent comme de la glace. J'ai vu les trahisons, ah oui ! Ça, j'en ai vu, elles poussent comme le chiendent, comme le mépris, comme la haine. J'ai vu les oublis, les omissions, les prétentions, charriées par des fleuves ambitieux, inonder et noyer des existences fragiles et aimantes. J'ai vu blanchir les heures dans l'œil noir de la mort, dans ce regard perdu de ma mère, dans la froide violence de mon père. J'ai vu partir ma vie sur la pointe des pieds, sans tambour ni trompette, simplement, comme ça, un long épuisement sans fin. J'ai vu les espérances gonfler comme d'énormes ballons et crever d'un seul coup, par ignorance ou bêtise. Bêtise souvent. J'ai vu la lâcheté ramper, et les lâches gueuler avec les loups, et les loups flatter les lâches, et les lâches aimer les loups. J’ai vu des grandeurs indignes et des fragilités lumineuses. J’ai traversé plus qu’à mon compte ces nuits de l’âme, profondes, opaques, terrifiantes. J'ai vu l'amour blessé, bafoué, abandonné et encore espérant, et l'amour démembré recroquevillé comme un animal mourant. J'ai vu les jours sans fin et les nuits sans retour. Et la peur aussi, celle qui fait trembler et celle qui ne dit pas son nom, mais qui ronge les jours et le sang. J'ai vu l'humiliation s'écrouler devant le dédain... J'ai vu tout ce que les hommes voient, ni plus, ni moins, ni mieux, j'ai lu beaucoup, souvent mal, j'ai cru aussi que quelques poèmes pouvaient sauver le monde, j'ai appris les étoiles espérant mieux le comprendre, j'ai même traversé les déserts, les plus grands, les plus chauds, pour affermir mon âme, j'ai prié des dieux insensibles ou inconnus et me suis abrité sous la lumière des vitraux. J'ai cru aux idées, j'ai même aimé ma solitude, j'ai plusieurs fois recommencé ma vie, j'ai voulu être tout et de mon temps, et n’être rien, et n’être rien. J’ai parfois gagné, souvent perdu, toujours remis ma mise.

Dix fois j'ai refait mon bilan, dix fois ça n'a servi à rien. Je suis une âme boiteuse qui marche dans son errance, ni plus, ni moins, cahin-caha... ni sage, ni ignorant, assez pauvre ou assez sot pour cueillir de temps à autre quelques trèfles à quatre feuilles, assez pauvre ou assez sot pour lancer en l'air quelques poèmes ou quelques paroles amoureuses, assez pauvre ou assez sot pour croire encore que demain tout est possible, assez pauvre ou assez sot pour n'attendre rien et espérer tout, ou le contraire, assez pauvre ou assez sot pour ne plus croire au bonheur et faire comme s'il arrivait demain, assez pauvre ou assez sot pour faire encore des rêves, des rêves de peau et de chairs et de baisers délicats, et de mains tendues qui toucheraient mes yeux, de souffles échangés, et de silences heureux, de promesses brûlantes, et de sources bleues, et des rêves d'anges....
Assez pauvre ou assez sot pour me sentir indemne de rien, affecté de tout.

Franck.

6 janvier 2018

Le cœur des saisons...

La pluie est venue. La saison regagne sa maison. Tu étais partie sur d'autres chemins. Tu retournais chez toi. Saison prodigue. Qui revient. En lambeaux de pluie. Il fait juste un peu froid, il fait juste un peu triste. L'escapade se replie dans la marge. Un peu comme les histoires d'amour qui sautent par-dessus les temps, qui trébuchent sur un reste d'hiver. L'été ne fait plus fondre mes glaces. Il est des temps où le soleil n'entame plus les grands champs de neige. L'après se confond avec l'avant. Il n'y a pas de présent, ou si peu, le temps reste immobile. Cassant. La saison fixe de l'hiver. Mes grands champs de neige avec cet horizon de glace.

Je suis né en été, avec un cœur de neige. Je suis né au milieu des terres avec des yeux d'océan. Je n'ai pas de lieu, pas de temps. Une simple dérive. Une flamme sans son cierge, une prière sans son dieu. La pluie est venue, et la saison a regagné sa maison.

Tu étais un été, avec ta façon bien à toi de porter un soleil dans chacun de tes gestes. De porter droit la lumière. Sans effort. De la tendre, de l'offrir. Les fleurs du printemps sont belles, mais elles attendent. Les fruits de l'été se donnent. Tu étais un été. Je n'étais qu'un hiver.
Tu étais un été. Contre temps des saisons.
Tu étais un été, avec ta façon bien à toi de t'affranchir de l'ombre, d'éclairer chaque mot d'une lueur étrange et singulière. D'alléger chaque regard d'un silence généreux. L'hiver a ses secrets, l'automne ses mystères, le printemps ses merveilles, et l'été ses miracles. Tu étais un été, net, avec ta présence évidente et sereine.

Qu'est-ce que la bonté ? Ce n'est pas de partir du plus fort pour aller au plus faible, pas plus que de partir du plus faible pour aller au plus fort. La bonté, c'est partir du plus faible pour aller au plus faible, puis déployer une joie sans limites. C'est de consentir assez, pour n'être lésé de rien. La bonté c'est une simple brise sur les épis de blé. L'été. Dans le silence fixe d'une attente dénudée. Quand le vol de l'oiseau nous étonne par la prière qu'il murmure en nous. Tu étais un été. Simple. Bon. Tenant dans tes mains un cœur battant. Articulant chaque couleur d'une douceur invincible. Tu étais un été au cœur du printemps...

Et la pluie est venue...

Franck.

21 janvier 2018

Solitude saharienne...

La solitude saharienne est singulière. Surtout au lever du jour. Le soleil monte et semble dire : tu devras la gagner cette journée, tu devras en sortir vainqueur ou accepter ta défaite. Les aurores sahariennes sont courtes. Le soleil est là, dans sa simple évidence. Rien n'arrête ses rayons. La nuit s'efface comme si un dieu muni d'un chiffon nettoyait le ciel et la craie du matin. Un autre jour est là.

J'ai toujours ressenti à cet instant des matins sahariens, une chute, presque un accablement. Comme si la lumière avait un poids, comme si l'on trébuchait dedans. Comme une fatalité. La solitude est totale. Belle, mais totale. Elle vous désigne. Et le soleil semble l’éclairer plus directement encore. Une solitude sans ombre. Crue. Nette. Incisive.

Le Sahara n'est pas fait que de dunes exotiques, dans sa grande partie, il est plat. Sans rien pour accrocher le regard. Plat, vide. Immensément vide et plat. Avec des petits cailloux poser ici ou là, jamais très gros. Un infini immuable qui nous entoure. Le même après le même. Le même aplatit sur du même. C'est un lieu sans lieu. Le regard se perd sur l'horizon, fait un tour et vous revient dans l'œil. À l'intérieur de l’œil, jusqu’au fond de la tête. Dans toutes les fibres.

Le matin, au lever du jour, dans les solitudes sahariennes, c'est là qu'il faut croire, car tout ce que l'on verra au cours de la journée est là, quels que soient vos pas, quelle que soit la direction. Tout est là, comme après une catastrophe. Ce n'est pas un début. Là, dans ce plat infini, cela nous semble toujours une fin. Ou plus exactement un reste.

Le matin au lever du jour on peut ressentir un accablement ou un découragement. Au sol, il n'y a pas de chemin, pas de talus, même nos pas ont du mal à froisser le sable. On est sans trace. On vient de nulle part. On ne va nulle part. On ne sait qu'être là, comme un surplus, ou une méprise, ou un égarement. On ne peut que se rassembler encore plus fort pour offrir le moins possible de prise au destin, aux menaces, aux heures qui, s’annoncent. Et rien ne nous sépare vraiment de ses petites pierres. Rien. Aucune raison ne tient ici, aucune intelligence, la plus subtile qui soit, ne résiste ici. La pensée s'effrite, s'émiette comme ce sable, là, sous nos pas. Hors tout.

Le matin, au lever du jour, dans le Sahara africain, c'est un nouveau naufrage qu'il faudra vivre, sans noyade, sans vent, sans tempête. Mais un naufrage, avec cette peur d'étouffement par ce vide. Voilà étouffer de vide. Trop de rien. Saturation de néant. De silence. Car les paroles sont inutiles ici, puisque tout a été dit, et que se taire s'est encore pouvoir résister. Un peu. Hors tout. Hors de toute signification. La banalité des mots est indécente, déplacée, seul l'instinct, seul l'instinct et la prière peuvent regarder le soleil qui monte toujours plus haut. Car il y a, dans chaque lever du jour, dans le Sahara plat et vide, comme une impression de sacrifice, et le goût du sang colle au palais. Le matin, dans le Sahara africain on est à l'aube du monde, sans famille, sans parent, sans ami. Ici, il n'y a pas de possibilité de racines qui plongeraient vers des mémoires profitables, il n'y a pas de ramures qui monterait au ciel, dans l'espoir de nous sauver, puisqu'ici le ciel n'existe plus, ou si peu, et qu'on ne redoute même plus l'enfer puisqu'on y est, noyé dans ce débordement, dans cet excès d'abandon, de distance, de manque, d'infinité. Rien, aucune image, aucun poème, aucune musique n'est secourable, rien n'interrompt ce trait strident qui perce les chairs, que rien ne protège, ni la lucidité, ni le rêve, rien, hormis l'hébétude et l'entêtement, à part peut-être le goût de se survivre. Même aimer n'a plus de sens. Car ici, aimer, n'en a jamais eu. Aimer qui ? Aimer quoi ?
Car les chagrins sont morts au lever du jour, et les tumultes de l’âme se calcinent, se sclérosent, et tout s'assèche, se parchemine. Au-delà de la mélancolie, au-delà des larmes et de la pitié, il y cette étendue plate que nul vent ne traverse, qu'aucun son ne fait vibrer, seul le battement du cœur, seul le gonflement des poumons, vous signale ce qui vous reste de vie. Et même cela c'est encore de l'orgueil. Car aimer, ici, n'a plus de sens, et l'élan du sang se resserre jusqu'à n'être qu'un point perdu dans les veines, l'infime reste du passée ou de l'espérance.

La solitude saharienne est bien singulière, comme une guerre sans ennemi. Ni le cri ne peut la dire, ni la larme ne saurait où couler tant l'étendue effare l'œil. Et l'ocre sale du sable tapisse la vue, et l'âme est lisse comme l'indifférence. Être le grain, être poussière, être la pierre, ou le ciel, n'être rien, infiniment rien, sans peur, sans désir, n'être que le pur mouvement qui doit se survivre. Et pas une parcelle de soi ne retient l'ombre. Que de la lumière, que de la lumière brûlante, pas un seul contre-jour, pas un seul flottement de l'air, seul l'éclat brutal et sauvage du jour qui s'affirme contre votre souffle, contre votre vie.

Il y a dans le jour qui se lève, dans le Sahara africain, comme défi, et comme un déni. Ici, dans ce temps de l'aurore, aucune forme de peut naître, aucune danse ne peut s'exercer, aucun chant ne peut monter, seuls l'instinct et la prière contestent l'inévitable. Seul le murmure contredit le silence, seul l'acquiescement rassemble assez de force pour conserver le vertical besoin d'exister.

Et renouveler le pacte tacite du sixième jour. Il y a, dans le jour qui se lève, dans le Sahara africain un enjeu qui concerne la grâce, l'extraordinaire puissance de la grâce, celle qui épuise tout, qui précipite tout, la chair, le sang, et qui terrasse et ruine tout orgueil et toute vanité. Ici, et seulement ici, chaque être est au-delà du péché.
Les solitudes sahariennes sont bien singulières, car ce qui sauvera le jour sera le crépuscule, et ce qui le sacrera, sera la nuit. Si la constance et l'obstination vous soutiennent jusqu'au bout du soleil, jusqu'au bout de l'immensité plate et vide, alors le crépuscule vous guidera vers la nuit. Car ici, c'est la nuit qui délivre, qui défend, et souvent qui guérit. Car c'est la nuit, et la nuit seulement, une fois que le jour est vaincu, que l'œil et l'âme peuvent enfin se reposer du vide et du néant. La nuit du désert, est une nuit vivante, elle est, et seulement ici, à taille humaine, à la taille des rêves et de nos certitudes. La nuit dans le Sahara africain, il y a comme une bataille gagnée, et le sang peut battre à nouveau.
Dans les nuits du désert il n'y a pas de fantôme, pas de spectre pour nous hanter, les étoiles sont là et chacune est un mot qui n'a pas été dit, est chacune est une femme aimée, et chacune bat à nouveau la mesure du temps, et chacune est prière exhaussée, promesse à venir. La nuit, dans la lente respiration du ciel, le regard enfin borné par la multitude innombrable des étoiles tremblantes, on peut enfin pleurer et vivre, et tout redevient possible.
La nuit sera là, ardente, presque blanche, elle sera belle et franche et charitable comme une miséricorde. Ce sera enfin le temps de la parole et du chant, fragile et invincible...
La solitude saharienne est singulière, si proche de la grâce, de ses blessures, de son éclat...

Franck

4 février 2018

Lettre N° 44 - Hors saison...

Mon amour,

Nous vivons hors saison. Attachés à rien. Seulement quelques pas de danse sur le fil tendu de la mort. Seulement quelques mots nous retiennent de la chute. Nous ne sommes pas du temps des chronologies. Nous sommes hors saison. Celle des amoureux. Celle des fous.
Tous les jours j’invente un peu plus ta peau. J’agrandis l’océan.
Porter ton absence c’est comme porter une étoile. C’est l’assurance d’un ciel, d’une immortalité.
Il y a des liens qui ne se définissent pas. Les nommer les affaiblirait.
Se taire. Entrelacer nos silences. Apprendre un peu plus de ce temps déconstruit. Nous vivons hors saison. Seulement quelques pas de danse sur le fil tendu de l’amour.
Il y a une ligne invisible qui nous relie. C’est un mystère qui ne nous appartient pas. Tout juste pouvons-nous le servir, en baissant la lumière de nos chambres d’écriture.
Car ta pudeur éclaire mon désir. Ta bienveillance déploie une aile blanche au-dessus de mes ombres errantes.
Chaque lettre de toi, précise un peu plus mon chemin. Il y a comme un itinéraire dans la tendresse. Une rose des vents dans ton souffle. La géographie de l’amour est un labyrinthe. Avancer c’est toujours se perdre. Comme marcher sur des bouquets de cendres, traverser les champs Phlégréens.
Tu sais, t’écrire n’est pas écrire, c’est cueillir des lucioles, ou s’allonger dans le foin encore chaud des moissons, c’est s’asseoir dans le jardin de la langue, attendre la fin des temps.
Car t’attendre n’est pas attendre, c’est brûler chaque jour un peu plus, comme ce clou planté dans le temps où j’accrocherais l’éternité.
Car désormais nous vivons hors saison. Nous n’avons plus besoin de mémoire. Je suis sans souvenir puisque je tremble de ta seule présence.
Tu as su défaire un à un les murs de mes prisons, avec si peu de choses, seulement un battement de paupière, un effleurement de tarlatane. Dans chacun de tes mots, je sens peser sur ma peau des caresses inconnues. Dans mes veines résonne le pas d’une armée en marche.
Nous habitons la même partie du ciel, mélangeant nos gravités, épuisant nos soupirs. Seuls les murmures nous guident.
L’amour et la mort sont les deux extrémités du silence. Nous, nous avançons sur le fil des jours.
Nous sommes hors saison. Car cet exil nous sauve. Cette perte nous bénit.
Tu le sais nous avons été choisi. Ni par les dieux, ni par les diables. Noces de la terre et du ciel, notre maison est la ligne d’horizon. L’océan est le chemin qui nous y mène. Les anneaux de Saturne scellent nos fiançailles.
Nous sommes hors saison. Nous sommes du temps des fous, des enfants. Des sacres.

Franck.

11 février 2018

Lettre N° 56 - Dérision...

Mon amour,

Je jour chasse le jour. Le texte chasse le texte. Dérision de la banalité. Ossuaire des mots. Catacombe de nos voix. Lente dissolution de l’insaisissable.
J’envie la puissance entêtée de l’arbre, qui s’additionne de jour en jour, qui jamais ne se renie. Toujours plus de bois. Même exténué, il produit une mince pellicule de vie chaque jour. Lent, généreux. Du bois sur du bois. Avec ou sans soleil il invente l’arbre de demain. Il croit assez dans sa fibre pour la dépasser chaque jour. Lent, généreux. Même désespéré, il pousse chaque jour la vie un peu plus hors de lui.
Chaque jour le texte efface le texte. Ce sentiment de néant, de disparition. Chaque jour c’est un deuil.
Je t’allonge sur la ligne horizontale de la phrase. Sur le grand lit blanc de la page tu sommeilles. Inquiète.
Entre mes lignes tu deviens intraduisible. Femme nacrée méditative, craintive, à la nudité irradiante et solennelle. J’ai des fissures dans ma chair. La corrosion, la rouille altère mon âme, alourdit mes élans, ronge ma parole, la rend impossible et vaine. 
Je voudrais ne plus t’écrire…

Franck.

18 février 2018

Lettre N° 112 - Chandelle...

Mon amour,

Cette chandelle révèle la profondeur de ma nuit. Je sais que quelque chose se consume au-delà de la cire. Forcément je le sais. J’ai allumé cette petite bougie. Pour t’attendre. Les flammes font voyager nos âmes dans ces petites sorcelleries dérisoires.  Alors je t’attends dans la flamme d’une bougie taciturne. Je ne t’attends pas pour te faire venir, je ne t’attends pas parce que tu pourrais revenir, je t’attends pour t’attendre seulement. T’attendre jusqu’à la fin.

Si l’attente est notre destin, alors t’attendre suffit à effacer mes peurs. J’ai allumé une petite bougie, maintenant la nuit est venue, ainsi que cette solitude saturnienne. Je n’ai pas d’impatience, puisque je t’attends. Comme lorsqu’on regarde la mer, les vagues, l’horizon vide. On est là, assis sur un rocher, on attend. L’attente est un océan silencieux avec son flux, son reflux, ce balancement des sensations, l’empreinte du temps toujours renouvelée. L’étonnement et le saisissement. Bruissement lent des eaux, long mouvement vers les temps à venir, des temps différents. 
Mon océan est éclairé par cette seule bougie. Je t’attends. Sans impatience.
Puisque tu ne viendras pas.
Avec le flottement de la flamme sur la paroi des heures.
Je peux bien t’appeler puisque tu ne viendras pas. Je peux bien t’espérer puisque cela suffit au salut des marées, des vents, des tempêtes. Je peux bien allumer des chandelles pour faire trembler ton visage, pour dessiner tes yeux puisque nos souffles ne se rapprocheront plus.

Le temps des chandelles est un temps infini. C’est un temps sans réponse, c’est pour cela qu’il sert aux prières, aux solitudes. Aux écritures. Aux morts.
La chandelle accentue la nuit, la rend plus nette, plus pesante, plus définitive. Elle fixe les rivages d’une nuit sans aube. C’est un éternel crépuscule. L’amour brûle, s’épuise dans sa lumière fragile. J’ai allumé cette petite bougie pour rétrécir le monde, pour enlever les distances, pour défaire le chagrin.
Qu’importe.
Je sais bien que ces misérables cérémonies ne changeront pas l’écrasement. Je sais bien tout cela. Sans doute rendent-elles plus facile ou plus simple la traversée des illusions.
Mais peut-être que cette bougie recèle encore dans son feu intime quelques mystères, quelques secrets. Puisqu’il n’y a pas d’espoir. Que c’est mieux peut-être, mieux ainsi.
Ce soir cette bougie est une île dans ma nuit d’océan. Elle est ton île, elle ma tempête. Elle marque un lieu qui n’existe pas, un lieu de chair absente, sa lumière c’est ton sang manquant, ton sang tremblant. Ici, ce soir, c’est nulle part, et partout ta présence.

Le temps des chandelles est un temps d’innocence, d’aveu désarmé. C’est le silence qui brûle, l’amour qui s’égare.
La lumière silencieuse de ces flammes consolées, presque soulagées, presque assouvies, accentue la nuit. Désormais le silence peut bien s’aggraver, même la menace se préciser.
Où es-tu ma beauté pâle ? Ta douceur se consume, elle n’en finit pas de s’enrouler à la flamme captive.

La bougie éclaire toujours la face du naufragé, elle brûle toujours ses rêves. La vie s’épuise, ombre après ombre. Sans impatience.
Il y a des soirs, des nuits, où l’on allume une bougie non pour veiller l’absente, non pour la faire revenir, mais pour l’embraser, donner des couleurs à la tristesse, étouffer le cri.
Je t’attends, toi qui ne viendras pas.
Plus la nuit s’avance, plus l’attente se déploie, plus l’amour se simplifie.
Le feu rassemble les amants séparés, il purifie leurs regards, il invente les caresses en dessinant les peaux.
Apprivoiser l’obscur c’est ce qu’il nous reste après les chuchotements, c’est prolonger les caresses. Comme si la flamme et la nuit nous préservaient d’un dernier sanglot, ou d’une ultime suffocation.
Où es-tu ? Dans cette pâle saison, ou dans ce feu qui meurt… ?

Franck.

25 février 2018

Lettre N° 123 - Le baiser abandonné...

Mon amour,

Mes plus belles caresses sont celles qui sont encore dans mes doigts, comme une peau de cendres. Mon plus tendre baiser est encore sur ma lèvre. Il est ma ponctuation. Je respire dans ce souffle qui me reste, celui que tu m’as laissé, comme s’il était le dernier. Le seul.

Comme ces grandes baleines échouées dont l’évent se contracte sur un vide noir et froid. Tellement froid. Tu vois, je suis comme ces grands mammifères échoués qui se sont trompés de continent, qui se sont trompés de dérive, de saisons, qui se sont trompés de visages, d’avenir. Toujours. Les histoires de baleines sont des histoires de harpons. Tu le sais bien, leurs chants sont des plaintes.  Et leurs nageoires ne les font pas voler.

Je suis dans ton silence, comme échoué. Le silence qui n’est qu’une absence n’est pas un silence. Il est un surcroît, ou une négligence. L’insouciance n’est pas un pays. Tout juste un rocher sur lequel on s’arrache le ventre. Pour s’échouer. Je respire dans ce souffle qui me reste, dans ce baiser déserté, abandonné.

Au bout des quais s’enlisent les souvenirs,  se noient les chagrins. Et sur les bancs de sable mugissent les baleines. Au bout des quais les paroles sont vaines. Les résonnances, les correspondances, les vibrations ne sont que les pieds de nez du destin. Des hasards malheureux qui nous font trébucher.

Mon plus tendre baiser est encore sur ma lèvre.
Et m’étouffe.

Franck.

4 mars 2018

Lettre N° 126 - Pluies d'été...

Mon amour, (puis-je encore te nommer ainsi)

Toujours cette sensation de mains vides. Je regarde. Il me semble que tu t’éloignes. C’est inexorable. Une membrane fine nous sépare. Infranchissable. Comme un miroir. Que faut-il que je fasse ? Que faut-il que je dise ? La mer se retire, je vois à la place une plage de cendres. Mes mains vides sont en deuil de ta peau, elles sont creuses comme le malheur. Le malheur est toujours creux. La forme d’un cœur arraché.
Il me semble que tu t’éloignes, c’est comme une croix de cristal encastrée dans le corps. Un reflet douloureux, qui attire une lumière trop forte, me laissant désemparé. Le miroir dédouble nos chemins de verre, rendant l’étreinte désormais impossible. Tu es si loin.
Toutes ces pluies d’été, qui tombent sur notre lit défait, abandonné, délaissé. Il me semble que tu t’éloignes, pas à pas, sans un cri, sans éclat, simplement la lente obscurité des caresses qui se retirent du regard. Il y a un épuisement de la source qui ne va plus vers la soif, l’eau est délivrée du désir, alors elle s’effondre, avec juste un frisson de fièvre. Il y a un épuisement de la source qui ne va plus aux lèvres. L’eau se dénoue, se délie, se détache d’elle-même, de la terre qui la porte, du ciel qui la colore, de la gorge qui l’espère. Toutes ces pluies d’été, toute cette eau morte entre nous, cette eau déchue, dépossédée.

L’aube, mon amour. Te souviens-tu de l’aube ? De ces essaims de lumières, de ta chevelure noire, de ta hanche charitable, de tes seins vertueux, de tes reins secourables. L’aube, mon amour, elle se vide, elle est désormais un temps privé d’élan, privé d’ardeur, privé de feu. Il me semble que tu t’éloignes, que c’est une lente agonie. Au bout de la jetée il y a l’océan, derrière l’océan il y a ton île, j’ai beau lancer mes mots, ils flottent à peine, coulent, là, à portée de voix, comme de vieilles écorces gorgées d’eau salée et de misère. J’ai cette sensation de naufrage, d’engourdissement. Toutes ces pluies d’été qui tombent pour signifier la fin. Je voudrais encore serrer ta main, cette main de caresse ; cette main, désormais, d’au revoir. Je voudrais encore frôler ta poitrine, cette poitrine éblouie, cette poitrine de vertiges, aujourd’hui cette poitrine de cris. Je voudrais encore baiser tes lèvres, pour le souffle, pour respirer, pour vivre un peu plus loin, mais tu es si loin. L’océan nous sépare, l’horizon nous transperce.

Je voudrais encore t’écrire, mais les mots se dérobent sous ma langue. Ils sont sans indulgence. Ils martèlent ton absence. Comme cette marée qui reflue, ces eaux qui abandonnent le rivage. Toutes ces pluies d’été, ce froid. Ma parole se trouble, ma cadence s’assèche, tout blanchit. L’architecture du texte semble engloutie, comme ces empires antiques. Ta jeunesse a vaincu. L’incandescence de tes yeux a brûlé ma voix. Je ne suis plus qu’un fantôme qui erre de profil, couvert d’un voile mortuaire, dans la clameur des souvenirs. Mon amour, ta jeunesse a vaincu mon vieux sang. Ce sang qui sèche, qui s’écroûte sur les murailles de cette mémoire oblique.
C’était écrit, mon amour, c’était le destin de nos âmes religieuses que d’aller s’égarer, se détruire. Bien sûr, il y a eu toutes ces pluies d’été, tout ce froid imprévu, ces distances invincibles. Mais ta jeunesse a pris mon dernier mot, ta jeunesse a vaincu, mon amour. Ce n’est pas triste, car le sang qui s’écaille, dessine les continents de demain. Ton temps d’impatience a vaincu mon temps d’attente. Les étincelles de ton silence ont décimé la horde de mes mots. Je conserve près de moi, comme un dernier trophée, quelques vestiges de larmes.
Un vent squelettique se lève pour dissiper les dernières ombres, avec toutes ces pluies d’été.
Ta jeunesse savait, bien avant nos ruines, que les aurores sont précaires, et les crépuscules définitifs.

Franck.

11 mars 2018

Lettre N° 10 - Rien ne s'écrit...

Mon Amour,

On invente des mots pour les mettre à la place des gestes qui manquent à notre vie, tu le sais. Écrire c’est déjà avoir échoué, tu le sais aussi. Quelque chose est advenu.
L’îlien, au départ, croit que le monde a la forme unique de son île. Puis le premier bateau arrive. C’est un désastre de joie, de désespoir à la fois. Quelque chose est advenu. Au départ, l’îlien ne manque de rien, il a tout, il est maître du monde. Alors le premier bateau arrive, alors soudain il est dépossédé de tout.
Écrire c’est faire arriver des bateaux sur nos rivages. Les mots viennent pour nous déposséder. Les mots ne disent jamais les histoires, ou si peu. Ils parlent du pays à venir qui n’existe plus.
Écrire c’est rendre le geste impossible.
Tout s’écrit, mais jamais rien n’est signifié.
On écrit pour ce baiser qui ne touchera jamais mes lèvres.
Les moissons ne lèvent pas sur les champs d’écriture. Elles sont dans un désavenir, comme les âmes errantes des limbes. Ni l’enfer, ni le paradis. Et l’enfer, et le paradis.
Écrire est le trait le plus triste de notre nature, la marque de notre bannissement. Quelque chose est advenu. Le bateau des mots, nous fait île, et brusquement l’exil ressort de notre mémoire. Alors l’horizon change, chavire, et sombre.
La lune joue sur ses grandes octaves de mystère.
Je sais bien que mon exaltation n’a que le sens de mon inachèvement, que ma véhémence signe l’inextricable de mon chemin.
Tout s’écrit, mais rien n’est vraiment dit, pourtant nous continuons à écrire, toi comme moi, pour opposer à la folie quelques parcelles chimériques.
La vérité gît aux cœurs des illusions. Comme l’île au milieu des océans. Et qu’un bateau délivre et désespère à la fois.
Moins je te parle, plus je te dis, car c’est ainsi que font les étoiles, qui jouent au silence et à la nuit. Tout s’écrit, la nuit, l’amour. Tout s’écrit, mais tes yeux, ta bouche, ta voix, ta nuit qui peut les dire ?
Tout ce que j’écrirai viendra à la place d’un baiser impossible.

Franck.

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