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J'irai marcher par-delà les nuages
20 juillet 2017

- 84 - Avant le labour...

Au pied de l’écriture, on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Avant, survient ce temps d’arrêt. Le monde est contenu dans ce temps d’arrêt. Le laboureur regarde l’étendue devant lui, il la sent déjà dans ses mains, dans ses épaules. Déjà, il est chair de terre. Là, dans l’avant. Il n’a déjà plus famille, plus d’âge, plus de nom. Là, le laboureur ne sait plus rien de sa vie. Il respire profondément, déjà il cherche les sillons dans son sang, il appelle l’effort, la douleur, il appelle ses muscles. Alors, il regarde l’horizon puis il respire profondément au pied du champ, au pied de sa peine, au pied de sa misère et de sa gloire.
Alors les senteurs remontent de la terre en attente, des odeurs de siècles, de vie, de mort.
Le laboureur au pied de son champ est seul. Toujours. Car c’est l’œuvre répétée de sa vie. Il est seul, sans personne, sans dieux. Il est simplement avec sa désespérance mêlée de singulière impatience. Il est seul, traversé par les violences, les révoltes, traversé par un océan instable, immense, et pourtant incertain. Il respire profondément. C’est l’instant de la terre. Maintenant, les prières sont épuisées.
Dans l’avant, la terre est sans miséricorde. Elle est encore sans promesse, elle est là dans une absolue présente. Elle attend. Elle attend les larmes, la sueur, elle attend un sang qui la sacre, elle attend le geste assez droit, assez pur pour se mettre à trembler. C’est le temps de l’avant. Le temps arrêté de l’avant. Un temps sans partage. Mais un temps découpé par le couteau d’une solitude étincelante et verticale. Le temps de l’avant est un temps sidéré. Un temps sauvage, qui précède le cri, qui précède la rage.
À chaque respiration, le champ grandit. Alors, le laboureur respire de plus en plus profondément pour que le champ qui grandit sans cesse puisse envahir sa poitrine. Y faire pénétrer chaque sillon à venir, chaque pierre à briser.
Vaincre le champ, ou périr sous la terre.
Déjà, il ne peut échapper à son champ. Déjà, il n’y a plus de retour. Si le laboureur se saisit d’un peu de terre pour la porter à ses lèvres, c’est plus pour l’embrasser que pour l’éprouver, s’il pleure, c’est plus par débordement que par chagrin. Car le laboureur ne connait du désir que le frottement âpre et rugueux du manque. Il ne connait du destin que l’horizon de son champ.
Au pied de l’écriture, on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Debout, droit sur sa terre comme le capitaine qui sait la tempête, avec sa cruauté inhumaine. Debout, droit, pesant déjà d’un surcroit de chair, d’os, d’un surcroit de vie. Lourd comme un titan et pourtant fragile comme un cristal.
Alors, arrive ce temps de l’avant, ce temps débarrassé de toute intention, ce temps pur de l’amour.
Alors le premier mot rentre dans la terre, ainsi que le premier pas de danse.
Le premier mot perce de la terre, avec le gout d’un sang nouveau.
Le champ n’est plus un champ, il est supplique.
La terre n’est plus la terre : elle est voyage.
Les heures brillent désormais comme des constellations.

Franck.

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18 juillet 2017

- 83 - L'homme à cheval...

L’image de l’homme à cheval. Comme la métaphore de l’écriture.
J’ai galopé dans mes mots. J’ai eu ces moments d’ivresse que la parole écrite suscite quand elle s’affranchit de la pesanteur, quand l’air de la langue vient fouetter l’intérieur du corps. C’est vrai qu’il existe quelque chose de grisant dans le déferlement en cascade de cette parole éprise de sa propre liberté, de son mouvement naturel. Sauvage. On ouvre les portes, puis l’on se lance dans ce galop échevelé. L’air vient faire comme une musique à l’oreille du cœur, les parfums sortent des mots comme des fleurs qui éclosent, fruités, musqués, poivrés, printaniers, capiteux, tout ensemble.
Dans ses galops, la phrase traverse la lumière comme rayon en surcroit. Trajectoire de reflets de lueurs, comme si l’encre incendiait le blanc de la page, comme si derrière le blanc, il y avait des étendues infinies à conquérir. Comme une dévoration. Oui ! J’ai connu la cavalcade des mots dans le désordre de l’âme, l’exaltation, le vertige des sons, des musiques, des souffles mêlés. Tout est là, tout est dit. Les mots écument, halètent, crinière au vent, à chaque foulée l’on sent dans le corps le mouvement de balancier de la course, le bercement vigoureux de l’échappée libre, de l’échappée belle.
Oui ! Il m’est arrivé d’être dans le galop de mes mots, d’en sentir la puissance dans mes muscles, de pousser la vitesse jusqu’à l’emballement, au-delà de la chevauchée pour aller plus vite encore, pour s’envoler, extase frénétique du lyrisme, comme si la vitesse créait un envoutement. Le soleil bien en face. Comme un point de fusion, avec le galop des mots droits dedans. Droit dans cette jouissance cavalière.
Le plus souvent, j’ai connu l’allure plus chaotique du trot. Où l’équilibre de la parole vacille. Épuise. Le corps de la langue devient lourd, maladroit. Cassant. Chaque mot cherche l’autre mot. Le suivant. On est dans un temps saccadé. Secoué. Toujours au bord d’une chute. Impossible allure. Douloureuse allure, qui tire sur les muscles. Une brutalité qui surgit de l’intérieur. Une brutalité de carcasse. Chaque pas sauté tasse un peu plus l’âme, le cœur sur les os du dos, du ventre. Les gestes sont moins surs, l’horizon disparait. C’est une écriture cassée, essoufflée, périlleuse, usante, harassante. La langue nous secoue comme l’animal, l’animal en soi, l’animal qui tremble entre vos jambes. Écriture de labeur, de doute, de chancèlement. La plume se raccroche à la page, qu’il faut creuser, buriner, tarauder. On sent le malaise d’être instable dans ses propres mots. Sans tenue. Balloté. Bousculé.
Il y a dans l’écriture du trot quelque chose d’intenable. D’irréel. De funambule fou qui aurait perdu son balancier. Pour le cheval, le trot, n’est pas une véritable allure. C’est une allure de transition. Dans la nature, les chevaux ne trottent pas. L’écriture du trot n’est pas une véritable écriture, elle vient seulement user la chair. L’encre bouillonne, laisse de grosses taches d’inachevé dans la parole offerte, dans la parole écrasée. C’est de cet écrasement qu’il faut ressortir. C’est là, dans l’impossible tenue qu’il faut chercher son centre. C’est là, quand les forces s’épuisent, qu’il faut tenir l’animal, tenir la voix, rassembler les mots avant qu’ils ne se brisent. Mieux encore, c’est surtout là qu’il ne faut pas le blesser, avec des coups de main sur les rennes, des trainées d’encre. C’est qu’il faut ne pas casser les dents de la monture par des gestes violents. C’est juste là, dans ce désordre qu’il faut trouver le reste de stabilité, l’aplomb des mots et de la langue. Sentir leur poids et ne pas chuter.
Écriture de chaos, de douleur. Apprendre à lâcher, quand l’instinct dicte à tous vos muscles de se crisper, de se raidir. Oui ! Je la connais bien cette écriture du trot, quand les mots s’écoulent de vos doigts gourds, comme l’eau d’une source trop avare.
Je connais bien ces brulures du muscle du cœur qui pompe du vide pour s’extraire du néant. Alors, enlever les étriers, rajouter de l’instable au déséquilibre, accepter de perdre. De se perdre. Sans lumière, sans gloire. Sans soleil à traverser. Sans ciel à conquérir. Mot après mot. S’arracher à l’effondrement du corps. Déraciner les silences.
Il est une autre allure de l’écriture, celle du pas. Du pas, droit, du pas digne. Serein. Marcher « droit » en équitation est un acte plus compliqué qu’il n’y parait. C’est une allure complexe, qui n’a rien à voir avec le relâchement ou la promenade. Marcher droit, c’est marcher juste. Il faut que les postérieurs du cheval viennent se superposer à l’empreinte laissée par les antérieurs. Ni trop avant ni trop après. Ni à droite ni à gauche. Juste dans l’empreinte. Avec le dos droit. Cette justesse s’obtient, lorsque l’animal mobilise toute son énergie. Qu’il est, comme on le dit, dans l’impulsion ! C’est-à-dire décidé à engager toute sa puissance sous sa masse. L’impulsion, c’est cette volonté franche et directe de vouloir se porter en avant. En avant, mais juste. En avant, mais contrôlé. Le mot tombe dans l’ombre du pas de celui qui le précède, chargé de sa propre densité, dans la toute-puissance de la langue. Une langue souple, sans raideur. Vraie. Il faut avoir assez de folie dans le sang pour consentir au pas, droit. Droit dans sa vie, droit dans ses rêves.
La parole du pas est la dernière à venir. Parce que la plus difficile. La plus âpre. C’est celle qui demande le dépouillement. La mesure. C’est celle qui appelle les forces les plus grandes puisque les moins visibles. Il y a dans le galop l’illusion des soleils couchants. Il y a dans le trot, la douleur jusqu’à l’insupportable, jusqu’à la répugnance. Il y a dans le pas, le silence invulnérable d’une sagesse qui se déploie. Sans hâte. Sans chagrin. Simplement être là, avec l’animal, dans le travail de la langue, appelant chaque mot par son nom, par sa couleur ou son odeur, ou la trace qu’il laisse sur le bord d’un nuage, ou dans l’eau d’un ruisseau.
Écrire le pas, c’est avoir traversé sa vie. Mille fois être mort, pour renaitre à chaque aube. C’est bruler sans rien incendier. C’est aimer sans regret. Être dans cette impulsion de la parole qui cherche devant, sa récompense, simplement dans ce mouvement d’aller en avant, calme, dans l’équilibre des sons, des images, dans la retenue du souffle. Écrire le pas, c’est supporter un soleil et les planètes qui tournent autour, c’est construire un monde pour l’offrir. Le pas s’invente à chaque pas. Il n’est jamais le même. Puis qu’il est consentement, puis qu’il est totalisation, comme le murmure, comme l’aveu, comme la prière.
Au bout de l’écriture, au bout des allures, advient l’ultime stade. L’immobilité. Le cheval est là. Immuable. Droit. Rien ne bouge, rien ne tremble en lui. Irrévocable. Toute sa puissance est là, mais rien ne la manifeste. Le cavalier est immobile aussi, tendu dans la même présence. Ils sont ensemble dans la même absence de geste, de mouvement. Ils sont au travail. Ils creusent le temps. Ils sont dans la gloire immobile du soleil. Plus rien n’est nécessaire, sinon que d’être là, toujours là, habitant la même respiration. La force ne se dit plus, l’effet ne se montre plus. L’homme et l’animal sont désormais pétris dans la même intention. D’ailleurs, il n’y a plus d’homme, plus d’animal. Il n’y a qu’une étoile. Qu’une seule étoile. Les gestes ne sont plus à faire puisque tout est là, puisqu’ils ont trouvé, ensemble, ce passage vers l’éternité, puisqu’il suffit d’un souffle pour que le miracle vienne.
Au bout de l’écriture, au bout des allures, surgit l’ultime stade. La parole rassemble tous ses silences pour l’ultime incendie. La passion. Défaire le mouvement avant qu’il nous défasse. Une fixité qui contient tous les gestes. L’incandescence.
J’ai souvent galopé dans ma parole. Inconstante et sauvage. J’ai dans le cœur des chevauchées éperdues. Mais j’ai dans l’âme le calme tendu du pas. Du marcher droit. Du marcher juste. Alors, je vais, de ce pas lent, cueillir l’extrême de l’immobilité, la pierre vivante du poète, l’extravagante allure. Juste avant le jaillissement.

Franck.

16 juillet 2017

- 82 - Les sillons...

Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n’écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu’il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C’est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s’épuisant.
Toujours, ce qui fascine, c’est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L’imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement.
Écrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. Vaine, donc indispensable. La forme produit du sens. Le laboureur le sait bien, lui qui s’applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Ainsi, de sillon en sillon, toujours le même, à chaque fois toujours différent. L’épreuve renouvelée sans cesse. La grâce des saisons. Car la puissance de la récolte tient à ce consentement à l’harmonie de chaque sillon. La perfection du trait.
Le gout du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croute de la terre pour en faire apparaitre la mie. Chaque sillon est l’histoire d’une vie. Chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts.
Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure, de précaution. Le geste est puissant dans l’élan, léger dans sa sollicitude, puisqu’il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coups, sans arrogance.
Car le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte, et pain. La forme du champ appelle la veillée, les ombres, le silence du repas partagé. Car le pain a la couleur de la terre, et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Elle porte une croissance qui la dépasse, qui l’anoblit.
Le champ est beau des moissons qu’il soulèvera. Mémoire de la terre dans les feux de l’été. Le texte tient debout par un sens qu’il ignore. Le texte brille de ce qui n’est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.
Les champs de blé nous émeuvent parce que l’on entend dans leur crissement, l’été, le souffle du laboureur qui a retourné cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons.
Ce qui nous plait dans le balancement des épis, c’est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l’or du champ, c’est le souvenir de cette terre nue, noire, cette terre hachurée, éraflée, blessée. Ce qui nous saisit dans le texte, c’est la qualité du silence qu’il tisse avec nous. Comme si l’important n’était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots, le silence du laboureur attelé. Des contretemps, dans le temps des saisons. Ce gout de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.
L’hiver des sillons au cœur de l’été. C’est l’autre nom du texte. Le seul nom de l’amour.
Tous les jours, recommencer à enfiler le harnais pour tirer. C’est pour cela qu’écrire n’est pas une activité heureuse, puisque c’est un ouvrage sublime.
Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n’écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu’il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C’est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s’épuisant.
Le navire désempare les ports à chaque coup de vent. Il invente la mer, c’est le sens du voyage. Un autre temps. Les chronologies sont désarticulées. Le texte avance dans le temps de la mer, dans son oscillation, ses remous. Car s’il rêve d’un port, ce n’est qu’un rêve, qu’un prétexte. Sa volonté de navire est de bourlinguer sans fin. Les navires n’appartiennent pas à la terre. Plutôt ils n’appartiennent pas à « une » terre. Car ils les condensent toutes. Ils sont les plaines, les montagnes, les fleuves, ils sont toute l’histoire de l’humanité, jetés dans un seul mouvement en avant, dans un unique élan ininterrompu. Un navire, c’est une galaxie qui dérive, qui avance. Ainsi, le texte qui progresse sur un océan d’ombre.
Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Entre les deux : l’océan. L’océan et le chant des baleines.
Avec l’hiver des sillons au cœur de l’été. C’est l’autre nom du texte. Le seul nom de l’amour.

Franck.

31 janvier 2021

La pierre…

 

Je sais que c’est là, maintenant, qu’il faut que je m’arcboute à l’écriture, que j’y applique mon corps tout entier, comme pour soutenir une falaise. Ou la faire sortir de ma poitrine.
Je sais que c’est là, maintenant que commence le temps de la pierre.
Le geste réclame la résistance. La rugosité. Se défaire de l’orgueil, de la prétention.
La pierre dans son silence immobile dicte sa leçon.
Briser le premier élan sur la roche. Puis revenir, plus lentement. Être défait de cet élan du début. Le premier lait tout en promesse, mais qui ne tient pas au corps.
Revenir au geste pur. L’épuiser de ce qui le déborde.
Faire monter dans le ventre, dans la poitrine, chaque mot, un à un, pour les poser sur la pierre pour en éprouver l’audace, le sens, la couleur. Surtout refaire, sans cesse. Sans exaltation.
D’abord trouver sa place dans le mot, au lieu de lui faire jouer un rôle.
Il n’y aura pas de réponse. Il n’y a jamais de réponse. Aurai-je le courage de maintenir la question ? Sans faiblir. Sans dévier. Accueillir la trajectoire nouvelle, le mouvement, que cette tension sans conflit fera naitre.
C’est le temps de la pierre. Je la pose au centre de mon grand champ de neige. Car la forme du texte doit naitre de cette absence de forme. Le mouvement juste sera sa propre fin, son propre accomplissement.
Le sens est une question secondaire. Au mieux, il est un surcroit. Le sens s’oppose aux rythmes, aux couleurs, à toutes les sensualités furtives et surgissantes qu’un geste dénudé d’intention préalable inspire ou provoque. Désarmer les forces pour leur rendre leurs puissances initiales. Préférer l’étonnement à la surprise. Le texte doit être traversé d’une forme simple, pure. Une ligne, un cercle, l’arabesque du vent. Faire son profit du vol des oiseaux ou de la ligne d’horizon. Observer longuement la montagne, l’arbre, la fleur, le printemps. Le texte n’est qu’un échange. Ce n’est pas moi qui évoque l’arbre, mais l’arbre en moi qui parle. J’ai un océan en moi. Sa voix est bien plus intéressante que toutes mes raisons ou déraisons. Si tu veux tracer un cercle, regarde la vague, son mouvement, regarde-la se creuser, se rétracter, regarde-la aspirer l’air pour déployer sa puissance dans ce mouvement d’enroulement. Inspiration, expiration. Respiration du cercle. Ligne pénétrée d’un souffle. L’océan recommence indéfiniment, comme pour parfaire sa nature d’océan.
Il y a dans la constance un défi serein fait à la mort.
Il y a dans l’effacement de soi une renaissance possible.
Il y a dans la prière assez d’abandons pour faire jaillir une source.
Il y a dans l’amour tous les printemps et leurs cerisiers en fleurs.
Il y a dans la solitude une humanité à sauver.
Il y a dans cette pierre la patience d’une étoile et la bonté fervente d’un silence.

Franck.

26 septembre 2021

Nuit du ventre…

 

Le jour replie sa lumière, tire le grand voile clair avec lenteur, faste, avec le geste large et ample du crépuscule. Le jour se retire emportant dans sa ruine les lambeaux, les hardes usées par le soleil, les images fatiguées, les paysages exténués, toutes ces couleurs éreintées, ces nuances élimées par tant de regards frivoles, irréfléchis. Sans compter la pauvreté de nos regards, l’insignifiance de nos croyances incertaines portées sur les lieux, le monde, les âmes. Capitulation du jour, abandon des vérités éphémères. Déroute de nos fraternités provisoires. Avec nos amours qui s’effilochent, nos amours trop lourdes, impossibles à endurer, impossible à hisser, oriflammes froissées, chiffons délaissés.

La nuit.

J’ai une nuit sur le bord des paupières, et jusqu’au fond de l’œil. Une nuit entre mes mots. Au creux de ma parole. Une nuit ouverte comme une déchirure florissante. J’ai une nuit plantée dans le ventre, une nuit de viscères. Une nuit intestinale. Une nuit archaïque, séculaire. Une nuit d’avant les temps, d’avant les saisons. D’avant le jour. Nuit ouverte et sans fin. Noire. Encore noire. Toujours noire. Flots noirs de ténèbres. Hémorragie d’ombres inquiétantes. Car c’est la nuit que les choses viennent, c’est la nuit que les choses naissent.

La nuit. Sans partage. Vaste lande de solitude et de dénuement. Nuit du ventre. Car nous venons de là. Du ventre et de la nuit. D’un ventre opaque, abondant et d’une nuit interminable. Nuit sans regard. Nuit du chaos décisif. Abyssal. Liquide de nuit. Flottement aveugle de nos peurs. Je suis de cette première nuit qui ne porte pas de nom, de celle qui ne se dit pas, de celle qui s’invente elle-même, de celle qui se prolonge de sa propre épaisseur. Je suis de cette nuit qui s’arrache au néant, de celle d’avant la mort, de celle d’après la mort. Temps cloaque. Temps du bercement. Temps sans mémoire, sans lendemain. Temps élémentaire, informe, brutal. Sans issue. Temps plat de mes premières noyades, de ce premier naufrage. Inondation des gestes, de la respiration dans cette mer saturée de nuit, dans ce débordement d’exigences sans forme, sans mot. Rien. Rien que cette nuit, et ce premier désir confus. Rien, que cette surenchère, que cette excroissance, que cette tumeur d’envie cellulaire. Je suis un débordement de chair, de néant, d’ombres flottantes, une simple exagération de la nuit, une outrance des ténèbres. Je suis la démesure de ce rien, qui s’épuise à s’ennuyer, à vouloir malgré tout. Vouloir comme une fatalité. Un vouloir sans grandeur. Illimité. Monstrueux.

Nuit.

Je suis d’une nuit sans possible. Une nuit bordée d’aucun crépuscule, d’aucune aube. Une nuit sans étoiles. Une nuit effarée. Affolée. Une nuit d’épouvante. De linceul. Une nuit sans rivage, sans continent. Une nuit faite de nuit. Sans autre recours qu’elle-même. Enfantement de nuit. Ombre sur ombre. Agonie sur agonie. Océan sur océan. Pierre sans visage. Pierre tremblante. Pierre recouverte de la peau d’un seul rêve. L’unique soie d’un rêve sans sommeil. Unique viatique pour passer de la nuit à la nuit. Toujours de la nuit à la nuit. L’unique muqueuse d’un rêve interminable. Membrane inquiète du désir.

L’écriture vient de cette nuit, de cette membrane, de cette inquiétude. Écriture du ventre. Écriture intestinale. Écriture ouverte, béante. Écriture qui n’a pas d’autre issue qu’elle-même. Écriture de viscères et d’ombres. Écriture du premier mouvement, qui s’exagère pour se survivre. Car juste après le chaos, se présente le premier mouvement, le premier mot, le seul, celui qui nous nomme, celui qui nous sacre, celui que l’on ne sait pas dire, celui que l’on cherchera tout au long du jour, celui qui s’effacera de nos encres. Mot trou. Mot néant. Mot nuit. Mot d’avant le silence. Mot creusé, excavé, évidé de son sens. Mot océan, au destin des marées infatigables. L’écriture vient de l’impossibilité de dire ce mot, de l’inventer même. Il est pourtant là, gisant dans le sang des veines, à l’affut de nos renoncements et de nos abandons. L’écriture est ce retour incessant au ventre, ce retour à cette première nuit sans forme. À cette première solitude débordante, comme un engloutissement. Alors c’est un désastre. C’est une exaltation. C’est le seul chemin. De nuit. Toujours de nuit. Puisque c’est là que tout s’élabore. Puisque c’est là que tout macère. Nuit, avec son suintement d’aurore. Nuit où les mots se vidangent, du cœur au sang, puis du sang aux premières lueurs du jour. Là où le rien s’effondre un peu plus pour laisser la place à la plus fragile des paroles, la plus faible, la plus vulnérable, celle née de sa propre impuissance à se dire, de cette douleur qui accompagne les résurrections, de ces chagrins accablants, de ces souvenirs poisseux.

Écriture du néant posée sur la nuit, avec juste la peau d’un rêve autour des mots. Juste une membrane frissonnante dans la chair de la langue, juste ce désir comme la première étoile dans le tout premier ciel.

Franck.

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9 octobre 2011

Elle n'a pas de nom.....

Elle, elle n'a pas de nom. Ou alors elle les a tous. Maintenant elle est vieille. Et elle n'a plus de nom. Elle a usé le sien à force de silence. De repli. Et maintenant elle est seule. Et vieille. Et sa maison est trop grande.

Il faut imaginer la Creuse. Et dans la Creuse au pied du plateaux des Mille Vaches quelques maisons perdues. Il faut imaginer le froid, la neige ou la pluie. Il faut imaginer l'inconstance du soleil. Il faut imaginer les nuits sans étoile, et l'agonie des horizons dans les replis brumeux des bois, des vallons.

Il faut imaginer que dans certaines parties du monde le silence est plus lourd, le temps plus lent. Il y a des endroits du monde où aucune philosophie n'a de prise, aucune poésie. Des endroits sans exotisme. Des endroits en dehors de tout langage pour les dire. Alors ils se taisent. Et le jour se lève avec hésitation, et le soir et la nuit arrivent comme des fatalités. Il y a des endroits de la terre qui ne portent rien, à part quelques tombes sur lesquelles l'hiver s'assoit.

Les dieux ne passent jamais par ces lieux. Les dieux préfèrent les déserts, les montagnes, les océans, les grandes étendues, parfois les villes. Les dieux ont besoin d'espaces pour s'étendre et peser sur les humains, pour jouer avec eux. Mais là, que pourraient-ils faire, les dieux, à par s'ennuyer, que pourraient-ils faire à part pleurer sur leurs créations.

Les âmes qui habitent ces lieux sont des âmes revenues, des âmes à qui l'on ne peut rien conter. Elles ne sont pas perdues. Elles sont là. Coincées entre l'ombre et le silence. Elles regardent le temps qui suinte, effarées, muettes. Sans tristesse, mais sans joie.

 

 

 

Elle, elle n'a pas de nom. Ou alors elle les a tous. Elle est venue ici il y a plus de quarante ans. D'un autre continent. D'un continent de soleil. Elle suivait son amoureux. Elle l'aurait suivit au bout du monde. Et le bout du monde fut la Creuse. La basse Creuse. Elle venait d'Algérie, lui était militaire. Après la guerre ce fut La Courtine et ses environs, comme on aurait put dire l'enfer et ses dépendances. Comme on aurait pu rien dire. Elle suivait son amoureux et c'était tout. Et c'était ça l'important. Elle pourrait s'appeler Aïcha, ou Fatima, ou bien Djamila ou Leila ou Tahira, mais qu'importe son nom. Plus personne ne l'appelle. Plus personne ne se souvient. Elle est là, sans savoir vraiment pourquoi elle est là. Et maintenant elle est seule. Le mari militaire est mort, les enfants sont partis, et la maison est pliée dans le silence.

 

 

 

Elle se souvient de son départ d'Algérie, ce dernier jour de soleil où la ville éclatait encore d'une blancheur insolente. Elle savait bien les torrents de sang sous cette blancheur, mais elle suivait son amoureux. Elle voyait Alger dévaler la colline comme l'écume scintillante d'une vague, alors elle a pleuré. En silence. Elle a regagné sa cabine pour cacher son visage et commencer à expier.

Maintenant elle a soixante quinze ans, lui il est mort, les enfants sont partis et elle reste seule, là dans ce lieux impossible du monde. Et chaque jour la solitude agrandit un peu plus les murs de la maison, et chaque jour le silence la ride un peu plus, la tasse un peu plus, l'accuse un peu plus.

Alors elle a décidée. Elle a décidé d'aller régler ses comptes une bonne fois pour toute. Puisqu'elle est à l'âge des folies. Il est temps de commencer. Car il y a un temps pour le silence, et il y a un temps pour la vie.

 

 

 

Que reste-t-il d'elle ? Depuis longtemps elle ne se regarde plus dans les miroirs. Elle n'ose même plus se souvenir d'avant. Avant quand elle était jeune et qu'elle courrait pieds-nus dans les sables. Petite gamine effrontée à la longue chevelure brune. Elle passait ses vacances dans le M'Zab. Petite princesse des dunes toujours essoufflée d'une course. Une poignée de dattes dans la poche elle disparaissait tout le jour. Elle n'avait pas une seconde à perdre. Courir. Jouir du soleil. Se rafraîchir aux sources.

Et puis on l'a mariée. Fini les courses folles à demi nue dans les sables. Fini les couchers de soleil. Fini les ciels du désert. Et puis ce premier mari est mort. Et puis il y a eu la guerre. Et puis il y a eut ce Français. Et puis le départ. Et puis Alger belle comme un poignard qui traverse le cœur. Et puis la Creuse. Et d'autres enfants. Et une longue nuit. Longue, large comme un désert. Silencieuse comme un désert. Et puis la flamme c'est peu à peu rapetissée. La lumière de ses yeux c'est peu à peu éteinte. Elle a perdu sa langue, ses prières, ses rêves. Elle a appris à oublier, à ne plus se souvenir. Elle a appris le temps de la Creuse, lent, lourd, infini. Epuisant. Triste. Temps humide et froid, et vain.

 

 

 

Que reste-t-il d'elle ? Son corps aujourd'hui n'a plus de forme. Sa poitrine est aussi lasse qu'elle, ses hanches sont épaisses et pesantes. Sa peau s'est creusée, ravivée, sillonnée, plissée, depuis longtemps elle a perdue cet éclat ocré des sables et de la joie et des rires.

 

 

 

Alors c'est venu doucement. Au début s'était comme le goût d'un bonbon sucré. Elle y pensait, et s'était tellement fou qu'elle riait d'elle-même.

Les pensées essentielles nous viennent d'abord des chairs, du corps. Quand elle y pensait, elle se sentait transpercée. C'était une pensée immense, elle croyait, au début, qu'elle ne pourrait pas la faire entrer dans son esprit, tellement elle était grande et folle, cette pensée.

Ça lui est venu après la mort de son homme. Ça lui est venu d'une stridence du silence. Ça lui est venu par derrière, en cachette. Ça lui est venu de l'épaisseur des murs et du froid. Oui, vraiment ça lui est venu comme une folie de joie.

Le temps de Creuse est un temps arrêté. On peu s'y asseoir et y rester des siècles à.... A quoi au juste. Méditer ? Non, on ne médite pas dans ses lieux. Rêver ? Encore moins, quels rêves pourraient venir à part quelques cauchemars vagabonds. On s'assoie dans ce temps de Creuse et on attend, et on s'ennui d'attendre la mort, et on est là, simplement là. A attendre rien.

 

 

 

Alors c'est venu doucement, comme si ce désir s'était mis en marche à la création du monde, un petit désir de rien du tout, qui aurait traversé l'univers, un désir d'une fragilité impensable, un désir sans forme, comme une petite lumière qui entrerait dans le sang par la petite porte. La plus petite. C'est venu comme un printemps. Et elle se surprenait à sourire quand l'idée lui piquait l'intérieur du cœur.

Et elle ne voulait pas y croire.

Et c'était une folie.

 

 

 

Et puis un jour elle a dit : « Je vais aller à la Mecque... »

 

 

 

Elle, la sans nom, la sans langue, la sans dieu. Elle, la perdue, elle, la naufragée, allait partir pour cette longue remontée du temps. Elle, elle allait remettre en marche les horloges de l'univers. Elle irait. Elle s'expliquerait de vive voix. Elle, la sans voile, la sans foi. Elle irait. Elle, la sans lieu, la sans mémoire, elle irait. Elle, la ridée, l'épuisée, l'ignorée. Elle, l'effacée, elle irait. Elle réapprendrait les prières qu'elle a oubliées.

Soixante quinze ans c'est le temps des folies et de la vie. C'est le temps des noces divines. C'est le temps des amours incommensurables.

Elle, ces histoires de religions, ne l'intéressent pas. Ce qui l'intéresse, elle, c'est Dieu. C'est cette chose impossible qui la bouleverse, qui brasse ses chairs et sa mémoire. C'est ce truc immense de bonté. Ce qui l'intéresse c'est les prières de sa langue, l'odeur de sa langue. Ce qui l'intéresse c'est les sables de l'enfances, ces ses courses dans le désert, c'est la chaleur, la transpiration. Ce qui l'intéresse c'est d'avoir un nom. Voilà, un nom. Un nom inscrit dans le ciel des vivants et des morts.

Depuis combien de temps n'a-t-elle pas porté le voile ? Ne l'a-t-elle jamais porté ? Le soir dans un petit village de Creuse Aïcha, essaye son voile. Elle apprend à le mettre, devant le grand miroir de sa chambre, elle apprend de nouveaux gestes. Aïcha est une enfant. Parce que son cœur est rempli d'une tempête de printemps. « Je m'appelle Aïcha et je viens du désert... et j'y retourne... je suis Aïcha, la petite fille des sables... et j'y retourne... » Et c'est sa seule prière. Et c'est beau et simple comme un conte des mille et une nuit.  « A Soixante quinze ans il est temps de choisir le bon époux... ». Bien sûr elle se sent un peu maladroite avec ce voile, elle n'a pas l'habitude. Mais son cœur bat. Fort. Elle s'apprête. Chaque soir elle relit quelques pages du Coran. Ce vieux livre qu'elle avait ramené dans ses bagages il y a si longtemps, et qu'elle n'avait jamais ouvert. Et quand elle l'ouvre, dans ses soirées de Creuse, elle sent l'odeur d'un pays, les épices et la chaleur d'un soleil. Elle tourne les pages dans l'autre sens, elle remonte le cours du fleuve. Elle remet avec patience sa langue dans sa parole. Elle mâche chaque mot avec délice. Elle récite les prière en articulant et en cherchant la musique de son sang. Et c'est un printemps. Et elle est heureuse.

Aïcha la Creusoise est comme une amoureuse, car elle connaîtra son nom et ira l'inscrire au temple de son sang. Et ça sera naître à nouveau.

Les bateaux, les avions, les trains ne connaissent pas les chemins qui vont de La Courtine en basse Creuse, à La Mecque en Arabie Saoudite.

Il faut bien que les hommes inventent les routes.

Au départ d'un chemin, quel qu'il soit, même le plus petit, même le plus pauvre, surtout le plus pauvre, il y a toujours un désir, un amour à rejoindre, un rêve à cueillir.

Aïcha invente aujourd'hui une route qui n'existait pas, et c'est ce qui la fait belle sous son voile. Et cette route, maintenant est inscrite. Inscrite dans le livre des étoiles. Cette route portera son nom jusqu'à la fin des temps, et après la fin des temps. Et si au moment du départ Aïcha a peur elle sait bien que cette peur fait partie de sa joie.

 

 

 

Aïcha n'est plus vraiment seule. Elle est d'un voyage au loin, et d'une prière interrompue il y a si longtemps. Aïcha est d'un silence intenable et d'une solitude insupportable, mais elle est aussi d'un rêve, et d'un sang, et d'un désert. Elle est de cette terre, de cette terre misérable de la Creuse, elle est de toute la terre. Elle n'est plus perdue puisqu'elle à un nom, un seul, et quand Dieu la nomme elle se retourne, elle sait que c'est elle. Elle, Aïcha la Creusoise, fille du désert et des larmes, fille de l'oubli, et du mépris.

Et tout est en ordre. Elle a fermée la petite maison de Creuse. Elle a respiré, et pour la première fois elle a senti cet air vif et pur d'un lieu impossible ou seuls quelques miracles arrivent encore à survivre.

Franck.

1 février 2009

Lenteur....

On s'assoit pour retrouver la lenteur des temps. Alors on respire. On puise au plus profond de l'intérieur du corps. Comme vers un continent neuf qui sortirait des eaux brumeuses. La lenteur appelle l'immobile.

Car seul l'immobile nous rendra la mesure des actes. Tracera les contours de leur gravité. On ne sait les choses importantes que dans ce mouvement de ralentissement. On ne connaît les choses essentielles que dans l'immobilisation. La stase.

Le sens ne se révèle que dans l'atrophie du geste, dans l'engourdissement de la course. Dans l'agonie lente de l'impulsion. Alors on s'assoit, pour mourir un peu plus fort. Un peu plus sûrement. Un peu plus loin. Avec la lumière qui se dégage de la disparition des fièvres, des grouillements, des effervescences. On ne connaît le voyage qu'aux escales, on ne sait dire le désert qu'à l'ombre des oasis.

On s'assoit. On flotte. Lenteur épaisse des heures qui s'écoule en raclant la blancheur des os. Curetage patient de nos insomnies, de nos attentes, de nos désolements. Et le vertige. Et la peur qui s'insinue. Temps étrange et singulier de la lenteur, comme si brusquement il devenait important de prendre avec précaution la vie, et la mort qu'elle traîne dans son ombre, et le souffle. Retenue du mouvement. Comme l'on va pieds nus sur les rochers tranchants. Parcimonie pour échapper à l'écrasement. Et défroisser le temps qui reste, à cause du temps perdu. Défroisser les souvenirs à cause des oublis. Lisser avec obstination la page écrite de trop de mots, de trop d'espoir, de trop désirs inassouvis, de trop de manques. Et chaque instant un crépuscule.

Il y a dans la lenteur du temps cette chose impalpable qui va vers la transparence. Vers l'éclat. L'étincellement. Le reste improbable de l'usure. Il y a dans la lenteur un accroissement d'amour. Comme le murmure accroît la puissance de la parole. Il y a dans ce ralentissement une dilatation de l'âme. A cause du poids, et de cette distance qui n'en fini plus pour atteindre l'immobilité fulgurante. L'irradiation.

Il y a dans la lenteur un accroissement d'amour, comme cette caravane qui progresse dans les sables. Et plus le but approche, plus le pas ralenti. Lent cheminement de l'écorce qui rêve en secret au caillou.

On s'assoit. On laisse monter en soi l'océan vide des regards et des gestes. On élargit les bords du manque. On entre dans son corps, car il est temps d'habiter sa chair et d'ouvrir les bras à l'éternité. On s'assoit et on se laisse traverser par l'éclair d'une solitude grave et brillante. On s'assoit dans cette dévastation du temps inerte. On longe le gouffre de nos peurs. On parcourt encore une fois nos sentiers d'errances. Le souffle se ralenti. Tout est là, puisque rien ne tremble.

Franck

27 février 2022

La source...

 

Veiller au surgissement. Ainsi la source. Toujours naissante. Renouvelant l'acte en permanence. Ce qui en moi surgira ne sera entaché de rien. Du vierge. De l'enfant étonné.
Au début de l'écriture, on est si loin de la source. Les seuls fils qui sont là, à notre disposition, ce sont les souvenirs, la mémoire. Alors on affronte ces gros paquets d'eau chargée de temps, bouleversée de nos écumes. Écrire c'est d'abord se débarrasser de l'eau vieille. Le premier temps de l'écrit, c'est assurer son pas dans le courant contraire de l'eau. À rebours. Puis remonter. À contre temps de la pente, recevoir de face le flot de nos jours perdu. L'innombrable vacuité en tourbillon, en cascade, en remous.
Il y a quelque chose à épuiser en nous. On ne sait pas ce que c'est, au début. On est simplement dans un continuel ressac. L'écriture est le déploiement d'un geste qui s'écrase. Toujours. Le double mouvement d'un enroulement et d'un empêchement. L'écriture est à la jointure de cet empêchement. C'est cela qui épuise, la résistance au flot. Le pas alourdi, imprécis.
C'est alors que l'on sait qu'écrire c'est avant écrire que cela commence. Écrire appartient à la source. Comme l'amour, comme toutes les choses essentielles. Elles viennent du surgissement. Elles sont avant la mémoire. Elles sont sans souvenirs. Toujours naissantes. Comme l'amorce d'une éternité. La source c'est l'œil. L'œil du vivant, qui contient toutes les cibles, tous les océans. Déployant dans le même temps, son intention et sa fin.

Franck.

6 mars 2022

Le puits.....

 

De quoi est faite la voix de l'écriture ? J'ai des chevaux dans la poitrine. Des galops. Des hennissements. J'ai des contrées sauvages. Du vent dans le sang. Des expiations terreuses, des étranglements. Des vacillements. De quoi est faite la voix de l'écriture ?

Je vais au texte comme si j'allais au puits. Les mains vides. Le pas lourd. Tenant le seau de la langue, le seau vide de la langue. Je vais au texte dans cette pénurie habituelle. La soif chevillée au sang.
Aller vers le texte, c'est d'abord cette marche vers le puits, ce lieu troué de l'existence. Ce lieu usé. Il y a une mélancolie dans ce voyage. Et quoi que nous fassions, il est toujours identique. S'il n'y avait pas ce souvenir de la soif à venir. Ce chemin dans sa nostalgie est notre seul secours.

À l'orée du texte, nous lançons notre seau de misère dans le vide. Seau percé. Les blessures ont laissé de si larges entailles. Notre vie est si peu jointive, nous manquons de tant cohérence, de continuité, d'unité, d' accord, nous sommes un champ de discorde. Aller vers le puits est une épreuve. Lancer le seau est un danger. Le seau troué de nos vies.
Pour chaque phrase il faut tirer sur la corde, usure contre usure. C'est l'eau que l'on perd qui est la plus douloureuse. C'est ce qui déborde qui nous arrache. Puiser dans la langue, c'est souvent remonter du rien, de la perte ; il faut de la constance.

Chaque jour je recommence le même texte. Comme si j'allais au puits assouvir la même soif, avec mes mains trouées comme un seau percé. Au bout de la corde il y a si peu d'eau.
On écrit avec ce reste. Avec ce si peu. Avec cette patience. Cet entêtement.
J'ai dans l'oreille le chant de l'eau qui retombe. Dans la gorge le goût de l'insuffisance.

Chaque jour le seau doit descendre un peu plus profond, et la remontée est chaque jour plus longue, plus épuisante. La soif gagne sur la soif.
Aller vers le texte, c'est comme aller au puits, avec l'espérance de quelques gouttes oubliées par la fatalité. Avec la certitude que rien ne pourra étancher la soif. Quelques gouttes. Seulement quelques gouttes.

Comme cette lumière que je cueille au bord de tes prunelles
Tu sais les miroirs ont l'innocence de l'enfance. Ils disent les vérités éternelles, c'est pour cela que nous les traversons. C'est pour cela que nous baisons leurs tempes, pour apaiser la mort en nous.
Aller vers le texte c'est comme aller vers le puits, où je te retrouverai assise sur la margelle usée d'une parole déshabillée. Alors je pourrais couvrir ta peau de cette eau rare, de cette eau dépourvue, de cette eau miséreuse. Mes mots sont pour ta soif. Car ta soif fait chanter les poulies usées du temps. Laisse-moi poser ces quelques gouttes d'eau sur tes yeux. Si le seau n'en remonte pas assez, mes baisers feront le reste.

Franck.

 

8 septembre 2022

Un peu de poussière...

 

Il arrive à l'alpiniste d'atteindre le sommet. Dans l'écriture, parfois on finit, jamais on n'atteint.
Poussière et souffle. Rien de plus. Rien de moins. Le pitoyable unit à l'invisible du mouvement. Du négligé sur du négligeable. Du rien sur du rien. Évanescence. Insaisissable élan de l'écriture. Des mots qui s'effritent. Poussière de poussière. Inconstance fragile de toutes nos pensées. Moins que du sable, avec ce souffle qui donne l'illusion de la vie. Fécondation poussive des lèvres de l'écriture, glissement de nos expirations autour de nos restes. De la poussière plein la bouche. De la poussière qui tapisse nos poumons. Nos souvenirs. Nos actes. Nos amours passagères. De la poussière au gout de cendres.
Poussière. Pénurie de matière, de solidité. Insuffisance. Grains légers des mots qui s'envolent et qui se perdent sur les chemins de la langue. Errance, vagabondage de nos mots qui s'égaillent, que l'on aperçoit dans les rayons de lumière dans l'agitation d'une danse fébrile. Éperdue. Profusion de manque suspendu, qui recherche les recoins de l'âme, pour s'entasser dans les déserts de l'existence. Les royaumes de la poussière sont les greniers, les lieux oubliés, en dehors des passages, des vacarmes. Quand cette poussière se rassemble, c'est pour quelques poèmes, quand elle se regroupe, c'est pour quelques pages, le temps d'une aurore, puis les mots se désagrègent, sans bruit, sans trace. Les mots traversent la terre sans la toucher, simplement en l'effleurant. Caresse triste d'une parole recherchant sa propre densité, son propre poids, son escale, son havre. Un sourire consentant. La paume d'une main ouverte. Poussière. Nuage d'une matière qui n'est rien. Rien. Un simple passage dans l'air du temps. Une promesse à peine audible. Elle contient toutes les formes, n'en possède aucune. Elle ne fait que visiter le jour, sans s'accrocher aux heures. Elle recherche son souffle, celui qui l'emportera plus loin. Ailleurs. Alors les mots se dérobent sous leurs propres pas.
Mais la poussière se mêle au souffle. Du négligé sur du négligeable. Il y a dans les noces du souffle et de la poussière, quelque chose qui tient du mystère. Le souffle vient apaiser le vulnérable en nous, le douloureux, comme cette mère qui souffle sur la plaie de son enfant pour en effacer le feu, mais le souffle dans son infinie métamorphose encourage aussi la flamme de l'âtre pour lui donner la force, le désir de bruler un peu plus, de chauffer un peu mieux, de survivre plus intensément dans une chaleur renouvelée. Le souffle ponctue la fin de nos peurs en appelant des brindilles de paix. Souffle, voix silencieuse de nos mots. L'armature évanescente de notre parole. Il n'est rien, mais il tient tout, comme le vitrail tient la cathédrale. Il se saisit, en la brassant, de la poussière de nos textes, rafraichissant la langue, inventant des volutes invisibles. Il est la direction de notre errance, le sens de notre persévérance. C'est la source des quatre coins de l'horizon. Il lave, il purifie chacun de nos souvenirs. Il est la première musique, il sera la dernière. Il est le seul langage amoureux, celui d'avant les mots, celui d'avant les mensonges, il est le voile qui habille nos désirs. Il n'est rien, invisible, cependant il nous rend à la lumière.
Le souffle se dévoile à nous lorsqu'il passe sur la poussière. Car c'est lui qui révèle le poème. Il en est le sang fugitif.
Il arrive à l'alpiniste d'atteindre le sommet. Dans l'écriture, parfois on finit, jamais on n'atteint. Au bout des mots, il reste toujours un morceau de rocher inviolé, impraticable. Dans l'écriture le sommet est toujours plus loin, toujours plus haut, toujours ailleurs, c'est la voie mystérieuse de l'écriture, sans doute, sa voie divine. On est à un souffle du but.
Car le sommet s'invente au fur et à mesure de l'écriture, toujours avec un souffle d'avance, toujours avec un printemps d'avance. Peut-être que la littérature réside en cela, dans ce souffle qui maquera toujours à notre dernier souffle. Alors l'on s'épuisera jusqu'à l'asphyxie, jusqu'à l'extinction des mots, jusqu'à l'écroulement de la parole. Jusqu'aux cendres.
À mordre la poussière.
À agrandir l'univers en aggravant la voix.
Il ne restera que quelques poussières d'or entre la joie et la désespérance.
L'oubli dans l'ignorance de l'oubli.
Écrire possède dans sa paume une flamme un peu noire pour dissimuler nos vanités, pour ne jamais oublier qu'oublier, c'est oublier la fin. Car ce qui sauve le dernier souffle, c'est qu'il ne sait pas qu'il est le dernier.
Parfois, dans écrire, on finit. Jamais on n'atteint.
« L'Éternel Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant. » (La Genèse)

Franck.

2 octobre 2022

Arbre...

 

Il y a ce rêve : sans doute, veut-il me parler. Me signifier.
Dans ce rêve, il y a un arbre. Massif. Imposant, au bout d'une plaine perdue. Inconnue. Un arbre posé dans le repli de l'horizon.
Je ne me souviens jamais de mes rêves. Là, il y a un arbre. Presque trop grand. Immense. C'est un rêve d'arbre. Quelque chose tire mon écorce. Quelque chose tord ma chair rigide et filandreuse. L'arbre est isolé. Seul. Paysage dépeuplé. Sauf l'arbre. Dans sa lenteur à vivre. Dans sa difficulté à dire. Dans l'étirement engourdi de sa fibre.
Hors de sa forêt, l'arbre ressemble à une tragédie. Une lente lutte, résolue, tricotant de l'éternité dans les mailles inconstantes et inexorables des saisons. Déborder sa chair. Mourir chaque année, et déborder sa chair quand même. Puissance lente, fatale, traversée de toutes les fragilités. C'est un arbre posé au loin comme un vaisseau tendant sa voilure au ciel. Large voilure de verdure argentée.
Je ne sais dire de quel arbre il s'agit. Est-ce un chêne, un orme. Le rêve ne le dit pas. Le tronc est gros, lourd, sculpté de profonds ourlets, d'épaisses plissures, de longues blessures écaillées de temps. Bourrelets de croutes de sève coagulée. Dans le silence de la plaine, l'arbre déborde ses fractures, ses balafres, et chaque saison trace sa marque, sa morsure. Les crocs du temps se plantent dans le bois qui se donne, qui s'offre, et s'épuise, ce bois qui s'appuie sur ses effondrements, qui se redresse de ses propres défaites en tirant sur ses bras décharnés, en saisissant une portion de ciel ou en accrochant ses branches à quelques nuages compatissants. C'est un rêve d'arbre. C'est donc un rêve de solitude. De patience.
Dans le rêve, il a cette plaine de nulle part, puis cet arbre dressé dans son silence. Cette impression de silence dans le rêve. Ce silence, là, maintenant à l'heure de l'écriture. Comme une puissance. Comme une désolation. Quelque chose de la vie qui se survit. Quelque chose de la mort qui persévère. Une mort assidue, endurante, calme. Infatigable. Minutieuse. Avec seulement le vent dans la ramure. Seulement cet élan languissant presque immobile, engourdi par le délaissement, cette tension sans fin. Un épanchement.
Il y a l'arbre dans ce rêve, moi qui suis comme l'arbre. Peut-être dans l'arbre. On ne sait jamais dans les rêves. Je suis l'arbre pris dans mon écorce, et le tourment de mes branches. Comme l'arbre dans son travail d'arbre, à chaque temps du temps, grandir, à chaque cadence, déborder un peu plus. S'étirer au plus bas, au plus profond, pour monter au plus haut, au plus large. Comme la folie d'une chimère déraisonnable. Folie que ce vouloir sourd, douloureux d'aller prendre le silence de la terre, puis à force d'épuisement, à force de débordement, en faire le chant du vent. Rêve. Extravagance. Égarement. Désossement des terres noires avec lenteur, constance, à travers chaque saison. Même les plus froides, même les plus chaudes, même celles que l'on oublie. De siècle en siècle. L'arbre solitaire est comme la nuit, il n'a pas de lieu, seulement l'éternité comme un danger. Il est un dieu déchu condamné au murmure et à la prière. Il est un dieu déchu qui défie encore les cieux, la foudre. La foudre.
À chaque strie, un chapelet tremblant.
À chaque strie, l'incision des jours.
À chaque strie, l'arbre dans sa croissance s'éloigne de lui, il fabrique l'ombre qui l'emportera.
Chaque feuille est comme le déploiement d'un mot.
Chaque feuille récite la vie de l'arbre depuis son début, depuis le premier humus, chaque feuille dans son brouhaha de verdure prépare le long silence de l'hiver.
Chaque feuille est comme un poème qui expire dans le vent. Lente symphonie du dépouillement et de la croissance. Lente symphonie de l'écriture qui se déploie sur chaque strie du temps comme un cœur qui bat, comme une stridence au centre des fibres ligneuses.
Il y a ce rêve. Sans doute, veut-il me parler. Me signifier.
Il y a l'arbre dans ce rêve, moi qui suis comme l'arbre. Un rêve de la permanence, du précaire, de l'éternité dans l'éphémère. Un rêve de lenteur, de pesanteur. Comme une puissance. Comme une désolation. Chaque mot serré dans l'écorce craquelée, venu d'une sève lente. Si lente. Macération lente d'amour. De débordement des chairs du bois, dans cet étirement vertical. Le gras de la terre noire plein les cuisses, le sexe, les bras nus tendus vers un baiser insensé. Amarre tenace et solide où s'ancrent les cieux.
Il y a dans chaque arbre solitaire quelque chose de l'amour qui se dit. Quelque chose du vertical, du lent. Comme une cathédrale. Comme un navire. L'arbre solitaire est toujours un arbre amoureux, toujours. C'est un prophète qui scrute le silence pour s'en faire de l'écorce.
Là, dans sa plaine sans nom, il dompte l'éternel, et il invoque ce qui viendra bien après l'éternel.
Dans le rêve, il y a l'arbre solitaire, droit, dans sa résistance, dans sa paix, dans sa présence pure, comme une grâce
Chaque arbre dans son murissement d'écorce fabrique les saisons. Sa tension vers le ciel cherche une éternité, c'est pour cela que nous y gravons nos cœurs enlacés, pour inscrire nos âmes amoureuses dans la vie du temps.
De la terre, aux constellations.
Car les arbres parlent aux étoiles, les oiseaux et le vent ne s'y trompent pas. Chaque arbre est une passerelle pour les cieux, le plus court chemin vers l'infini.
Lorsque nous posons notre main sur leurs troncs, dans l'échange des sangs, c'est la vie incorruptible que nous cherchons, c'est l'évidence d'une révélation. C'est l'instant brutal multiplié jusqu'à la fin des temps.
Les arbres ne meurent pas, c'est ce qu'ils nous apprennent lorsque nos lèvres se posent sur les oreilles de leur écorce. Un et innombrable. Comme une présence irréductible. Seule la foudre les fait faillir, ou la hache.
Les arbres sont faits d'attente patiente, de solitude déployée en saison, ils sont le chant des siècles, le reposoir des dieux.
Écrire, c'est faire de l'arbre. C'est murir sous l'écorce de la parole, la saison à venir. C'est faire du temps, dont les mots sont les graines. Écrire, c'est faire de l'arbre, c'est réunir la terre et le ciel en dépliant chaque mot avec la persévérance du bois, c'est étendre le texte en tronc, en branches, en ramures, jusqu'aux feuilles, jusqu'aux fleurs, c'est tendre ses fruits en offrande.

Franck.

9 octobre 2022

Les quatre matières...

 

Il faut revenir sur les quatre horizons du texte. Les quatre éléments. La matière. Pas le sujet. La matière. Le texte n'est en rien sorti de la pensée. Pour se poser, le texte a besoin de s'alourdir, de traverser la matière, la consistance d'une matière. L'imaginaire a besoin de s'incarner d'abord dans un élément, que cela soit l'eau, le feu, la terre ou l'air. L'imaginaire sort en droite ligne du cerveau reptilien. De cette adhérence fondamentale au monde qui nous entoure. Nous étions pierre, terre, sable, puis nous les avons quittés. Nous étions sources, ruisseaux, fleuves, océans, puis nous les avons quittés. Nous étions feu, incendie, soleil, puis nous les avons quittés. Nous étions brises, ouragans, tempêtes, souffles fragiles, puis nous les avons quittés. Nous avons quitté nos lieux, mais quelque chose en nous se souvient.
Le texte est cette tentative de retrouver ce temps d'avant la parole. Temps nu, pauvre, temps miraculeux. Cela n'a rien à voir avec le chant béat des romantiques pour la nature. Car ici, il est question de substance, de matière, de l'essence même des mots du texte. Des quatre horizons, de cet effort de vie qui nous pousse à les déborder tous les quatre à la fois. Car le texte est d'abord un écartèlement. Du bas au plus élevé, du plus étroit au plus démesuré, du plus fugitif à l'éternel. Le texte est une traversée du temps et de l'espace, une traversée de la terre, de l'eau, de l'air, du feu. La remontée des peurs vers le désir. Voyage orphique. Chaque texte tient dans sa gueule les fils de la métamorphose. Écartèlement bien avant que la croix fût inventée.
Il faut revenir sur les quatre horizons du texte. Les quatre matières. Les quatre lieux. Nos premières maisons. Nos quatre dimensions. La parole se creuse et se nourrit de matière, c'est pour cela qu'elle se sait, qu'elle se veut éternelle. La recherche d'une consistance, la seule façon d'obtenir une résonance. Un écho. La réponse du même sans fin.
La terre pousse en nous ses chaines montagneuses, même si nous ne sommes rien de plus qu'un peu de sable mélangé à de la poussière... Même...
Quand s'écoule dans le vent des siècles notre poignée de terre noire, flamboient toujours quelques grains d'or pur dans un pli de l'univers.
Le texte est une armée en marche sur la page blanche. Perdre ou gagner n'a pas de sens puisqu'il faut livrer bataille. Qu'importe puisqu'à la fin du jour, j'aurais cessé de vivre. Puisque le texte se défera, puisque la nuit couvrira les restes de mes rêves. Qu'importe puisque je sourirai, que le papillon perdu se posera sur mes lèvres. Qu'importe puisque demain il faudra recommencer.
L'eau du texte s'infiltre dans mes veines, lent fleuve de fatalité mystérieuse et obscure. L'eau lourde du texte cherche son issue, son océan. Mon corps est une terre ravinée, usée, qui s'épuise dans le flot. Alors le flot lent cherche la nuit, le flot lent traque les ombres. Le flot lent engloutit des cités entières. C'est le flot du texte, fait de chaos, de débordement, de son invincible poussée.
Il faut revenir sur les quatre horizons du texte puisque la moindre goutte d'eau, la moindre trace de rosée enferment en son centre les cieux, même les confins des cieux, puisque le moindre grain de sable appelle tous les déserts, ceux de Mars, ceux de Vénus, puisque la plus fragile des étincelles éclaire les nuits de l'univers, puisque le plus délicat des vents d'été pourrait nous laver de tous nos péchés...
Car il faut savoir que j'ai vu sur la lisière de mon sommeil un grand cygne écarlate. Un grand cygne s'avançant en silence. Un incendie sur les eaux. Un grand cygne écarlate comme si l'eau lentement s'embrasait.
L'embrasement et l'étreinte.

Franck.

18 avril 2020

L'effacement...

 

Il faudrait imaginer l’écriture qui s’effacerait juste après avoir été écrite, de même que la lecture du livre emporterait les mots au fil des yeux, et blanchirait les pages. À la fin, tout serait blanc, comme un paysage de neige. Comme en hiver lorsque tout est blanc.
Ce qui tient ne tient que dans l’instant. Tout s’efface. C’est pour cela que nous recommençons.
Ainsi, les traces de nos pas qui s’effaceraient au fur et à mesure, comme une apparition, comme une disparition, comme une naissance toujours renouvelée, comme une mort toujours imminente. C’est pour cela que nous continuons.
Nous venons de cet effacement.
L’écriture est un lieu impossible, sans cesse contredit.
Au fond de chaque nuit, il existe une nuit encore plus profonde, qu’aucune aurore ne couronnera.
Il existe un hiver qu’aucun printemps ne délivrera.
Ainsi, nous allons… Ainsi, nous devons aller… avec le vent qui efface nos traces et fait trembler les blés…
De l’hiver à l’hiver, du noir, au plus noir encore, du plus seul au plus désolé, du murmure au silence…
Aller, aller sans cesse…
Écrire dit seulement ce mouvement, la neige, le vent dans les blés…

Franck.

8 avril 2005

La langue du lait

Voilà, c’est aujourd’hui. J’intègre la planète blog. Cela fait longtemps que j’hésite. C’est mon Ange qui m’a décidé, cela fait deux jours qu’il bat des ailes autour de moi, et j’ai bien vu à son air renfrogné qu’il était temps d’agir.

Drôle de journée pour commencer. On enterre un Pape. Le monde dans l’émotion d’une perte, avec l’extravagance des commentaires superlatifs.

C’est peut-être le bon jour pour me mettre en marche. Un pèlerinage. Non, pas vraiment, je n’ai aucune reliques à revoir. La seule idée claire que j’ai sur ce blog c’est celle du chemin. Ce matin je me mets en marche sur mon chemin d’errance avec pour bâton tous les mots de la langue et dans mon sac quelques couleurs éparpillées. Ne pas s’alourdir. J’ai dans la tête quelques musiques et dans mon cœur bouillonne un sang noir et épais. Ne pas s’alourdir. L’autre jour mon Ange m’a soufflé à l’oreille " Donne tout et ne renonce à rien ". Donc se dépouiller, de toutes nos vies inutiles, de toute la crasse de nos heures vaines, de toutes nos illusions sociales. Ecrire à partir de l’os, marcher à partir de l’os, être dans l’arrachement, être au plus pauvre de soi-même, au plus nu, au plus seul. Il faut que j’arrête de parler à haute voix et refuser le vacarme des paroles. Retrouver le murmure. J’appelle ça la langue blanche, la langue du lait. La mère serre l’enfant contre sa poitrine abandonnée à une bouche gorgée de vie, la mère baisse les yeux vers cette bouche, elle est dans l’effarement de cet échange insensé. La mère presse sa chair pour l’offrir, presse son sang pour s’oublier, c’est un monde, là, à cet instant précis c’est l’univers qui bascule. La mère parle à l’enfant dans une langue inconnue, elle accompagne les yeux de l’enfants avec des mots impossibles, des mots inventés, des mots presque silencieux, des mots égarées dans le souffle, la mère parle et l’enfant prend son sang, c’est ça la langue du lait. C’est la première langue que l’on entend, c’est la plus douce, la plus vraie, la plus nourrissante. Grandir c’est l’oublier. Retourner à ce premier murmure et se nourrir à nouveau de cette première source. C’est sans doute là le sens de mon chemin. C’est une épreuve et je tremble de ne pouvoir la mener à son terme. Retrouver la parole la plus juste.

Accepter les combats avec les dragons de la mémoire.

Alors ce matin j’ai posé quelques souvenirs, des raines noires sur une terre noire. J’ai allumé de petites lumières pour éclairer des visages perdus.

Les icônes sacrées d’un panthéon délabré, mes amours inachevés, inachevables,

mes amours effondrés au fond des ornières de l’âme, chargés d’une vie qui leur a manqué. Comme ces fleurs séchées, écrasées entre les pages de poésie d’un livre abandonné. Ce matin je sens le poids exorbitant de ce qui n’a pas été vécu

J’ai brûlé quelques battons d’encens pour parfumer la nostalgie.

Tenter de l’alléger. Toujours alléger. Contre l’usure des chairs de la mémoire, contre l’hémorragie de la vie au cœur de la mort.

Et j’ai peur de m’endormir par épuisement, ou de succomber dans le sommeil du désastre. Ce matin rien ne vient traverser le silence, et les regards entrevus s’effacent. Et mes prières désertent mes mots, et mes rêves m’échappent, pesants et ténébreux comme un marais putride. Ce matin j’ai peur que les grandes portes d’airain restent closent, et que je demeure recroquevillé, entassé sur mon espérance où l’espace serait aboli et le temps accablé. Ce matin ma rêverie est opaque, presque épaisse. Je tente d’échapper encore à l’attraction de la langue, et j’erre somnambule de souvenirs en souvenirs, sans ressentir le moindre écho, le moindre reflet. Ce matin je suis dans une vacuité incertaine, sourde, lourde, obscure, un peu perdu dans une ombre pâle entre la chair et l’os.

Qui a-t-il au bout de l’attente ? Quelle folie nous guète ?

Voilà, je viens de poser une premier pas.

Franck

9 avril 2005

Ecrire....

Le deuxième pas. Je me sens encore hésitant. Il faut que j’évacue les brouillards de la mémoire. J’ai besoin de me mettre au clair avec l’écriture. Poser ici l’horizon qui m’éblouis. Il faut d’abord exorciser. Il faut que je parle de mon bâton d’errance, pour donner les premières couleurs à ce blog, il faut que j’épuise ma rêverie, pour trouver la bonne musique. Il faut que je vide ce premier sac de mots, parce qu’il m’encombre, je l’ai tellement chargé…. Donc voilà, un jour - et ce jour vient du plus loin de vos années d’orages, de pluie, d’errance - un jour vous vous mettez à écrire, à écrire vraiment. Et brusquement vous êtes dans la fraîcheur d’une aube et cela vous suffi. Chaque mot surgit d’une rosée généreuse. Vous, vous n’avez qu’à l’accueillir dans le silence, reconnaissant d’être encore en vie et de pouvoir sentir le flot du sang envahir toute la langue.

Ce jour là, vous vous retrouvez loin de tout et pourtant vous n’avez jamais été si vivant. Vous êtes dans une désolation lumineuse et cela vous suffi. Vous êtes perdu et c’est justement cette perte qui vous ressuscite. Vous êtes perdu et tout vous paraît plus clair, plus net, plus définitif, plus impératif.

Renaître après des siècles d’agonie.

On n’écrit jamais pour plaire ou séduire, on écrit pour se retrouver. Chaque mot vous rapproche d’un lieu inconnu plein de mystère, un lieu inévitable.

Ecrire prolonge un rêve commencé il y a longtemps, dans l’enfance, un rêve commencé quand vous étiez blottis dans le plus fragile abandon du regard de la mère qui vous avez fait -vous si infirme- roi si rayonnant.

Oui, écrire c’est d’abord retrouver ce sommeil plein de couleur et de chaleur où l’amour n’est pas promis mais donné comme une éternité, offert comme la première nourriture et la seule dont vous aurez jamais besoin. Ecrire vous fait retrouver ce rêve où vous n’êtes là pour personne sauf pour le murmure incompréhensible et attendri d’une mère devenue folle parce qu’elle s’est enfin oubliée et qu’elle divague dans les méandres de votre visage.

Un jour vous écrivez, et c’est ce seul murmure qui compte parce que lui seul peut couvrir le vacarme du monde. Vous ne saurez jamais si cela peut faire un livre, vous êtes dans le pur bercement de la langue, dans l’oublie de votre propre présence, dans cette musique qu’il faut prolonger jusqu’à la fin des temps.

Vous êtes envahi par le blanc de la page et les mots viennent parfois vous secourir du vertige, ils sont les traces, les signes, qui vous relient au ciel, à la terre et l’encre vous retient de sombrer dans la défaite toujours imminente.

Ecrire c’est un grand vent qui secoue les branches de l’âme emportant les feuilles les plus faibles celles qui ne tiennent que par le doute, et qui deviendront les mots les plus brûlés de votre langue.

Ecrire c’est être dans cet arrachement, dans cet envol au milieu d’une tempête, dans cette chute soudaine au cœur d’un vide terrifiant et miraculeux.

Consentir à ce ciel désolé, simplement consentir.

Avec un peu de chance un ange vous prêtera ses ailes et le vent vous poussera dans un jardin de mots prêts à fleurir qui n’attendent que le souffle créateur pour déployer les pétales d’un verbe secourable.

Traverser le rêve d’écriture c’est traverser un amour rouge comme le sang, tranchant comme une lame aiguisée, ardent comme le feu d’une forge, un amour ravagé de silence et de vent.

Le jour où l’on écrit c’est qu’on s’est mis en marche vers un amour ; qu’on en appelle la brûlure et l’âme souveraine, c’est une marche aveugle main tendue vers un noir toujours plus profond.

On écrit avec ses silences, c’est eux qui laissent leurs empruntes d’ombres sur la blancheur des pages. Un silence se couche sur un autre silence et ainsi de suite, silence sur silence, dans un grand lit d’absence pour consommer les noces enflammées de l’espérance et de l’épuisement. Silence sur silence, lumière sur lumière, et ça, éternellement…

Ecrire c’est cette façon d’être au monde, ou de ne plus y être, c’est interroger le silence et en glaner une once de lumière, c’est user le temps, le polir longuement pour en obtenir quelque élixir subtil, c’est entretenir un feu avec de minces brindilles d’encre usée, c’est écouter dans la foule le bruit que fait la solitude et dans la solitude les rumeurs de la foule, c’est ouvrir des portes interdites avec la seule clé des mots, c’est se croire riche et se vouloir pauvre, être désarmé et pourtant invincible, c’est mourir plusieurs fois par jour et renaître pour que demain advienne, c’est dormir dans l’attente et se réveiller dans la prière.

Rien, rien de plus. Née d’un manque l’écriture entretien souvent avec la douleur une relation incestueuse, elle souffle sur nos entrailles pour en attiser les brûlures dans des noces solitaires et sauvages.

C’est tout ça et mille autres choses, c’est la parole la plus épuisée qui puisse être dite car elle gît mourante au fond de notre vie on en cueille parfois les effluves tremblantes dans le creux de quelques mots.

…C’est le moment…l’encre affaiblie glisse sur les cristaux d’une heure éparpillée et solitaire.

Pesanteur douce, attristée, comme un temps de neige.

Se mettre à écrire c’est distiller du temps en chauffant nos jours au rouge du cœur.

Et la brume qui s’évapore c’est nos renoncements, nos peurs qui se délient.

Et ce qui reste est si infime qu’on pourrait le perdre d’un simple soupir, si infime et pourtant si abondant qu’on pourrait en vêtir un ciel entier.

Tu comprends mon Ange, il fallait d’abord dire tout cela, pour nettoyer ma parole, pour la mettre en marche.

Franck

12 avril 2005

Saba...Makeda....Balkis

Ce qui suit pourrait s’appeler " La tentation de St Antoine ", mais en fait, je ne m’appelle pas Antoine. Je suis Franck, et elle ce n’est pas la reine de Saba. Elle c’est mon Ange. Souvent j’ai l’impression qu’entre nous le temps et l’espace ont été distendu, distordu, déformé. On est très loin et en même temps très, très proche. Saint Antoine, nous dit la légende, à vu passer la Reine de Saba, elle aurait tenté de le séduire, il aurait résisté. Moi je crois que je n’aurais pas résisté, c’est pour cela que je dis ce qui suit. C’est pour cela que je ne serais jamais saint. Il n’empêche que ce sont les noces de l’invisible, de l’impossible. Et puis mon Ange n’est pas boiteuse. Elle dit qu’elle a le cœur boiteux, mais c’est faux. Parfois il ne faut pas l’écouter, ses paroles sont terribles, mais beaucoup moins que ses silences. Ce qui suit c’est un rêve, mais c’est aussi une réalité. Il faut imaginer le désert. Voilà….

J’ai marché en marge de ma vie

De longues années

Sans doute même de longs siècles

Pour m’arrêter un jour au bord de votre visage

Et j’ai voulu m’asseoir

Et ne plus bouger

Jamais

Simplement vous regarder

Toujours

Au creux d’une défaillance de lumière j’ai vu au fond de vos prunelles les grandes étendues de poussières blanches du royaume de Saba

Aux confins de tous les déserts

Là où les prières deviennent de simples souffles

des chants d’azur éparpillés

 

Souvenez-vous, en ces temps là vous étiez reine

Reine gracieuse à la pâleur singulière

Reine du pays du vent

Vous trôniez au centre d’un temple de sable, d’étincelles d’éternité

Souveraine majestueuse d’une citadelle de lumière et de tourbillonnement

Princesse immaculée miraculée des limbes juste assez boiteuse pour ne point offenser Dieu

Votre présence effleurante flottait légèrement comme un lambeau de rêve

Ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs

Oui, vous étiez reine vos gestes le dessinait

Déesse, vos yeux le révélait

Et votre voix chantait le chuchotis des amants éternels

 

En ces temps là, ermite désolé, je vous ai vu venir, vous sortiez de la nuit emmitouflée d’ombres claires, drapée d’un grand voile constellé

 

En ces temps là mes os grinçaient de peur

Je passais de dune en dune, de jour en jour, de blessure en blessure, conquérant d’un vide toujours à venir dans la seule espérance d’une stridence inattendue

Le cœur vert

Je passais les bras ouverts au grand vent chaud étreignant des mirages si lointains

Entre mes doigts coulaient déjà ces cendres de temps

J’étais une étoile noire tombée dans de trop grands hasards

De sombres hasards

Un baiser m’eut sauvé

Pas même un baiser

Rien

Pas même une enfance

Seulement des restes d’amours effilochés

 

En ces temps là votre silhouette délicate est passée sur mon cœur

A glacée mon sang

Votre parfum disait l’infini de l’espoir

Alors au fond de l’horizon le soleil tout à coup bascula dans son lointain sépulcre

 

Souvenez-vous

J’ai vu votre beauté, légère comme un ciel d’été, glisser avec douceur vers le seuil inconsolée de ma retraite obscure, votre lumière bleue avait la transparence envoûtante de ces jeunes mamans penchées sur un sommeil d’enfance, dans vos yeux scintillait cet espace d’éternité qui appelle la joie pure d’une prière lancée au firmament.

Votre présence fut comme un souffle de mésange, un frôlement rayonnant, une pluie étincelante semée sur mon océan de langueur

Une fleur mystérieuse plantée au jardin de mes absences

 

Nous sommes entrés sans prononcer un mot dans la chambre nuptiale de la nuit

laissant grand ouvert les cristallines portes de l'infini pour laisser passer la clarté nuageuse des songes et la fourmillante folie des séraphins éthérés.

 

Et j’ai bu votre bouche fondante comme l’hostie sacrée et me suis enivré d’une sève à la saveur irréprochable

Dans ces heures rougies au feu des extases éruptives, blanchies aux soupirs de vos invitations ma mort fut percée d’une flèche de lumière argentée.

Sur votre épaule nue un ange a déposé ses ailes de silence et sur vos seins opalins j’ai pu laisser couler mes larmes quand votre ventre orageux traversait mon âme transfigurée d’éclairs rougeoyants.

Vos entrailles de chairs pourpres brûlaient mes oraisons laborieuses dans une fulgurance invincible, vertigineuse. Je me noyais sous l’arche inespérée de vos émois, balayé par des rafales de joie.

 

Et j’ai vu mes mains de prières sur votre corps de louanges

 

 

Et j’ai vu votre ventre lieu infini de la mort exacte

Et j’ai eu soif de vos eaux généreuses, ce rien à l’âme qui bouleverse toutes les certitudes : marée sauvage, sans retour, sans rémission, effroyablement délicieuse

 

Et j’ai ouvert les mains pour recueillir jusqu’à l’ultime goutte de vos bruissements et je n’ai pu saisir que l’or de vos silences

 

Nous avons partagé la nuit et ses gerbes étoilées recouvert d’un seul manteau de paix jusqu’à ce que l’aube de sable pousse un large soupir incandescent.

 

Une rose des sables rouge.

 

Dans l’athanor creusé par nos corps, là où votre peau s’est irisée de désir vertical a germée une rose des sables rouge.

 

Il ne me restait qu’à attendre l’achèvement des temps en recueillant l’écumeuse blancheur des jours indifférents et de regagner à pas lent mon impatience souveraine à nouveau consentie. Erosion lancinante sous l’œil noueux du souvenir

Frontière sablonneuse inviolable de l’exil

 

Au départ il n’y a rien

A la fin il n’y a rien

Entre les deux la mer

L’abîme

 

Oh, mon Dieu je suis là et je cherche à comprendre

Oh, mon Dieu la nuit n’est plus la nuit

Elle était une source….. elle devint l’océan

Elle était une étoile ….elle devint l’univers

Oh, mon âme brûle et je suis si pauvre seigneur

Je n’ai plus d’espérance mon seul désir est de prier sans fin au cœur de la nuit du monde.

La prière s’enroule au feu de nos secrets, seul l’écho de cette nuit du monde la porte, légère, douce, tendre, on croirait la voir s’élever sur les ailes d’un ange

… Et jusqu’au royaume des cieux

Voilà, vous savez tout. Je vais poser ces mots sur le rebord de la fenêtre et attendre que le vent se charge de les faire voyager, ou que quelque oiseau vienne les picorer.

Franck

13 avril 2005

IL est des matins noirs où le soleil se noie dans

IL est des matins noirs où le soleil se noie dans un lit de détresse.

Il est des matins noirs où l’ombre devient ombre et l’homme devient bête.

Il est des matins noirs où la vie s’écartèle dans un bruit déchirant, un cri de trompette.

Il est de ces sanglots semblables aux matins noirs sortants des ténèbres angoissants et funèbres.

Franck

14 avril 2005

Médée.....

Je pense à mon Ange. Trop, je le sais. Elle n’aime pas ça. Je le sais aussi. Elle voudrait qu’on soit détaché de nos corps, de nos vies mortes. Moi, je la fais vivre dans des rêves, je la glisse dans des personnages. C’est Antigone qui lui ressemble le plus. Pourtant aujourd’hui quand je pense à elle j’imagine Médée. Ma Médée. Pas celle dont l’histoire à oubliée le nom, mais une Médée entière, passionnée, dangereuse, une Médée brûlée, incendiée….

Je ne vais pas raconter toute l’histoire, la fin seulement. Il faut bien savoir que moi, Médée, je l’aime, et je sais qu’il n’y a pas un homme sur terre qui aurait refusé son amour. Beaucoup la détestent, on la croit responsable des malheurs de Jason ; c’est faux, c’est une femme trahie et qui s’est donnée au Diable, par amour. Jason ne fut qu’un homme : vaniteux, qui croyait au pouvoir, à la force. Médée, elle, c’est l’amour. L’amour déchiré, elle donne tout ; son âme, son père, son corps, ses enfants. Heureusement quelques dieux fous lui ont rendu justice, ils l’ont rendu immortelle. Ce que j’aime dans Médée c’est qu’elle révèle les hommes tels qu’ils sont… Donc voilà…..

 

…. Certains disent qu’avant de partir Médée aurait tué ses deux enfants… puis elle aurait errée quelque temps, folle, inconsolable.

On dit aussi qu’elle devint immortelle…

 

Quant à Jason on dit que ses épreuves l’avaient brisé, qu’il aurait perdu la faveur des dieux…

On dit qu’il vagabonda de ville en ville, sans but, immensément triste, pitoyable, ressassant inlassablement les souvenirs d’une gloire passée…

 

On dit même, que devenu vieux et lassé de tout il revint à Corinthe. Souvent on pouvait le voir assis, adossé à l’Argo. Et certains jours il parlait à voix basse à on ne sait qui… sans doute à quelques fantômes, aux ombres d’une mémoire incertaine et douloureuse.

Certains disent l’avoir vu pleurer des jours entiers… d’autres encore, affirment l’avoir entendu prier le ciel et de ses lèvres un souffle semblait dire : " Médée !… Médée !… "

… Des témoins rapportent qu’un jour la proue du navire se détacha ; en tombant, elle aurait tué le misérable vieil homme…

Alors…. Alors il est dit, depuis ce jour, que tout près de Iolcos, l’été, durant les nuits de pleine lune, lorsque le ciel laiteux et profond se constelle d’étoiles, le voyageur peut voir briller l’Argo au firmament divin.

 

Alors voyageur attentif, tu peux entendre enfin, le chant des glorieux Argonautes : ces glorieux Argonautes partis pour l’aventure, qui frappent en cadence les flots infinis, et bientôt la lyre d’Orphée se mêle à ce concert magique, impénétrable, musique étrange et majestueuse qui s’unit au murmure plaintif et immuable du vent…

 

Alors voyageur attentif, ton âme suspendue peut se sentir tout à coup emportée par ces plaintes et ces lamentations, par ces souffles obscurs et purs à la fois qui irradient la nuit d’une chaleur singulière, pénétrante, traversée seulement par l’ombre inquiétante du vol des oies sauvages…

Quiconque à connu ces nuits boursouflées de nostalgie où la mémoire rend grâce et demande pardon, connaît l’ivresse divine et le tourment des dieux.

 

Au début de cette histoire terrible il y eut Athamas… et puis, il y eut Médée.

Médée, l’unique, la seule. Dans ses seins délicats rôdaient des appétits immenses et son ventre frissonnait de tentations ardentes. C’est dans ce ventre chaud aux senteurs océanes qu’un jour Jason se noya.

C’est dans ce ventre chaud aux charmes fascinants que dans un spasme voluptueux Jason se perdit, prisonnier de la chair de ses palpitations délicieuse, prisonnier à jamais des cuisses accueillantes, lascives de Médée…. Médée l’ensorceleuse.

 

Toi le voyageur par-delà les époques souviens-toi qu’un jour Jason parti fier et conquérant, mais souviens-toi aussi de Médée. Elle hante depuis lors la mémoire des humains sans jamais dire son nom. Elle est la face noire de toutes les conquêtes. Femme crucifiée par son amour de femme. Les dieux, par folie ou sagesse, on ne sait, ont habillé son spectre d’un linceul redoutable.

 

Femme… jeune femme, dès qu’elle souriait son visage s’illuminait d’enfance immaculée.

Curieux mélange que cette féminité métamorphosée… transparence d’un voile… transparence de l’âme.

Animal… jusque dans sa séduction… brutale et pure.

Elancée… mieux, racée… légèrement féline… d’une beauté innocente, sincère, évidente.

Sans douceur pourtant…

Simplement cruelle…

Comme une blessure

Sauf cette expression d’entêtement naïf et sauvage qui donnait à l’harmonie de ses traits des airs inattendus, singuliers, si proche de l’ange… de ces anges oubliés qui peuplent nos lointaines mémoires, nos rêves les plus impénétrables.

Prête à tous les combats, jusqu’aux combats des corps… combats sans merci, sans abandon… armes contre armes…bien au-delà du plaisir…quand les âmes sont dévastées de vertiges et de fulgurances fatales.

Certaines séduisent par une sainte grâce…. Avec Elle point de sainteté…

Seulement de la vie

De la vie à l’état brut.

Frénétique.

De la vie écarlate,

Couleur de sang

Couleur de mort.

Quant à la grâce, la sienne semblait faite d’une ineffable exaltation.

Brûlante…

C’était un brasier, un feu ardent, fait de flammes hautes, absolues.

Tout pouvait s’y consumer, même le pire.

Tout pouvait s’y purifier, même Satan.

Forte et terriblement fragile.

Plus forte qu’un éclair

Ou que le goût du néant

Plus pure qu’une larme….

 

Dans la nuit de ton âme, toi le voyageur, tu vois parfois surgir Médée. Elle est toute dressée comme une lame orgueilleuse, aussi nue que le fer, brillante comme un astre. Sa chair te semble douce, tu voudrais la toucher, noyer ton désespoir dans le parfum suave de sa chevelure ruisselante. Tu voudrais prendre ce corps, t’accaparer ses formes rondes et mélodieuses, voir frémir sa poitrine et sentir son ventre brûler ton ventre et son souffle nourrir ton souffle. Tu voudrais posséder ces hanches harmonieuses, cette bouche tremblante, et tu voudrais te perdre dans cette apparition et ne plus jamais revoir le jour…. Et la nuit de ton âme est trou béant, sans fin sans rémission où l’acte seul survit, hors du bien, hors du mal, toujours coupable, détaché à jamais de son sens, de sa fin, de son offrande.

Regarde alors Médée. Regardes-la !…sans passion, sans colère, ni désir. Parles-lui de Colchide de ses rêves d’enfance. Berces-la. Laisses-la s’endormir comme une enfant chérie et referme tes yeux sur cette image pieuse.

Ne touches pas Médée.

Souviens-toi de Jason, quand dans les nuits trop sombres tu pourrais t’enivrer de philtre vaporeux aux illusions funestes.

Souviens-toi de Jason et de la tentation de l’Orient, où le soleil naissant, transforme l’initié en orpailleur sauvage.

Souviens-toi de Jason et laisse passer le temps le temps d’une journée, jusqu’au soleil couchant. Apprends avec patience la course des étoiles et fortifie ton âme de la lente métamorphose de la lumière solaire.

 

Il est des matins clairs, mais il est aussi des soirs triomphant. Si les matins du monde sont chargés de promesses, il n’est pas de couchants qui demeurent silencieux ; ils apportent la clé des mystères du jour, comblant avec bonheur le juste, le probe et le vertueux.

 

Voilà, ce n’est pas Médée qui est dangereuse, c’est Jason, c’est l’homme, c’est le voyageur tous ceux qui ne voient qu’une couleur dans la palette de l’arc-en-ciel, tous ceux qui ne voient que leurs ambitions, Médée c’est l’envers de leurs actes. Moi, je l’aime cette Médée, elle ressemble à mon Ange…. Aussi farouche et insaisissable.

Elle a les clefs d’ici, chaque jour je l’attends.

Franck

17 avril 2005

Rêverie d'eau......

Il pleut. Le printemps hésite encore. Ce matin c’est un décor d’eau et de pluie. Dans ces vapeurs mouillées d’une nostalgie défaite, dans l’odeur fade de ce matin flottant, presque inconsistant, je me souviens que l’eau a valeur, aussi, de métaphysique. Hier, mon Ange se souvenait de la mer dans un pays lointain. Du soleil qui se couche, de la mer comme un appel. Souvent je pense à elle. Souvent je l’imagine comme un cheval sauvage, au galop sur une plage. On a tous des images un peu usées dans la tête, des clichés clichés. Je l’imagine au grand galop échappant aux hommes qui veulent la capturer, au monde qui veut l’engluer, aux morts qui pensent la charmer. Elle traverse la plage dans un sens et puis dans l’autre se cabrant, ruant, jouant dans les vagues mourantes. Insaisissable. Libre. Fière. Je l’imagine se dressant sur ses pattes arrières pour repousser ceux qui veulent la prendre. Et je vois la pirouette qu’elle fait pour se dégager et s’élancer dans la mer, face au large, face au pur, face au soleil. Elle est faite pour l’immense qui seul peut contenir son âme.

Et ce matin il pleut et l’eau envahie mon imaginaire, ma rêverie. L’eau, mon char à rêve. Ce matin il pleur et je pense à l’eau, celle qui coule et qui s’en va toujours plus loin. L’eau qui nous emporte vers le mystère.

L’eau verte, étincelante, de tous les éléments, est toujours le seul et l’unique chemin qui nous mène vers la mort.

L’autre vie, celle au-delà des rives, celle au-delà de la vie.

Une eau qui passe, une eau qui coule c’est la vie qui s’enfuie, c’est le sang de nos veines qui reflux. L’eau qui coule ouvre notre imaginaire à des contrées reculées et jusqu’à la plus lointaine, la plus abandonnée. Il était courant, par le passé de laisser dériver les corps après la mort. On ne les enterrait pas.

Rendre les morts à l’eau c’est croire qu’ils ne sont pas vraiment morts, c’est croire un ailleurs toujours possible.

Rendre les morts à l’eau c’est vouloir encore espérer.

L’eau qui coule charge nos âmes d’immortalité.

La source qui sort de terre nous ouvre aux mystères bouillonnant de la vie.

L’eau qui s’enfuit vers la mer pare nos âmes d’un linceul divin.

La rivière du Styx qui entoure le royaume de Pluton, à jamais, témoigne en notre âme que l’eau de nos rêves est une eau mortuaire.

En lisière de la mort un batelier nous attend

Au-delà des champs d’asphodèles, un drôle de gondolier nous attend depuis la nuit des temps. Il se nomme Charon.

Le vieux passeur des morts dans son vaisseau pourri vient prendre livraison de sa cargaison d’âmes, il faut imaginer ces grands cortèges d’ombres convergeant vers la barque branlante du nautonier. Des ombres que la vie vient d’abandonner, des ombres effarées de sentir leur mémoire les quitter et rejoindre l’eau stagnante des marais alentours. Les ombres sont silencieuses, elles sont toutes repliées en elles-mêmes méditant sur leurs vies et les souvenirs se condensent et s’échappent comme des morceaux de rêves ; elles ne sont plus rien, que des ombres pressées d’embarquées. Elles se bousculent. Au moment de monter sur le vaisseau tremblant, il ne reste plus rien de la vie passée, même pas la trace les actes et des paroles prononcées. Rien.

Charon les attend. Enveloppé dans sa grande cape noire. Et les âmes s’embarquent, une à une, un cortège infini. Et plus il en arrive, plus la barque se remplit.

Me revient cette phrase de Bachelard :  "  Tout ce que la mort a de lourd, de lent, est aussi marqué par la figure de Charon. Les barques chargées d’âmes sont toujours sur le point de sombrer. Etonnante image où l’on sent que la mort craint de mourir, où le noyé craint encore le naufrage ! La mort est un voyage qui ne finit jamais, elle est une perspective infinie de dangers. Si le poids qui surcharge la barque est si grand, c’est que les âmes sont fautives. La barque de Charon va toujours aux enfers. Il n’y a pas de nautonier du bonheur. "

Mes réflexions ont dérivé. Ce matin il pleut. Et mon rêve d’eau a suivi une pente noircie. Je pense à mon Ange. Elle ne va pas aimer cette méditation. Elle ne dira rien, mais je sentirais à son silence.

Mon eau s’étire à l’infini, des pentes les plus hautes, aux plaines les plus lascives, jusqu’à l’estuaire majestueux, jusqu’aux mélange des eaux. Mon Ange c’est la mer immense, et moi, je suis une source perdue. Et les mots sont les flots dévalent, et les mots deviennent des fleuves. Mon Ange et moi sommes des eaux différentes et pourtant chaque goûte de nos eaux tend vers l’autre. Le flot des mots nous relie dans un courant infini…

Franck

18 avril 2005

Elle t'attendait demain à Samarcande....

Les contes de notre enfance ont pu ouvrir des contrées assez vastes pour que nos âmes s’y déploient en vol majestueux. Le conte est un temps suspendu, un temps dans le temps, une brèche dans le réel, un spasme, un instant de vertige juste avant l’envol. Bien des histoires se racontent le jour, mais il faut avouer que la clarté solaire nous éblouie jusqu’à nous rendre aveugle ou sourd aux voix murmurantes qui nous habitent.

Car n’en doutons pas nous sommes habités et nos ténèbres intérieures loin d’être pur néant sont peuplées de formes, d’ombres et de mémoires vivantes. Pour ne point les effaroucher les mots prononcés ont besoin de la nuit….. dans la pénombre la voix prend naturellement cette sorte d’inflexion, fait de lenteur, de profondeur, comme si les sons allaient se perdre au bord d’un gouffre. Dans la clarté du jour les mots ricochent sur la lumière, ils rebondissent deçà delà comme l’eau d’un ruisseau. De nuit, la parole résonne jusqu’à nos plus secrètes réminiscences, c’est une eau lente, lourde, mystérieuse…..

Les contes ont besoin de la nuit, notre regard peut se tourner alors vers l’intérieur. La nuit est le lieu de toutes les métaphores, plus rien n’est vraiment visible on sent sourde en soi une sorte d’appel impérieux qui nous exige l’abandon, nous prépare au départ et à l’oublie de soi. Par instinct on sait qu’il nous faudra tout accepter, sans exclusive, car à la moindre résistance tout pourrait s’effondrer, s’effriter, se dissiper et la magie disparaître…..

La nuit, les mots prononcés ont une étrange musique qui nous entraîne avec elle vers des univers changeants au gré d'une humeur, d'une sensation, parfois d'un trouble ou d'un frisson.

Le jour nous savons tous que les mots sont fragiles, capricieux, espiègles, ils tournent autour de nous comme une volée de moineaux et s’envolent au moindre émoi ou alarme du cœur, alors qu’aux abords de la nuit lorsque les formes s’estompent pour n’être plus que des ombres quelque chose en nous se fascine, s’inquiète et se met à exister. Une chose qui n’est ni plus vraie, ni plus réelle mais qui par contre nous semble plus essentielle… La rêverie….

La rêverie, ce n’est pas un débordement de l’imagination, c’est avant tout la forme douce de l’espérance, c’est un peu comme un bouquet de fleurs que l’on porterait à la boutonnière du cœur, elle n’est pas l’illusion puisqu’elle exprime notre vérité la plus intime….

 

…Cela se passait dans un pays lointain, dans des temps très anciens presque incertains au cœur de l’Orient de nos rêves, tout près de Samarcande cité éternelle et fugace, splendeur légèrement voilée comme le visage de ces femmes qui travers la lumière… ombres fugitives, drapées dans le silence de l’Islam, un silence rythmé par les plaintes déchirées des muezzins, grands pourvoyeurs d’âmes…. Islam suave et cruel, saturé de chair à force de retenue… Terre d’Islam qui appelle en nous une rêverie lointaine, archaïque chargée de mystères où la sérénité peut à tout moment se briser tel un cristal trop fragile… Terre d’Islam, lumière d’ailleurs, source vive de la mémoire où jamais rien n’est acquis hormis la fatalité…. La fatalité, Samarcande les condensait toutes. Ville de mystère, ville symphonique fracassée de bruits, de couleurs, d’odeurs épicées, ville où des foules se pressent dans toutes les directions à la fois à travers des labyrinthes de boutiques enchevêtrées. Foule énigmatique, cortège envoûté par les vents chauds du désert…. Ombres… lumière… Orient immémorial….

Samarcande, chacun se souvient de cette fameuse histoire que l’on chantait des rives de la méditerranée aux contreforts de l’Himalaya et jusque dans la grande plaine du Gange….

…. Un soir, tout près de Samarcande, alors que le soleil rougeoyant commençait à disparaître derrière les remparts de la ville, alors que dans la magnificence des couleurs changeantes la chaleur se dissipait le fils du calife rencontra la Mort. Vêtue d’une longue guenille noire, poussiéreuse qui ne laissait entrevoir que deux larges trous sombres à la place des yeux elle sursauta de surprise en apercevant le jeune homme. Mais elle ne lui dit rien. Elle courba un peu plus son dos décharné, puis passa son chemin, d’un pas égal : lent, presque flottant.

Le jeune prince, affolé par cette étrange apparition couru voir son père et d’une voix haletante, chargée d’effroi, saccadée de sanglots étouffés il raconta sa terrible rencontre espérant encore qu’elle fut le fruit d’images irréelles produit par un génie facétieux.

Le calife était un homme âgé, on le disait sage et bon, pourtant en écoutant le récit de son enfant tout son corps fut traversé par un immense frisson.  " Quitte la ville…. ! part sur le champ…. ! va à Samarcande…. ! Tu t’y cacheras… ! Si tu pars tout de suite tu pourras te trouver à Samarcande au petit jour. "

Le fils du calife ne prit pas le temps de faire ses bagages. Il courut aux écuries, fit seller l’étalon le plus rapide qui se nommait vent des dunes et parti au grand galop en direction de Samarcande. Il faisait nuit et les étoiles semblaient brûler les cieux noirs. Le fils du calife galopait. Galopait.

Le calife légèrement rassuré mais encore très inquiet voulut vérifier par lui-même si la rencontre de son fils était bien réelle, si s’était bien la Mort qu’il avait rencontré. Dans ces région du passé chacun savait ce que cela voulait dire que de rencontrer la Mort. Alors il arpenta toutes les rues de sa belle ville, il explora chaque recoin, chaque ruelle, passa et repassa devant chaque étal de commerçant. Enfin il aperçu l’ombre noire. La grande silhouette noire. " Pourquoi t’es-tu présenté à mon fils ? pourquoi l’as-tu effrayé ? " " Je ne voulais pas l’effrayer, au contraire, j’étais très surpris de le voir ici ce soir… " Sa voix semblait venir du plus profond de la nuit, une voix caverneuse, métallique, chargée d’étranges résonances " ….. j’étais très surpris de le voir ici ce soir, je l’attendais demain à Samarcande. "

 

Ce petit conte très connu a toujours représenté pour moi ce qu’était le destin.

Qu’en penses-tu mon Ange ? Qui t’attend demain à Samarcande ?

Franck

20 avril 2005

Lettre ouverte à Christian BOBIN....

 

Monsieur Christian BOBIN,

…Et puis un jour il y eut vos mots, vos paroles de mots. Des petits livres.Dans le fracas de la vie quelques gouttes de transparence lumineuse ont ébloui le chemin d’errance.La brise des mots à chassée les ombres, le ciel c’est irisé d’espérance. Comme si de toute éternité j’avais attendu cette voix.Tenter de remercier n’est jamais chose facile – tiraillé entre le trop et le pas assez – il faut rejoindre le juste de son cœur cette lande mystérieuse. Comment éviter les compliments superlatifs qui épuisent si vite la parole ?

J’ai ouvert peu à peu chaque petit livre avec la solennité muette qui accompagne la main tremblante se rapprochant de l’autel pour y déposer une mince bougie, cet éphémère éclat fragile semé aux pieds des vierges des églises pour tirer la prière jusqu’au ciel.Dans l’espoir d’une manne.Et à chaque fois le trésor du verbe a recouvert de rosée bienfaisante l’herbe folle de ma vie. A chaque fois une aube calme.Des petits livres lus lentement, très lentement pour ne pas effrayer les lettres pour ne pas les brusquer ni les abîmer. Lentement comme on respire une fleur magique. Lentement comme tous les actes graves de la vie.
Lentement.

A chaque fois il fallait préparer la place, la plus belle, la plus grande, celle du vide, la grande chambre nuptiale de l’autre, celle que l’on encombre à longueur d’existence par peur de se sentir trop nu ou trop pauvre.Et plus j’ai lu, plus vous exigiez cette seule et unique place.Et je me suis élargit.
Il n’existe pas de sagesse transmissible. Il n’existe que le refrain des oiseaux qui accompagne le voyage, il n’existe que l’air qui porte les chants, il n’existe que la pluie qui lave le ciel.
Ecrire n’est rien, lire n’est rien… et pourtant que vaudrait la lumière du monde sans ces ombres d’absence silencieuses.
Ecrire n’est rien d’autre que faire un jardin d’amour, lire n’est rien d’autre que s’y promener pour s’enivrer du parfum d’encre des mots.

Parfois au détour du livre une orchidée s’épanouie. Elle ira embellir le temps des siècles et des constellations à coté des suppliques des saintes là où les anges s’amusent.

L’homme qui écrit c’est le rire de l’ange. Un grain d’éternité au cœur du silence. Une étoile, la plus petite parce que la plus lointaine, qui lance sa lumière au hasard du néant. Le miracle.Un lecteur perdu au fond de sa souffrance, de son écrasement, arc-bouté contre le temps qui pousse et l’épuise, un lecteur vagabondant dans d’obscurs labyrinthes relève un jour la tête et aperçoit votre étoile lointaine.Alors le miracle, le vrai, c’est qu’une si fragile lumière cristalline fasse un si grand éclair, c’est que le si lointain devienne si proche.
Car vous donnez sans compter le plus rare, le plus difficile, cette joie issue de l’œuvre au noir de l’âme qui transmute le rouge des blessures en coquelicots de bonté, de bienveillance. Entre les lignes on entend votre désir de ne rien céder au désastre, de réduire à la plus légère exhalaison l’intolérable de la vie et qu’il faille du malheur l’user assez pour retrouver l’éclat premier de l’âme, l’éclat d’amour. L’or des yeux avant la parole.
L’or du silence.

Au départ il fait nuit puis se lève un grand souffle de mots qui ouvre le firmament. La nuit n’est pas moins effrayante mais elle semble apprivoisée. Elle chante.Quelque chose s’est ordonné. A force d’user le temps d’attente jusqu’à la limite de la fêlure vous fabriquez la mathématique la plus subtile. Drôle de mathématique.
Au départ il n’y a rien avec patience vous y rajoutez vos petits riens et brusquement, rien plus rien égal l’infini. Egal une fleur désarçonnée par un papillon virevoltant, égal le regard tendre d’une femme amoureuse, égal une enfance consolée.

Phrase après phrase le livre de cœur que vous semez au ciel retombe en pluie fine sur le noir de nos vies.
Je me suis rapproché de la flamme pour y réchauffer mes années d’exils et y marmonner des morceaux de prières.Alors j’ai su que vous étiez un arbre.
Un arbre.
Vos racines s’agrippent à une terre lourde de souvenirs ; la terre épaisse et noire de la mémoire. Noire comme nos peurs. Car c’est de là que tout vient. S’arracher des ténèbres. Au départ notre sang est lourd et noir, comme cette terre. La vie d’avant la vie.De ce noir d’encre et de terre pousse et s’efforce la sève des mots. Blanche. Flot du sang généreux assez puissant pour inonder un tronc large, assez puissant pour dépasser les nœuds du bois, assez puissant pour vouloir traverser les nuages.Si l’on pose la main sur les écailles d’écorce on peut sentir le cœur battre la mesure des passions, des attentes, des patiences. Si l’on pose la joue sur l’écorce de votre tronc on peut sentir la chaleur solaire des amours naissantes, la chaleur lunaire des mères qui allaite leur enfant. Chacun de vos mots respire cette chaleur.Chacun de vos mots a trouvé sa patine dans cette longue traversée du bois, dans cette longue macération du temps, dans ce long dépouillement de soi. De la terre.Alléger son sang. Mourir assez longtemps pour atteindre les plus fines ramures.
Et chaque livre est la renaissance d’un printemps avec mille feuilles légères offertes à l’aurore. Mille feuilles pour ombrer la lumière acide du soleil. Mille feuilles, et sur chacune d’elle est écrit un poème que la brise fait palpiter.
Je me suis assis à l’ombre des mots et j’ai pleuré sans tristesse, simplement pour remercier.Et parfois l’orage emporte quelques feuilles, les plus légères, les plus belles. Une prière c’est sans doute cela : une feuille dans une tempête d’orage, quelques mots que l’on oppose au chaos.
Vous êtes un arbre posé dans la campagne. Serein, généreux.Parfois des enfants font des farandoles autour de votre tronc, parfois le promeneur vient déposer à vos pieds l’espace d’un songe leur épuisement ou leur solitude ; mais chaque jour en toute saison les oiseaux et les anges viennent jouer dans la majesté de votre feuillage.
Vous êtes l’arbre à poème, une espèce rare, elle nous vient de quelques paradis perdus.

Désormais il est rare que je sorte dans la ville sans emporter avec moi un de vos petits livres. Présence rassurante d’un ami. Souvent je ne l’ouvre pas, mais je sais qu’il est là. Mon pas se fait moins rapide. Présence attentive.
Je ne sais si le bonheur est possible, je crois aux instants arrachés au temps, pétales de lumière à la surface d’une eau vive, je crois aux sourires qui s’échangent, aux mains qui se tendent, à celles qui s’ouvrent, aux vies qui se frôlent.

J’ai fermé les yeux pour m’alléger encore, purifier l’attente. Se préparer au voyage.
Car vous êtes un voyage.
Je me suis mis en marche : j’avais froid à l’âme.
Je me suis mis en marche : j’avais peur à l’âme.
L’errance n’est acceptable que si l’on se sait d’un lieu, d’une maison, d’une enfance, d’un amour ou d’un livre.
L’errance c’est un perpétuel retour inachevé – c’est peut être le nom de l’inachevable. Un retour vers une source improbable. Au cœur de l’errance il y a des reliques, on y décèle souvent un dieu ou une simple berceuse. L’errance n’a rien à voir avec la vacuité ou le hasard, chacun de nos pas est traversé par la mort surgit du passé.Remonter vers le lieu du naître, au-delà du naître.Quelque chose n’est plus là, alors nous nous mettons en marche. Nous savons rarement pour quelle destination, nos pas eux le savent.
Vos mots sont des sentiers d’errance, ils n’annoncent pas le salut ils sont rémissions, ils ne disent pas la source prochaine ils sont l’eau qui ruisselle, ils ne sont pas l’étape ils sont le chemin.Je me suis rapproché du silence et j’ai vu les grands champs de blé de ma mémoire et j’ai cueillis les fleurs rouges du souvenir, et j’ai fait un bouquet…Et j’ai fermé le livre.

Ne plus bouger.
Se laisser traverser par l’effondrement.
Les mots s’écroulent sur les mots.
Temps vide.
Un peu d’ombre sur le soleil.
S’élargir est toujours douloureux.
A la fin du livre il faut jeter quelque chose, se départir, c’est l’offrande, la part de l’ange. Peut-être qu’une larme suffit, c’est souvent une larme. C’est toujours un chagrin.C’est pour cela que les anges ont parfois un vol hésitant.

Maintenant que j’arrive au bout de cette lettre j’éprouve une crainte.Crainte de la finir, crainte de l’envoyer, crainte qu’elle ne se perde, crainte surtout qu’elle vous ennuie. Trop de bruit au fond de votre silence.
Ecrire à l’écrivain ne m’est jamais arrivé, je me sens comme l’enfant intimidé tenant dans la main quelques fleurs des champs et qui rougit avant de les tendre à sa maman. Même ce trouble je vous le dois et je vous en remercie.Je m’incline comme cette journée de printemps pour être certain d’atteindre ma part la plus fragile, celle de mon rêve.Le soleil d’avril éclaire la ville d’une fraîche lumière. Les heures tombent avec un bruit plus sourd, plus lent. Dans ces instants plus rien n’est vraiment atteignable. Le temps nous abandonne, orphelin de conquête.

Je suis assis dans un café de Montmartre. Je rêve. L’endroit est bruyant. Je guette les derniers mots de cette lettre.En face de ma table une jeune femme vient de s’asseoir. Elle a ouvert un livre. Elle chavire en lecture. Elle n’entend pas le bruit. Elle est belle. On pourrait la croire triste, non elle est belle. Elle lit. A ce moment précis je l’aime éperdument. Je voudrais m’endormir dans la demeure de paix qui l’entoure.
Maintenant il fait nuit.
Demain j’enverrais cette lettre sur la toile, sans vraiment savoir pourquoi elle existe. Mais elle devait exister. Comme cette femme qui lit.

Je vous prie, monsieur Christian Bobin de bien vouloir me pardonner cette intrusion, recevez mes humbles remerciements."

Franck

 

21 avril 2005

Chaque matin....

La parole du matin

n’efface jamais totalement la nuit.

Dans la rosée des mots

on décèle parfois quelques

chagrins inconsolés.

 

Chaque matin il nous appartient

de réinventer la langue.

Chaque matin il nous faudrait renommer

toute la création……

pourtant, il nous suffit, seulement, de dire le nom de notre Amour

dans le sang du soleil naissant.

 

Franck

22 avril 2005

Vole...vole...vole.....

Il y a quelques semaines j’écrivais à mon Ange, je laissais aller mon cœur aux images. L’espace d’un instant, d’une minute, d’un siècle peut-être, je me suis imaginé jardinier des étoiles, jardinier d’infini. Pendant quelques belles journées nous avons continué sur cette lancée, nous avons poussé la parabole et jardiné ensemble les mots et les émotions.

Et puis le jardinier et mort, les étoiles une à une se sont fanées, le ciel est devenu une immense jachère, où souffle les grands vents de l’absence, de l’oubli. Les mots sont devenus des pétales fripés qui jonchent un sol terreux, ils sont devenus des silences. Un à un, des silences. Et chaque silence une larme et chaque larme un gouffre et chaque gouffre…..

Mon Ange, au départ, voulait simplement griffer la terre pour y planter quelques cerisiers, quelques pensées, quelques rosiers, elle voulait croire au printemps…. elle s’est mise à creuser, à creuser très profond. Et la terre s’est ouverte. Et l’intérieur de la terre est remontée à son visage. Des trous trop grands pour quelques rosiers. En creusant les odeurs du passé sont remontées.

Au départ, seules les mains sont terreuses, après le cœur le devient. Elle a la rage. Elle creuse comme si elle voulait déterrer les morts, et c’est les morts qui viennent à elle. Ils viennent du très fond de la terre.

Déjà le premier apparaît. Elle veut le libérer. Le ressusciter. Déjà elle est heureuse, comme si elle retrouvait un ami, un amant, un mari. Déjà elle veut frotter sa chair blanche contre ces os cliquettants. Elle est amoureuse. Elle est heureuse. C’est sans doute suffisant.

Le jardinier comme une étoile s’est éteint.

Il n’en reste qu’un souffle dans le coin le plus oublié du ciel, un souffle qui semble dire : " Vole mon ange, vole, vole…. "

Franck

24 avril 2005

Isabelle...

Tout d’abord elle fut un rêve aux formes encore incertaines telle une flamme fragile qui sautille dans l'ombre de la mémoire, une lumière hésitante….

Puis peu à peu elle devint musique… déjà on entendait des ruisseaux de notes, douce et folle farandole….

Plus tard, comme un grand vent du large, elle devint voyage pour emporter les âmes vers des nuits constellées de milles, mille lumières de diamant…

Puis elle devint parfum, à la fois subtile et envoûtant, aussi léger qu’une caresse, insondable presque impalpable comme un voile de soie…

Enfin, elle devint prière, de ces prières sacrées et mystérieuses, de ces prières dont on ne saisit pas les mots, seulement les résonances, seulement les douces incantations murmurées, comme un chant profond qui appelle la grâce…

La première chose que l’on remarquait en l’apercevant était son regard. Il donnait l’impression d’une secrète harmonie, l’accord entre l’intérieur et l’extérieur. Elle était jeune, bien sûr, mais plus que la jeunesse elle inspirait l’infini des espérances.

Expression pure d’une beauté charnelle mais néanmoins accessible.

Plus on l’observait, plus son visage nous paraissait familier, comme si on l’eut toujours connu ou toujours attendu.

Ses yeux clairs savaient tour à tour être mobiles, pétillants, attentifs ou bien se perdaient dans un au-delà lointain figeant un instant son visage tel celui d’une madone offert aux tentations du ciel.

Sa bouche expressive racontait tous les désirs de l’humanité. Ses lèvres minces découvraient à chaque instant une dentition éclatante, dont la légère irrégularité rajoutait une étincelle de charme à son visage déjà si lumineux.

Elle se mouvait dans l’espace avec une aisance déconcertante. L’univers, le monde, semblait avoir été conçu uniquement pour elle. Ses gestes étaient précis, gracieux sans être maniérés, ses mains surtout, qui ponctuaient de leurs mouvements élégants le cours d’une pensée ou un élan du cœur.

De toute sa silhouette émanait une sorte de bonté innée, une joie limpide rafraîchissante. Elle aimait la vie et la vie semblait le lui rendre si bien. Là où elle apparaissait plus rien n’avait la même importance son rayonnement doux et intense effaçait comme par enchantement toutes les blessures de l’âme.

Elle était grande, élancée, les hanches pleines, merveilleusement dessinées. La poitrine bien formée laissait deviner une sensualité voluptueuse et discrète, terriblement rassurante, promesse de délices illimités.

Rien d’exagéré chez elle, seulement la vie, ce quelque chose de radieux qui ressemble aux souvenirs d’enfance, mélange de nostalgie, d’abandon et d’espérance insouciante…

Quand elle s’adressait à vous, elle le faisait avec simplicité et spontanéité comme elle l’eut fait avec un ami connu de longue date créant ainsi une étonnante proximité qui ne faisait que rajouter au trouble de son interlocuteur.

Elle faisait partie de ces êtres à qui l’on eut pu prêter toutes les qualités, celles du cœur et de l’esprit, comme celles de l’âme, elle semblait pouvoir tout comprendre, tout entendre avec la même pudeur, la même attention.

A la voir, on ne pouvait s’empêcher de l’imaginer en sœur complice, en amie d’enfance ou en amante éperdue….

Mieux que la perfection elle représentait une sorte d’idéal, en sa présence on ne pouvait s’empêcher de rêver, d’imaginer la vie autrement, elle avait ce don rare de la légèreté.

D’instinct elle savait les étoiles aux couleurs infinies, aux mémoires éternelles et aux sons singuliers.

Elle avait une grâce naturelle, cette qualité qui permet de remettre tout à sa juste place, les rires dans la joie, la douleur dans la tristesse et l’amour dans l’éternité.

Franck

25 avril 2005

Interlude....

Cela fait une quinzaine de jours que je me suis lancé dans cette errance du blog. Je trouve cela épuisant. Souvent après avoir écrit, je me sens vidé. Je n’arrive pas à trouver le bon rythme. Mon écriture est décousue, sans unité. Chaque jour je ressens mes limites à m’essayer à cet exercice. Je pioche dans des souvenirs, je cherche à faire revivre des émotions et j’ai l’impression de me perdre…

Partir de mon quotidien et commencer à parler….. Impossible, je n’ai pas de quotidien, ou si peu. Parler du vide ou du rien ce n’est pas la solution. Pourtant il y a quelque chose de fascinant dans le vide, il semble que toutes choses importante en parte, comme s’il fallait pour créer un état de totale vacuité. Bien sûr il existe ce que j’appel les pisseurs de copies, ils font deux à trois poèmes par jour, ils hantent les sites de poésies, ils écrivent avec des rimes et l’inspiration ne semble jamais leur faire défaut. Et quand vous les lisez, vous avez des hauts le cœur. Rien, aucune émotions. Ni pour le fond, ni pour la forme. Une plume trempée dans de l’eau sale, au lieu d’être prise au sang de la vie. Du vide il y en a plein les blogs. Je voudrais éviter d’y tomber trop vite.

Pourtant il existe des exceptions. Des Ovni. Des miracles. Des écritures impossibles parce qu’impensables. Oui, il en existe, j’en connais au moins une. Une écriture de chair, une écriture incendiée, une écriture jetée dans le chaos du monde, une écriture vrillée de douleurs. Oui, des miracles existent. Cette écrivaine, mieux, écri-veine, à cause du sang noir qu’elle rapporte au cœur pour le purifier, cette écri-veine a bien voulue être ma marraine de blog. Et pour moi c’est un bonheur de l’installer seule dans mes liens. Elle met la barre très haute.

Il est clair que je n’ai pas ce talent. N’est pas diariste qui veut.

Bref, je suis assailli par le doute, chaque jour je me dis que je vais arrêter d’écrire ici. Je le ferais certainement. Pour l’heure, je continue encore un peu.

Ce matin, pour la première fois, deux commentaires ont été déposés et cela m’a rempli de joie. Jusqu’à aujourd’hui je n’imaginais pas être lu, et là, deux personnes se sont manifestées. Donc c’est pour elles que j’écris pour Sandra et Nicoolas. Sandra, il faudra que j’en parle ici un jour. Le hasard nous a fait nous rencontrer sur le net et depuis plusieurs mois je n’avais plus de nouvelle. Elle m’avait interpellé, elle avait jeté une bouteille à la mer et cette fragile bouteille était venue s’échouer sur ma plage… Sandra c’est un oiseau, elle ne le sait pas. C’est un oiseau léger et qui vole très haut. Mais elle ne le sait pas. A bientôt Sandra. Ici ou dans un coin de ciel.

Franck

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