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J'irai marcher par-delà les nuages
28 juin 2008

Refus....

Il y a dans l’écriture quelque chose qui se refuse au bonheur. Qui maintient la distance. E t l’écriture se déploie dans ce renoncement. Dans cette absence. Dans cette lande battue par les vents. Ecrire c’est mettre un ciel de solitude entre soi et le monde, pour se sentir assez défait, pour s’en sentir plus proche.
Il y a quelque chose dans l’écriture qui se refuse au bonheur.
Franck.

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26 juillet 2008

Il y a toi, le cheval, et la mort.....

On en revient toujours là. L'endroit du début. Inventer toujours la même chose. Innombrable variété du même. On est pris dans le nœud du début. La première boucle du temps qui serre la gorge avec le goût du premier sang. Infiniment tenace. Alors le premier geste. Et le refaire. Comme un seul horizon. Revenir à la première tension. Juste avant. Avant même l'idée. Le point d'avant le geste, le souffle d'avant. Je suis de ce premier silence, celui qui précède le mot. Mouvement sans cesse à refaire. Au plus juste, au plus proche, au plus pur de l'intension. Celle qui contient le désir comme la graine contient déjà le parfum. Là, dans les fibres. Dans l'endroit des fibres, dans le dur de son rêve de fleur. Le premier geste est à faire. C'est une litanie. C'est épuisant. Mais le secret est là. Enfouis dans l'éternelle répétition, dans la sempiternelle redite du premier pas. J'appelle ça l'usure.

Il a quatre-vingt quatre ans. Droit. Il porte un chapeau de feutre noir à large bord plat. Des yeux bleus lavés par le temps sous la broussaille d'épais sourcils blanchis. Une moustache grise, fournie, dont les pointes remontent, deux virgules d'élégance. Un visage qui dit à la fois la bonté et la détermination. Un visage de parchemin où c'est inscrit quatre-vingt quatre ans de passion. Les rides sont nettes, aussi droites que lui. Ce ne sont pas des rides d'amertume, de ressentiment, d'abandon, de lassitude, non, ce sont des rides vertes, d'une énergie contenue et maîtrisée. Droit. Une chemise toujours blanche immaculée au col amidonné. Une lavallière noire. Une veste sombre, stricte, avec des empiècements de peaux aux coudes et sur le bord des poches. La veste est toujours boutonnée. Sa culotte de cheval est d'un lainage dru, lourd qui s'arrête juste au-dessous des genoux, sur d'épaisses chaussettes de laine écrue. Il n'a pas de botte. Des chaussures montantes de cuir noir impeccablement cirées. Il ne porte jamais d'éperons. Sa main gauche est gantée, elle tient l'autre gant et une courte badine. Il a de la gueule le « père » Carli. Quatre-vingt quatre ans, une voix forte, rocailleuse, roulant légèrement les « r ». Une voix voilée par son paquet de Gauloises quotidien.

 

C'est lui qui monte Avril. Avril, celle qui a le plus de sang, celle que chacun redoute. Avril, la plus rapide, la plus ombrageuse, celle qui ne pardonne rien à son cavalier. Avril la plus belle. Sensible, délicate, les oreilles toujours dressées, en éveil, à l'écoute des parfums, de la lumière, si proche de son sang et du printemps qui la vue naître. Avril est une alezane tirant sur le feu, quand elle galope dans le maquis, on croirait voir un buisson ardant. Là, dans le manège, elle est droite, fière, comme si le vieil homme, sur son dos, la grandissait, comme si le vieil homme lui offrait une grâce supplémentaire. Ils sont au centre. Il commande. Malgré les ans, les os, les chairs douloureuses, la position est impeccable. Sous sa main elle est encore plus belle, ses muscles vibrent comme ceux d'une femme amoureuse. Dés qu'elle le sent elle se redresse, elle se rassemble, elle se prépare, pour peu elle se maquillerait. Pourtant elle sait bien qu'un écart busque de sa part pourrait briser le vieil homme. Mais Avril veut être belle. Alors elle se rassemble, relève son encolure, et baisse légèrement la tête en signe de reconnaissance, d'acquiescement, de consentement.

Le vieux Carli est à l'œuvre. Ici, il n'a pas quatre-vingt quatre ans. Ici il n'a plus d'âge, ou alors celui de l'éternité. Il est à l'œuvre le regard sur l'horizon. L'horizon des Vosges, des Ardennes, des Dardanelles, des charges folles et désespérées de sa jeunesse. Salonique. Sabre pointé au ciel, droit debout sur les étriers. Un homme, un cheval, contre un char, c'était la règle. L'équation de la mort à vingt ans, équation sans inconnue. Alors le jeune Carli galopait en hurlant haine et douleur, en hurlant peur et exultation, sabre dressé, haut, assez haut pour rayer définitivement les cieux.
Boucherie des dernières charges où les cavaliers mouraient dans le sang de leurs bêtes, où les chairs éventrées servaient de linceul. Quatre ans de galops d'enfer, de charges insensées, et revenir vivant comme une injustice.

Combien de charges Mr Carli ? "Plusieurs petit, plusieurs..." et il sourit comme s'il était en compte avec le destin. "Plusieurs, petit... aller, au travail... !"
Avril sait tout ça, l'âme des chevaux morts traverse les temps et vient souffler aux oreilles des vivants. Le souffle des galops, la sangle qui sert le poitrail, les cris des cavaliers, les obus, les pattes cassées, les balles reçues en plein poitrail, les longues agonies dans la nuit des batailles. Avril sait tout ça. Alors elle porte le vieux Carli comme une relique.

Il lui apprend la danse, elle lui offre ses reins, et la précision de ses mouvements, le moelleux du trop, la douceur gracieuse d'un petit galop, l'exactitude de son pas. Et l'extrême attention que l'on met à faire des actes graves.
Ils sont à l'œuvre. Au centre. Elle commande autant que lui, elle sait l'importance, alors elle enseigne, elle aussi. J'ai quinze ans. Le vieux Carli, m'a dit. « Mr Nicolas, je vais vous enseigner. On commencera par le pas. On continuera par le pas. Et on finira par le pas. Après vous serez un grand cavalier, et si vous ne l'êtes pas, vous aurez appris au moins ce que c'est qu'être un homme... A cheval ! »

 

J'ai mal au dos, dans tous mes muscles. La position est revue dix fois, vingt fois, cent fois. Le buste, le bassin, les reins, la tête, le regard, les épaules, les bras, les poignets, les doigts, les jambes, les cuisses, les genoux, les mollets, les pieds. Rien ne lui échappe. Et recommencer. Chercher, la position sans crispation, dans le relâchement et la vigilance, souple sans mollesse. Corriger. Corriger sans cesse.
« Mr Nicolas, ce n'est pas l'équitation que je vous apprends, c'est la vie, alors concentrez-vous. Appliquez-vous. » 

« L'intention passe votre corps, par vos muscles... arrêtez de réfléchir...appliquez-vous ! »
« Votre désir, votre volonté, est un appel qui doit mobiliser le silence de vos muscles, leur abandon. L'impulsion n'est que le résultat de vos deux désirs conjugués. Rien de la force ne doit exister. ».
« Refaire, Mr Nicolas ! Refaire !... »
Il est au pas à coté de moi. Il refait.
« Ce sont les chevaux qui ont inventé l'art. Depuis des siècles on essaye de les copier. Même les dieux s'en sont mêlés... au départ les chevaux avaient des mains et les œuvres qu'ils faisaient rendaient les hommes et certains dieux jaloux, envieux, c'est un décret divin qui changea leurs mains en sabots. Alors, c'est juste après que les chevaux ont inventé la liberté et la grâce. La grâce, Mr Nicolas.... Vous en êtes loin... ».
Ma jeunesse exaltée le voit danser.
« Un jour vous approcherez le geste, et ça sera comme une brûlure de foudre. Mais avant il vous faut revenir toujours au même, il vous faut repartir du début, toujours... et refaire. Vous percevrez votre corps comme si vous étiez vous-même le cheval. A ce moment là, vous saurez. Il vous suffira d'inventer et tout sera simple, évident... »
Ces leçons sont longues, épuisantes. Il commande l'arrêt. Fait la grimace. Corrige. Il commande le pas. Fait la grimace. Corrige. Inlassablement. Au souffle de mon cheval, il sait, et corrige inlassablement. Ne pas trotter. Raffermir le désir, l'ancrer dans chaque muscle, abandonner toute pensée, être là, simplement être là, avec son cheval, être avec lui, dans le geste, dans le désir avant le geste. Sentir cette masse comme si c'était sa propre masse.
« Un jour vous approcherez le geste...mais vous ne l'atteindrez jamais....ça blesserait le soleil, Mr Nicolas. Vous comprenez, ça blesserait le soleil. »
Au bout d'un long temps il descend parfois de cheval, avec la lenteur de son âge. Avril sait. Elle sait que c'est le temps de la cigarette. Il la caresse de sa main nue et de sa voix de rocaille corse, sa voix de pierre généreuse. Il lâche les rênes, fixe sa gauloise à son fume cigarette, et se met à marcher en suivant toujours mon pas, mon geste, ma patience, mon entêtement, mon rêve. Avril le suit, sans être tenue. Elle, la fougueuse, la rétive, la gracieuse, l'arrogante, elle le suit. Lui. Dans le calme, dans la paix sans doute. Elle irait dans le feu avec lui, s'il le fallait. « C'est le cheval qui sacrera votre geste, c'est lui qui sait pour vous... vous, vous ne savez rien, et vous ne saurez jamais rien, et c'est mieux ainsi... pour la danse, c'est mieux de ne rien savoir... jamais. »


C'était un temps où il n'y avait pas de vrais plaisirs. Mais c'était un temps grave. Plein. Entier. Un temps sans concession. Mon premier temps d'usure. Il n'y avait pas de plaisir mais autre chose, une voix qui roule un peu les « r », la vie qui s'efforce d'épuiser le vain, le futile, pour trouver ce qui existe de pur après notre impatience, qui s'efforce à œuvrer dans le simple avec panache. C'était un temps où l'on était à la tâche. Pour rien. Pour le geste. Le geste inutile, qui ne rajoute rien au ciel, rien aux étoiles, rien aux humains, rien au soleil, mais qui pourrait le blesser.

Il m'arrive de penser à vous monsieur Carli. A votre vieille tête de corse digne, à votre chapeau, à votre moustache. Il m'arrive de vous revoir avec Avril, la belle énigmatique. Et peut-être me parlez-vous encore.
Alors je fais ce que vous m'avez apprit. J'use.

« Parce qu'un jour... derrière, juste derrière l'usure, c'est une charge. Et c'est un petit matin, et c'est la mort, et c'est l'ivresse qui t'empoigne jusqu'au bout du sexe, et tu galope…droit devant… et tu oublies tout… il y a seulement toi, ton cheval et la mort… droit devant ! »

 

C'est cela le temps du livre, c'est cette charge de la parole vers la mort. Cette charge mille fois apprise dans le silence du pas, du marcher droit, de la douleur des muscles, dans la patience laborieuse de l'œuvre simple. La parole est un cheval silencieux qui t'enseigne. Elle te sait mieux que quiconque. C'est elle qui te supporte avec tes maladresses, c'est elle qui a le souffle. Donne lui ton temps, elle en fera de la danse, donne lui ta solitude elle en fera un chant.
Un jour c'est là.
Le livre t'appelle.
Il te nomme.
Alors c'est maintenant....il faut charger, sans trembler.
Droit devant....
Franck

22 août 2008

Marée......

Toujours revenir sur le mouvement des marées, sur cette eau qui m'habite. Sur l'océan qui s'agite sous ma peau, dans mon ventre, dans mes veines. Océan obscur et lancinant. Mes étendues sans fin. Comme l'errance. Et l'impossibilité de l'île, de l'oasis, d'une pose. D'un soupir. L'impossibilité du soulagement. Enfermé dans l'ouvert. C'est sans doute cela la béance. Cet inconnaissable qui gît en nous. Cet immense trop large, trop vide. Cette masse flottante qui fait de moi un continent à la dérive.
Et chaque vague qui propose un désordre nouveau insupportable, invivable et pourtant vécu, dix fois, cent fois, mille fois vécu. Un naufrage sans noyade. Avec la mort en suspend. Lisse. Interminable. Avec le scintillement des abîmes au grand large de l'existence.
Toujours revenir sur le mouvement des marées, comme une mémoire qui gonfle et qui déferle avec la précision de l'orfèvre qui taillerait l'endroit impur de la pierre, qui l'userait au point de la faute, du manque.
Toujours ces vagues lentes qui ramènent sur mes épaves, mes carcasses éventrées, tous ces restes d'engloutissements. Il y a de sombres charniers dans cette eau abandonnée à son propre mouvement. Il y a la remontée des fonds marins et les algues géantes pour brasser chaque souvenir.
L'écriture s'éloigne comme un radeau de dérive, comme un tronc de mort flottante gorgée de sel et de désespoir, saturée de vagabondage. Un tronc qui n'a plus rien de l'arbre qu'il fut. Certaines écorces nous racontent leurs histoires, mais là, que dire ? Sinon le balancement, le tangage. L'absence. Dérive. L'infinie dérive. Certains grands troncs ne se souviennent plus de la terre, de sa texture grasse et lourde, du fourmillement, de l'humus, ils sont vidés de leur sève, vidé de leur temps. Longue baleine inerte. Raidie. Squelette paralysé, pétrifié. Où chaque mot devient cassant, friable. Seulement le mouvement. L'oscillation de la langue. Paroles inconstantes. Incertaines. Rares. Désertées. Simplement les remous, le grouillement des restes d'écumes, comme les dernières convulsions. Ecriture submergée. Suffocation. Parole engloutie. Défaite de ses propres mots. Démantelée. Démunie. Misérable et vaine. Les eaux des mots s'affaissent, fléchissent encore un peu. Si peu. Les mots s'enroulement dans leurs formes. Des mots déshabillés, dépossédés de leurs vertus réparatrices, de leur force printanière. Et l'incantation devient une longue litanie, le dénombrement des heures, l'inventaire sordide et interminable de la houle. De cette houle qui roule sur l'ombre, qui l'enveloppe comme une louve attentive et sauvage. Sans impatience, mais avec cette constance exténuante. Alors il ne reste que le mouvement, le bercement d'une mémoire infirme, estropiée, amputée. Dont les visages s'effacent, filigrane qui s'insinue entre la ligne de vie et la ligne de cœur. Ligne de mort dans cette mémoire sans fin. Marée de l'intérieur des chairs. Souffle des eaux qui montent vers un destin qui les achèvera. Lent fracas mouvant. Lente tension vouée à son propre reflux. Puissance du démembrement. Les eaux se dévoilent dans leur montée, dans ce déploiement, dans cette insistance. Les eaux se dénudent et se recomposent, elles dépassent l'impossible frontière des rivages. Ces eaux sont grosses car elles enfantent des hasards ou quelques sortilèges.
Au cœur des nuits, les eaux qui montent, enfantent des silences monstrueux, les eaux qui montent décrochent l'horizon de nos yeux effarés, elles se bousculent, s'enlacent elles-mêmes, se brassent dans leurs bouillonnements, se gonflent de leurs propres mythes. Il faut les entendre souffler comme des dragons froids, imperturbables, inébranlables dans l'indifférence de notre écrasement. Il faut entendre ses marées, en nous, qui montent inexorablement, comme pour faire déborder notre vie. Hors de tout secours. Il y a dans ces marées profondes un sombre vouloir farouche, méprisant, carnassier. Il y a dans le mouvement des eaux l'étrange prémonition de l'anéantissement. Il y a dans mes eaux qui montent tant de digues rompues, tant de rêves perdus, tant de lumières blessées, il y a tant de tout ce qui brise, lamine, accable. Tant de dérisoire, d'insignifiance, d'inconsistance. Tant de silence. Tant de solitude grave. Tant de gestes inaboutis, égarés. Tant de baisers tombés dans l'espace vide des incompréhensions, tant de caresses inachevées, tant d'amours sacrifiées. Tant de sang. Et tant de peurs.

Mais il y a un point de ma vague qui échappe à l'océan et c'est une joie trouble que d'aller l'arracher à mes dernières écumes. Il y a dans mes eaux qui montent encore assez de déraison, encore assez de flamboiement, encore assez de tentation pour les soleils orange, encore assez d'orgues ruisselantes, assez de lunes pâles pour ramener mon corps d'arbre vaincu aux rivages des vivants. Il flotte au bout de mes marées l'éclat d'une chandelle farouche et fière, la part indomptée de mon cheval d'orgueil, le galop sourd d'une horde primitive. Et dans l'infime qui se survit assez de nuance pour repeindre un ciel entier, et dans mes dernières écumes l'offrande et l'abandon et le saisissement.

Il y a dans mes eaux qui montent l'instinct de la prière et du renoncement, et dans l'ultime vague la lueur si fragile de la miséricorde. Cette empreinte brillante et fugitive et murmurante qui lie les eaux aux cieux. Comme ces étoiles filantes qui naissent les marées.

Franck

7 septembre 2008

Arbre.....

Il y a ce rêve, sans doute veut-il me parler. Me signifier.

 

Dans ce rêve il y a un arbre. Massif. Imposant, au bout d'une plaine perdue. Inconnue. Un arbre posé dans le repli de l'horizon.

 

Je ne me souviens jamais de mes rêves. Là, il y a un arbre. Presque trop grand. Immense. C'est un rêve d'arbre. Quelque chose tire mon écorce. Quelque chose tord ma chair rigide et filandreuse. L'arbre est isolé. Seul. Paysage dépeuplé. Sauf l'arbre. Dans sa lenteur à vivre. Dans sa difficulté à dire. Dans l'étirement engourdi de sa fibre.

Hors de sa forêt l'arbre ressemble à une tragédie. Une lente lutte résolue tricotant de l'éternité dans les mailles inconstantes et inexorables des saisons. Déborder sa chair. Mourir chaque année et déborder sa chair quand même. Puissance lente, fatale, traversée de toutes les fragilités. C'est un arbre posé au loin comme un vaisseau tendant sa voilure au ciel. Large voilure de verdure argentée.

 

Je ne sais dire de quel arbre il s'agit, c'est n'est pas un chêne, peut-être un orme. Le rêve ne le dit pas. Le tronc est gros, lourd, sculpté de profonds ourlets, d'épaisses plissures, de longues blessures écaillées de temps. Bourrelets de croûtes de sève coagulées. Dans le silence de la plaine l'arbre déborde ses fractures, ses balafres, et chaque saison trace sa marque, sa morsure. Les crocs du temps se plantent dans le bois qui se donne, qui s'offre et s'épuise, ce bois qui s'appuie sur ses effondrements et qui se redresse de ses propres défaites en tirant sur ses bras décharnés, en saisissant une portion de ciel ou en accrochant ses branches à quelques nuages compatissants. C'est un rêve d'arbre. C'est donc un rêve de solitude. De patience.

Dans le rêve, il a cette plaine de nulle part et cet arbre dressé dans son silence. Et cette impression de silence dans le rêve. Et ce silence, là maintenant à l'heure de l'écriture. Comme une puissance. Comme une désolation. Quelque chose de la vie qui se survit. Quelque chose de la mort qui persévère. Une mort assidue, endurante, calme. Infatigable. Minutieuse. Et seulement la ramure dans le vent. Et seulement cet élan languissant presque immobile, engourdi par le délaissement, et cette tension sans fin. Un épanchement.
Il y a l'arbre dans ce rêve et moi qui suis comme l'arbre. Peut-être dans l'arbre. On ne sait jamais dans les rêves. Je suis l'arbre pris dans mon écorce. Et le tourment de mes branches. Comme l'arbre dans son travail d'arbre, à chaque temps du temps, grandir, à chaque cadence, déborder un peu plus. S'étirer au plus bas, au plus profond, pour monter au plus haut, au plus large. Comme la folie d'une chimère déraisonnable. Folie que ce vouloir sourd et douloureux d'aller prendre le silence de la terre, et à force d'épuisement, et à force de débordement, en faire le chant du vent. Rêve. Extravagance. Égarement. Désossement des terres noires avec lenteur et constance, à travers chaque saison. Même les plus froides, même les plus chaudes, même celles que l'on oublie. De siècle en siècle. L'arbre solitaire est comme la nuit, il n'a pas de lieu, seulement l'éternité comme un danger. Il est un dieu déchu condamné au murmure et à la prière. Il est un dieu déchu qui défie encore les cieux, et la foudre. Et la foudre.
A chaque strie, un chapelet tremblant.
A chaque strie l'incision des jours.
A chaque strie l'arbre dans sa croissance s'éloigne de lui et fabrique l'ombre qui l'emportera.
Et chaque feuille est comme le déploiement d'un mot.
Et chaque feuille récite la vie de l'arbre depuis son début, depuis le premier humus, et
chaque feuille dans son vacarme de verdure prépare le long silence de l'hiver.
Et chaque feuille est comme un poème qui expire dans le vent. Lente symphonie du dépouillement et de la croissance. Lente symphonie de l'écriture qui se déploie sur chaque strie du temps comme un cœur qui bat, comme une stridence au centre des fibres ligneuses.

 

Il y a ce rêve, sans doute veut-il me parler. Me signifier.

 

Il y a l'arbre dans ce rêve et moi qui suis comme l'arbre. Un rêve de la permanence et du précaire, de l'éternité dans l'éphémère. Un rêve de lenteur, de pesanteur. Comme une puissance. Comme une désolation. Et chaque mot serré dans l'écorce craquelée, venu d'une sève lente. Si lente. Macération lente d'amour. De débordement des chairs du bois, dans cet étirement vertical. Le gras de la terre noire plein les cuisses et le sexe, et les bras nus tendus vers un baiser insensé. Amarre tenace et solide où s'ancrent les cieux.
Il y a dans chaque arbre solitaire quelque chose de l'amour qui se dit. Quelque chose du vertical et du lent. Comme une cathédrale. Comme un navire. L'arbre solitaire est toujours un arbre amoureux, toujours. C'est un prophète qui scrute le silence pour s'en faire de l'écorce.
Là, dans sa plaine sans nom, il dompte l'éternel, et invoque ce viendra bien après l’éternel.
Dans le rêve il y a l'arbre solitaire, droit, dans sa résistance, dans sa paix, dans sa présence pure, comme une grâce.

 

Chaque arbre dans son mûrissement d'écorce fabrique les saisons. Sa tension vers le ciel cherche une éternité, c'est pour cela que nous y gravons nos cœurs enlacés, pour inscrire nos âmes amoureuses dans la vie du temps.
De la terre, aux constellations.
Car les arbres parlent aux étoiles, les oiseaux et le vent ne s'y trompent pas. Chaque arbre est une passerelle pour les cieux, le plus court chemin vers l'infini.
Et lorsque nous posons notre main sur leurs troncs, dans l'échange des sangs, c'est la vie incorruptible que nous cherchons, c'est l'évidence d'une révélation. C'est l'instant brutal multiplié jusqu'à la fin des temps.
Les arbres ne meurent pas, c'est ce qu'ils nous apprennent lorsque nos lèvres se posent sur les oreilles de leur écorce. Un et innombrable. Comme une présence irréductible. Seule la foudre les fait faillir, ou la hache.
Les arbres sont faits d'attente patiente et de solitude déployée en saison, ils sont le chant des siècles et le reposoir des dieux.

Ecrire c'est faire de l'arbre. C'est mûrir sous l'écorce de la parole, la saison à venir. C'est faire du temps, dont les mots sont les graines. Ecrire, c'est faire de l'arbre, c'est réunir la terre et le ciel, en dépliant chaque mot avec la persévérance du bois, c'est étendre le texte en tronc, en branches, en ramures, et jusqu'aux feuilles, et jusqu'aux fleurs, et c'est tendre ses fruits en offrande.
Franck.

14 septembre 2008

Le temps écrasé......

C’est comme l’océan dans toutes ses dimensions. Le temps se déploie non seulement dans l’infini de la houle, d’horizon en horizon, mais aussi dans l’épaisseur de ses abîmes. Le temps est long, mais profond aussi. Plus il s’égraine, plus il s’enracine.
Ecrire efface les horizons en plongeant vers l’abîme. Plus on écrit, plus on s’enfonce vers la nuit. Vers la nuit silencieuse. C’est une lente descente du signifié à l’insignifiable. Du mouvement à l’écrasement. Le temps du texte est un temps écrasé. Un temps sans durée, un temps dans l’épaisseur de la nuit.
Franck.

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20 septembre 2008

La tentation de Saint Antoine....

J'ai marché en marge de ma vie. De longues années. Sans doute même de longs siècles. Pour m'arrêter un jour au bord de votre visage

Et j'ai voulu m'asseoir

Et ne plus bouger

Jamais

Simplement vous regarder

Toujours

 

Au creux d'une défaillance de lumière j'ai vu au fond de vos prunelles les grandes étendues de poussières blanches du royaume de Saba

Aux confins de tous les déserts

Là où les prières deviennent de simples souffles

des chants d'azur éparpillés

Souvenez-vous, en ces temps là, vous étiez reine

Reine gracieuse à la pâleur singulière

Reine du pays du vent

Vous trôniez au centre d'un temple de sable, d'étincelles d'éternité

Souveraine majestueuse d'une citadelle de lumière et de tourbillonnement

Princesse immaculée miraculée des limbes juste assez boiteuse pour ne point offenser Dieu

Votre présence effleurante flottait légèrement comme un lambeau de rêve

Ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs

Oui, vous étiez reine vos gestes le dessinait

Déesse, vos yeux le révélaient

Et votre voix chantait le chuchotis des amants éternels... »

 

En ces temps là, ermite désolé, je vous ai vu venir, vous sortiez de la nuit emmitouflée d'ombres claires, drapée d'un grand voile constellé

En ces temps là mes os grinçaient de peur

Je passais de dune en dune, de jour en jour, de blessure en blessure, conquérant d'un vide toujours à venir dans la seule espérance d'une stridence inattendue

Le cœur vert

Je passais les bras ouverts au grand vent chaud étreignant des mirages si lointains

Entre mes doigts coulaient déjà ces cendres de temps

J'étais une étoile noire tombée dans de trop grands hasards

De sombres hasards

Un baiser m'eut sauvé

Pas même un baiser

Rien

Pas même une enfance

Seulement des restes d'amours effilochés

En ces temps là votre silhouette délicate est passée sur mon cœur

A glacée mon sang

Votre parfum disait l'infini de l'espoir.

 

Alors au fond de l'horizon le soleil tout à coup bascula dans son lointain sépulcre

Souvenez-vous

J'ai vu votre beauté, légère comme un ciel d'été, glisser avec douceur vers le seuil inconsolée de ma retraite obscure, votre lumière bleue avait la transparence envoûtante de ces jeunes mamans penchées sur un sommeil d'enfance, dans vos yeux scintillait cet espace d'éternité qui appelle la joie pure d'une prière lancée au firmament.

Votre présence fut comme un souffle de mésange, un frôlement rayonnant, une pluie étincelante semée sur mon océan de langueur

Une fleur mystérieuse plantée au jardin de mes absences.

 

Nous sommes entrés sans prononcer un mot dans la chambre nuptiale de la nuit

laissant grand ouvert les cristallines portes de l'infini pour laisser passer la clarté nuageuse des songes et la fourmillante folie des séraphins éthérés.

Et j'ai bu votre bouche fondante comme l'hostie sacrée et me suis enivré d'une sève à la saveur irréprochable

Dans ces heures rougies au feu des extases éruptives, blanchies aux soupirs de vos invitations ma mort fut percée d'une flèche de lumière argentée.

Sur votre épaule nue un ange a déposé ses ailes de silence et sur vos seins opalins j'ai pu laisser couler mes larmes quand votre ventre orageux traversait mon âme transfigurée d'éclairs rougeoyants.

Vos entrailles de chairs pourpres brûlaient mes oraisons laborieuses dans une fulgurance invincible, vertigineuse. Je me noyais sous l'arche inespérée de vos émois, balayé par des rafales de joie.

 

Et j'ai vu mes mains de prières sur votre corps de louanges.

 

Et j'ai vu votre ventre lieu infini de la mort exacte.

Et j'ai eu soif de vos eaux généreuses, ce rien à l'âme qui bouleverse toutes les certitudes : marée sauvage, sans retour, sans rémission, effroyablement délicieuse

Et j'ai ouvert les mains pour recueillir jusqu'à l'ultime goutte de vos bruissements et je n'ai pu saisir que l'or de vos silences.

 

Nous avons partagé la nuit et ses gerbes étoilées recouvert d'un seul manteau de paix jusqu'à ce que l'aube de sable pousse un large soupir incandescent.

Une rose des sables, rouge.

Dans l'athanor creusé par nos corps, là où votre peau s'est irisée de désir vertical a germé une rose des sables, rouge.

 

Il ne me restait qu'à attendre l'achèvement des temps en recueillant l'écumeuse blancheur des jours indifférents et de regagner à pas lent mon impatience souveraine à nouveau consentie. Erosion lancinante sous l'œil noueux du souvenir

Frontière sablonneuse inviolable de l'exil.

 

Au départ il n'y a rien

A la fin il n'y a rien

Entre les deux la mer

L'abîme

 

Oh, mon Dieu je suis là et je cherche à comprendre

Oh, mon Dieu la nuit n'est plus la nuit

Elle était une source.....elle devint l'océan

Elle était une étoile ....elle devint l'univers

 

Oh, mon âme brûle et je suis si pauvre seigneur

Je n'ai plus d'espérance mon seul désir est de prier sans fin au cœur de la nuit du monde.

La prière s'enroule au feu de nos secrets, seul l'écho de cette nuit du monde la porte, légère, douce, tendre, on croirait la voir s'élever sur les ailes d'un ange

... Et jusqu'au royaume des cieux... »

Franck.

 

Il y a un acte de purification dans l'écriture, d'où la brûlure.

Après le tir, l'archer est comme un orphelin. Quelque chose l'a quitté. Quelque chose de lui, mais du monde aussi.

A la place un grand champ de neige et dans le lointain le cri des oies sauvages vers le nord.

21 septembre 2008

Une tombe dans la voix......

J’ai des tombes dans la voix. Des cercueils encore ouverts. De larges trous de terre que le temps creuse encore. J’ai des morts qui m’appellent dans les chants à venir.

 

Nous avons plusieurs mémoires. La plus lourde, n’est faite d’aucun souvenir. Elle n’est que persistance. Elle est sans douleur, puisqu’elle est la douleur même. Puisque c’est le nom de la douleur. Elle s’accroche dans le dos de nos jours, comme une bosse. Elle n’a besoin ni de souvenir, ni d’image, puisqu’elle tient toute entière dans le sang des saisons.

 

J’ai des tombes dans la voix, de grands cercueils ouverts que je n’ai pas su fermer. Et cette mémoire là, ne connaît pas l’oubli, elle est là, au revers des mots. Elle souffle. Elle pousse. Elle pèse sur les silences. Elle est l’opiniâtre patience de la mort, son sourire édenté.

 

Ecrire c’était déjà te rejoindre

 

J’ai ta tombe dans ma voix. Tu étais pourtant jeune. Tu étais déjà belle.

Tu es ma bosse, et mon chant à venir.

Tu fus mon premier poème.

Tu seras le dernier.

Notre premier baiser appuyé contre le grand mur du cimetière d’Ajaccio signait notre destin. Dans la paume de ma main j’ai les îles Sanguinaires, des stigmates de feu, des noces rouges et bleues. J’ai dans ma voix la couleur de tes yeux qui s’effarent des ces aurores que nous n’avons pas vu.

 

J’ai ta tombe dans ma voix. Une nuit qui persiste et qui porte ton nom.

Franck.

4 octobre 2008

Cendres......

A un certain moment on sait qu'on est au fond. Qu'on est au cœur du dur. De la résistance la plus archaïque. Celle qui nous tient à la gorge, au ventre. Une sorte de ciment. Lourd.

 

On le sait parce que les gestes deviennent épais. Les mots se collent les uns aux autres sans vouloir signifier quoique ce soit. On est dans un ralenti plat, sans forme, sans espace. Comme à travers la vitre. Et la pluie sur la vitre. Et les gouttes qui s'écoulent comme des secondes liquides.

Le temps qui fuit en eau trouble sur la vitre où coulent les gouttes de pluies. En face, le monde. Entre lui et nous, la vitre. La pluie. Rien des bruits du monde ne nous parvient. Il ne répond plus. Ou alors, à coté.

Temps saturnien aux anneaux en forme de menottes. Cercles de silence et l'isolement. Bon appétit Saturne ! Comment vont tes enfants ? A force de manger du temps on a plus faim. Ca fait un poids sur l'estomac. Avaler chacune des heures que l'on a enfantées. Mastiquer son avenir, ou ce qu'il en reste. Féroce repas. Goya t'a vu sortir de la nuit espagnole. Depuis on sait ce qu'il se passe derrière la vitre, derrière la pluie. Derrière l'opaque et le lourd. On sait de quoi est fait le cœur du dur.

 

J'ai déjà mangé les cendres de mon père, que pourrai-je prendre en dessert ? Elles collent encore au fond du palais. L’urne que je secoue au dessus de l’eau, et le vent qui rabat les cendres. J’en suis couvert. J’en ai partout. Sur le visage. Dans la bouche. Cendres de vie ou de mort, je n’en sais rien. Je crache, je m’essuie. La mort est fade. La vie est fade. Je crache ce qui reste de sa vie. Ses cendres fades. J’ai toujours le goût dans la bouche. Je crache. J’écris. C’est pareil. C’est violent. Absurde. On n’en fini jamais avec les cendres. Elles sont là, fades, au fond de la gorge. Une sorte de ciment. Lourd. Les mots se collent les uns aux autres sans vouloir signifier quoique ce soit. Le temps de Saturne et des repas froids, comme la mémoire défaite, commence.

 

C'est le temps des constellations lointaines et froides aux anneaux de fer. On ne les connaît pas, leurs lumières meurent bien avant de nous parvenir. Il y a un coin du ciel où les lumières mortes s'échouent, c'est une vaste étendue noire où agonisent les restes épuisés des rayons scintillants. C'est un grand champ d'espace ou les aubes expirent, où les soleils imprudents s'éteignent. Même la nuit craint de voir s'élever le grand arc-en-ciel noir, l'arche de temps impossible, de voir s'élever les marches du pays de l'attente vide, avec le grand brasier noir de la suspension, des délais, des retards, des syncopes.

 

 

On est d'un désir inavoué, inachevable, inadaptable, on est d'une excroissance, d'un vide, d'un rien, d'un vain, et nos bulles d'espérances nous pètent à la gueule. Alors on peut bien rester effaré, le nez appuyer contre la vitre, contre la pluie, avec des mots de ciments collés entres eux au fond du palais, collés au fond de la gorge, collés aux chairs de la bouche. Cendres.

 

 

Je ne suis pas d'ici. Je ne suis que de passage. Que d'un passage qui s'éternise. Je ne suis d'aucune joie, d'aucun bonheur. Je ne suis d'aucun regard. Je ne suis qu'une perspective, qu'une ligne de fuite. Une illusion. Pire, une erreur. Les lendemains ont le goût des hier. Rien, n'invente rien. Je ne suis pas d'ici. Je suis de derrière la vitre, de derrière la pluie, de derrière ces gouttes qui fléchissent comme les larmes qui plissent les rebords des chagrins. Je suis du pays de Saturne et de la marche circulaire sur ses anneaux de fer. Et de ces grandes plages au sable d'absence, aux galets coupants de défaillance, avec ses vagues d'omission et d'oubli. Du pays de Carco avec ces soirs qui s'effilochent, avec ces aubes qui ne ressemblent à rien, avec ces sons d'accordéons essoufflés, avec surtout cette pluie fine qui n'en fini pas de tomber sur le regard, et sur la ville, sur le corps des filles de tristesse. Je suis du pays de Corbière, avec sa poésie en forme de croûte sur des blessures qui suintent.

 

 

Il y a des bateaux qui partent, et puis il y a ceux qui reviennent. Je suis de ce retour. Voilure défaite, rêves déshabillés, rompus comme un mat. Déroute des retours. Avec lenteur. Et ce poids sur l'estomac de Saturne.

 

 

Je me souviens, c'était bien au sud de Colomb-Béchar. Un pays de dunes. Un continent de dunes. Je me souviens je suis monté sur celle qui me paraissait la plus haute. Je me souviens de ce qui m'a percé à ce moment là. Une pensée d'une clarté invincible. Tout le raccourci de ma vie, tout une déroute à vivre. Là, devant cette étendue de sable. A un certain moment on sait qu'on est au fond. Qu'on est au cœur du dur. De la résistance la plus archaïque. Celle qui nous tient à la gorge, au ventre. Une sorte de ciment. Lourd. J'ai dix-neuf ans, et là je sais. Je sais toute la suite. Brusquement. Dans l'évidence du paysage sans fin. Comme si le doigt de dieu me désignait. M'assignait. A cet éternel retour. A des appétits de cendres. Et a cette attente vaine. Interminable. A la vitre. A la pluie.

 

Et la nuit est tombée. Et j'ai eu froid. Et j'ai su ce qu'était le pays qui se trouve après la solitude. La back-room. Le carré VIP. Bienvenue chez les ombres ! Derrière la dune, une autre dune, un autre silence. Mon rêve de Petit Prince s'est arrêté ce jour-là. A cet instant de l'assignation. Pas de rose, ni de mouton, ni de renard, pas d'étoile en forme de grelots. Sans doute qu'écrire c'est revenir à cet instant de la dune du sud de Colomb-Béchar...avec des cendres plein la bouche.

 

 

Franck.

18 octobre 2008

Ecorce.....

J'écris à l'intérieur de l'écorce. En-deça de ma peau. Sur les parchemins des viscères. J'écris dans un étouffement progressif. A l'intérieur. Pas à pas je remonte la spirale du coquillage de ma langue. Au départ la bouche était béante, grande ouvert sur l'océan. Et puis je suis parti vers le centre, vers le rare, vers le peu, vers l'intérieur. Des tours de plus en plus court dans la spirale des mots. Avec de moins en moins de place. Et la mer est loin, et e ciel est loin, et l'air manque. Et chaque mot est de plus en plus difficile à atteindre, ma langue râpe, s'écorche, ma parole s'épuise à racler les parois du texte. C'est un tunnel qui se rétréci à chaque tour. Un resserrement. Lent. Un étouffement. Mon endroit d'écriture n'a plus d'espace. Comme une pénétrante agonie qui rafles les dernières mises oubliées sur la table de « je ».

Et c'est un cheminement vain. Il n'y a rien au bout de la route. Le centre est un lieu vide. Nulle présence. Au bout de la spirale il n'y a rien. C'est seulement un point d'écrasement.

Franck

30 novembre 2008

Un chant introuvable.......

Et chaque mot est une porte étroite. Un passage dans un labyrinthe de miroirs étranges. Singuliers. Qui nous renvoie des images déformées. Et l'effrayante face qui rebondit dans une cascade d'images aplaties par les saisons révolues, l'usure. L’usure.

 

Et chaque mot est une scarification, une chair de terre sur un temps de pierre. Sillon d'une parole qui creuse un sol raviné et sec. Et chaque mots dissèque un peu plus l'autre coté de la peau, l'envers des gestes, cette part de retrait, l'incertain de la course, son enroulement autour du coquillage de la mémoire. Chaque mot est une porte étroite, un passage, un crépuscule, un glissement. C'est un endroit de chute, le lieu d'une avalanche. Un excès de néant ou de nuit. De nuit, surtout de nuit. Le kyste d'un désir impossible.

 

 

Car la parole raconte une autre histoire. Elle n'est que forme vide. Et le mot vient boucher un silence mortel. Bâillon des rêves, couvercle insignifiant d'un sens inaccessible. Impudeur. Dénudement dérisoire. Négligeable. Un acte décomposé qui sent le renfermé, le rance. Qui dit la fin dans son premier élan.

 

 

Car rien n'est dit, ou si peu.

 

 

Car il nous faudra signifier au-delà de nos paroles, dans l'avant du dire, dans l'intention claire, dans le chant inaudible et murmurant, et n'être que cantilène, et n'être que berceuse.

 

 

Je cherche un chant introuvable et me perds dans des mélodies obscures. Je cherche la litanie cristalline de la vague, ce refrain qui ouvre droit sur l'aube et l'horizon. Je cherche la trajectoire du verbe, celle qui perce l'ombre, celle qui dénoue les sinuosités du temps, je cherche le mouvement sans détour, sans recoin, sans repli. Je cherche et me perds infiniment. Et mon balancier oscille sur l'abîme de mes mers introuvables.

 

Alors je cherche à rebours des marées sur un océan désert, comme un radeau empêché, désorienté au large de mes souvenirs. Navigation hasardeuse dans les reflets éblouissants des amours inanimées.

 

 

Franck.

 

 

11 janvier 2009

L'hiver des sillons....

Toujours ce qui fascine c'est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L'imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement. Ecrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. La forme produit du sens, le laboureur le sait bien, lui qui s'applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Et ainsi, de sillon en sillon, toujours le même et à chaque fois toujours différent. L'épreuve renouvelée sans cesse. Et la puissance de la récolte tient à ce consentement à l'harmonie de chaque sillon. La perfection du trait. Le goût du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croûte de la terre pour en faire apparaître la mie. Et chaque sillon est l'histoire d'une vie. Et chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts. Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure et de précaution. Le geste est puissant dans l'élan, léger dans sa peine, car il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coup. Le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte et pain. Et la forme du champ appelle la veillée, et les ombres, et le silence du repas partagé. Et le pain a la couleur de la terre. Et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Et elle porte une croissance qui la dépasse et qui l'anoblit.

Ce champ est beau des moissons qu'il soulèvera. Et le texte tient debout par un sens qu'il ignore. Le texte brille de ce qui n'est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, et par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.

Et les champs de blé nous émeuvent parce qu'on entend dans leur crissement, l'été, le souffle du laboureur qui a retournée cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons. Ce qui nous plait dans le balancement des épis c'est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l'or du champ c'est le souvenir de cette terre nue et noire, cette terre hachurée, éraflée. Ce qui nous saisi dans le texte, c'est la qualité du silence qu'il tisse avec nous. Comme si l'important n'était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots. Des contre temps, dans le temps des saisons. Ce goût de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.

L'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.

Franck.

18 janvier 2009

l'après est fait d'un retour.....

C'est une étrange sensation. C'est venu peu à peu. On marche et le paysage change. Ce n'est pas un changement brutal, c'est la lente infusion du temps. Comme si la végétation s'appauvrissait au fur et à mesure que la marche se déroule. Au départ il y a la luxuriance, le foisonnement du lyrisme, des élans désordonnés. Au début c'est un temps d'abondance. L'exaltation. C'est comme tous les départs. L'agitation. L'effervescence. On est sans fatigue, alors on passe d'un sujet à l'autre, d'un talus de la langue à l'autre. On cueille, et on s'essouffle, et cela n'a pas d'importance. On est plein de soi et de confusion. Et puis on avance de texte en texte. Et le paysage change. Peu à peu. Lentement. Le te deum devient requiem. Ecrire c'est perdre quelque chose à chaque fois. Une perte insignifiante. Une perte malgré tout. Quelque chose de soi se vide, s'écoule. Le temps incise les chairs de la mémoire. Le temps défait le temps. On ne s'en rend pas compte. Le paysage change. C'est une étrange sensation, peu à peu mes textes se sont vidés de moi et pourtant j'y suis plus présent. Moins j'y suis, plus j'y suis. Un autre soi. Un autre geste. Un voyage qui s'enracine dans un mystère épais. Pourtant c'est un dénuement singulier. Cette impression de perte et de désert, cette impression d'immense et de vide, ce roulement lent des saisons. Au fur et à mesure que le paysage s'élargit, l'écriture se resserre, au fur et à mesure que le paysage devient pauvre, l'écriture se simplifie. Peu à peu on entre dans la monotonie des sables. Ce qui était joie, jubilation, se transforme en entêtement. Ce qui était promenade, se transforme en pèlerinage, ce qui était pèlerinage, se transforme en marche errante, et lente, et pesante. Ce qui était la marche vers l'après, devient le long déploiement de l'avant, dans ce brassement des temps qu'est le texte.

Je me souviens des mes premiers pas dans le désert. On monte des dunes en courant, on dévale des dunes, on tombe, on roule, on laisse sa trace éphémère, on monte sur la plus haute colline de sable, et l'on en voit une autre encore plus haute, et une autre, et une autre... alors on court, on s'essouffle.

On s'épuise. On épuise en soi ce trop plein d'énergie vaine. Cette volonté de puissance pitoyable et vaine, et ce lamentable désir de conquête. On s'épuise, et on s'affaisse. On s'écroule.

Alors soudain, on comprend le pas des chameliers, on comprend la constance d'un pas glissant et lent. D'un pas économe. Alors on revient sur ses pas, encore haletant de la course sur les dunes, on revient à pas compté, à pas mesuré sur les traces laissées. Et c'est le temps du chamelier, qui est effacement. Qui n'a pas de début, qui n'a pas de fin.

Après l'épuisement ce n'est plus le même désert. Ce n'est plus la même marche. Après l'épuisement des mots, ce ne sont plus les mêmes mots. Après la fin des premiers textes, c'est d'autres textes, mais ce n'est plus la même parole. Il y a une autre langue qui nous vient de cet épuisement, de cette marche continuée. Un retour sur les pas du texte, comme si l'on ravalait sa salive. Et c'est faire pénétrer un désert entier dans chaque mot. Ce retour après l'épuisement c'est la vie retrouvée. Temps des sables et des mots des sables. Des mots pauvres et dénudés.

Le retour lent est chargé de l'immense, l'épuisement porte en lui l'infini.

Il porte un désert.

Et parfois un puits.

Ceux que l'on voit marcher dans le désert ne vont nulle part, ils reviennent, ils reviennent... toujours ils reviennent, et c'est ce qui fait leur étrange beauté.

Et moins ils sont là, plus leur présence est grande.

C'est l'ultime secret du désert.

Ainsi les grands textes qui ne sont qu'enroulement des temps. Retour, et enroulement du silence. Un glissement lent sur le silence d'une parole qui s'épuise. L'effacement et la révélation de la présence.

Franck.

28 février 2009

La maladie des mots....

Un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c'est hanter ses propres décombres, c'est traverser les champs de batailles de nos défaites.

Les destins naissent au cœur des nuits. De préférence au cœur des nuits sans lune. Car chaque destin est avant tout une peur, une peur tenue à bout de bras, une peur qui vous lèche le visage au cœur des nuits sans lune. Un destin c'est l'histoire d'un franchissement de la lumière. Un voyage de l'obscur au plus clair. Du chaos à l'évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Au début il a eu cette maladie. Cette drôle de maladie. Au début il y a eu cette maladie invisible, presque insignifiante. Et elle rodait, dans le souffle, dans le regard. Et elle ressemblait à l'ennui, à la lassitude. Au début on ne savait pas la nommer, et quand on la nommait on en souriait. Au début on était dans l'insouciance de l'enfance. Et il y avait trop d'enfance en nous pour s'arrêter sur si peu, sur tant d'insignifiance. Trop d'enfance.

C'est une faute. La première. Les autres suivent.

Drôle de maladie, sans formes, sans fièvre. Une maladie de rien, sans médicament. Une maladie qui n'est pas dans les os, qui n'est pas dans les chairs, à peine dans le sang, à peine dans les humeurs, silencieuse comme un serpent nonchalant. Maladie papillon, légère, aux symptômes d'enfance, cachée dans les plis de certains jeux, dans la suspension du temps entre deux rêveries, dans le hoquet entre deux rires, dans l'épuisement soudain qui envahit le ciel, l'air, le soleil. Au début c'est un voile de soie grise posé sur les yeux, sur la langue et tout au fond du crâne. C'est pour cela qu'il faut du temps pour se rendre compte qu'on en est atteint. Elle est juste un coin planté dans le fil des jours, par lequel s'échappe la joie.

C'est une maladie sans nom. Sans vrai nom. Et ceux qui la disent, ne disent rien, ou si peu. Ils en disent l'écorce, la peau, l'écume, mais taisent le long cheminement d'une douleur sans douleur, et le glissement progressif vers les ténèbres. Oui, rien ne dit cet épuisement du désir, l'effondrement du sang dans les couloirs du vide et cette vacuité insolente qui vrille chaque instant. Maladie de l'inaccessible, puisque rien n'est désormais intelligible, puisque tout est définitivement inabordable directement. Puisqu'il faut sans cesse inventer des chemins différents, pour relier en soi ce qui est disjoint, ce qui est décollé. Puisque tout est un champ d'épreuves, puisque toute la joie, tout les plaisirs se dérobent comme une eau qui s'infiltre dans les fissures de chaque geste.

Et la bougie de l'enfance se consume lentement, brûlant les dernières forces, absorbant dans sa lassitude, son accablement les dernières lumières. C'est comme un sourire qui s'efface. Ca ne fait pas de bruit un sourire qui s'efface, ça ne fait pas de bruit une enfance qui s'engourdie.

Dans les fissures du regard. Voir sans voir. Ne rien entendre aux débuts, aux fins.

La maladie des mots. C'est le nom que je lui donne. J'aurai pu dire la maladie de la vie, c'est la même chose. La maladie des mots. Il faut bien comprendre, en nous les mots sont malades. Ont peut les dire mais on ne les voit pas. On ne peut les écrire, ils se masquent, se dissimulent, se voilent. Et lire devient un champ de chardons à traverser. Et il y a des rivières souterraines sans fin dans lesquelles se perd la parole, et il y a des cavernes des gouffres où elle suinte. Où elle goutte. Mot à mot. Et se fige dans la pierre, et dans les sécrétions de la langue, et dans les obscurs méandres d'un apprentissage impossible. Lire est un champ de chardon, comme si entre chaque mot griffait, avant qu'un néant apparaissait. Et écrire ne ressemble à rien, comme si la main se refusait, comme si l'œil s'aveuglait, comme si toutes les pensées devaient avant d'éclore traverser l'épaisseur d'un brouillard. Et il ne reste que l'oreille, qui fait ce qu'elle peut pour lire, pour écrire, pour attraper la musique derrière la stridence des brumes.

Drôle de maladie, que la maladie des mots. Elle n'empêche rien et pourtant elle entrave tout, même les rêves, surtout les rêves et le désir. Au début on est de plein pied dans l'existence, et puis la maladie des mots vous prends, et c'est comme un escalier qui se dresse devant vous, un escalier qu'il faut monter pour toutes choses, pour tous les gestes, même les plus anodins. Et vivre revient à anticiper cet escalier. Puisqu'il est là. Puisque chaque geste devra d'abord le franchir, puisque lorsqu'on arrive à la chose désirée on est déjà épuise de cette escalade.

Au début de l'enfance on reste insouciant, on croit que la vie c'est ça, que c'est cet escalier, alors on monte sans compter nos efforts, et l'on est épuisé, épuisé de tout.

L'œil, la voix, l'oreille, tout est dans le désordre et la confusion. Lorsque vous voyez un mot, votre voix ne sait le dire, lorsque entendez un mot, votre main ne sait l'écrire et votre œil est aveugle aux sons.

Il faut bien comprendre, le cerveau est parti en vacance, il gambade et vous ne pouvez le retenir, il court à travers champs et vous ne savez pas où il est. Il est en vadrouille.

Alors les mots se collent les uns aux autres, se coupent n'importe où, s'écrivent comme on les chante. Ils n'entendent rien aux règles de la vie, ils dansent et se faufilent quand on veut les saisir. Mots vagabonds, mots affranchis de tout, même de nous. Il faut bien comprendre, nos mots ne se soumettent pas, ils dictent leurs danses, leurs chants. Ils n'habitent pas chez nous.

 

Au téléphone Patricia me raconte. Elle est docteur des mots. Elle travaille avec des enfants dont les mots les ont quittés. Elle passe des heures avec eux à aller chercher les mots qui se sont perdus, à rassembler toutes les lettres, à les mettre dans le bon ordre. C'est un beau métier docteur des mots. Au téléphone, elle me raconte. Elle fait des associations, des sites, pour parler des mots malades, des mots perdus, des mots qui ne s'articulent pas à la langue. Elle me raconte. Surtout l'histoire de cette maman. De cette maman écrasée de honte de peur.

« Je lui ai parlé de toi... tu sais depuis l'enfance son calvaire, et toutes les difficultés, à masquer, à contourner.... Alors je lui ai parlé de toi, et de l'écriture... de la tienne, tu sais l'écriture de la maladie des mots....j'avais imprimé ton texte celui où tu parle de ça, « Je fais des fautes »...et j'ai voulu lui lire...et puis, tu sais l'instant était presque grave, comme si l'on touchait le centre de l'univers... tu sais elle ne lit jamais, à cause de l'effort, à cause que c'est impossible, alors tu imagines... à haute voix, c'est comme un chemin de croix, avec les chardons sur la langue... » A l'autre bout de la voix, j'écoute, et je sens monter la brutalité d'une émotion. Violente. Qui racle tous les souvenirs d'un seul coup. « Alors je commence à lire ton texte... et puis elle m'arrête... elle me prends le texte des mains, et elle dit : « je vais lire, moi... moi je vais lire ».... Alors elle commence... » Patricia me raconte cette femme lisant le texte, ânonnant le texte. Et moi j'ai l'impression de l'entendre, de la voir trébucher dans mes mots, oui je la vois tomber de la langue et se relever, se redresser, s'épuiser à chaque chute, mais se relever, comme si cela devenait vital de retrouver une dignité là, à cet endroit, à ce moment précis. Et j'écoute Patricia, et des larmes coulent, lentes, grosses, et dans cette fraction de temps, je sens déborder tout l'ennui et la désespérance de mon enfance. Et je sens que les chardons ne me blessent plus. « Tu sais, c'était dur, elle accrochait, elle buttait... » « Oui, je sais... les chardons... »

Il ne faut pas s'y tromper, car on pourrait en sourire, la maladie des mots n'est que la partie visible, parfois risible...mais c'est la vie entière qui est contaminée.
Chaque pensée.
Chaque geste.

Imaginez ce grand escalier en amont du désir, cette escalade qui brise tous les plaisirs. Imaginez toutes les stratégies qu'il vous faut inventer pour éviter cet escalier, pour éviter l'épuisement, l'ennui. Imaginez tous ces détours qu'il vous faut prendre, imaginez combien de fois on s'y perd, dans ces détours.

Elle me disait, au téléphone, toute cette émotion, de ces pas balbutiants dans le lire. Et je me souvenais. De ses heures que je passais dans le silence de ma solitude à lire a haute voix. A lire sans accrocher un seul mot, à lire en essayant d'effleurer le texte. Seulement. Aller, Franck, ce paragraphe, ce paragraphe sans bafouiller... tendu jusqu'à me casser en mille parties. Et immanquablement la bafouille arrivait. Immanquablement. Parfois dans les derniers mots du paragraphe.
lle me disait toute cette émotion, de cette femme lisant mon texte...

Alors, j'ai lu envers et contre tout, passé les embûches les unes après les autres. Des milliers de livres, avec plus d'entêtement que de plaisir. Toujours les chardons dans les yeux et les escaliers. Alors j'ai écrit, envers et contre tout. Inventant mon écriture à force de l'écrire, avec plus d'entêtement que de plaisirs, parfois, mais avec la certitude que les chardons fleurissent aussi. Un jour.

Avec la certitude qu'un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c'est hanter ses propres décombres, c'est traverser les champs de batailles de nos défaites. C'est monter en premier les escaliers du désir, comme on monterait des gammes, comme on monterait des marées, avec entêtement, constance. C'est dire et redire en articulant chaque phrase de la vie, avec obstination, âpreté, en hurlant s'il le faut.

Je sais l'image qui se dresse en haut de l'escalier. Image tutélaire. Celui qui tenait la parole et les silences. Celui qui possédait les livres.

Quand je lis à voix haute j'ai le goût de tes cendres dans la bouche. Je suis sans haine, mais sans amour ni pardon pour toi. Je te dois tous les escaliers de la terre et toutes les ivresses. A dix ans je savais que j'écrirai. J'ai mis une vie à le faire, ma patience s'est habituée au goût de tes cendres. Et je t'userai, comme j'use ma langue et mes mots.
Quand j'écris je suis éternel et cela suffi à ma joie d'avoir l'éternité pour savourer ta cendre et de voir fleurir les chardons en haut des escaliers.

Tu vois, papa, j'aime les livres longs, épuisants, j'aime les textes longs, épuisants... mon âme est faite d'attente, et de cette lente montée vers les étoiles. Et contre ça, tu ne peux rien. Les marches de mon escalier sont faites de mots... et la langue est infinie.

Un voyage de l'obscur au plus clair. Du chaos à l'évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Franck.

(Pour tous les dyslexiques et les dysorthographiques)

8 mars 2009

Le point d'infini.......

Le texte devient une urne. Les mots y tombent et s'y rassemblent pour raconter une autre histoire. Une urne dégoulinant de cendres. Poussière de vie brûlée. Calcinée. Une autre histoire. La même, mais pourtant si différente. La même. Une vie dans la vie. De l'eau sur de l'eau. Du temps sur du temps. Du désespoir sur nos larmes. Une vie vécue à l'intérieure de notre vie. En cachette de notre vie.  Une vie puissante et inconnue de nous. Une vie silencieuse et brutale, et cruelle. Sauvage. Quelque chose est à l'œuvre et s'oppose. S'oppose à nous, et pourtant nous déploie. Et se dresse. Implacablement se dresse. Marionnette. Et seuls les mots de cendres la dise cette vie de nous vécue, cette vie par nous vécue.

 

Le texte raconte derrière le vacarme des sons, une autre histoire. La notre. La vraie. Celle qui ne se dit pas. Celle qui se déroule derrière nos gestes, celle qui tapisse les murs de nos pensées colorant d'étrange façon, les heures, les jours, les saisons. Et les mots tombent au fond de l'urne funéraire du sens. Dans le vrac de notre existence. Dans l'indécence de leurs postures obscènes. Texte bribes. En morceaux. En éclats. Je voudrais brûler les cendres. Mais elle ne brûle plus. Elles sont froides ou tièdes. Ce sont des cendres. Les cendres ne brûlent pas. Eclats poudreux d'un reste d'incendie. Le texte raconte autre chose et je ne sais pas quoi. Il faudrait tout ressortir, tout étaler, là. Devant moi, les yeux ouverts, dans l'ombre et le silence. Vider la vie consumée, calcinée. Il faudrait tout étaler pour interroger à nouveau, interroger sans cesse l'autre histoire, l'autre vie. Dans le silence. Et épeler chaque mot comme si nous renommions chaque objet de la création, comme si nous appelions chaque objet, chaque visage. Longue litanie. Mes mots me parlent et je ne les entends pas. Ils disent, mais je ne comprends pas. J'ai beau les mâcher, les réduire, je n'en trouve pas la saveur. Le texte me sait, mais il me tait, il me nie. Et plus j'écris, plus je me sépare, plus je m'éloigne. Du centre. Du sens. Je sais, qu'il me sait. Même devant moi, les yeux ouverts, le thorax ouvert, je ne vois rien, je ne sens rien. Hormis le déchirant passage de la parole sur les parois du corps, comme un glacier raclant la roche. Et la glace passe gardant son mystère, sa langueur et son effroyable silence.
Cherche-t-on, le secret dévoilé ou la rémission ? Que vaut-il mieux, l'aveu ou la miséricorde ? Ou rien de tout cela. Ou tout à la fois.
L'urne des mots est un tribunal silencieux, tout nous dénonce et rien ne nous nomme.

 

Et chaque mot possède deux couleurs, deux sons, deux sens, deux poids, deux destins. Et chaque mot porte en son sein un morceau de vie et une part de mort. Chaque mot est à la fois un cri et un murmure. Chaque mot nous attache et aussi nous délie. Chaque mot est son propre contraire, il nous appelle et nous dénie, il nous frappe et nous caresse. Chaque mot nous dit pour mieux nous trahir, il nous espère pour mieux nous désespérer. Il nous accompagne pour mieux nous perdre et nous séduit pour mieux nous tromper. Le sang des mots est noir tout chargé de cendre qu'il est. C'est le poids des faiblesses qui lui donne cette couleur. Et les mots nous accusent sans nous dénoncer. Et ils nous désignent sans nous révéler.
Pourtant chaque mot renferme un silence. Le cœur de la brûlure recèle un silence intact. C'est un point minuscule, plus petit qu'un diamant. Chaque mot est percé d'un silence, c'est pour cela que l'on ne s'entend pas et encore moins les autres.
Chaque mot, comme chaque vie, est percé d'un silence, c'est par là que passent les constellations et les météores, c'est l'endroit de la parole qui ne peut être lésé, le seul endroit qui échappe à l'urne et aux cendres.
C'est un point d'infini brodé au cœur du mot.

 

Franck

2 décembre 2012

On sait que la peur va arriver...

Puis ce fut le temps du reflux. Le monde des vivants vous quitte. Tout vous quitte. Ca ressemble à une hémorragie. Ca traverse tout le corps. Il n’y a plus de pensée. La moindre intention se heurte à une immensité opaque. Peu à peu on est dépeuplé. Chaque viscère devient douloureux. Au départ la solitude nous vient du corps, des muscles, du sang, avec cette impression d’immensité incompréhensible. Le temps n’est que du temps. On est vivant, mais plus rien ne bouge, les couleurs sont parties. C’est la nuit. On n’a pas encore peur, mais on sait que la peur va arriver.

Franck.

8 décembre 2012

La vie tremblante....

Ecrire  c’est passer du côté de la nuit. Chaque mot est un lambeau d’ombre, un épuisement, un reste, le balbutiement du néant. Aucun soleil ne se lève aux aurores d’écriture. Rien. Il n’y a que la nuit, celle qui annonce une nuit plus grande encore, celle de nos tombeaux, de nos morts, quand le noir s’effondre sur le noir, quand la fin est là dressée dans le miroir des yeux comme cette ombre plus sombre encore, qui veille sur nous, son aile noire posée sur nos yeux et ses griffes accrochée à nos entrailles.

L’écriture nait d’un singulier mariage, celui de la nuit et du silence.
Ecrire nait d’un terrible paradoxe, la mort la plus sauvage au cœur de la vie la plus tremblante.

Franck.

17 décembre 2012

Il faudra bien...

J’en vins à ne plus pouvoir lire ou relire le texte. Il y avait dans mon écriture quelque chose d’effrayant. A la fois moi et pas moi. Le texte me revenait par-delà le temps avec une sorte d’hostilité. Il portait une charge d’accusation, qui rendait la relecture impossible. Je sentais bien au fond de moi cette voix gisante. J’étais habité par un cadavre lourd, immobile, les yeux grand ouverts. Avec cette sensation éprouvante d’être lu par mes mots. Etrange expérience proche du vertige. Le temps qui passe nous couvre d’un long linceul. Quelque chose en nous s’englouti.
Attendre. Recommencer à attendre. Réapprendre la lenteur. Quelque chose en nous nous regarde en silence.
Au lieu de renoncer, je m’étais renié.
J’avais trahi ma solitude.
On veut croire au bonheur et l’on s’égare.
Je cherche le mot. L’épuisement. Voilà, l’épuisement, il faut être dans cet épuisement de la vie saturé de silence. Jusque dans les muscles. Je ne sais pas si j’aurais le courage d’atteindre la part la plus effondrée, la plus désolée de mon sang.

Il faudra bien….

Franck

15 janvier 2013

L'inachevable... (suite)

L’inachevable ne peut être dit. Il est imprononçable. Il n’a pas d’autre nom, puisqu’ il les contient tous. Le désastre du désir. Alors on erre dans ses propres ruines. De tout temps on les connait ces ruines, on les a faites ainsi, et maintenant elles sont là, comme la seule évidence, la seule preuve, de la défaite. Même les mots n’ont plus de sens après l’avènement de l’inachevable. Ils ont perdu leur sang, leur substance. Ils nous traversent sans laisser de traces.
L’inachevé est toujours éclairé par la lumière tremblante d’une flamme. Tout s’éteint dans l’inachevable. L’inachevable n’est pas lourd, il est écrasant, il n’est pas lent, il est immobile, il n’est pas profond, il est la dernière vacuité. Il n’y a plus de route à prendre, plus  de croisée des chemins. Il n’y a même plus de rémission, puisqu’il n’y plus de péché.
Prier ? A quoi bon….

Franck

20 janvier 2013

Eh bien ! … allons ! … Alons ! …

Relu ce matin :
« Or, la relation affective est une machine exacte ; la coïncidence, la justesse, au sens musical, y sont fondamentales ; ce qui est décalé est aussitôt de trop : ma parole n’est pas à proprement parler un déchet, mais plutôt un « invendu » : ce qui ne se consomme pas dans la moment (dans le mouvement) et va au pilon.
……
« « La mort c’est surtout cela : tout ce qui a été vu, aura été vu pour rien. Deuil de ce que nous avons perçu. » Dans ces moments brefs où je parle pour rien, c’est comme si je mourais. Car l’être aimé devient un personnage plombé, une figure de rêve qui ne parle pas, et le mutisme, en rêve, c’est la mort. »

Roland BARTHES, Fragments d’un discours amoureux, éditions du Seuil, Sans réponse page 200.

Vu tout à l’heure au cinéma Alceste à bicyclette ….

 Relu au retour l’agonie de Sainte Thérèse de Lisieux :
« Ma Mère ! N’est-ce pas encore l’agonie ?... Ne vais-je pas mourir ?...
-          Oui, ma pauvre petite, c’est l’agonie, mais le bon Dieu veut peut-être la prolonger de quelques heures.
-          Eh bien ! … allons ! … Alons ! …
Oh ! je ne voudrais pas moins longtemps souffrir… 
« Oh ! je l’aime… »
«  Mon dieu … je … vous aime ! … »

Histoire d’une âme, éditions CERF

Je cherche un lien...
L’absence. La non réponse.
Le ciel est silencieux, le monde est silencieux, l’Autre est silencieux…
Alors, rajouter mon silence ? Silence contre silence…

Il neige… j’aime voir la neige tomber… à cause de l’effondrement… l’effroyable effondrement…

Franck  

28 janvier 2013

Car c'est la nuit....

« Pour qui œuvrent les martyrs ? La grandeur réside dans le départ qui oblige. Les êtres exemplaires sont de vapeur et de vent. » René CHAR.

Toujours cette phrase m’accroche. Toujours ce double mouvement, l’incompréhension et l’évidence en même temps. Ma chair sait plus de chose que ma mémoire. Mon sang vient de plus loin que moi, et je n’en sais ni la source, ni la pente, à peine le goût. Je ne fus que départ, errance, vagabondage, seule la langue creusait en moi, seule la voix se pesait comme la pierre. Je ne fus qu’exil,  départ qui oblige. Et tout au bout, un peu de sable qui coule entre mes doigts.
Je relis la phrase avec ce sentiment de sidération. Elle me parle. Non, plutôt elle parle en moi. Je la comprends sans la comprendre, elle me saisit dans un léger vertige. Une sorte d’éclat éblouissant, pourtant c’est la nuit. Comme si l’obscure était la seule condition. Comme si le sens ne pouvait être réduit. Comme si la vérité des choses, ne pouvait s’attraper que furtivement, au hasard d’un jeu de lumières se réfléchissant dans de multiples miroirs. Evidente et fugitive. Insaisissable, car c’est la nuit.
Je ne fus que creusement entêté, attelé à la charrue de mes rêves, labourant le même sol aride. Je ne fus que ce silence vain, laborieux, empoigné dans le mouvement immobile d’une rêverie. Sans cesse marchant vers un horizon toujours le même. Pourtant je ne fus que départ qui oblige. Tout tient dans ce paradoxe. Le mouvant et l’immobile, le consistant et l’inconsistant, le léger et le lourd. Et malgré les sillons alignés, aucune trace laissée. Seuls  quelques reflets évanescents. Une lourdeur sans substance. J’ai dans l’âme un drôle de flottement. J’ai dans mes yeux une errance que mes mains contredisent. Je ne suis ni vapeur, ni vent,  pourtant je marche par-delà les nuages…

Franck.

31 janvier 2013

Ecrire.....(toujours)....

Les textes en italiques sont de Pascal DUSAPIN, extraits de sa leçon inaugurale donnée au Collège de France, intitulée: Composer. Musique, paradoxe, flux. Edition FAYARD

 

"La musique luit et se dissipe, telle une illusion. Secrètement, elle résonne. Mais son écho vient toujours trop tard. La musique, c’est le deuil incessant de l’instant.
Roland Barthes disait : « la musique, c’est ce qui ne revient jamais »… Nous pourrions ajouter, c’est toujours avant. En sommes c’est toujours déjà fini. Ecouter la musique, c’est comme une menace. La menace que cela soit « encore déjà fini ». Alors, on s’obstine. On écoute à nouveau. Et puis, ça n’est encore plus là. Et même, moins qu’avant. Et ça recommence. Avant la musique, il y a le silence. Juste après, ce n’est plus qu’un souvenir. Un « souvenir du silence » d’avant."

Il y a dans l’écriture ce deuil incessant de l’instant, le temps en nous se brasse, en nous il y a de la mort qui parle lorsque l’écriture est là, mais pas seulement, il y a le balancement lent entre l’inachevé et l’inachevable, et l’urgence à reprendre sans cesse. Un feu meure qu’un sang singulier entretient. Il y a de la lutte dans cet échange des sangs et des temps. Le mot ne tient que par celui qui n’est pas encore là. Le vide nous menace, la défaite, la perte incommensurable. Ecrire, lire, nous jette dans le même désarroi. Le lecteur lit en lui son propre poème, il fouille en l’autre qui écrit, ce qui n’est que de lui. Et l’émotion du lire, nait de la coïncidence. Dans le silence de lire quelque chose se condense, se précipite. Le reste d’un futur déjà trop vieux, ou d’un passé toujours à revivre. La fin du poème nous laisse toujours brûlant et dévasté, elle laisse la trace en nous de ce qui manque… le temps et l’amour… les amoureux ne lisent pas.
Le poème nous traverse et laisse en nous une trace invisible, inaudible, indicible, mais on sait qu’elle est là vivante et mortelle à la fois.

 "Composer, c’est inventer des impulsions et des flux. C’est comme l’eau d’une rivière. Ça vient de plus haut, ça passe, l’on sait où ça va, mais ce n’est pas cela qui nous préoccupe. La vraie question, c’est comment faire pour composer ce qui traverse. Composer, c’est inventer des chemins de traverse, des éloignements, des distances. C’est comme fuir et s’enfuir toujours."

Écrire, c’est être traversé par une question, toujours la même. Et qui ne se dévoile jamais de la même façon, sauf dans cette sorte de dérobement, cette esquive qui nous fait chanceler. Ecrire, c’est être traversé par une stridence, une urgence sans objet, puisque le sens d’écrire est toujours en deçà de de l’écriture. En deçà, ou à coté, un « ce n’est pas ça » qui se défait en nous. Ecrire c’est déjà échouer, mais cet échec est la seule force à opposer à la peur, et au néant. Ecrire, c’est s’approcher, sans jamais atteindre. C’est savoir que rien ne sera jamais atteint, mais s’approcher sans cesse. Alors on recommence. Toujours plus loin, toujours plus profond, toujours plus seul. Le silence est le métronome des mots, il bat en nous, écrire c’est traverser un silence pour aller sur l’autre bord, l’autre rive. Mais les bords, et le rives n’existe pas. On le sait. Mais écrire c’est se défaire de ce savoir. C’est ne plus rien savoir. C’est aller….

"Mais composer c’est long. Et lent. Très lent. Très, très long et lent… ça n’avance jamais. C’est parce qu’on ne sait pas ce que ça va devenir. La question paradoxale, ça n’est pas d’achever mais comment ne pas finir.  Composer, c’est ne jamais finir. Ca prendrait beaucoup trop de temps de finir, c’est-à-dire tout notre temps. Et pour autant nous n’aurions jamais fini.
Car pour composer, il est préférable d’attendre. Longtemps. C’est dans ce temps long, presque perdu (et qui se perd dans les détails de l’écriture) que ce joue l’attente. Attendre c’est trouver. Pour trouver, il faut perdre du temps. Cette perte est l’attente."

 Ecrire travaille cette longueur, dans cette usure du temps, dans l’épuisement qui y préside, dans cet effondrement qui suit. Ecrire, ça prend le temps, tout le temps, et la chair, toute la chair. Cela surgit de ce point de néant qui git en nous. C’est le retour à la voix de l’enfance, la voix dépourvue de mot, qui n’est que murmure. Ce qui prend du temps c'est  de défaire l’homme, le déshabiller de la vie qui l’écrase… écrire c’est puiser dans l’ennui, le meilleur de nous-même. Que reste-t-il quand tout est dépecé, raclé ? Que reste-t-il de l’inutile et du vain de nos jours ? Que peut-on écrire lorsque tout a été dit ? Mal dit. Mais dit quand même. Ecrire c’est le souvenir de la terre une fois les amarres jetées. C’est la fin, après la fin. Oui, c’est trouver un chemin possible.

 "Composer, c’est ne jamais commencer, ni recommencer, ni finir. Composer, c’est continuer."

 Ecrire c’est labourer les champs du souvenir, pas pour dire le passé, mais se croire encore vivant.
C’est aussi consentir à l’inachevable. C’est poser là, une lumière sur la margelle du vide, une étoile au bord du néant. Ecrire, dit bien cet ourlet de tristesse cousu  avec un fil d’or pur.
On est perdu, mais du perdu jaillit le feu qui coure sur l’océan, et la houle nous emporte en même temps qu’elle nous ramène au ventre de nos mères.

Franck.

2 février 2013

L'instant........

Habiter l’instant, un instant débarrassé de ce qui le tient. Un instant seul, nu. Car l’instant ne vieillit pas, il jaillit, toujours neuf, fugitif et éternel dans son essence. C’est le lieu de l’écriture. Introuvable, et pourtant possible, incertain et pourtant inévitable. L’instant, c’est la condensation du vide et de l’attente. Il n’est rien, pourtant il révèle tout.  Il nous traverse, et écrire tente de le saisir, comme on saisirait le vol d’un oiseau.
Habiter l’instant, cette éclaboussure de conscience, et de vie dépouillée, écrire…
Habiter l’instant, qui lui seul invente la durée, car la durée échappe au temps. C’est notre puits d’immortalité. Là où l’écriture demeure et où l’amour fleuri…. Un temps sans épaisseur et qui dure….
Et qui dure…..Et qui dure…..

Franck

10 février 2013

La langue de l'errance.....

« Qu’ai-je quitté ? Qu’ai-je retrouvé ? Qu’ai-je quitté, que j’ai retrouvé ? Qu’ai-je quitté que je n’ai pas retrouvé ? Qu’ai-je quitté, que j’aurais voulu ne pas retrouver ? Qu’ai-je retrouvé, que je n’avais pas quitté ?
Ce qu’on croit quitter ne nous quitte pas. On ne quitte pas : on s’éloigne. »
Louis CALAFERTE : Rosa Mystica.

L’errance est une langue, on sait en dire les mots, mais le sens nous en reste caché, alors on se met en route pour découvrir leurs significations. On ne quitte pas, on ne fait que marcher, on ne part pas, on ne fait que consentir à l’exil, à la solitude, à l’abandon.
On ne connait jamais le sens de nos actes, ils nous apparaissent souvent comme ceux d’un fou, rien ne les tient entre eux, que le fil ténu de l’exil, que cet inachevé qui nous ronge, que cet inachevable qui nous terrifie, alors on écrit pour dire cette folie, et que l’errance n’est pas le résultat de la seule ignorance, qu’on a pitié de nous-même, par lâcheté, parfois par miséricorde.
Et si l’on tend l’oreille, si on la colle au plus près de notre langue, alors on peut  entendre, tapis au fond des chairs, un enfant perdu, c’est le chant de la langue, le lieu de notre exil…
Alors on va vers cet enfant, on écrit pour qu’il vive... encore un peu.

Franck.

11 février 2013

Le perdu de la chair......

«Toute l’expérience poétique tend à restituer au corps l’actualité de la naissance, l’instant toujours imminent, toujours prêt à renaître où le monde extérieur ne faisait pas échec à l’unité congénitale de l’extérieur et de l’intérieur. Ce but physique éclaire toute la poésie. Toute son action est subordonnée à une expérience physique qui ne tient pas compte de la mort, ou qui prétend en épuiser le contenu comme si nous buvions, à petits coups notre verre de ténèbres. »
Joë Bousquet : Papillon de neige

 Il y a cette expérience du corps, de la séparation. Au départ, il y a cette déchirure. Nous naissons d’un arrachement et d’un débordement de sang. Nous étions sans voix, sans nécessité de la langue. Nous venons d’un premier hurlement. Nous étions chaleur, nous chutons dans le froid. Nos chairs se souviennent. Toute l’écriture tient dans ce souvenir. Dans cette chute. Ecrire est cette tentative impossible de dire l’indicible, le temps d’avant la langue. La voix qui parle en moi, c’est ma chair qui résiste, c’est mes os qui se remémorent.
La poésie n’est pas une langue, elle est seulement le souvenir d’un silence perdu. Ecrire c’est résister au temps, c’est tracer une ligne qui relie des mondes irréparablement déchirés. Ecrire est une naissance à l’envers. Pas un retour en arrière, mais plutôt un retournement de la chair. C’est installer un silence dans le bruit de la langue, le primordiale silence.
La poésie dit toujours la même chose, la défaite des mots, et la gloire des ténèbres. Elle chercher la sidération et le silence d’avant la suffocation, d’avant les poumons.
La mémoire ce n’est pas le passé, c’est le chemin sur lequel je vais, elle n’est pas pour autant le futur, elle est seulement la respiration de la chair, écrire condense les temps dans le souffle.
Le silence a deux faces, la première  est extase, la deuxième est épouvante, écrire tente d’effacer ce qui sépare ces deux silences, ces infinis qui nous mutilent en même temps qui nous délivrent.
Ecrire c’est le perdu, c’est ce qui manque à la chair mais la rend supportable, c’est ce qui l’épuise sans cesse, c’est le froid que je sens au cœur du feu qui brûle.
On commence toujours par la mort, écrire nous y ramène irrémédiablement.
Le corps est saturé de mort, elle s’écoule en nous, et c’est la seule eau qui nous désaltère vraiment.

 

Franck

1 avril 2013

La Voix....

Il y a une voix qui vit dans écrire, on reconnait écrire à cette voix singulière, étrange. Lorsque nous lisons nous entendons parfois cette voix. Elle n’a rien à voir avec l’oralité. C’est une voix. Elle semble sortir d’un feu obscur, d’un feu sans âge. Ecrire c’est faire parler cette voix en nous, ou par nous, sans savoir si elle nous appartient, ou si elle vient d’un ailleurs mystérieux. Elle semble précéder le texte, sans jamais être tout à fait le texte. C’est dans cet à peu près, que la stridence se fait…alors le poème peut naître…
Au moment de l’écrire, c’est elle qu’on appelle dans le dédale des souvenirs, des mots, des sonorités. Elle habite en nous, comme la trace d’un passé lointain, comme le témoignage d’une humanité révolue, ou d’une autre à venir….La voix en nous qui se fraye un souffle dans le chant du texte, nous inscrit dans l’ordre des générations, c’est l’humanité entière condensé dans un murmure immémorial.
Toutes les scansions, les ruptures, les silences, tout ce qui ponctue, tout ce qui fait rythme, et couleur, n’est que la danse rituelle pour inviter la voix …. Dans écrire il y a le partage d’un feu et d’une peur, et d’un chant pour apaiser la peur… dans écrire il y une offrande….
Avant le livre, avant l’écrire, d’où venait la voix ? où se cachait-elle ? Ecrire c’est retrouver le chant du monde, la première grotte, le premier feu, les premiers tremblements, les premières prières…
La voix qui parle en nous ne nous appartient pas, elle nous traverse, et nous devons la faire passer, la transmettre, comme un feu sacré…
Elle ne dit rien, que la mémoire des siècles….
Elle ne dit rien, que mon dénuement et mon déchirement…

 

Franck

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