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J'irai marcher par-delà les nuages
24 juillet 2007

Questions.........

Ne pas répondre aux questions. Jamais elle ne répondait aux questions. Comme si toute réponse fut inutile. Comme si l’ombre était son royaume. Comme si répondre dévoilait plus que la réponse, Comme si toute réponse fut indécente.

 

L’écriture est la seule question qui n’interroge pas. C’est la seule question qui est sa propre réponse. Ce qui nous liait, c’était l’énigme, la seule façon d’échapper au mensonge. Maintenir l’énigme. Et la béance qu’elle engendre. Et l’errance qu’elle nous propose comme chemin. Errer c’est être perdu et se retrouver à chaque instant. Et se perdre à nouveau l’instant d’après. C’est le sans fin. La question sans réponse maintient la perte. Elle en est la marque.

 

L’amour est une question qui n’a pas réponse.

L’écriture vient à la place de toutes les réponses manquantes. L’inscription du vide.

L’essentiel est toujours sans réponse.

L’écriture s’efface dans son déploiement. Elle tient juste dans son élan. Et s’efface. Depuis la nuit des temps écrire maintient ce saut inachevable.

 

Jamais elle ne répondait aux questions. Elle maintenait la tension au-dessus d’un espace impossible. Car le mystère ne se confond pas avec le secret qui n’est rien, sinon l’attache puérile à un mensonge. Une volonté négative. Le mystère est d’une autre nature. Elle habitait un mystère. Tout chez elle attirait le silence, tout l’y conduisait.

Que fait une mémoire sans souvenir ? Elle se met à écrire. L’inverse est vrai aussi : que font les souvenirs sans mémoire ? Ils se mettent à écrire

 

Il faut savoir, que toute beauté est d’abord une souffrance, c’est comme l’océan et le ciel qui suture l’horizon. Sa beauté effaçait toute parole. S’opposait à tout achèvement.

 

J’écris au passé, c’est la seule façon de garantir un futur. Le présent est le mensonge du texte. Sa présence était ma seule vérité.

 

Ne pas répondre aux questions, c’est accroitre l’inattendu, le brusque, le foudroyant. C’est faire résonner les confins de l’univers. C’est agrandir. C’est inventer une espérance.

Elle ne répondait jamais aux questions. Les questions sont toujours inaudibles. Comme si elles traînaient dans leur sillage un peu de mort.

Franck.

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29 juillet 2007

Pierres de rêves.....

Chaque matin c’est comme si un ciel livide tombait face contre terre. Il faut relever le défit du jour nouveau. Soulever chaque temps du temps. Faire avec cette gravitation étrange et obscure.

 

J’aime frotter les heures, jusqu’à leur faire rendre l’âme. Qu’elles disent enfin ce qu’elles recèlent, ce qu’elles cachent au fond de leur ventre. Ce qui nous écorche à leur passage. La      trace infime qu’elles laissent. Infime, mais si présente, mais si pesante. J’aime frotter le temps, avec l’illusion d’épuiser sa logique, et cette prégnante impression de lent écrasement. 

Plus on le presse, plus il se tend, plus il se durcit. Et une musicienne mélancolie monte, comme si elle sortait d’un gouffre. A mains nues, sur le granit, et ses écailles cristallines. C’est une terrible berceuse, sans sommeil au bout. Sans abandon. C’est une longue patience. Du temps sur du temps. Un os désossé, blanchi par l’érosion et la lame des chagrins, des renoncements, des démissions.

 

C’est à cet instant, cet instant minéral, que ton image apparait. Sortie de la pierre et des tentacules de l’ennui, sortie de l’usure. Au bout du temps, il y a toi. Blottie dans la pierre de mes heures. Dans la matière lourde, imprégnée de silence, et ta voix saisie par l’absence. Je polis ton corps de caresses, et la rocaille s’amollit. Et le temps s’efface, et ta chair s’attendit. Tu sais, c’est un temps de folie, que ce ténébreux vouloir, que cette exténuation de la force des heures. Que cette divagation dans l’épaisseur de la mélancolie, que cet égarement, mais tu comprends, le temps sans toi, c’est un peu la mort qui s’invite à ma table. Je connais ma déraison, c’est la seule chose qui me reste. T’inventer au-delà de ta vie. Plus vivante, que la plus remarquable des vivantes. T’inventer. Grande icône de givre. Ta robe est défaite à tes pieds, j’agrandis l’ombre courbe de ton ventre d’un seul coup de pinceau. C’est une poésie silencieuse et cruelle. Une poésie douloureuse et presque immobile. J’arrondis ta hanche autour de quelques mots. Ma main est posée sur ton sein. C’est une image sainte. Muette. Mon geste est pris dans une raideur grave. Ta nudité est si précieuse. Je creuse un peu plus le silence à l’endroit sacré où ta chair s’ourle, se replie et se déploie à la fois. Et l’ivoire des mots s’enroule autour de ta cuisse vénérable, frôle, enlace, comme les plumes sur l’aile d’un grand cygne. Ta jambe, ta cuisse, chandelle couronnée par l’orgueilleuse cambrure de tes reins. Je hisse mes mots en remontant ton corps, ils tracent des douceurs de soie, dénouent d’incertaines nébuleuses. Ton cou, ta nuque, lignes de chair lyriques. Je déroule sans fin le fil de ta peau onctueuse. Ton ventre, tes seins, ta gorge. J’aime frotter les heures jusqu’à leur faire rendre l’âme. Pour qu’elles me parlent de toi, qui gît dans leurs entrailles. Bien après l’absence. Bien après l’oubli. Et lorsque je parviens à traverser ces jours de pierre, quand à force d’entêtement, la réalité se troue en son centre, même le rocher se lamente, et se rend à l’évidence de ta présence vivante. Vivante mon amour.

Mon amour, c’est une poésie douloureuse. Je rampe sous chaque mot, pour que leurs ferrailles ne me déchirent pas le cœur. Mon amour, avancer dans ces jours sans toi, c’est frotter le temps à mains nue, jusqu’à l’incendie, jusqu’à l’embrasement du soir. Jusqu’à ce que ton sang palpite et m’éclabousse.

 

Et chaque soir c’est comme si un ciel agonisait dans un râle rouge et barbare, c’est le temps d’abandon, le temps des floraisons mortelles, des romances épuisées sur des cercueils de pierre.

Franck.

1 août 2007

J'irai sur ton île.....

Tu as regagné ton île et c’est moi qui suis en exil, désormais. Tu as rejoint ton royaume, me laissant un désert, vaste comme mille saisons, ou comme une galaxie. Tu es dans le mouvement de ton île, dans ses affluents de lumière et de vent, et d’embruns, et chaque jour tu peux croiser la ligne d’horizon avec ta ligne de vie.

 

Tu es sur ton île avec toutes ses rigueurs qui s’opposent à l’océan, et ses consentements, et ses complicités. Ses résistances, aussi. Et les marées recouvrent et découvrent le temps, inlassablement, infatigablement. L’azur, l’azur et son carnage, sa véhémence. L’azur, impossible continent, intouchable, inaccessible azur. Un horizon nous sépare, et la houle pulpeuse, et son balancement, et son indifférence, et son détachement.

 

Tu as rejoint ton royaume me laissant un néant, et la maigreur d’une saison miséreuse à la dérive. Et tu peux croiser l’horizon avec ta ligne de vie, effilochant imprudemment ma ligne de cœur.

 

Tu as regagné ton île et c’est moi qui suis bannit, relégué dans mes terres, à user les vieux pavés des veilles villes, à périr chaque fois un peu plus dans de nocturnes fournaises.

 

Tu t’es éloignée sur ton île, sur cette roche marine martelée de colère, sur ce coriace heurtoir à tempête. A présent tu es sur ton rocher comme une figure de proue, transie et résignée. Les bras tendus vers le large, et les yeux grand-ouverts.

 

Ta terre îleuse est sans moisson, elle est tout en crainte orgueilleuse, tout en brûlure de sel, et le vent s’y frotte, s’y blesse sur ses rocailles sorties de l’eau, comme un os qui percerait une peau humaine. Le squelette d’un fantôme naufragé, cuirassé de granit. Et le vent s’y frotte, geint, supplie, il est tout à sa douleur, et à ses hurlements, mélangeant ses cris, aux cris des macareux et des grands goélands.

 

Les semeurs de ton île jettent leurs grains aux cieux pour les faire fleurir, pour conjurer le sort en guise de prières, pour faire rire les étoiles, ou pour les faire pleurer.

Les semeurs de ton île jettent leurs filets au loin pour attraper un peu de ciel et de lumière, une brassée d’éternité.

 

Et le temps sur ton île s’effiloche entre le clapotis et les marées, entre la patience et les larmes trop salées. Les vœux des îles ne sont jamais exaucés. Trop de hasards, trop de fatalités, trop de pleines lunes mortes avant le petit jour, trop d’accablement, trop de saisons défuntes, de cimetières fatigués, trop d’attente. Oui, trop d’attente. Bien trop d’attente.

 

Et ton île se gonfle comme si elle respirait, comme si elle était le cœur d’un grand géant de pierre allongé dans ces vagues qui bordent son sommeil austère de draps brodé d’écume et de rumeurs sauvages.

 

Tu es sur ton île rugueuse et sévère, sur le contre-point de nos enlacements, et j’ai beau gratter mes mots jusqu’à la transparence, les râper, les user, ils ne peuvent rien contre cet éloignement et la désarticulation de nos caresses. Tu es sur ton île, ton île plus habitée par les morts que par les vivants, ton île où les aubes se lèvent toujours sur des jours ancestraux, des jours déjà vieux, vieux de souvenirs et d’attente vaine.

 

Et maintenant que tu es sur ton île, ma seule boussole est ton nom, et mon texte un bien pauvre navire pour franchir l’océan, un radeau halluciné plutôt. Et ma voix est une saumure saturée de sel.

 

Les îles sont sans sommeil, elles sont seulement nues, et silencieuses, elles veillent sur l’absence, c’est leur façon d’aimer. Elles craquent, comme les vieux arbres, elles râlent comme des fauves blessés, c’est leur façon de résister.

Elles hurlent, c’est leur façon de désirer.

 

Alors j’irai sur ton île. Même mort j’irai, pour qu’une dernière fois nos silences se mêlent. Alors mes lèvres salées sur tes lèvres salées, et mon souffle épuisé sur ton souffle océan. Alors j’irai sur ton île, mon amour, offrir ma main paysanne à ton âme marine, et mêler ma terre noire à l’écume de ta chair. J’irai sur ton île, mot après mot, et je ferai un pont sur les deux rives de l’horizon. Et je traverserai, et tu traverseras. Et nous chevaucherons l’atlantique, comme deux cavaliers fous, c’est le vœu des enfants, c’est le sort des amants.

Le destin des étoiles.

Franck.

11 août 2007

L'attente......

Sans doute sommes-nous sortis du mauvais coté de la grotte, il y a quinze mille ans. Nous avons choisi la lumière. Toujours cette fascination des évidences. Nous avons cru abandonner l’ombre. Depuis elle nous poursuit, lourde, entêtante. Tenace. Alors nous sommes sortis de la grotte à-reculons, seulement pour constater ce que nous laissions. Par nostalgie. Nous avançons en arrière depuis la nuit des temps. Nous ne cessons pas de quitter, comme pour entretenir une nostalgie. Et pour les âmes abouties, un désespoir. Et faire avancer l’espèce n’a jamais fait avancer l’humanité. Au contraire. Et chaque jour nous dévisage, puis détourne les yeux, c’est cela qui est insupportable. Ce dédain, cette indifférence sur nos existences dépecées.

 

 

 

Ce qui nous hypnotise dans l’image reflétée par le miroir c’est qu’elle regarde dans la direction opposée à la notre. Comme si elle seule voyait. Comme si elle seule avait le vrai regard, celui que nous n’aurons jamais. Le regard en arrière. Le drame d’Orphée.

Le notre.

Nous sommes des deux cotés du miroir. Et nos regards se croisent. Et nous nous voyons plus. Et lorsque je tends les mains, je ne touche que le froids d’une glace, que le vide d’une image. Est-ce la tienne, ou la mienne qui persiste sur cette face lisse et réfléchissante ? Trop lisse, trop pure pour être vraie. Image trop scellée, un absolu trop menaçant.

Les souvenirs se décolorent, comme si mon sang perdait sa force. Limpide et délabré. Un sang appauvri, simple comme l’hiver.

 

 

 

C’est une longue débâcle que ton éloignement.

Se taire n’est pas le silence. S’en est même le contraire.

 

 

 

Celle qui viendra s’est déjà mise en route j’ai aperçu de loin le cortège qui l’annonce et les trompettes s’honorent de son arrivée prochaine et son nom s’est inscrit dans chair des étoiles.

 

 

 

Celle qui viendra sera montée sur les chevaux d’argent de l’aurore, elle aura l’élégance des brumes matinale et la grâce des rosées de printemps. Elle sera dans le galop de sa parole d’or et d’orage et portera haut l’oriflamme de ses souvenirs blanchis par le feu des enfers.

Elle aura dans sa chevelure les couleurs de la nuit, et quelques restes d’étoiles et sur son front large seront visibles les constellations lointaines. Elle aura dans ses yeux l’histoire des folies humaines et sur ses lèvres le goût des oranges amères. Sur son cou elle aura la trace des ruisseaux et dans sa voix le murmure des sources profondes. Sur ses bras s’enrouleront les rosiers du désir et ses mains porterons des bijoux de coquillages nacrés.
Celle qui viendra chevauchera le jour en tirant avec elle, le soleil et sa traîne, et ses feux, et ses flammes, et ses corolles aussi.

Ses courbes diront la ligne de nos vies, la ligne de nos fugues, la ligne des symphonies, la ligne des infinis. Elle aura sur les plis de sa peau, calligraphiés les poèmes les plus rares, avec l’encre la plus douce. Elle aura sur ses seins la place de ma bouche et sur son ventre l’emprunte de mon ventre, et sur ses cuisses le dessin de mes mains et dans ses chairs secrètes frémira déjà l’intime de nos nuits, mêlé de liqueurs d’hydromel et d’ambroisie sauvage. Celle qui viendra aura dans ses reins la vigueur des lionnes, la fureur des foudres, et sur son dos coulera les sueurs de l’amour. Elle aura dans ses cris la force des prières et son offrande aura l’orgueil des dieux et l’abandon des reines.

Celle qui viendra s’est déjà mise en route j’ai aperçu de loin le cortège qui l’annonce et les trompettes s’honorent de son arrivée prochaine et son nom s’est inscrit dans chair des étoiles. Qu’elle vienne des enfers ou qu’elle vienne d’ailleurs mon âme est assez grande pour y rêver à deux et si les mots sont trop lourds, il restera le silence qu’on partage encore mieux quand on est enlacé.

Et quand elle sera là, celle qui viendra, je recueillerai le parfum de son cœur dans les boucles du temps, et l’âme de ses mots, et son sourire doré et sa main qui se tend sur l’ombre de ma main, et les feux qu’elle charrie, et sa tendresse obscure, et son amour tremblant sur mon amour tremblant.

Franck.

15 août 2007

Tectonique des plaques....

La redite, l’insistance, la persistance, les trois stades de la maladie d’écrire. Et plus on avance dans cette maladie mortelle, moins elle pèse. Et plus elle est grave, plus elle se déploie dans le sang, dans les jours, plus elle s’agrippe à chaque fibre, à chaque respiration, plus elle est mordante aux jointures du rêve, plus elle nous éloigne, plus elle nous épuise, et moins l’on voudrait en guérir.

La redite, l’insistance, la persistance sont les autres formes païennes, de la litanie, de la prière, de l’oraison, car il s’agit d’atteindre la chair, et même, l’au-delà de la chair.

 

 

 

Atteindre la dimension de sa mort. Etre dans la juste dimension de sa mort. Celle qui viendra. Celle pour laquelle on est là.

Passer de la fatalité, au don à recevoir, pour finir, à l’offrande gracieuse.

 

 

 

La littérature naît d’un frottement, comme les plaques tectoniques. Deux mouvements lents qui s’opposent, pierre contre pierre, temps contre temps, puissance contre puissance, usure contre usure, et le résultat c’est le volcan, le tremblement de terre, la vague scélérate. La littérature est le lieu impossible, le lieu d’une précieuse brûlure, inhabitable, invivable. Inachevable. Et dans le même mouvement le renouveau et la fin. Les plaques tectoniques de notre vie bougent, la grande masse de nos souvenirs, de nos illusions, l’accumulation répétée de nos regards, ce magma informe et tremblotant comme de la gélatine peureuse, toutes ces plaques bougent, s’incrustent, s’insinuent les unes dans les autres, s’engloutissent dans l’oubli et l’indifférence, le mépris et abjuration. Ça frotte. Ça racle, ça cure, ça écrase. Des continents, qui à force de dériver se choquent, se heurtent. Se brisent. Et c’est un fracas de douleur et d’extase

 

 

 

L’écriture se nourrit de notre disparition. Atteindre la dimension de sa mort. Être dans la juste dimension de sa mort, à force de redite, d’insistance, de persistance. Comme si la maladie d’écrire effaçait nos vanités, nos prudences. Comme si la maladie d’écrire tranchait dans le gras, le ventru, l’inutile. Pour qu’à la fin on puisse juste enfiler un voile d’ombre. La peau de l’ombre sur notre peau de chair. Sans plis, sans couture, ni ourlet.

 

 

 

Le corps de l’écriture est le lieu du frottement, des masses brassées, le lieu de l’imminente menace. La redite, l’insistance, la persistance. Le corps de l’écriture est toujours marqué des stigmates et du symptôme d’un temps pur.

Le temps pur est un temps vécu à sa juste proportion, à son juste poids. Un temps débarrassé. Il tient debout par sa seule force, sa seule volonté. Sa seule nécessité. C’est un temps qui n’est pas comptabilisé dans nos ans. Il est pur, parce qu’il n’a pas d’épaisseur. Et de la durée, il ne possède que la lumière. Il est éclat. Etincelle. Il est la voix.

 

 

 

La maladie d’écrire a trois stades : la redite, l’insistance et la persistance, et plus elle s’aggrave, plus elle vient en lieu et place de l’inconstance, de l’impermanence, et de la précarité.

Et l’on connait alors les trois degrés de la puissance : la faiblesse faite de boue et d’ivresse, la fragilité faite de verre et obsidienne, et la tremblance faite de silence consumé et d’éternité.

L'autre nom de l'abondance.

Franck.

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26 août 2007

Trois grains.......

L’écriture trace au large de nous-mêmes les frontières d’une liberté inatteignable. Et l’enjeu est là. Insupportable et jubilatoire. Ecrire défini une liberté que nos gestes répudient. Ecrire dépasse notre liberté. C’est ce qui vient après. Ecrire advient après la traversée du désert, dans un pays qui outrepasse nos gestes, nos jours. On a connu l’esclave, l’homme libérable, l’homme libéré, l’homme libre et bien après, le poète. Le poète naît des mirages du désert. Il naît dans le tremblement de la lumière. Et d’un étourdissement. Il naît dans ces océans bleus qui surgissent au-delà des sables. Il naît de cette marche insensée vers ce froissement de l’horizon. Il naît d’une folie.

 

L’œuvre est dans un temps qui nous est étranger, et d’un regard effaré par l’incessante perte. L’œuvre est toujours dans le deuil d’elle-même, elle se déploie sur un linceul.

Et les lectures sont de grandes funérailles.

L’incessante perte. Ecrire, c’est le mouvement que l’on fait pour se saisir d’un oiseau. Juste le mouvement. L’élan. L’oiseau s’envole à chaque fois. Ce que l’on a voulu saisir s’envole à chaque fois, il reste à peine la trace du geste dans l’air, la trace de ce désir fulgurant, insensé. L’éclat du poème. Et la perte. Toujours la perte. Un élan qui efface un mystère et qui en ouvre un nouveau. Comme si le geste toujours vain, réveillait l’éternité.

Et le poème est toujours en retard du prochain. L’écriture trace au large de nous-mêmes les frontières d’une liberté inatteignable.

 

Le savant demandait : « Que gagnes-tu à écrire des poèmes ? » Le monde des savants est un monde simple. Il est fait de réponses apparemment justes à des questions apparemment importantes. Contrairement au monde des poètes qui lui est fait de réponses apparemment fausses à des questions apparemment sans importances. Le savant demandait : «Que gagnes-tu à écrire des poèmes ? ». La vraie question aurait put être : « Que perds-tu à écrire des poèmes ? »

Que perds-tu à provoquer les gargouilles de la mémoire ? Que perds-tu dans ce cortège de phrases nuptiales ? Que perds-tu dans cette langue constellée de féroces désinvoltures, dans ces soubresauts démesurés, dans ces infidèles dévotions ? Que perds-tu dans ce vagabondage de crucifié, qui longe les lisières craquelées de l’innommé ? Que perds-tu à cette plainte sourde et furieuse ? Que perds-tu à vider ces grandes charrettes d’envoutements ? Que perds-tu dans ces conjurations fracassées, brisées, fendues, dévorées de boues vaincues. Que perds-tu dans ces fabuleuses absolutions aux corolles béantes et poussiéreuses ? Que perds-tu dans ces danses qui s’abîment dans la soie, à l’ombre des profondeurs béantes ? Que perds-tu… ? Que perds-tu, nom de dieu ?!

Je voudrais tout perdre, et même encore plus. Je voudrais tout perdre, et qu’il ne me reste rien, hormis trois grains de tendresse au creux de ma paume ouverte, et que je tendrai vers Elle. Trois grains de soleil pour éclairer sa part manquante. Trois sourires. Trois baisers. Trois aurores buissonnières. Trois calices de caresses. Trois soupirs. Trois silences. Trois fois rien, en somme.

Franck.

30 août 2007

Pour Chris.........

Chris, (in  memoriam) vient à nouveau de me faire un magnifique cadeau. C’est elle qui préside désormais à la décoration de ce lieu, et je ne sais comment la remercier d’inventer à chaque fois des ambiances dans lesquelles je me sens immédiatement à l’aise. Elle a un véritable talent, elle sais d’instinct traduire et mettre en forme ces choses si subtile de l’imaginaire. Et sa boite à outil est et aussi grande que son cœur, pleine de ressources inattendues. C’est là que l’on reconnait une véritable artiste, elle est aussi douée avec la « mécanique informatique », qu’avec les mots qu’inlassablement elle tisse, ou qu’elle brode raccommodant l’âme, la sienne et celle de ses lecteurs, affûtant sa poésie avec bonheur ou avec douleur selon le sang qui traverse ses humeurs. En décoration, comme en poésie Chris est généreuse et sa sensibilité d’écorchée passe dans ses communions d’écritures, ou dans ses remises en question. Chris sais par cœur, que rien n’est acquis lorsqu’on s’approche de la poésie, que tout est à refaire sans cesse, que le poème qui vaut est celui de demain.

Alors mille merci Chris, tu es une amie chaleureuse et constante, indulgente aussi. Et tes colères parfois, ne sont là que pour dire à quel point tu es vivante, vibrante et passionnée, à quel point la poésie n’est pas seulement quelques mots posés ici où là, mais cette poussée droite et vive qui redresse tout le corps et toute l’âme. Mieux que quiconque elle sait que la poésie est une œuvre de vie avant d’être écrite.

Merci mille fois Chris de ce cadeau d’autant plus merveilleux qu’il me vient de toi.

FrancK

2 septembre 2007

Petite soeur......

Il y a bien une peur dans le désir qui se déploie. Les temps qui adviennent sont des temps terrifiant. L’amoureuse regarde l’amoureux. Leur présence est accrue du désir. De l’imminence. Ils sont menacés par la joie. Ils le savent. La jouissance signe la fin d’un monde. La fin du monde. Ce qui menace le feu, ce sont les cendres. Le rêveur devant la flamme les voit déjà, c’est pour cela que sa mélancolie s’accroche si bien à l’âtre. A cause des cendres. L’amoureuse regarde l’amoureux. Elle a dans sa chair un feu. Mais elle sait les cendres. Au moment des corps, les amoureux sont graves. Les gestes s’alourdissent, ils sont pris dans une sorte de pesanteur et d’épuisement. La jouissance ouvre la porte des enfers. Les amoureux le savent. C’est une traversée. Comme Orphée.

 

Les dieux immortels ne connaissent pas l’amour. Parfois ils forniquent, jamais ils n’aiment. L’amoureuse regarde l’amoureux, ils savent brusquement qu’ils devront aller plus loin que leur désir de chair, ils devront aller jusqu’à la cendre, jusqu’à la mort. Ils savent qu’il faudra tout effacer. Qu’il faudra tout oublier.

Les amoureux évitent les miroirs de peur que ceux-ci ne gardent le souvenir de leurs gestes. Qu’ils impriment le masque mortuaire de leur jouissance. Les amoureux sont sans image, puisqu’ils sont sans langage. Les amoureux sont sans mémoire, puisqu’ils sont sans langage. Puisqu’ils sont sans miroir. Les amoureux lorsqu’ils se regardent ne se voient pas. Ils se touchent. Se voir les tuerait. Alors ils se regardent et ne se voient pas. Ce regard sans vision, nous envoûte. Il est débarrassé de la mort encore quelques instants. On avait prévenu Orphée. « Ne te retourne pas !»

Dès que le regard se met à voir, c’est la mort qui surgit.

 

Mon amour, nos ombres sentinelles nous parlent à mi-voix. Nos ombres sentinelles se sont détachées de nous, pour vivre des frôlements que nous ignorons. Tu sais mon amour, nos ombres ont leurs exubérances, leurs sacrements. Leurs pénitences, aussi.

Nos ombres sentinelles, sont des ombres courageuses, sans orgueil, qui savent se relever après le trébuchement, qui savent se réchauffer après le tremblement. Nos ombres sont muettes, sans ornement, débarrassées de nos pudeurs frivoles. Elles vont sans nous. Défaites de nos corps, de nos peurs, de nos hésitions. Elles vont l’amble, nos ombres, profitant de nos rêves, elles ne craignent ni le feu, ni la nuit, ni nos deuils, elles vont comme des eaux tranquilles.

Nos ombres, loin de nous, s’entrelacent et s’unissent, elles n’ont que faire de nos apitoiements. Elles se bercent du roulement de la nuit, et elles n’ont pas de saisons, et elles n’ont pas de maison, et elles vont légères, sans corps pour les retenir, sans chaîne pour les accabler, sans jugement pour les opprimer. Elles vont, elles vont, passant d’un silence à l’autre, choisissant nos absences pour se rejoindre, et nos tristesses pour nous abandonner.

Petite sœur, petite sœur des mots, petite sœur des murmures, approches-toi, l’automne arrive avec ses détresses, et ses renoncements. Petite sœur du silence et de l’amour je pose sur tes paupières toutes mes Afriques, tous mes déserts. Je pose sur tes lèvres tous mes fleuves languissants, je pose dans le creux de ta main toutes mes ivresses, et sur ton ventre toutes mes nuits perdues.

Petite sœur, il est temps, approches-toi. Nos ombres nous attendent, elles réclament nos corps pour blanchir les linceuls de leurs fiançailles.

Petite sœur d’écriture, le vent se lève, et l’encre brûle nos derniers mots.

 

Il y a bien une peur dans le désir qui se déploie. Les temps qui adviennent sont des temps terrifiés.

Et l’amoureuse regarde l’amoureux. Et l’amoureux regarde l’amoureuse.

 

Petite sœur prends ma main, et allons !

 

Franck.

8 septembre 2007

En silence, au matin......

Au départ on est loin, on est dans l’inaccessible du temps et de l’espace. Mais les enfants savent d’instinct traverser les impossibles. Les âmes brûlées aussi.

Au départ on est loin, chacun dans sa parole, dans la maison de ses mots, au plus près de l’hémorragie qui épuise nos jours et nos heures. Au départ on est loin, chacun sur l’horizon de la langue, chacun à son pied d’arc-en-ciel, chacun dans sa couleur.
On est loin, séparé par le ciel, et par cette arche irisée.
Au départ on est loin, mais les incantations se répondent, parce que les murmures s’opposent au vacarme du monde et parce que les cris révèlent les silences. Au départ on est loin, mais peu à peu les portes du ciel s’entrouvrent. Pour agrandir l’espace, juste entre la chair est l’os. Juste entre fracas et prières.

Après, arrive le temps du chant et de la danse. Nos musiques s’entrelacent et se nouent pour nous aider à gravir l’échelle des couleurs. Chacun, à son bout d’arc-en-ciel, chemine vers l’autre sur le chemin de la langue, c’est le temps où la voix s’exalte de sa véhémence, de ses soleils, de ses éclairs. C’est le temps où les notes inventent la portée, où la cadence rythme les souvenirs, où l’espérance fleurie comme de larges bouquets, comme les grands cerisiers du printemps. C’est le temps océan, immense et grandiose qui berce nos embrasures, et change les clameurs en louanges fruitées. C’est le temps des flammes et des voyages univers, et des jardins célestes. C’est le temps des tendresses enfantines. La source des mots s’épanche vers l’affluent du cœur.

On est haut dans le ciel, si proche désormais qu’on pourrait se toucher. C’est le temps des soupirs et des apartés, c’est le temps des souffles, pas celui des regrets. C’est le temps des secrets et du sang partagé, des silences que l’on offre dans les mains que l’on tend.

 

C’est un temps éphémère, qui offense les dieux. C’est un temps majestueux, qu’il faudra redonner. Pour une heure enchantée, cent ans de misère. Pour un jour de délice, mil ans de repentir.

Au sommet des couleurs, nous nous sommes croisés. Au plus haut de cette arche de lumière, tendue entre nos deux étoiles. J’ai à peine eu le temps de caresser son ombre, qu’une araignée cruelle a tissé sur nos lèvres un rictus forcé.

Et dans un ciel de marbre durcit par les chagrins, c’est éteint une étoile, en silence, au matin.

Franck.

9 septembre 2007

Accomplir la défaite....

L’inaccompli se prolonge indéfiniment. Dans une tension singulière. L’inaccompli du texte. L’inaccompli de l’amour. L’inaccompli est une marque. Notre sceau. Le poinçon qui perce nos chairs jusqu’aux os. L’inaccompli comme l’empreinte de l’éternité. Le sans fin chutera toujours. Et nous porterons le deuil de l’infini. Nos cercueils brillent haut dans le ciel. Et nous applaudissons au spectacle frémissant. Et le texte se déploie dans un espace de tragédie. Le temps nous attend au détour d’un baiser. Comme une vague scélérate. Le texte s’aggrave dans sa chute. Le renouveau, renouvèle toujours la fin. L’inaccompli. La blessure.

 

Il n’y a pas de sagesse, simplement un désespoir qui se renie. Chaque jour j’avance et je m’éloigne. En même temps. Chaque geste, chaque pensée, est imprégné par cette plaie, ce suintement de vie. Ce double mouvement impossible. Incompréhensible. Et le texte s’effondre, là, dans cet espace de misère. Le sans fond de cette misère.

 

De tout temps nous sommes séparés. Inachevable. Il manque toujours un morceau à l’histoire. Il manque toujours de la chair sur l’os. Il manque toujours un baiser à l’amour. Il manque toujours un jour à l’éternité.

Et vivre, c’est être dans le décalage, la non-coïncidence. Et écrire c’est prolonger cet espacement. C’est l’agrandir. C’est l’aggraver. Jusqu’à l’impossibilité de vivre. Il y a une tension singulière dans cet espacement. Comme ce tonnerre qui tarde à venir après l’éclair. L’espace, après l’éclair, est le lieu du langage. Dans cette synchronicité défaillante, perpétuellement défaillante, la parole trouve son chant. Dans cette tension du vide, dans cette brûlure du rien. Dans cet insupportable.

Je vis dans l’attente folle du tonnerre, et cette suspension me laisse sans signification.

Nous vivons des approximations. Tout se tient, mais rien n’est jointif dans nos vies.

Nous faisons des détours. Ecrire est le plus sacré de ces détours, mais c’est quand même un détour. Nous arriverons à Samarcande le jour venu, pour le sacre de l’inaccompli. Ecrire c’est danser sur ses propres ruines. C’est accomplir la défaite.

Franck

23 septembre 2007

Des endroits singuliers........

Il y a dans le texte des endroits singuliers. Des sortes de trappes. Des passages qui ne sont reliés à rien de connu. A rien de reconnaissable. Comme s’ils étaient écrits en notre absence. Ou alors comme s’ils préexistaient à l’écriture elle-même. Comme s’ils avaient toujours été là. Comme s’ils nous attendaient, avec la patience des siècles. On a cette sensation que l’on pourrait être absorbé, là, tout d’un coup. Que tout pourrait s’arrêter. Et que ça n’aurait aucune importance. Que ça serait bien, ainsi. Il y a dans le texte des endroits singuliers, on ne peut les désigner, les nommer, pourtant on sait qu’ils sont là. Ils guettent. Ils pourraient être menaçants. Et pourtant sans leurs présences le texte s’effondrerait. On le sait. La voix du texte marche sur un fil grave et tranchant et la parole se dérobe, les mots manquent aux mots. Et l’océan recèle des terres singulières. Des terres qui n’appartiennent pas à la terre, des terres qui n’appartiennent à rien. Elles sont là. Comme un hoquet. Les hauts fonds du texte, de nos souvenirs. Lieux de naufrages. Lieux des présences, où les visages flottent comme des méduses. Lieux des possibles.

 

Souvent, le soir, j’allais m’assoir sur les rochers, tout près du bord. J’écoutais le sang de la mer battre. J’écoutais, comme si je cherchais mon propre sang. Il y a dans cette obstination marine les prémices d’une fatalité. Le premier chant. Le dernier. L’incessant retour des eaux, l’incessant battement. Le premier rythme. La première phrase. Qui s’enroule sur elle-même. Et qui bat. Qui vient frapper le cœur vide du temps. Il y avait dans ces instants les traces d’un ennui inquiet. Dans ce souffle sonore et nocturne, il y avait tout un futur qui se disait. Avec la colère sourde qui roulait sous mes jours comme des galets. Pas une colère franche, nette, bruyante, non, mais colère de fond marin, une colère des abîmes. Profonde et noire. Et qui venait juste là, écumer sur l’arête des rochers. Et j’écoutais le sang de la mer battre, à contre temps de mon sang. La tête vrillée d’un ennui insolite. Planté là, immobile et attentif. Et la mer nous renvoie toujours à l’impossible de nos désirs, on ne sait jamais décider si elle nous propose un départ ou une fin. Usant également le vivant et le mourant en nous. Toujours usant.

 

Il faut un long temps d’attente pour que le ressac use enfin l’ennui. Il faut un long temps d’attente pour sentir monter du plus profond de sa chair, le balancement, et puis le bercement.

 

Souvent, le soir, j’allais m’assoir sur les rochers, tout près des vagues, tout près de la bouche de la mer, et j’écoutais sa voix, jusqu’au balancement, jusqu’au bercement. Et il faut un long temps pour épuiser l’écume et sa colère. Et un long temps pour qu’enfin les larmes viennent, avec leur voile de silence. Et cette sorte trêve au milieu du chaos.

 

Il y a dans le chant de la mer des endroits singuliers. Des sortes d’arythmies. Des cadences, des souffles, qui ne sont reliés à rien. Comme s’ils préexistaient à la mer elle-même. Comme s’ils avaient toujours étaient là. Comme s’ils nous attendaient. Comme si le chagrin et les larmes les révélaient, une fois l’ennui usé.

 

Il y a dans le chant de la mer des espaces qui laissent passer la vie. Des endroits singuliers où l’on entend les plaintes des baleines. Et qui laissent entrevoir un possible à écrire.

Franck.

30 septembre 2007

La hache.....

Lu cette phrase de Kafka : « Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée autour de nous. »

C’est exactement ça. Je rumine autour de l’idée du livre. J’en suis si loin. Mes textes dérivent, mais ce ne sont que des textes. Ils coupent mais ne pourraient trancher la mer gelée. Ils ont la pesanteur que je leur destine. Mais ce ne sont que des textes. Le livre c’est un autre continent, un autre acier.

 

Alors tenter de hisser la vie à la hauteur du livre. Mais le livre est toujours plus fort que l’écrivain qui le porte. C’est de l’inégalité de ce combat que le livre se développe. Les grands livres ont écrasés leurs auteurs.

Suis –je prêts à cet écrasement ? Suis-je prêts à le vouloir assez ?

 

Mon livre sera cataracte, ou ne sera pas.

Chaque texte précise peu à peu le lieu du combat. Ils marquent. Bornent. Resserrent l’espace.

Se dépouiller de toute indulgence. Encore. Revenir à l’essentiel, l’amour et sa brûlure. Et le désespoir, ne pas oublier le désespoir.

Chaque texte précise, mais il est encore un compromis, une façon d’accommoder des possibles.

Faire monter en soi les grands lacs de néant. Ces océans vides, tout en mesure. Tout en démesure. L’orgueil de la mélancolie. La respiration noire de la chair. Le cri.

 

Aurais-je la force de rassembler toute la gravité de l’enfant jouant ? Les grands livres sont écrits par des grands enfants. Il n’y a qu’eux qui pour avoir assez d’application dans la déraison, d’ascèse légère, de sérieux dans l’invention, de violence désinvolte. Ils ne connaissent de la beauté que la chair des mères. Ils n’inscrivent rien dans le temps, ils ne s’égaillent que dans l’éternité et dans les risées de lumière du jour. Ils sont dans une énergie brutale, sauvage, totale. Tyrans et mendiants à la fois, insupportables et étincelants.

Franck.

6 octobre 2007

La folle allure..... (*)

L’image de l’homme à cheval. Comme la métaphore de l’écriture.

 

J’ai galopé dans mes mots. Et j’ai eu ces moments d’ivresse que la parole écrite suscite quand elle s’affranchit de la pesanteur, quand l’air de la langue vient fouetter l’intérieur du corps. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de grisant dans le déferlement en cascade de cette parole éprise de sa propre liberté, de son mouvement naturel. Sauvage. On ouvre les portes et on se lance dans ce galop échevelé. Et l’air vient faire comme une musique à l’oreille du cœur, les parfums sortent des mots comme des fleurs qui éclosent, fruités, musqués, poivrés, printaniers, capiteux, tout ensemble.

 

 

Dans ses galops, la phrase traverse la lumière comme rayon en surcroît. Trajectoire de reflets de lueurs, comme si l’encre incendiait le blanc de la page, comme si derrière le blanc il y avait des étendues infinies à conquérir. Comme une dévoration. Oui, j’ai connu la cavalcade des mots dans le désordre de l’âme, l’exaltation et le vertige des sons, des musiques, des souffles mêlés. Tout est là, tout est dit. Et le les mots écument, halètent, crinière au vent, et à chaque foulée on sent dans le corps le mouvement de balancier de la course, le bercement vigoureux de l’échappée libre, de l’échappée belle.

 

Oui, il m’est arrivé d’être dans le galop de mes mots, d’en sentir la puissance dans mes muscles et de pousser la vitesse jusqu’à l’emballement, au-delà de la chevauchée pour aller plus vite encore, pour s’envoler, extase frénétique du lyrisme, comme si la vitesse créait un envoûtement. Et le soleil bien en face. Comme un point de fusion, et le galop des mots droit dedans. Droit dans cette jouissance cavalière.

 

 

Le plus souvent j’ai connu l’allure plus chaotique du trot. Où l’équilibre de la parole vacille. Epuise. Le corps de la langue devient lourd, maladroit. Cassant. Chaque mot cherche l’autre mot. Le suivant. On est dans un temps saccadé. Secoué. Toujours au bord d’une chute. Impossible allure. Douloureuse allure, qui tire sur les muscles. Une brutalité qui surgit de l’intérieur. Une brutalité de carcasse. Chaque pas sauté, tasse un peu plus l’âme et le cœur sur les os du dos, du ventre. Les gestes sont moins sûrs, et l’horizon disparaît. C’est une écriture cassée, essoufflée, périlleuse, usante, harassante. Et la langue nous secoue comme l’animal, l’animal en soi, l’animal qui tremble entre vos jambes. Ecriture de labeur, de doute, de chancellement. La plume se raccroche à la page, qu’il faut creuser, buriner, tarauder. Et on sent le malaise d’être instable dans ses mots. Sans tenue. Ballotté. Bousculé.

 

Il y a dans l’écriture du trot quelque chose d’intenable. D’irréel. De funambule fou qui aurait perdu son balancier. Pour le cheval, le trot, n’est pas une véritable allure. C’est une allure de transition. Dans la nature les chevaux ne trottent pas. L’écriture du trot n’est pas une véritable écriture, elle vient seulement user la chair. L’encre bouillonne, et laisse de grosses taches d’inachevé dans la parole offerte, dans la parole écrasée. Et c’est de cet écrasement dont il faut ressortir. C’est là, dans l’impossible tenue qu’il faut chercher son centre. C’est là, quand les forces s’épuisent, qui faut tenir l’animal, tenir la voix, rassembler les mots avant qu’ils ne se brisent. Mieux encore, c’est surtout là, qu’il ne faut pas le blesser, avec des coups de mains sur les rennes, des trainées d’encre. C’est qu’il faut ne pas casser les dents de la monture par des gestes violents. C’est juste là, dans ce désordre qu’il faut trouver le reste de stabilité, et l’aplomb des mots et de la langue. Sentir leur poids et ne pas chuter.

 

Ecriture de chaos, de douleur. Apprendre à lâcher, quand l’instinct dicte à tous vos muscles de se crisper, de se raidir. Oui, je la connais bien cette écriture du trot, quand les mots s’écoulent de vos doigts gourds, comme l’eau d’une source d’eau trop pure.

 

Je connais bien ces brûlures du muscle du cœur qui pompe du vide pour s’extraire du néant. Alors enlever les étriers, et rajouter de l’instable au déséquilibre, accepter de perdre. De se perdre. Sans lumière et sans gloire. Sans soleil à traverser. Sans ciel à conquérir. Mot après mot. Et s’arracher à l’effondrement du corps. Et déraciner les silences.

 

 

Il est une autre allure de l’écriture, celle du pas. Du pas, droit et digne. Serein. Marcher " droit " en équitation est un acte plus compliqué qu’il n’y paraît. C’est une allure complexe, qui n’a rien à voir avec le relâchement ou la promenade. Marcher droit, c’est marcher juste. Il faut que les postérieurs du cheval viennent se superposer à l’empreinte laissée par les antérieurs. Ni trop avant, ni trop après. Ni à droite, ni à gauche. Juste dans l’empreinte. Et le dos droit. Cette justesse s’obtient, lorsque l’animal mobilise toute son énergie. Qu’il est, comme on le dit, dans l’impulsion. C’est à dire décidé à engager toute sa puissance sous sa masse. Et l’impulsion c’est cette volonté franche et directe de vouloir se porter en avant. En avant, mais juste. En avant mais contrôlé. Le mot tombe dans l’ombre du pas de celui qui le précède, chargé de sa propre densité et dans la toute puissance de la langue. Une langue souple, sans raideur. Vraie. Il faut avoir assez de folie dans le sang pour consentir au pas, droit. Droit dans sa vie, droit dans ses rêves.

 

La parole du pas est la dernière à venir. Parce que la plus difficile. La plus âpre. C’est celle qui demande le dépouillement. La mesure. C’est celle qui appelle les forces les plus grandes puisque les moins visibles. Il y a dans le galop l’illusion des soleils couchants. Il y a dans le trot, la douleur jusqu’à l’insupportable, jusqu’à la répugnance. Il y a dans le pas, le silence invulnérable d’une sagesse qui se déploie. Sans hâte. Sans chagrin. Simplement être là, avec l’animal, dans le travail de la langue, appelant chaque mot par son nom, par sa couleur ou son odeur, ou la trace qu’il laisse sur le bord d’un nuage, ou dans l’eau d’un ruisseau.

 

Ecrire le pas, c’est avoir traversé sa vie. Et mil fois être mort, pour renaître à chaque aube. C’est brûler sans rien incendier. C’est aimer sans regret. Et être dans cette impulsion de la parole qui cherche devant, sa récompense, simplement dans ce mouvement d’aller en avant, calme, dans l’équilibre des sons, des images, dans la retenue du souffle. Ecrire le pas, c’est supporter un soleil et les planètes qui tournent autour, c’est construire un monde pour l’offrir. Le pas s’invente à chaque pas. Il n’est jamais le même. Puis qu’il est consentement, puis qu’il est totalisation, comme le murmure, comme l’aveu, comme la prière.

 

 

Au bout de l’écriture, au bout des allures, il y a l’ultime stade. L’immobilité. Le cheval est là. Immuable et droit. Rien ne bouge, rien ne tremble en lui. Irrévocable. Toute sa puissance est là, mais rien ne la manifeste. Et le cavalier est immobile aussi, tendu dans la même présence. Ils sont ensembles dans la même absence de geste, de mouvement. Ils sont au travail. Ils creusent le temps. Ils sont dans la gloire immobile du soleil. Plus rien n’est nécessaire, sinon que d’être là, toujours là, habitant la même respiration. La force ne se dit plus, l’effet ne se montre plus. L’homme et l’animal sont désormais pétris dans la même intention. D’ailleurs il n’y a plus d’homme et d’animal. Il n’y a qu’une étoile. Qu’une seule étoile. Les gestes ne sont plus à faire puisque tout est là, puisqu’ils ont trouvés, ensembles, ce passage vers l’éternité, puisqu’il suffit d’un souffle pour que miracle vienne.

 

 

Au bout de l’écriture, au bout des allures il y a l’ultime stade. La parole rassemble tous ses silences pour l’ultime incendie. La passion. Défaire le mouvement avant qu’il nous défasse. Une fixité qui contient tous les gestes. L’incandescence.

 

 

J’ai souvent galopé dans ma parole. Inconstante et sauvage. Et j’ai dans le cœur des chevauchées éperdu. Mais j’ai dans l’âme le calme tendu du pas. Du marcher droit. Du marcher juste.Et je vais, de ce pas lent, cueillir l’extrême de l’immobilité, la pierre vivante du poète, la folle allure. Juste avant le jaillissement.

 

Franck.

 

(*) J'ai emprunté ce titre à Christian Bobin

14 octobre 2007

Ricochets......

Car ici, le texte invente la rupture de l’écrit. Chaque texte invente une fin. Invite la mort. Dans l’incessante répétition des jours et des textes. Avec ce triple meurtre du texte. Bien sûr, le texte tue celui qui le précède, mais il tue, encore plus sûrement celui qui le suivra, il tue, enfin, celui qui le produit.

Ecrire n’est pas une occupation.

Parfois c’est un destin.

A coup sûr une malédiction.

A force de mort en nous, nous inventons des temps étranges et des gestes déshérités.

Et la fin résonne depuis le début. Depuis la première nuit. Il n’y plus d’espoir. Qu’importe, puis qu’il y a de la littérature.

La littérature c’est ce qui efface les livres. C’est ce qui disparait. A chaque fois. Et c’est pour cela qu’on ne peut en dire rien. A cause de ce « à chaque fois ». Rien qui tienne en face du geste qui la crée et la détruit en même temps.

C’est l’histoire de l’humanité.

L’écriture se joue dans son effacement, elle n’est jamais plus présente que lorsqu’elle se retire.  Ecrire n’est rien, sinon le consentement à ce rien. L’infinie jouissance du désespoir.

Quelque chose se dérobe, ici.

Ecrire, hurle la vision étouffée. Comme si le ventre des mères manquait toujours à nos mémoires. Le langage s’arrête à la porte des sexes. Et nous écrivons la nuit, pour refaire le voyage. En vain. Pour le refaire quand même.

Nous venons d’une nuit désolée, sans mot pour la dire. Alors, la nuit nous écrivons pour appeler Eurydice. Chaque nuit nous allons la chercher. A chaque aube nous nous retournons. La parole ne peut rien dire de l’au-delà des sexes.

Ne reste que l’entre-deux rives. Le déjà parti et le pas encore arrivé. Le déjà plus là, et le pas encore là-bas. Je fais des ricochets sur la surface lisse d’un grand lac noir. Mais ma pierre si plate soit-elle, si bien lancée soit-elle, si courageuse soit-elle, sombrera.

Et les textes disparaissent. S’engloutissent.

Chaque texte invente une fin, en invitant la mort, cette mort océan, cette mort du ventre, celle de la nuit. Pas la mienne, mais celle de tous. Chaque texte invente un temps au-delà de sa défaite. Sa perte signe une absente. Qui veille. Elle connaît notre nom, et du fond des âges le murmure.

 

Cette nuit je tentais d’appeler son visage. Ses yeux, ses lèvres, ses cheveux noirs.  L’éclat tranchant de son regard. Et je n’arrivais à rien. Ma mémoire avait perdu sa trace. Déjà. Comme si elle avait regagnée le cortège des ombres. J’appelais ses formes, sa voix, la couleur de sa peau. Cette nuit je voulais son sourire. Seulement son sourire. Et mes efforts étaient vains. La nuit s’ajoutait à la nuit.

Des ricochets, jusqu’à épuisement.

 

Nous ne vivons pas de nos rencontres, mais de leur oubli. Toujours dans l’après coup d’un contre temps.

Et c’est pour ça que nous écrivons pour ajouter de la musique à ces rythmes cassés. Comme si la fin ne se suffisait pas à elle-même. Comme s’il fallait la dire, la redire pour s’en convaincre. Ou pour résister. Ou seulement pour continuer à aimer. En pure perte. Mais, aimer encore.

Franck.

20 octobre 2007

Ce qui reste.......

Nous naissons une seule fois. Nous mourons une seule fois. Entre les deux nous répétons. Nous répétons un instant qui ne reviendra plus. Nous répétons un instant menaçant. Nous répétons un instant auquel on ne croit plus et un instant auquel on ne croit pas. Entre nostalgie et terreur. La mélancolie. Nous répétons les gestes, les phrases, les séquences, les défaites. D’un instant dont on ne sait plus rien et d’un instant que nous ne saurons jamais.

 

Puisque c’est sans fin…..

 

J’ai reçu le monde dans un enchevêtrement absolu. Définitif. Une confusion. Un désordre. En fait, je n’ai pas été invité le jour de ma naissance. Ce jour là je n’étais pas là. Ailleurs. Déjà. Ils ont fait un paquet à mon attention, qu’ils ont déposé dans l’endroit transpercé de la vie. L’endroit ouvert à tous les vents. Ils l’ont laissé là, en attendant que je passe le prendre.

 

Et j’ai du oublier de passer. Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses.

Alors c’est sans fin, puisqu’il n’y a pas de lieu.

 

On vous plante l’enfance avec des clous. Comme le grand crucifié. Lui, le père, il n’aimait pas les enfants, pas plus le sien que ceux des autres. Elle, la mère était dans la déraison de son amour effondré. Ses vingt ans sont tombés sur le sol comme un sac de billes qui se déchire. Alors elle s’est absentée de sa parole, de ses gestes, de sa lumière, elle est devenue sa femme. Jamais ma mère. Elle lui a donné son temps, sa peau, ses cuisses, son ventre, mais son âme d’oiseau s’était déjà envolée. C’est une tragédie miniature. Tous les jours cela se passe ainsi. Une tragédie insignifiante. Une goutte d’eau qui s’éclate. Un rayon de soleil. Quelques éclaboussures de lumière, et puis, plus rien. Elle aussi, n’était pas là le jour de ma naissance. Personne. On ne peut pas habiter une planète où il n’y a jamais eu personne.

 

On vous plante l’enfance dans le sang, avec des clous. Des clous de silence. Les plus longs, les plus pointus. Ils rentrent facilement dans la chair de l’enfance ces clous là.

 

Car ils brassaient du silence, eux. Le père, la mère.  Les mots tombaient comme un verre qui se brise. Et les bords coupant des mots blessaient tous les rires, tous les élans. La moindre joie se tranchait la gorge sur les morceaux coupant des mots tombés, des mots brisés.

 

Dès qu’on marche, on apprend à passer de pièce en pièce dans la plus grande transparence et à déposer de temps à autre sa misère sur le sol. On jette des cubes ou des osselets, on ouvre un livre cent fois ouvert, on apprend à user chaque chose, chaque instant, chaque saison, on apprend l’attente vaine. Et les nuages défilent. Se font. Se défont. Au gré des vagues grises d’ennui, qui se déversent au creux des jours sans fin, où le silence règne en maître absolu.

 

Voilà, j’ai été condamné à rêver. A rêvasser, même. J’ai collé ma face d’enfance sur la vitre du monde et la buée de mon souffle à envahie mon horizon. Comme un brouillard entre le monde et moi. Un brouillard sur lequel mon petit doigt dessinait des formes absurdes, des signes cabalistiques, qui me permettaient de glisser, sans trop d’encombre, sous la surface âpre et rugueuse des heures.

 

Aujourd’hui encore, puisqu’il n’y a pas de fin.

 

Tous mes mots sont en vrac. Posés là. Je voudrais m’endormir dessus. Je voudrais qu’ils soient comme un tapis dansant, un matelas de paroles douces et aimantes. Je voudrais qu’ils s’ordonnent dans le sens de mon rêve. Changer de tristesse. Changer de ciel. Les prendre un par un. Toujours les même mots. Les regarder à nouveau. Les essayer dans une parole nouvelle. Les passer à la lumière du jour. Voir leurs reflets. Kaléidoscope de mémoire. Cendres. Parole en cendres noires. Scories des heures perdues. Des mots en formes de restes.

 

De restes.

 

Je les prends, je le reprends, les pèse, les soupèse. J’en cherche le centre de gravité. Je les mets dans ma bouche, pour en goûter l’amertume, l’acidité. Les peser, c’est bien là la question. Dire le bien, dire le mal ou ne rien dire. Ou redire, sans cesse. Les paroles du Bien n’ont pas de poids dans la balance. Sauf les gestes arrachés, dénudés, dépouillés.

Le mal est lourd et compact. Lui, il pèse. On cherche un instant de paix. Un seul instant. Mais l’on se noie dans la lenteur orgueilleuse des océans. Les grands édifices de l’espérance, drapés dans leurs manteaux solennels, sont à l’agonie et brûlent sur l’autel pétrifié de nos cœurs.

Rien, rien ne tient, même la chair humide des femmes n’adoucit plus l’absence, ni le désordre des mots. Ni le bien, ni le mal qui ronge. Ni l’oubli.

 

Il reste la grâce, qu’on confond souvent avec la lumière. Pour aujourd’hui il reste la grâce. La grâce, c’est marcher sur le fil des mots avec une ombrelle rouge. C’est se couper la langue et boire son sang après chaque mensonge. La grâce c’est écrire dans la neige pour l’éternité. C’est tracer dans le sable le visage de l’amoureuse, ou celui des dieux, et c’est le corps joyeux du papillon jouant dans les corolles transparentes du vent. La grâce c’est avoir le cœur percé, comme il existe des paniers percés. Le cœur percé qui laisse s’écouler nos offrandes. Pour ne rien garder. Rien.

 

Celle-là, portait la grâce comme un diadème de feu.

 

Je lui ai dis : Dieu sourit quand on lui désobéit avec le cœur pur, il sourit. Comme lorsqu'il surveille les enfants turbulents. Le désir pur, du cœur et du corps est une aubaine pour lui. Il ne se nourrit que de cela.

On reçoit par le cœur, mais par nos chairs aussi. Elles s'épanouissent et s'ouvrent comme des fleurs pour qu'on les respire. Et Dieu sourit quand c'est le temps des amours purs, et le corps se vide de nos maux inutiles, et du vacarme de nos paroles vaines pour faire une large place. Aussi large qu’un ciel, qu’un océan. Celle-là, portait la grâce comme un diadème de feu. Avec une gravité de reine.

Et je lui ai dit ces paroles de sable et de nuages, des murmures égrainé comme un chapelet.

 

Je lui ai dit : nous savons tous les deux que l'enjeu est ailleurs. Il ne s'agit pas de plaire, mais d'entamer ce qui résiste. Et quoi de plus dure que la parole. Que les mots.

 

La mer ne se lasse pas de ses vagues. Elle sait faire sortir du "même" l'infinie variété de la vie.

 

Nous connaissons le doute et la peur, et l'épuisement, et les rêveries douloureuses. Nous connaissons la solitude, ses joies, et ses misères. Ses silences, comme des nuits d'hiver. Nous apprenons la vie dans l'ombre qu'elle laisse, qu'elle oublie même. Nous vivons dans des restes de temps, et c'est pour ça que nous écrivons. Non pas pour témoigner du monde ou du reste, mais pour bâtir le monde et le reste. Nous sommes au début de la langue. Nous sommes à l'initiale...

 

.

 

Je lui ai dit : les raisonneurs, ne font que se dévoiler eux-mêmes, ils ne parlent qu'à eux-mêmes, ils ne parlent que d'eux-mêmes. Ils font peine à voir, à entendre, à lire. Ils sont la tristesse du monde. Mais qu'importe... Ils n'entament rien.

 

Du bruit, sur du bruit.

 

Je ne sais pas si l'écriture nous donne quelque chose, mais je suis à peu près sûr qu'elle nous en retire. Et en nous vidant elle nous rend à nous-mêmes. Et on n'en est jamais sûr, et c'est pourquoi on recommence, toujours. On continue.

 

 

 

Nous naissons une seule fois. Nous mourons une seule fois. Entre les deux nous répétons. Nous répétons un instant qui ne reviendra plus. Nous répétons un instant menaçant. Nous répétons un instant auquel on ne croit plus et un instant auquel on ne croit pas. Entre nostalgie et terreur. La mélancolie. Nous répétons les gestes, les phrases, les séquences, les défaites. D’un instant dont on ne sait plus rien et d’un instant que nous ne saurons jamais.

Certains écrivent, il faut bien inventer les mondes dans lesquels les autres vivent.

 

Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses. Des silences cloués sur le corps, par où s’écoule ce qui me reste.

Franck

26 octobre 2007

Un champ de neige.....

 

Recherche du lieu. Géographie impossible. Cartographie de nos vies, de nos actes. Impossible chemin qui s’enroule en forme de destin. Impossible traversée du sens. Besoin de nommer, de dire ce qui n’a pas de nom, ce qui n’a jamais été dit. Relevé cadastral dans le champ vacant des rêves, des désirs, du temps qui se déploie. Resituer les mots dans un espace, une localisation. Il faut les ancrer dans la chair vivante. Encrer le désossement de la parole.
Jamais rien n’est dit. Il faut s’en convaincre. Puisque la vérité se trouve dans l’entre-mot, dans l’entre-texte, dans cet élan de nous qui nous échappe et qui pourtant nous révèle. Sans nous. Dans notre absence même. Qui nous condense.
Qui nous recouvre. Linceul de la langue.
Hors-lieu qui s’agrippe aux parois vertigineuses de la mémoire.
Frottements des lieux impossibles sur l’arrête d’un temps impossible. La déchirure c’est le premier lieu, grand vortex pour cette traversée impossible.
Impossible comme l’ultime forme de notre devenir. Notre dé-présence. Notre dé-naissance.
Quand il n’y a plus rien, il reste le mouvement. Le seul mouvement. L’invisible mouvement. Comme le vague qui résume l’océan. Simplification. Insaisissable vague que rien ne fixe. Qui est là, sans être là, qui est déjà ailleurs. Mouvement incessant de retour, de redéploiement. Déséquilibre du vivant à la recherche de son centre, de son lieu fictif. Centre de gravité. Gravité. Grave. Comme la pesanteur de la joie.
L’écriture dessine les contours de ma peau. En creux. Par défaut. Et le vivant se révèle là, dans le silence. Un silence pochoir. Qui cache et révèle. Qui tait, mais donne à entendre.
Oppositions des formes pochoir qui se répondent à l’inverse d’elles-mêmes. Là, dans la béance. Lieu suture, lieu coupure.
Ici il n’y a pas de vérité. Seulement une résonance. Le corps qui résonne avec la chair des mots. Avec le mouvement. Le balancement des vagues dans le corps. Lent. Comme un labour profond qui trace les dessins de la cicatrice. Un labour qui va chercher la terre d’en-bas. La terre maudite. La terre noire. Celle des moissons futures.
Jamais rien n’est dit. Hormis le mouvement, l’élan vers une forme qui nous échappe toujours.
Les textes chuchotent entre eux. Ils se répondent dans un espace impensable. Pourtant. Textes. Sous-textes. L’espace de la déchirure. Lieu des métamorphoses. Les textes construisent une forme que je ne sais toujours pas. Une matrice invisible. Forme pure du mouvement. Comme si les bords de l’infini s’agrandissaient dévoilant des étendues nouvelles et des profondeurs étranges. Je ne peux que m’accrocher au mouvement, au seul rythme. Au brassage des eaux. A la scansion. A la stridence.
Sortir du ventre des mots, de leur chaleur, accoucher d’une autre respiration. Une autre chair. La déchirure, comme la forme pure de l’avènement.
Je suis sur la coupure. Juste là. A l’endroit où tous les mots ont été épuisé. Accepter cet épuisement. Consentir, à ce grand champ de neige, et aux cendres. Consentir à l’hémorragie. Lent cheminement du renouvellement. Marche vers l’aube. L’aube qui sacre la fin de l’épanchement de nuit. L’enfin, de la fin.
L’aurore arrache les derniers lambeaux de nuit, sa parole vivante ouvre sur un nouveau baptême, l’alliance rayonnante de la lumière et du printemps, noce du jour et du consentement.
J’ai traversé ce grand champ de neige, ni vivant, ni mort… autre…
J’ai traversé ce grand champ de neige afin que s’épuise le passé.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour que chaque mort trouve sa place. Sa juste place.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour rejoindre la rive des vivants.
Innocent de rien, mais le pas plus pesant. Comme la joie : grave. J’ai devant moi un océan et cette lumière qui troue les vagues, et ce mouvement vers l’aurore calme, comme un premier matin.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour blanchir ma parole et pour pouvoir l’offrir lavée, nettoyée, purifiée.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour changer de saison.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour ouvrir la déchirure. Pour la bénir aussi. Et l’aimer, puisque c’est le sens de demain. Puisque c’est le seul endroit habitable. Puisque c’est mon lieu. Le lieu des résurrections. La déchirure comme seule naissance possible.
J’ai traversé ce grand champ de neige enfonçant mes mots jusqu’à la perte du sens, grelottant d’effroi, glissant d’un vide à l’autre.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour voir fleurir un grand champ de blé piqué de rouge par le frissonnement des coquelicots, bruissant de bleu par la source d’eau claire….
Franck

 

25 novembre 2007

Les solitudes singulières.......

La solitude saharienne est singulière. Surtout au lever du jour. Le soleil monte et semble dire : « Tu devras la gagner cette journée, tu devras en sortir vainqueur ou accepter ta défaite. » Les aurores sont courtes et le soleil est dans sa simple évidence. Rien n'arrête ses rayons. Et la nuit s'efface comme si un dieu muni d'un chiffon nettoyait brutalement le ciel et la craie du matin.
Et c'est le jour.
L’incandescence.
J'ai toujours ressenti à cet instant du désert, une chute, presque un accablement. Comme si la lumière avait un poids, une épaisseur, comme si l'on trébuchait dedans. Comme une fatalité. La solitude est totale. Consistance. Elle nous désigne. Et le soleil l'éclaire encore un peu plus. Une solitude sans ombre. Solide. Crue. Nette. Incisive. Le Sahara, ce n'est pas les dunes exotiques ; dans sa grande partie, il est plat. Plat. Sans rien pour accrocher le regard. Plat. Vide. Immensément vide et plat. Une immense page blanche à écrire. Une page sans marge, sans ligne pour guider l’écriture. Avec des petits cailloux poser ici, ou là, jamais très gros. Des petits cailloux pour nous égarer un peu plus, pour nous perdre un peu plus loin.
Et les milliers de kilomètres qui nous entourent sont identiques. Le même, après le même. Le même, aplati sur du même. Le même aggravé du même. C'est un lieu sans lieu. Et le regard se gaspille sur l'horizon, il fait un tour et vous revient à l'œil. Dans l'œil. A l'intérieur de l’œil. Au fond de la tête. Dans toutes les fibres, pour faire blanchir le sang.

 

Le matin, au lever du jour, c'est là qu'il faut croire, croire intensément, comme un fou, car tout ce que l'on verra au cours de la journée est là. Quelque soit nos pas. Quelque soit la direction. Tout est là, depuis toujours.

 

Tout est là, comme après une catastrophe. Tout est posé sur la table. La vie et le désir qu’on en a. Et ce n'est pas un début. Là, dans ce plat écrasé, ce plat infini, c'est une fin renouvelée, un aboutissement. Plus exactement c'est un reste.

 

Le matin au lever du jour, on peut ressentir un accablement ou un découragement. Au sol, il n'y a pas de chemin, pas de talus, même nos pas ont du mal à froisser le sable. On est sans trace. On vient de nulle part. On ne va nulle part. On ne sait qu'être là, comme un reste, ou une méprise, ou un égarement. On ne peut que se rassembler encore plus, pour offrir le moins possible de prise au destin, aux menaces, aux heures. A la lumière. Au soleil. Et rien ne nous sépare vraiment de ses petites pierres. Rien. Et la page est trop grande, trop vide, et les livres ne s’écrivent pas dans les déserts. Aucune raison ne tient ici. Aucune intelligence, même la plus subtile, ne résiste ici. La pensée s'effrite, s'émiette comme ce sable, là, sous nos pas. Hors tout.

 

Le matin, au lever du jour, dans le Sahara africain, c'est un nouveau naufrage qu'il faudra vivre, sans noyade, sans vent, sans tempête. Mais un naufrage, avec cette peur d'étouffement par ce vide. Voilà, étouffer de vide. Trop de rien. Saturation de néant. De silence. Sourd de ne rien entendre. Car ici, les paroles sont inutiles, puisque tout a été dit, et que se taire s'est encore pouvoir résister. Un peu. Hors tout. Hors de toute signification. Et la banalité des mots est indécente, déplacée, seul l'instinct, seul l'instinct et la prière, peuvent regarder le soleil qui monte. Car il y a, dans chaque lever du jour, dans le Sahara plat, et vide, comme une impression de sacrifice, et le goût du sang colle au palais.

 

Le matin, dans le Sahara Africain, on est à l'aube du monde, sans famille, sans parents, sans amis. Ici, il n'y a pas de possibilité de racines qui plongeraient vers une mémoire profitable, il n'y a pas de ramures qui monterait au ciel, dans l'espoir de nous sauver, puisqu'ici le ciel n'existe plus, ou si peu, puisque tout est ciel, et qu'on ne redoute même plus l'enfer puisqu'on y est, noyé dans ce débordement, dans cet excès d'abandon, de distance, de manque, d'infinité. Rien, aucune image, aucun poème, aucune musique n'est secourable, rien n'interrompt ce trait strident qui perce les chair, rien ne protège, ni la lucidité, ni le rêve, rien, hormis l'hébétude et l'entêtement. Même aimer n'a plus de sens. Car ici, aimer, n'en a jamais eu. Aimer qui ? Aimer quoi ?
Car les chagrins sont morts au lever du jour, et les tumultes se calcinent, se sclérosent, et tout s'assèche, se parchemine. Au-delà de la mélancolie, au-delà des larmes et de la pitié, il y a cette étendue plate que nul vent ne traverse, qu'aucun son ne fait vibrer, qu’aucun oiseau ne traverse, seul le battement du cœur, seul le gonflement des poumons, signale ce qui nous reste de vie. Et même cela est encore de l'orgueil. Car aimer, ici, n'a plus de sens, et l'élan du sang se resserre jusqu'à n'être qu'un point perdu dans les veines, l'infime reste du passé, ou de l'espérance.

La solitude saharienne est bien singulière, comme une guerre sans ennemi. Ni le cri ne peut la dire, et la larme ne saurait où couler, tant l'étendue effare l'œil. Et l'ocre sale du sable tapisse la vue, et l'âme est lisse comme l'indifférence. Etre le grain, être poussière, être la pierre, ou le ciel, n'être rien, infiniment rien, sans peur, sans désir, n'être que le pur mouvement qui doit se survivre.
Et pas une parcelle de soi ne retient l'ombre. Que de la lumière, que de la lumière brûlante, pas un seul contre jour, pas un seul flottement de l'air, seul l'éclat brutal et sauvage du jour qui s'affirme contre votre souffle, contre votre vie.

 

Il y a dans le jour qui se lève, dans le Sahara Africain, comme un défi, et comme un déni. Ici, dans ce temps de l'aurore, aucune forme de peut naître, aucune danse ne peut s'exercer, aucun chant ne peut monter, seul l'instinct et la prière contestent l'inévitable. Seul le murmure contredit le silence, seul l'acquiescement rassemble assez de force pour conserver le vertical besoin d'exister.
Et renouveler le pacte tacite du sixième jour.
Le consentement.

 

Il y a, dans le jour qui se lève, dans le Sahara Africain, un enjeu qui concerne la grâce, l'extraordinaire puissance de la grâce, celle qui épuise tout, qui précipite tout, la chair et le sang, et qui terrasse et ruine tout orgueil et toute vanité. Ici, et seulement ici, chaque être est au-delà du péché.

Les solitudes sahariennes sont bien singulières, car ce qui sauve le jour c'est le crépuscule, et ce qui le sacre, c'est la nuit. Si la constance et l'obstination vous soutiennent jusqu'au bout du soleil, jusqu'au bout de l'immensité plate et vide, alors le crépuscule vous guidera vers la nuit.
Car ici, c'est la nuit qui délivre, qui défend, et souvent guérit.
Car ici, la nuit renouvèle la confiance. Elle est révélation, et vérité.
Car c'est la nuit, et la nuit seulement, une fois que le jour est vaincu, que l'œil et l'âme se reposent du vide et du néant. La nuit du désert est une nuit vivante, elle est à taille humaine, à la taille des rêves. Elle est la certitude.
La nuit dans le Sahara Africain, il y a comme une bataille gagnée, et le sang peut battre à nouveau.

 

Dans les nuits du déserts il n'y a pas de fantôme, pas de spectre pour nous hanter, et les étoiles sont là, et chacune est un mot qui n'a pas été dit, est chacune est une femme aimée, et chacune bat la mesure du temps, et chacune est prière exhaussée, promesse à venir.
Dans les nuits du désert les puits sahariens épellent leurs noms, ils mêlent leurs voix à celles des étoiles filantes.
La nuit, dans la lente respiration du ciel, le regard enfin borné par la multitude innombrable des astres tremblants, on peut enfin pleurer et vivre, et même mourir devient possible.

La nuit est là, ardente, presque blanche, elle est belle, et franche, et charitable, comme une miséricorde. Et c'est enfin le temps du chant, fragile, et invincible...
Les solitudes sahariennes sont singulières...

Ainsi de l'écriture et de sa solitude comme seule maison.
Ainsi de l’écriture et de sa nuit comme seul chemin.
Franck

1 décembre 2007

Les marées blanches......

Rester dans l'axe. L'axe de tension. Ne pas dévier. Se faire sourd aux rumeurs du monde. A la fois ne pas être dans le mouvement, et être dans le mouvement. Le perdu nous borde. Et le temps vieillit en nous.

C'est l'heure des marées qui montent avec leurs souffles de nuit. C'est l'heure des marées lancinantes, des marées blanches et bouillonnantes, c'est l'heure de l'eau souveraine.
Un autre mouvement.
Comme la mer.
Comme le perdu.
La mer et la perdition dans l'immense. Dans le même. Ce même jamais pareil. Du même qui se change en même. Du même qui s'enroule en vague à lame successif. L'infini ruissellement du même. Comme si la tension de se survivre était là. Dans cette répétition qui se dépasse un peu plus à chaque fois. Cette sursomption des actes et des jours, et des conséquences. Totalisation.

 

 

 

La marée n'est pas grosse, avant.
Avant, elle est une simple écume, un reste de houle. A peine l'ébauche d'une vague. Elle est un souvenir ancien qui s'est épuisé, elle est une mémoire fatigué. Au bout du rouleau.
Avant, c'est une simple écume blanche. Blanche. Pas encore une dentelle bouillonnante. Blanche. Simplement l'idée du blanc, avant qu'il soit blanc.

 

 

 

Au départ il y a tout un ciel étalé sur la mer avec les étoiles qui scintillent et qui flottent. Noces de la transparence, qui fait le blanc de l'écume, comme après la mort. Le corps saigné à blanc. Bercement infini du ciel dans les bras de la mer. Berceuse du temps qui passe « Do-din, do-dan, il est mort Bertrand, qui lo tùa c'est lo limaço, quo faï sa caisso, c'est l'homo d'aixe, son tro lou maigro, sa prièra quatre bergèra... do-din, do-dan.... » Dors petit bonhomme. Dors dans le blanc de la mère. Dors dans sa berceuse triste et blanche. Et Blanche. Comme l'écume de l'océan. Dors de ton sommeil d'écume. Dors dans le sein blanc et la parole blanche du lait. Dors dans l'écume des heures, dors. Dans le lait de la mer. Infiniment naissante, infiniment mourante. Comme la mère. Mourante et blanche. Posée comme Ophélie dans le lit blanc. Blanc de mort. Dors... Avant, elle est une simple écume. Après, c'est un tonnerre, la mer. Et qui s'offre l'abondance illimitée des possibles. Toujours identique et jamais pareil. Ne pas dévier, rester dans l'axe de la marée. Ne pas dévier de l'axe du désir. Comme lorsqu'on marche sur les eaux. Irréfutable et fragile. Comme l'enfant qui dors. Là, dans le bruit des vagues. Sur la peau blanche de la mère morte.

Je suis la source qui rêve d'océan, un océan qui s'essoufflerait à tirer ses marées. Je suis dans le mouvement de l'eau. Je flotte. Je me noie. Je dérive. Je déluge. Je cascade de mots. Je déferle. Je reflux. Je larme. Même ma terre est de l'eau. Même mon sable s'écoule. Je suis une île entouré d'îles. Je suis une eau entourée d'eau. Je vague, imprécise et confuse. Vague comme une brume lascive. Et je pluie, et j'orage, et je source. Ruisselant, coulant, ravinant. Mon univers c'est l'eau, mon ciel est d'averses, mes nuages sont gorgés de torrents de tristesses et mes jours s'évaporent comme l'eau des étangs. Je suis un océan dans l'axe de mes marées, en mon centre une source. Si mes rêves se condensent, c'est l'Amazone qui passe saturé de boues grasses et fertiles où l'opaque et l'obscur s'accouplent aux puissances invincibles du courant.
Monte ta marée, petit bonhomme. ! Une de plus. Courage ! Vas donc chercher ces rouleaux de mémoire, et déploie-les, va plus profond racler le fond de l'océan, vas, n'hésites pas, prends les plus lourds s'il le faut ! Prends les plus tristes, n'oublie pas les plus beaux ! Vas chercher ta marée dans le fond de ton ventre ! Dans le fond de son ventre. Vas ! Tu es l'infiniment vivant, l'infiniment mourant, tu es dans le bercement des mers qui se disent et se redisent jusqu'à l'ultime bord où le ciel agonise dans les flots.

Qu’y a-t-il sous les eaux des mères mourantes si ce n'est de grands pans de ciel ornés de quelques étoiles ?
Qu’y a-t-il au fond des mères si ce n'est le sommeil d'un enfant ?
Qu’y a-t-il dans mon balancement si ce n'est un appel ou un cri, le triste mouvement, infiniment vivant, infiniment mourant, infiniment pleurant dans les os de sa mère ? C'est l'heure de la marée blanche et écumante. C'est l'heure d'appeler la nuit et ses mystères, c'est l'heure de vouloir un peu plus fort, un peu plus loin. C'est l'heure blanche des marées. Blanche comme les ailes déchirées d'un grand cygne mourant. Blanche comme les flammes qui brûlent ma prière. Blanche comme l'aveu d'un aveu. Blanche comme la peau avant l'amour dans le silence à peine froissé des caresses. Blanches caresses, et lentes houle des chairs qui s'offrent au blanc du désir blanc. Montes-la ta marée ! Un peu plus de courage ! Dans chaque mouvement, c'est du temps qui déferle, dans chaque éclatement c'est l'amour qui se dresse, dans chaque écoulement c'est ton corps qui réclame, dans chaque déchaînement c'est des liens que tu brises. Et se dire, oui se dire, tout au bout, tout au bout des marées, je suis un homme vivant qui montent ses marées, infiniment vivant, infiniment mourant, et qui le soir venu, pose son front au sol et peut dormir en paix.

 

 

 

Le plus souvent nous ne parlions pas. Il y avait comme un rituel des visites dans sa chambre. Nous nous succédions. Un par un. Il y avait la chaise à coté du lit, pour ma grand-mère. Sa mère. La chaise des larmes sèches. Et puis il y avait le fauteuil, pour l'autre grand-mère. Le fauteuil des histoires. Elle disait « Maman, racontez moi une histoire.... ». Elle appelait sa belle-mère « maman ». Ca se faisait, avant. Claire savait raconter les histoires. Une conteuse sans le savoir. Claire avait la voix haut-perchée et le rire éclatant. Et le sens de la dérision, comme celui de la fatalité. L'arthrose lui avait tordu toutes les articulations, les pieds, les genoux, les hanches, les doigts. Pas le cœur. Et puis elle avait Georges, comme si sa croix n'était pas assez lourde. Georges le fantasque, l'iconoclaste, Georges le poète des arbres et des animaux. Et Claire comptait plus sur sa canne, que sur Georges. Alors le fauteuil c'était mieux pour elle. Et Claire avait toujours une anecdote à raconter, dans une auberge il se passe toujours quelque chose. Toute une humanité défile dans une auberge. Alors Claire racontait. Maman écoutait. Souvent quand elle riait cela déclenchait des quintes de toux. Heureusement elle ne riait pas souvent, sauf avec Claire. Les autres s'asseyaient sur le lit. Elle ne tenait plus beaucoup de place dans ce grand lit. Elle ne froissait même plus les draps. Elle n'avait déjà plus de pesanteur dans ce monde. Il neigeait. Dehors il neigeait. Sans joie, l'effritement lent du ciel qui arracherait ses dernières peaux. Confettis de silences glacés. Presque trop lourds au regard. Noël approchait. Il neigeait. Dans sa chambre la chaleur était étouffante. Les carreaux étaient recouverts de condensation, comme un voile de petites perles opaques et tristes. Parfois je passais ma main sur la vitre et je voyais la neige, et l'immense tilleul. Et derrière, les ronflements, les raclements de sa respiration. Je sentais son regard sur moi. Mais souvent nous ne parlions pas. Parler l'épuisait. Alors il fallait choisir les bonnes paroles à dire. Ne pas se perdre dans les détails. Pour le reste, les regards devaient suffire.
Sa main était posée sur le drap. Sa main. Ce qui reste d'une main, une fois que la chair, et le sang l'ont quitté. Ce qui reste d'os et de craquement. Avant ses mains étaient magnifique, plus jeune elle avait été manucure, et après, esthéticienne. Alors les mains, elle connaissait. L'entretient des ongles. Limage, ponçage, gommage. La petite navette de daim qui me fascinait tant enfant, et qu'elle utilisait pour faire briller les ongles. Le petit bâtonnet de bois, pour repousser les peaux, les pinces en tous genres. Les vernis, les couleurs, les odeurs d’acétone. Elle s'appliquait sur chaque doigt, à colorer, à peindre sans déborder sur la lunule. Sa main était posée sur le drap. Et je n'osais pas la prendre. Elle semblait si fragile cette main. Il fallait la pommader pour que les os ne crèvent pas la peau froissée, fripée. Et les veines gorgées d'un sang noir et lent et brûlant. Et noir. Tes pauvres mains maman. Qui ne savent même plus prier, sinon être là encore un peu. Il neigeait. Et la neige en tombant recouvrait l'immense coupole chauve de l'immense tilleul. Et notre immense tristesse. Silencieuse.

De la mort blanche qui avance à pas mesuré, certaine de sa victoire, lent traineau sur la neige. Elle a déjà pris tes mains et ton visage. Sauf tes yeux maman. Sauf tes yeux. A pas mesurés sur cette plaine blanche, ou chaque jour fait la trace plus profonde comme des veines vidées de leur sang.

Pendant nos instants, je restais assis sur le lit à coté de toi. Et nous nous regardions, vidés de nos paroles, vidés de la langue qui aurait pu les dire. Il est des pays trop froids pour que les mots adviennent, il est des heures trop fragiles pour porter la voix. Il est des instants trop blancs. Alors il restait le regard dans lequel on serrait chaque seconde comme des fruits, qui déjà, auraient donnés tous leurs jus. On était dans ce pays lisse et froid, sans borne, sans lendemain, sans attente. Sans rien. Lisse et froid, comme du métal. Quand l'attente à déjà rendu l'âme. Il neigeait maman, et cette neige nous la mangions en silence à nous en faire casser les dents. Mais en silence, puisque ce pays de la chambre où nous étions, était inhabitable.
Parfois je t'aidais à t'asseoir. Mais tu ne tenais plus. Chaque articulation semblait se disloquer, j'en profitais pour prendre tes oreillers et je tapais pour les regonfler. Et ton corps se déposait, à nouveau sur eux, sans les déformer. Et ta main d'os se posait sur ma figure, que tu touchais comme pour la reconnaître une nouvelle fois, et je sentais les tremblements de ta vie, et je sentais les tremblements de la mienne, maman. Nous n'étions rien de plus que ces tremblements. Et ces soupirs à peine soufflés, dans ce temps arraché, calciné, dévasté. Car chaque seconde nous était volé et il fallait en gagner d'autres, et il fallait en trouver d'autre pour avoir la force de trembler encore. Il neigeait, maman. Et la blancheur se dessinait sur ta peau comme en transparence. Tu étais ce vaste champ de neige au-delà de la mort. Et je voulais mourir de ta mort, aussi. Tu comprends, maman. Mourir avec toi, dans la blancheur de cette neige qui tombait comme un sacre. Le plus souvent nous ne parlions pas. Tu voulais simplement que j'approche ma tête pour que tu puisses poser tes lèvres sur mon front. Tu voulais ma chaleur, et je prenais la tienne. Combien de fois nous avons fait ces gestes pour se dire sauvé, un tout petit instant, de nos déchirements ? Ma tête bercée entre tes os, ma tête sur ta poitrine essoufflée et pantelante. Ma tête posée sur cette horreur sublime. Sur cette neige épuisée, qui n'en fini plus de tomber sur nos vies. Dans le délabrement silencieux du ciel, et de cette chambre surchauffée par la fièvre du temps dans ses ultimes bruissements. Il neigeait, et dans le grincement du parquet on entendait les clameurs d'une autre rive ou les foules vont en cortège se perdre dans les champs d'asphodèles. Chaque regard était un froissement de plus, et la pâleur des sourires disaient de long gémissements, ceux qui vont en glissant sur les étendues neigeuses, au-delà des fleuves, au-delà des déserts, bien après nos vies et nos lamentations, comme les longues supplications qui tombent dans l'oubli.

Il neigeait et nous étions dans cette intimité silencieuse et brûlante, à veiller sur nos morts inlassables, nos morts en infusion dans chaque grain de lumière, dans chaque bouffée d'air qui te manquait peu à peu. Respirer, une fois sur deux, une fois sur trois, une fois sur moi, respirer de temps en temps, de moins en moins souvent, jusqu'à très rarement, jusqu'à ces instants où le feu de tes yeux vacillait, proche du noir, avant de repartir avec l'hésitation d'un animal blessé. Les étoiles aussi, respirent mal, maman. Je le sais, je les ai vu. La nuit, on les entend hurler, on entend leurs souffles rauques, et chuintants. Respire encore, maman... encore... encore une fois.
Il neigeait, sous nos peaux, il neigeait sur cet immense tilleul aux milliers de ramures noires, noires comme un immense poumon mort, soufflant encore son sang et ce qui reste de vie dans cet instant du soir.
Il neigeait, pour adoucir la chute que fait l'âme en tombant au fond du corps. Il nous fallait aller à l'essentiel, au plus direct, bien après toutes les questions. Et rassembler le tout de la vie, en des mots de rien.
Tu aimais ma lecture, parfois hachée, des poésies que je te lisais. Et ma voix chevrotait légèrement, et tes yeux embrasait cette chambre, et cette chambre allumée jour et nuit, éclairait cet immense tilleul, et la neige qui tombait.
« Pardonne-moi... pardonne-moi mon grand... » Ce sont les derniers mots que tu m'as adressé. Et j'ai serré l'os qui caressait ma joue comme le trésor le plus fragile qui n'est jamais existé. Il faut porter le pardon des morts. C'est lourd. Mais c'est plein de lumière. C'est lourd comme la neige qui tombait et qui au loin faisait un bruit d'enfer.
Comme la neige, qui tombait.... Qui tombait... Dessinant dans la nuit, pour ton corps si étroit, un si grand escalier, qui montait... qui montait...comme la dernière prière que je n'ai pas su bien faire.... Tout là-haut... par delà les nuages....
Derrière la nuit.

 

 

 

Il faut porter le pardon des morts. Le porter en silence sous les grands tilleuls et les déposer sur la neige blanche pour que vienne le printemps.

 

 

 

Qu’y a-t-il sous les eaux des mères mourantes si ce n'est de grands pans de ciel ornés de quelques étoiles ?
Qu’y a-t-il au fond des mères si ce n'est le sommeil d'un enfant ?
Qu’y a-t-il dans mon balancement si ce n'est un appel ou un cri, le triste mouvement, infiniment vivant, infiniment mourant, infiniment pleurant dans les os de sa mère ? C'est l'heure de la marée blanche et écumante. C'est l'heure d'appeler la nuit et ses mystères, c'est l'heure de vouloir un peu plus fort, un peu plus loin. C'est l'heure blanche des marées. Blanche comme les ailes déchirées d'un grand cygne mourant. Blanche comme les flammes qui brûlent mon oraison. Blanche comme l'aveu d'un aveu. Blanche comme la peau avant l'amour dans le silence à peine froissé des caresses. Blanches caresses, et lentes houle des chairs qui s'offrent au blanc du désir blanc. Montes-la ta marée ! Un peu plus de courage ! Dans chaque mouvement, c'est du temps qui déferle, dans chaque éclatement c'est l'amour qui se dresse, dans chaque écoulement c'est ton corps qui réclame, dans chaque déchaînement c'est des liens que tu brises.

Et se dire, oui se dire, tout au bout, tout au bout des marées, je suis un homme vivant qui montent ses marées, infiniment vivant, infiniment mourant, et qui le soir venu, pose son front au sol et peut dormir en paix.

 

Franck.

5 décembre 2007

Asphyxie.....

Revenir sur l'errance. Comme une boucle infinie. Un sentier qui perd sa trace. La route s'absorbe dans la fin d'un rêve. Dans les glissades de la fin d'un rêve. Partir sans jamais arriver. Puisqu'il n'y a pas de lieu. Jamais. Sinon les lieux de la route empierrée de l'âme. Sinon les chaos des heures et la défaite des jours.

 

J'ai mis le ciel dans mes yeux, au plus près de mon sang. J'ai fait briller des étoiles au plus près de mon ventre. Et il m'est arrivé de prier des dieux en exil. Et j'ai soufflé dans les couleurs des fleurs pour éclairer ma nuit. Je crois même avoir pleuré, certains soirs, sur la peau de quelques souvenirs. Et j'ai surtout jeté des mots au hasard.

 

Faire de l’égarement le seul chemin, le seul recours.

 

Sur la route de l'errance il me faut sans cesse passer entre deux grandes statues. La blanche et la noire. L'amour, et l'insondable solitude, et consentir à ne pas entendre leurs chants, et consentir à baisser les yeux pour ne pas brûler les derniers souffles. Baisser les paupières du cœur pour appeler à mon secours les silences du pèlerin.

Et consentir, comme un adieu aux armes vaines.
Avancer les paumes ouvertes, les paupières baissées.

 

Ici, c'est une mer de verdure sévère. Une verdure de tempête. Une verdure de gros temps. Les bois viennent mourir dans les champs en écumant leurs dernières branches. Sans rage, mais dans la puissance sereine des grandes marées. Des embruns de verdures s'éclatent dans les deniers rayons d'un soleil d'automne moribond. Un soleil épuisé de ses feux. Appauvri de sa gloire. Au bord du naufrage. Lui aussi voudrait prier. Lui aussi voudrait consentir. Et ses forces se résignent. Alors il abandonne une lumière pale et pauvre. La lumière des fins et des promesses déshabillées.

 

Je suis ici le temps d'une escale. Entre deux vies. Entre deux souvenirs. Comme aux temps des oasis et des déserts. Je suis dans l'entre de moi-même juste au- dessus de l'os. Que je voudrais curer une dernière fois. Le blanchir de mes mots. Encore.

 

Ici c'est une verdure immense, massive, impossible à décrire. Un paysage peint au couteau avec de larges trainées de couleurs épaisses. Des monts, des vallons comme une grosse mer houleuse. Je flotte.
C'est quoi flotter ?
Le flottement, c'est toujours le risque de l'errance, c'est souvent être rejeté sur des rivages inconnus. Le moment entre les lieux. Même entre les lieux du corps. Dans l'absence de soi. Dans ce mouvement qui tire vers l'extérieur. Dans un lointain. Dans un lointain sans forme, sans borne. Comme une chute. Je flotte dans un mouvement inconnu d'où ma voix ne sort pas. C'est un silence cassant comme l'oubli. Ce n'est pas un exil. Le flottement c'est un oubli. L'exil nous tient dans la tension, la colère, le ressentiment, la trahison, l'injustice. L'oubli n'a pas de forme. On est sans lieu, sans autres. Suspendu. Vidé du sang. Bousculé par les mouvements erratiques des heures, des humeurs, des regards. Comme une hémorragie, une perte de substance. Et cette envie d'hurler, de crier. Et toute cette ré-ingurgitation comme s'il fallait ravaler sa vie. Chaque heure, chaque jour. Là. Dans ce lieu hasardeux, sans frontière. Et l'on voudrait appeler, s'ancrer dans la chaleur d'un regard. Mais le flottement est un lieu qui n'existe pas, où nul ne peut vous voir… Sans secours.

 

" A quelle station tu t'arrêtes ? "  " Là-bas... Plus tard...L'autre, là-bas... " " La prochaine ? " " Non, jamais la prochaine.... Mais l'ultime, l'extrême. Je suis de la dernière station, de celle qui vient après toutes les autres. Au-delà des voies... Là où nul passager ne monte. Je suis du pays des landes, des bruyères froides du cœur, des grands champs de neige, des océans glacés, et mon ciel est traversé par le vol singulier des oies sauvages qui vont vers le nord. "

 

Pourquoi cet effondrement, cette coupure, ce glissement des chairs de l'œil et de l'âme, ce frottement de l'absence sur les mots de la langue, et cette parole qui ne sait plus s'arracher ?
Ici, dans cette verdure brutale, il y a quelque chose d'écrasant. Une présence absolue.
Alors je marche. Pour m'arracher au flottement je marche. Je marche, comme j'écris. Pareil. Pour retrouver le corps et le souffle. S'immerger dans ces forêts grandioses. Comme écrire. Pareil. Le corps qui s'arc-boute dans l'épuisement des muscles. Comme ces mots déterrés, extraits de mes restes. Le corps qui retrouve sa puissance. Sa rage vitale. Sa survie dans la douleur des muscles asphyxiés. Comme la prière offerte aux lèvres d'un mourant. L'extrême tension du corps. Ces noces obscures du silence et de la solitude. Marcher sur ces pentes infinies couvertes de forêts drues. Comme écrire. Souffrance primitive et sauvage du corps dans le vrai sang des muscles. Souffrance sans recours. S'arrêter. Continuer, trouver la limite. Etre dans la limite. Et au-delà. Ces marches épuisantes ne sont plus un effort, mais une lutte.
Comme écrire.
Quelque chose se rassemble, là, dans un instant qui efface tout. Tout. Monter encore, pour finir. Rechercher la pente la plus droite, la plus éprouvante, la plus absurde. La plus féroce. Comme écrire, et rechercher le geste le plus droit. Maintenant mes pieds, mes mains s'accrochent. Mes genoux aussi. Ne pas glisser. Ne pas perdre les mots et leurs lumières. Coller à la paroi de cette montagne. Coller aux battements du cœur et du sang, toujours, qui jaillit dans mon corps. Comme écrire. Tendre. Projeter mes membres vers une douleur plus grande, plus absolue sur la pente. Le corps collé. Hors de moi et totalement moi. Dans la rage. La colère. S'arrêter. Impossible. Fixer un point là-haut, pour y jeter ce qui me reste de souffle. Même la mort est vaincue dans cet effort insensé. Simplement l'instant qui rassemble tout. Qui aggrave tout. Tout ce qui restait au fond de ma mémoire. Etre dans l'instant du premier geste. Du seul geste. Comme la phrase qui s'arrête parce qu'elle attend du silence une consécration. Fixer un autre point. Un arbre, une pierre, une branche, une souche. Et toujours la rage pour survivre à l'essoufflement, au feu du corps. A l'incendie qui brûle ma tête et ma poitrine. Comme écrire. Comme aimer. Et gagner une fois de plus sur l'errance et le flottement. Comme écrire.
Comme aimer.
Et maintenant le sommet. Et son ciel.
Et maintenant le sommet, et son ciel, comme un port après la traversée des mers. Comme un port qui sacre le voyage.
La fin sans la fin. L’arrivée qui invente un retour.
Un possible.

 

Comme écrire ou prier. Ou simplement pleurer comme un enfant. Sans raison. Sans saison. Seulement à cause de la lumière et de cette joie incoercible d'être en vie. Le corps détruit de souffrance mais rayonnant d'avoir survécu à l'asphyxie. Comme écrire. Comme écrire.

Franck.

8 décembre 2007

Les contes de la fin.......

La fin a toujours le même goût. La même forme. Presque les mêmes mots. On est dans le mouvement de la fin, dans le repli. Une éclosion à rebours. Un rétrécissement. Et chaque heure est une ride de plus au jour. Dans la fin, il y a quelque chose de métallique, cela ressemble à un cuivre usé, sali, verdi par les moisissures qui remontent les chairs. Jusqu'au fond de la bouche. Une éclosion à rebours. Comme la mer qui ravale ses vagues, une à une, pour les reprendre, et les enfermer dans l'immense coquillage du temps. Tout s'absorbe. Avec lenteur. Avec certitude. Avec entêtement. Presque avec acharnement. Comme si pour atteindre la mort il y avait des peaux à enlever, des écorces à briser. Un éventrement à parfaire. Des lenteurs à honorer. Déciller le rêve.

 

Je lui disais, tes absences sont mes jours les plus clairs, et tes silence sont mes plus beaux poèmes, et t’attendre c’est vivre plus longtemps, et t’espérer c’est ressusciter mille fois.
Je lui disais, donne une flèche à ta cible, donne une tige à ta fleur, donne de la chair à ta chair, donne ta coupe à mes lèvres, donne mes mains à ta prière. Oui, prends mon souffle, prends ma voix, prends mes jours.
Je lui disais, c'est le temps où l'acte s'invente à nouveau, comme une première fois, ou comme la seule fois.
Je lui disais, soit là, sans passé et sans nom. Simplement là, couverte de ton plus beau frisson. Et que nos cris fleurissent, eux qui n'articulent plus la langue, puisque rien ne pourra plus se dire, puisque tout est advenu. Maintenant.
Je lui disais……

 

Dérision des paroles. Les mots dansent la carmagnole sur nos cercueils. Avant de les sceller.

 

Je tombe à l'intérieur de mon corps. Lente chute. Comme une extase. Noire. Infiniment noire. Faire taire pour ne plus s'entendre. Je sais ces océans vides. Glacés de silences obscurs. Un infini vidé de son élan, de son mouvement, et qui n'offre pas même un pli, pour cacher ma propre honte. Un infini bordé de tessons de bouteille. Pour déchirer le rêve, comme la poche des eaux. Vie dérisoire après l’inondation.
Il y avait un fleuve, il y avait la mer, à la place la peau craquelée du songe et cette entaille brune et ocre qui remonte la large cicatrice de nos terres désertées.

 

Dérision des paroles. Verre brisé. Verre pilé. Crissant à chaque souvenir. Il y avait un fleuve. Il n'en reste qu'un rêve ténébreux. Une trace rougie de silences.

 

Je sais des voix peintes au minium pour cacher la rouille qui les ronge. Je sais ces corps qui ont soif à la place du cœur. Je sais ces chairs qui aiment se monter et s'ouvrir dans le jus de leurs désirs. J'ai eu le temps de connaître la bas, le vil, le monstrueux. Tous les chemins de croix se ressemblent, tous ne permettent pas de ressusciter.
Dérision des paroles quand les actes les maudissent. Dérision de la vie quand la mort la maudit. Oui, je sais tous ces mots qui tissent les chaînes. A chaque maillon un mépris de plus, et même dans leurs silences la violence continue à se dire. Surtout dans leurs silences. Lourde chaîne qui pèse sur la langue de celui-là ou de celle-là. Sur la mienne.
Et chaque mot est l'image d'un spectre.
Et chaque phrase un marais bourbeux.

Comme si les mots excusaient les actes.
Il faut beaucoup de mots pour faire taire les silences honteux.
Il faut beaucoup dire autour, pour avoir l'illusion d'effacer le centre.
Le centre.
D'où la voix s'échappe.
Et qui dit nos intentions plus que nos tristes vérités. Malgré nous.
Puisque les vérités du jour sont les mensonges de demain. 
L'éternel recommencement de la fin.

 

 

Et il me fallut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Le juste balancement de la vague. Retrouver la marche sur le fil tendu entre mes rêves et la réalité. Il est temps de se séparer de l'inutile pour renouer avec l'essentiel. C'est-à-dire le pauvre. Le nu. L'évident. J'ai trop perdu de temps à suivre des routes qui n'étaient pas les miennes, ou des jupons trop courts sur des cuisses trop légères.
Espérant l'impossible parce qu'il était impossible, en mettant du symptôme au cœur même du désir. Je suis las de moi et de mes errances vaines. De mes amours adolescents sans issue. Je suis las de ce cortège d'ombres qui traverse mes nuits. Je me suis tant perdu à vouloir l'impensable.
Il est temps de laisser les morts aux morts et de souffler sur ce qui me reste de vie. Je suis las des trahisons, des promesses sans lendemain. Je suis las, infiniment las des bassesses, des veuleries, de ceux qui parlent trop fort, dans des écritures trop pleines, sans espaces, sans attente, sans espoir.

Au départ, tous les chemins se ressemblent, on marche insouciant la tête en l'air et les mains dans les poches. Et c'est bien après, qu'on s'aperçoit que l'on s'est trompé. On est très engagé, on est même perdu. On s'entête, on s'obstine.

Alors, il me faut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Petit Poucet recherchant ses cailloux. Un à un remonter le souvenir à travers mes forêts. L'endroit exact où les chemins ont basculé, où les pas se sont égarés. Remonter au premier caillou.

 

Qu'elle est la dernière question avant le premier caillou ? Avant. Juste avant. Avant les premières morts et les premières nuits cauchemars. Avant l'obscure. Avant la fin. Il y a forcément un fil qui tient tout cela.

 

C'est l'histoire de tous les contes, le héros se morfond et s'ennui, alors il quitte sa maison, son pays, il veut voir le monde, le vent, et aimer toutes les femmes, il veut sentir son sang lui brûler les veines, il veut être roi, prince, poète, capitaine, jardinier, il veut la richesse, les honneurs, les amours, il veut les plus hautes montagnes, les déserts les plus vastes, les océans les plus dangereux.
Alors il part sur les routes, sur toutes les routes. Et il court. Et il s'épuise. Et il s'ennui. Et il s'ennui toujours. Et le monde s'est rétréci, et la princesse était une souillon, et il ne fut pas capitaine, à peine sergent, et il ne fut pas poète, à peine s'avait-il écrire, et il ne fut pas jardiner toutes ses roses se fanaient, et ses montagnes ne furent que des collines desséchées, et ses déserts de pauvres landes arides et ses océans quelque mares aux canards. Et ses rêves s'usaient.

C'est l'histoire de tous les contes.
Alors il s'en revint. Il revint au lieu de sont départ.
Et plus il se rapproche, plus il se sent léger. Léger mais triste. Et plus la marche lui semble douce, plus il se met à pleurer. Plus il se rapproche, plus il se dépouille de ses manteau d'illusions, et plus il est nu, et plus il se sent riche. Riche mais perdu.
C'est l'histoire de tous les contes.

De retour dans sa maison, il est de retour en lui-même. Il s'habite de nouveau. Il est à l'heure exacte de lui. Mais il ne le sait pas. Pas encore. Il est sans fard. Sans impatience. Sur le chemin, devant sa maison, une voix l'interpelle : « Tu ne me reconnais pas ?... Tu te moquais de moi, il y a longtemps...tu voulais conquérir le monde, et moi, tu ne me regardais pas... tu voulais des princesses, des richesses.... Alors la pauvre Manon, tu ne la voyais pas... Et pourtant tu es là, maintenant, où sont tes princesses ... où sont tes richesses ? Qu'as-tu fait de ta vie ?»
C'est l'histoire de tous les contes.

Manon tenait dans bras un enfant d'une blondeur de blé tendre. : « Ma richesse, à moi, elle est là.... à user tout mon temps dans cette terre d'enfance, à labourer chaque jour un peu plus profond cette terre d'espérance faite de chair fragile... et qu'as-tu labouré, toi, durant tout ce temps ?  Ta famille avait un champ, regarde les ronces, les taillis le recouvre... Mais si tu veux, je t'aiderais...mon époux est parti, lui aussi, alors je t'aiderai.... mais d'abord aide-toi....commence à creuser ton sillon. Creuse la terre, ou le ciel, mais creuse. Creuse ce qui est à toi. Creuse au centre de ton désir. Creuse et ne te relève pas. Creuse ton champ ou le ciel, creuse le chant ou la prière, mais creuse sans t'arrêter. Creuse droit. Dans le sens de ta vie. Vas toucher l'os derrière tes chairs molles. Et je t'aiderais.... »
C'est l'histoire de tous les contes.
Il se leva et il creusa.
Longtemps.
Profond.
Un jour il dit à Manon : « Vient là, viens voir.... »
Ils sont devant le champ tout retourné, tout labouré. Avec la terre noire qui fait des boursoufflures, comme des cicatrices.
Il déplia un petit mouchoir. « De mes errances j'avais gardé quelques morceaux de rêves, ils sont en poussière maintenant, mais c'est ce qui me reste. Ces quelques cendres grises. Un rêve c'est comme une étoile, c'est loin et cela brille quand il fait nuit. Un rêve c'est silencieux, comme une étoile. Mais les rêves meurent comme les étoiles. Voilà ce qui me reste. Voilà ce qui reste de mes élans, de mes tentations, de mes peurs, de mes larmes, voilà ce qui reste des chemins que j'ai parcouru. Regarde, comme c'est pauvre. Regarde cette poussière de vie comme elle est fragile et triste. Comme ces étoiles qui meurent en silence et dans l'indifférence du temps et de l'espace. Voilà, tout est là... Alors si tu le veux, maintenant que cette terre noire est toute retournée, maintenant qu'elle est prête, nous allons semer ensemble. Et je crois que ces rêves là, sur cette terre là, sauront donner de belles moissons. La cendre des rêves est un bon engrais.
C'est l'histoire de tous les contes. Au départ on est là, dans l'ennui et le désespoir de nous-mêmes. Après l'on quitte sa maison, laissant tout en désordre. Sourd, aveugle, remplis de soi et d'orgueil. Et plus l'on s'éloigne, plus l'on se quitte. Mais on ne le sait pas. On est dans la distance de soi. Et puis un jour, au détour d'une aventure malheureuse, on comprend. Alors on consent.
On consent à ce retour vers le centre. Vers le lieu. Vers le seul endroit de soi habitable. Là où l'on est nu, et pauvre.
Mais entier.
« Tu vois Manon cette poussière, c'est ce qui me reste, et cette terre noire sera grosse de ces cendres. Et le noir de ce champ, sera demain l'or d'un blé. Et le pain qui cuira aura la saveur des aurores... »

 

Les contes naissent dans la nuit c'est pourquoi on les murmure. Ils ont besoin de la pénombre d'une flamme. Ils ont besoin d'accrocher leurs mots au rouge sang d'un feu ardent.
Ils ont surtout besoin de notre écoute, de notre attente...

 

Les contes naissent d'un épuisement.
Ils naissent d'un retour et d'un abandon.

Je suis si las de mes errances, si las du vacarme, las de cette mort rampante qui empoisonne mon sang, las des chants macabres, des agitations verbeuses, des danses de Saint Guy... c'est le temps du retour.
Un caillou... puis un caillou...puis un autre...
C'est le temps du début, celui de la création.
Et du silence de l'aube naissante.

 

Une éclosion à rebours. Comme la mer qui ravale ses vagues, une à une, pour les reprendre, et les enfermer dans l'immense coquillage du temps. Tout s'absorbe. Avec lenteur. Avec certitude. Avec entêtement. Presque avec acharnement. Comme si pour atteindre la mort il y avait des peaux à enlever, des écorces à briser. Un éventrement à parfaire. Des lenteurs à honorer.
Des printemps à accueillir.
Franck.

9 décembre 2007

Arriver à la fin......

La vie n’est rien sans la densité. Source d’élan et d’épuisement. Il n’y a pas de croissance sans aggravation. C’est le chant du ruisseau vers la mer. Ecrire n’est rien sans la densité, cette affluence de solitude mélancolique, qui fait plier les genoux mais qui redresse l’âme. Du moins cet arcane qu’on dénomme âme.

 

On arrive à Gao comme si l'on quittait l'océan. Toujours harassé d'une traversée. Lourd d'un voyage. Lourd d'une fin. Les yeux brûlés par les éclats du soleil, par le reste des rêves, et le reste des nuits.
On arrive à Gao couvert d'un linceul de sable poisseux, collé comme une peau sur la peau.
On arrive à Gao toujours à la tombée du soir. Presque en cachette.
On arrive à Gao sans tristesse, sans joie. Seulement avec une immense fatigue.
On arrive à Gao seulement. Seulement.
C’est un lieu sans révolte puisque tout s’y épuise. Le rêve ou le voyage.
Gao n’est pas une destination pourtant on y arrive. Toujours. Un peu comme la mort. La fin.
Arriver à Gao c'est arriver de loin, c'est venir d'un désert, et d'au-delà d'un désert. Et c'est avoir franchi sa vie dans une étendue de poussière, dans l'étendue sans fin de nos questions vaines, de nos réponses craintives et faciles. Et c'est avoir mesuré la pauvreté de nos prières, l'étroitesse de nos désirs. Et nos misérables souffrances.
Arriver à Gao c'est être un naufragé, puisque là-bas, plus au nord, quelque chose de nous est resté. Peut-être le meilleur. Peut-être le pire. Et c'est cela qui épuise, ne jamais savoir, même après un désert, même en arrivant à Gao.
Et la fin est lourde parce qu’on la traine depuis le début. Depuis le premier jour.
Plus qu’un port Gao est une île. Les terres qui l’entourent ne sont pas des terres, ce sont des oublis, des lendemains, des attentes. Gao n’est pas un lieu, c’est une expérience de vie. L’infini contenu au bout des sables. Le concentré des fins ultimes.
Gao n’est plus le désert, pourtant c’est encore le désert.
Gao n’existe pas vraiment, pourtant on s’en souvient. Un lieu abîmé de la mémoire.

 

Cela faisait plusieurs jours que le marabout voyageait avec nous sur les sacs de dates que le M.A.N. diesel transportait. Il était silencieux. La vitesse du camion faisait flotter son chèche qu'il enroulait comme les gens du sud du Sahara, comme les Touaregs. Ce n'était pas un touareg. Il portait une sorte de grande djellaba bleu clair, qui couvrait un large pantalon de toile légère et blanche, masquant à peine une ceinture où était accroché un poignard ouvragé au bout recourbé. Il avait la peau mate, très foncée, mais pas noire. Il était grand et maigre, des yeux clairs perdus au fond d'un visage sans âge, usé de soleil et de contemplation. Un visage tout en angle. Tout en avancée. Tout en tension calme et sereine.
Sur le camion il ne bougeait pas. Il gardait tout au long du jour la même position. Accroupi, les genoux au nivaux des épaules sur lesquels il appuyait ses bras. Depuis des siècles il avait cette position. Depuis des siècles il fixait l'horizon des sables, sans attendre rien. Sans rien espérer, que de pourvoir regarder cet horizon des sables pendant des siècles encore. Il avait fait un trou dans un sac de jute, et de temps à autre il prenait une datte, et la mâchait longtemps, et il suçait le noyau. Longtemps. Ca veut dire quoi longtemps ? Là-bas, longtemps ce n'est pas du temps, c'est une distance, c'est une direction, c'est une légende, c'est un mystère. Longtemps. C'est la vie d'un homme, son histoire, ses rêves. Longtemps, c'est un ciel, ou une source, ou les yeux de la reine de Saba, ou la mort et son cortège de djinn.

 

Il nous a dit : à Gao, vous viendrez dans ma maison. Son Français était approximatif. Mais on se comprenait. Pour lui s'était important qu'on vienne chez lui. Sa voix était grave, profonde, traînante. Il accompagnait souvent la fin de ses phrases d'un geste ample de la main, le bras tendu, comme pour désigner au loin le reste d'une signification que les mots sont impuissants à dire. Il hochait la tête, et tout était dit.

 

Gao, c'est la fin des sables et c'est le début du fleuve. Nous sommes arrivés à Gao, il faisait presque nuit. Nous n'avons pas vu le fleuve, mais nous l'avons senti. Un souffle obscur dans la nuit. Une présence muette, mais puissante. Un épanchement de vie nouveau. Presque incongrue. Quelque chose était là. En plus. A l'entré de la nuit Gao, ce sont des musiques de balafons et de quelques tambours improvisés. La ville est plate sans étage, presque sans éclairage. On s'oriente toujours aux étoiles, et au souffle du fleuve, et aux odeurs, et à l'inclinaison de son cœur, à sa nonchalance. A son abandon.
Nous l'avons suivi.  Comme des ombres sans ombres. Sa maison état là. Grand cube d’un seul étage, en terre séchée, sorte de pisé. Un grand cube vide de meuble, vide de vie. Avec seulement un escalier de terre qui montait sur une terrasse. Une terrasse qui ouvrait sur la nuit. Nous nous sommes installés dans une des pièces vides. Il nous fit comprendre que le repas arriverait bientôt. Et qu'il nous attendait sur la terrasse pour boire de thé, le temps que le feu soit allumé.

 

Alors est sortie de nulle part, une sorte d'agitation calme. Des ombres. Des ombres silencieuses sont arrivées. Un homme squelettique fit le feu à l'air libre sur la terrasse. Il prépara la théière. Sorti des verres d'un sac de toile. Brisa les restes d'un pain de sucre, fit couler de l'eau dans la théière et y rajouta les graines noire du thé.
Le marabout était là, assis. Depuis des siècles assit, sur cette terrasse de nuit et de désert. Silencieux.

 

Il y eut un premier cérémonial de thé. Puis l'attente. Puis le silence. Puis la nuit qui s'intensifie. Une femme voilée est arrivée. Elle a posée une bassine en émail au centre du cercle que nous formions, puis a disparu. Une ombre dans l'ombre de la nuit. Un silence sur le souffle du fleuve. Dans la bassine il y avait du mil cuit. Au-dessus, quelques maigres poissons bouillis. En silence nous avons mangé, récupérant avec le bout des doigts cette pâte de mil brûlante. Chacun creusant un cratère devant lui. En silence.
Plus tard la femme est revenue. Sortie de nulle part. Sortie d’une absence. Elle à repris, la bassine vide de nourriture.
Puis elle a disparu à nouveau. Sans bruit. Sans mot. Depuis des siècles sans mots. Froissement du temps.

 

Maintenant nous étions autour du feu. Un autre thé se préparait. Puis ils sont arrivés. Un à un. Des hommes jeunes. Trois. Aux regards éclatants. Avec une immense déférence ils ont salué le marabout, puis nous, les invités. Ils ont prit place autour du feu. Le thé a circulé. Le marabout nous a expliqué que ces jeunes gens étaient ses élèves. Et que ce soir il allait les enseigner. C'était un temps où les barbes ne couvraient pas la religion musulmane d'un voile sombre. C'était un temps de l'Afrique pauvre mais sereine. C'était un temps où l'on parlait aux étoiles, la nuit, au bord du fleuve Niger, aux portes de l'océan saharien. C'était un temps défait, mais sans peur.

 

Alors il a parlé. Longtemps. Il parlait une langue que nous ne comprenions pas. Mais il s'arrêtait parfois pour se lancer dans une traduction hasardeuse. Qu'importe, sa voix était belle et profonde, et elle venait de si loin, d'un désert et du fond des siècles. Toujours avec cette voix de ventre, cette voix lente, grave qui montait dans la nuit. Et sa main qui désignait les étoiles pour les prendre à témoin. Il parla de religion, et il expliqua Le Prophète, et Jésus, et le roi Salomon. Et il expliqua la reine de Saba, et le berceau de nos fois communes. Et il disait qu'on avait le même dieu, et la même espérance. Il disait la Bible et le Coran, en montrant les étoile, en les appelant de leur nom, en expliquant les pays qu'elles désignaient. « Là, dans la direction de cette étoile, si tu voyages quarante lunes tu arrives au pays de Salomon. » « Il faut donner à Dieu, tes mains, ton cœur, et il s'occupera de tes rêves et de ton âme. » « Il faut prier ton Dieu et abandonner ta colère et il te conduira à la source. » « Va dans le désert, cueille un silence et reviens. » C'était une nuit du monde, sous les étoiles brûlantes du désert, une nuit de passion dénudée. Une nuit pauvre et infiniment abondante.

 

Sa voix semblait chanter une mélopée lancinante. Seuls ses yeux brillaient. Seule son âme embrasait le ciel. Et cette nuit lui répondait, comme chaque nuit de désert sait répondre à celui qui s'est longtemps tu.
Les trois jeunes hommes l'écoutaient en silence, avec seulement quelques hochements de têtes. « Nos dieux sont des frères, ils viennent du même sable, et regarde le même ciel et s'éclaire du même soleil. » « Chaque homme est un pays, conduit-le à ta source, donne lui de ton eau, et vos villes seront un seul royaume ».  « Chaque homme est une caravane chargée pour une longue traversée, il est promesse, il est patience, il est chemin. Et nul ne l’attend au bout des sables. Tends-lui cette fleur, et vous élèverez un temple. Tends-lui la main et Dieu priera pour toi. »

 

Il est des nuits qui prennent naissance hors d'un temps connu. Il faut avoir traversé sa vie comme un long désert pour les contempler. Il est des nuits perdues où dans la voix d'un vieux marabout, un ciel entier s'illumine. Il est des nuits sans peur, puisque tout est là. Dans l'instant ouvert. Dans le souffle du fleuve. Dans un thé arachide. « Brûles ton désir aux feux du soleil du désert et une reine embrassera ta main. » « Fais-toi un rêve à la mesure du ciel, et ton cœur sera un jardin aux fleurs éternelles. »

 

La vie n’est rien sans la densité. Source d’élan et d’épuisement. Il n’y a pas de croissance sans aggravation. C’est le chant du ruisseau. Ecrire n’est rien sans la densité, cette affluence de solitude mélancolique qui fait plier les genoux, mais qui redresse l’âme.
Il faut avoir beaucoup espéré pour se défaire de l’espérance.
Il faut avoir beaucoup attendu pour en être rassasié.

Franck.

16 décembre 2007

Les contes des temps achevés.....

Car c'est une marche silencieuse. Qui vient de plus loin que nous. Comme une traversée de désert. Le désert de la langue. Avec le sable des mots. Toujours le même sable, toujours les mêmes mots. C'est à la fois lancinant, mais tellement nécessaire. Ecrire c'est rejoindre. Unir à nouveau. Mais on ne sait pas quoi, on ne sait pas qui.

 

Toujours rejoindre. D'abord une musique. Comme si elle seule pouvait être la source. Et c'est épuisant puisque c'est un désert. Sans secours. Et la mort au bout. Au bout, qui donne l'urgence. La véhémence du mot. Un mot presque plus vivant que vous. Qui est là, qui s'impose. Nu, cru, presque indécent dans son évidence rugueuse.

 

C'est une marche silencieuse vers quelque chose qu'on pourrait appeler " absolu ", parce qu'on ne sait pas le définir autrement. Alors on dit : absolu. Comme amour. On dit amour, parce qu'on ne sait pas dire autre chose… On récupère le mot, on se l'approprie par lassitude, par dépit, par facilité. Par pauvreté.
« Tu m'aime ? »
« Oui, je t'aime. »
Et tout est dit. On peut, ne plus se parler, ne plus se regarder durant des siècles.
Ecrire, c'est partir à la recherche de ce mot. A sa conquête. Et pour cela on choisit le désert. Car nos batailles ne sont d’aucune guerre. Et conquérir un mot n'est pas simple. Il ne suffit pas de le dire pour qu'il vous appartienne, pour qu'il habite votre langue. Parfois il ne vous appartient jamais. Il vous fuit, comme l'amour. Comme le soleil ou la nuit. Et c’est une désolation. Certaine fleurs ne poussent pas sur certaines terres.

 

 

 

Alors on part à sa conquête.

 

 

 

D'abord une musique. Entrer dans sa musique. Retrouver sa lancée, retrouver la trace qu’il laisse dans l’air, retrouver la première respiration, celle du vent sur la mer, retrouver le premier mouvement, celui de la mer qui berce. Longue marche berçante. Balançante. Comme si seul l'infini de la mer pouvait répondre à cet absolu si nécessaire.
Retrouver l'eau des mots, dans le vague de la vague des mots. L'eau des mots, qui cherche l'amour, au-delà de la mort. Mourir comme cette marche harassante dans un désert toujours plus grand, toujours plus vain. Et se perdre mille fois dans les reflets des mirages tremblant.

 

 

 

Le mot vous appartient le jour où vous n'avait plus à le prononcer, comme l'amour qui n'est plus à dire le jour où
l’amoureuse pose son souffle sur vos lèvres.

 

 

 

Souvent, plus on dit les mots plus on s'éloigne d'eux. Et c'est terrible. On les use avant qu’ils n’aient le temps de fleurir. Comme la marche dans les sables de la langue, celle qui nous fait tourner en rond. Sur nous-mêmes. A cause de nos égo boiteux, de nos âmes boiteuses.

 

 

 

D'abord une musique. Une musique qui vient des chairs, de l’intérieur des chairs. Car les mots ne naissent pas dans nos têtes, ils doivent venir de la chair. Comme l'amour. Comme la musique qui l'appelle. L'amour, ou la mort. L’amour et la mort. Dans les chairs. La musique des chairs, les sons du sang.

 

 

 

Et nos chairs sont menteuses parce qu'elles ont faim.
C'est pour cela que c'est impossible d'écrire.

 

 

 

Hormis, cette marche, hormis le balancement de la mer. Il y a toujours un sens qui s'accroche à la chair, à la parole, aux mots. Et le sens doit venir du son, de la musique. Il faut qu'il s'enroule avec lenteur, dans la musique et le son. Le sens vient après. Pas toujours. Mais toujours après. Il est un couronnement, une apothéose, fragile comme une aurore.
Comme une épiphanie.

 

 

 

Aveugle et sourd, je suis perdu, et j'appelle. En vain. Toujours. Et je recommence. La même phrase. Usant encore un peu plus la semelle de mes mots. La chair de ma chair. Jamais assez de musique, jamais assez de son. Comme l'amour. Qui est d'abord une musique, et qui devient chant, le chant d'une source au milieu des sables. Qui devient prière.
Puis souffle.
Puis rien. L'infini du rien. L'absolu du rien.
Alors je vais seul, mais innombrable.

 

 

Au départ on marche. C'est une promenade. Après le chemin n'a plus de contour. On n'est pas Alice, mais on traverse quelque chose. On ne sait pas si c'est un miroir. Mais il y est question de lumière. On marche et ce n'est plus une promenade. C'est une déraison.

 

 

 

Au départ on est loin, on est dans l'inaccessible du temps et de l'espace. Mais les enfants savent d'instinct traverser les impossibles. Les âmes brûlées aussi. Au départ on est loin, chacun dans sa parole, dans la maison de ses mots, au plus près de l'hémorragie qui épuise nos jours et nos heures. On est chacun sur l'horizon de sa propre langue, chacun à un bout de l'arc-en-ciel, chacun dans sa couleur.
On est loin, séparé par le ciel, et par cette arche irisée. Une aube trop loin.

 

Au départ on est isolé, mais les incantations se répondent, parce que les murmures s'opposent au vacarme du monde et parce que les cris révèlent les silences. Au départ on est loin, mais peu à peu les portes du ciel s'entrouvrent. Pour agrandir l'espace, juste entre la chair est l'os. Juste entre fracas et prières.

 

Alors sur le chemin on croise son ombre à elle. Ce n'est plus la réalité, ce n'est pas le rêve non plus. Brusquement on sait que tout peut arriver : le pire, le meilleur...le définitif. L’iirévocable.

 

 

 

Maintenant vous être deux ombres, dans la tempête d'un chemin perdu. Au départ vous êtes dans la distance la plus grande. Deux enfants. Deux fantômes. Deux ombres. Et c'est un chemin inconcevable.

 

A droite la montagne, à gauche l'à-pic. Autour la nuit. Et dans le cœur le feu, et dans les yeux les mondes qui s'effondrent.
Vous êtes les deux seuls. Les premiers. Ou peut-être les derniers. C'est la même chose, puisque c'est sans fin. Vous marchez. De toutes les façons vous ne pouvez pas faire demi-tour. Vous êtes dans votre avancée. A droite la montagne, à gauche l'à-pic.

 

A droite la montagne, à gauche l'à-pic. Deux ombres perdues. Deux enfants. Et vous avez mille ans. Plus vous avancez, plus c'est la nuit. C'est elle qui marche devant. Parfois vous apercevez la blancheur de son épaule dénudée. Pour ne pas vous perdre, vous lancez des mots loin devant, certains retombent en corolle de lumière douce. Pour ne pas vous perdre, elle vous tend parfois quelques silences à travers la nuit. Et vous n'avez pas d'autre solution que d'avancer. A droite la montagne, à gauche l'à-pic.

 

 

 

Après, arrive le temps du chant et de la danse. Vos musiques s'entrelacent et se nouent pour vous aider à gravir l'échelle des couleurs. Chacun, à son bout d'arc-en-ciel, chemine vers l'autre sur le chemin de la langue, c'est le temps où la voix s'exalte de sa ferveur, de ses soleils, de ses éclairs.
C'est le temps où les notes inventent la portée, où la cadence rythme les souvenirs, où l'espérance fleurie comme de larges bouquets. C'est le temps océan, immense et grandiose qui berce vos perspectives, et change les clameurs en louanges fruitées. C'est le temps des flammes et des voyages univers, et des jardins célestes. C'est le temps des tendresses enfantines. La source des mots s'épanche vers l'affluent du cœur. On est haut dans le ciel, si proche désormais qu'on pourrait se toucher. C'est le temps des soupirs et des apartés, c'est le temps des souffles, pas celui des regrets. C'est le temps des secrets et du sang partagé, et des silences que l'on offre dans les mains que l'on tend.

 

Maintenant ils sont dans leur incendie, dans leur holocauste. Mais ils ne le savent pas. Ils avancent seulement. Ils n'ont ni froid, ni chaud. Ils ne sont pas seuls puisqu'ils sont ensemble, pourtant ils se sentent si seuls dans cette marche, puisqu'il faut enjamber les os des morts. C'est normal, ils sont dans la traversée des vies. Les cimes sont impossibles à voir, c'est une montagne qui se perd dans leurs nuits. A droite la paroi, à gauche l’à-pic.

 

Elle, elle murmure sans cesse. On dirait des chants, des berceuses, des incantations. Sa voix est douce. Lui, il n'entend pas tout, mais il trouve que sa voix est belle, comme son corps d'ombre blanchie. Ils n'ont que leurs mots, que leurs prières, parce qu'ils sont dans la traversée de la langue.

 

 

 

Un jour, au bout de plusieurs siècles, vous êtes au bout. Sur le dessus de la montagne. A la fin de la terre. Un jour, à la fin de la terre vous pouvez enfin vous asseoir, et vous voir, et vous toucher. Un jour, et c'est le dernier jour, ou peut-être le premier. Vous êtes assis dans la nuit. Au plus haut de la nuit.

 

Et elle, elle pose un silence sur ses lèvres à lui. Et lui, il pose un mot clair dans le sang de son cœur à elle. Ils sont deux enfants. Ils ont mille ans. Ils sont assis et se taisent, et se serrent. Leur peau est chaude. Et leur chair tremble un peu. Ils ont peur. C'est normal. Puisque c'est la fin.

 

Au-dessus d'eux, dans une ouverture du ciel il y a comme un vitrail de lumière. C'est là qu'ils vont. Ils le savent. Ils savent le saut dans le vide. Leurs mots, leurs silences ne suffisent plus. Alors, sur la dernière pierre de cette impossible montagne, ils s'allongent. Et se serrent. Et leurs ventres se touchent, et c'est un baiser infini.

 

 

 

Maintenant ils sont dans la traversée de l'amour. On ne peut plus les voir. Parce qu'ils s'absentent de la nuit et de leur corps. Lui, il entre sa chair dans la sienne à elle. Ils se regardent. Elle, elle accueille sa chair à lui, dans la sienne. Lui, il est elle, et elle, elle est lui. Ils ne sont plus qu'un seul corps, qu'un seul souffle, qu'un seul sang. On ne peut plus les voir.
Sauf, peut-être ce bruit d'aile, ou ce chant, et ces ombres, et cette immense lumière étrange quand le ciel c'est ouvert.

 

 

 

C'est un temps éphémère, qui offense les dieux. C'est un temps majestueux, qu'il nous faut redonner. Pour une heure enchantée, cent ans de misère. Pour un jour de délice, mil ans de repentir.

 

 

 

Au sommet des couleurs, nous nous sommes croisés. Au plus haut de cette arche de lumière, tendue entre nos deux étoiles. J'ai à peine eu le temps de caresser son ombre, qu'un dieu cruel a tissé sur nos lèvres un rictus forcé.

 

Et dans un ciel de marbre durcit par les chagrins, tremble une étoile, en silence au matin.
Et la mélancolie est toujours en avance d’une saison.

 

 

 

C'est une marche silencieuse. Qui vient de plus loin que nous. Comme une traversée de désert. Le désert de la langue. Avec le sable des mots. Toujours le même sable, toujours les mêmes mots. C'est à la fois lancinant, mais tellement nécessaire. Ecrire c'est rejoindre. Unir à nouveau. Mais on ne sait pas quoi. Mais on ne sait plus qui.

 

 

 

Franck

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

27 décembre 2007

Marée lasse...

Ecrire se retire comme une marée lasse.
Effacement sur l’effacement de la langue.

 

Ecrire c’est perdre sa langue en trouvant sa voix.
Comme voyager c’est perdre sa route en trouvant son chemin.

 

Après l’attente, on pourrait vivre, s’il ne fallait pas attendre à nouveau.
Et se souvenir c’est trahir notre enfance, cette enfance qui nous restera, d’ailleurs, à jamais inconnue.

 

L’errance, oblige à la lenteur. La lenteur est l’autre nom du silence.
Comme si l’imminence était enfin accomplie.
Et l’errance abolit les miroirs, et les faces qui les traversent.
Et l’écho qui les annonce.

 

Ecrire écarte un peu plus la gaze sur les plaies. Faire respirer les cicatrices suintantes. Respiration haletante, plus proche de la suffocation que de l’essoufflement. Il y a dans écrire, cette sensation de décollement lent. De séparation. Un voile se déchire. Un peu comme une opération de chirurgie.
Découdre, jusqu’à l’infime partie de soi. Défaire, jusqu’à la méconnaissance. Jusqu’à ce que sa propre solitude vous ignore. Vous dédaigne.
Jusqu’au mépris.

 

Ecrire se retire comme une marée lasse.
Effacement sur l’effacement de la langue.

 

Je cherche le dernier le mot. Il ne vaut pas plus que le premier. Mais il faut bien finir, avant que la fin ne survienne.

Franck.

28 décembre 2007

Les oie sauvages.....

Les oies sauvages emportent dans leur vol vigoureux les restes des saisons, et les chants, et les promesses. Et leurs cris déchirent les restes des amours. Les oies sauvages vont vers le nord, la fin des terres, la fin des temps. Vol des défaites, des après. Vol d’ombres dans un ciel indifférent. Les oies sauvages creusent nos désirs et dépouillent nos dernières espérances.

Ce qui fascine dans le vol désespéré des oies sauvages c’est cette énergie, cet entêtement. Cette folie. Ces cris sans visages.
Rapides, immobiles, comme les grands voyageurs, les oies sauvages qui partent vers le nord, ne touchent plus terre, elles appartiennent au ciel.
Irréparablement.
Elles disparaissent peu à peu, effaçant leurs traces et leurs cris, dans l’infini qui les dévore.

Franck.

5 janvier 2008

L'océan glacé......

L’hiver, l’océan nous parle une langue inconnue. Il roule son indifférence hautaine. Il y a de l’arrogance dans sa houle. Du dédain. Il parle fort, d’une voix musculeuse, avec le détachement des dieux, la désinvolture des puissants. Et parfois de sourds ricanements.

 

 

 

L’hiver, l’océan est un défi. Une menace. Largement ouverte sur le froid. Une béance froide et mugissante. Et la menace vient qu’il n’y a pas d’interruption dans la virilité frontale de l’océan. L’hiver. Et le vent glace toute pensée. Glace et efface toute pensée. L’homme ne s’articule plus à l’espace, au mouvement. Droit sur la plage il est une écharde. Moins qu’un galet, moins qu’un coquillage. Et brusquement il le sait. Il est dans l’évidence. Aucune parole ne tient. Et il le sait. Alors il se tait. Et silence et vacarme vont du même pas, l’hiver, quand l’océan roule son indifférence hautaine.

 

 

 

Et les portes de l’exil sont ainsi. Bruyantes et muettes. Inconciliantes. Incommensurables. Il n’y a pas de méditation du froid. Là, toute pensée est d’abord résistance. Tenir l’affirmation d’une résistance. Il n’y a pas de poésie du froid. L’imaginaire du froid est un imaginaire séparé. Coupé. Tranché. C’est d’abord l’imaginaire d’un refus.

 

 

 

L’hiver, l’océan nous parle une langue inconnue et que l’on comprend parce qu’on l’a toujours su. Le vacarme et le silence de la mort. L’écrasement et le froid. Le vent et son murmure lancinant. Litanie d’une mémoire inaccessible. Comme la mer dans son avancée impossible et constante. Interruption des vagues, de la terre, de la mémoire. Invraisemblable mouvement en avant. Enroulement du temps qui nous lie en se déliant. Et la parole qui accompagne. Parole inaudible hormis la voix qui la porte et la pose, là, au bout des terres connues, à l’orée de l’hiver et de l’océan.

La voix chante, et c’est une plainte. On sait que c’est une plainte, même si l’on n’entend pas le sens. On sait que c’est une plainte. L’oubli est le râle de la mémoire, son chant plaintif. Quel est ce temps d’hiver ? Quel est ce temps dans le temps ? Cette vague dans la vague ? Cet océan qui bat en moi ? Et ce froid qui glace ma voix.

 

 

 

Je suis un égaré. Je n’ai pas trouvé ma question. Alors toutes les réponses sont fausses. Inadaptées.
Nous oscillons sur nos lignes de fuite, funambule de l’errance avec toujours une liberté de retard, à contre temps des marées, tâtonnant à travers nos phrases à la recherche des mots, des rythmes qui sauraient s’allier à notre voix. Adoucir la discordance. L’annuler. Effacer l’horizon. Tout recommencer. Ou tout finir. Bâcler la fin.
Car l’écriture ne nous rend pas la vue. Tout juste nous introduit-elle au silence. Et à l’absence. Tout juste nous pose-t-elle à un endroit de nous-même un peu plus supportable. Elle n’efface pas l’illusion. Peut-être, est-elle l’illusion suprême.
La seule qui vaille, ou la plus dérisoire.

 

 

 

Il n’y a pas d’écriture du bonheur. Et aucun savoir ne nous guette au bout de la phrase. Aucune rémission. Les mots s’effacent les uns les autres, les suivants renieront ceux qui précédent, et jusqu’à l’épuisement. Il n’y a pas d’accroissement de la parole, tout au plus une redite, une tentative toujours échouée. Une aggravation. Un enroulement. Un retour. Et un effondrement d’écume dans la voix.
L’océan n’a pas de centre. Il n’a que des rives perdues, des lieux de fin, des morts toujours recommencées, et jamais assouvies. Il est l’épuisement inépuisable. La permanence effrayante. La mort qui s’avance en nous comme une arabesque. Pleine. Dépourvue d’ombres. Pure présence, qui nous assigne à la notre, la suggère, parfois la révèle.

 

 

 

Il y a dans l’écriture comme le sacre des saisons, un surcroît de présence, un dévoilement, un océan patient. L’écriture dans son incessant retour, élève notre voix pour l’accorder à celle de l’océan. Il n’y a pas d’accroissement de la parole, simplement une élévation, une aggravation, le sens d’un redressement, sans doute pour que la mort nous frappe à l’endroit le plus haut. Juste à l’endroit de l’étonnement.
L’éblouissement des ténèbres.

Franck

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