Simplement un oiseau......
J’étais entré pour une dizaine de jours dans cette clinique, pour une opération sans gravité. Le soir même de mon arrivée, je l’ai vue. Elle est entrée dans la chambre et j’ai su que c’était elle. Il y avait une sorte de lumière autour de sa tête. En fait j’ai eu l’impression d’une lumière. Elle m’a demandé si tout allait bien. J’ai bafouillé un : oui, tout va bien. Quand elle s’est rapprochée du lit mon cœur s’est mis à battre fort. Je l’ai regardé dans les yeux, elle m’a souri. Elle avait les joues rougi par la timidité. Déjà je savais que j’étais perdu. Sur son badge j’ai lu : stagiaire, Isabelle. Elle a jeté un coup d’œil à la feuille de soin au pied du lit, et elle est sortie : " à plus tard… ". Et toujours son sourire et toujours la lumière autour de sa tête. Rares sont les personnes avec lesquels on est de pleins pieds. Dés le lendemain nous avons commencé à parler. De tout, de rien. J’étais déjà amoureux. Et j’ai vite compris qu’elle entrait plus fréquemment dans ma chambre que dans les autres. A chacune de ses poses elle entrait et s’asseyait sur mon lit. Elle donnait sans cesse l’impression d’être un oisillon perdu et inquiet. Et toujours le rouge aux joues. Sa voix était douce, calme, moelleuse, ses gestes donnaient une fausse apparence de maladresse, son regard semblait vous envelopper de bienveillance, un regard légèrement sucré, un regard d’orangeade. Nous parlions de tout, de rien, à cette époque j’étais en plein milieu de ma psychanalyse, nous parlions de psychanalyse, de religion, de poésie et bien sûr d’astrologie. Elle n’avait pas manqué d’apercevoir les ouvrages posés sur ma table nuit. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de l’astrologie que les choses se sont nouées. J’aime que l’astrologie raconte de belles histoires et cela semblait l’intéresser. Elle n’arrêtait pas de me poser toutes sortes de questions, et derrière chacune d’elle je sentais des angoisses et des peurs latentes. Je lui aurais parlé pendant des heures. Elle me donna ses coordonnées de naissance. Née à Aubusson. Tiens donc, du coté maternelle j’étais originaire de ce coin là de la Creuse. C’est elle qui me précisa son lieu d’origine. St Médard…. J’ai marqué un temps d’arrêt. St Médard était le hameau d’où ma grand-mère était originaire. Nous voilà donc aussitôt, presque cousins. St Médard, une quinzaine de maisons, il faut imaginer la probabilité de tomber juste sur quelqu’un de là-bas. Cette première révélation resserra instantanément nos liens. La petite église perchée au-dessus de la vallée de la Creuse, tel hameau à coté, telle personne vivante, telle autre morte. Nous étions de la même terre, du même lieu de la terre. Du même lieu perdu. Le jour de mon départ, nous avons échangé nos adresses, en se promettant de poursuivre nos conversations. Cela dura un an. Une année complète. Elle passait de temps à autre me voir, nous discutions toujours de tout et de rien, de psychanalyse, de dieu, d’astrologie, de littérature. Je lui prêtais parfois de livres. Elle arrivait toujours à l’improviste. Un coup de sonnette, j’ouvrais et je me trouvais devant sa figure ronde et rose, devant ses yeux de miel. J’avais toujours cette impression qu’elle était un petit oiseau, qui venait se percher, l’espace d’un instant, sur mon balcon. Elle avait une voix de porcelaine, blanche et transparente, ses mots étaient toujours fragiles, elle n’affirmait jamais rien, elle disait : je sens, je crois, peut-être, sa langue était remplie de silences, qui faisaient comme des perchoirs aux émotions de l’instant, et elle repartait comme elle était venue. Un bruit d’aile et hop, la maison était à nouveau vide, sauf, un petit bout de lumière qu’elle oubliait en partant. Parfois elle arrivait avec une question. Parfois elle arrivait avec un petit bout de gâteau, elle était un mélange étonnant d’audace et de crainte. Devant elle je me sentais désarmé, en retrait, j’avais toujours peur de casser quelque chose, un rêve, une illusion, une espérance. Elle n’affirmait jamais rien pourtant elle avait des convictions simples et fortes. Pour dieu les choses étaient simples, la théologie elle ne connaissait pas, elle disait : je rentre dans une église, je m’agenouille, et souvent je flotte. Il n’y a aucun argument contre cela. Elle flottait dans la lumière, alors elle entrait souvent dans les églises au hasard. Elle ne disait jamais les prières connues, elle les inventait. Elle avait son langage à elle pour parler à Marie, à Jésus. Parfois au milieu de ses prières elle pleurait. Pas de tristesse. Elle pleurait, parce que les mots étaient insuffisants. Ce n’était pas quelqu’un de gai, mais elle n’était pas triste non plus. Elle avait cette gravité qu’on les enfants, cette gravité quand ils observent, ou qu’ils écoutent. Cela dura une année. Une année complète. Une année sans équivoque, sans sous-entendu. Parfois nous parlions de l’amour, de la solitude, mais les mots étaient tristes à coté de sa seule présence. Je n’ai jamais su si elle était belle au sens où on le comprend d’habitude, pour moi sa beauté était une évidence, depuis le début nous étions dans l’évidence, et malgré notre différence d’âge, nous sommes toujours restés dans l’évidence. Un jour elle est arrivée essoufflée, elle se tenait devant moi, et c’est elle qui a déposé un baiser sur mes lèvres. Un baiser tremblant. J’ai souvent eu l’impression que nous avions été le jouet des astres, connus sous un transit de Jupiter, reconnu sous un autre transit de Jupiter, et dénoués sous un transit de Saturne. Nous nous sommes simplement laissés porter par le souffle du ciel. Quand elle est partie cela n’a fait aucun bruit, c’était un début de printemps, elle a profiter d’un vol d’oiseaux migrateurs et elle s’est envolée… Franck
Et puis j’ai monté son thème astrologique. Et là, je fus à nouveau saisi. La correspondance entre nos deux thèmes était inimaginable. Je n’avais jamais vu cela, pourtant en quinze ans de pratique, même amateur, j’en avais vu des thèmes. J’en tremblais, tellement ces thèmes étaient fait l’un pour l’autre. Je ne lui en ais pas parlé. Je me suis cantonné à lui parler d’elle. C’était simple, il suffisait que je lui parle de moi. En mieux, parce qu’elle vivait les choses sur un registre plus subtil, plus immature et en même temps plus élevé. Moi, en plus pur. J’étais dans la pesanteur, elle était dans la légèreté.
Les deux derniers jours, une véritable complicité existait. Nous étions du même lieu de la terre et du même lieu du ciel. Je m’étais dit, si nous n’avons pas d’histoire ensemble, quel que soit l’histoire, j’arrête l’astrologie.
Je lui ai fait parvenir un bouquet de fleur, avec un petit mot, gentil et explicite. Et le soir même elle sonnait chez moi. Elle avait l’air confuse, plus rouge que d’habitude, plus maladroite, elle voulait simplement me dire que les choses ne pouvaient pas se faire entre nous, qu’elle était désolée, qu’elle était touchée par les fleurs, qu’elle avait apprécié, que s’était la première fois qu’elle en recevait, qu’elle était heureuse, mais qu’entre nous rien ne pourrait exister. Elle n’a pas voulu entrer, elle m’a dit tout cela sur le pas de la porte entrouverte. Elle parlait vite, avec plein de douceur et d’hésitation. Moi, dès le premier mot j’avais compris, et quelque chose en moi s’effondrait, une sorte de vague noire qui remplit d’un coup le corps et l’esprit, la lumière du jour brusquement s’est épaissie. Je la rassurais, lui disais que ce n’était pas grave, que nous resterions amis, qu’elle pourrait passer me voir quand elle le voudrait, que j’étais désolé de l’avoir mis mal à l’aise. Une fois la porte refermée j’ai été envahi par ce sentiment que je connaissais bien, fait d’une lassitude infinie et sombre, une sorte de désastre intérieur. Je ne la reverrais plus.
Je ne crois pas que nous ayons connu un brasier de passion, mais plutôt, un feu calme et serein, un feu de cheminée, ardent et sage, un feu lent qui a consumé nos âmes durant deux années. Huit jours après le premier baiser, elle venait s’installer à la maison. Toujours dans cette même évidence tranquille et vigoureuse. En même temps elle apportait sa lumière, si particulière, si fragile et pourtant si invincible.
Deux ans dans une attention murmurante, deux ans où nous avons uni nos lèvres d’une respiration commune, deux ans à manger les ensembles les même mots, à tisser ensemble un grand voile d’amour.