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J'irai marcher par-delà les nuages
3 juillet 2005

Simplement un oiseau......

J’étais entré pour une dizaine de jours dans cette clinique, pour une opération sans gravité. Le soir même de mon arrivée, je l’ai vue. Elle est entrée dans la chambre et j’ai su que c’était elle. Il y avait une sorte de lumière autour de sa tête. En fait j’ai eu l’impression d’une lumière. Elle m’a demandé si tout allait bien. J’ai bafouillé un : oui, tout va bien. Quand elle s’est rapprochée du lit mon cœur s’est mis à battre fort. Je l’ai regardé dans les yeux, elle m’a souri. Elle avait les joues rougi par la timidité. Déjà je savais que j’étais perdu. Sur son badge j’ai lu : stagiaire, Isabelle. Elle a jeté un coup d’œil à la feuille de soin au pied du lit, et elle est sortie : " à plus tard… ". Et toujours son sourire et toujours la lumière autour de sa tête.

Rares sont les personnes avec lesquels on est de pleins pieds. Dés le lendemain nous avons commencé à parler. De tout, de rien. J’étais déjà amoureux. Et j’ai vite compris qu’elle entrait plus fréquemment dans ma chambre que dans les autres. A chacune de ses poses elle entrait et s’asseyait sur mon lit. Elle donnait sans cesse l’impression d’être un oisillon perdu et inquiet. Et toujours le rouge aux joues. Sa voix était douce, calme, moelleuse, ses gestes donnaient une fausse apparence de maladresse, son regard semblait vous envelopper de bienveillance, un regard légèrement sucré, un regard d’orangeade. Nous parlions de tout, de rien, à cette époque j’étais en plein milieu de ma psychanalyse, nous parlions de psychanalyse, de religion, de poésie et bien sûr d’astrologie. Elle n’avait pas manqué d’apercevoir les ouvrages posés sur ma table nuit. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de l’astrologie que les choses se sont nouées. J’aime que l’astrologie raconte de belles histoires et cela semblait l’intéresser. Elle n’arrêtait pas de me poser toutes sortes de questions, et derrière chacune d’elle je sentais des angoisses et des peurs latentes. Je lui aurais parlé pendant des heures. Elle me donna ses coordonnées de naissance. Née à Aubusson. Tiens donc, du coté maternelle j’étais originaire de ce coin là de la Creuse. C’est elle qui me précisa son lieu d’origine. St Médard…. J’ai marqué un temps d’arrêt. St Médard était le hameau d’où ma grand-mère était originaire. Nous voilà donc aussitôt, presque cousins. St Médard, une quinzaine de maisons, il faut imaginer la probabilité de tomber juste sur quelqu’un de là-bas. Cette première révélation resserra instantanément nos liens. La petite église perchée au-dessus de la vallée de la Creuse, tel hameau à coté, telle personne vivante, telle autre morte. Nous étions de la même terre, du même lieu de la terre. Du même lieu perdu.
Et puis j’ai monté son thème astrologique. Et là, je fus à nouveau saisi. La correspondance entre nos deux thèmes était inimaginable. Je n’avais jamais vu cela, pourtant en quinze ans de pratique, même amateur, j’en avais vu des thèmes. J’en tremblais, tellement ces thèmes étaient fait l’un pour l’autre. Je ne lui en ais pas parlé. Je me suis cantonné à lui parler d’elle. C’était simple, il suffisait que je lui parle de moi. En mieux, parce qu’elle vivait les choses sur un registre plus subtil, plus immature et en même temps plus élevé. Moi, en plus pur. J’étais dans la pesanteur, elle était dans la légèreté.
Les deux derniers jours, une véritable complicité existait. Nous étions du même lieu de la terre et du même lieu du ciel. Je m’étais dit, si nous n’avons pas d’histoire ensemble, quel que soit l’histoire, j’arrête l’astrologie.

Le jour de mon départ, nous avons échangé nos adresses, en se promettant de poursuivre nos conversations.
Je lui ai fait parvenir un bouquet de fleur, avec un petit mot, gentil et explicite. Et le soir même elle sonnait chez moi. Elle avait l’air confuse, plus rouge que d’habitude, plus maladroite, elle voulait simplement me dire que les choses ne pouvaient pas se faire entre nous, qu’elle était désolée, qu’elle était touchée par les fleurs, qu’elle avait apprécié, que s’était la première fois qu’elle en recevait, qu’elle était heureuse, mais qu’entre nous rien ne pourrait exister. Elle n’a pas voulu entrer, elle m’a dit tout cela sur le pas de la porte entrouverte. Elle parlait vite, avec plein de douceur et d’hésitation. Moi, dès le premier mot j’avais compris, et quelque chose en moi s’effondrait, une sorte de vague noire qui remplit d’un coup le corps et l’esprit, la lumière du jour brusquement s’est épaissie. Je la rassurais, lui disais que ce n’était pas grave, que nous resterions amis, qu’elle pourrait passer me voir quand elle le voudrait, que j’étais désolé de l’avoir mis mal à l’aise. Une fois la porte refermée j’ai été envahi par ce sentiment que je connaissais bien, fait d’une lassitude infinie et sombre, une sorte de désastre intérieur. Je ne la reverrais plus.

Cela dura un an. Une année complète. Elle passait de temps à autre me voir, nous discutions toujours de tout et de rien, de psychanalyse, de dieu, d’astrologie, de littérature. Je lui prêtais parfois de livres. Elle arrivait toujours à l’improviste. Un coup de sonnette, j’ouvrais et je me trouvais devant sa figure ronde et rose, devant ses yeux de miel. J’avais toujours cette impression qu’elle était un petit oiseau, qui venait se percher, l’espace d’un instant, sur mon balcon. Elle avait une voix de porcelaine, blanche et transparente, ses mots étaient toujours fragiles, elle n’affirmait jamais rien, elle disait : je sens, je crois, peut-être, sa langue était remplie de silences, qui faisaient comme des perchoirs aux émotions de l’instant, et elle repartait comme elle était venue. Un bruit d’aile et hop, la maison était à nouveau vide, sauf, un petit bout de lumière qu’elle oubliait en partant. Parfois elle arrivait avec une question. Parfois elle arrivait avec un petit bout de gâteau, elle était un mélange étonnant d’audace et de crainte. Devant elle je me sentais désarmé, en retrait, j’avais toujours peur de casser quelque chose, un rêve, une illusion, une espérance. Elle n’affirmait jamais rien pourtant elle avait des convictions simples et fortes. Pour dieu les choses étaient simples, la théologie elle ne connaissait pas, elle disait : je rentre dans une église, je m’agenouille, et souvent je flotte. Il n’y a aucun argument contre cela. Elle flottait dans la lumière, alors elle entrait souvent dans les églises au hasard. Elle ne disait jamais les prières connues, elle les inventait. Elle avait son langage à elle pour parler à Marie, à Jésus. Parfois au milieu de ses prières elle pleurait. Pas de tristesse. Elle pleurait, parce que les mots étaient insuffisants. Ce n’était pas quelqu’un de gai, mais elle n’était pas triste non plus. Elle avait cette gravité qu’on les enfants, cette gravité quand ils observent, ou qu’ils écoutent.

Cela dura une année. Une année complète. Une année sans équivoque, sans sous-entendu. Parfois nous parlions de l’amour, de la solitude, mais les mots étaient tristes à coté de sa seule présence. Je n’ai jamais su si elle était belle au sens où on le comprend d’habitude, pour moi sa beauté était une évidence, depuis le début nous étions dans l’évidence, et malgré notre différence d’âge, nous sommes toujours restés dans l’évidence. Un jour elle est arrivée essoufflée, elle se tenait devant moi, et c’est elle qui a déposé un baiser sur mes lèvres. Un baiser tremblant.
Je ne crois pas que nous ayons connu un brasier de passion, mais plutôt, un feu calme et serein, un feu de cheminée, ardent et sage, un feu lent qui a consumé nos âmes durant deux années. Huit jours après le premier baiser, elle venait s’installer à la maison. Toujours dans cette même évidence tranquille et vigoureuse. En même temps elle apportait sa lumière, si particulière, si fragile et pourtant si invincible.
Deux ans dans une attention murmurante, deux ans où nous avons uni nos lèvres d’une respiration commune, deux ans à manger les ensembles les même mots, à tisser ensemble un grand voile d’amour.

J’ai souvent eu l’impression que nous avions été le jouet des astres, connus sous un transit de Jupiter, reconnu sous un autre transit de Jupiter, et dénoués sous un transit de Saturne. Nous nous sommes simplement laissés porter par le souffle du ciel. Quand elle est partie cela n’a fait aucun bruit, c’était un début de printemps, elle a profiter d’un vol d’oiseaux migrateurs et elle s’est envolée…

Franck

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4 juillet 2005

Elle lisait.......

On connaît tous cette chanson de Brassens dédiée aux Passantes : " Je veux dédier ce poème à toutes les femmes qu’on aime durant quelques instants secrets…. " Nous étions deux dans le compartiment du train. Elle et moi. Nous étions assis l’un en face de l’autre, elle, coté couloir et moi, coté fenêtre. Elle devait avoir vingt cinq ans, des cheveux châtains mi-longs ondulant sur ses épaules, des yeux noisette, une frimousse adorable. C’était l’été. Elle portait un polo beige, très léger et une jupe en daim bordeaux. Il faisait chaud. Sa jupe était courte mais elle la portait avec pudeur. Elle lisait. Et je n’arrivais pas à voir le titre de son livre. On croit souvent que les gens ressemblent aux livres qu’ils lisent. Il se dégageait d’elle quelque chose de simple, de sain, de vivant. Elle était belle et j’avais du mal à rester concentré sur ma lecture. J’évitais de la fixer ne voulant pas la mettre mal à l’aise, quand il lui arrivait de lever les yeux mon regard fuyait dans tous les sens comme si j’avais était pris en défaut. Au début la forme de mon désir commence toujours par un coup dans la poitrine, juste après je sens une grosse bulle monter au cerveau où elle éclate, alors se répand quelque chose de doux et douloureux à la fois dans tout mon corps. L’effondrement vient après. Un effondrement vaporeux. Je ne commence jamais par désirer le corps. Je tombe amoureux. Entre deux rayons de lumières, je tombe amoureux. En fait, je suis un sentimental. Pour mon malheur. Mais cela commence toujours de la même façon. Au bout de quelques minutes je perçois les premières piqûres de la fatalité. Une petite voix qui me dit que tout est vain, que les histoires de hasard n’existent pas, que je suis condamné à aimer en silence toutes les femmes qui me percent le cœur. Et que rien ne sera dit. Parce que tout est impossible à jamais. Elle lisait, calme, posée, tournant régulièrement les pages de son livre. Je me suis mis à attendre un signe. Je voulais que le monde me fasse un signe. Forcer, me paraissait incongrue. Lui parler le semblait impossible. Alors je la regardais dans le reflet de la vitre. Et plus je la regardais plus je brûlais. Ses gestes étaient lents, gracieux sans être maniérés, elle avait des mains fines, élégantes, des mains faites pour se poser sur des lèvres amoureuses, ou caresser un visage, des mains faites pour se glisser dans les cheveux, ou tenir un pinceau d’aquarelle, ou simplement tourner les pages d’un livre. Comme elle le faisait, là, devant moi. Quatre heures de voyage. Quatre heures à rêver, à se taire, à espérer n’importe quoi, un signe invisible, impossible, insensé. Elle était infiniment belle. La peau légèrement halée. Nous étions en été. Avec seulement une petite chaîne d’or autour du cou, un cou où j’aurais aimé poser ma tête, pour ne plus bouger, pour tout oublier, pour me dire sauvé de tous mes naufrages, de toutes mes errances. Poser ma tête et sentir son cœur battre, comme si s’était elle, qui me donnait son sang pour me faire renaître. Avec ma main scellée sur son ventre pour sentir la vie s’écouler avec lenteur, pour sentir sa vie consumer mes rêves et anéantir ce lac froid et profond qui gisait au fond de ma mémoire. Elle lisait, et elle s’est inclinée sur le coté pour appuyer sa tête sur la vitre du compartiment. Maintenant elle aussi semblait rêvait, ses yeux quittaient fréquemment sa page de lecture et se perdait dans un lointain imaginaire. Durant quelques instants j’ai cru qu’elle cherchait mon regard. Nos yeux se sont croisés. J’ai cru voir un léger sourire sur ses lèvres. Mais cela n’a duré qu’une fraction de seconde. Je crois que je n’ai même pas répondu. Je me suis affolé. Le train continuait à fendre le jour. Maintenant je revoyais ses lèvres découvrant ses dents blanches. Et je les imaginais s’entrouvrir pour offrir un baiser, j’imaginais cet éclat de salive, cette chair tendre et humide se poser sur mes yeux, pour toujours, pour ne plus voir le monde qu’à travers son souffle chaud, être définitivement dans la tremblance de ce voyage ferroviaire, rester dans cet entre-deux de la vie, l’entre-deux villes, l’entre-deux âmes. Lèvres de pétales rougis par le soleil, lèvres qui disent l’absolution, lèvre de chambres d’amants, lèvres de soupirs, lèvres chaudes du réveil au matin, lèvres de ferveur et d’ivresse. Bouche ardente et vertueuse, bouche de pécher et de rémission. Ne plus manger que son haleine, ou que les exhalaisons de son cœur. Elle lisait et j’étais dans un voyage incroyable. Etre seulement un silence qui courrait sur sa peau, sur ses seins, être un silence pour la protéger et lui garantir la lumière éternelle, être un silence dans lequel nous pourrions nous enfuir, nous cacher, être un silence pour disparaître au bout de ce voyage. Il aurait fallu lui dire quelque chose, lui dire que ses yeux de terre sauvage attendaient l’eau bleue d’une source rare, lui dire que ses yeux sucrés étaient fait pour la lueur douce des cierges, que ses yeux de sable étaient fait pour les longs pèlerinages. Il aurait fallu, mais je ne disais rien, comme si tout cela n’avait servi à rien.

Nous sommes arrivés à Austerlitz. Je lui ai descendu son sac. Nous sommes souris. Dans le couloir elle s’est retournée vers moi. A nouveau un sourire timide. Sur le quai je l’ai perdu de vue.

" Chères images aperçues
espérance d’un jour déçues
vous serez dans l’oublie demain
pour peu que le bonheur survienne
il est rare qu’on se souvienne
des épisodes du chemin. "

Franck.

Une fois dans le taxi quelque chose m’a noyé. Une tristesse infinie. Un désespoir disproportionné. J’avais sa silhouette devant mes yeux, juste avant que je ne la perde des yeux sur le quai. Légère, elle ne courait pas elle ne marchait vers personne. J’aurais pu la rejoindre, lui dire la lumière dans ses cheveux, lui dire l’or que j’ai vu tomber quand elle a sauté sur le quai. J’aurais pu lui prendre la main, lui baiser les bouts des doigts. On aurait pu marcher ainsi jusqu’au bout du jour, et traverser les saisons, simplement portés par son parfum d’opale, et la transparence de l’air, et le mouvement de son corps souple comme l’onde d’un ruisseau. Mais je ne lui ai pas parlé….

" alors au soir de lassitude
tout en peuplant sa solitude
de fantômes du souvenir
on pleure les lèvres absentes
de toutes ses belles passantes
qu’on a pas su retenir. "

13 août 2005

Rien de Rien......

(Il faut reconnaître que dans mon dernier texte je n’y ai pas été de main morte. Mais je crois que les vérités primordiales doivent se dire le plus brutalement possible, sans fioriture. Crûment. Dans le dénuement du mot, qui s’efface en se disant

Aujourd’hui, je dois aller plus loin. Encore.

Âmes sensibles s’abstenir.)

RIEN de RIEN

(Je le reconnais, c’est violent. A la limite du supportable. On assiste à une sorte de mise en abîme du Rien. Du rien en miroir. Ou rien ne se reflète. Jamais. L’impossible du Rien. Son effondrement. Certains remarqueront l’aspect érotique du Rien de Rien. Une copulation indécente de néant. Cela en devient presque pornographique. Ce sexe dressé de Rien devant (ou derrière, qui peux le savoir ?) cette vulve ouverte (ou fermée qui peut le savoir)de Rien. On sent bien ce va et vient, (pardon, ce va et Rien) dans les chairs vacantes du vide. Des sexes d’ailleurs interchangeables, et inversement. Des éjaculations de Rien, bavant des semences de Rien. Comme une affirmation de l’avènement des âges nouveaux. On craint pour leur progéniture. Mais cette lecture, il faut l’avouer, est superficielle. Car derrière ces bacchanales, ou saturnales, bref, cette coucherie, c’est bien de Dieu dont il est question. Un Dieu ramené à sa plus simple expression. Mais qui est sans conteste la plus belle. La plus définitive. Un dieu presque humain, et qui rend à chacun sa part d’innocente et de résurrection.)

Franck.

14 août 2005

Que sais-tu de moi que je ne connais pas encore...

Je reviens à ma langue et laisse tomber les derniers textes sur le rien, qui ne furent qu’une pitrerie de mauvais goût, mais j’en avais gros sur le cœur, Alors….. Je le dis souvent les mots se tirent la langue. Ils nous désignent. Moi, comme celui qui lit.

J’y reviens donc, j’y reviendrais toujours, puisqu’au fond, c’est la seule chose qui mérite un peu de notre attention. Que c’est le vrai sujet de toute littérature. Même celle que l’on croit noire. Et puis nous sommes toujours à un temps de l’amour : avant, au début, pendant, à la fin, après. Même le désamour et la haine sont encore le sang troublé de l’amour, comme si l’humus putride était le début le début de la rose. C’est ce temps qui nous rassemble sur cette planète, le reste ne fait qu’occuper notre ennui. Puisque l’amour c’est ce qui n’est pas moi. Puisque c’est l’espace au-delà de moi et des nuages. Puisque c’est le vide dont toute chose à besoin pour vivre et exister. Puis que c’est l’autre qui avance dans mon néant pour l’éclairer. Puisque l’autre me fait l’offrande de moi-même, sans laquelle je ne suis rien. L’autre me révèle à moi-même. Elle me fait roi, je la fais reine, hors de tout royaume, hors de toute terre. Je l’ai déjà dis, l’amour c’est quitter sa maison pour habiter la terre, c’est quitter son propre cœur, et quitter sa peau, et partir user sa chair contre la chair de l’autre.

Elle s’appellerait Sandra. Nous nous parlons ici, de temps à autre. Nous ne sommes pas intimes, pourtant une vraie complicité nous a réunis presque immédiatement.. Nous vouvoyons toujours. Ca c’est à cause de l’âge. Du mien. Dés le début j’ai adoré Sandra. Non, pas comme une madone, mais dans le sens d’une tendre affection. Elle est légère, fraîche, et grave parfois. Quand elle parle on dirait une petite brise d’été. On dirait le froissement des feuilles d’un peuplier au bord d’une eau joyeuse et ricochante. Sandra chante aussi, parce que sa voix est belle. Et surtout, quand elle chante, elle a l’impression de s’alléger un peu plus, comme si le monde ne pouvait plus l’atteindre. Sandra aime se faire prendre en photo. Elle est belle, juste drapée de sa candeur mutine.

Alors j’ai vu ses dernières photos qu’elle m’a fait parvenir. Que vous ne verrez pas. Sandra pose légèrement dénudée, à peine. Si peu, juste de quoi faire rosir les fées.

Alors je me suis laisser porter par ma rêverie. Histoire de retrouver un morceau de ciel éclatant que j’avais perdu hier. Et laisser déborder mes mots en les dédiant à cette ombre claire. Et puis aujourd’hui je voulais simplement que mes mots aillent se perdre, qu’ils retrouvent l’innocence d’un désir blanchit de désirs coquins. Sans autres prétentions. Alors j’ai décidé de l’appeler Sandra. J’aurais pu l’appeler autrement. Mais elle n’aurait pas aimé. Tout se mélange dans ma tête et mon cœur. Alors aujourd’hui son nom c’est Sandra. Disons que dans son nom il y a au moins un " A " et un " N ". Comme Sandra, ou ……..
Votre beauté me touche, Sandra. Je la trouve émouvante. Sensuelle. Elle donne envie de ne plus être un saint. Mais un démon. Que mes mots soient des souffles pour frôler votre corps, ou des mains plumes pour recueillir votre sein.
Il y a des beautés froides, distantes. La votre est chaude, avec cette fraîcheur du cœur qui donne envie d’effleurer vos yeux et de boire sur vos lèvres un poison mortel. Votre ventre semble un long rêve de tendresse, fait pour emporter les âmes au plus loin d'elles-mêmes, vos cuisses sont un large chemin de douceur et de miel, sur lequel le pénitent oublie sa pénitence, sur lequel on voudrait se perde et ne jamais revenir. Et atteindre votre bouche secrète aux mille trésors, votre bouche aux mille lèvres humides, cette bouche qui recouvre votre diamant le plus pur, pour y déposer un baiser de brûlure, un baiser de foudre et d’orage. Vous avez un corps fait de la chair même de l'amour, et pourtant vous gardez ce voile de pudeur magique qui fait de vous un temple que l'on n'ose profaner. Temple d'amour pour des prières d'amour incendiées.

Oui, je voudrais que mes mots soient de douces caresses posées sur le bout de votre âme, sur le bout de vos seins, sur le creux de votre ventre, au cœur de votre cœur, oui, je voudrais que mes mots couvrent votre nudité offerte, ou la révèle plus lumineuse encore, comme une vague mourante sur une plage étincelante.
Il faut me pardonner d'avoir oser tous ses mots, je ne suis que de chair et de sang. Et devant votre beauté, je maudis le temps qui m'a fait si vieux, devant tant de trésors.
Je vous embrasse, sur votre corps, pour boire cette chaleur, et un peu de votre jeunesse, un peu de votre éternité.
Je vous embrasse, sur vos yeux, sur votre bouche, au creux de votre cou, et dans ce coin de l'âme qui fait de vous une fleur si belle, si parfaite au parfum si mortel.

Nous avons tous nos mots pour parler de l’amour. Et tous, notre histoire. C’est avec l’astrologie que j’ai compris, à la fois, l’universalité de cette chose que nous appelons amour, et son infinie diversité. Nous ne parlons jamais de la même chose et pourtant, c’est toujours la même chose.
Attention, quand je parle d’astrologie il faut admettre que je le fais avec beaucoup de distance. Je m’en sers comme un moyen de réflexion, ou de méditation.

La première chose que l’astrologie nous lègue, c’est la tolérance. Et la deuxième, que nous n’avons pas à juger. Jamais. Jamais.

De quel amour je suis ? L’astrologue regarde en priorité la position de Vénus dans le thème. Dans quel signe (douze). Puis dans quelle Maison (douze), puis les aspects avec les autres planètes (neuf autres planètes et cinq aspects majeurs), tout cela nous donne le " poids " de la planète, et permet de nuancer les interprétations. Il y a donc une multitude de Vénus. Pour être précis, une multitude d’expressions de Vénus. Et par voix de conséquence une multitude de paroles disant l’amour. Et pourtant c’est dans diversité qu’il faut chercher la seule Vénus. Car au fond, toutes convergent vers un point du ciel, un point du cœur, ou de l’âme. La diversité devant nous renvoyer aux autres et non à nous-même. Puis que dans toutes les expressions il existe une voie qui mène à toute les autres. On est seul, mais innombrables.

La première, Vénus en Bélier est une Vénus passionnée, qui brûle instantanément. Qui s’enflamme d’un seul coup. Le corps et le cœur s’embrasent. Il y a de la fulgurance, mais aussi de l’aveuglement. Après la passion s’ouvre une longue lande mystérieuse et inconnue. C’est la vénus de l’élan primordial, du sexe, de l’initiale pulsion, elle se vit dans l’acte. Vénus en Taureau est plus calme. Elle peut être passionnée aussi, mais d’une passion plus introvertie. En Taureau vénus devient sensuelle, moins sexuelle, elle est lascive, tactile, gourmande, possessive. Elle aime la chair et accueillir la chair. Vénus en Gémeaux est quant à elle légère, presque instable, légèrement libertine et un peu égoïste. C’est l’amour dans le marivaudage, dans le badinage, le flirt, la séduction des mots. Pas toujours fidèle, mais toujours séduisante. La Vénus du Cancer, est une Vénus tout en tendresse, son rêve est de fusionner, de ne plus faire qu’un, c’est une Vénus fragile, pleine de douceur et d’imagination, l’amour se vit dans la douceur de la nuit, entre rêve et réalité. La Vénus du Lion est la plus claire expression de l’amour, une chaleur généreuse, il arrive parfois qu’elle oublie l’autre, à force de vouloir être, elle brûle au lieu de chauffer. C’est un amour conscient lucide, une fois débarrassé des pesanteurs de l’égo. La vénus de la vierge, est toute en attention, et en tension, inquiète de nature, elle est de préférence sage, timide, fidèle, elle aime la vérité, même si cela la blesse ou la déçois, elle sais aussi s’oublier au profit de l’autre, sa sexualité n’est pas débordante même si dans cette position il existe aussi des vénus-vierge un peu plus folles. La Vénus de la Balance semble faite pour l’amour, des gens, des formes, des ambiances, elle est sensible autant que sensuelle, douce et pacifique, et attachante, et convaincante. C’est une Vénus de la séduction. Avec la Vénus du Scorpion on change de registre. C’est une Vénus plus sexuelle, possessive. Envoûtante et mystérieuse. Passionnée froide, introvertie. Silencieuse. Son enjeu c’est le pouvoir, et son objectif par-delà le bien et le mal. Fascinante, elle attire. Sulfureuse, elle brûle. Vénus en Sagittaire, les choses sont plus normales, plus établies, plus conventionnelles. On peut dire que c’est une passionnée raisonnable. Généreuse, altruiste. Légèrement exhibitionniste.
La Vénus du Capricorne est tout en rétraction, en pudeur, elle est peu expressive, timide, presque froide. Elle est fidèle, mais autoritaire. C’est une Vénus ambitieuse, qui sait compter, qui sait où se trouve son intérêt. La Vénus du Verseau pourrait être une vénus militante, en tous les cas, singulière. Elle n’aime pas les conventions, les traditions, elle choque parfois et provoque souvent. C’est une Vénus tout en rythme, en scansion. Pour finir, la Vénus des Poissons, là on touche à l’infini de l’amour, on ne discerne plus l’autre de soi-même. C’est un rêve d’éternité douloureux parfois, confusant souvent. L’idéal semble difficile à atteindre. C’est une vénus, douce, sensible et lascive, perdue dans un rêve débordant et mystérieux. Dans le meilleur des cas c’est une sainte, mais à coup sûr une vagabonde une errante, a travers la chair c’est l’humanité entière qui est aimée, mais c’est un amour qui peut facilement se désincarner.

Voilà, tout cela pour dire les multiples façons de vivre, de dire l’amour. Et là j’ai fait court.

Hier elle me disait, avant, tous les débordement ici. Les violences.

" Mais je me rends compte que c'est violent d'un premier abord. Comme toi, c'est doux sur la surface mais ça brûle en dessous. Moi c'est rugueux en surface, sanglant, moche, mais en dessous c'est pas la passion, c'est un peu de désarroi, et de douceur : dans mes jugements, en fait, j'annule même le terme de jugement. "

Et puis :

" Je crois que pour aimer quelqu'un il faut s'aimer soi-même. C'est bête mais c'est vrai. Et demander à l'autre : que sais-tu de moi que je ne connais pas encore ? C'est ça la littérature. " C’est une des plus jolie phrase sur l’amour et la littérature, que j’ai entendu. C’est normal, c’est un Ange qui parle, et on le sait bien les Anges n’existent pas.

Franck

16 août 2005

Chante ma douce......

Cette semaine sera un peu agitée. Aujourd’hui je remonte à Paris préparer mon déménagement. Depuis ma naissance c’est mon dix-huitième. Instable ? Non, pourtant. Certains jours je rêve d’une grande lande de bruyère battue par les vents. Une lande de mystères et de brumes violacées. Et d’orages claquants. Une terre d’hostilités. Une terre inhospitalière. Certains autres jours, je rêve, d’un paysage méditerranéen. La mer bleue, des calcaires blancs, un soleil brûlant et aveuglant. Une île. J’ai l’âme îlienne. Impossible sérénité d’exilé. Toujours dans un retour ou un départ. Des joies courtes, si courtes, et des langueurs si vastes, si profondes, si nostalgiques, comme la mer qui berce mes rêves, comme la mère qui blanchie sous la terre. Les vagabonds ne sont pas d’une géographie terrestre, ils sont d’un lieu du cœur. D’un espace troué du cœur. Ils habitent partout, et ne sont jamais chez eux. De toutes les façons, mon pays, ce sont ses yeux et ses lèvres qui murmurent une vieille chanson :" sensuale… invisibile… teorico… ", je ne me souviens plus de la mélodie. Mais j’appartiens à ce rêve. Je ne suis que de ce rêve…. Impossible et si vrai, si lointain et si présent. Inutile et si nécessaire. Que serait la terre sans un lieu qui appelle, que serait le cœur sans une âme qui l’invite. Et qui chante dans le vent : " sensuale… Invisible…. "

Aujourd’hui, je prends le train. Et je vais retrouver les quelques objets qui désormais me suivent. J’en ai si peu. Cela faisait cinq ans que j’étais dans ce petit appartement parisien. Cinq ans, à plier, empaqueter, ce n’est pas grand chose. Ce n’est rien même. A la fin de la semaine je serais installé en Dordogne. Provisoirement.

J’aurais sans doute du mal à venir écrire ici cette semaine. Je ne sais pas. On verra bien. J’en profiterais pour réfléchir à tout ce qui c’est passé ici ces derniers temps. Car ce qui compte ce n’est pas moi. Ce n’est pas ma vie que je raconte. Vous avez bien compris qu’il s’agit d’autre chose. Mon histoire a très peut d’intérêt. Même s’il est parfois nécessaire de l’user un peu plus ici. Vous comprenez bien, que moi, en tant que tel, n’a aucun intérêt ; c’est l’autre qui compte. Puisque " je, est un autre ". Cet autre du texte qui cherche son air. Au bord de l’asphyxie. Ecrire, aimer c’est d’abord se perdre. Mais c’est terrible, je vous l’assure de se perdre. Car si vous êtes à peu près sûr de la présence de l’ogre, vous n’êtes absolument pas certains que vos petits cailloux serviront à vous sauver. Chaque jour on joue un peu plus avec la mort. Ecrire, aimer c’est le même voyage, c’est la même mer, c’est la même tempête, et c’est la même espérance. Insensée. Désespérante. Eclatante. Foudroyante. Ecrire ne soigne pas puisque c’est ça la maladie, aimer ne guérit pas puis que c’est ça la maladie. Ce qui compte c’est d’écrire assez vrai, d’aimer assez juste, pour inventer un temps supplémentaire. Un sursis. Un surcroît. Ou un reste. Une mer dans la mer. Ou simplement une île, battue par les vents, écrasée de soleil, et d’orages, où je t’attendrais serein et digne. Puisque je sais déjà ta chanson, je te reconnaîtrais : " sensuale… invisibile… ". Chante ma douce invisible, je n’ai que mes mots pour te donner la vie, chante ma douce sensuelle je n’ai que mon rêve pour te faire un chemin, chante ma douce belle je n’ai que mon âme pour te faire un pays.

Franck

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17 août 2005

Un peu plus......

D’habitude j’adore Paris au mois d’août.
Pourtant depuis hier je ne trouve plus aucun charme à Paris. Cela vient sans doute de la lumière, le soleil est pâle.
Cela vient surtout de ce départ. Je le vis comme une fuite. De quelle fuite s’agit-il ? Impossible de le savoir.
Je me suis fait des listes, histoire de ne rien oublier.
Je bâcle. Je sens que je bâcle. Je n’aime pas ça.
Les rues sont vides. Une chaleur lourde, humide. J’ai cette sensation de fuite, et je n’arrive pas à savoir si c’est bien ou non.
Il faut quitter les lieux. Toujours. Avant qu’ils ne nous quittent.

Paris m’a quitté. Je ne m’en suis pas aperçu….
Je n’ai pas de regret et pas de joie… Seulement quelque chose à l’intérieur qui se tord. Un peu.
Un peu plus.

Franck.

19 août 2005

Sinon ma lumière ne vaut rien.....

Donc c’est fini. Donc ça commence. Je m’étais promis de réfléchir. Promesse non tenue. Je n’ai pensé à rien. Simplement envahis de quotidien. Traversé d’émotions. Contrastées les émotions. Et ce sentiment fort de la solitude. Souvent, on est venu me dire ici des choses sympathiques encourageantes, flatteuses parfois. Souvent le mot qui revenait c’était : lumière. La première fois qu’on vous dit cela d’un de vos textes, votre journée s’embrase tout d’un coup d’un immense soleil. Et vous voyez d’autres appréciations, sur d’autres écritures et vous entendez : noir, nuit, ténèbres. Pourquoi, lumière ici et ténèbres ailleurs ? La vérité a deux faces, comme cette pièce que vous jetez en l’aire pour éprouver votre chance.
Je ne sais pas si mes mots sont parfois lumineux. Moi, j’ai l’impression de vivre dans la nuit est le brouillard. Ecrire, c’est simplement se dire, qu’on résiste. On ne sait même plus à quoi on résiste, mais on résiste. On cherche une vérité de soi ou du monde, on essaye d’aller derrière ses mots et de comprendre un peu plus. On essaye aussi de désapprendre, on essaye d’enlever tous les oripeaux dont on se vêt. On expose, on s’expose, car si l’on est sûr de rien, on a quand même la certitude que le mensonge n’est pas une voix. Alors on écrit. On va chercher les émotions qui vous ont pénétré, transpercé pour les remettre en place, les remettre en vie. On va chercher ces petits instants minuscules, que personne ne veut, ces rencontres ordinaires, on dénude peu à peu son passé.
A certains moment de l’écriture il peut arriver que l’on pense que c’est important d’écrire. Mais on n’est pas dupe. On sait dépasser ces pièges de la vanité. Dans la vérité de son cœur, on sait bien que le plus beau poème, n’égalera jamais une rose, même la plus oubliée. N’égalera jamais le sourie d’un enfant. N’égalera jamais la main de l’amoureuse qui se pose sur votre épaule ou votre bras. Dans la vérité de son cœur on sait très bien que les quelques idées qui parcourent les textes, sont très pauvres et très relatives. Que tout a été dit, cent fois, mille fois, et mieux dit, cent fois, mille fois.
Pourtant quand on dit que mes mots ont de la lumière, sans voir les ténèbres autour, cela me gêne. Parce qu’au fond, ma lumière supposée n’a de sens que part la nuit. " Malgré la nuit ", dirait St J de la X. Il faut comprendre, que si les ténèbres sont déniés, ma lumière s’éteint, elle n’a plus de sens. Ca devient de l’eau de rose, même pas de l’eau de vie. Il faut qu’avant une vérité soit dite. Parce que le monde que l’on vit est une horreur. Il faut quand même le savoir. Même si c’est une banalité que de dire ça. Les vies que nous menons sont pour la très grande majorité, désespérantes de futilités, d’égoïsme, d’aveuglement.
Le mal, s’insinue partout, se parant d’habits de fête pour nous faire danser la carmagnole. Et le plus souvent nous dansons.
Chaque jour, je lis la Maison des morts, vous comprenez, si on dénie " René mange merde ", je n’ai plus qu’à arrêter d’écrire. Il faut qu’il existe, lui est les autres de cette Maison, sinon ma lumière ne vaut rien.

Franck

22 août 2005

J'irai où le sang coule.....

Comme cette sonate de Chopin qui frôle la discordance pour nous rappeler la fragilité du temps, et des amours qui nous percent en nous traversant.
Ce matin, dans de lac, flottait encore la lumière d’un astre tombé. Une lumière de cristal étoilé, de miroir brisé, et en son centre, j’ai vu une marque de cendre, qu’un embaumeur invisible aurait oublié.
J’ai cherché son visage. Il ne restait que quelques mots ébréchés dans une parole décomposée. Et la trace d’un désastre annoncé. Comme ces mots disloqués que j’écrase patiemment sur le blanc du papier. Lettre par lettre.
Mais je veux croire encore. Même si dieu ne répond pas, même si les anges se sont tus. Sur la large toile le pinceau a dessiné de grandes étendues de silence et d’oubli. Et je plante mes mots dans cette terre d’absence et je pleure dessus pour les faire refleurir. Et je soulèverai les rideaux des saisons, et j’arracherai les mauvais jours, comme on arrache des broussailles, je brûlerais l’été, et l’azur, je brûlerais le feu s’il le faut. Parce que je veux croire encore.
Je n’écouterai pas ma raison qui me dit de me taire. J’irais là où le sang coule.
Ce matin, dans le lac, flottait toujours la lumière d’un astre qui se lève. Une lumière claire et limpide, qui s’extrait des ténèbres chaque jour un peu plus. En son centre j’ai vu l’empreinte d’un diamant étrange et singulier dont l’éclat mystérieux appelle les prières, et les chants, et l’amour ressuscité.
J’ai cherché son visage. Et j’ai vu l’infini qui débordait dans un très long soupir. J’ai même vu son sourire et ses doigts qui tremblaient, sur l’alliance des mots qu’on échange en silence comme une arche invisible tendue entre deux étoiles.

Franck

23 août 2005

en silence...au matin...

Au départ on est loin, on est dans l’inaccessible du temps et de l’espace. Mais les enfants savent d’instinct traverser les impossibles. Les âmes brûlées aussi. Au départ on est loin, chacun dans sa parole, dans la maisons de ses mots, au plus près de l’hémorragie qui épuise nos jours et nos heures. On est chacun sur l’horizon de la langue, chacun à son pied d’arc-en-ciel, chacun dans sa couleur.
On est loin, séparé par le ciel, et par cette arche irisée.
Au départ on est loin mais les incantations se répondent, parce que les murmures s’opposent au vacarme du monde et parce que les cris révèlent les silences. Au départ on est loin, mais peu à peu les portes du ciel s’entrouvrent. Pour agrandir l’espace, juste entre la chair est l’os. Juste entre fracas et prières.
Après, arrive le temps du chant et de la danse. Nos musiques s’entrelacent et se nouent pour nous aider à gravir l’échelle des couleurs. Chacun, à son bout d’arc-en-ciel, chemine vers l’autre sur le chemin de la langue, c’est le temps où la voix s’exalte de sa véhémence, de ses soleils, de ses éclairs. C’est le temps où les notes inventent la portée, où la cadence rythme les souvenirs, où l’espérance fleurie comme de larges bouquets. C’est le temps océan, immense et grandiose qui berce nos perspectives, et change les clameurs en louanges fruitées. C’est le temps des flammes et des voyages univers, et des jardins célestes. C’est le temps des tendresses enfantines. La source des mots s’épanche vers l’affluent du cœur. On est haut dans le ciel, si proche désormais qu’on pourrait se toucher. C’est le temps des soupirs et des apartés, c’est le temps des souffles, pas celui des regrets. C’est le temps des secrets et du sang partagé, des silences que l’on offre dans les mains que l’on tend.

C’est un temps éphémère, qui offense les dieux. C’est un temps majestueux, qu’il faudra redonner. Pour une heure enchantée, cent ans de misère. Pour un jour de délice, mil ans de repentir.

Au sommet des couleurs, nous nous sommes croisés. Au plus haut de cette arche de lumière, tendue entre nos deux étoiles. J’ai à peine eu le temps de caresser son ombre, qu’une araignée cruelle a tissé sur nos lèvres un rictus forcé.

Et dans un ciel de marbre durcit par les chagrins, c’est éteint une étoile, en silence, au matin.

" Poème, je ne vous demande pas l’aumône,
Je vous la fais.
Poème, je ne vous demande pas l’heure qu’il est,
Je vous la donne.
Poème, je ne vous demande pas si vous allez bien,
Cela se devine.
Poème, poème, je vous demande un peu…
Je vous demande un peu d’or pour être heureux avec
celle que j’aime. " (Robert DESNOS)

Franck.

29 août 2005

L'enfer.....

Je sais qu’il ne faut pas le faire. Mais hier, j’ai perdu mes mots. Alors j’ai lu ceux des autres. Ici, normalement c’est un lieu d’écriture. Normalement. Mais en fait, rien n’est vraiment normal dans nos vies. Dès qu’on rencontre l’autre on est traversé. Et parfois envahi. Submergé. Ca se passe en nous. Tout le monde connaît ça. Donc hier j’ai décidé, qu’aujourd’hui, je recopierai un texte. Chez moi, ici, souvent il se passe des choses inattendues. Au fond je trouve ça bien. Il est d’ailleurs intéressant de voir, comment à partir de l’amour les choses dégénèrent. Au départ, tout le monde s’aime. Alors les guerres peuvent commencer. Les haines. C’est pour cela que j’ai relu des pages de Thomas Merton.

" L’enfer, c’est l’endroit où les êtres n’ont rien de commun les uns avec les autres, si ce n’est leur haine mutuelle e l’impossibilité où ils se trouvent de se fuir eux-mêmes, ou de fuir les autres.
Forcées de demeurer ensemble dans leur feu, ils s’efforcent, avec une haine profonde et impuissante, de se repousser mutuellement, non pas tant par haine de ce qu’ils voient chez les autres que parce qu’ils sentent la haine que les autres éprouvent pour ce qu’ils voient en eux. Tous reconnaissent chez leurs frères ce qu’ils détestent en eux : l’égoïsme et l’impuissance, la souffrance, la terreur et le désespoir.
On connaît l’arbre à ses fruits. Si vous voulez comprendre l’histoire sociale et politique de l’homme moderne, sachez ce qu’est l’enfer.
Mais le monde, malgré tout, avec toutes ses guerres, n’est pas encore l’enfer. Et l’histoire, si terrible soit-elle, a une autre signification, plus profonde. Car ce n’est pas le mal dont elle est remplie qui nous aide à la comprendre, pas plus que le mal qui imprègne notre temps ne nous fera comprendre notre temps. Dans la fournaise de la guerre et de la haine, ceux qui s’aiment sont étroitement unis dans leur charité héroïque malgré la souffrance, tandis e ceux qui haïssent sont dispersés et projetés comme des étincelles, de la fumée et des flammes, dans toutes les directions. "
............
" …Une porte s’ouvre au centre de notre être et nous avons l’impression de plonger dans d’immenses profondeurs qui, bien qu’infinies, nous sont accessibles ; toute l’éternité semble être devenue nôtre dans ce contact unique, calme et éperdu. " (Thomas MERTON)

Franck et Thomas (surtout Thomas)

30 août 2005

Ce n'était pas vraiment utile de le faire comme ça...

Ce n’était pas vraiment utile de le faire comme ça. La vérité et la franchise ne sont pas obligatoirement haineuse. Les vérités qui se succèdent de jour en jour, toujours différentes ne constituent pas La Vérité au final. Les choses pouvaient se dire plus simplement. Depuis longtemps. Sans chercher le paroxysme haineux, méchant. Blesser pour blesser. Il n’y a rien gagner là-dedans. Le monde autour nous se charge bien assez souvent de déchirer, de mutiler nos existences. Mais si cela t’apaise, alors c’est bien de l’avoir fait comme ça. Si tu es convaincu qu’il faut toujours en passer par là. Alors il fallait le faire. Comme ça. Avec brutalité et violence. Si tu crois que c’est juste, alors il fallait le faire et le dire comme ça. Mais " CA ", ce n’est pas de la littérature. C’est simplement faire du mal. Gratuitement. Ce n’est pas glorieux, mais cela t’a fait du bien, il fallait le dire ainsi. Non, tout cela n’est plus de la littérature. Ni ancienne, ni nouvelle.

Julie, ma petite fille, jusqu’à ce jour je ne t’avais pas invité dans ces pages. Je voulais te préserver de mon écriture. Tu as ta vie. Et maintenant que tu viens d’être maman, tu as la vie de Carla à bercer, à faire croître. Oui, je ne t’avais pas invité, ici. Mais je sais que tu passes de temps à autre. C’est pour ça aujourd’hui. C’est vrai qu’on a eu une drôle de vie tous les deux. Mais au bout du compte je crois qu’on arrive à s’en sortir. Il y aura toujours eu des distances géographiques entre nous, mais on a su trouver notre langage à nous. Ta voix au téléphone l’autre jour était claire, joyeuse. J’aime entendre ton rire de gorge. Oui, aujourd’hui, je voulais te dire que si tu lis des trucs pas terribles sur ton père, il ne faut pas que tu t’inquiètes. C’est de la littérature. Oui, tu sais, la littérature comme toutes les choses importantes est parfois cruelle. C’est son sens de dénoncer les impostures du monde, de la vie, des gens. Oui, je suis lâche et un tas choses en plus. C’est certainement vrai. Mais je te rassure guère plus que tout le monde. On sait tous les deux quelle est la couleur de notre courage. On sait toutes les distances qu’il a fallu traverser pour enfin se connaître mieux. Mais quand je te vois avec Carla il y a quelque chose d’apaisant qui circule en moi. La dame qui dit toutes ces choses sur ton père ? Tu sais, elle est blessée. Elle souffre. Elle a du courage aussi. Elle a un talent hors du commun. Et une belle énergie. Elle mène un combat difficile contre la laideur du monde, contre la violence. Toutes les violences. Tu sais son rêve en fait, serait de terrasser le mal et la violence.

Alors aujourd’hui, je voulais te rassurer. Et te redire combien je t’aime. Combien tu me manques. Toi et Carla. Quand vous êtes parties toutes les deux aux Etats-Unis, ta mère et toi, si longtemps, j’ai eu du mal à combler ce vide soudain. Mais tu vois les années ont passé. Et maintenant tu es maman. Une belle maman. Et ta voix est claire. Tu vois Julie, le monde est difficile, beaucoup le complique. Pourtant les choses sont simples. N’emploie jamais les armes de ton ennemi, parce que tu deviendrais comme lui. Ne prend pas ses mots parce qu’ils deviendront ta langue. Ne flatte pas, mais soit pas injuste. Equilibre tes gestes avec ta parole. Soit du coté de l’amour, même en face des haines, même si c’est difficile et parfois impossible. Essaye. Essaye toujours. Parce qu’il n’y a pas d’autre issue. Et ceux qui te diraient le contraire serait des menteurs. Quant à la lâcheté, apprend à la déceler, elle prend des formes bizarres, incongrues. Une des plus grandes, c’est sans doute le mépris.

Tu sais Julie, je ne vais pas faire trop long aujourd’hui. Je n’ai pas le cœur au bavardage. Nous parlerons plus longuement au téléphone. Et ne t’en fais pas pour ces mots sur ton père, ce n’est pas grave. Nous savons ce que nous avons à nous dire. Et nous savons cet amour qu’il a fallu gagner, sur le manque, la séparation et les malentendus.

Ce n’était pas vraiment utile de faire ça comme ça.

Franck.

31 août 2005

Au moins j'ai pu le retourner.....

Estelle, elle m’appelle presque tous les jours. Depuis le mois de juillet. C’est difficile pour elle. Daniel est mort. Son ami, son compagnon, son amour. La mort est un pays caillouteux interminable. Ils ont eu six mois de bonheur. Le reste, la maladie, longue. Estelle, avant était forte, énergique. Là, elle ne veut plus rien. Si, elle voudrait mourir. Le rejoindre. En finir. Pour continuer à l’infini avec lui. " Vous ne pensez pas, Franck, qu’après la mort… la haut … il y a quelque chose ? " Je ne sais pas. Je ne crois pas. Il faut vivre Estelle. Encore un peu. Ma voix n’est pas convaincue, ni très convaincante. Pourtant, oui il faut continuer. Quand j’ai vue Estelle il y a une quinzaine de jours, elle pleurait beaucoup. Elle répétait toujours les même phrases, les même mots. " Je suis tellement triste ". Une fois dite la phrase provoquait des sanglots. Estelle ne veut plus avancer. Six moi de bonheur. Ce n’est pas assez. " Vous savez, Franck, avec Daniel, on s’aimait. Vraiment, on s’aimait. ". Elle ne dort plus. Alors elle boit un peu. Beaucoup. Du vin. A sa voix j’entends…. les mots du vin. Elle n’en veut plus de cette vie. Les mots du vin avec leurs épaisseurs, leur écho, et l’interminable redite, de l’absence, de la peur, et les larmes qui étranglent. Et le chagrin qui colle aux heures, aux secondes. Elle a essayé avec des médicaments. Fin juillet. Une nuit de vin, une nuit de trop. " J’ai tout raté, même ça… je n’ai réussi qu’à m’assommer pour deux jours. " " Et avec mes fils ?… avec le plus jeune on est brouillé… et avec le grand…il a sa vie.. ". " Je n’ai rien qui me retient ici… ". La semaine dernière, le téléphone lui a annoncé que la mère de Daniel venait succomber d’une crise cardiaque. Quand le sort trouve un coin, il tape, il tape. " Nous étions bien toutes les deux, on parlait de lui… Voilà, ça continue… jamais ça pourra s’arrêter. Il faut que j’aille là-bas. Vous comprenez, ils vont rouvrir de caveau. "

On s’est parlé aujourd’hui. Je vais à Paris, je la verrais. Sa voix est cassée. Le vin. Elle me dit qu’elle contente quand même. Parce qu’elle a pu retourner Daniel. " Ils avaient disposé l’urne à l’envers, alors ça ne pouvait pas aller. Je l’ai retourné. Je me sens mieux. Il est droit maintenant. " " On peut pas monter au ciel la tête à l’envers ". Elle me dit qu’elle va mieux. Je verrais bien ce week-end. Elle m’a dit qu’elle irait voir un docteur, qu’il faut qu’elle remange, qu’elle redort. Estelle parle beaucoup, elle donne toujours tous les détails. " Quand, il était encore conscient, il m’a dit : je veux que tu sois heureuse. Mais vous comprenez, sans lui….j’aurais l’impression de le trahir… " Ecoutez-le Estelle. Posez votre verre, et essayez encore coup. Une fois encore, je suis sûr que ça va marcher. " Je suis heureuse, au moins j’ai pu le retourner… Je suis tellement triste, mais maintenant qu’il est droit…. "

Oui, il est droit, Estelle, et vous aussi vous êtes droite. Difficile de respirer quand la mort étouffe les jours. Mais vous êtes droite. Posez votre verre Estelle. S’il vous plait, posez-le ! Je vous raconterai mes histoires de blog…
Ce matin je disais dans un courrier : quand une étoile s’éteint, il y en a une qui s’allume. En fait c’est faut, quand une étoile s’éteint, il y en a deux qui s’allument. Et je connais leurs noms.

Franck

5 septembre 2005

Que faisons-nous.....

On vit dans un drôle de monde. Cela fait quelques jour que j’ai arrêté de poster régulièrement. Et la machine continue à tourner toute seule. On n’a même plus besoin de moi. Je trouve cela plutôt bien. Quelqu’un me disait récemment : " J’écris, et personne ne vient poser des commentaires. " Chez moi c’est l’inverse.

Oui, vraiment on vit dans un drôle de monde. Chacun dans sa bulle. Aveugle et sourd, mais surtout pas muet. Nos ego, bourgeonnent, gonflent ; et alors qu’il faudrait lutter contre cette tendance morbide d’exister avec un moi malade de lui-même, - ne serait-ce que pour rencontrer l’autre et l’accueillir dans un cœur laver de nous-même – que faisons-nous ? Au lieu de retenir nos élans violent, que faisons-nous ? Au lieu d’être silencieux ou reconnaissant que faisons-nous ? Au lieu d’habiller notre âme pour recevoir l’amour que faisons-nous ? Au lieu d’accepter les différences, que faisons-nous ? Au lieu de brûler nos faiblesses, que faisons-nous ? Au lieu de dire que la parole de l’autre me grandit, quelque soit la parole, parce que cette parole s’adresse à nos manques, nos absences, que faisons-nous ? Au lieu de dire, " c’est à moi d’être à la hauteur. " Que faisons-nous ? Au lieu de penser que la trahison pourrait aussi venir de soi que faisons-nous ? Au lieu de voir la beauté évidente de l’autre, que faisons-nous ? Au lieu d'écouter, que faisons-nous ?

Oui, que faisons-nous ?

Franck.

11 septembre 2005

Je sais des silences.....

Je parle du silence. Souvent. C’est un lieu étrange, qui m’habite comme un ciel tourmenté. C’est une immense mer aux rives brumeuses, aux contours disparus. C’est un lieu de profondeur sans épaisseur. Sans naissance et sans mort. Mais les silences ne se valent pas. J’aime le silence. Je n’aime pas tous les silences. J’aime la parole, je n’aime pas toutes les paroles. Le silence a deux couleurs. Deux non-couleurs. Le silence blanc et le silence noir. Le blanc couronne la langue du lait, il est l’or d’une parole qui a suffisamment signifiée et qui s’efface. La parole se retire et ouvre un ciel. La parole se retire et appelle un monde. La parole se retire et emporte avec elle nos guerres, nos stridences, nos impatiences. Elle emporte le vacarme de notre vie et jusqu’à notre présence. Silence blanc d’une harmonie enfin retrouvée, silence blanc d’un abandon enfin consenti, silence blanc d’un temps qui ne blesse plus notre chair, notre mémoire, notre espérance.

Silence blanc qui permet l’envol de la flamme dans sa plus juste tension, parce que le poids s’allège et que la grâce affleure. Silence blanc de l’offrande amoureuse, avant le geste, après le geste, ou comme un geste apprivoisé soumis au regard attentif et bienveillant qui l’accueille. Se taire pour laisser la place au monde. Se taire pour trouver sa place, ici, dans l’instant de mon souffle et dans la plénitude de mon dénuement. 

Et l’autre. Le noir. Celui que je connais si bien. Je suis issu d’un silence noir. Né dans cette béance, de cette béance. Le silence noir est une hémorragie, une fleur de néant, une orchidée d’absence brûlée par l’oubli. C’est la vague écrasante qui déferle par ennui sur les insuffisances d’une vie, c’est le silence du crime quand le crime se commet, quand il est consumé. C’est la douleur sans mots, parce qu’elle est sans rémission. C’est le bruit qui s’arrête épuisé de lui-même et gorgé de vengeance. Il est nourrit d’indécence, d’impudeur et d’orgueil. C’est le trop plein du crime, le reste du sang, le reste d’une attente vaine. Le silence noir a le poids du péché et le goût du mépris.

Il parlait peu. Il a toujours parlé peu. Sauf les jours de vin. Sinon, il parlait peu. Il parlait avec ses yeux, avec ses maxillaires. Avec ses silences surtout. Il parlait avec son mépris. Avec sa distance. Parce que ses silences étaient pleins. Epais. Sa parole arrivait comme une délivrance, même les paroles cassantes. Son pouvoir était fait de silence. C’est là que je suis né. Au cœur de ce silence noir et épais. Sauf les jours du vin. Où les mots venaient en cascades déferlantes. Où les mots déferlaient comme un poison dans le sang. Où les mots épais, s’empilaient sur les silences épais. Il est des silences généreux où chacun a sa place, il des silences meurtriers qui aspirent la vie, les sourires, la couleur des jours et jusqu’aux joies les plus simples. Lui il taisait les autres. Il les enfermait dans une absence de mot. Sa femme, ma mère. Et moi, son fils. Tout devait être réduit au silence. Et les coups ne s’arrêtaient que lorsque que je me taisais. Vivre en silence, souffrir en silence, haïr en silence, mourir en silence. Il y a des silences de paix, il y a ceux de guerre aussi. Il est aisé de briser la parole, parce qu’elle est fragile, inconstante, évanescente. Le silence noir ne se brise pas, parce qu’il est fort de nos peurs, de nos faiblesses, de nos forfaits, de nos trahisons, de nos omissions. Le silence noir est un lit boueux. Il taisait. Et brusquement il n’y avait plus d’espace. Plus de lieu. Il taisait. Et il n’y avait plus de vie possible. Plus de respiration suffisante. Il taisait, et la parole de l’autre s’éteignait. Il taisait, parce qu’il y a des silences d’une violence absolue. Comme les paroles du vin qui sont elles aussi dans la violence. Le samedi soir il parlait. Pas tous les samedi. Il parlait de lui. De lui. D’un lui suffisant. Il disait ses histoires. Toujours les même. Toujours le même, lui. Et toujours pas d’espace. Sinon, l’espace du vin et l’ivresse des mots qui jouissent d’eux-mêmes. Partager la bière comme partager la haine. Nous ne partagerons plus la même bière. Ni le même caveau, ni le même ciel, ni les mêmes silences. Je ne suis pas de toi, papa, puisque je m’accouche tous les jours un peu plus. Je ne suis pas de toi, parce que je ne suis plus de ton silence. En fin de nuit souvent revenait la même histoire. Tes actes de bravoures. La libération. Le débarquement a eu lieu. Il est temps de s’affoler. Bien sûr tu es jeune. Tu fais parti de ceux qui on eut honte, et de ceux plus rare qui trouvait beau les chants allemands. Il était temps de résister. Alors il y a eu l’attentat manqué contre ce capitaine de la gestapo. Il vous attendait. C’est ce que vous avez dit. Vous avez été trahis. C’est ce que vous avez dit. Alors celui-là, vous l’avez pris. Alors celui-là vous l’avez massacré. Souvent, le samedi soir tu racontais dans les parole du vin cette histoire. Je l’ai entendu cent fois, peut-être mille. Peut-être que je l’ai toujours connue. Peut-être que j’y étais. Dans l’avenue de la gare. Tout ce silence. Et tous ses mots du vin. Il ne voulait rien dire, il disait qu’il ne savait de quoi on lui parlait. Il restait silencieux. Il n’était pas courageux. Mais il restait silencieux. Dans le silence du vin, j’écoutais chaque samedi la parole du vin. Toujours la même histoire, tu employais toujours les mêmes mots, les mêmes séquences de mots. C’est fréquent avec la parole du vin. Vous l’avez pris, et il ne disait rien. Tu m’as dit que dans l’avenue de la gare, Pep t’a pris le pistolet des mains et l’a achevé comme un chien. Parce qu’il était presque mort déjà. Et il ne disait rien. Tu m’as dis qu’il ne pouvais plus rien dire a la fin. Parce qu’il était massacré. Toujours les mots. Le silence de l’autre. Mille fois la même histoire. Sans dévier. Souvient toi un soir. La parole a déviée. Moi je ne buvais plus. Toi tu continuais. Jusqu’au bout tu as continué. Alors bien sûr tu finissais par la même histoire ? L’attentat manqué. L’interrogatoire du traître. L’avenue de la gare. Pep, qui prends ton pistolet. Pep qui t’écarte. Pep qui tire. Mais ce jour là je n’étais plus dans le silence du vin. « Je suis sûr, papa, que c’est toi qui a tiré… » Tu m’a regardé. Tu n’a rien dis. Tu m’as regardé. Ton silence avait changé. Brusquement il était devenu accessible. Presque humain. La parole du vin s’est suspendue. La première fois. Dis papa pourquoi tu ne dis rien ? Pourquoi ce silence.  Pourquoi tu as tiré ? Pourquoi tu as tué ?

Je sais des silences lumineux, éclatant comme un ciel étoilé, je sais les silences amoureux des peaux qui se frôlent. Je sais mon silence, et sa source et son eau, et je sais le chemin, et l’offrande et peut-être l’oubli.

Dis, papa pourquoi tu as tiré ?

Franck.

12 septembre 2005

Comme un soleil qui monte......

Je l’ai vu arriver de loin. Un point dans perspective du chemin. Un point sans forme précise. Un point qui se rapproche. J’étais assis dans un creux d’existence. Et j’ai vu une silhouette de feu, qui avançait avec une détermination de tonnerre, sur ce chemin pavé de silences et de mots, ce chemin de désordre. Je l’ai vu arriver de loin. Comme de derrière ma mémoire. Nue, habillée de sa seule parole. J’ai vu la poussière que soulevait ses mots à chacun de ses pas, j’ai bien vu la poussière se transformer en poudre d’or à chacun de ses mots. J’ai bien vu dans son approche souveraine mille ans d’histoire s’effriter sous ses pas, trente siècles se répandre comme une rosée de cristal. J’ai vu au loin les dieux fermer les yeux et se mettre à genoux, et prier, et pleurer, et les saintes arracher des soupirs aux cendres noirs des cloîtres, j’ai vu le criminel embrasser la victime, et le bourreau se pendre à sa corde, j’ai vu le sage perdre sa raison et le fou enseigner aux enfants, j’ai vu les mères offrir leurs seins pour sauver les malades, et les vierge chanter dans le vent les prières du matin. J’ai vu les saisons défiler et les heures danser, et les guerriers brandir leurs cœurs ensanglantés empalés sur leur glaives. Oui, je l’ai vu approcher comme un tonnerre de dieu, même son ombre l’avait désertée, seul le soleil pouvait la protéger.

Quand elle fut près de moi elle n’a pas ralenti, elle a simplement tendue la main, pour montrer le chemin. Et je me suis levé. Moi aussi j’ai marché. Quand elle fut près de moi j’ai vu sur son visage le souvenirs des pages blanches, la trace des paroles écrites à l’encre rouge et celles à inventer à l’encre bleue, j’ai vu la forme que prend les rêves brisés, j’ai senti dans son souffle la profondeur des exils, sur le bord de ses lèvres le murmure des aveux. Et sa voix sonnait comme un cor blessé. Un cor immense et profond et lourd. Et blessé.

Sur sa peau dénudée se dessinaient les mondes engloutis, les mers déchaînées, les naufrages humains. Chaque cassure du temps était transcrite à l’endroit de douleur, à l’endroit du mystère, à l’endroit meurtri, fracturé, éventré, gravé en lettre blanchie à la chaux, en lettres pleurées, en lettre hurlantes.

Elle marchait vite et droit. Droit et longtemps. Et j’ai suivi un temps. L’espace d’un printemps. A chaque étape un pays. A chaque pays une misère. A chaque misère un soleil. Et demain, et toujours, et sans cesse refaire le même souvenir avec des mots nouveaux, venus de la même chair, sortis du même sang, du même cri. Elle marchait comme une guerrière, sans se retourner puisque le passé était là, devant, comme un baiser mortel, comme une urgence impossible. Là. Seulement là. Et ce goût de la vie et ce goût de la mort et ce rire étranglé. Et cet or sur la route à chacun de ses pas. Et les morts à convaincre de respirer encore, une dernière fois. Et l’amour qui gueulait, qui gueulait, qui gueulait. Elle marchait vite et droit, sans baisser son regard, sans trembler. Mot après mot. Mort après mort. Nuit après nuit. Des sanglots dans les rires. Oui, je l’ai vu traîner l’univers pour le faire plier et l’obliger à rendre l’âme des hommes, des femmes, des enfants, des errants, des perdus. Les âmes volés. Les âmes souillées. Les âmes oubliées. Oui, j’ai vu l’écriture s’engendrer pour désigner plus fort chaque lâcheté. Pour éclairer et dire autrement les parures du vrai. J’ai vu les Galaxie à l’envers, s’excuser pour leurs indifférences. Et les puissants rougir de leurs indécences. J’ai vu les riches brûler leurs richesses. Et les pauvres embrasser son sourire.

Elle marchait vite et droit. Je l’ai vu s’éloigner sur le chemin des mots. Comme une guerrière, sans se retourner. Simplement l’amour qui gueulait, qui gueulait, qui gueulait. Laissant tomber son or, d’une langue souveraine. Offrant, sa chair carbonisée, son sang calciné, sa mémoire embrasée, même aux morts. Surtout aux morts. Pour leur donner la force de sortir de leurs cendres.

Elle n’est plus qu’un point au bout du chemin. Il n’y a plus que l’or au bout du chemin. Et ce point si proche du ciel, qu’on le croirait dans le ciel. Comme un soleil qui monte à l’horizon. Étincelant d’une infinie miséricorde.

Franck

13 septembre 2005

Il est des nuits.....

On arrive à Gao comme si l’on quittait l’océan. Toujours harassé d’une traversée. Lourd d’un voyage. Lourd d’une fin. Les yeux brûlés par les éclats du soleil, par le reste des rêves et le reste des nuits. On arrive à Gao couvert d’un linceul de sable poisseux, collé comme une peau sur la peau. On arrive à Gao toujours à la tombée du soir. Presque en cachette. On arrive à Gao sans tristesse, sans joie. Seulement une immense fatigue. Arriver à Gao c’est arriver de loin, c’est venir d’un désert, d’au-delà d’un désert. C’est avoir franchi sa vie dans une étendue de poussière, dans l’étendue sans fin de nos questions vaines, de nos réponses craintives et faciles. C’est d’avoir mesuré la pauvreté de nos prières, l’étroitesse de nos désirs. Et nos misérables souffrances. Arriver à Gao c’est être un naufragé, puisque là-bas, plus au nord, quelque chose de nous est resté. Peut-être le meilleur. Peut-être le pire. C’est cela qui épuise, ne jamais savoir, même après un désert, même en arrivant à Gao.

Cela faisait plusieurs jours que le marabout voyageait avec nous sur les sacs de dates que le M.A.N. diesel transportait. Il était silencieux. La vitesse du camion faisait flotter son chèche qu’il enroulait comme les gens du sud du Sahara, comme les Touaregs. Ce n’était pas un touareg. Il portait une sorte de grande djellaba bleu clair, qui couvrait un large pantalon de toile légère et blanche, et qui masquait à peine une ceinture où était accroché un poignard ouvragé au bout recourbé. Il avait la peau mate, très foncée, mais pas noire. Il était grand et maigre, des yeux clairs perdus au fond d’un visage sans âge, usé de soleil et de contemplation. Un visage tout en angle. Tout en avancée. Tout en tension calme et sereine. Sur le camion il ne bougeait pas. Il gardait tout au long du jour la même position. Accroupi, les genoux au nivaux des épaules sur lesquels il appuyait ses bras. Depuis des siècles il avait cette position. Depuis des siècles il fixait l’horizon des sables, sans attendre rien. Sans rien espérer, que de pourvoir regarder cet horizon des sables pendant des siècles encore. Il avait fait un trou dans un sac de jute, et de temps à autre il prenait une datte, et la mâchait longtemps, et il suçait le noyau. Longtemps. Ca veut dire quoi longtemps ? Là-bas longtemps ce n’est pas du temps, c’est une distance, c’est une direction, c’est une légende, c’est un mystère. Longtemps. C’est la vie d’un homme, son histoire, ses rêves. Longtemps, c’est un ciel, ou une source, ou les yeux de la reine de Saba, ou la mort et son cortège de djinn.

Il nous a dit : a Gao vous viendrez dans ma maison. Son Français était approximatif. Mais on se comprenait. Pour lui s’était important qu’on vienne chez lui. Sa voix était grave, profonde, traînante. Il accompagnait souvent la fin de ses phrases d’un geste ample de la main, le bras tendu, comme pour désigner au loin le reste d’une signification que les mots sont impuissants à dire. Il hochait la tête, et tout était dit.

Gao, c’est la fin des sables et c’est le début du fleuve. Nous sommes arrivés à Gao, il faisait presque nuit. Nous n’avons pas vu le fleuve, mais nous l’avons senti. Un souffle obscur dans la nuit. Une présence. Un épanchement de vie nouveau. Presque incongrue. Quelque chose était là. En plus. A l’entré de la nuit Gao ce sont des musiques de balafons et de quelque tambours improvisés. La ville est plate sans étage, presque sans éclairage. On s’oriente toujours aux étoiles, et au souffle du fleuve et aux odeurs, et a l’inclinaison de son cœur, à sa nonchalance. A son abandon.

Nous l’avons suivi.  Comme des ombres sans ombres. Sa maison état là. Grand cube de un étage, en terre séchée, sorte de pisé. Un grand cube vide de meuble, vide d’âme. Avec seulement un escalier de terre qui montait sur une terrasse. Une terrasse qui ouvrait sur la nuit. Nous nous sommes installés dans une pièce vide. Il nous fit comprendre que le repas arriverait bientôt. Et qu’il nous attendait sur la terrasse pour boire de thé, le temps que le feu soit allumé.

Et puis sorti de nulle part, une sorte d’agitation calme. Des ombres. Des ombres silencieuses sont arrivées. Un homme squelettique fit le feu à l’air libre sur la terrasse. Il prépara la théière. Sorti des verres d’un sac de toile. Brisa les restes d’un pain de sucre, fit couler de l’eau dans la théière et y rajouta les graines noire du thé. Le marabout était là, assis. Depuis des siècles assit, sur cette terrasse de nuit et de désert. Silencieux. Il y eut un premier cérémonial de thé. Puis l’attente. Puis le silence. Puis la nuit qui s’intensifie. Une femme voilée est arrivée. Elle a posée une bassine en émail au centre du cercle que nous formions, et puis a disparu. Une ombre dans l’ombre de la nuit. Dans la bassine il y avait du mil cuit et au-dessus quelques maigres poissons bouillis. En silence nous avons mangé, récupérant avec le bout des doigts cette pâte de mil brûlante. Chacun creusant un cratère devant lui. En silence.

A la fin, la femme est revenue, sortie de nul part. elle à repris, la bassine de nourriture vide. Puis elle a disparu à nouveau. Sans bruit. Sans mot. Depuis des siècles sans mots.

Maintenant nous étions autour du feu. Un autre thé se préparait. Puis ils sont arrivés. Un à un. Des hommes jeunes. Trois. Aux regards éclatants. Avec une immense déférence il ont salués le marabout, puis nous, les invités. Ils ont prit place autour du feu. Le thé a circulé. Le marabout nous a expliqué que ces jeunes gens étaient ses élèves. Et que ce soir il allait les enseigner. C’était un temps où les barbes ne couvraient pas la religion musulmane d’un voile sombre. C’était un temps de l’Afrique pauvre mais sereine. C’était un temps où l’on parlait aux étoiles, la nuit, au bord du fleuve Niger, aux portes de l’océan saharien. C’était un temps sans peur.

Alors il a parlé. Longtemps. Il parlait une langue que nous ne comprenions pas. Mais il s’arrêtait parfois pour se lancer dans une traduction hasardeuse. Qu’importe, sa voix était belle et profonde, elle venait de si loin, d’un désert et du fond des siècles. Toujours avec cette voix de ventre, cette voix grave qui montait dans la nuit. Et sa main qui désignait les étoiles pour les prendre à témoin. Il parla de religion, il expliqua Le Prophète, et Jésus, et le roi Salomon. Il expliqua la reine de Saba, et le berceau de nos fois communes. Il disait qu’on avait le même dieu, et la même espérance. Il disait la Bible et le Coran, en montrant les étoile, en les appelant de leur noms, en expliquant les pays qu’elles désignaient. « Là, dans la direction de cette étoile, si tu voyages quarante lunes tu arrives au pays de Salomon. » « Il faut donner à Dieu, tes mains, ton cœur, et il s’occupera de tes rêves et de ton âme. » « Il faut prier ton Dieu et abandonner ta colère et il te conduira à la source. » « Va dans le désert, cueille un silence et revient. » C’était une nuit du monde, sous les étoiles brûlantes du désert, une nuit de passion dénudée. Pauvre et infiniment abondante.

Sa voix semblait chanter une mélopée lancinante. Seuls ses yeux brillaient. Seule son âme embrasait le ciel. Cette nuit lui répondait, comme chaque nuit de désert répond à celui qui s’est longtemps tu.

Les trois jeunes hommes l’écoutaient en silence, avec seulement quelques mouvements de têtes. « Nos dieux sont des frères, ils viennent du même sable, et regarde le même ciel et s’éclaire du même soleil. » « Chaque homme est un pays, conduit-le à ta source, donne lui de ton eau, et vos pays seront un royaume. Tends lui cette fleur et vous élèverez un temple. Tends lui la main et Dieu priera pour toi. »

Il est des nuits qui prennent naissance hors d’un temps connu. Il faut avoir traversé sa vie comme un long désert pour les contempler. Il est des nuits perdues où dans la voix d’un vieux marabout, un ciel entier s’illumine. Il est des nuits sans peur, puisque tout est là. Dans l’instant. Dans le souffle du fleuve. Dans un thé arachide. « Brûles ton désir aux feux du soleil du désert et une reine embrassera ta main. » « Fais-toi un rêve à la mesure du ciel, et ton cœur sera un jardin aux fleurs éternelles. »

Franck.

14 septembre 2005

Cinq cigarettes......

Cette année là j’étais plus à cheval qu’en cours. Tout mon temps libre je le passais au centre équestre. S’occuper des box, des chevaux. Leur donner à manger à boire. Les brosser. Aller jusqu'à la plage, pour que les vagues massent leurs tendons. Cirer, astiquer les selles, les brides. Construire les obstacles pour après les sauter. Je venais presque tous les jours. Ma récompense était de monter. Des cours particuliers avec le moniteur. Cette année là, ce fut des promenades dans le maquis Corse, des galops sur la plage, les obstacles sur lesquels je m’envolais et le dressage. Le dressage était la partie difficile. Dure. Apre. Epuisante. C’est sans doute là que j’ai appris les premières choses utiles.

C’était un temps d’adolescence où la mémoire est encore vierge, où rien n’est vraiment inscrit, où rien ne semble irrémédiable. Le matin on se lève et aussitôt on est dans l’humeur du soleil. Bien sûr c’était un temps où l’amour traversait le corps, mais la trace qu’il laissait était encore supportable.

J’aimais Frédérique. Et elle tournait autour de moi comme un papillon facétieux. J’aimais son rire. Et le clignement de ses yeux. C’était un temps d’odeurs variées et fortes, la sueurs des chevaux, le maquis, les orangers, la fumées des premières cigarettes, les cheveux de Frédérique, et la mer si proche, et le vent du large, et la vie qui poussait dans le sang. Le moniteur utilisait mes bras, mais il aimait aussi m’enseigner. D’abord se taire. D’abord sentir. Laisser monter dans sa chair l’animal. L’écouter, l’entendre. Le voir. Le comprendre. Et l’aimer. Et lui dire qu’on l’aime autrement qu’avec des paroles usées. Lui dire qu’on l’aime, simplement d’un tassement de rein. Simplement d’une tension de plume sur le mors. D’un murmure. D’une longue caresse sur l’encolure. Seul dans le manège, avec Cyrnos. Cyrnos était un drôle de mélange de races. Mais il était beau Cyrnos, fier, joueur. Bai brun. Une crinière noire, et des yeux rieurs. Tout le monde aimait Cyrnos, mais personne ne voulait le monter, son trot était dévastateur. J’aimais Frédérique. J’aimais Cyrnos, dans ce temps d’odeurs d’oranges. Lui, le moniteur, il disait, pas besoin de galoper pour apprendre à monter. Apprend d’abord à marcher droit. Droit et dans l’impulsion. Au pas avec un cheval au travail. Au pas dans la douceur du geste, et dans la fermeté de l’intension.

Cette année là, la police est venue. On les a accompagné dans le maquis. C’est là qu’on a découvert le corps. Avec le fusil. Et le sang. Cyrnos piaffait. Il sentait la mort. Et le désespoir. C’était un temps de jeunesse et de vent. Où rien n’est vraiment inscrit. Sauf ce corps désarticulé, avec la tête dispersée. Et ce sang brun, presque noir sur les rochers blancs, perdu au milieu des arbousiers.

On devient souvent adulte par hasard. Comme ce jour là. Où quelque chose s’est inscrit.

Ils ont enlevé le corps. Puis ils sont partis.

Et je suis remonté là-haut, avec Cyrnos. Et je suis resté longtemps, à coté des roches tachées. Comme obnubilé. Il y avait cinq mégots de cigarettes. Et des allumettes éparpillées. Cinq cigarettes. Le temps d’un courage. Il a du s’asseoir. Et fumer. Et pleurer peut-être. Et attendre. Et avoir la peur collée aux parois du ventre. Une cigarette, et puis l’autre. Et la vie qui défile. Et cette mer si bleue en face. Si désespérément bleue. Puis une autre cigarette, pour faire passer le plomb qui sort du cœur. Et le fusil posé. Peut-être partir, peut-être s’enfuir. Tout recommencer. Il y avait cinq mégots, mais une quinzaine d’allumettes. Le vent sans doute. La peur. Les tremblements. Cinq cigarettes le temps d’une vie. Quand on l’a trouvé son corps avait glissé dans la pente après qu’il eut tiré. Posé comme un pantin. Sa face n’existait plus.

Ce sont les cigarettes que je voyais. Plus que le sans coagulé et noirci par le soleil. C’est long, cinq cigarettes, c’est long et s’est court. C’est rien. Il avait du aimer, ou haïr. Il avait du rêver enfant. Il avait du être un roi dans les bras de sa mère. On n’a jamais rien su de sa vie, de son geste. Moi j’ai dans la mémoire cinq cigarettes, et quelque allumette éparpillées.

C’était un temps d’adolescence, où les amours traversaient nos saisons. Des amours légers comme le vents et bleus comme la mer, là devant.

J’ai repris le pas dans le manège. Droit. Grave. Desserrant les doigts sur la bride. Le corps souple, sans tensions, simplement l’intension ferme d’aller de l’avant. Simplement le désir accroché à l’horizon.

Ecrire c’est un peu ça. Etre dans un geste souple et ferme à la fois. Ne rien tenir et pourtant être là. Droit dans sa parole, engageant sous la masse des chairs de l’animal l’énergie d’un devenir inconnu. Le moniteur disait. Si tu ne l’aime pas tu n’arrivera à rien. C’est un peu comme l’écriture. Il ne s’agit pas de galoper. Etre dans le juste abandon. Tu comprends, il faut de la joie. Même dans la souffrance de tes muscles. Sinon ton cheval s’emmerde. Intéresse-le avec calme, et douceur. Dis-lui dans la vérité de ton geste l’importance qu’il a pour toi. Soi humble, mais fier. Fier de lui. Ne tire jamais sur les rennes, parle lui du bout des doits. Ne le brutalise jamais, fait le rire plutôt. C’est un peu comme l’écriture. Il faut qu’elle monte en toi comme une impulsion souveraine. Il faut que chaque mot soit droit par rapport à ton chemin de vérité. Ne jamais la précipiter, elle doit être ton rire même dans la pire tristesse.

Aujourd’hui ces souvenirs reviennent, comme une marée oubliée. Les cinq cigarettes et les allumettes, et Frédérique, et Cyrnos. Et la mer bleue. Et la vie qui affleure, et la mort, là, tapie. Dans un coin de maquis. Avec sa tache brune. Et l’attente. Et l’écriture. Et cette idée d’être droit, dans l’axe des étoiles. Aujourd’hui ces choses ont déferlées, comme un souffle. Lentement. Un souffle qui me vient, de ces premières choses inscrites dans ma peau comme des énigmes. Ce n’est jamais la bête que l’on dresse, c’est soi et soi seul. Ce n’est jamais l’écriture que l’on travaille, mais elle qui nous ouvrage. Le moniteur disait : entre toi et le cheval, c’est toujours au cheval que je donnerai raison. Et toi là-haut, qui a eu raison de toi ? Avec tes cinq cigarettes. Et ta tête éparpillée.

Parce qu’écrire c’est aussi ça : en avant, droit, et au pas. Même si le galop existe, même si les mots te submergent, souviens-toi de la mesure du pas.

Nous sommes remontés là-haut à cheval. Il y avait Frédérique, le moniteur et moi. A l’approche de la tache, Cyrnos a dresser ses oreilles, et soufflé dans ses nasaux. On s’est arrêté. On a jeté ensemble quelques fleurs d’orangers. Des pétales blancs sur la tache brune. Un peu comme dans l’écriture, quelques mots dénudés sur l’hémorragie du cœur. Quelques pétales blancs, sur cinq mégots de cigarettes. Comme une parole blanchie par l’attente et la peur. Et comme un renouveau et comme une espérance. Et comme un long silence.

Franck

19 septembre 2005

Aïcha.....

Me revient en mémoire mon arrivée à Alger. Alger, notre première étape. En fait le voyage commençait réellement ici. Nous étions partis ensembles, parce que nous avions rêvé ensemble d’un voyage. Mais nous ne faisions pas vraiment les mêmes rêves. Lui il était plutôt « Tintin » et moi plus « Petit Prince ». Mais au début ces choses là ne se voient pas. Un an de la même pension nous avait rapproché. Quelques mois de périples nous sépareraient. Mais là nous sommes au début. On ne sait rien de la suite. On est dans la griserie du départ. Des amarres coupées. On est dans la brûlure de nos dix-neuf ans. Dans l’impatience des jours. Des aventures, des découvertes. La seule chose de sûre, c’est que nous ne savons pas quand nous reviendrons et si nous reviendrons. Il y avait de la fuite là-dedans. Mais nous étions à l’âge où l’on ne le sait pas. Où d’ailleurs ce n’est pas grave de ne pas le savoir. Dix-neuf ans, ça suffit comme seule réponse. Et le monde devant nous, dans notre sac à dos. Et nos rêves, même différents. Alger en 1975, ce n’est pas Alger en 1992, ou 95, ou 2000, ni même 1962, ni 1862. En 75 Alger c’est une lumière, et des enfants plein les rues. C’est des odeurs, et un soleil d’hiver qui s’accroche aux balcons et joue dans les linges multicolores.

Cela fait trois jours que nous somme à Alger. Trois jours à défaire et à refaire nos sacs à dos. Trop lourds, trop chargés. Comme si nous n’avions pas réussit à nous dépouiller de nos enfances ou de nos peurs. Comme si à l’intérieur nous avions voulu tout emporter, le passé et l’avenir, la jeunesse et la sagesse. Comme si le bonheur, ou la joie devait tenir tout entier dans nos sacs. Trois jours à tout refaire. Nous logeons dans un petit studio au centre ville. Avant de partir nous avions une adresse. C’est un Français. En 62, il était là. Il a voulu rester. Il est resté. Entre deux cultures, deux pays, deux solitudes. Il se sent bien ici, à Alger. Enfin…. bien… il faut le dire vite. Il se sent mieux. Mieux, qu’avant dans sa jeunesse. Il est ingénieur géomètre. Ca lui permet de voyager dans tout le pays. Immense pays. Débordant de promesses. Avec tous ces enfants qui courent dans les rues. Il vit seul. Parfois il s’ennuie. Mais il est mieux. Quelques histoires de cœurs. Mais il est pudique. Alors il se tait, ici. Il préfère nous parler de l’Algérie, la sienne. Pas vraiment, la sienne, mais un peu. Après le départ des Français, la révolution, l’espoir et tout un peuple partagé entre la joie et la crainte. Il n’aime pas parler politique. En fait, il vaut mieux ne pas en parler. C’est mieux. Il y a eut des blessures, des déchirures, des arrachements, il y a eut des violences. Quand les révolutions soldent leurs comptes….Il préfère nous dire les enfants qui courent, le pétrole qui coule, le soleil, le désert. Il est heureux de nous voir. On ne se connaît pas mais il est heureux. Alors il nous prête son petit studio. Nous on est au début du voyage. Et Alger fascine. On y sent des mystères, des pudeurs, des silences, un feu qui brûle en dedans. Derrière les murs des immeubles. On est en hivers et les couleurs sont belles, douces, elles semblent couler du haut de la ville, elles caressent les façades des maisons, pour venir se mélanger au bleu de la mer.

Le troisième soir il est arrivé avec elle. Elle, c’est Aïcha. Elle voulait voir les deux français. Elle habite dans l’immeuble. C’est la fille des voisins. La grande fille des voisins. Elle hésite avant d’entrer. Elle reste dans l’encadrement de la porte. Elle a peut-être un ou deux ans de plus que nous. Elle est habillée à l’européenne. Il faut comprendre c’était en 1975. Il y a deux ou trois siècles. 1975 est un futur impossible. A Alger les étudiantes se maquillaient, un peu. Elles portaient des jupes, des pulls de couleurs, des bijoux. Elles écoutaient de la musique française à la radio. Aïcha est entrée. Elle c’est assise sagement sur le lit qui était posé à même le sol. Aïcha était belle. D’une beauté juste. Claire. Sereine. Une beauté douce. Gracieuse et à la fois charnelle. Je la regardais sans la fixer vraiment pour éviter de la gêner. Des yeux sombres immenses. Des lèvres sensuelles bien dessinées, une peau de vanille. Aïcha a des formes. De belles formes. Mais elle se tient sagement assise sur le lit, les jambes repliées sous elle. Lui, il fait les présentations tout en préparant un thé. Aïcha est timide. Nous aussi. Moi surtout. Je la trouve belle. Elle ressemble à cette ville. Tout est là, et pourtant on ne voit rien. Comme s’il fallait apprivoiser son propre regard. Comme si quelque chose existait derrière. Derrière les yeux de Aïcha. Derrière sa peau. Derrière son sourire. Avec juste ce petit défaut, deux dents qui se chevauchent, et qui la rend plus belle encore. Une princesse d’orient. Sage à peine cachée par son regard de feu noir intense.

Et puis elle ne peu pas rester. Elle doit remonter chez elle. Mais le lendemain on doit la revoir. Elle n’a pas cours à la fac. Demain elle nous accompagne à Tipaza.

Tipaza nous y arrivons en début d’après-midi. Tipaza, les ruines romaines. Le temps qui se condense. Les ruines juste face à la mer. Morceaux de colonnes, morceaux de temples, pierres usées. C’est en janvier. Il fait presque froid. Dans mon souvenir j’ai l’impression que le soleil se couche à gauche du tableau. Peut-être que c’est ma mémoire qui invente ça. J’ai une impression de rose, d’ocre, d’orange. Peut-être les pierres. Je ne sais plus.  Les autres ont disparus. On est assis sur la même pierre, avec Aïcha. La mer est là, devant. Et brusquement je suis envahi. Une bouffée énorme de nostalgie. Quelque chose qui vient de profond. Dans ces ruines, face à cette mer, il y a un sentiment d’éternel. Tout le monde a ressenti ça. Mais tout le monde n’est pas assis à coté d’Aïcha. Nos bras se touche. On dit des banalités. Je lui dis que de l’autre coté de la mer il y a Marseille, où je vivais quand j’était plus jeune. Elle me dit que souvent elle vient là. Dans ces ruines. A cause d’un sentiment de paix. Comme si seules les ruines pouvaient traverser l’histoire. Une ruine c’est se qui se survit. Après la mort. Après les morts. C’est une trace dans le sang de la terre. Sa voix est chantante, elle na pratiquement pas d’accent. Elle en est fière. Mais je resterais ici. Parce qu’ici c’est mon pays. Peut-être à cause de ces ruines. De toutes les ruines, mais celle-là en particulier. Qui nous racontent une histoire avant notre histoire. Qui nous dit l’infini du temps. Et notre misère, et notre grandeur. Et la beauté des heures. Elle me récite un poème en arabe. Je ne comprends pas, je me laisse simplement bercer par des sons qui ressemble à de l’eau qui coule et qui traverserait les nuages et viendrait s’épandre dans l’eau de la mer. Là, juste devant nos yeux. En haut du cœur, à l’endroit du feu. Elle me dit qu’il est question d’une jeune fille qui tisse un voile de ciel en attendant son berger. Elle me dit que la jeune fille nomme toutes les étoiles, en pleurant, dans l’attente…. Et qu’un jour elle entend des bruits de sonnailles et que son berger apparaît. Redis-le Aïcha. Redis-le, lentement. Et Aïcha le redit. Et Aïcha a une larme au coin de yeux. Et devant cette mer elle se serre contre moi. Et on se tait. Longtemps. Longtemps. Un silence qui vient de loin, qui tourne autour de ces pierres usées. Un silence qui s’est posé sur ses lèvres si belle. Au fond de ses yeux si noirs. Sur sa peau si lisse. Un silence doux, léger comme les heures invincibles. Mes lèvres ont touché les siennes. Nous étions assis sur ces pierres comme deux enfants abandonnés dans le soir. Deux enfants prêts à s’enrouler dans la nuit pour préparer un voyage plus lointain. Assis tous les deux au bord de la mer, que le soir tombant habille d’ombres, de mugissement, de souffle mystérieux. Juste ses lèvres. Nos bouches à peine entrouvertes. Effleurement des langues, juste pour goûter les dernières paroles de l’autre, les aspirer. Juste pour dire l’instant. Pour l’inscrire, sur ces pierres. Pour éclairer les ruines d’un avenir sucré. Un baiser timide. Sans les mains. Juste nos bouches, nos saveurs, nos souffles. Un peu de nous qui s’échange. En fait, tout de nous qui se donne. Dans un baiser ralenti, presque arrêté, enveloppé de pudeur. Des lèvres à peine ouvertes.

Et puis les autres sont revenus. Avec quelques sourires. Nous sommes repartis. Nous sommes passés devant le tombeau de la Chrétienne. Dans un petit port avant Alger nous avons mangé des gambas. Et moi je ne voyais qu’Aïcha. Sa chevelure brune à peine frisée, ses yeux.

Nous nous sommes retrouvés dans le petit studio tous les quatre pour un dernier thé. Elle s’est serrée dans mes bras. Lumière tamisée. Un disque tourne. Ce sont ceux de notre hôte. Drôle de musique. Je me souviens. Alain Barrière qui chante « Ma vie ». Rien n’est grave. On est au début du voyage. Et Aïcha se serre dans mes bras. Nous sommes cachés dans l’ombre du studio. Elle veut connaître nos vies en France, nos sorties, nos occupations, les boites, les cinés, la télé. Elle veut savoir Paris. Et les filles, comment elles s’habillent. Elle veut savoir la campagne et les odeurs. La cuisine. Elle veut savoir notre chambre. Et les rues. Et les cafés, avec la fumée. Les gars, les filles, les amours. Nos corps sont protégés de nos vêtements, comme protégés de nous-mêmes. Nous nous caressons chastement. Nos bouches se donnent plus librement que sur notre pierre de Tipaza. Nos mains osent la peau et osent la chair. Son odeur d’épice se mêle au parfum du thé. Elle regarde nos sacs. Elle sait notre départ. Elle ne dit rien. Je ne dis rien. Pas de parole inutiles. Vaines. Ou des mots que nous pourrions regretter. Ou des gestes. Seulement nos mains sur nos corps. A l’abri du regard des autres. Recroquevillé sur nous-mêmes. Enlacés en nous-même. Serrés. Collés. Brûlants de nos chaleurs. De nos désirs. De nos retenues. De l’impossible à faire. Et de l’abandon à consentir. Au plus près de l’infaisable. Nos mains sur nos corps vêtus et sa chair comme un fruit protégé de sa peau. Ils nous ont laissés. Juste un peu de temps. Seuls. Ils sont dans la petite cuisine. Je les entends parler. Nous sommes allongés, collé l’un à l’autre. Et nos mains qui froissent nos vêtements. Nos mains qui doivent trouver la limite dans ce pays des chairs sans limites. C’est une douceur impensable et impossible à vivre. C’est une torture et un miel rare. Nos jambes sont emmêlées. Mais l’on ne sent pas nos peaux. Simplement les corps. Et les baisers violents maintenant. Et ses cuisses, protégées d’un collant. Sa robe qui se lève. Ma main sur ses cuisses, au plus haut de ses cuisses, ma main sur la douceur électrique du collant, la forme de son sexe. Sa chaleur. Sa brûlure. Et la moiteur qui traverse les tissus. Large ventre qui ondule. Danse voilée. Offre couverte de pudeur. Nos sexes collés l’un à l’autre, derrières nos tissus. Nos ventres défendus qui se cognent. Nos sueurs, mêlées à nos silences, le bruit des bouches et des salives, et des souffles. Derrière l’amure impossible je sens la lourdeur de ses seins. Je voudrais les atteindre. Les sentir contre moi. Les couvrir de baisers. Les mâcher, les manger, les aspirer. Et elle les libère et les tend comme si c’était le dernier sacrifice possible, comme si s’était l’ultime geste. Alors je les recueille comme un trésor. Et les bois avec lenteur, comme si tout était là, dans cette poitrine offerte. En cet instant elle était sa terre offerte et imprenable, riche de tous les désirs, de tous les lendemains. Elle est, là, comme un fruit d’espérance grave, qui se donne entièrement sans le dernier abandon, qui retient son sucre, mais donne sa couleur et toute sa saveur. Oui, elle les tend pour que mes mains récoltent, pour que nos âmes. se touchent un peu plus. Pour reculer plus loin la limite de la soif. Je n’étais qu’un début et elle était un pays. Et son ventre était lourd des lendemains sombres. Mais là elle était une terre infinie de bonté, de douceur, de richesse. Juste défendue par quelque tissus, juste offerte mais pas donnée, ardente sous les cendres de l’avenir en marche.

Douce Aïcha, belle Aïcha, tu reste pour moi ce baiser d’enfants aux ruines de Tipaza, au pied du bleu de la mer, sur ces pierre immuables qui survivent aux saisons et aux révolutions, des pierres qui raconterons un baiser de deux enfants égarés. Aïcha qui chantait des poèmes et un petit prince sans royaume.

Franck.

22 septembre 2005

Intermede.....

Je me rends compte à nouveau comment mon écriture est empêchée. En ce moment. De quelle façon je ne suis pas libre. Comme si le mouvement ne se développait pas. Comme s’il y avait quelque chose d’autre à creuser. Mon écriture, mes textes, mes sujets semblent tourner autour. Ce que j’appelle la danse du scalp. Depuis des mois j’essaye, je cherche. La forme, le fond. Souvent je repasse au même endroit en étant juste un peu décalé et pourtant j’ai toujours le même sentiment d’inachevé, d’inachevable, comme à mon premier texte. Il y a d’abord beaucoup de thèmes que je n’aborde pas frontalement comme les thèmes sociaux, le monde du travail. Là c’est un choix. Qui fait écho à ma division intérieure. Le fait que je ne me sois jamais senti très à l’aise dans le social au milieu de mes congénères. Même quand j’ai collaboré au système. Donc c’est un choix arbitraire de ma part. La sensation que tout ce monde qui défile sous nos yeux dans nos entreprises, ou au 20 Heures de PPDA, pollue, contraint mon imaginaire. Il n’y a pas d’espace dans ce monde. A vingt ans j’avais l’impression d’avoir tout compris. Stratégie, géostratégie, politique, Marx et le capitalisme, l’homme et la machine, l’homme et le travail. J’avais des théories sur un peu tout. J’’expliquais. Bêtement, mais j’expliquais. Les contradictions ne me gênaient pas, je m’en accommodais. Et le temps a passé. Et maintenant j’ai la sensation de ne plus rien comprendre, de ne plus rien relier. Je ne décrypte plus le monde, ni le social. Je reste bloqué sur quelques révoltes de bases, sur lesquelles j’appuie mes refus. Et entre autre le refus du politique sous toutes ses formes. Je pourrais les résumer ainsi : une société évoluée, et dites démocratique, qui ne peut pas assurer et garantir le minimum de dignité à tous, n’est plus crédible. Un travail digne, un toit digne. Pour tous. Tant que cela n’existe pas chez nous (sans parler des atrocités dans le mondes) à quoi bon discuter. Discuter de quoi ? La seule chose qui m’intéresse dans le social c’est la question de la dignité. Or, celle-ci est bafouée à longueur de journées, à longueur de discours. Le pire dans tout cela, c’est que le système ou les systèmes utilisent chacun de nous. Qu’on le veuille ou non, on est complice. Je connais bien l’univers des entreprises privées. L’univers de la compétence, de la production, de l’efficacité, que reste-t-il d’un individu au bout de vingt ans dans ce rouleau compresseur décervelant. Ce qu’il y a de terrible c’est qu’il n’y a pas besoin de grands ordonnateurs, le travaille de sape c’est chacun qui le faisons, l’indignité c’est nous-même qui la créons. Chacun en défendant sa gamelle.

Je sais la banalité de mes mots en la matière, mais pourquoi vouloir compliquer les raisonnements ? Tout le monde, à par les cyniques, est d’accord pour dire que faire fonctionner une économie aux seuls profits des fonds de pensions américains, qui réclame une rentabilité  de 15 à 25% est une aberration. Tout le mode est d’accord, pourtant tout le monde continue son petit bonhomme de chemin. La voiture, les vacances, la consommation. La peur. Les images sont là pour nous dire combien on a de la chance, d’être ce qu’on est, et pas ce que les autres sont. Depuis des siècles l’ambition est la même. L’argent, le pouvoir, le sexe. Dans l’ordre qu’on veut.

Alors, voilà. Je ne parle pas de ça. Parce que ça ne m’intéresse pas. Ou plus.  Parce que je n’ai aucune prise là dessus.

La seule chose qui me reste c’est ma parole. Ce sont mes mots. Qui évoque autre chose. Une autre couleur. Des mots qui voudraient dire : et si….on regardait autrement…. Alors souvent on peu me croire naïf…. Mais je pense que l’écriture sert aussi à ça… dire qu’une belle émotion permet d’entretenir ce qui reste de flamme. Ou d’âme.

Je ne crois pas aux révolutions sous nos latitudes. Je n’y crois plus. Il faut avoir faim pour cela. Il faut n’avoir plus rien à perdre. Or nos systèmes nous donnent assez à bouffer, même au prix de notre dignité, pour la révolte soit possible.

Alors je suis un mauvais citoyen. Qu’importe… Et je ne suis pas un militant, les pensées de groupes m’angoissent.

Mon pays ce sont le ciel et les nuages, et là tout le monde à sa place. Pourvu qu’il soit sincère.

Pardonnez-moi d’avoir évoqué toutes ces banalités. Mais je voulais les dire au moins une fois.

Sans doute pour mieux revenir à ma parole.

Franck.

23 septembre 2005

Intermède (2).........

Hier au soir je prends au hasard un bouquin dans la bibliothèque. Et je tombe sur ça. Un truc impossible. Qui vient faire une sorte d’écho à mon « intermède ».

Bon je le recopie. Même en recopiant ça fait une drôle d’impression :

« Fermez vos cœurs à la pitié ! Agissez avec brutalité !

Quatre-vingt millions d’hommes doivent obtenir justice… La raison appartient au plus fort. Soyez durs et impitoyable. Blindez-vous contre tous signe de compassion. Tous ceux qui ont médité sur l’ordre de ce monde savent que celui-ci ne trouve son sens que dans le succès de ceux qui savent le mieux utiliser la force. » Adolphe Hitler (avant l’invasion de la Pologne).

Depuis hier je relie cette phrase. Et tout le monde est d’accord, c’est abject. On lit l’auteur, et on est révulsé.

Pourtant notre monde fonctionne bien ainsi ? C’est bien ça qui se passe ?

On a beau trépigner dans notre coin, on en est bien là. Tristement là. Et le pire c’est que cette idée se cache partout, elle est rampante. Elle s’insinue en permanence dans notre quotidien. Dans nos geste individuels, dans nos pensées, dans nos rapports intimes. Ils y a bien sûr les cyniques dont je parlais hier, mais eux c’est facile on les reconnaît tout de suite. On peut s’en défendre. Sous prétexte d’un pseudo principe de réalité ils avancent partout dans nos vies. Ils se reproduisent aussi. Et leurs progénitures leur emboîtent le pas. Il y a des écoles pour les élever, HEC et consorts. Et puis il y a le plus insidieux, qui sous couvert de dénoncer, ne fait que renforcer ce discourt. Parce qu’il y a une sorte de complaisance à désigner le mal. Plus je dénonce, plus cela le fait exister.

Ces derniers jours j’ai eu l’occasion de lire de longs textes. Des textes qu’on m’a fait parvenir. Des histoires de vie. Des histoires terribles, puisque le monde est terrible. Des histoires d’enfances, de jeunesses, de violences, toutes sortes de violences, des plus banales aux plus impensable. Et le hasard a fait que je les ai lu le même jour. Et ces deux récits avaient un point commun au-delà des souffrances et des douleurs, chacun d’eux essayait de s’extraire des ténèbres. L’écriture semblait s’arracher des couches les plus sombres de la chair pour tenter d’issir à la lumière. L’écriture semblait être le lieu de la transfusion sanguine. Les deux témoignages étaient bien différents, dans la forme, dans les événements racontés, pourtant il y avait une même lumière, la même volonté d’espoir. L’écriture semblait être le chemin d’une destination solaire. Ce qui m’a le plus frapper à la lecture de ces deux vies, c’est la bonté. C’est bête comme mot : bonté. Portant c’est un des rares mots qui s’opposes à la citation du haut. La force des mots venait du fait qu’ils se dirigeaient vers le haut.

Deux textes, qui devenaient chants, danses, qui cherchaient le souffle et l’envol. Deux textes sans complaisance, durs, qui disaient chacun ce qu’ils avaient à dire, mais avec retenue. Même un mot cru, peut être dit avec retenue et pudeur. Puisqu’il est là pour dire la trace, mais pas la fin.

Le frère de la complaisance c’est le silence. L’une dans la jubilation, l’autre dans le déni. Ces deux textes étaient beaux, parce qu’il évitaient les écueils de l’un et de l’autre.

J’ai donc reçu ces mots comme une offrande. En me disant, qu’il y avait une issue au monde décrit au début. L’issue c’est le don, l’accueil, c’est l’amour.

Ces deux textes étaient en fait des textes d’amour déchirés, mais d’amour lumineux. Puisqu’au bout des mots il y avait une immense miséricorde. Celle des âmes blessées, celle des âmes ressuscitées, celles des âmes généreuses, celles des âmes qui marchent dans la lumière, pour la lumière. Une miséricorde qui dit : je me sauve, parce que vous aussi vous méritez d’être sauvé. Je me pardonne parce que vous aussi vous méritez d’être pardonnés.

Merci à toutes les deux, de m’avoir éclairé, et d’avoir répondu au triste sire du début. Votre écriture est belle parce que votre âme est belle. Ecrire, aimer c’est le même mot, c’est re-lier ce qui a été défait, humilié, bafoué, oublié, c’est tirer sur les bords de l’infini, pour faire une place à chacun. C’est prendre dans sa part la plus consternée, la plus affligée, le souffle que je dépose sur les yeux de l’autre. Et l’écriture est belle, quand elle rend digne, puisque ma dignité vaut celle de l’autre. Ni plus, ni moins.

Franck

25 septembre 2005

Un papillon.....

C’était un temps comme aujourd’hui. Un temps d’inlassable pluie. Comme si le ciel avait brusquement décidé de brusquer le ton. D’arracher les derniers lambeaux de l’été. De lessiver le bleu. Mais pour que gris tienne il faut du froid. Alors ce matin il fait froid. Et la pluie traverse la mémoire. Et les souvenir arrivent par ce coté glacé du cœur. Parce qu’on n’y va pas assez souvent. C’est un coin de jachère et d’éloignement. Coin de misère. Large lande battue par l’oubli. C’était un temps comme aujourd’hui, un dimanche, comme aujourd’hui. Un dimanche d’automne. Nous habitions encore Limoges avec Isabelle. Je n’ai jamais aimé Limoges. Pourtant j’y suis né. A cause de ça peut-être. Toutes les saisons lui allaient à Isabelle et l’automne redonnait à peau sa pâleur, sa transparence et son regard se couvrait d’un voile de lointain. Ses yeux brillaient moins, mais vous regardaient mieux. Plus proche. Plus chaud. Plus tendre. Elle a voulue sortir dans la campagne. Prendre la voiture et aller au hasard. Rouler un peu, s’arrêter, et marcher. Cette pluie faisait flotter son âme. Elle avait besoin d’un peu de terre pour ne pas se perdre dans cette journée d’inlassable pluie. L’odeur de terre humide. Alors on est parti. Elle voulait simplement marcher. Un peu. Et on a vu le panneau Oradour. Elle a seulement pose sa main sur mon bras. Alors j’ai suivi la direction du panneau. Sans un mot. On est arrivé devant le petit parking juste avant les grilles. Il y avait peu de monde. La ville fantôme était rendue à ses fantômes. Et puis on a emprunté la rue principale qui monte. Me revenait, les histoires que ma grand-mère racontait. Claire, la femme de Georges. Il tenait un restaurant à l’époque de la guerre à Limoges. Rue du Maupas. Ca s’appelait « Chez Catherine ». Alors tout le monde appelait ma grand-mère Cathy. Elle disait : « Avec le débarquement on croyait que tout allait s’arrêter, mais c’était pire. Les Allemands s’agitaient dans tous les sens. » Claire aimait raconter les histoires. « Ils sont rentrés dans le restaurant… c’étaient des jeunes…. Ils avaient des regards de fous. Y’en a qui disent qu’il y avait des Alsaciens. Ils aboyaient. Ils hurlaient. Dans la rue il y avait tout un convoi qui attendait. Ils sont passés derrière le bar pour prendre des bouteilles d’alcool. Et puis ils ont ouverts les frigos et ils pris tout ce qui pouvait se manger. J’étais seule. J’ai eu peur. Ils étaient fous. Et si jeunes. Je ne comprenais rien de ce qu’ils disaient. Mais c’était des SS. Il y avait l’insigne. Ils n’étaient pas d’ici. Ils venaient d’ailleurs. Du Sud. » « Quand il sont passé chez nous on savait pas encore ce qu’ils faisaient à Oradour. C’est le lendemain qu’on a su. Et pour Tulles aussi. Peut-être que ceux qui sont passés ont participé… Nous on a su que le lendemain… De Limoges on voyait la fumée. » Souvent, Claire pleurait quand elle racontait. Ils ont tout brûlé. Ils les ont tous tués. Et les femmes et les enfants dans l’église. Les hommes dans les granges ».

Nous montions la rue principale pavée. Et je racontais à Isabelle les mots de Claire. « Ils ont décidé de garder la ville en l’état ». En l’état de brûlure et d’incendie. En l’état de mort. Ils n’ont rien changé. Aujourd’hui c’est les mêmes ruines. Le même silence d’après. Parce qu’il y a toujours un silence après. Carcasse de voiture. L’église éventrée. Les maisons écroulée. Les traces de suie sur les murs. Isabelle se tait. Elle est au bord. Je le vois. Elle est au bout de quelque chose. Elle a vingt ans, et là, brusquement, elle est à un bout de l’humanité. Il bruine. Il fait froid dans cet automne. Il fait seul. Les petites rue de village. Là, la maison ouverte comme un poitrail déchiré. Plus de toit. Comme une béance. Alors je l’ai vu s’agenouiller. Dans l’herbe mouillé de pluie. Devant cette maison. Je l’ai vu joindre ses mains. Fermer les yeux. Alors j’ai vu les larmes couler. Elle était dans un silence inattaquable. A qui parle-tu Isabelle ? Où crois-tu que tes prières vont ? Je voudrais quelles restent ici mes prières. Là. Juste là. Sur cette pierre luisante de pluie. Dans cette journée. Dans cet automne. Elle me montre une petite roue de poussette d’enfant toute rouillée, toute tordue. « Il y avait un enfant ici…. C’est lui qui prie pour moi….moi je ne fais que recueillir…. » Et l’église à nouveau. Et la place. Et le monument avec tous les noms. Le petit musée. Avec les photos. Les restes. La dérision des restes. Où es-tu Isabelle ? Elle marche les deux mains plantées dans son manteau. Elle est loin.

Et puis la lumière a baissée. Puis on est reparti, toujours en silence. Dans le village reconstruit d’Oradour, on a but un chocolat chaud. C’est là qu’elle m’a regardé. Elle avait une figure défaite.

Et le mal s’empile sur le mal depuis des siècles. Et la seule chose à y opposer, c’est une petite prière, à genoux, dans une rue d’histoire dévastée. C’est quoi la mémoire Isabelle ? C’est quoi le bonheur ? C’est quoi ces journées d’automne ? Quand nous sommes enfin arrivé chez nous, il faisait nuit. La pluie avait cessée. Elle n’a pas voulue qu’on allume la lumière. On c’est assis sur le tapis. Et là elle s’est blottie. Là dans cette nuit du limousin elle s’est blottie. Nous sommes restés longtemps enlacés en silence. Nos baisers. Nos corps. Cette chaleur de l’amour des corps. Là, dans le silence. Et ses cris. Et sa joie. Et ses larmes d’amour. L’abandon de ses chairs. Et la rage du corps quand il arrache sa jouissance au désespoir. Et les coups de ventre en forme d’oublis. « Nous aurons un enfant et nous l’appellerons Oradour ». « Chut ! Isabelle…demain il faudra encore se souvenir… demain et tous les autres jours….jusqu’à la fin… » « Comment fait-on pour se souvenir ? » « Il faut transformer la haine en amour, Comme Antigone : je suis venue pour partager l’amour et pas la haine. » « Mais elle meurt, à la fin… Antigone. » « C’est le prix de l’amour… c’est pour cela que peu aime, ou si mal… » « C’est quoi demain ? » « Demain c’est d’abord ce soir, cette nuit, demain c’est l’amour que l’on vient de se donner, c’est peut-être un enfant qui s’appellera Oradour…. Demain c’est la prière que tu as faite… elle peuple le ciel désormais. »

Il faisait le même temps qu’aujourd’hui. Un temps pluvieux d’automne. Je viens de finir mes valises. Demain mon errance reprend. Demain je serais à nouveau à Paris…. Mais après-demain je la verrais…Ce n’est pas un ange, c’est un papillon. Un papillon aux mille couleurs. Après-demain je la verrais, je lui parlerais et elle dépliera ses ailes. Mais il ne faut rien en dire. Les mots peuvent abîmer les plus belles choses. Il faut attendre après-demain. Attendre ses yeux, son sourire, l’énergie de sa parole. Il faut attendre notre marche, bavarde ou silencieuse. Le partage des heures. Je suis dans une errance nouvelle. Je suis arrivé seul et je repars innombrable. Un papillon posé sur la bouche. Sur les rêves. Sur demain.

Franck

5 octobre 2005

Comme écrire......

Revenir sur l’errance. Comme une boucle infinie. Un chemin qui perd sa trace. La route s’absorbe dans la fin d’un rêve. Dans les glissades de la fin d’un rêve. Partir sans jamais arriver. Puisqu’il n’y a pas de lieu. Jamais. Sinon les lieux de la route empierrée de l’âme. J’ai mis le ciel dans mes yeux au plus près de mon sang. J’ai fais briller des étoiles au plus près de mon ventre. Il m’est arriver de prier des dieux en exil. J’ai soufflé dans les couleurs des fleurs pour éclairer ma nuit. Je crois même avoir pleuré certains soirs sur la peau de quelques souvenirs. J’ai surtout jeté des mots au hasard.

Sur la route de l’errance il me faut sans cesse passer entre deux grandes statues. La blanche et la noire. L’amour et l’insondable solitude, et consentir à ne pas entendre leurs chants, et consentir à baisser les yeux pour ne pas brûler les derniers souffles. Baisser les paupières du cœur pour appeler à mon secours des silences de pèlerin.

Ici, c’est une mer de verdure sévère. Une verdure de tempête. Une verdure de gros temps. Les bois viennent mourir dans les champs en écumant leurs dernières branches. Sans rage, mais dans la puissance sereine des grandes marées. Des embruns de verdures s’éclatent dans les deniers rayons d’un soleil d’automne. Un soleil épuisé de ses feux. Appauvri de sa gloire. Au bord du naufrage. Lui aussi voudrait prier. Lui aussi voudrait consentir. Et ses forces l’abandonnent.

Je suis ici le temps d’une escale. Entre deux vies. Entre deux souvenirs. Comme aux temps des oasis et des déserts. Je suis dans l’entre de moi-même juste au- dessus de l’os. Que je voudrais curer une dernière fois. Le blanchir de mes mots.

Sortir de l’errance, du flottement, de ses vagues.

Ici c’est une verdure immense, impossible à décrire. Des monts, des vallons comme une grosse mer houleuse. Je flotte. Elle m’a dit : tu flottes. C’est quoi flotter ? Le flottement, c’est toujours le risque de l’errance, c’est souvent être rejeté sur des rivages inconnus. Le moment entre les lieux. Même entre les lieux du corps. Dans l’absence de soi. Dans ce mouvement qui tire vers l’extérieur. Dans un lointain. Dans un lointain sans forme, sans borne. Comme une chute. Je flotte dans un mouvement inconnu d’où ma voix ne sort pas. C’est un silence cassant comme l’oubli. Ce n’est pas un exil. Le flottement c’est un oubli. L’exil vous tient dans la tension, la colère, le ressentiment, la trahison, l’injustice. L’oubli n’a pas de forme. On est sans lieu, sans autre. Suspendu. Vidé du sang. Bousculé par les mouvements erratiques des heures, des humeurs, des regards. Comme une hémorragie, une perte de substance. Et cette envie d’hurler, de crier. Et toute cette ré-ingurgitation comme s’il fallait ravaler sa vie. Chaque heure, chaque jour. Là. Dans ce lieu hasardeux, sans frontière. Et l’on voudrait appeler, s’ancrer dans la chaleur d’un regard. Mais le flottement est un lieu qui n’existe pas, où nul ne peut vous voir..

" A quelle station tu t’arrêtes ? "  " Là-bas… Plus tard…L’autre là-bas… " " La prochaine ? " " Non, jamais la prochaine…. Mais l’ultime, l’extrême. Je suis de la dernière station, celle qui vient après toutes les autres. Au-delà des voies… Là où nul passager ne monte. Je suis du pays des landes, des bruyères froides du cœur. "

Pourquoi cet effondrement, cette coupure, ce glissement des chairs de l’œil et de l’âme, ce frottement de l’absence sur les mots de la langue, cette parole qui ne sait plus s’arracher ?

Ici, dans cette verdure brutale, il y a quelque chose d’écrasant. Une présence absolue.

Alors je marche. Pour m’arracher au flottement je marche. Comme j’écris. Pareil. Pour retrouver le corps et le souffle. S’immerger dans ces forêts grandioses. Comme écrire. Pareil. Le corps qui s’arc-boute dans l’épuisement des muscles. Comme ces mots déterrés, extraits de mes restes. Le corps qui retrouve sa puissance. Sa rage vitale. Sa survie dans la douleur des muscles asphyxiés. Comme la prière offerte aux lèvres d’un mourant. L’extrême tension du corps. Ces noces obscures du silence et de la solitude. Marcher sur ces pentes infinies couvertes de forêts drues. Comme écrire. Souffrance primitive et sauvage du corps dans le vrai sang des muscles. Souffrance sans recours. S’arrêter. Continuer, trouver la limite. Etre dans la limite. Et au-delà. Ces marches épuisantes ne sont plus un effort, mais une lutte. Comme écrire. Quelque chose se rassemble, là, dans un instant qui efface tout. Tout. Monter encore, pour finir. Rechercher la pente la plus droite, la plus éprouvante, la plus absurde. La plus féroce. Comme écrire, et rechercher le geste le plus droit. Maintenant mes pieds, mes mains s’accrochent. Mes genoux aussi. Ne pas glisser. Ne pas perdre les mots et leurs lumières. Coller à la paroi de cette montagne. Coller aux battements du cœur et du sang, toujours, qui jaillit dans mon corps. Comme écrire. Tendre. Projeter mes membres vers une douleur plus grande, plus absolue sur la pente. Le corps collé. Hors de moi et totalement moi. Dans la rage. La colère. S’arrêter. Impossible. Fixer un point là-haut, pour y jeter ce qui me reste de souffle. Même la mort est vaincue dans cet effort. Simplement l’instant qui rassemble tout. Qui totalise tout. Tout ce qui restait au fond de ma mémoire. Etre dans l’instant du premier geste. Du seul geste. Comme la phrase qui s’arrête parce qu’elle attend du silence une consécration. Fixer un autre point. Un arbre, une pierre, une branche, une souche. Et toujours la rage pour survivre à l’essoufflement, au feu du corps. A l’incendie qui brûle ma tête et ma poitrine. Comme écrire. Comme aimer. Et gagner une fois de plus sur l’errance et le flottement.

Et maintenant le sommet. Et son ciel.

Comme écrire ou prier. Ou simplement pleurer comme un enfant. Sans raison. Seulement à cause de la lumière et de cette joie incoercible d’être en vie. Le corps détruit de souffrance mais rayonnant d’avoir survécu à l’asphyxie. Comme écrire. Comme écrire.

Franck.

6 octobre 2005

Elle était déroutante.....

Page d’un souvenir. Un livre qui s’ouvre au hasard. On laisse glisser sous le pouce les pages du livre, toujours à l’envers. On remonte les mots. Les phrases. On revient vers le titre. Parfois le pouce se crispe un peu et le défilé des pages s’arrête. Au hasard. Alors on cueille ici ou là quelques mots dans l’espoir d’être saisi ou appelé. Et le pouce lâche. Et le défilé des pages reprend De la fin au début. Comme ces souvenirs qui reviennent aujourd’hui. Le pouce de ma mémoire vient se crisper.

Elle s’appelait Pascale. C’était une âme brûlée. Un mélange d’urgence et de nonchalance. Durant quelque mois nos routes se sont croisées C’était, il y a longtemps. Pascale était brune. Magnifique. Tout en rondeur et en harmonie. Un éclat de lumière noire. Des yeux sombres, une bouche gourmande, sensuelle et un rire sorti tout droit des enfers. Un jour j’ai posé ma main sur la sienne, et elle simplement dit " non ", avec un sourire bordé d’une infinie tendresse. Mais elle m’avait laissé dans le trouble, l’émotion, comme si elle avait jeté un voile d’ombre sur nos deux cœurs. Un voile de soie noire, où l’on pouvait voir le soleil en transparence. Pascale voulait être actrice. Comédienne en fait. Elle me disait qu’elle aimait cette peur qu’elle éprouvait sur les planches. Une peur qu’elle apprivoisait, qu’elle dominait au fil des tirades. Pas comme cette peur d’enfance qui parfois la submergeait. Le souvenir de sa mère suicidée sous un train. Et un père invisible. Translucide. Pas comme ses peurs d’adolescence avec les premières mauvaises expériences de la sexualité. Une sexualité brutale, volée, comme des fleurs arrachées et jetées parterre. Elle ne savait plus dire si elle avait été consentante. Elle avait eu peur. Après elle avait pleuré. " J’ai regardé ce sang qui coulait sur mes cuisses, j’ai regardé ce sexe qui ne m’appartenait plus… j’avais peur que le sang ne s’arrête pas. " Sur les planches elle se sentait entière. Comme une vraie femme. Elle m’avait dit non, et puis elle s’était presque excusée. " J’aime Paul… " Et elle a déposé un baiser sur ma joue. Un vrai baiser de joue. Long et tendre.
Elle est venue habiter chez moi. En amie. Elle ne connaissait personne à Paris. Pour chercher un cours, Paris c’était mieux. Alors elle a déposé son sac. Elle était jeune mais savait déjà l’errance. Rassembler sa vie dans une valise pas trop lourde. Elle savait les consignes de gare, l’entre-deux portes. A vingt-trois ans elle savait toutes les formes du regard des hommes sur elle. Elle savait toutes leurs paroles. Le savait se défier, se méfier, s’esquiver. Elle a posé son sac et s’est endormie sur la banquette. Tout de suite. Pour rattraper un siècle de sommeil. Recroquevillée comme un enfant perdu. Epuisée. Rêvant sans doute de tragédie antique et d’applaudissements. Ou d’une mère. Ou de Paul. Moi j’ai veillé sur son sommeil. C’était mon rôle dans cette pièce. Veilleur. Sentinelle. Elle était belle Pascale, avec ses cheveux noirs qui lui couvraient la figure et sa bouche entrouverte. Elle dormait. Elle était une île et j’étais l’océan.

Après, je lui ai donné ma chambre. Je voulais qu’elle soit bien. Pascale allait et venait sans contrainte. Elle partait le matin et rentrait une heure après ou douze heures après. Parfois en pleine nuit. Elle était déroutante. Chaleureuse, presque tendre et l’instant d’après distante. Volubile et enjouée, puis silencieuse. Très silencieuse. Grave. Absente. Discrète mais d’une présence absolue. On ne pouvait pas ne pas l’aimer, à cause du feu. Elle semblait brûler l’air qui l’entourait. Innocente ou ingénue, on ne savait jamais. Elle traversait la lumière comme une ombre étincelante. Elle m’avait dit " non ", alors nous n’en avions plus reparlé. Je me contentais d’être un veilleur attentif. Souvent, le soir quand nous parlions, elle devenait triste, brusquement. Et les larmes perlaient. Elle posait sa tête sur mes genoux et s'endormait. Je caressais ses cheveux, presque en tremblant. Pour ne pas effrayer ses rêves.

Paul était son amour. Il est venu plusieurs fois la voir à la maison. Il habitait la province. Loin. Elle, elle voulait être comédienne à Paris. Au premier regard ils paraissaient ne pas aller ensemble. Pourtant elle l’aimait c’était l’évidence. Il était instable, fragile, il était tout pour elle. Elle était sa mère, sa sœur, son amante. Elle le portait, et le ramassait lorsqu’il trébuchait. Elle le secouait quand il se laissait aller à quelques démons, l’alcool ou d’autres filles. Elle le menaçait mais avec tellement de douceur. Elle se moquait des autres filles, parce qu’elle savait ce qu’il devenait quand sa bouche touchait son sein. Et Paul repartait.

Elle était déroutante, Pascale. Comme ce matin là, où j’ai traversé la chambre pour aller dans la salle de bain. Ce matin là, où elle dormait. Nue. Les draps repoussés au pied du lit. Elle était allongée sur le dos, un bras replié au-dessus de sa tête, les cuisses nonchalamment ouvertes. Et la lumière du jour passant au travers des doubles rideaux, colorait de rose sa peau. Elle était belle Pascale dans son sommeil. Elle dormait comme une reine. Mon cœur battait. Ce corps si beau. Posé comme une offrande du jour. Je ne bougeais plus. Fasciné. Ses seins lourds s’écartaient légèrement, sa respiration lente faisait frémir son ventre et ce sexe. Aux poils noirs et drus. Touffu. Un sexe fait pour les caresses, les baisers, la damnation. Elle avait dit " non ". J’ai pris le drap et avec mille précautions j’ai recouvert ce corps. Le corps de Pascale. Elle était une île, et j’étais naufragé. Le drap comme une nouvelle peau. Après ma douche j’ai retraversé la chambre. Elle s’était tournée sur le dos, le drap avait glissé et découvrait ses fesses. Rondes. Belles comme un soleil. J’étais en feu. C’était presque douloureux, comme lorsque le cœur se mêle au sang, se mêle au corps. J’ai refermé la porte. Doucement. Elle était déroutante Pascale. Dormait-elle ou non, je ne l’ai jamais su. Il ne me reste que cette image d’un corps de femme nue, posé sur un lit comme une gerbe de fleurs sauvages. Un corps de printemps dans le soleil du matin, un corps de vierge obscure et brûlante à la fois.

Elle était déroutante. Comme ce jour, où rentrant à la maison elle se trouvait en grande conversation avec une autre fille. Une amie d’enfance. De pension plus précisément. Claudy. Elles étaient assises sur le tapis et semblaient être dans la joie des retrouvailles, des souvenirs. Claudy était une fille pleine de charmes. Très mince, presque maigre. Sans poitrine. Elles étaient déroutantes, dans leurs souvenirs. Presque les mêmes. Il semblait que je n’existais plus dans cette pièce. Les même souvenirs. Un père pour l’une, un beau-père pour l’autre. Je ne le savais pas. Je le découvrais. Là. Pascale ne m’en avait jamais parlé, de ce beau-père. De ses mains d’homme sur son corps d’enfant. Pas vraiment violée, mais souillé à jamais. Blessée. Cassée. Déroutante lorsque qu’elles se sont embrassées. Là. Devant moi. Un baiser d’une tendresse inouïe. Un baiser qui n’en finissait pas. J’étais troublé. Pascale tenait la tête de Claudy et je voyais leurs langues se mêler, leurs lèvres s’écraser, leurs bouches se boire. Je me suis éclipsé dans la cuisine. Un long moment. Puis, je suis revenu. Elles étaient allongées nues sur le tapis. Leurs corps emmêlés. Soudés dans une étreinte irréelle. Quand elles m’ont aperçu, elles se sont simplement dénouées, et redressées, sans cacher leurs nudités, avec un naturel déroutant. Je ne savais que faire. Rester. Partir. M’enfuir et les laisser seules.

Pascale s’est levée, a enfilé une chemise sans la fermer, elle s’est approchée de moi et à déposer un baiser sur ma joue. " Tu peux rester…. Je veux que tu reste… " " Pourquoi ?… " " Chut !… Tais-toi… reste, n’en profite pas, mais reste… ". Elles ont disparu dans la chambre. J’ai défait la banquette. J’ai essayé de dormir sans y parvenir. Je me suis assoupi. Le jour commençait à blanchir. Et Pascale est venue se glisser à coté de moi. Elle s’est serrée tout contre. " Non, Franck, seulement comme ça…. Comme un frère et une sœur…Comme deux amis…". Son corps a brûlé ma peau. Comme une torture. Elle était si proche. Si collée à moi, que ses seins s’appuyaient sur mon torse, que ses jambes s’enroulaient aux miennes, que son sexe frottait ma cuisse, que son souffle frôlait ma gorge, que sa tête pesait sur mon épaule. Non, je n’ai pas dormi. Quand j’ai touché sa toison elle a simplement écarté un peu plus les cuisses. " Doucement… fais doucement… " Elle s’est glissée sous mon corps, et quand j’ai voulu baiser ses lèvres elle a seulement détourné la tête. " Pas la bouche… " Elle m’a accueilli dans son corps. Lentement. Au plus profond de ses chairs. Lentement. Dans un incendie. Lentement. Elle appuyait sur mes reins. Lentement. J’étais au plus près de sa source, ivre de ces instants qui m’échappaient. Elle était là, dans moi, et moi dans elle, et pourtant elle était si loin. Où étais-tu Pascale ? Dans quel ciel ? Dans quelle galaxie ? Ses cuisses se sont nouées dans mon dos, ses bras m’ont serré terriblement fort. Alors ce fut une trouée de lumière, une fulgurance. J’étais devenue une île, elle était l’océan, et ses vagues battaient mes côtes, mes digues. Elle était l’océan qui montait sa marée du plus profond de l’horizon. Elle venait de loin Pascal. D’un pays inconnu. Plein de mystères. De silences. Elle voulait être comédienne, elle voulait Paris, elle aimait Paul, et Claudy, elle n’avait jamais d’heures pour rentrer, et là, elle était dans la profusion de sa chair, de ses eaux, elle était don, cadeau, richesse, opulence, elle était le déluge, le débordement, la fournaise, toutes les saisons à la fois. " Pas la bouche... " Mais elle donnait tout le reste, presque avec rage, comme pour franchir une ligne imaginaire, comme pour atteindre un pays, une frontière, un espace. Sa chair s’offrait avec ce voile de désespérance et d’exaltation, de frénésie. Où étais-tu Pascale ? Où allais-tu ? Nos sexes se sont cognés, nos ventres se sont heurtés, nos sueurs avaient le goût salé des tempêtes, nos râles racontaient les orages. Et ta houle à tout emportée. Tout. Tout.

On a dormi longtemps. Lentement. Claudy nous a réveillé avec du café. Pascale a déposé un baiser sur ma joue. " J’aime Paul…tu comprends, alors c’était juste cette nuit. Promets-le-moi…n’abîme rien….. "

Elle est restée trois mois. Nous n’avons jamais évoqué cette soirée, cette nuit. Elle a repris ses vadrouilles, ses absences, ses mystères…

Un jour elle m’a dit qu’elle déménageait, qu’elle allait habiter avec une copine de son cours de théâtre. Parce que Pascale voulait être comédienne. Elle aimait cette peur, sur les planches face au public. Elle disait qu’elle se sentait entière dans ses instants. Elle a bouclé son sac. Elle a tiré la porte. Je vois encore son sourire triste au moment de partir. Elle a tiré la porte.

Nous sommes téléphonés quelques fois. Puis, tous s’est éteint.
Je l’ai aperçu deux ou trois fois dans des téléfilms. Des seconds rôles.
Elle était déroutante Pascale. Je l’ai profondément aimé Pascale. Elle a laissé une trace de soie noire et incendiée entre les pages de ma mémoire.
Parce qu’elle était déroutante, Pascale.

Franck..

16 octobre 2005

Du ciel, je vous dis...!

On a tous des enfances blessées, des adolescences trouées, des vies chaotiques, décousues, disloquées. Pour la plus part d’entre nous. Cette semaine, dans le métro. Quelque chose s’acharne, insiste, ponctue, scande, martèle, quelque chose bat la mesure. Ce n’est pas le cœur qui bat. Plutôt nos chairs qui viennent cogner contre la vitre du monde. Là, dans les secousses du wagon. Je vois mon reflet dans la vitre du monde. Entre deux stations. Dans ces tunnels à répétition. Je vois trop de gens en ce moment. Des foules. Des visages. Des centaines, des milliers. On regarde et on ne voit rien. Personne, sinon son propre reflet dans la vitre, entre les stations. Image de soi, transparente. Presque rien. En fait, rien. Un rien qui glisse dans la lumière des jours. Des riens qui se heurtent à l’épaisseur de nos néants. Elle a le regard froid, dur, fermé, lui est trop raide dans son costume froissé, celle-ci bouge la tête avec son baladeur sur les oreilles, l’autre est pressé, celle-ci s’est trop parfumée, lui s’endort, l’autre lit le journal à coté de celle qui lit un roman d’amour, lui est assis sur sa valise, ils sont de toutes les couleurs, blancs, jaunes, noirs, bruns. De toutes les couleurs et pourtant le même silence. L’absence est de toutes les races. L’exil à la même saveur amère. Eux, sont ensemble et se taisent, lui, regarde la jeune fille, l’autre se croit déjà au bureau, celle-là est encore dans son lit. Toutes ces faces absentes qui ne disent rien. Puisque se taire est la règle. Puisque rien, est la règle. Celle-ci révise ses cours, lui relit son rapport, l’autre lève les yeux au ciel cherchant un prince hypothétique, lui regarde ses pieds. Toute une humanité en marche. En transit. En absence. Les regards se cherchent pour mieux se fuir. Ne pas e voir. Ne pas se reconnaître. Comme si nous étions honteux, d’être ici, d’être ensemble, là. Celui-ci entre et débite son message à haute voix, presque dans un seul souffle, presque dans un cri. Pour s’en débarrasser, du message, de la honte, de la notre. L’autre a une guitare et des paroles de dérisions, sur sa vie, sur la notre, il fait vite pour passer ensuite dans l’autre wagon. Il a des trous dans le vacarme. Pas des silences. Des trous.

Et au plafond tous les rêves collés. Ca fait comme une pellicule de sang brun. Ca fait comme un grand chagrin. Sans forme, sans odeur, sans bruit. Quelque chose s’acharne, insiste, ponctue, scande, martèle, quelque chose bat la mesure. Presque huit jours sans écrire. Sinon des notes. Quelques mots arrachés ici ou là. Le wagon secoue les chairs, les os. Presque huit jours sans écrire. Avec du manque et de l’épuisement Pas de la souffrance. Du manque, seulement. Ma bulle résiste et ça fait comme un trouble. Une sensation étrange. Comme si je repartais de rien, et cette idée me convient. Repartir, c’est ne jamais arriver. C’est puéril. Entre deux stations. Et mon reflet dans la vitre, un reflet qui ne me dit rien. Ici ou là j’ai lu dans les blogs des désarrois d’écritures. Des blogs en suspends, certains qui reprennent, d’autres qui se posent, se reposent, d’autres encore qui voudraient arrêter. Lieu mouvant d’écriture. Lieux émouvant d’écriture. Petites maisons de douleur et de joie. Quotidien des souffrances et des espérances ponctuées par des mots, des petits paquets de mots lancés dans la mer, derrière l’écran. Expiation dérisoire. Exorcisme vain. Des mots cent fois usés, cent fois jetés. Dans la vitre il y a mon reflet, et pas de mots. Je suis dans un lieu sans parole sans langage. Sinon celui des corps muets. U espace sans issue. Même ma rêverie est plombée, noircie. Les portes s’ouvrent, il y a ceux qui descendent, et ceux qui montent. Comme dans la vie. Se croiser et ne rien dire. Surtout ne rien dire. Se croiser dans nos peurs, nos délires. Se serrer dans ce cortège d’ombres errantes. Grand écoulement d’humanité en marche vers où ? Grand flot inassouvi. Il n’y a pas de fin, dans ces faces effarées, belles ou moches, ou maquillées, ou apprêtées, ou banales. Faces posées dans le repli et la distance de ces mondes clos. Celle-là a les yeux rougis par des larmes, et ces deux là qui se bécotent, leurs bouchent qui se cherchent dans les secousses du wagon. Foule serrée, vidée. Foule sans colère, sans haine, seulement épuisée d’elle-même. Las d’elle-même. Foule serrée dans ses humeurs. Sans rage. Et sans espoir, et sans révolte. Seulement secouée en cadence, penchée du même coté du virage, cramponnée à la même barre, vidée de la même vie. Bruit des roues sur les aiguillages, qui n’aiguillent vers aucune destination, sinon celle du soir, de retour, de l’éternel retour à la même place. A la même vie.

Ses paquets sont encombrants et lui, tient bêtement son bouquet de fleurs. Mains qui se touchent et s’excusent de se toucher, corps dandinés, ballottés, regards chaussures, regards plafonds, regards fenêtres. Vies de pluies et d’imperméables. Agitation silencieuse et pressée. Aller vite, surtout vite. Les portes s’ouvrent. Courir. S’échapper vite au plus loin. Et ne jamais se retourner sur cette désespérance. Courir vers d’autres accablements, d’autres battements, d’autres affaissements. Au bout des couloirs il y a toujours des wagons qui attendent les âmes ombreuses qui embarquent comme sur la barge de Charon, sans mémoire, sans demain. Et pour ponctuer la dérision ce violon qui jouait Brahms, un solo du concerto pour violon. La musique résonnait sous la voûte des couloirs. Un morceau qui m’arrache des frissons à chaque fois que l’entends. Musique du ciel. Du ciel, je vous dis ! ! C’est un monde ou les larmes n’existent pas. Pourtant ce violon, qui parlait du ciel au fond de ces catacombes. Du ciel, je vous dis ! !

Franck

22 octobre 2005

Par où s'écoule ce qui me reste......

Puisque c’est sans fin…..

J’ai reçu le monde dans un enchevêtrement absolu. Définitif. Une confusion, un désordre. En fait, je n’ai pas été invité le jour de ma naissance. Ce jour là je n’étais pas là. Ailleurs. Déjà. Ils ont fait un paquet à mon attention, qu’ils ont déposé dans l’endroit transpercé de la vie. L’endroit ouvert à tous les vents. Ils l’ont laissé là, en attendant que je passe le prendre.
Et j’ai du oublier de passer. Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses.

Alors c’est sans fin, puisqu’il n’y a pas de lieu.

On vous plante l’enfance avec des clous. Comme le grand crucifié. Lui, le père, il n’aimait pas les enfants, pas plus le sien que ceux des autres. Elle, la mère était dans la déraison de son amour effondré. Ses vingt ans sont tombés sur le sol comme un sac de billes qui se déchire. Alors elle s’est absentée de sa parole, de ses gestes, de sa lumière, elle est devenue sa femme. Jamais ma mère. Elle lui a donné son temps, sa peau, ses cuisses, son ventre, mais son âme d’oiseau s’était déjà envolée. C’est une tragédie miniature. Tous les jours cela se passe ainsi. Une tragédie insignifiante. Une goutte d’eau qui s’éclate un rayon de soleil. Quelques éclaboussures de lumière, et puis, plus rien. Elle aussi, n’était pas là le jour de ma naissance. Personne. On ne peut pas habiter un lieu où il n’y a personne.

On vous plante l’enfance dans le sang, avec des clous. Des clous de silence. Les plus longs, les plus pointus. Ils rentrent facilement dans la chair de l’enfance ces clous là.

Car ils brassaient du silence. Les mots tombaient comme un verre qui se brise. Et les bords coupant des mots blessaient tous les rires, tous les élans. La moindre joie se tranchait la gorge sur les morceaux coupant des mots tombés, des mots brisés.

Dès qu’on marche, on apprend à passer de pièce en pièce dans la plus grande transparence et à déposer de temps à autre sa misère sur le sol. On jette des cubes ou des osselets, on ouvre un livre cent fois ouvert, on apprend à user chaque chose, chaque instant, chaque saison, on apprend l’attente vaine. Et les nuages défilent, se font, se défont, au gré des vagues grises d’ennui, qui se déversent au creux des jours sans fin, où le silence règne en maître absolu.

Voilà, j’ai été condamné à rêver. A rêvasser, même. J’ai collé ma face d’enfance sur la vitre du monde et la buée de mon souffle à envahie mon horizon. Comme un brouillard entre le monde et moi. Un brouillard sur lequel mon petit doigt dessinait des formes absurdes, des signes cabalistiques, qui me permettaient de glisser, sans trop d’encombre, sous la surface âpre et rugueuse des heures.

Aujourd’hui encore, puisqu’il n’y a pas de fin.

Tous mes mots sont en vracs, posés là. Je voudrais m’endormir dessus. Je voudrais qu’ils soient comme un tapis dansant, un matelas de paroles douces et aimantes. Je voudrais qu’ils s’ordonnent dans le sens de mon rêve. Changer de tristesse. Changer de ciel. Les prendre un par un. Toujours les même mots. Les regarder à nouveau. Les essayer dans une parole. Les passer à la lumière du jour. Voir leurs reflets. Kaléidoscope de mémoire. Cendres. Parole en cendres noires. Scories des heures perdues. Des mots en formes de reste.

Je les prends, je le reprends, les pèse, les soupèse. J’en cherche le centre de gravité. Je les mets dans ma bouche, pour en goûter l’amertume, l’acidité. Les peser, c’est bien là la question. Dire le bien, dire le mal ou ne rien dire. Ou redire, sans cesse. Les paroles du Bien n’ont pas de poids dans la balance. Sauf les gestes arrachés, dénudés, dépouillés. Le mal est lourd et compact. Lui, il pèse. On cherche un instant de paix. Un seul instant. Mais l’on se noie dans la lenteur orgueilleuse des océans. Les grands édifices de l’espérance, drapés dans leurs manteaux solennels, sont à l’agonie et brûlent sur l’autel pétrifié de nos cœurs. Rien, rien ne tient, même la chair humide des femmes n’adoucit plus l’absence, ni le désordre des mots. Ni le bien, ni le mal qui ronge. Ni l’oubli.

Il reste la grâce, qu’on confond souvent avec la lumière. Pour aujourd’hui il reste la grâce. La grâce, c’est marcher sur le fil des mots avec une ombrelle rouge. C’est se couper la langue et boire son sang après chaque mensonge, la grâce c’est écrire dans la neige pour l’éternité, c’est tracer dans le sable le visage de l’amoureuse, ou celui de dieu, c’est le corps joyeux du papillon jouant dans les corolles transparentes du vent. La grâce c’est avoir le cœur percé, comme il existe des paniers percés. Le cœur percé qui laisse s’écouler nos offrandes. Pour ne rien garder. Rien.

Celle-là, portait la grâce comme un diadème de feu.

Je lui ai dis : Dieu sourit quand on lui désobéit avec le cœur pur, il sourit. Comme lorsqu'il surveille les enfants. Le désir pur, du cœur et du corps est une aubaine pour lui, il ne se nourrit que de cela. Sois heureuse de ton désir. Offre ton corps à ton bien aimé, fait lui ce beau cadeau d'être une femme amoureuse, langoureuse. On reçoit par le cœur, mais par nos chairs aussi. Elles s'épanouissent et s'ouvrent comme des fleurs pour qu'on les respire. Dieu sourit parce que c'est le temps des amours purs, le corps se vide de nos maux inutiles, du vacarme de nos paroles vaines pour faire une large place. Aussi large qu’un ciel étoilé.

Je lui ai dis ces paroles de sable et de nuages, qui ne sont que des murmures que j'égraine comme un chapelet.

Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses. Des silences cloués sur le corps, par où s’écoule ce qui me reste.

Franck

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