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J'irai marcher par-delà les nuages
26 avril 2005

(1) Le Reflux.......

La douleur violente c’est peu à peu retirée. Marée basse. Lentement retirée. Chaque instant nouveau découvre l’étendue du désastre. L’infini du désastre. Plus je suis déserté par les eaux plus je perçois l’effroyable déchirure. Ecartelé, déchiré, je ne sens plus la torture dans ma peau, dans ma chair, dans ma viande. C’est plus sournois, plus diffus. Comme de l’eau qui se retire d’une plage. Une eau pleine de lassitude. Un effondrement si lent. Un effondrement vague après vague. Effondrement d’énergie. De l’âme. Après le corps c’est toujours l’âme qui veut disparaître.

Quelque chose de l’unité n’existe plus.

A chaque instant je crois me dissoudre dans le vide laissé par la déchirure, par la vague. Il n’y pas d’angoisse, pas de peur, seulement une tension permanente. Permanente, lancinante, agaçante. La sensation que l’océan se vide vague après vague. C’est ça qui use. Etre l’alpha et l’oméga du néant.

Au-delà du désespoir.

Un désespoir qui n’a pas de forme, pas de résistance. L’eau de l’âme déserte la plage. Il n’y a plus rien que le vide. Vague à l’âme. Vide épais, pesant. Le vide ce n’est pas un rien sans consistance, non, c’est un rien compact, pâteux. Il est sans forme, mais il est lourd, tellement lourd. Lourd comme l’éternité, comme la mort.

Vague après vague je disparais un peu plus, recroquevillé sur mon vide, sur mon absence. Séparé, divisé, déchiré, en exil de la vie. L’autre vie. Celle d’avant.

Avec seulement cette tension. A moins que ça soit çà. La vie. Le souffle tendu dans une attente vaine. Pas d’envie, pas de désir, que de l’attente. Attendre l’envie et le désir. Espérance de désir... pour désirer rien. Rien, jusqu’à la fin des temps.

Se souvenir. Ca ne marche pas. Je n’ai pas de mémoire. Les images semblent sortir de mon corps. Plus vivantes que moi. Mais ce n’est pas du souvenir. C’est du sang que j’entends battre sur mes tempes, c’est l’odeur qui envahie mes fosses nasales. Ma gorge.

Noir. Tout le reste est noir. Je n’ai plus de passé, d’ailleurs je n’ai plus rien. Je ronge l’attente comme un vieil os usé. Je ne peux même pas me tuer. Il n’y a rien à tuer. Personne. Je suis là. C’est tout, je suis là. Mais je n’existe pas. Tout à reflué. La plage est déshabillée, nue.

Je suis nu. Non. Je suis rien.

Quelque chose passe, s’épuise. Je ne sais pas ce qu’est le temps. Quelque chose s’épuise. Quelque chose en moi s’épuise. Du temps, du rien. Sans violence, sans révolte, comme la mer qui se retire. La mer qui s’enroule sur elle-même, qui s’absorbe elle-même, qui ravale ses sanglots, vague après vague, laissant derrière elle cette hideuse dentelle moussue, rouge, silencieuse qui s’accroche encore à quelques cailloux miséreux, qui n’en finissent pas de s’user, eux aussi.

Je ne suis plus lié à mon corps. Je sens quelque chose qui résiste, alors je dis que c’est mon corps. Mais je ne suis pas sûr. Avec les dernières vagues mon image disparaît et les miroirs se taisent. Ils ne me savent pas. D’habitude les miroirs savent les images. Là, ils ne me savent pas. Pas encore. Pour toujours. Peut-être.

J’ai les yeux tournés vers l’intérieur. Même pas. Je suis aveugle. Le monde à perdu son épaisseur. Etranger, abandonné au-delà de la mer.

Au-delà de la mère. Bien après la dernière vague. Ce n’est pas un lieu, c’est…. ça ne se défini pas. Ca ne se dit pas.

La plage est vide, encore humide. J’ai tout oublié, l’eau, la tempête, le bruit, les cris, la souffrance. Je ne souffre pas. C’est pire.

Je vis.

Au fond de ma gorge, ce goût fétide qui m’empêche d’hurler. Ce goût laissé par la dernière vague. Senteur marine. Non, plus fade, comme l’odeur blanche de la mort. Je suis là dans un présent mobile, indéfini. Je ne sais pas si je dors, je ne fais pas la différence. A cause, sans doute, de ma mémoire. Saturée de douleur, de néant.

Le seul mouvement qui me reste c’est celui de la mère qui s’enfuie.

Je m’éloigne du rivage.

Toujours un peu plus.

J’entends ma respiration. C’est la mer qui rumine. La mer monstrueuse méduse halète.

Allaite.

Je vois son corps immense trembloter. Non, c’est moi qui tremblote. Je suis une méduse qui tremblote. La transparence épaisse d’une méduse échouée au bord de l’océan : et qui tremblote.

Une mère à marée basse laisse toujours une impression d’inachevé.

D’inachevé.

Elle pourrait descendre encore, descendre sans fin.

Mais, à un moment donné, il y a la dernière vague. Puis plus rien. Puis l’attente.

Franck

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27 avril 2005

(2) L'Etale....

A force d’attendre je crois voir les images.

Des morceaux d’images.

Mon corps de méduse est trop mou pour accrocher les images. Pourtant je les sens, elles s’incrustent, elles glissent, elles rampent. Ma tête ne peut les retenir. Ma chair non plus. Je ne comprends pas. Pas de maîtrise, pas de sens, pas de forme. Rien qu’une femme écrasée dans les plis désespérés d’un corps mou, translucide. Et moi. Et ça. Morceau d’image. Morceau de corps.

Pas de son, pas d’odeur.

Peut-être une odeur. Je ne peux pas dire ce que c’est. Une odeur. De toute façon elle est mélangée à la couleur. Peut-être l’odeur de la méduse. Je ne sais pas d’où elles viennent, les images. Les morceaux de cette femme. Cette femme éventrée. Il n’y à pas de sang. Pourtant elle est éventrée. Je le sais. Quelque chose de la méduse le sait. Au bout de la mère, au bout du mouvement ces choses là se savent. Tout le monde le sait qu’elle est éventrée. Pas besoin de sang pour le savoir. Les méduses ne saignent pas.

Immobile.

Je sors d’une blessure baveuse.

Je suis la blessure.

Pour toujours.

La mère immobile. Seulement les images superposées de cette femme. Je sais que c’est moi. Je ne le vois pas. Je le sais. J’ai toujours su qu’elle était éventrée sur des lits poisseux de désir.

Ma peau est gluante comme une méduse gluante.

Pour toujours.

Elle a cette sorte d’immobilité étrange. L’image. La femme. La mère. L’immobilité vertigineuse des rêves. La peau est pâle. Il faut dire la viande. La viande correspond mieux à ce que je sais. Une viande gluante, visqueuse, ouverte.

La femme est ouverte. Les cuisses sont ouvertes. C’est normal. C’est toujours comme ça. On dirait une méduse oubliée au bout d’une plage. Elle. Moi. Je ne suis pas sûr, parce que se sont des morceaux d’images. Et puis, je n’ai pas tous les mots parce que je suis en morceaux et ouvert.

Non, c’est elle qui est ouverte. Quand on est ouvert, on a jamais tous les mots. Je le sais. Tout le monde le sait.

Il faudrait faire des phrases. Pour mieux respirer. Des phrases longues avec de la mémoire. Je suis sûr qu’il faut de la mémoire. Tout le monde a de la mémoire et peut faire des phrases longues qui racontent des histoires. Les phrases longues, c’est pour raconter les histoires de la mémoire. Les histoires du temps. Du vrai temps.

Avec de l’avenir et du passé.

Non, pas du passé.

Plus jamais du passé.

La mémoire ce n’est seulement que pour du passé.

Je n’ai pas de passé, alors je n’ai pas de mémoire. Les images, c’est du présent. Rien que du présent. Tout est enfermé dans les images. Tout s’y arrête, comme la mer, comme la méduse.

Si seulement l’eau pouvait revenir. La mère. Mais elle est basse, moi, je suis trop las, trop lisse. Même éventré.

Trop lisse. Eventré de l’intérieur.

L’exil.

Je suis exilé. C’est le mot qui convient. Hors de mon lieu. Prisonnier ailleurs, plus loin, encore plus loin, dans les images sans doute. A l’intérieur c’est vide. C’est pour ça que je suis exilé. Un vide à l’intérieur qui sépare et déchire.

Franck

29 avril 2005

Temps de pose.....

Voilà, j’ai l’impression d’être dans un temps de pose. Un moment de l’existence où la vie se replie, un peu comme une feuille d’arbre légèrement rougie par l’automne, une feuille rétrécie et blessée, jetée au sol, dans un coin sombre de la terre.

C’est le temps de pose avec l’âme prise dans une lumière tremblante, capturée dans l’incertitude des regards. Temps mort. Pas vraiment, puisqu’il continue à couler dans mes veines. Temps vide alors, je suis hors d’atteinte, sans goût, sans dégoût, seulement dans un équilibre vacillant. Le monde est lisse, sans profondeur. Tout est plat, les rues, les visages, les sourires, même les souvenirs. Je suis derrière une glace sans tain. Aucun bruit, uniquement des images incompréhensibles. Ce n’est pas la mort, c’est le temps qui la suit, un temps qui ne retient pas la lumière, un temps sans recours comme une maison vidée de ses occupants. Les yeux se posent, mais ne se souviennent de rien, ils vont d’une chose à l’autre, d’une silhouette à l’autre, ils passent d’un silence à un autre silence. Et les paupières se ferment. Une simple fatigue que le sommeil n’épuise plus. Une fatigue lente et douce qui supporte à peine un présent qui se dérobe toujours un peu plus. Même l’air se raréfie. Drôle de temps, que ce temps de pose où la parole pâlie jusqu’à la transparence, où les mots vous fuient parce qu’ils n’arrivent plus à s’agripper à la chair, au sang. Ils vous évitent parce que vous avez abandonné la langue. A force de me taire je perds l’usage de la parole. Chaque matin je pose sur la fenêtre ce gros bouquet de solitude, dont les pétales se détachent un à un et se brisent comme des hosties de cristal ou comme un chagrin d’enfant. De petits mots grelottants dans quelques froids silences.

La page blanche est enceinte de mes tristes mirages, il faudrait l’accoucher ou la faire avorter, qu’elle rende enfin, ses avatars aux limbes et me laisse définitivement en paix.

Temps de pose. Je sais que c’est à partir d’ici qu’il faut écrire, de ce lieu d’absence. Et j’ai l’impression que ma tête se débat dans l’épaisseur de la lumière. C’est une sensation difficile à décrire. Comme si l’air ambiant était solide, tout le corps vient butter contre une évidence absolue.

Franck

30 avril 2005

Jardinier triste et maladroit....

Hier, en jardinant mes mots j’ai été maladroit. Avec mon sécateur j’ai blessé la plus belle des roses. Mon Ange. A force de vouloir être au plus juste d’une vérité, à force de vouloir polir les idées, les sentiments, les sensations, on perd le mouvement libre, on perd la vision, le vol, la légèreté. Souvient toi mon Ange, toi l’Etoile du Berger, souviens-toi……..

….Se parler c'est encore marcher l'un vers l'autre…. L'échange de nos voix…..
Il m'arrive de t'imaginer comme Antigone, droite dans son refus, immense dans son amour, généreuse dans sa douleur. Antigone, et mon Ange c'est le même nom, c'est la même étoile
Il m'arrive de vouloir être un héros mythique, qui le soir venu viendrait te raconter ses campagnes lointaines et déposerait au bord de ton sommeil le plus clair de son âme, il dirait ses conquêtes, il dirait ses combats…
Je dirais….
" Pour toi j'ai labouré la terre du ciel avec ce glaive de cristal capturé aux rayons scintillants d'une étoile.
Pour toi j'y ai semé des perles de printemps
J'ai creusé l'écorce inquiète des jours pour faire issir de chaque désir des essaims de cerisiers fleuris.
Pour toi j'ai puisé au puits de mon sang dans cet étrange étranglement de ténèbres.
Pour toi j'ai affronté les pentes vertigineuses des ravins de la nuit,
Et dix fois traversé l'échancrure du néant,
Et cent fois prié les entrailles du temps,
Et mille fois bénis la grâce tournoyante des galaxies.
Je me suis fait mage pour guetter ta venue dans les dessins des cieux.
Oui, j'ai labouré l'immense cosmos arrachant inlassablement les racines fibreuses de tes cauchemars, déchiquetant sans trêve les ronciers du soupçon.
J'ai poussé les murs de l'horizon pour te faire de la place,
Attisé les aurores pour réchauffer ton cœur,
J'ai tissé le grand voile des nuées pour habiller la nudité de tes rêves,
J'ai tremblé de tes frémissements.
J'ai chargé des montagnes de mots dans le char de la Grande Ourse pour verser, au matin, sur les bourgeons galactiques cette pluie fine de lueurs de hasards dérobée aux velours de la nuit.
Dans le champ des abîmes j'ai incendié les brumes pour guérir tes détresses et leurs cortèges d'ombres neigeuses.
Pour étancher ta soif j'ai recueilli l'écume laiteuse d'un astre neuf,
Et tressé dans les spirales étincelantes des comètes une couronne divine pour parer ton front haut,
Et d'un seul baiser sur la fêlure vulnérable de tes lèvres immobiles je déposé le souffle incandescent du firmament.

J'ai voulu l'impossible, surtout l'impossible, pour me croire délivré des terreurs du déclin.

Epuisé, foudroyé par la chaotique et bourdonnante espérance je me suis allongé au pied des grandes meules de l'univers, sur ce tapis de brindilles claires, lambeaux de silences oubliés par le temps
Voilà ce que j'ai fait
Voilà ce que je dirais sous le voile de ton sommeil, de ma parole la plus blanche au cœur de ma nuit la plus noire.

Jardinier d'infini, oui j'ai labouré le ciel pour qu'enfin germe cet unique diamant lunaire : une fleur de braise, pour un Ange d'amour.
Plus brillant que les flammes jaillissant en chapelet des orgues de l'espace…..

Il faut redire les choses à l’infini, comme des litanies, ou des mantras impossibles. On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime, qu’on les aime.

Mon Ange ces mots t’appartiennent. Ils sont des graines. Rassemble-les dans le creux de ta main et jette-les dans ta terre la plus secrète.

C’est mon chagrin qui apportera la rosée nécessaire à leur croissance.

Franck

2 mai 2005

La lettre retrouvée....

Hier, dimanche j’ai décidé de ranger quelques papiers. Et ça ne manque jamais, on retrouve des morceaux de vie enfouis sous des tonnes d’oublis. La lettre qui va suive. Pas entière. Je n’ai pas retrouvé la fin. Nous étions jeunes. Elle, quand nous sommes rencontrés, était encore au couvent. Elle se préparait à abandonner le voile. Avant, avant dieu, la foi s’était une jeune fille comme les autres, jusqu’au jour où elle faillie être agressée. Par chance, rien de grave ne lui est arrivé. Sauf, que tout a basculé dans sa vie. Comme si la peur avait condensé en elle toute la confusion du monde et de la vie. La lettre qui suit fut notre dernier contact. Je ne l’ai jamais revue. Lettre de rupture. Je crois qu’elle a quitté la France. Je crois, je n’en suis pas sûr.

" Quand tu liras cette lettre la messe sera définitivement dite. Considère-la comme un surcroît d’écume épinglé à la voûte des cieux. Ici, je vais tenter de te dire ce que seront pour moi les heures qui vont suivre, effacer définitivement la cicatrice, annuler les dernières traces…refluer à l’ultime point.

Ce qui m’est le plus douloureux s’est d’imaginer ta peine, ta souffrance à la lecture de ces mots. Ton incompréhension sans doute. Toi qui m’as accompagné dans ce labyrinthe encombré. Toi qui par tes silences donnais à l’écho de ma voie une profondeur que je n’espérais plus. Toi dont l’humilité renforçait mon âme et rassurait mon cœur. Toi que j’ai entraîné sur ces chemins dangereux de l’amour inachevé et sans issue. Inachevable. Toi que je trahis maintenant. Comment te faire comprendre que tu es la plus belle chose qui m’est arrivée ici bas et que personne, surtout pas toi, ne pouvait me faire surseoir à cette obscure volonté, à ce ténébreux vouloir qui gisait au fond de moi ? Dieu y a échoué. Et je m’y suis épuisée. On ne peut expier ses fautes, réelles ou imaginaires, par des prières. Je m’y suis efforcée, avec toute la véhémence que le désespoir pouvait m’octroyer, rien n’est venu user la résistance de mes chairs souillées, car rien ne vient jamais. La pureté ne fait pas bon ménage avec la lucidité, la purification n’a point de sens quand le poison suinte des tripes.

 

Tu aimais évoquer ce que tu appelais " ma grâce ", peux-tu imaginer de quoi elle était faite cette grâce ? Faite de la pesanteur des cauchemars nocturnes. Allongée dans le noir, assaillie de terreurs ; et pire, quand au détour des images, il y avait parfois la jouissance. Toutes ses nuits où je me réveillais, tremblante les mains crispées sur mon sexe. Avec quelle force j’ai haïs ce corps qui appelait d’autres corps ! Ce corps odieux d’où sortait des désirs obscènes ! Mes prières n’y faisaient rien. Combien de fois je me suis infligée des pénitences ? Epuisée par la fatigue, grelottant de froid, agenouillée sur les pierres glacées de ma cellule, marmonnant des litanies, attendant un signe de délivrance qui ne venait jamais. Jamais. Cent fois je recommençais, cent fois le matin me surprenait douloureuse et transie, le cœur dévasté, l’âme aussi impénétrable qu’une citadelle. Oh, oui ! Ce que j’ai pu prier !

 

La foi, la foi…. Je n’ai jamais rien lu de très sérieux à son sujet. Et puis les expériences des autres….. Tu n’as pas remarqué que toutes les choses importantes dans la vie des hommes sont des choses qui se vivent seul, comme si rien d’essentiel ne pouvait se partager. Qu’on ne me parle pas du bonheur à deux ! Du bonheur de couple, de la famille, les enfants etc.…. Foutaise ! C’est la pire des illusions !

La foi ce n’est pas cette illumination de joie béate qu’on nous décrit souvent, cette espèce d’hystérie, cette exubérance émotive, non, la foi c’est terrible ! Il faut se déposséder de soi, s’arracher des morceaux de vie, se dépouiller de tous nos espoirs. C’est renoncer au nom de rien à tout. La foi, au départ c’est l’exaltation du néant, après, bien après cela peu évoluer. Ce n’est jamais gagné d’avance. Il arrive souvent qu’après des années d’épreuves, de doutes, de souffrances physiques et morales tout s’écroule un peu plus sur vous.

Il ne faut pas s’imaginer que dans l’expérience de la foi il y a dieu et son cortège d’ange qui vous encourage, Il n’y rien ! Rien ni personne !

La foi c’est une maladie de l’âme ; une âme trop grande dans un corps trop petit.

 

Je voulais tellement croire que croire serait possible. Mais rien. Les journées défilaient. Je donnais toutes mes forces à ma communauté, m’enivrant des tâches les plus subalternes les plus obscures - la frénésie de l’action comme thérapie – avec entêtement, acharnement même. Pendant les oraisons il arrivait que tout mon être se détende, je me sentais protégée par la présence de mes sœurs, mais dès que je me retrouvais seule, aux heures de recueillement personnel, alors là, tu m’entends, tout revenait, avec la même force, les même détails, la même horreur. Le jour, j’arrivais, néanmoins à surmonter les assauts de ma mémoire, chaque chose était à sa place, l’horreur était l’horreur, le mal était le mal, mais la nuit…. Tu comprends la nuit, une fois dépassée la lisière angoissante de l’endormissement, je me sentais livrée aux monstres. Ils dévoraient mon sommeil, mon imagination fabriquait des rêves aussi voluptueux les uns que les autres. Les histoires, les personnages étaient rarement les mêmes, mais cela finissait toujours pareil : la sensation d’une jubilation intense ; que le mal était bon ! Toutes les perversités m’étaient douces. Je livrais mon corps à toutes les concupiscences. Je me jetais sans retenue dans les plus vils étreintes. Je n’en étais jamais rassasiée.

Jamais je n’ai su si s’était la jouissance qui me réveillait ou bien la douleur de ma conscience déchirée. Souvent, à cet instant précis du réveil, je me retrouvais dans les poses les plus lascives qu’il soit. Dans ce sommeil visqueux, je remontais ma longue chemise de lin, pour que mon sexe soit en contact direct avec le drap rêche, combien de fois je me suis retrouvée haletante, le traversin serré entre mes cuisses humides.

Mais tout ça n’était pas moi. Je ne voulais pas que ça soit moi.

Comme une prisonnière je me mettais à marcher dans ma cellule, pieds nus pour que le froid me punisse, pour qu’une vrai douleur remplace l’autre si douce. Et je priais.

Rien que d’y repenser, les larmes me viennent, j’en ai la chair de poule. Je me croyais délivrée, tu vois, il n’en est rien.

Je priais jusqu’aux matines.

Plus j’avançais dans mon noviciat, moins je progressais. Je me laissais tirer par la procession des jours et des nuits, enfermée dans un engrenage qui me dépassait et dont je ne mesurais pas la perversité. Jamais je n’ai remis en cause ma foi, elle était solide, aujourd’hui encore je la sens vivace, mais il faut avouer qu’elle ne m’a pas obligé pas à prendre le voile. Cette histoire de clôture, je ne la devais qu’à moi, à mon choix, à l’idée que je m’étais faite, un jour, de ce que pourrait être la meilleure façon d’expier une tache dont j’ai voulu endosser la responsabilité. Pourquoi ? Crois-tu que je le sais clairement. Des années cette question m’a hanté, je dis bien hanté. Avant, avant l’agression j’avais des rêves simples… des enfants, un mari, un travail, après, plus rien n’avait de sens, d’ailleurs je n’ai plus jamais eu de rêves, mon corps se refusait à se projeter dans l’avenir. Je dis mon corps parce que l’impression était physique, je devrais dire l’oppression m’empêchait de concevoir le moindre avenir.

Je suis resté des mois hébétée, quasiment immobile…. Mais tout ceci tu le sais nous en avons souvent parlé. Ce que tu ne sais pas, c’est que depuis le début je savais que mon choix de prendre le voile ne donnerait rien. Je le savais. Une petite voix à l’intérieur de moi me le disait. Tu sais cette petite voix qui a toujours raison et qu’on n’écoute jamais. Je me suis entêtée.

Mais je suis restée honnête, je m’en suis souvent ouverte en confession, j’en ai parlé, aussi très longuement avec ma mère supérieure…… "

Voilà, je n’ai pas retrouvé la suite. Je la connais, je l’ai lu des milliers de fois. Mais je me refuse à la recomposer pour la mettre ici.

Franck

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13 mai 2005

Le temps du silence...

Mon Ange. On est entré dans le temps du silence. Le premier silence. Cela arrive toujours de la même manière. Silence, absence, silence. Là, nous sommes au premier silence. C’est encore un espace habité par des échos, des ombres, mais les mots n’y trouvent pas leurs points d’appuis, ils ne se forment plus, ils ne se disent plus. Les mots se taisent, ils perdent leurs lumières, ils sont écrits à l’encre sympathique, mais il n’y plus la flamme pour les révéler, alors ils restent dans le blanc du papier, dans le blanc du cœur. Noir.

Etre dans ce premier silence, c’est être de l’autre coté de la lumière dans un royaume ombreux, épais, lent, froid. Noir.

Il est de ces soirées
Où l’on parle tout seul
Où l’on parle tout seul
A cette femme absente que l’on ne connaît plus
Mais qui un jour peut-être
Mais qui un jour jamais.

Pourtant je sais qu’après le noir, qu’après nos morts révolues il est un versant clair de la nuit. On y accède en ayant épuisé tous les mots, en se laissant porter par l’aile solitaire du silence.

On y accède par la prière mille fois répétée jusqu’à la perte la plus définitive de soi.

On y accède par un unique regard d’amour. Fragile et transparent.

Le versant clair de la nuit n’advient qu’après que toutes les larmes se soient usées dans le temple de misère. Il faut cueillir assez de perles d’absence sur chaque étoile du ciel pour que jaillisse un jour cette lumière d’après la lumière.

Cette lumière des profondeurs. L’ultime joyau. Lumière de nuit, lumière du manque à la nuit, lumière pure d’amour.

Il est de ces soirées où devant ses mains vides
On dit des mots d’amour
On dit des mots d’amour
Des mots bien trop beaux
Bien trop grands
Des mots bien trop…
On invente des mots qui se noieront demain dans l’océan glacé d’une vie bien trop molle
D’une vie bien trop seule
Elle était pourtant jeune
Elle était déjà belle.

Au bout des cascades de l’enfer, bien au-delà de tous nos souvenirs, fleurit l’élixir de joie, une pluie fine de gouttes de soleil sur l’éternité des temps.

Au versant clair de la nuit il est des fleurs secrètes, chacune d’elles contient un firmament dans lequel résonnent les rires des enfants, les berceuses des mères, les prières des saintes. Chacune d’elles est un sourire tremblant dans les reflets d’un ruisseau printanier.

Il est de ces soirées où l’on pleure dépeuplé sur le tas consumé de ses amours mort nés.
Alors on masque la détresse par des rires inventés
On masque la tristesse
Par des rêves de ciels
De ciels bien trop bleu
De ciels bien trop grands.

Mon Ange, nous y voici. Nous sommes entrés dans le temps du silence. Silence, Absence, Silence. S.A.S. Silence, Oubli, Silence. S.O.S. ti ti ti – taa taa taa- ti ti ti. Cela aussi était inscrit. Combien de mots a-t-il fallut pour en arriver là ? Au départ nous étions sur un chemin, perdus tous les deux et puis la fraternité de la route nous a rapprochés, et puis la lumière t’a reconnue, t’a enveloppée. Maintenant tu es une étoile si proche du soleil. Le ciel entier t’a désignée, le ciel entier t’a appelée. Je suis toujours sur le chemin et je lève la tête et je te vois, tu es si loin déjà, mais tu voles… Tu voles… Tu voles… C’est cela le plus important.

Franck.

14 mai 2005

Neige.....

Je viens de relire " Neige " de Maxence Fermine. Relire lentement, le livre est si petit. Petit, ne convient pas, rare plutôt. Voilà, rare. A chaque fois il faut le lire d’une traite. Un vol droit dans un ciel éclatant. Ecriture lumineuse, pensée lumineuse. Blanche avec cette transparence de pierres précieuses, blanche avec des éclats tremblants, blanche et précise, et blanche à nouveau comme une écume fraîche roulant sur la vague. Blanche, infiniment blanche et sereine, et profonde, et légère. Si peu de mots pour tant d’émotions, tant de couleurs pour la gloire d’une seule, tant de silences pour un son si pur….

Quelques flocons blancs : " Car l’amour est bien le plus difficile des arts. Et écrire, danser, composer, peindre, c’est la même chose qu’aimer. C’est du funambulisme. "

Ou encore : " Lorsqu’il mourut, il se laissa gagner par la blancheur du monde.
Il était heureux.
A hauteur du cœur. "

Enfin, à lire et réciter comme une prière pour affermir notre désir toujours défaillant : " Ecrire c’est avancer mot à mot sur le fil de la beauté, le fil d’un poème, d’une œuvre, d’une histoire couchée sur un papier de soie. Ecrire c’est avancer pas à pas, page après page, sur le chemin du livre. Le plus difficile, ce n’est pas de s’élever du sol et de tenir en équilibre, aidé du balancier de sa plume. Ce n’est pas non plus d’aller tout droit, en une ligne continue parfois entre coupé de vertiges aussi furtif que la chute d’une virgule, ou que l’obstacle d’un point. Non, le plus difficile, pour le poète, c’est de rester continuellement sur ce fil qu’est l’écriture, de vivre chaque heure de sa vie à hauteur du rêve, de ne jamais redescendre, ne serait-ce qu’un instant, de la corde de son imaginaire. En vérité, le plus difficile, c’est de devenir un funambule du verbe. "

Quand je relis ces paroles blanches, je suis dans le même temps, emporté et terrorisé. Enthousiaste et tétanisé. Une grosse boule au creux du ventre. Une boule de neige. Froide et brûlante à la fois. Aurais-je la force de résister au vertige ?

Je repense à mon texte d’hier. Le versant clair de la nuit. Il existe une parole qui chante à merveille le versant clair de la nuit. Versant de neige. Versant blanchi. Elle nous vient des cloîtres. Chants des monastères dont la mélodie complexe semble se frayer un passage à travers l’ombre étroite de nos âmes, à travers nos vies défaites. Les notes semblent avoir été recueillies sur les lèvres des mourants. Ultime souffle vêtu de l’épuisement nécessaire pour entreprendre le plus grand des voyages.

Il faut avoir dépassé toutes les tristesses de nos vies, en avoir effacé toutes les joies pour que demeure seule une respiration pure d’amour. Celle là qui pourra brûler tous nos mensonges.

Cette musique ne pouvait naître qu’au très fond de la nuit, elle ne pouvait issir que de la fragilité de nos songes, car il lui faudra traverser d’un seul et unique trait tous les océans d’indifférence pour enfin se poser sur l’infini d’un silence. Ainsi de la parole blanche…..

Neige. Ce matin il pleut, on se croirait en hiver. Neige.

Franck.

J'ai toujours eu cette sensation que le temps de neige était un temps d’achèvement.
Temps hors du temps… pluie blanche de temps… de souvenirs.
La neige qui tombe c’est la nostalgie qui affleure une dernière fois. La neige qui tombe c’est la définition même de la tristesse ; surgissement de la fin dans un présent qui se décompose… Pluie blanche de temps décomposé.

15 mai 2005

Et l'orgue de barbarie....

Elle devait venir à Paris. Non, pas pour que l’on se rencontre, nous sommes dans des mondes étanches, séparés par un écran et quelques millénaires. Elle devait venir à Paris. Et puis elle ne vient plus. Quelle importance ? Puisque nous ne devions pas nous voir. Pourtant la savoir proche, permettait d’embellir le réel…

Paris ce soir est triste
Puisque tu n’y es point
Paris ce soir s’ennuie
De ta silhouette
De tes yeux qui s’effarent
De tes mains alouettes
Paris se sent trop vieille et ce soir se languie…

Il y a des jours où ce blog m’exaspère, où je voudrais ne l’avoir jamais commencé. Et puis, je vois les commentaires de Chris, de Cacahuète, de Coumarine, de Sandra…. Alors, je m’assoie et je fouille les fond de tiroirs des mots, j’use ma mémoire dans l’obscurité, et en tâtonnant je tente de saisir le peu de lumière que ces restes de mots m’envoient.

Sous les ponts de la Seine les eaux palpitent lourdement
Charriant les humeurs d’un printemps nauséeux et trop lent
Et l’orgue de barbarie poussif et chaotique
Remonte lentement la rue du Mont Cenis
Remonte lentement la rue du Mont Cenis

Prendre un mot, le poser sur l’établi de la page dévoreuse. Le regarder, le soupeser, le mettre dans la lumière du soleil. Regarder ses couleurs dans la transparence des heures. Et puis, en prendre d’autres, pour les jeter au hasard, ou les mâcher longtemps. Longtemps.

Paris ce soir est triste
Et l’orgue de barbarie arrête sa musique.

Après, il faut les essayer, les assembler, les faire tinter ensembles, les faire se promener dans la langue. Les faire entrer un à un en soi, pour en ressentir le poids, s’éblouir de leurs couleurs. S’aveugler parfois. Ou se brûler. On ne dira jamais assez que certains mots sont plus brûlants qu’un soleil. Qu’un enfer.

Ma lampe pâle… phare fragile hypnotise ma mémoire.
J’y vois flotter la lumière silencieuse d’une étoile lointaine…
Une prière… encore une prière, une désespérance lancinante…qui résonnent sous cette lampe, entre les lignes des souvenirs et des offrandes perdues… pour des dieux perdus ou des nymphes évanouies dans les vapeurs confuses de l’âme… perdues, toujours perdues.

Souvent il faut recommencer, les prendre à nouveau, et les confronter au silence, au chagrin, il faut les caresser du bout de l’âme, les porter à son oreille pour entendre leurs chants. Et toujours les polir avec lenteur. Parfois avec désespoir. Oui, il faut les user jusqu’aux larmes, jusqu’au dégoût, jusqu’à l’écœurement.

Et l’orgue de barbarie poussif et chaotique
Remonte lentement la rue du Mont Cenis
Remonte lentement la rue du Mont Cenis
Heure incertaine où jamais rien n’arrive, hormis ce temps d’attente et cet effondrement de la lumière… dans le fracas du temps qui passe.
Paris ce soir est triste
Paris ce soir s’ennuie
Puisque tu n’y es point.

Et puis, quand tout est fait, et refait, quand enfin, on est dans tous les désordres, dans toutes les tempêtes, quand notre sang a changé de couleur, quand tout est effacé, c’est alors qu’il faut les abandonner. Prendre sa plume la plus acérée et commencer à gratter la feuille. Sang et encre. Encre et sang. Et pour diluer le tout quelques pleurs.

….Maintenant, il fait nuit, comme une éternité, comme ce pauvre poème inachevé…

Elle devait venir à Paris. Non, pas pour nous rencontrer. Seulement venir. Nos mondes sont inconciliables. Elle est vivante, et moi je suis mort depuis longtemps. Enfin, façon de parler… En fait, je suis juste de l’autre coté de la lumière, dans l’ombre des mots.

…. et au cœur du silence surgit, enfin, ton étrange beauté !…..

Et voilà, je trébuche. C’est toujours la même chose. Une chute sans fin.

Franck.

 

16 mai 2005

Mes étoiles.....

Je ne l’ai pas encore dit ici, mon autre passion c’est l’astrologie. Attention, il ne faut pas qu’il y ait de confusion. Mon astrologie n’est pas celle que vous connaissez. Mon astrologie c’est une poétique. C’est lire ou relire le monde avec des yeux d’enfant. L’astrologie, pour moi, n’est ni plus, ni moins vraie qu’un poème. Elle ne vaut que dans l’instant où elle se dit. Elle n’a d’intérêt que si elle approfondit le mystère en nous, et non quand elle semble le résoudre. Des choses résonnent et il faut tendre l’âme comme si l’on tendait l’oreille. Elle se dit dans les murmures avec la voix du lait, avec les mots blancs.

Les astrologues aujourd’hui sont tristes et piteux, ils bafouent une vieille dame sans vergogne. Ils font commerce de ses derniers atouts. Ils saccagent le ciel de leurs désirs impurs, de leur savoir médiocre. Décidément l’astrologie est trop sérieuse pour la laisser aux astrologues.

L’astrologie c’est un chemin. Un chemin de lumières, parfois un chemin de douleurs. Souvent de douleurs. Elle ne se prouve pas, elle se dit comme un conte dont les mots alimentent le feu crépitant de nos vies dans ce qu’elles ont de plus secret, de plus indicible.

L’astrologie est belle et généreuse, cela fait des milliers d’années qu’elle tente d’apporter une parcelle de sens à notre chaos intérieur, cela fait des milliers d’années que des hommes et des femmes, - les astrologues -, ont tourné des yeux effarés vers les cieux silencieux pour entamer un dialogue jusqu’à présent ininterrompu… et s’arracher les yeux…. et l’âme… à sentir vibrer en eux la musique des sphères.

Un jour les premiers hommes ont décidé d’affronter la nuit, ils ont tourné leurs faces tremblantes vers l’espace obscur, puis ont senti monter en eux une vague de ténèbres…. Chaque nuit représentait l’instant étrange, mystérieux, où, de la peur conquise naissait des désirs nouveaux, chaque nuit ouvrait sur des contrées insolites….. Nous sommes les héritiers de ces conquérants crépusculaires, de ces charmeurs d’ombres au cœur des nuits opaques. A l’instar de l’Ermite nous promenons une faible lumière sur les mystères de l’univers, à l’instar de l’Ermite nous traversons solitaires l’espace et le temps des hommes, les yeux tournés vers l’intérieur, vers nos lieux sombres et inquiétants…..

Sous notre lampe vacillante il arrive parfois que de notre désarrois surgisse la révélation d’une certitude absolu, mais vulnérable qui embrase tout notre être….  La certitude que nous sommes possesseurs d’un ciel entier, que l’instant du ciel qu’il nous ait demandé de vivre à travers nos étoiles est aussi un temps d’éternité…..

Solitaire, sous ma lampe vacillante, j’ai fais un vœu de partage le plus insensé qu’il soit, le partage de la nuit, de la nuit primitive, de la toute première nuit du monde…

Oh, mon dieu, je sais des étoiles aux couleurs éternelles, aux chants singuliers.

Oh, mon dieu, la nuit n’est plus la nuit c’est l’amour en partage….

Franck.

18 mai 2005

Je suis une eau errante...

Je suis une eau errante dessourcé. Je n’en finis pas de couler hors de toute direction, de tout sens.Je cherche un lieu, une âme, un lien, un parfum, une voix. Il n’y a pas d’issue à l’errance, c’est d’ailleurs comme cela que nous la reconnaissons. Pas d’issue.

Il me faut dénuder le temps.
Il gît nu, maintenant, dans son impudique pureté étendu dans le lit de la langue et je posé mon cœur sur l’oreiller des mots et recouvre mon corps d’un linceul transparent…
Temps nu…
Il plante sa lame tranchante dans le gras de ma vie jusqu’à en toucher l’os…
Temps nu d’attente verticale et crépusculaire, parenthèse frémissante aux paupières du rêve.
Faux blanche dans un champ d’asphodèles…
Temps nu du silence…. Ecoulement bourdonnant de substances misérables dans la veine des heures.

Je parle du plus profond de ce grattement d’os. De ce temps arrêté.
Pourtant… j’essaye de rejoindre avec quelques mots murmurés, avec l’écriture la plus virginale, avec rien, une rive inconnue couleur de l’ambre…
Car le monde s’enchante de la parcimonie, de la rareté, cela l’allège du trop plein, de l’excès, de la tonitruance. Le monde a aussi besoin de ce " si-peu ". Comme ces prières qui montent des cloîtres : silencieuses, invisibles, cris inaudibles à force de s’opposer au mal, au vide, au néant, à nos insuffisances…tous ces riens, ces " si-peu " jetés dans l’espace !
Le monde s’enchante d’une seule présence invisible, d’un seul geste, d’un seul baiser, du seul mot prononcé dans le dénuement et dans l’absence de toute réponse.

Mais mon amour va l’amble, battement désaccordé au creux d’un monde désarticulé.

Brûlure sacrée des instants rares
Orchidée cueillie sur les lèvres du jour

Je t’ai vu allongée les yeux fermés
Ni vivante
Ni morte
Plus que vivante
Plus que morte
Plus vraie qu’un soleil
Sur l’oreiller fragile des mots j’ai rapproché ma bouche pour souffler sur ta gorge une caresse rouge.
Sous l’arche de ton sommeil vacillant ma voix devint rumeur innombrable…
Murmure ruisselant…
…. Et ton innocence flotte auréolée d’un tremblement limpide.
Et ta chevelure noire déverse des champs de comètes frémissantes.
Et ta bouche savoureuse s’arrondie dans la chair sanguine des oranges.
Et tes yeux effarouchés chancelles comme des guirlandes de chandelles.
Et tes mains délicates en éventails balaient les poussières désargentées de la nuit comme l’aile du papillon effleure le cœur des roses.
Et ton sourire amande a la chaleur des étreintes.
Et ta voix captivante connaît le luxe et l’harmonie des plus grands paradis.
Et ton front réfléchit la lumière et la grâce des lys.
Et ta peau séraphine se perle de rosée.
Et ton corps élégant traverse enfin l’aurore……

Traverse enfin mon rêve.

Franck.

22 mai 2005

"...en rivière, en fleuve, en océan, en sel, en chant."

Tu es amoureuse. Tu es amoureuse et c’est ça qui est important. Rien d’autre ne doit exister. Concentre- toi sur ton amour. Soit injuste, soit égoïste, soit autiste, ces moments du début sont les plus beaux. Ces moments où l’attente brûle le sang, où la peur a le goût des fruits les plus juteux sont les plus intenses, les plus merveilleux. Laisse-toi aller à cet effondrement, à ce cataclysme, abandonne ta chair, quitte ta maison, brûle-là s’il le faut, laisse entrer la lumière, soit folle, ris aux éclats et pleure avec délice, cours à moitié nue pour attiser le soleil, chante à tue-tête, fais claquer les portes, fais de grands incendies avec tes nuits de douleurs, oublie tout, même ton nom, soit dévastée, soit amoureuse…..

Je porte à la boutonnière du cœur
Ce long lys immaculé
Calice providentiel
Où désormais se nichent tes silences
Assez vaste pour y bercer ton indifférence

Oui, parle, cri, hurle, chante, prie, aussi fort, aussi clair que tu le veux, aussi clair que ton cœur le réclame. Sois libre de dire tous les mots qui traversent ton âme et tes jours. Cueille cet amour qui est devant ta porte, car il t’est destiné. Il t’appartient. Il est à toi seule. Aime d’un amour d’étoile. C’est bien, aussi, un amour d’étoile.

Je suis cette mare sombre
A l’immobile apparence
Sur mon œil lisse
Pénètre les reflets tremblants
Des lumières de la ville
Des lumières de la vie.

Toi qui marche dans la nuit depuis si longtemps, toi qui à connu la peur, la vie foudroyée, toi qui as connu la vie comme un étang noir d’eau croupie, qui t’es arraché le cœur et qui à abandonné son sang dans tous les cimetières, et bien, commence à marcher dans cette lumière éclatante.

Dans mon ventre grouille
Des scorpions aquatiques
Qui glissent entre
Mes rêves filandreux.

Qui pouvait réinventer l’amour, sinon toi ?
Tu conçois l’amour comme un enfant qui le découvre. Chaque mot est neuf, parce qu’il est pur et qu’il n’a jamais était prononcé. Tu es belle quand tu dis l’amour. Quand tu dis ton amour. Chaque instant vécu dans cette intensité simple, dans cette vérité, écrase par sa lumière tous les cauchemars, toutes tes années d’errances. Il t’a fallut tant de courage pour réparer chaque couleur de la vie qu’il est heureux, maintenant, que tu puisses marcher légère sur l’arc-en-ciel qui dresse devant toi.

Et si le soir, entre chien et loup, tu te sens dépossédée de tout, ne crains rien c’est normal, c’est la juste voie de l’amour. Si dans l’attente, tu te prends à douter, à t’effrayer, ne crains rien c’est l’obole obligée pour passer de l’autre coté du ciel.

Je porte à la boutonnière du cœur
Ce long lys immaculé
Calice providentiel
Où désormais se nichent tes silences
Assez vaste pour y bercer ton indifférence

Je me souviens de cette petite phrase de C. Bobin :" " Reste près de moi ", dit le mauvais amour. " Va, dit le bon amour, va, va, va : c’est par fidélité à la source que le ruisseau s’en éloigne et passe en rivière, en fleuve, en océan, en sel, en bleu, en chant. " "

Je suis calme est pauvre ce soir.
Ce soir je ne sais plus chanter.

Franck

23 mai 2005

...cette foule en cortège....

Sauvage mendiant d’une obole misérable

J’ai vu sur mes pleurs marécageuses
S’épanouir la candeur irisée
D’un bouquet de laurier rose en fleur.

J’ai vu flamboyer des anges sur des comptoirs obscurs,
Des saintes éclairées par des flambeaux mystiques
Aux corps impudiques, à l’âme immaculée
Frissonnantes sous le givre des jours,
Brûlantes d’un sang de martyr ou d’esclave craintive.

…Et enfin, pris dans la langueur voluptueuse
d’une douce épouvante j’ai rejoint la sinistre féerie ;
cette foule en cortège, engourdie dans des guenilles déshéritées
qui traîne sa maigre frayeur aux seuils frileux des cimetières.

Franck

25 mai 2005

Lettre ouverte à l'amoureux...

Je me souviens,une nouvelle fois, de cette petite phrase de C. Bobin :" " Reste près de moi ", dit le mauvais amour. " Va, dit le bon amour, va, va, va : c’est par fidélité à la source que le ruisseau s’en éloigne et passe en rivière, en fleuve, en océan, en sel, en bleu, en chant. " "

C’est pour cela qu’il fallait que je parle à l’amoureux. Par fidélité à la source. Par amour du chant. Maintenant c’est lui qu’elle aime. C’est sans doute mieux ainsi. Mais je devais lui dire, à lui, tous mes mots en désordre, pour retrouver mon chant, ma source.

Alors Voilà ce que je lui ai dit……

" On ne se connaît pas encore, sinon virtuellement. Et mon message pourra te sembler incongru (je choisis le tutoiement, c’est un peu moins formaliste, mais cela crée une sorte proximité). Mais je me disais qu’il était temps qu’on se parle. C’est surtout son texte de ce matin qui m’a décidé. Tu remarqueras que je ne mets pas d’accent sur Angeline, parce qu’en fait, il y en a deux Angeline, une avec accent et une sans accent. Moi j’ai choisi sans accent, c’est la plus belle, la plus pure, la plus bleu. C’est la vivante. Enfin, je crois.

Nous ne nous connaissons pas et je dois te dire avant de commencer que tu n’as rien à craindre de moi. Je sais que tu le sais, mais c’est mieux en le disant. On s’aime tous les deux avec Angeline, mais pas du même amour que le vôtre. Il faut te dire que nous nous sommes rencontrés il a seulement quelques mois (déjà…). Mais l’on se connaît depuis des siècles, on vient du même ciel, des mêmes mots. Bien sûr, on ne se ressemble pas, ni nos âges, ni nos mots, pourtant on est du même endroit du temps et de l’espace, c’est pour cela qu’on s’aime. Par fraternité, par nécessité, par évidence.

Mais tout cela tu le sais déjà, elle a du te l’expliquer, et puis tu la connais bien, toi aussi. Tu sais qui elle est, et d’où elle vient. Peut-être que toi aussi tu viens du même pays que le nôtre. Ca ne m’étonnerait pas. Ca serait bien. On se sentirait moins seuls. Moins mort.

Tu comprends, j’ai vu ses premiers pas dans votre amour, et surtout j’ai vu comment un miracle arrive, comment la lumière jaillie, j’ai tenté, parfois maladroitement, de l’accompagner, mais tu sais avec seulement des mots, c’est difficile. Les mots souvent se tirent la langue, ils jouent entre eux et jettent des voiles sur nos intentions. Oui, j’ai vu ses premiers pas de lumière, alors c’est important que je te le dise.

Ce qu’il faut que je te dise c’est : protège-la. Tu vois, quand je lis son texte de ce matin, je sais qu’il faut que tu la protège. Je sais qu’elle ne va pas aimer ce que je dis, mais bon, tant pis. Protège-la. Mais attention, pas n’importe comment. Tu la connais, c’est une vraie liberté cette Angeline. Il ne s’agit pas de l’empêcher de dire, de parler, d’écrire, il ne s’agit pas de la mettre sous verre, elle ne supporterait pas, il ne s’agit pas de l’empêcher de se confronter à la laideur du monde, de fréquenter les morts, de la mettre à l’abri, non rien de tout ça. Tu comprends, tout le monde veut lui faire des enfants, avec des idées maron, avec des yeux maron. Alors il faut que tu la protèges. Je sais, elle n’a besoin de personne, elle est forte, elle sait se défendre, mais bon y’en à marre de toutes ses salissures. Y’a des jours, où y’en à marre. Tu comprends, sa peau, son ventre, son sexe, l’intérieur de son ventre c’est à elle. Et elle, elle te donne tout ça, alors c’est un peu a toi maintenant. C’est votre lumière à tous les deux.

Pour se défendre, elle n’a besoin de personne, parce qu’elle est forte, c’est une guerrière, elle est forte, mais fragile, comme toutes les personnes essentielles, comme toutes les personnes incroyables. Je sais que tu sais qu’elle est exceptionnelle, mais elle est fragile. Parce qu’elle rare. Alors il faut que tu la protège. Tu sais, ça sera simple et incroyablement difficile à la fois. Ca sera ton œuvre la plus compliquée, la plus dure, la plus dangereuse, la plus urgente, la plus quotidienne. Oui, cela sera compliqué, parce qu’on apprend pas cela dans nos éducations, alors il te faudra tout inventer, les mots, les gestes, les silences, les matins, les saisons, tout quoi. Je sais que tu as toutes les qualités, et en particulier celles du cœurs, - ce sont les plus importantes -, mais il va falloir te surpasser. Parce que la protéger ce n’est pas l’empêcher, c’est l’augmenter, c’est élargir encore plus son âme, c’est embellir chacun de ses jours, c’est embrasser ses blessures, c’est parfois même les aimer, ses blessures. Pour la protéger, il te suffira de l’aimer. Tu vois, c’est simple. Et tu vois comment c’est compliqué.

Il faut que tu l’aime, que tu lui dises à chaque instant, ton amour. Il faut que tu la nourrice de ton amour, tu sais bien qu’elle ne se nourrit que de ça. Vous êtes les enfants du miracle, alors il faut que tu sois à la hauteur. Je ne dis pas ça pour te mettre la pression. Je te le dis parce que je sais que tu peux l’entendre. Tu comprends, jusqu’à présent tu as vécu dans l’inconscience du monde, aujourd’hui tu es rentré dans le feu du monde. Alors il faut que tu la protéges. Et pour cela il faut que ton amour brûle comme un soleil. Je sais c’est une image un peu banale, mais parfois j’ai du mal à trouvé les mots à la hauteur. Soleil, c’est banal, mais ça représente bien la chose.

Tu sais qu’elle va m’en vouloir de te dire tout ça, peut-être que toi aussi, tu ne vas pas apprécier mon intervention. Mais qu’importe. Tu dois la protéger. N’essaye pas de la saisir, laisse la plutôt aller libre dans les eaux qui l’appellent, même si ces eaux te paraissent glauques, laisse là ; mais aime-là, elle n’a besoin que de ça. Un amour brûlant, comme une éternité.

Voilà ce que je voulais te dire. Je me doute que tu n’avais pas besoin de moi pour le savoir, mais c’était aussi une occasion de faire connaissance.

Vous êtes, tous les deux, les enfants du miracle et vos enfants seront des révélations de miséricorde. De la lumière sur de la lumière.

Pardonne cette intrusion.

Franck."

6 juin 2005

L'eau et la littérature... (1)

(Je me suis lancer sur un sujet qui a un peu débordé, j’ai donc été obligé de couper ce texte. D’une par parce que ne l’ai pas encore terminé et d’autre part pour le rendre moins indigeste.)

C’est avec l’astrologie que j’ai ranimé mon amour des livres. L’univers symbolique de cette discipline me permet d’apprécier la littérature avec une grille de lecture nouvelle et différente. Ainsi je tente d’approcher l’imaginaire d’un auteur au plus près du lieu où s’élabore les images, les formes, les rythmes, les couleurs, les mouvements, au lieu même de l’inspiration. Le lieu des muses. Bachelard en rédigeant ses ouvrages sur les quatre éléments ne savait pas qu’il allait participer à tout un renouveau du discours astrologique. A son corps défendant bien sûr. C’était un philosophe, mieux un épistémologue, donc quelqu’un de sérieux, mais qui malgré son sens du rationnel, a succombé aux charmes de l’imagination et de la rêverie, en bon Cancer qu’il était. On peut même dire que c’est dans ses livres sur l’imagination poétique qu’il a été le plus lui-même. Il est d’ailleurs probable qu’on ne retienne de lui que ces seuls ouvrages. Bref, les quatre éléments le Feu, la Terre, l’Air et l’Eau nourrissent notre pensée la plus archaïque, ils ont été un des premiers cadre dans lequel les hommes ont commencé à comprendre le monde qui les entourait. Pour les anciens les quatre éléments sont à l’origine de toutes choses, ils sont aussi le point de rencontre de l’homme et de la nature. Mais là n’est pas mon propos.

Mon propos c’est la littérature, comment lire ou écrire et en retirer un plaisir nouveau.
Prenons l’exemple de l’Eau, l’élément qui m’est le plus proche. Le zodiaque nous désigne trois signes d’Eau : Le Cancer, Le Scorpion et les Poissons. Trois eaux différentes. Au Cancer, ce sont les eaux primordiales, les eaux printanières, les eaux neuves, les eaux légères, les eaux lustrales, les sources, les ruisseaux. Elles sont claires et servent à se désaltérer, elles lavent, elles purifient, elles sont notre premier bain dans le ventre de notre mère. Au Scorpion nous trouvons les eaux lourdes, les eaux noires, les eaux fixes, les eaux stagnantes, les eaux profondes et inquiétantes, celles des marais où des étangs, elles sont habitées par nos dragons, par les cortèges de nos pensées secrètes, inavouables, par nos ombres, par nos peurs et nos désirs, c’est l’œil qui regarde le ciel, l’œil de Caïn. Aux Poissons ce sont les eaux immenses, l’eau infini de la mer, des grands estuaires, c’est une eau sans contour, comme notre âme, en nous elle appelle dieu, parce quelle est d’une compassion infinie. C’est l’eau de la prière, ici on aime l’humanité entière, on la sauve malgré elle, c’est l’eau du don dans sa plus pure gratuité, dans sa plus évidente oblation. Ici on souffre du monde et on expie aux rythmes des marées de l’âme.

Bachelard (Cancer) nous introduit parfaitement aux eaux calmes du Cancer, dans son livre L’eau et les rêves il abandonne l’espace d’un instant la pensée rationnelle pour nous livrer ses eaux : " Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivière, dans un coin de la Champagne vallonnée, dans le Vallage, ainsi nommé à cause du grand nombre de ses vallons. La plus belle des demeures serait pour moi au creux d’un vallon, au bord d’une eau vive et dans l’ombre courte des saules et des osières… (…) J’ai voué mon imagination à l’eau, à l’eau verte et claire, à l’eau qui verdit les prés. (…) Il n’est pas nécessaire que ce soit le ruisseau de chez nous, l’eau de chez nous. L’eau anonyme sait tous mes secrets. Le même souvenir sort de toutes les fontaines. " Seul un Cancer pouvait écrire cela. Comme d’ailleurs St Jean de la Croix Cancer lui aussi :

" Je sais bien la source qui coule et fuit
malgré la nuit
Cette éternelle source est bien cachée
Moi je sais bien le lieu d’où elle surgit
Malgré la nuit
Je n’en sais l’origine n’en a point
Mais je sais que toute origine en vient
Malgré la nuit
(…)
Cette source vive que je désire
C’est de ce pain de vie que je la tire
Malgré la nuit. "

Ici on y trouve la source, et les autres grands thèmes thème du Cancer : l’origine, le début et la nuit.

Pour le Scorpion il faut faire appel à un grand poète à l’ascendant Scorpion Edgar Poe. " J’habitais seul un monde de plainte, et mon âme était une onde stagnante… " à rapprocher de cette réplique Caligula de Camus lui-même très Scorpion : " Tu es pur dans le Bien, comme je suis pur dans le Mal, tu ne peux comprendre ce quelque chose en moi, ce lac de silence, ces herbes pourries. "

Faire de l’astrologie c’est lire nos gra nds auteurs, écouter de la musique, écarquiller les yeux sur de vastes tableaux.

Edgar Poe, toujours et de façon plus claire encore :
" Dans les lacs qui ainsi débordent de leurs eaux solitaires, solitaires et mortes – leurs eaux tristes, triste et glacées de la neige des lis inclinés – par les montagnes – par les bois gris par le marécage où s’installent le crapaud ou le lézard - par les flaques et les étangs lugubres – où habitent les Goules – en lieu le plus décrié – dans chaque coin le plus mélancolique : - partout le voyageur rencontre effaré, les Réminiscences drapées du Passé…. "

Avec Poe on est au cœur de l’âme Scorpion, les eaux sont inquiétantes parce que nos âmes sont troubles. L’eau des Scorpions est une eau alchimiste elle nous pousse à la métamorphose, elle nous oblige à regarder en face nos misères, nos faiblesses, nos bassesses. Il faut leur survivre et accepter l’épreuve du Bien et du Mal. Avec le Scorpion on est aux portes des enfers. L’eau de feu approche et avec Goethe lui aussi Ascendant Scorpion nous y sommes :

" Alors tous tirent les bouchons et reçoivent dans leurs verres, le vin désiré par eux, qui coule de cette table.
" Oh ! la belle fontaine qui coule là ! " disent-ils tous ensembles
Méphisto : "  Gardez-vous seulement de rien répandre. "
Tous commencent à chanter et à boire.
Méphisto à Faust : " Nous buvons, buvons, buvons comme cinq cent cochons ! "
Méphisto à Faust : " Et maintenant tu va voir la bestialité dans toute sa splendeur. "
Cybel qui boit goulûment et sans précautions. Tout à coup il y a du vin qui coule à terre et le vin se change en flamme. Alors, Cybel est pris dans les flammes et il crie : " Au secours, au feu, au secours, l’enfer brûle ! "
Méphisto parlant à la flamme : " Calme toi, mon élément chéri. " Et et il se retourne vers le compagnon et il dit : "  Pour cette fois, ce n’était rien qu’une goutte de feu du purgatoire. "

(fin première partie)

Franck

10 juin 2005

J'ai vu.....

J’ai vu tant et tant…
J’ai vu des visages défaits, par la douleur ou par la peur, j’ai vu des chagrins d’enfants inépuisables, comme ceux-là à la peau si noire, aux ventres si gros sur des corps si maigres aux yeux si effarés, si désemparés. J’ai vu les chagrins ordinaires, qu’on ne consolent pas, ou jamais assez, j’ai vu la violence des mots, des gestes et des intentions s’abattre sur des vies innocentes. J’ai vu des solitudes impensables, des terres frappées par le gel et le vide, où les âmes se cassent comme de la glace. J’ai vu les trahisons, ah oui ! Ca, j’en ai vu, elles poussent comme le chiendent, comme le mépris, comme la haine. J’ai vu les oublis, les omissions, les prétentions, charriées par des fleuves ambitieux, inonder et noyer des existences fragiles et aimantes. J’ai vu blanchir les heures dans l’œil noir de la mort, dans le regard de ma mère, dans la grimace de mon père. J’ai vu partir ma vie sur la pointe des pieds, sans tambours ni trompettes, simplement, comme ça, un long épuisement sans fin. J’ai vu les espérances gonfler comme d’énormes ballons et crever d’un seul coup, par ignorance ou bêtise. Bêtise souvent. J’ai vu la lâcheté ramper, et les lâches gueuler avec les loups, et les loups flatter les lâches, et les lâches aimer les loups. J’ai vu l’amour blessé, bafoué, abandonné et encore espérant, et l’amour démembré recroquevillé comme un animal mourant. J’ai vu les jours sans fin et les nuits sans retours. Et la peur aussi, celle qui fait trembler et celle qui ne dit pas son nom mais qui ronge les jours et le sang. J’ai vu l’humiliation s’écrouler devant le dédain… J’ai vu tout ce que les hommes voient, ni plus, ni moins, ni mieux, j’ai lu beaucoup, souvent mal, j’ai cru aussi que je pouvais écrire, j’ai appris les étoiles espérant mieux comprendre, j’ai même traversé les déserts, les plus grands, pour affermir mon âme, j’ai prié des dieux insensibles ou inconnus et me suis abrité sous la lumière des vitraux, j’ai cru aux idées, j’ai même failli aimer ma solitude, j’ai plusieurs fois recommencé ma vie, j’ai voulu être tout et de mon temps, et être rien, et être rien…

Dix fois j’ai refait mon bilan, dix fois ça n’a servi à rien. Je suis une âme boiteuse qui marche dans son errance, ni plus, ni moins, cahin-caha… ni sage, ni ignorant, assez pauvre ou assez sot pour cueillir de temps à autre quelques trèfles à quatre feuilles, assez pauvre ou assez sot pour lancer en l’air quelques paroles amoureuses, assez pauvre ou assez sot pour croire encore que demain tout est possible, assez pauvre ou assez sot pour n’attendre rien et espérer tout, ou le contraire, assez pauvre ou assez sot pour ne plus croire au bonheur et faire comme s’il arrivait demain, assez pauvre ou assez sot pour faire encore des rêves, des rêves de peau et de chairs et de baisers mouillés, et de mains tendues qui toucheraient mes yeux, et de souffles échangés, et de silences heureux, et de promesses brûlantes, et de sources bleues, et des rêves d’anges….

Assez pauvre ou assez sot pour pleurer à nouveau ou rire aux éclats.

Franck.

11 juin 2005

Je n'en voyais plus qu'un....

Elles ont plusieurs visages, plusieurs vies, elles s’insinuent parfois entre les plis de la nuit, dans quelques ruelles désertées du sommeil pour consumer ce qui reste de nos vides, de nos manques. Elles ont plusieurs visages, plusieurs peaux, mais l’espace d’un rêve, elles ont une présence, une évidence foudroyante. On ne peut les nommer, sans les appeler toutes, mosaïque de chair et d’ombres fuyantes, fusion alchimique de nos amours échoués sur les berges obscures de la mémoire, condensation mystérieuse de nos désirs, de nos tentations, de nos folies libertines. Elles ont le visage de nos passions imprécises, à peine ébauchées, celles que l’on a oubliées, celles que l’on a pas consommées, ou celles plus aiguës encore qu’on a tant espérées. La nuit, dans nos rêves elles ont plusieurs visages, et elles surgissent vivantes dans un jeu de miroirs, si vivantes et si insaisissables, si proches et si lointaines, si belles, toujours si belles…

Tout d’abord j’ai cru entendre le son clair d’une voix de lune, vous savez ces voix juste un peu trop pâles, infiniment blanches et pâles. On en connaît pas, pourtant on pourrait les reconnaître entre mille ; j’ai cru entendre une voix blanche, faite pour la nuit, pour la confidence, une voix qui a besoin de la flamme de cette bougie pour prendre son souffle et son envol, la seule voix possible pour prononcer mon nom. Le son clair d’une voix de lune et des yeux vastes comme un ciel d’orage, des yeux qui s’accrochent à l’âme, qui vous prennent de l’intérieur dans le sens d’une exigence inavouable, regard d’orage saturé de chaleur, encombré de tendre convoitise, mélange de cruauté onctueuse et de bienveillance tyrannique. Son corps n’était pas UN, mais multiple, innombrable ; là, les seins alourdis de désirs et d’offrandes juteuses, tremblants et durs et doux à la fois, des seins en duvet de songes, en souvenirs d’enfance. Là, une bouche de neige fondue aux saveurs sucrées de barbe à papa, coulante comme la lave d’un pécher, avec cette langue légère et grave de tous les mots d’amour quelle a pu susurrer. Et ce ventre aux vagues émouvantes, immense et grandiose, un ventre océan, un ventre univers, souple et tendu comme l’espace sans fin, un ventre velours, un ventre fait pour mes mains qui s’y posent, mes mains qui quémandent, mes mains qui supplies. Et j’ai serré des cuisses larges et amples comme une plage de dunes, bouillantes et fortes, et j’ai serré si fort que j’ai voulu m’enfouir dans ces chairs soyeuses, ces chairs moelleuses, gracieuses et souriantes. Les rêves n’ont pas de poids, et ces cuisses étaient légères, elles ouvraient sur la source ultime, chaude comme un nid, profonde comme la nuit. Elles ouvraient sur une ruche débordante de miel infusé dans l’antre du désir. Elles ouvraient sur la source de chairs vives, la source dévoilée par la soif de l’amant, la source intarissable, toute repliée en étranges secrets, en corolles parfumée d’attente, en pétales froissés par la pudeur des anges, le seul lieu de nos peurs et de nos rémissions.

Le corps du rêve vit et se coule dans la peau du sommeil entre deux plis de nuit. Elle avait cent visages et cent bras de civa aux cent mains de caresses, et elle jouait des doigts sur mes reins musicaux, mes reins de piano, une musique affolante, et je sentais ses doigts légers courir sur mon dos nu pour me dire et me conduire en musique vers la note de son corps la plus aiguë et la plus pure.

Elles ont plusieurs visages, mais pourtant au matin, je n’en voyais plus qu’un. Un visage d’avenir, un visage de demain.

Franck

12 juin 2005

Les Châtaignes au lait....

Elle s’appelait Simone. Elle a vécu au siècle dernier. Je garde en mémoire le souvenir d’une femme forte, solide, digne, joviale, traversant la vie dans une solitude rayonnante. Simone. Ma grand-mère. La mère de ma mère. Une femme ordinaire, comme il en existe beaucoup. Ordinaire et exceptionnelle à la fois. Et mon regret, aujourd’hui, est de n’avoir rien vu, rien compris. Pas assez aimé. Il y avait en toi, Simone, quelque chose d’absolu, une conviction simple et irrévocable qu’il fallait marcher quelle que soient les embûches ou les fatalités. Tu étais sans illusions et pourtant tu étais éclatante d’espérance. Droite, toujours droite et volontaire, remplie d’audace sereine et de courage. Le courage, je crois que c’est toit qui m’a appris ce que c’était. Le courage sous toutes ses formes, physique, moral et même spirituel. Et il t’en a fallut du courage.

En Creuse, dans la ferme de tes parents il y avait deux vaches, et les terres sur lesquelles ils s’épuisaient ne leurs appartenaient pas. Toi tu cueillais les mûres et les champignons et tu refusais de parler patois. Tu avais de l’ambition ; oh, elle n’était pas démesurée cette ambition, tu voulais simplement quitter cette ferme trop étroite et cet horizon de misère. Tes parents n’avaient rien mais ils t'ont légué ce qu’ils avaient : l’humilité, la ténacité, un sens puissant de la dignité, savoir dire oui et savoir dire non, la pratique du silence et un bon appétit. Avec ça tu étais armée.

Tu y as vécu à la ville, Limoges, (un jour il faudra que j’en parle de cette ville) tu t’y es mariée ; un bon mari, gentil, simple, fonctionnaire et de santé fragile. Lucie est arrivée très vite, mais elle n’a vécu qu’une seule année. Plus tard, au cimetière, quand le caveau fut ouvert, tu me montras le tout petit cercueil abîmé : " C’est ma petite Lucie " tu diras les yeux pleins de larmes. Et puis il y a eut Suzanne, ma mère. Une tempête de soleil dans ta vie. Un ouragan de bonheur. Tu es devenue épicière, mais ce n’était pas suffisant, alors tu as appris la coiffure. Dans la petite boutique aux deux enseignes tu servais du lait ou des pommes de terre entre deux rouleaux et une couleur.

A la libération, tu les as vu arriver, tous ces résistants de la vingt-cinquième heure. Ils étaient, fous de rage, ivres, hurlants, ils étaient presque cent dans la petite cour, ils avaient des armes et il poussait leur trophée devant eux. Ils avaient gagnés la guerre, alors ils avaient le droit de prendre une femme et de la déshabiller, parce que ils étaient courageux, parce qu’ils étaient des hommes, et parce qu’une femme c’est dangereux. Une femme seule et cent hommes, il faut imaginer le tableau. Ils voulaient que tu la tondes. Toi devant la porte, seule au monde, et cette femme nue. Tu m’as dis, la colère qui t’a prise à ce moment là, une colère de montagne. Non, tu n’avais pas peur. Moi, vivante vous ne la toucherez pas, et surtout pas avec mes ciseaux. Et puis, tu as crié, insulté, tu ne te souvenais même plus de ce que tu leur avais dis.

Et celle-là, tu l’as prise, tu l’as fait entrer dans ta petite boutique. Foutez le camp ! Et ils sont partis en râlant. Et ils sont partis parce qu’ils étaient courageux. Celle-là tu l’as prise, tu l’as serré dans tes bras, tu l’as habillée.
Mais la haine dans les yeux de ces hommes tu t’en ais toujours souvenu.

Et, Marcel, ton mari, est mort. Tu avais cinquante ans. Alors tu t’ais dis ma vie commence là. Pour toi les hommes c’étaient finis. Mais seule, ta fille mariée, tu voulais vivre, prendre des risques, sentir bouillir ta vie. Alors tu as plié les gaules. A nous deux la capitale. Seule tu es partie. Avec en poche les quelques argents que t’avait rapporté la vente de ton petit commerce bicéphale. Pas grand chose mais assez pour commencer à t’endetter. Tu as acheté un petit meublé dans le 14ème , rue du Château. Et tu t’es découvert un don jusque là inconnu, tu savais d’instinct quand il fallait acheter et quand il fallait vendre. Un petit Tapi à ton échelle, sauf que toi, tu ne licenciais personne. C’est comme ça que tu as pu acheter un petit hôtel près de la place Clichy. Là, je m’en souviens, je devais avoir trois ou quatre ans. Rue du Mont Dore. Tu étais dans toute ta splendeur. Mes parents eux aussi étaient à Paris. Souvent c’est toi qui me gardais. Malgré l’imprécision de mes souvenirs, je garde de ces instants passés avec toi dans cet hôtel, un souvenir lumineux. Il y avait une quarantaine de chambres, et tu étais seule pour faire tourner ta petite entreprise. Je me souviens, des petits déjeuners le matin, le premier coup de feux, le nettoyage des chambres, le second coup de feu, tu avais une seule petite femme de chambre pour t’aider le matin, venait ensuite le lavage des draps. Ca s’était ta tache. Ton truc. Je t’ai vu des heures et des heures penchée sur cette grande baignoire : laver, rincer, essorer des monceaux de draps. C’était sans fin, ton corps sentait la lessive et des mains étaient toutes fripées comme un buvard trop imbibé. Ton dos te faisait mal, mais tu y allais de bon cœur. Des années cela a durée, et tous les jours son lot de draps plein d’histoires à laver. Le soir tu repassais, jusqu’à épuisement. Je crois que jamais je n’ai t’ai vu effondrée, fatiguée ; au contraire j’ai le souvenir d’une femme plein d’allant, toujours le sourire aux lèvres. Plaisantant avec ses clients, les habitués surtout.

La politique ne t’intéressait pas, pourtant tu accueillais chez toi une foule de gens bizarres, des réfugiés, surtout des yougoslaves, ou des tchèques, des étudiants sans le sou, ou des marginal, des peintres, des écrivains. Ce n’est pas avec eux que tu faisais fortune, tu disais ça en riant, avec des yeux pleins de malices. Pour eux tu étais madame Simone. Et ces gens te respectaient. Quand on est enfant le respect c’est un truc qui se voit, qui se sent. Tu étais dans un quartier un peu chaud, alors tu as connu aussi deux petits macs, Pierrot et Charlie. Mais tu ne voulais pas que ton hôtel soit un hôtel de passe. Alors tu leur as expliqué. Et comme les autres, les deux petits macs t’on respecté. Tu n’étais pas prude, mais tu avais ta morale, et ta morale te disait que ce n’était pas bien de faire travailler des filles. Quand il venaient ils se tenaient bien. Tu jonglais avec ton livre de police, d’ailleurs même les policiers du quartier t’aimaient bien. Alors ça t’arrangeait pour tes petits réfugiés. Souvent Charlie venait saluer Simone, il était accompagne de Brigitte. Brigitte c’était ma récréation. Elle sentait bon, on aurait dit une fée (habillée plus court). Pour l’éloigner un peu de Charlie, Simone demandait à ce que Brigitte s’occupe de moi. Nous partions alors en promenade tous les deux. J’ai encore le souvenir de la chaleur de sa main. Elle me prenait au cou parfois pour m’embrasser sans raison. On s’aimait avec Brigitte. Le soir quand on revenait, je restais accroché à sa jupe. Je l’aimais Brigitte. Elle était belle comme une grande sœur.

Et puis Simone a du vendre cet hôtel, a contre cœur, mais elle n’en pouvait plus, quatre à cinq heures de sommeil pare jour à plus de soixante ans ce n’était plus possible. Alors elle a acheté un autre petit meublé. Elle menait seule ses petites affaires, elle ne demandait à personne un avis qu’elle n’aurait pas suivi.
Elle a eu quelques année de répit, elle travaillait moins.

Et puis il y a eu la maladie de maman. Le Cancer. Six mois cela aura duré. Tu as vu ta fille partir chaque jour un peu plus. Alors j’ai vu ce qu’était le vrai courage. Le vrai désespoir et le vrai courage.

A la fin elle ne ressemblait plus à rien. Avant d’entrer dans sa chambre, tu te remaquillais, tu te recoiffais, tu respirais à fond, tu accrochais un sourire et tu poussais la porte. Et tu restais là, avec elle, parlant de tout et de rien, acceptant avec bonheur les rebuffades de sa part, tu étais devenu son souffre douleur. Et chaque jour tu l’aimais un peu plus. Quand tu sortais de cette chambre, tu t’effondrais. En larmes, en malheur, tu t’éloignais pour crier parfois, en une fraction de seconde ton visage prenait mille ans. A la fin tu ne dormais plus, tu ne mangeais plus, tu veillais assise à coté de sa chambre. Je te jure mamie, tu étais belle dans cet amour désespéré, c’est chez toi que j’ai puisé de la force, et de l’envie de vivre. Oh oui, tu étais belle….

C’est un an après sa mort que nous avons vécu ensemble. C’était l’année de mon Bac, j’étais admis dans un cours privé à Paris. Donc c’est toi qui m’as accueilli. Un an ensemble, j’avais dix-sept ans et toi soixante-quatorze. Pas simple la confrontation des générations. Tu as pris ce défi comme les autres, à bras le corps. Tu as été d’une abnégation et d’un amour sans faille, je n’étais pas très agréable à vivre mais jamais tu ne t’es découragé. Cette année passée avec toi reste gravée dans ma mémoire. L’appartement était petit, moi je dormais sur le canapé du salon, le soir je lisais Sartre, Camus, j’écoutais Chopin et Debussy, ou j’écrivais de longues lettres à une jeune fille qui n’y répondait jamais. Toi, après le repas tu t’éclipsais dans ta chambre.

Souvent la nuit tu ne dormais pas. Tu pensais à ta fille morte, parfois a la petite Lucie, mais c’est Suzanne qui t’empêchait de dormir. L’angoisse et la douleur te serraient la poitrine à la faire exploser. Alors tu te levais et tu marchais autour de ton lit. Des heures à marcher dans la nuit et la douleur. Tu ne voulais pas faire de bruit à cause de moi à coté. Tu marchais en silence, en pleurant, tu marchais dans ta vie de souffrance. Moi, j’entendais parfois le plancher craquer. Je savais ce qui se passait. Un jour tu avais dis à quelqu’un : " La nuit je ne dors plus, j’ai son image en moi, là, devant les yeux, c’est impossible, alors, vous comprenez, je marche. Doucement je ne veux pas le réveiller… ", J’avais entendu. Alors je savais pour les bruits de parquet. Ca craquait, un peu, comme un cœur qu’on écrase. Vous savez, quand il y a beaucoup, mais beaucoup de chagrin. J’ai encore ce craquement dans la tête. Pour moi le courage d’une femme, c’est ce craquement de plancher dans la nuit, dans le silence. Au matin il n’y paraissait rien, elle m’apportait un café " Tiens mon chéri… tu peux le boire ce n’est pas très chaud…" Et moi je savais la nuit quelle avait passé. On ne se disait rien de tout ça. Il fallait continuer. Alors on continuait. C’est là que j’aurais pu lui dire que je l’aimais. Mais à dix-sept ans on est juste un peu con. Quand j’ai eu mon Bac, j’ai vu une joie et une fierté dans un regard que je n’ai jamais revue nulle part. Les yeux brillent, ils sont des océans. Pourquoi je ne t’ai jamais dis à quel point je t’admirais ? Pourquoi ?

Mon père est venu s’installer à Paris. Naturellement tu t’es occupé de lui. Pourtant tu ne l’aimais pas. Il avait trahi ta fille. Mais tu lui as dis que tu le faisais pour moi. Tu as été la seule à lui tenir tête, pendant des années, tu as fais ses courses, lavé son linge, fait son ménage, sans jamais céder d’un pouce sur une reconnaissance qu’il te demandait : " Je ne vous aime pas Jean, je fais ça pour Franck et ma Suzette, pas pour vous.. " Chaque matin elle traversait Paris en métro, pour s’occuper de l’intendance de mon père, le veuf joyeux, chaque soir elle repartait chez elle à la nuit tombée. Jusqu’à quatre-vingt ans. Simone, elle était comme ça, entière, droite, digne. Elle savait l’être pervers qu’il était, calculateur, paranoïaque, rien ne l’impressionnait. Un jour ils se sont accrochés, elle lui a dit tout ce qu’elle avait sur le cœur. Elle était droite devant son nez. Elle n’a rien lâché, elle n’a pas tremblé. C’est sans doute la seule fois où je l’ai vu reculer. Lui. Battre en retraite. Lui. Même dieu ne lui faisait pas peur, d’ailleurs elle l’avait laissé tomber dieu. Elle a trop vu mourir les siens, elle a trop vu mourir son sang, alors dieu il faut comprendre, ce n’est pas possible.

Elle est partie cinq ans plus tard, en douceur. Par épuisement. Sur son lit de fin elle souriait beaucoup, les infirmières l’aimaient bien Simone. Elle leurs racontait des histoires sans queue ni tête, mais toujours avec un bonheur dans la voix.
Et quand elle me voyait c’était de la joie à l’état pur. Il y avait quelque chose dans ses yeux que je n’ai jamais revu.

Je l’ai toujours connu seule, parfois son amour était envahissant, mais sonnait clair comme une source.
C’est quand tu es partie que j’ai compris que je perdais un être exceptionnel.
C’est toi qui m’as appris ce que c’est qu’être digne, droit, courageux. Rien ne te fut donné, rien ne fut facile, mais tu as su aimer avec débordement, la vie, et les tiens.

Comme quand tu mangeais des châtaignes au lait. Tu en avais plein la bouche. C’était un plaisir de te voir, dans cette gourmandise à l’état brut. Tes yeux brillaient d’une malice désarmante et mystérieuse, presque enfantine….

Franck

13 juin 2005

Il y a des jours....

Il y a des jours où on laisse la lampe éteinte, on écrit avec une encre d’ardoise sur une page de nuit, et les mots craquent comme des cailloux.
Il y a des jours où l’on trébuche sur un souvenir et voilà qu’on dévale les couleurs de l’arc-en-ciel pour aller s’affaler dans le noir la tête la première, un noir solide et anguleux. On a beau brûler des fagots de secondes pour y voir plus clair on se blesse quand même sur des tessons de ciel.
Il y a des jours qui n’apportent avec eux aucune rémission.
Des jours comme la peau blanche des mourants,
des jours lestés de remords à l’odeur fade.
Des jours sans issue, plombés par l’attente vaine,
des jours sans visage,
jours d’absence en dehors de toute chronologie,
jours que rien ne sauve, ni personne, ni un hier, ni un demain, ni une lumière, ni une prière.
Seulement une épaisseur qui traverse la chair dans laquelle le peu de pureté qui nous reste s’enlise.
Une épaisseur qui étouffe toute flamme.
Les heures s’effondrent les une sur les autres avec un bruit sourd.
Désastre anonyme des heures impossibles à secourir.
Effritement de vie,
décomposition du temps sur des silences inutiles,
et les mailles du temps qui se défont une à une…..
Franck.

19 juin 2005

Quatre lettres suffisent....

Samedi matin 7h45

La journée s’annonçait belle. Le soleil. La chaleur.
Et puis quelque chose se casse. Un tout petit bruit. Vous savez le bruit que fait un rayon de lune qui se brise. Mon Ange me fait savoir qu’une de mes paroles l’a blessée. Un mot. Un mot de trop. Mal venu. Un mot de quatre lettres trop désinvoltes.
En quelques secondes toutes les portes entrouvertes sur cette belle journée se sont fermées une à une.
Et j’entendais claquer les portes à l’intérieur. Et le noir se faire, comme si la bouteille d’encre s’était renversée. A l’intérieur. Une immense tache d’encre noire, épaisse, lourde. J’ai provoqué une blessure par négligence, par désinvolture, par manque d’attention. Je voulais envoyer un sourire et c’est une claque qui est reçue.
Là, maintenant, il fait sombre. C’est monté comme une vague. Une marée d’un seul d’un seul bloc, d’un poids infini.
D’abord ça prend au ventre, au creux de l’estomac, puis ça envahi toute la poitrine et l’écume sombre se diffuse dans les membres, jusqu’au bout des doigts. Peu à peu je n’entends plus rien et je deviens aveugle. Ma tête n’est remplie que d’une seule phrase : " Tu lui as fait du mal ", et peu importe que tu l’ais voulu ou non, l’important c’est qu’elle attendait un sourire et qu’elle à reçu un coup.
Un mot qui tombe mal, juste sur la tranche, fait un dégât insensé en se brisant. Un bruit sec, que rien ne vient effacer, un bruit planté dans la tête comme un clou.

Attentif. On n’est jamais assez attentif, en éveil…

Un tout petit mot de trop, à coté, qui ne paye pas de mine et qui fait un ravage, parce qu’il est tombé dans ce coin de l’âme si fragile et que ces quelques lettres sont venues mettre la confusion, le doute, la douleur.
Et regretter ne sert à rien.
Et être désolée sert à rien.
Quelque chose saigne au loin.
A l’heure où j’écris, il fait déjà chaud, c’est une belle journée. Je le vois et pourtant elle ne m’atteint pas. Je me maudis mais ça ne sert à rien. Mes dragons sont là, tous. Je les connais si bien, ils déferlent en train bleu, bleu nuit, bleu d’amertume. Mon eau s’est troublée, la source hoquette.
Je jette avec rage les mots sur le papier, je voudrais les rentrer un à un dans ma chair, pour saigner plus noir, pour effacer. Quatre lettres suffisent, à détruire un sourire, quatre lettres suffisent à éteindre une étoile…
Quatre lettres, quatre gouttes rouge suspendues à leurs clous aux quatre coins du cœur pour qu’il se souvienne.
Quatre lettres de suie sans couronne d’épines avec dans leurs flancs cette page blanche et ses cicatrices obscènes d’où suintent de froids copeaux de lettre qui crissent sous la plume grimaçante.
Quatre lettres qui se noient dans une flaque de mots morts, oubliés dans une langue croupie.
Mes phrases sont titubantes, parce que quatre lettres suffisent pour éteindre une étoile.
Quatre lettres aux arêtes de verre, brûlantes et tranchantes….

Dimanche matin. Même heure.

Hier une vague de lumière a succédé au noir de l’encre. Mon coeur a fait le grand écart.
Il est un peu courbatu.
Le soleil est en train de se lever. La même journée qu’hier. Le noir en moins.

Franck

20 juin 2005

La première nuit du monde....

Hier au soir la nuit était douce. Un peu de fraîcheur. La lune était presque ronde et sa lumière blanche faisait surgir les ombres alentours. Au loin les cris des chouettes, plus près, sur les bords de l’étang, ceux des grenouilles et des crapauds. La nuit nous parle. Longtemps j’ai regardé le ciel. Les étoiles. Combien sommes-nous sur terre à faire la même chose au même moment ? Mon intérêt pour l’astrologie m’a souvent poussé à planter mon nez dans les étoiles. Comme ça, sans chercher à les reconnaître ou à les nommer. Simplement regarder et se laisser envahir. Nous sommes rarement silencieux sous les étoiles la nuit. On se tait, mais la nuit nous parle. Alors il y a comme un dialogue secret. J’ai souvent essayé de retrouver l’impression première de ces hommes d’avant, devant ce spectacle de la nuit et des étoiles.

Au tout début ils sont dans la grotte. La nuit ils se serrent les uns contre les autres. Ils ont peur. Il y a bien un feu qu’il faut entretenir. Mais dehors….la nuit les bruits inconnus. Le plus courageux ou le plus seul sort parfois. En fait c’est le plus seul. Il sort et regarde les étoiles. C’est un mystère, mais il regarde fasciné. Ces minuscules incendies dans le ciel lui parlent. Lui, il répond. Il dit sa journée, sa solitude, ses espérances. A force de parler aux étoiles, il commence à les connaître, ce sont ses sœurs. Et ce ciel toujours pareil et à chaque fois différent. Les autres le croient fou, à sortir comme ça, toutes les nuits. Lui, souvent il pleure devant les étoiles, parce qu’il est seul et que les autres de la horde le rejettent. Chaque nuit il apprivoise un peu plus ces lueurs. Des éclats comme des yeux scintillants. Il restera mille ans dans cette fascination silencieuse. Mille ans à taire ses secrets, mille ans à cacher ses larmes. Surtout le soir, juste à la tombée de la nuit, à l’apparition de la première étoile, celle qui appelle les autres, elle est belle comme un pomme celle-là. Il sait dans son cœur qu’il l’offrira, cette étoile, à celle qui voudra bien l’accompagner, la nuit, loin de la grotte. Il restera mille ans à attendre sa belle qui jamais ne viendra. C’est pour ça que le ciel pleure, de temps en temps, les soirs d’étés

.Plus tard, après la grotte, il est sorcier, sage, il veille toujours sur la destinée des siens, ceux du village, les guerriers, les chasseurs, les cueilleuses, les enfants, les anciens. Ils comptent tous sur lui, pour soigner, comprendre, expliquer. Il sais désormais le monde, ils sait que chaque choses est habitée d’une âme, d’un esprit. Il sait que tout est vivant autour de lui, même les morts sont encore là, il les reconnaît dans le vol de l’aigle, dans les cris de l’ours, dans les feuilles qui bruissent dans le vent. Tout est vivant et l’orage lui rappelle son devoir de protéger chacun, et surtout le plus faible. Alors il veille. Il parle aux ombres. Pour leurs dire toute la difficulté de vivre, de survivre. Toute sa solitude. Il lit les étoiles ; il connaît leurs dessins, presque tous. Elles aussi sont vivantes, elles aussi sont tristes comme lui. Elles lui parlent, et lui, il invente des chants pour elles, pour les séduire. De longues incantations. Tristes. Certaines nuits il voudrait mourir pour rejoindre celle-là, à coté du soleil. Il trouve ça beau, les étoiles. Mais il ne peut pas le dire aux autres. Ils ne comprendraient pas. Alors chaque nuit il dessine des rêves dans le ciel, il raconte des histoires où chacune joue un rôle. Parce qu’il les appelle par leurs noms. D’ailleurs il aime prononcer leurs noms. Chaque soir il épelle un chemin différent du ciel, il chante une route d’étoiles toujours nouvelle, il invente, il peuple le firmament de ses mots, de ses chants, il serait presque joyeux, si ce n’était cette solitude. Mais il a jeté son âme au ciel et en retour, son cœur, sa chair, sa peau sont des champs constellés. Il a arraché une à une ses peurs et les a remplacé par des astres étincelants, c’est pour cela que ses yeux sont brûlés, c’est pour cela qu’il ne sait plus parler. Il ne fait que murmurer. C’est lui qui a inventé les prières, cette façon de s’abandonner entièrement, cette façon de n’être plus rien, d’être absent de lui-même. Une fois par an il demande à l’aigle d’aller déposer ses prières sur les étoiles les plus belles, les plus flamboyantes. Et puis celle-là, cette prière inachevable, qui parle des yeux éclatants de cette jeune femme, de ses cheveux soyeux et de son rire. S’il pouvait accrocher son rire là-haut… ? Il choisit toujours l’endroit du ciel le plus reculé pour que l’aigle y dépose sa supplique, et l’étoile la plus pauvre… parce qu’il sait qu’il faut être humble avec les astres. Et que la lumière c’est pour les siens, pas pour lui. Il sait que c’est là-haut qu’il ira un jour, le dernier jour, il sait qu’il a sa place dans cette partie du ciel si effondrée.

Je n’ai plus de grotte, plus de village, je ne suis d’aucun pays, aujourd’hui j’ai un clavier pour écrire, pour parler. Les calculs se font tout seul. Je manie les symboles, les concepts, pas toujours bien. Personne ne craint plus la nuit sauf les enfants qui savent tous, ou les vieux qui ont tout oublié, le monde est devenu tout petit, si petit que les esprits sont partis. On est écartelé entre le trop plein et le trop vide et de toute façon toujours poussé par le trop vite…

Et ce soir je regarde le ciel comme à mon premier jour du monde, et je suis toujours aussi seul. Ici le cri des grenouilles, là-bas le rire des chouettes, la nuit est pleine de voix. Oui je sais des étoiles aux couleurs singulières, je sais des étoiles à la voix mélodieuse, aux regards délicats, à la peau irisée de frémissants rayons. Je connais leurs histoires, leurs amours, leurs détresses, je connais leurs batailles, leurs échecs, j’ai appris à cueillir dans les marées du ciel ces gouttes de soleil, ces perles de lune, ces sanglots de comètes et pourtant ce soir je suis aussi seul qu’au premier jour du monde. Ce soir je suis d’une grotte, je sens monter en moi des hurlements sauvages, et je tends à la nuit mes mains rougies pour éprouver le souffle noir des cieux, et je tends mes mains rougies pour offrir mon sang, pour me déchirer l’âme, pour effacer ce mal qui court, là, sur notre terre. Ce soir je suis d’une grotte lointaine, et j’ai peur comme au premier jour du monde, peur, mais je suis vivant… vivant… vivant, nourrit seulement de ces cendres d’étoiles qui gisent dans ma chair.

Franck

24 juin 2005

L'amor et la mourt.....

L'amour, la mort. Banalité des idées. La mort, la vie, l’amour, dans n’importe quel ordre.
A cette époque j'étais jeune marié. J’ai toujours été un jeune marié, nous avons divorcé après trois ans de vie commune. Avec Ghislaine nous passions nos vacances dans ma famille, chez mes grands-parents, en Dordogne. La maison était grande, en pleine campagne, posée au milieu d'une propriété qui nous isolait du monde. Devant la maison, juste devant, un étang d'eau turquoise transparente. Mon grand-père, c'est lui le héros du souvenir, n'en finissait pas de sa vie terrestre. Il s'ennuyait dans sa retraite.

C'était un homme bon. Vous voyez ce que je veux dire. Il était bon. Dans le fond de son âme il était bon. Pourtant il n'aimait pas l'humanité. Il était sans illusion sur les hommes. Souvent il regardait le monde en souriant, le reste du temps il buvait. Trop. Mais il avait l'ivresse impériale et triomphante. Certains soirs, grandiose. Gabin dans " un Singe en Hiver ". Il ressemblait à Gabin. Une tête puissante sur un corps puissant. Une peau de marin tatouée. Et dans son style s'était un vrai poète. Lui, il n'écrivait pas, il ne lisait pas. Il plantait des arbres. Pas quelques arbres. Des milliers. Il transformait les lieux qu'il habitait. Mais il ne parlait pas aux humains.

L'étang, c'est lui qu'il a inventé, d'abord dans sa tête. Après il fait creuser la colline. Il éventre la banalité, pour déposer cette grande flaque bleue au pied de sa maison. Il adorait les enfants. Pour lui les humains n'étaient supportables qu’en état d’enfance.

Il m'apprenait des grimaces, il me faisait fumer, il m'apprenait des gros mots, il me gavait de bonbons et me faisait boire du Pchit (je ne sais pas si c'est comme cela que ça s'écrit)à l’orange.

Toute sa vie il fut cuisinier. Aubergiste pour être précis. Mais ce n’est pas lui qui s’occupait de l’accueil des clients.

Même à la retraite il continuait, encore, à faire la cuisine, surtout l'été, quand la maison se remplissait. Sur la pâte des gâteaux de pommes de terre, avant de les mettre au four, il écrivait : " Je vous emmerde tous ", et hop au four. Il jubilait de voir la tête de tous quand le plat arrivait sur la table. Il aimait les animaux, surtout ses chiens et le perroquet (j’en ai parlé ici). Le perroquet dormais dans la cuisine, dans un grand cage. Un matin, mon grand-père c’est aperçu que le perroquet était couché sur le dos, les pattes en l’ai (mauvais signe pour un perroquet). Fuite de gaz. Pepé l’a saisit, sortit, a rentré le bec dans sa bouche et lui a fait la respiration artificiel, cela à duré un temps fou. Et le perroquet est toujours là.

Il parlait peu aux humains, à part aux enfants, mes cousines, ou moi, ou quand il était ivre. En fait, il préférait parler à ses chiens. Il avait inventé plein de mots, tout un vocabulaire, pour leur parler, des phrases incompréhensibles et mystérieuses. Quand il leurs parlait, c'était drôle de voir les chiens faire des mines, pencher la tête, froncer ou écarquiller les yeux, agiter la queue en couinant. Je l'aimais cet homme. Avec Claire, ma grand-mère, les choses n’allaient pas très bien. Ils se supportaient.
On passait nos vacances, avec Ghislaine.

Une nuit, nous ne dormions pas. La chaleur certainement. Comme en ce moment. Nous nous sommes levés. Toute la maison dormait en silence. Quelques rayons de lune éclairaient le grand salon. Les dalles étaient fraîches. Nous nous sommes assis sur la banquette. Et puis nos mains se sont égarées sur nos corps. Ses seins, ses cuisses qui s’écartent, nos bouches, nos salives mêlées à la sueur, les soupirs, les peaux qui se collent à cause de la transpiration, qui se frottent, les sexes qui se dénudent de plus en plus, qui se cherchent, qui s’appellent. Les chairs qui s’exaspèrent. Ghislaine s’est assise sur moi. Il ne fallait pas faire de bruit. Elle donnait de grands coups de bassin. Nos ventres cognaient, s’engluaient. J'avais saisi ses fesses pour aider ses mouvements. Elle respirait fort cherchant l’air la bouche grande ouverte. En revoyant la scène j’ai l’odeur de son corps qui revient, je sens ses cheveux qui chatouillent mon visage, et sous mes doigts la boursouflure de sa petite cicatrice dans le bas du dos. Ca n'a pas duré très longtemps. Intense. Ravageur. Nos corps n'étaient que des ombres. Des ombres secouées, convulsées. Nous sommes restés emboîtés un long moment. Mon sexe recroquevillé restait dans la chaleur du sien. Nous nous sommes recouchés. Appaisés.
C'est au matin que les choses ont basculées.
D'abord les hurlements de ma grand-mère dans le couloir des chambres. Mes grands-parents faisaient chambre à part. Leur corps ne se supportaient plus. Les hurlements. Elle criait : Georges ! Georges ! Tout le monde a accouru, ma tante, mes cousines, moi, mon père (il était là lui aussi). Ma grand-mère était face à la porte de la chambre de mon grand-père entrouverte, et elle hurlait. Georges !
Et puis les aboiements du chien à l'intérieur. Buck le boxer.
Alors on a vu. On ne pouvait pas rentrer, le chien était fou de rage, grognant bavant. Mais on a vu. Mon grand-père la tête congestionnée, tirant la langue.
Il était allongé, tout habillé, raide et il tirait la langue. On ne voyait que ça. Le chien voulait que personne ne rentre. Mon père toujours plus malin que les autres c'est avancé, le chien a bondit. Mon père a reculé. C'est moi qui ai parlé à Buck. Avec les mots de mon grand-père. J'étais dans une tourmente, mais j’ai pu retrouver les mots de chiens qu'il fallait. Je crois qu'on s'est compris. J'ai pu rentrer, le caresser, il m'a suivi. Pendant que tous se précipitaient autour du lit du mort. Moi, j'ai regardé Buck, le cerbère, s'éloigner calmement, il semblait effondré. Dans le couloir il ne s'est même pas retourné. De toutes façons, il savait ce qu'il y avait a savoir. Il savait qu'on ne lui parlerait plus jamais. Il est retourné à sa vie de chien.

Mon grand-père était déjà froid. Le docteur a dit embolie. Moi, je pensais qu'au moment où il expirait j'exultais dans le corps de Ghislaine. La vie, la mort, l'amour. Je pensais qu'il tirait la langue. Je me demandais quel vent avait pu souffler sur cette maison, durant la nuit. Il avait les traits apaisés, malgré sa langue en forme de pied de nez.
Je l'aimais cet homme. Je l'aime toujours je crois. En y repensant, je suis ému et content d'avoir pu accompagner ses derniers souffles par les gestes de l'amour. Je me dis que son âme s'est appuyée sur nos deux corps pour monter un peu plus haut. Sans doute, cela lui a donné l’élan nécessaire pour son envol. Tout est bon pour une âme.
Le jour de l'enterrement, j'ai voulu le porter. J'ai demandé, qu'on me laisse une poignée. Il était lourd. J'ai aimé cette lourdeur.
Bizarre, je ne pense jamais à la mort de mon grand-père avec douleur. Il faut comprendre, il tirait la langue, pendant que je faisais l'amour. Ce n'est pas triste.
La langue tirée, les fesses de Ghislaine, ses seins qui bougeaient juste devant mes yeux….L’amor et la mourt qui se tiraient la langue…

Franck

25 juin 2005

Tamanrasset......

C’est sans doute à cause de la chaleur. Et puis des phrases lancées comme ça à la fin du repas : " Aller Franck ! Raconte-nous quand tu as traversé le désert… ". Je n’aime pas raconter. Parce que l’autre qui écoute attend l’anecdote exotique. Et je n’en ai pas d’anecdote exotique. En fait, je n’en veux pas. Quand on raconte, on ne peut jamais dire l’essentiel, tout ce qu’on dit devient plat, une enfilade de cartes postales sans intérêt. Je ne peux pas dire à Matthieu douze ans et à Luc dix ans, les enfants de mes cousines, : " Voilà, un jour j’ai rêvé fort…. Et j’ai voulu rencontrer le Petit Prince…. ", je ne peux pas leur dire, ils n’ont pas été éduqués dans cette oreille. Pourtant l’essentiel est là. Tout le reste n’a aucune importance. Personne ne leur a expliqué que je venais moi aussi d’une autre planète, et que ce qu’ils croyaient voir de moi n’était qu’une écorce perdue, une ombre silencieuse, légèrement mystérieuse. Il faudrait reprendre depuis le début. C’est pour ça je n’aime pas raconter.

Enfant, je m’ennuyais.
Fils unique c’est imparable. Le vrai mot c’est : je m’emmerdais. Chez moi, à l’école, tout le temps et partout, alors je rêvassais comme disait l’autre (mon père). Je me souviens : j’étais allongé sur la banquette, je me recouvrais entièrement d’une petite couverture, pour me faire une petite bulle de " chez-moi ", je prenais le haut-parleur de l’électrophone (le fameux Tépaz), et je passais en boucle, pendant des heures, le disque du Petit Prince, enregistré avec la voix de Gérard Philippe. " J’ai ainsi vécu seul, sans personne avec parler véritablement. Jusqu’à une panne dans le désert du Sahara il y six ans (je ne sais plus si c’est six ou cinq). Quelque chose c’était cassé dans mon moteur, et comme je n’avais avec moi ni mécanicien, ni passagers, je me préparais à réussir seul une réparation difficile, c’était pour moi une question de vie ou de mort, j’étais bien plus isolé qu’un naufragé au milieu de l’océan, je n’avais de l’eau à boire que pour huit jours, a mille milles de toutes régions habitées. Alors vous n’imaginez ma surprise au lever du jour lorsqu’un drôle de petite voix m’a réveillée…. " Je devais avoir sept ans. L’âge des décisions capitales. Cette phrase c’est l’histoire de ma vie, sauf que la petite voix ne m’a toujours pas réveillée. Bref, c’est sans doute à cause de la chaleur que je dis tout ça. A dix neuf ans il fallut que j’en aie le cœur net. Un copain, un sac à dos. L’aventure. Pendant les deux années précédentes je passais des heures penché sur des cartes d’Afrique, je fabriquais des itinéraires, je me laissais bercer par des noms : Adrar, Tamanrasset, Bobo-Dioulasso, Tombouctou, le grand erg Chech, Ghardaia… alors il faut comprendre, un jour on prend un sac et c’est parti…J’avais deux choses à voir là bas, le Petit Prince, et Tamanrasset, à cause du père de Foucault. En fait, c’était la même chose, la même personne mais à l’époque je ne le savais pas, j’étais presque trop vieux pour le savoir. Il faut être très, très enfant pour savoir les choses importantes. Le père de Foucault, j’ai toujours aimé les âmes brûlées. Et lui, quel bel incendie son âme fait au ciel. Parti de l’ivrognerie, de la luxure, de l’oisiveté et arrivé à Tamanrasset. Ta – man – ra – set. Que des pierres et du soleil. Mais pas un soleil de chez nous, un soleil apprivoisé qui fait des mines le soir dans nos maisons au moment de la météo. Non, un soleil sans météo, un soleil d’enfer. Soixante degrés. Un soleil qui vous éclate la gueule, et pour se protéger : des pierres. Foucault, s’est dit le paradis commence là, et mon silence je le fais d’ici, et mes prières je les brûle là, et l’ombre de dieu (ou de qui vous voudrez) l’a accompagné. Mais dieu aime rire, alors dans cet endroit où rien c’est encore quelque chose, il lui a envoyé deux balles perdues. Il fallait l’inventer celle-là. Il n’y que dieu, pour être aussi drôle.
Certes il était pressé de retrouver le bon père, et il manquait d’idée ce jour là, alors deux balles perdues, c’est facile pour lui, même en plein désert, même à mille milles de toutes régions habitées.

Bref, je voulais voir Tamanrasset. Certains c’est Vesoul, moi c’était Tamanrasset. Elle a vu Vesoul et je n’ai pas vu Tamanrasset. Il m’a fallu des années pour comprendre qu’à un moment de ce voyage initiatique, quelque chose a dérapé. C’était à Reggane qu’il fallait bifurquer, prendre une transversale pour rejoindre Tamanrasset.

C’est là que j’ai renoncé. Nous avons été tout droit. Je ne me suis pas aperçu qu’à ce moment précis de la route j’étais en train de renier un rêve. C’est l’occasion qui fait le Larron, pourtant on sait comment ils finissent les Larrons, cela aurait du me mettre la puce à l’oreille, un camion nous proposait de faire la descente vers Tessalit, la piste Bidon V. Adieu Tamanrasset, je le paierai cher ce renoncement. Parce qu’un rêve qu’on abandonne pèse d’un poids infini dans votre sac à vie. Au départ on ne s’en rend pas compte, et au bout de quelques années on s’aperçoit qu’on a du mal à avancer, la plus part du temps c’est un rêve abandonné qui se prend dans les rouages, ça grippe, un peu comme un grain de sable, un grain de sable du Sahara, qui ne passerait pas.

Comme il fallait s’y attendre j’ai raté mon rendez-vous avec le Petit Prince, Pourtant un soir, c’était un peu plus au sud de Reggane, on a quitté la piste, droit vers l’Est, pour arriver dans un petit village perdu, un village fait de torchis, aux toits enchevêtrés, un village qu’on aurait dit sorti des dunes riens que pour nous, un village presque abandonné, lui aussi, comme un rêve, quinze, vingt maisons, A cent mètres des maisons une petite oasis. Le soir tombait. J’étais sur un toit de maison. J’ai bien cru que j’allais le voir apparaître. C’était grandiose, je voyais que s’était grandiose, je le savais, mais au fond de moi je ne sentais rien. Un vide encore plus grand que le désert qui m’entourait. Pourtant j’ai tout vu, le soleil qui disparaît, l’orange qui monte peu a peu et le rouge qui brusquement embrase tout le ciel, j’ai vu le mélange des bleus, du plus clair au plus sombre qui se noie dans le sang du ciel, j’ai vu les premières étoiles, puis ce tapis constellé, j’ai senti le froid venir glaçant chaque astre comme un givre scintillant, j’ai vu l’ombre de dentelle de l’oasis barrer de noir l’horizon, j’ai même éprouvé le poids du silence quand il est absolu. Et je ne sentais rien. Alors il n’est pas venu. L’espace d’une seconde je sus que je ne méritais pas ce désert. Mon sac était trop lourd. J’étais encombré. L’espace d’un instant je me crus sentinelle d’un ciel entier, mais je ne me rendais pas compte que je mettais trop de moi dans un lieu qui n’appelait que la nudité. L’espace d’une minute je fus capitaine perdu aux frontières de l’empire, et je ne voyais pas qu’il n’y avait pas de frontières et pas d’empire. Je me croyais riche alors que j’étais pauvre. Ce voyage a duré près d’un an. Je n’en ai aucune photo. Je suis rentré comme le fils prodigue et l’on m’a demandé de raconter. Et les mots sont tombés de ma bouche.

Ce qu’il a de bien avec le désert c’est qu’il n’y a rien à en dire. Une fois énoncé les dunes et le soleil, c’est fini, on a tout dit.

Jamais on ne pourra raconter le temps, le silence, la solitude, l’infini, la nudité. Vous passez une vie à y retourner, à refaire le voyage à rebours à remonter vers la naissance comme un saumon qui va mourir. Le temps le silence, la solitude, l’infini, la nudité, il vous faut une vie pour l’obtenir…. une vie…. et quelques fois ce n’est pas suffisant. Mais ça, vous ne pouvez pas le raconter, vous ennuieriez votre interlocuteur. On met une vie à revenir à Reggane, pour prendre la route de Tamanrasset cette fois ci. Une vie à mettre un désert dans son cœur, parce que le temps, le silence, la solitude, l’infini, la nudité ça prend une place considérable. Je suis d’un voyage raté, à cause de cet embranchement que ne n’ai pas pris. A cause d’un rêve qui est resté en travers de l’âme, comme ce sanglot qui m’étrangle un peu, là, maintenant….

Franck

26 juin 2005

Abandon, exaltation et crainte....

Nous habitions une petite maison. Un ancienne ferme. Elle se trouvait au milieu des champs. Presque en bordure de la Creuse. Avec quelques travaux rapides nous en avions fait un lieu chaud et accueillant. Un peu anachronique pour la région. Souvent elle partait faire des promenades, seule. Elle aimait ça. A chaque fois qu’elle revenait, elle m’offrait ses trouvailles. Un petit trèfle à quatre feuilles (c’est elle qui m’a donnée la manie de les chercher), une petite fleur sauvage accompagnée de deux brins d’herbes, je n’ai jamais vu d’aussi petits bouquets. C’était adorable. A chaque fois mon cœur se perçait. Elle aimait les riens, les petits riens, les choses minuscules, elle pensait que les petites choses de rien pouvaient dire mieux que les grosses. Un jour elle est revenue avec deux toutes petites fraises des bois. Deux. Une pour elle et une pour moi. Minuscules les fraises. Elle a ouvert sa main comme si elle enfermait un trésor, où le souffle d’un ange, et nous avons savouré ces deux petits cœurs rouges. Quand j’ai embrassé le creux de sa main je crois que j’ai pleuré. Un peu. Pleuré d’amour. Elle, elle s’appelle Isabelle. Elle était plus jeune que moi, pourtant elle m’a appris tant de choses. Les fraises, les bouquets, les trèfles à quatre feuilles. Que des choses importantes, des choses qui manques au monde quand on ne les fait plus. Isabelle était fragile son cœur était fait de pétale de roses, alors elle aimait le silence des petites chapelles, elle faisait des prières qu’elle inventait. Pas des prières de religion, mais des prières de respiration, des prières pour vivre. Le monde la ravageait souvent, elle écoutait distraitement la télévision et brusquement les larmes la submergeaient, elle aurait voulu tant faire pour le monde, pour les blessures du monde, certains jour elle avait presque honte de notre bonheur précaire. Alors on s'asseyait sur le pas de la porte, elle mettait sa tête sur mon épaule et elle me serrait fort. Très fort. On ne disait rien. On met toujours trop de mot en travers du silence, au bout d’un moment la parole est encombrée et on trébuche sur un malentendu.

C’était le premier été que nous passions dans cette petite maison, pour une fois le temps de Creuse était magnifique. Les journées étaient chaudes, brûlantes. A midi on entendait les champs craquer sous le soleil, un léger crépitement de contentement. Isabelle à souhaitée recevoir une de ses amies de l’école d’infirmière. Elle voulait lui montrer la Creuse sous le soleil. Cécile, je crois. Je ne m’en souviens pas avec certitude. Deux sœurs. Sitôt arrivée, Isabelle l’a entraînée dans une longue promenade, aussi longue que leurs discussions. Elles se tenaient par main. Deux sœurs. Elles riaient, avec plein de fous rires dans la gorge. Elles tournaient dans la lumière du soir tombant, faisant voler en corolle leurs jupes aériennes. Elles étaient légères toutes les deux dans leurs retrouvailles. Elles se touchaient des yeux avec grâce. Deux sœurs qui s’enlacent dans la moiteur de l’été, à peine essoufflée de leur courses, les joues rougies, les bouts des doigts tremblants.

Le lendemain je suis rentré plutôt que prévu. Juste après le déjeuner. La porte de la cuisine était ouverte, et la maison était dans l’ombre, pour la protéger du soleil. Pas un bruit. Personne. Rien qu’un peu de fraîcheur. La porte de la chambre était entrouverte. Et c’est là que je les ai vues. C’est plutôt une vision. Une vision qui m’a laissé un trouble infini. Quelque chose d’irréel. Enfin, presque. Je me suis approché. Elles étaient allongées nues sur le lit. Elles dormaient. Cécile était sur le dos, Isabelle sur le ventre une jambe repliée et coincée entre les cuisses de Cécile. Un bras d’Isabelle reposait sur la poitrine de son amie, de sa sœur de lit, et sa bouche effleurait son épaule. Leur sommeil était bordé de calme de sérénité, il m’a semblé qu’elles étaient sur une île entourée d’un lac de bonheur bleu. J’étais fasciné. A cause de l’inattendu. Surtout à cause d’une chose impossible à décrire, la sensation d’une perfection inatteignable. Le sentiment que ce qui ce passait, là, ne concernait pas notre terre. Que rien ne pourrait en être dit. Quelque chose qui n’a rien à voir avec la sexualité. L’envie qui m’a traversé l’espace d’une seconde n’avait rien à voir avec le sexuel, mais avec un absolu qui toujours m’échapperait. Elles étaient nues et leur enchevêtrement les rendait encore plus nues. L’image d’un rêve surréel. Atténuée par les volets fermés, la lumière du soleil créait une atmosphère rose orangé, les draps eux-mêmes étaient d’un rouge très pâle. Je ne pouvais pas détacher mes yeux de leurs deux corps mêlés, de ce jardin de torpeur. De leur sommeil. De ce calme. Il y avait dans cette chambre une douceur fondamentale inaccessible qui me figeait. Isabelle bougeait, sans agitation. Elle bougeait lentement. Comme si s’était son sommeil qui la guidait, un sommeil de déesse ; elle a replié sa cuisse et sa main est venue se poser sur le sexe de Cécile. Une main d’oiseau qui regagne son nid. Cécile a juste écarté un peu plus les cuisses, pour accueillir cette aile tranquille, son ventre s’est à peine creusé. Et toujours cette chaleur inébranlable. J’avais le sentiment d’être de trop ici, l’homme que j’étais ne pourrait jamais comprendre cet instant, ces gestes, cette sensualité. Je ne reconnaissais pas Isabelle, elle prenait là une existence singulière. Je ne savais pas jusqu’à quel point elles dormaient. Je ne savais pas ce qui les avait amenées à ce sommeil. J’apercevais de très fines gouttelettes de sueur sur la poitrine de Cécile, une poitrine large, ronde, dont les bouts érigés semblaient attendre les caresses. J’aurais aimé savoir peindre parce que les photos ne racontent pas les même histoires ; la peinture réinvente les couleurs et les formes et les corps, et la chair qui vit dans ces corps et le sang qui traverse l’espace. Et là, il fallait inventer. Elles dormaient comme deux sœurs de sommeil, de rêves, de chair. Vision de grâce voluptueuse. Les corps se touchaient, se cherchaient mais sans jamais vouloir aller au-delà d’une frontière mystérieuse. Les corps que je voyais ne cherchaient pas le plaisir, mais quelque chose d’autre, qu’on pourrait appeler la joie. Voilà, il y avait dans cette chambre un souffle de divin et de joie. Elles étaient belles. Pures. Elles détenaient une vérité miraculeuse en cet instant. Les cuisses n’étaient pas écartées mais juste un peu déployées, les mains ne touchaient pas des sexes mais recueillaient des larmes d’anges. Isabelle s’est retournée ; elle n’a pas ouvert les yeux, mais sa main a cherché celle de Cécile pour la poser au creux de ses cuisses, et Cécile s’est tournée vers Isabelle, elle l’a enlacé, leurs cuisses à nouveau se sont liées, leurs deux toisons sombres se sont mélangées, leurs seins ce sont touchés, leurs reins se sont creusés, elles n’étaient plus qu’un seul corps, j’ai cru entendre un soupir….c’est là, que je me suis éclipsé . Il y a des choses qu’on ne peut pas regarder. Le soleil par exemple, et bien là, c’était pareil, un soleil éblouissant dans ce lit. Je suis revenu plus tard, à l’heure prévue. J’étais encore bouleversé de ce que j’avais vu. Isabelle était radieuse. Elle s’est serrée contre moi et m’a donné un baiser qui sentait le paradis… je ne lui en ai jamais parlé… j’avais l’impression d’avoir volé une image pieuse. Une fois seuls dans notre chambre, nous nous sommes aimés dans le recueillement, le silence et la fièvre. Elle me rendait là, une chose qu’elle avait été chercher ailleurs, dans les cieux je crois. Elle m’a offert sa chair comme si c’était la première fois, avec cette sorte d’abandon, d’exaltation et de crainte. En fait, elle faisait l’amour comme elle priait. Abandon, exaltation, et crainte… Abandon, exaltation, et crainte…

Franck.

29 juin 2005

La cour des miracles.....

Après la guerre Georges voulu quitter la ville. Georges, mon grand-père. Il était restaurateur. La ville, les gens de la ville l’ennuyaient. Le restaurant marchait bien mais il s’ennuyait. Il avait besoin d’espace. Surtout après la guerre. C’est là que son goût de l’humanité devint amer. Il avait été mobilisé. Il y avait été. Et puis rien. La France était sur les routes. Plus de chefs, plus d’armée. Alors il est rentré chez lui. Il a continué à faire de la cuisine. Il n’aimait pas la politique, il pensait que sa cuisine était plus propre et plus digeste. Quand tout ça fut finit, sa seule idée fut de trouver un petit coin de campagne pour ouvrir une auberge. Loin de tout et tous. Il avait l’art de trouver des lieux impossibles. Mais là il s’est surpassé. Quelques bâtisses en ruines au bord d’une rivière : en fait, une vieille forge. Tout était effondré : les murs des maisons, les toits, les écluses de la rivière, les canaux qui avaient servi à amener de l’eau vers des roues en bois lesquels actionnaient les soufflets des forges, tout était par terre envahi par les ronces. Il s’est dit : c’est là. Il voyait la lumière à travers la misère des choses. Il n’était pas pressé. Alors il a acheté ces ruines. Sans en parler à personne. Il aurait fallu expliquer, justifier, et comment dire un coup de foudre. Il a acheté les ruines. Plusieurs fois par semaine, après le service, il partait les visiter. Un jour il y a amené Claire, ma grand-mère. La nationale, la départementale, et puis le petit chemin de terre et au bout les ruines….  " Tu es devenu fou, Georges ! " " je ne mettrais jamais les pieds ici ! !"
Il aimait les lieux impossibles, parce qu’il avait des rêves impossibles. Mes premiers souvenirs sont dans cette auberge. La rénovation à pris plus de dix ans. Il n’était pas pressé. Mais il y est arrivé. Les écluses remontées pierre à pierre, les canaux drainés, les roues de bois refaites, les maisons consolidées retoiturées…L’auberge du Vieux Moulin…. Pas très original, mais cela correspondait bien à l’endroit.

Et tout cela seul. Presque, et c’est où je veux en venir…..Il y avait autour de mon grand-père une cour des miracles. Des âmes perdues, blessées, des vagabonds. Il me semble les avoir toujours connus, ils faisaient partie de l’air qu’on respirait. Ils aidaient Georges à la cuisine, dans ses travaux, parfois ils l’accompagnaient dans ses virées.

Il y avait René, le maçon. D’où venait-il celui-là ? Je ne sais pas. Il est arrivé en même temps que les ruines. Et il est resté. On savait seulement que dans le temps il avait été compagnon du tour de France, on savait seulement que s’était un artiste de la pierre. Il y en avait pas deux comme lui, pour observer vivre la pierre, pour l’écouter, et quand il frappait jamais il ne les blessait. On avait l’impression qu’entre ses doigts les pierres se laissaient faire, comme si elles sentaient qu’il allait les embellir. Je me souviens de ses mains, larges fortes, puissantes, crevassées par le ciment, des mains faites pour la pierre. Quand je venais l’été, c’est avec lui que je passais mon temps. Je le suivais partout. J’aimais l’odeur du ciment, le bruit de la pelle qui se mélangeait à l’eau et au sable. J’aimais tremper mes mains dans cette drôle de bouillie. René, dormait dans un petit cagibi dans la grange. Drôle de lieu pour vivre. René buvait beaucoup, c’était une époque où ces choses là étaient fréquentes. Le soir, il buvait, le dimanche aussi il buvait. Mais le lundi, ses murs étaient droits. Jamais il ne prenait de fil à plomb, il savait se faire obéir des pierres. Souvent quand il buvait, il se mettait en colère, il voulait partir, loin… jamais il ne partait, il rangeait sa colère dans sa boite à outil, descendait au bord de la rivière pour y tremper ses mains et les passer sur son visage. Drôle de visage aussi, épais, fendillé par le soleil, un visage de gargouille de cathédrale…

Il y avait José. L’Espagnol. Le républicain. Georges l’avait récupéré après la guerre d’Espagne au abord d’un camp de réfugiés. Il était seul. L’histoire du monde l’avait abandonné. José, grand, maigre et sec le dos légèrement voûté. Lui, il aidait à la cuisine. José n’était pas artiste lui, il était taciturne. Il a vécu à coté de mon grand-père, dans son ombre, derrière les fourneaux qu’il rechargeait, qu’il astiquait. Le feu s’était son affaire, à lui, José. Il ne laissait à personne le droit de venir toucher à ses fourneaux, il savait quand il fallait rajouter du charbon, il savait comment gagner quelques degrés de température quand George le commandait.

Il y avait Charles. Il ressemblait à Fernandel. Son domaine s’était le bar, la cave, les apéritifs. Il vivait à plein temps à l’auberge. Pas de famille, pas de lieu où partir. Je l’ai toujours vu derrière le bar avec son grand tablier bleu de caviste. Charles était artiste lui aussi. C’était le dessin son talent. Le dessin et la bonne humeur. Il dessinait les menus, les motifs à broder pour les nappes, des petits tableaux. Charles avait des secrets dans sa vie, des trous. Pourquoi était-il là ? Charles nous faisait rire, il savait raconter les histoires avec sa bouille de Fernandel. Charles avait de l’instruction, de la culture. Que faisait-il là ? On en a jamais rien su. Quelqu’un qui dessinait si bien le visage et le corps des femmes cachait certainement quelques chagrins. Alors il dessinait des petites maisons, des petits châteaux et René construisait, c’est comme cela que le golf miniature est né. Chaque obstacle du golf était une vraie composition, des arches, des tours, des ponts et les grosses mains de René cassaient des pierres toutes petites pour ces petites maisons. Tout ce que Charles pouvait dessiner, René se faisait un point d’honneur de pouvoir le réaliser.

Il y avait Berthe. La folle. Vraiment folle. Mais pas tout le temps, pas tous les jours. Elle s’occupait du linge, du lavage, du repassages des nappes, des serviettes, des draps. D’où venait-elle ? Je ne l’ai jamais su. Elle me faisait un peu peur. A cause des grimaces, et souvent elle passait sa main grande ouverte devant son visage, les yeux exorbités. Berthe était inquiétante pour un enfant. Charles se moquait parfois : " Berthe, les rotules à l’horizontale ! " Et Berthe se redressait et se mettait à marcher comme un pantin articulé. On me couchait tôt, dans l’annexe. Et on fermait la porte à clé. Parce que Berthe rodait le soir. Elle n’était pas méchante, mais elle rôdait. Alors on m’enfermait à clé, dans cette annexe du bout monde. Un jour des infirmiers sont venus la chercher, elle était partie plusieurs jours dans les bois. Quand elle est réapparue elle ne ressemblait plus à une femme ; le corps couvert de terre, les habits déchirés, les yeux perdu. Je l’ai entendu hurler quand ils l’ont emmenée.

Et puis il y avait Mickey. Mickey était petit, mais costaud. Petit mais teigneux. A la cuisine il aidait ma grand-mère, qui marchait avec beaucoup de difficultés. Ils travaillaient ensemble avec José. Ils dormaient dans la même chambre. Ils buvaient la même chose. Ils ne s’aimaient pas beaucoup, mais ils se supportaient. En fait, ils étaient jaloux l’un de l’autre. Alors il fallait gérer l’équilibre. Quand un prenait verre de vin, on en servait aussi un à l’autre. Mickey était d’origine belge. Avant la guerre il avait été coureur cycliste. Mickey quand il était saoul, il pleurait. Mickey quand il en avait marre, il prenait son vélo et il partait. Jusqu’à Paris s’il le fallait. Et puis il revenait. Et tout continuait. Un dimanche il est allé au village boire. Il a pris un petit vélo d'enfant sans doute le mien. Le vélo n’avait pas de freins, ou pas assez de freins pour l’ivresse de Mickey. Il est tombé. Il est mort. A vélo et ivre. Pas si mal, dans le fond.

Quand je repense à tout ses gens, a toutes ces figures défaites, à ces destins brisés, à cette misère, je me dis que c’était une drôle d’époque. Je ne sais pas comment et combien ils étaient payés, je sais seulement qu’ils étaient attachés à Georges. Dans sa cour des miracles Georges trônait comme roi débonnaire, jamais je ne l’ai vu avoir des mots durs envers ceux-là, j’ai toujours eu l’impression que son seul regard les faisait exister. Et que pour moi enfant, ils avaient toujours des sourires, et que leurs gueules cassées étaient belles aussi. Et puis c’est eux qui on construit cette auberge, pierre à pierre, jour après jour, dormant sur des paillasses, buvant beaucoup trop de vin. Je ne sais même pas leur âge, pour moi ils ont toujours eu la même tête, des têtes de gargouilles cabossées. Ils ont accompagné mon enfance, c’est peut-être mes anges gardiens. D’ailleurs, j’en suis sûr ce sont eux, mes anges gardiens.

Franck.

1 juillet 2005

Le temps du fleuve.....

Une fois arrivé à Gao nous avons commencé à remonter le Niger. En pirogue. Lentement en pirogue. Des jours et des jours. On venait d’entrer dans le temps du fleuve, dans sa langueur trouble. Une mer dans la mer. Une mer d’eau, dans une mer de sable. Pas de relief, seulement cette eau incongrue où le désert venait mourir. Pas d’ombre, dans ce pays dessiné d’un seul coup de sabre. Le soleil, et quelques risées de vent. A cet endroit, le fleuve semblait un prolongement des sables, un prolongement du désert. Un désert d’eau. Large, lent. Quand les risées de vents étaient suffisantes elles gonflaient la maigre voile en toile de jute trouée. Alors le piroguier arrêtait de pousser sur sa longue perche, et s’accroupissait. Economiser les mouvements. Dans ces lieux de profusion, de soleil, de lumière, de sable, et d’eau il est demandé à l’homme d’être parcimonieux, dans ses gestes, dans ses paroles, dans ses pensées. Cinq fois par jour nous abordions. Pour le temps des prières, le temps rendu au ciel. Dans le désert j’ai connu de ces journées en dehors du temps, peu de fois, mon âme agité et trop impure ne se laissait pas envahir par cette nappe immense de temps fixe. Presque fixe. Mais là, sur l’eau je ressentais une légère tension. En fait c’est le fleuve qui en coulant retend le temps et l’espace, insensiblement. Nous remontions les eaux dans le sens du soleil couchant. Le soir le ciel s’embrasait de sang et le fleuve se mettait peu à peu à noircir, sauf les milliers d’éclats à sa surface, des débris de soleil que les flots retenaient et qui appelaient les milliers d’étoiles. Monde de reflets, et de silence, hormis le clapotis de l’eau sur les flancs de la barque. C’était l’heure où le piroguier chantait pour cadencer ses gestes, toujours lents et réguliers. Chants du crépuscule, chants qui glissaient sur l’eau pour nous précéder, pour prévenir la nuit que nous arrivions.

Une nuit, la pirogue toucha un banc de sable. A cet endroit le fleuve paraissait d’une largeur immense. Par prudence, le piroguier nous demanda de descendre. Et de nous diriger vers l’ombre d’un arbre. Une île. Une île au milieu du fleuve. Une île avec un seul arbre dressé comme un candélabre. Nous avons tiré la pirogue et décider de faire notre campement sur cette langue de terre perdue. Nous avons partagé nos maigres ressources, et avons poursuivi notre silence commencé bien avant. Ce fut la plus belle nuit de ma vie.

Les ciels du désert font paraître pauvres nos ciels d’été, les étoiles y sont plus nombreuses et plus éclatantes, plus resplendissantes, elles semblent nous interpeller plus directement. Quand on est allongé, on est saisi par l’intensité, par la prégnance du spectacle. Ici quelque chose nous parle. Nos grandes religions sont nées sous des cieux identiques. Pas étonnant.

C’est venu peu à peu, un bruit sourd à peine audible au départ. Puis le bruit a grossit. Des berges montaient les cris des grenouilles. Des milliers, des millions de grenouilles… bientôt ce fut grandiose : ces grandes plaintes dans la nuit. Et de grands oiseaux vinrent faire un balai d’ombres inquiétantes au-dessus de nous. Le seul arbre leur servait de promontoire d’où ils s’envolaient, leurs cris se mêlaient au concert des grenouilles. Il y avait quelque chose de dantesque. D’irréel. Il me semblait n’être plus d’ici. Je n’avais plus de pensées. Je n’étais que mes yeux, que mes oreilles, rien d’autre. Tout était parti, comme si le fleuve lavait nos ombres, comme si la nuit apportait les réponses à toutes nos questions, des plus sages aux plus vaines, comme si la vie n’était plus suspendue qu’à nos sens exacerbés, comme si les mots de la langue nous avaient quittés pour se poser sur chaque étoile du ciel. Même la lune était là presque ronde, brillante comme un soleil de nuit, large comme un cœur d’or. Et les silhouettes des grands oiseaux, et le souffle du fleuve, et cette ivresse de l’instant et cette hémorragie de joie…. Et…..

Franck

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