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J'irai marcher par-delà les nuages
29 mars 2017

- 9 - Où...

« Où vas-tu ? »
« Droit devant, je vais droit devant. »
« Devant n’est qu’une illusion. Devant n’existe pas. Il n’y a que l’ailleurs qui existe. L’ailleurs, c’est l’exil. Une géographie déboussolée. C’est le lieu de l’écriture. Un lieu démembré. Traversé d’un temps à rebours. Incertain. L’ailleurs se définit par sa résistance à l’ici. Par le départ, par la débâcle qui s’ensuit. Il faut se presser de se mettre en route, sinon on ne part jamais. Devant n’existe pas. Nulle part est ton pays.
Si tu écris, tu n’auras ni lieu, ni maison, ni saison. Si tu as cette honnêteté folle d’écrire avec les yeux désorbités de l’enfance. »
« Où vas-tu ? »
« Je vais m’allonger un instant sur ma tombe. »
« Prends garde aux théologies du bonheur. Va ailleurs. Seul. L’ailleurs est toujours le lieu de la séparation, de l’abandon. Bienheureuse déréliction.
Pleurer dans l’océan est la seule distraction sensuelle, comme écrire avec la semence des saints.
Regarde derrière toi. L’origine est un abime. Plus loin, se trouve une passerelle. Elle s’appelle l’extase. Non ! Elle s’appelle l’écriture. Ou la mort, c’est pareil… »

Franck

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26 mars 2017

- 8 - L'étreinte...

L’excitation est trompeuse. Cet afflux avant d’écrire nous éloigne d’écrire. Cet enfièvrement qui exalte la parole. Cette maladie de l’avant d’écrire.
Il faut savoir accueillir le bon temps. Le temps pauvre. L’intention de l’avant compte pour rien. Le texte tient du seul instant qui meurt et qui voudrait survivre dans un après jamais atteint. Combien de textes s’effondrent parce qu’ils sont trop chargés d’intention ? Combien de textes s’épuisent de trop de vouloir, de l’excès de présence ? D’un trépignement de la parole ?
Écrire c’est l’intention sans intention. La volonté sans volonté. C’est un désir avant que le désir s’incarne. Écrire nous vient de l’après, de ce retournement des chairs, d’un futur qui n’a pas de nom, que seul le texte désigne. D’un possible.
Arriver les mains vides dans une sorte d’agonie vigilante. Attendre. Arriver au pied d’une éclipse et encore attendre. C’est une ignorance solennelle qui nous fait longer les flancs de l’abime. Toujours attendre.
Écrire, c’est aller vers l’étreinte, c’est recomposer les corps de l’étreinte. Derrière chaque attente, il y a une étreinte, l’étreinte est un au-delà de deux corps. C’est recomposer le corps des dieux.
Écrire, c’est l’étreinte des cieux.
Assez de vie dans la mort qui vient.
Assez d’amour dans la vie qui reste.
Assez de joie dans la peur qui s’efface.

Franck.

22 mars 2017

- 7 - Oublier....

C’est souvent le même rituel. J’allume l’écran puis je rentre dans la salle d’attente du texte. La salle d’attente du texte est un lieu, et un temps. Le lieu du temps. Un univers. Une vie. On est là et l’on sait que personne ne viendra vous chercher. Personne d’autre que vous n’attend. Vous êtes seul, vous attendez. Il n’y a pas d’impatience. Simplement l’attente. Le flottement du désir. C’est une urgence douce. Une urgence qui n’appelle aucun soin, aucun recours. C’est un temps paradoxal dans un lieu de conscience paradoxal. Tout y est plus vrai, sans pourtant y être tout à fait réel. Comme le danger. Ce sentiment, cette sensation d’être en danger. Pourtant, là, rien ne me menace, mon corps ne risque rien hormis un tremblement de terre peu probable. De l’extérieur, je dois donner l’image d’un homme paisible, concentré, ou perdu dans ses rêveries. Mais je sens un danger. Un danger qui ne menacerait pas ma vie réelle, mais quelque chose d’encore plus important que ma vie réelle. Je n’arrive pas définir ce que c’est. Personne ne peut définir ce que c’est. C’est la chose la plus importante et personne ne peut dire cette chose. Elle est là, on est construit autour, on ne sait rien d’elle. Alors, on écrit en décrivant de grands cercles de parole. Pour ne pas tomber. Tomber dans cette chose que l’on ne sait nommer, qui pourtant est nous.
Je ne sens ce danger que lorsque je suis dans la salle d’attente du texte. Comme si le texte nous inquiétait dans son approche lente et diffuse. Comme si le texte sortait de la chose inconnue de nous. L’inquiétude. Le danger. Quelque chose qui pourrait nous réduire à rien. Nous renvoyer à une sorte de néant. Des limbes.
Le texte s’avance, il nous sait mieux que nous-mêmes. Il rentrera par la porte la plus faible. Au départ, il rôde au loin. On ne l’entend pas, on ne voit rien, à part quelques ombres furtives. Il n’a pas de forme. Il cherche. Il cherche l’endroit de mélancolie, l’endroit de tristesse en nous.
Il y en a toujours. La chair est nostalgique par nature. Alors, il rôde, nous affame. Comme une ombre qui traverserait nos temps, nos passés, nos futurs. Car le texte connait notre destinée, c’est pour cela qu’il « est » le texte. Ce texte, surtout pas un autre. Ces mots seuls, surtout pas d’autres mots. Il sait l’impossible lien qui tisse nos heures, il en connait la couleur, la substance, la destinée. Le texte tient dans sa main l’origine et la fin, il nous les tend sans que l’on sache les reconnaitre, comme dans un jeu de courte paille, où l’on ne gagne jamais.
Les règles du jeu changent en permanence. Nous ne savons rien. Le texte, lui, sait. Il a traversé plusieurs vies, plusieurs siècles, il cherche en nous le plus faible, le plus désespéré.
On est dans la salle d’attente du texte, peu à peu  il se rapproche. On le sait à ce brassage des chairs molles de notre pensée. Car au départ le texte n’est pas construit de mots, du moins on ne les voit pas. On ne discerne rien, hormis une rumeur de marée, hormis une présence qui nous afflige et nous met en joie en même temps. On reconnait sa présence à ce mélange, à cette confusion, comme un horizon qui s’inquièterait, comme le bruit d’une bataille, un galop lourd au-dessus des nuages.
Alors les choses se précisent. Les premiers mots nous guident vers d’autres endroits. Ils tombent, là, avec leur consistance indécente, une nudité presque obscène. Toujours, au début, il existe ce sentiment d’une réalité inacceptable des mots. Toujours. Un couloir. Un couloir sombre. Un couloir sans fin. Un couloir qui traverse notre vie. Le texte choisit toujours les lieux étranges de notre vie. Les chemins cabossés, les landes sauvages, ou les couloirs sombres. Les lieux de passage déserts, nos lieux d’errances. Nos lieux inhabitables. Nos lieux d’inquiétudes. À l’intérieur, notre géographie est tourmentée. Paysage lunaire. Paysage de fantômes. Alors, commence la longue traversée. Mot après mot. C’est comme s’il y avait un trou d’où les mots s’échappaient, un à un. Il faut simplement maintenir les bords de la plaie ouverte. Car c’est une plaie. Enfin, cela y ressemble. Souvent, on dit que c’est une douleur, mais ce n’est pas exactement cela. C’est une difficulté. C’est se sentir dans une terrible fragilité. Il faut rester ouvert. Maintenir l’être à vif, à vif de sa vie comme si les mots étaient attirés par le sang, par la chair à nu.
Après  la salle d’attente du texte,  le temps se déploie, avec une sorte de majesté lente, de gravité exigeante. C’est le temps du long couloir. C’est une énigme, comme si le texte proposait chaque fois des mystères, des secrets. Comme si le texte était fait de dévoilements incomplets. Comme s’il chuchotait et que l’on n’entende qu’une partie de ce qu’il nous souffle. Des morceaux, des bribes. Comme si l’on ne pouvait pas tout recevoir, comme si l’on était toujours en deçà de son vouloir, de son appétit. Il y a là quelque chose d’écrasant. D’éreintant. Parfois, pas toujours, j’ai des larmes qui montent aux yeux. Mais ce n’est pas de la tristesse. C’est l’eau du texte. Son fleuve. Elles viennent. C’est tout.
On ne voudrait pas se trouver là et pourtant, c’est bien la seule nécessité qui s’impose, être là. À cet instant précis de notre vie, être là et nulle part ailleurs. Être présent à cette bataille. Assister à cette défaite, ce démembrement.
Le texte s’agrippe aux parois intérieures du corps. Plus il avance, plus son poids s’alourdit. Le geste racle un peu plus, avec le temps. Les mots résistent à se donner. À pénétrer la densité de la chair.
Le temps du couloir demeure un temps déraciné. Il ne compte pour rien dans nos âges. C’est un temps dérobé aux dieux. Nous sommes sans patrie, la seule qui vaut, la seule qui compte, c’est nos temps d’exil. Lorsque nous sommes assez loin de nous pour accueillir la solitude que le texte exige.
Puis vient le temps où le texte se défait de lui-même, où la bataille a été livrée. Puis vient le temps de la paix, où le monde revient dans nos veines, où le soleil reprend sa couleur. Tout s’efface peu à peu, comme si rien n’avait existé. Pauvre et glorieux ! Le texte se retire. Devant moi les restes d’une mélancolie somptueuse, d’une tristesse décomposée. Devant moi, l’éclatement des saisons et l’univers que, l’espace d’une seconde,  j’ai tenu serré contre ma poitrine. Le souvenir de quelques larmes.

L’écriture n’est pas une occupation, elle ne peut réconforter de l’ennui, puisqu’elle est la forme ultime de l’ennui. Elle ne peut consoler de nos échecs, puisqu’elle les sacre tous, jusqu’au dernier. L’écriture ne nous lave de rien, ne nous rend ni pires ni meilleurs. Elle n’est qu’une affirmation portée à ébullition, qu’un fer rougit fiché dans le cœur. Un surcroit de désir éparpillé sur les chemins de croix de nos vies. Un écho. Un tintement de l’âme. Une trace. Elle est le miroir de nos défaites, l’horizon crevé de nos rêves. Un espace creusé qui appelle la vie à l’état brut. La vie sans formes. La palpitation originelle. La pulsation. Elle est notre nuit religieuse. Elle n’est que ce cri que nous retenons. Ce long hurlement dans les étoiles.
Au bout du texte, on ne sait rien de plus sur nos peurs, sur les dangers qui nous guettent. Au bout du texte, tout reste à refaire. Au bout du texte, rien n’a vraiment changé. Pourtant… On est toujours une énigme pour nous, et pourtant… et pourtant…
Je vais éteindre l’écran. Je vais oublier la salle d’attente du texte, je vais oublier le couloir, ses ombres, je vais oublier… Je vais oublier… Mon dieu, faites que j’oublie tout, pour qu’à chaque fois mon désir soit plus neuf, soit plus pur ! Oublier…
On est riche d’un épuisement et d’un oubli. On est riche d’un cri silencieux, d’un feu qui brule le sang, d’une solitude qui ne craint plus son ombre.
Je vais aller marcher dans la ville. Juste marcher. Puis oublier… et attendre l’aube…

Franck.

19 mars 2017

- 6 - Aurore....

Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l’air à l’approche de l’écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grands lacs. L’eau lisse et sombre, encore inquiétante avec ses nappes de brume qui sortent des profondeurs. Cela tient au silence. Ce silence du matin naissant qui n’a pas le même timbre que le silence nocturne. Ce silence du matin, désencombré des présences et des spectres. Silence plat. Lisse. Sans image. Dévoilé. Nu.
Il y a un temps dans les aurores où la nature attend. Elle attend le signal de quelques dieux. Les oiseaux sont posés sur la bouche du vent, ils attendent, ils écoutent la lumière déchirer les ombres, ils observent les fantômes se dissoudre dans la rosée, les diables se cacher dans les buissons, les fées s’évaporer. Cela ne dure pas. La naissance de l’aurore est toujours triste, toujours mélancolique. On sent bien que c’est un effort que de se dégager des mots de la nuit. Accoucher d’un silence neuf demeure une épreuve. Certains jours d’ailleurs elle n’y parvient pas, alors même en plein jour, c’est la nuit qui triomphe. Des jours qui ne sont pas des jours, des jours effondrés, épuisés. Des jours qui empoisonnent le sang de l’écriture. Rien n’est acquis, pas même la lumière.
Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l’air à l’approche de l’écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grands lacs. Où la solitude change de destinée. La solitude du matin naissant qui n’a pas la même épaisseur que la solitude nocturne. Elle se déploie, se défroisse, ce qu’elle perd en poids, elle le gagne en étendue, comme une main qui défait son poing, comme une main dénudée que l’on pourrait croire accueillante. Cela ne dure pas, car elle vous entre dans le corps comme une vague scélérate qui envahit la peau comme une chair de poule. Cette fraicheur innocente du matin, c’est la solitude qui déplie ses bras pour l’accolade, pour le baiser du jour. La solitude nocturne vous déborde de toutes parts, son poids est immense, et parce qu’il est si immense vous n’y croyez pas vraiment. C’est une extravagance, une exagération, certaines nuits, vous la considérez comme une amie. Mais cet écrasement reste une complaisance, un attristement indulgent sur vous-même.
La solitude du jour, vous l’enfilez comme gant. Elle vous tient chaque parcelle de vie. Elle est à votre mesure : elle est faite pour vous. C’est pour cela que vous avez cette sensation de froid au point du jour, comme à l’approche de la mort. D’ailleurs, la mort ne s’y trompe pas : elle aime hanter ces endroits du jour où l’ombre arrive ou bien s’en va, où l’ombre joue avec nos nerfs. Elle cueille les âmes au crépuscule, ou à l’aube, dans ces temps raccommodés, ourlés de surjets fragiles, faussement hésitante. L’aurore constitue bien ce temps où les amants se délient, où les serments se payent, où les dieux font notre addition. Chaque matin, la solitude du jour vous laisse les poches vides, l’œil effaré. Les dieux ne font pas crédit : vous payez d’avance. Le soleil est à ce prix, le prix de la lucidité, comme dirait le poète

Chaque fois que l’on marche vers l’écriture, c’est comme aller au-devant d’une aurore, c’est aller vers l’absolu du silence, vers l’absolu de la solitude. C’est aller vers un sacre.
On le sent à cette densité si particulière de l’air à l’approche des mots, à ce désordre dans les saisons du sang, à la brusque gravité des heures, à cette simplification des couleurs comme lorsque le jour se lève près des grands lacs aux eaux lisses et noires, aux eaux cousues de brumes.

Franck

18 mars 2017

- 5 - Lenteur...

On s’assoit pour retrouver la lenteur des temps. Alors, on respire. On puise au plus profond de l’intérieur du corps. Comme vers un continent neuf qui sortirait des eaux brumeuses. La lenteur appelle l’immobile.
Car seul l’immobile nous rendra la mesure des actes, et tracera les contours de leur gravité. On ne sait les choses importantes que dans ce mouvement de ralentissement. On ne connait les choses essentielles que dans l’immobilisation. La stase.
Le sens ne se révèle que dans l’atrophie du geste, dans l’engourdissement de la course. Dans l’agonie lente de l’impulsion. Alors, on s’assoit, pour mourir un peu plus fort. Un peu plus surement. Un peu plus loin. Avec la lumière qui se dégage de la disparition des fièvres, des grouillements, des effervescences. On ne connait le voyage qu’aux escales, on ne sait dire le désert qu’à l’ombre des oasis.
On s’assoit. On flotte. Lenteur épaisse des heures qui s’écoulent en raclant la blancheur des os. Curetage patient de nos insomnies, de nos attentes, de nos désolements. Ce vertige. La peur qui s’insinue. Temps étrange et singulier de la lenteur, comme si brusquement il devenait important de prendre avec précaution la vie, avec la mort qu’elle traine dans son ombre, et le souffle. Retenue du mouvement. Comme l’on va pieds nus sur les rochers tranchants. Parcimonie, pour échapper à l’écrasement. Puis défroisser le temps qui reste, à cause du temps perdu. Défroisser les souvenirs à cause des oublis. Lisser avec obstination la page écrite de trop de mots, de trop d’espoir, de trop de désirs inassouvis, de trop de manques. Ainsi, chaque instant, un crépuscule.
Il y a dans la lenteur du temps cette chose impalpable qui va vers la transparence. Vers l’éclat. L’étincèlement. Le reste improbable de l’usure. Il y a dans la lenteur un accroissement d’amour. Comme le murmure accroit la puissance de la parole. Il y a dans ce ralentissement une dilatation de l’âme. À cause du poids, de cette distance qui n’en finit plus pour atteindre l’immobilité fulgurante. L’irradiation.
Il y a dans la lenteur un accroissement d’amour, comme cette caravane qui progresse dans les sables. Plus le but approche, plus le pas ralentit. Lent cheminement de l’écorce qui rêve en secret au caillou.
On s’assoit. On laisse monter en soi l’océan vide des regards et des gestes. On élargit les bords du manque. On entre dans son corps, car il est temps d’habiter sa chair et d’ouvrir les bras à l’éternité. On s’assoit, on se laisse traverser par l’éclair d’une solitude grave, brillante. On s’assoit dans cette dévastation du temps inerte. On longe le gouffre de nos peurs. On parcourt encore une fois nos sentiers d’errances. Le souffle se ralentit. Tout est là, puisque rien ne tremble. Tout est là, puisque les premiers mots affleurent.

Franck

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18 mars 2017

Le souffle d'avant le texte

-

17 mars 2017

-4- Rien ou la parole du silence...

Je me souviens de ce temps de l’analyse. Nous parlions du vide, du rien, surtout du rien, puisque c’est toujours de cela qu’il s’agit. De ce lien que l’on a avec lui. Du badinage que l’on entretient avec lui. De nos nuits d’ivresse avec lui. De nos noces décomposées. Puisque c’est toujours de cela qu’il il s’agit. De cette longue histoire avec ce si peu. Je me souviens. De ce rien que l’on ne sait pas nommer, que l’on reconnait à peine, de ce rien vaste comme un océan, à l’apparence insignifiante, à l’appétit d’ogre, de sa veulerie. De la nôtre plutôt. Oui ! Je me souviens de ce temps de psychanalyse. De ce temps du divan. De ce temps de la parole et du silence. De ce long monologue jeté à un plafond fissuré. Répandu dans une pénombre d’antichambre.

Au départ, tout commence dans une profusion, une exaltation de la parole. Au départ, on se trouve dans l’aisance de l’histoire. Des histoires. On essaye tout, par chronologie, par thèmes. Au départ, on pense que cela ne finira pas, que l’on aura toujours quelque chose à dire.
Avant d’entrer chez la femme de l’ombre, on a préparé tous les pans de notre histoire à révéler, tous les morceaux. On veut expliquer, faire comprendre. Au départ, c’est à elle que l’on parle, que l’on tend sa voix.
Derrière, elle ne dit rien, ou si peu. Parfois, elle pointe un détail, un mot. On s’arrête, on évite, on bifurque. On parle, on raconte. Notre histoire n’est pas très intéressante, pourtant à force de la dire, on pourrait la croire passionnante. Au départ, rien n’est très important, les mots se bousculent. On cherche des vérités qui seraient bonnes à dire, enfin.
Puis des vérités plus douloureuses. Même ces vérités douloureuses se trouvent bonnes à dire, encore. Le temps passe, on est de plus en plus précis. On cherche le détail, on soulève les souvenirs un à un, à la recherche du signe, de la marque qui porte notre nom, qui désigne notre fatalité.

La femme de l’ombre accompagne cette profusion tapie dans son silence, avec l’abandon nécessaire à toute bonne patience. Papa, maman, les sœurs que l’on n’a pas eus, ce que l’on a fait, ce que l’on n’a pas fait, nos femmes, nos enfants, nos amours, le sexe de nos amours, nos masturbations, nos faits d’armes, nos défaites, notre grandeur, notre misérabilité. Il faut tout dire, alors on dit tout, dans l’ordre ou dans le désordre. Nos peines, nos chagrins, nos lâchetés, l’ennui, l’enfant que l’on était, l’enfant que l’on est resté. Au départ, c’est un grand ménage, un grand déballage, on patauge dans nos eaux saumâtres.
La dame de l’ombre attend. Peut-être que si l’on se retournait, on la verrait sourire, ou dormir. Mais au départ, on se moque de tout cela, on se tient seulement dans l’ivresse des mots. Dans ce grand déballage, dans cette braderie. Dans cette délation de nous-mêmes, dans ces aveux de confessionnal. On parle, on paye, comme si l’on allait aux putes, tout est bien ainsi. On se demande parfois à quoi tout cela peut servir, mais on continue. À cause de l’ivresse.

Trois fois par semaine. Les mois passent. Bien sûr, on commence à voir derrière l’histoire de drôles articulations. On voit bien certaines formes, invisibles à l’œil nu de la vie quotidienne. On voit bien d’autres histoires sous les histoires. On voit bien d’autres mots sous les mots. On voit bien des larmes sous les sourires, ou quelques abimes sous les vagues. On devine bien d’autres désirs sous les désirs. À chaque séance, on monte une marée. La mer est sans fin, et le temps de l’océan sans limites. La dame de l’ombre devenait peu à peu mon oreille. Peu à peu mes yeux. Elle était là, sans vraiment être tout à fait là.
Puis, un jour, l’eau des mots commence à se tarir. Le flot devient moins important, de gros cailloux de silence font des remous, où les mots viennent s’enrouler. Tourbillons d’écume blanche, où la parole disparait comme dans une sorte de vortex de la langue. La dame de l’ombre est toujours là. Silence contre silence. Au début, cela n’est pas fréquent. Pour éviter ces écueils, on prépare la séance encore plus à l’avance. Mais le dernier quart d’heure devient difficile à combler. Les mots sont devenus épais, ils raclent la mémoire. Il y a du sable sous la langue. Des cendres dans la voix. Un peu plus de rouge dans les silences. Un peu plus de sang dans l’attente. Un peu plus de peur dans les souvenirs.
Il y a une ivresse du silence. Un vertige. Presque une volupté.
Puis une douleur.
Avec le sentiment du dérisoire. Une vie est faite de si peu de chose au fond. Même bien remplie. Il y a si peu d’évènement. Si peu de rencontres. Si peu à en dire.
Alors, arrive le temps des silences. De ces séances vides. Vides, lourdes, douloureuses. Le temps du rien. Des colères contre la dame de l’ombre. Des colères contre soi.
Il n’y a plus qu’un filet spasmodique d’une eau troublée, tremblante. Si peu assurée de couler vraiment. Il n’y a plus que le lit asséché d’une vie désossée. Avec un limon sombre qui se fendille. Avec ses flaques boueuses.
S’allonger sur le divan pourpre devenait pénible, presque insupportable. Le silence se nourrit de lui-même. Il s’encourage.
Se fortifie. S’additionne. S’engraisse.
S’aggrave.

Il arrive que les couches de silence soient si épaisses, si compactes, qu’il devienne presque impossible de le rompre, de le traverser. Chaque phrase part du plus loin du ventre, remonte avec lenteur tout au long de l’estomac, pour venir peser sur les poumons. Chaque phrase cherche son souffle dans un air raréfié. Les mots prennent des sens bizarres, baroques. Ce sont des mots tiroirs. Des poupées russes remplies de mystères.
La dame de l’ombre est à son œuvre. Elle tient ferme l’autre bout du silence. Elle tend la corde du silence sur laquelle quelques pauvres mots tentent de garder l’équilibre. C’est le temps des larmes, des doutes, des nœuds, des pierres. Sous notre vie, il y a des paysages étranges. Derrière nos souvenirs, existent des plaines venteuses, des landes tristes. L’innommé. De vieilles sensations que les vieux mots n’ont jamais touchées. Des désirs sombres jamais avoués.
De quoi parlons-nous quand nous avons tout dit ? Que reste-t-il à dire ? Au-delà de l’histoire, bien après l’anecdote. Bien avant.
Allongé, je regarde la fissure du plafond. Je ne veux rien dire. Je ne veux plus rien dire. Plus jamais. Cela dure. Des séances entières. Parfois, je sens mon corps envahi de chaleur. Parfois, j’ai froid. Alors, je cède. Aux mots. Aux relents des mots. À leurs spectres.
À ce moment, on ne raconte plus.
Une voix d’avant la vie.
Il ne reste que des lambeaux de phrases. Des bulles qui crèvent le plafond, qui crèvent le lit du torrent asséché, bulles de soufre. Sous le lit, il y a d’autres lits, plus sombres, plus denses.
Bien après, il n’y a plus que des formes. Car peu à peu on entre dans le royaume des ombres. La dame de l’ombre semble bien les connaitre.
Temps du rien. Souvent, j’avais l’impression de construire une muraille invisible, à l’envers du décor. Temps du vide. Lancinant. Épuisant. Temps des redites. De l’usure. Comme si l’on agrandissait le vide. Comme si c’était cela l’important. Comme si à force d’être dans ce rien continuel cela donnait une consistance au vide. Comme s’il était vivant en nous. Longue traversée.
Longue marche de la parole où les silences pèsent plus que les mots prononcés, où le temps vide compte plus que tous les actes posés.
Quatre ans. Quatre ans. Dans le désordre du sens. Quatre ans à être éparpillé dans mes défaites, à flotter dans mes naufrages. À creuser le son de ma voix, à border la parole, comme on borde un enfant malade. À errer. À n’être qu’une errance.

Un jour, on arrête. Plus précisément, on suspend. On accroche son silence au clou de l’amour planté dans la fissure du plafond. Un jour, on suspend. Il ne faudrait pas. Mais on le fait. C’est ainsi.
Après, bien après, on commence à écrire.
Ce sont les mêmes mots. C’est le même silence. C’est la même voix. C’est la même douleur, la même exaltation. C’est aussi vain, mais si essentiel. Comme une errance souveraine. Comme une ultime dignité.

Franck

15 mars 2017

-3- Conquérir l'âme du monde...

Car il nous faut conquérir l’âme du monde pour l’accomplir ou le bruler. Pour l’accomplir en le brulant.
La puissance ne représente rien s’il n’y a pas l’abandon et l’abandon est une pure folie s’il n’y a pas l’offrande. L’amour véritable, c’est peut-être cela, la puissance et l’offrande qui passent ensemble sous la même arche, la puissance qui s’exalte de sa disparition, la puissance saisie d’un trouble, d’une douleur sublime pour ouvrir le ciel, pour éclabousser la nuit.
Alors, il faut y aller d’une parole vraie et folle, d’une parole défaite. Défaite parce qu’en équilibre sur le fil coupant de l’âme, parce que sans cesse inachevée. Inachevable. Y aller d’une parole vraie, parce qu’indéchiffrable, puisqu’elle dit l’impossible de nos existences. La vérité n’est pas donnée, elle reste un surcroit, ou un reste plutôt. Il faut user nos vies pour la faire apparaitre. C’est pour cela qu’elle fait mal. C’est d’ailleurs comme cela que nous la reconnaissons : parce qu’elle fait mal.
La vérité du mot, c’est le silence qui le suit. La vérité de l’amour, c’est le silence qui le précède.
La vérité et la folie pour atteindre une parcelle de pureté. Car la pureté, n’est pas un état donné, une chose acquise pour l’éternité. La pureté, ce n’est pas la blancheur naïve, la candeur intouchable. Non ! Rien de tout cela. La pureté est douloureuse, aussi, parce qu’elle brule, qu’elle est une marche épuisante vers la dépossession, vers l’abandon. La pureté, c’est arracher de soi des lambeaux de mémoire, arracher la chair de ses souvenirs. C’est enflammer son sang. C’est être dans le jour et inventer la nuit. C’est être dans la nuit et accueillir chaque mot comme des lucioles. C’est savoir que les paroles du soir sont souvent encombrées, qu’il faut avant de s’en servir les blanchir dans un grand bain de silence. C’est savoir que les paroles du matin n’effacent jamais totalement la nuit parce que dans la rosée des mots, on décèle toujours quelques chagrins inconsolés. C’est faire rentrer le soleil dans la maison des mots, c’est jeter au vent des poèmes oubliés.

Alors, il faut traverser la lumière à son endroit le plus fragile, là où les ombres laissent passer les anges, là où nous déposons nos prières, nos chagrins. Là où l’aube cache encore quelques astres égarés. Il faut chercher ces instants fugaces du jour où les lueurs s’accordent à nos cœurs, ces instants qui esquivent le temps qui passe, ces petits instants fragiles qui offrent un bout d’éternité à qui savent les voir, comme lorsque nous respirons une rose en fermant les yeux en oubliant nos larmes ou en nous y abandonnant.

La vérité du mot, c’est le silence qui le suit. La vérité de l’amour, c’est le silence qui le précède, car il nous faut conquérir l’âme du monde pour l’accomplir ou le bruler, pour l’accomplir en le brulant.

Franck.

14 mars 2017

-2- Quite ta maison...

Comme une injonction divine. Ouvre ta maison en grand ! Les volets, les fenêtres, les portes, surtout les portes, ouvrent tout, et invitent le verbe, s’il ne vient pas, alors quitte ce lieu de vent, d’ombres, quitte tout ! Quitte-toi !

Tu croyais que cette maison était ta seule mesure, sur les murs, se trouvaient tes souvenirs, chaque objet te rappelait le temps des instants et des rencontres, tu te croyais élu, tu n’étais que maudit. Tu ne le savais pas. Tu étais plein de toi-même, si plein que nul n’osait, ou ne pouvait franchir le seuil de ta porte, si plein de toi-même que tu n’avais plus de place pour accrocher un rêve, plus de place pour l’élan d’un désir, si plein de toi-même que tu n’osais plus sortir de peur que l’on ne te dépouille. Vanité qui te faisait croire à ton importance. Tu vivais dans la peur de ta perte, dans le trop-plein. Tu te croyais riche, prospère, pourtant tu mangeais ta tristesse à tous les repas. Tu étais sûr de ta raison, car les nouvelles du monde qui te parvenaient racontaient les mêmes destins que le tien. Alors, tu voulais croire au bonheur, il te suffisait de toucher les murs de ta maison pour te gonfler d’orgueil et de certitudes. La femme qui vivait à tes côtés avait, elle aussi, apporté ses meubles, ses bibelots. Du trop-plein sur du trop-plein. Le soir, sous la lampe, vous mangiez en silence la même soupe de chagrins. Lorsque tu voyais son corps de chairs lasses, tu n’avais plus la force de pleurer. Tu attendais la mort, mais elle se tenait déjà là, depuis longtemps et tu ne le savais pas.

Ainsi, la vie des hommes, et leurs jours, leurs joies, leurs amours.
Donne tout. Ne renonce à rien… !

Ouvre ta maison ! Quitte-la ! Brule-la s’il le faut ! Pars, n’importe où, mais pars ! Ne prends rien avec toi, aucun bagage, aucun bibelot ! Rien ! Prends le premier chemin de lumière que tu trouveras, puis avance ! Va… ! Va au plus loin de toi ! Sois vagabond, pèlerin, nourris-toi d’espace, de vent, d’orage. Ne possède rien, surtout pas toi-même. Sois seulement dépossédé, sois nu fragile. Sois l’errant de l’errance, le désir du désir, le rêve du rêve. Sois la couleur des chemins, l’odeur des aurores. Ne sois rien que la musique des torrents, sois l’océan, sois ses marées. Sois le vol des oiseaux.

Là, seulement là, laisse monter en toi le premier chant. Réapprends le verbe dans le murmure. Souviens-toi de la langue du lait. Car elle est le seul langage qui nourrit.
Le seul.
Alors, dépouille-toi de toutes ces vies inutiles, de toute la crasse de tes heures vaines, de toutes tes illusions sociales.
Écris. Écris à partir de l’os. Racle ! Sois dans l’arrachement, sois au plus pauvre de toi-même, au plus nu, au plus seul.
Car il te faudra arrêter de parler à haute voix, refuser le vacarme des paroles vaines, la tonitruance des pensées faciles.
Retrouve le murmure.
Le son du ventre. La résonance première.
Celle que l’on appelle, la langue blanche.
La langue du lait.
Car sur la route, il te faudra renaitre. Renaitre sans cesse. De corps en corps, de rêve en rêve.
Alors, peut-être qu’un jour sur cette route de vent, d’errance folle, tu manqueras de trébucher sur un mot.
Tu le ramasseras.
Tu feras jouer la lumière à travers ses faces aiguisées et coupantes.
Brusquement, tu sauras.
Tout se condensera là, dans ton regard fasciné pour ce mot.
Sidéré.
Par le mouvement qu’il fera naitre en toi.
Ce jour-là…
Ce jour-là, tu te retrouveras loin de tout et pourtant tu n’auras jamais été si vivant. Tu seras dans une désolation lumineuse, et cela te suffira. Tu seras perdu, et c’est justement cette perte qui te ressuscitera. Tu seras perdu, mais tout te paraitra plus clair, plus net, plus définitif, plus impératif.
Renaitre après des siècles d’agonie.

On n’écrit jamais pour plaire ou séduire, on écrit pour se retrouver. Ailleurs. Chaque mot te rapproche d’un lieu inconnu plein de mystère, un lieu inévitable. Écrire prolonge un rêve commencé il y a longtemps, dans l’enfance, un rêve commencé quand tu étais blotti dans le plus fragile abandon du regard de ta mère qui t’avait fait — toi si infirme — roi si rayonnant.
Oui ! Écrire, c’est d’abord retrouver ce sommeil plein de couleur, de chaleur où l’amour n’est pas promis, mais donné comme une éternité, offert comme la première nourriture, la seule dont tu n’auras jamais besoin. Écrire te fait retrouver ce rêve où tu n’es là pour personne sauf pour le murmure incompréhensible, attendri d’une mère devenue folle parce qu’elle s’est enfin oubliée et qu’elle divague dans les méandres de ton visage, de son amour éperdu, un amour-océan sans limites.

Un jour, tu écris, et c’est ce seul murmure qui compte parce que lui seul peut couvrir le vacarme du monde. Tu ne sauras jamais si cela peut faire un livre : tu es dans le pur bercement de la langue, dans l’oubli de ta propre présence, dans cette musique qu’il faut prolonger jusqu’à la fin des temps.
Tu es envahi par le blanc de la page, et les mots viennent parfois te secourir du vertige. Ils sont les traces, les signes qui te relient au ciel, à la terre. Et l’encre te retient de sombrer dans la défaite toujours imminente.
Écrire, c’est un grand vent qui secoue les branches de l’âme emportant les feuilles les plus faibles, celles qui ne tiennent que par le doute, et qui deviendront les mots les plus brulés de ta langue.
Écrire, c’est être dans cet arrachement, dans cet envol au milieu d’une tempête, dans cette chute soudaine au cœur d’un vide terrifiant et miraculeux.
Consentir à ce ciel désolé, simplement consentir. Avec un peu de chance, un ange te prêtera ses ailes, le vent te poussera dans un jardin de mots prêts à fleurir qui n’attendent que le souffle créateur pour déployer les pétales d’un verbe secourable.
Traverser le rêve d’écriture, c’est traverser un amour rouge comme le sang, tranchant et bleu comme une lame aiguisée, ardent comme le feu d’une forge, un amour ravagé de silence et de vent.
Le jour où l’on écrit, c’est que l’on s’est mis en marche vers un amour, que l’on en appelle la brulure ou l’âme souveraine. C’est une marche aveugle, la main tendue vers un noir toujours plus profond.
On écrit avec ses silences. Ce sont eux qui laissent leurs empreintes d’ombres, de cendres sur la blancheur des pages. Un silence se couche sur un autre silence, ainsi de suite, silence sur silence, dans un grand lit d’absence pour consommer les unions enflammées de l’espérance et de l’épuisement. Silence sur silence, lumière sur lumière, et cela : éternellement…
Écrire, c’est cette façon d’être au monde, ou de ne plus y être. C’est interroger le silence, en glaner une once de lumière. C’est user le temps, le polir longuement pour en obtenir quelque élixir subtil. C’est entretenir un feu avec de minces brindilles d’encre usée. C’est écouter dans la foule le bruit que fait la solitude et dans la solitude les rumeurs de la foule. C’est ouvrir des portes interdites avec la seule clé des mots. C’est se croire riche, et se vouloir pauvre, être désarmé et pourtant invincible. C’est mourir plusieurs fois par jour et renaitre pour que demain advienne. C’est dormir dans l’attente, et se réveiller dans la prière.
Rien, rien de plus. Née d’un manque, l’écriture entretient souvent avec la douleur une relation incestueuse. Elle souffle sur nos entrailles pour en attiser les brulures dans des noces solitaires, sauvages.
C’est tout cela et mille autres choses. C’est la parole la plus affaiblie qui puisse être dite, car elle git, mourante au fond de notre vie. On en cueille alors parfois les effluves tremblantes dans le creux de quelques mots…

Voilà l’instant…
L’encre accablée glisse sur les cristaux d’une heure éparpillée, solitaire.
Pesanteur douce, attristée, comme un temps de neige.
Se mettre à écrire, c’est distiller du temps bleu en chauffant nos jours au rouge du cœur.
La brume qui s’évapore, ce sont mes renoncements, mes peurs qui se délient.
Ce qui reste est si infime que je pourrais le perdre d’un simple soupir, si infime, pourtant si abondant que je pourrais en vêtir un ciel entier…

Franck

12 mars 2017

-1- La langue du lait...

Écrire nous vient d’un premier langage, d’une première voix. Une voix insensée. Une folie de langage.

Il faut imaginer la scène. Il faut s’en souvenir surtout. Il y a la mère. Il y a le nouveau-né. Il faut imaginer qu’il n’y a rien d’autre autour. Il n’y a jamais rien ni personne autour lorsque la mère tend le sein à l’enfant. Lui il est blotti contre la chair de sa mère. La mère saisit son sein pour le guider vers la bouche de l’enfant. Les chairs se joignent. Au départ, il faut imaginer le silence, la pénombre, ce geste ancestral. Il faut se souvenir des yeux de la mère, de la lenteur de ses gestes, de l’infinie douceur. Elle penche la tête vers l’enfant. Lui il est abandonné dans un vaisseau de chair, un bras de tendresse le soutient, sa bouche de désir est remplie de la chair blanche du sein. Il mange cette blancheur, cette douceur, cette tendresse. Il sent dans sa gorge la chaleur d’un lait éblouissant, inépuisable. Il ferme les yeux. Il se laisse envahir, inonder, submerger. À ce moment, tout reste suspendu dans un temps étrange, impossible.

Il faut se souvenir des yeux de la mère, de la lenteur de ses gestes, de l’infinie douceur. Elle semble être dans l’effarement d’un geste sacré, par instinct. Elle retrouve la pose ainsi que la lumière des piétas anciennes. La mère presse sa chair pour l’offrir, presse son sang pour s’oublier. Elle habite cette folie somptueuse des mères aimantes, elle est aux confins d’elle-même, morte, brulante à la fois. C’est à ce moment-là, à ce moment précis, dans cet instant perdu, égaré, qu’elle commence à parler à l’enfant. Elle parle une langue inconnue, une langue incompréhensible, c’est la voix de l’amour pur. Des mots égarés dans le souffle, des mots inventés, des mots presque silencieux. Une langue blanchie par l’amour et le don. Langue de chair. Chair blanche contre langue blanche. La mère est là dans l’ivresse, l’abondance. Elle parle une langue venue de la mémoire des mères, une langue jamais apprise, pourtant toujours remémorée. C’est une langue de chair, et de sang, une langue blanchie par l’amour et la patience. C’est la langue du lait.

C’est la première langue que nous entendons. C’est la plus vraie puisqu’elle nous nourrit. C’est la plus vraie puisque nous la comprenons dans l’instant où nous l’entendons. Elle n’est qu’un murmure, qu’un simple souffle à peine audible, elle est pourtant tout l’univers lorsqu’elle nous parvient.

Après nous grandissons, après nous l’oublions. Grandir, d’ailleurs, c’est l’oublier.

Alors, on écrit pour célébrer cette mémoire défaillante.

Écrire, c’est tendre l’oreille au passé, c’est se souvenir de ce souffle sur le souffle, de cette chair sur la chair, de ce blanc sur le blanc. Écrire, c’est retrouver cette enfance éperdue, cette langue blanchie par l’amour, cette langue offerte avec la première nourriture.

C’est pour cela qu’écrire nous vient d’une faim, d’un manque effréné, et comblé par la langue et les mots. Écrire, c’est retourner à ce premier sang, à ce premier murmure, à ces premiers silences, à cette première folie.

Lorsque nous écrivons, c’est la trace de la voix de nos mères qui vient fasciner nos mots. La cadence du poème n’est que le bercement ancien d’une mère. La lumière des mots n’est que l’éclat brulant d’un amour incendié, blanchi, révolu…

Franck.

12 mars 2017

Prolologue

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10 mars 2017

Introduction...

J’ai décidé de publier ici, ce qui aurait pu être un manuscrit. Ce qui va suivre n’est ni un roman, ni un récit, pas plus une thèse ou un essai. Ce n’est pas vraiment de la poésie, même si elle n’est pas absente, pas totalement de la prose. Il n’y a pas d’histoire, pas de suspens, à peine quelques personnages, plutôt des ombres de passage. Peut-être une rêverie ? Un solipsisme ? Une méditation ? Disons que cela est avant tout un chemin. La transcription une expérience intérieure.

Une expérience qui tenterait de dire, de décrire, ce que l’acte d’écrire recèle de mystère et de lumière. L’unique sujet des textes qui seront désormais publiés ici c’est l’écriture. De texte en texte j’y reviendrai inlassablement, obsessionnellement, comme si l’écriture, dans cette longue traversée devait être débordée, pour enfin regarder au-delà du symptôme.

Une expérience de vie qui aura duré près de dix ans. Dix ans, à ronger, à racler, à épuiser mon corps et la langue, à chercher des issues, là où tout semble obscurci.

 De texte en texte, j’ai essayé d’approcher une vérité se dérobant toujours un peu plus. De métaphore en métaphore, dans ces longues heures, assis face à l’écran, aux aguets, dans la tension extrême des muscles, dans la recherche du souffle jusqu’à l’étouffement, j’ai essayé de traquer, de faire surgir, ce qui dépasse mon expérience personnelle. Faire surgir un peu d’universel au cœur même du singulier.

Je ne sais si j’y suis parvenu, qu’importe ! Tant fut déjà écrit, et si bien écrit, sur ce sujet : Maurice Blanchot, Roland Barthes, Bernard Noël, Pascal Quignard, Margueritte Duras, Christian Bobin et tellement d’autres, comme si ce sujet hantait nos nuits, nos mémoires, nos désirs, nos audaces, nos espoirs, comme si écrire nous ramenait immanquablement à notre condition humaine, aux angoisses de la vie et de la mort, aux questions éternelles sans réponse, questions infatigablement posées de génération en génération.

Il a bien fallu que je me risque à un chapitrage pour présenter ces textes, la seule chronologie d’écriture ne permettait pas de dénouer l’écheveau du chemin, l’expérience intérieure ne suit jamais le temps des horloges. Une biographie n’est jamais une chronologie, je préfère l’idée de convergence, nos actes, nos pensées, nos espoirs, tout converge, tout s’efforce vers un point qui serait au centre et non pas devant. Bien sûr il y a de l’arbitraire dans ce séquençage, voilà les têtes de chapitre :
    Prologue
    Le souffle d’avant le texte
    Le temps, les silences, les solitudes.
    Écrire en train de se faire.
    Après le texte
    La chair de l’écriture
    Des lieux impossibles.
    Écrire… Toujours… Encore…
    Les Métaphores du chant.
    Seulement de la musique.
    Creusements.
   L’inachevable.

Évidemment il sera possible de déceler plusieurs niveaux de lecture, plusieurs profondeurs, certains d’ailleurs offrants plus d’issues que d’autres. Il y a toujours un au-delà du symptôme.

La littérature, l’art, d’une façon générale, se meurent, certains disent qu’ils sont déjà morts, mais à cette disparition annoncée ou advenue je ne peux m’y résoudre, m’y résigner complètement. Quelque chose en moi résiste. Quelque chose en moi crie. Non, par peur du futur, mais par révolte, par refus de la résignation.

Alors il faut réaffirmer. Alors il faut résister.
J’ai voulu aller chercher à travers cette expérience, ce qui, malgré les siècles passés, et quelques soient le devenir de ceux qui viennent, ce qu’il y a d’irréductible à notre condition d’humain, ce qui nous relie (à ne pas confondre avec ce qui nous connecte) tous, de tous pays, et de toutes les époques, cette chose intemporelle qui gît en nous : le chant. L’incantation. Ce chant primordial qui est en nous tous, et qui tient l’humanité dans les méandres intemporels de sa mélopée.

J’ai voulu aller chercher ce qui résiste en moi aux temps actuels. J’aurais pu appeler ce recueil « Résistances », ou quelque chose d’approchant, s’eut été prétentieux, mais l’idée est là. Ne rien dire du monde, du présent, ce n’est pas les dénier, mais s’opposer frontalement à ce qui tente d’anéantir en nous la part la plus éternelle et la plus lumineuse. Je ne suis dupe de rien, pas même de ma complicité, mais tant que j’aurais du souffle et une once de lucidité, je tiens à maintenir vivante l’idée de nos destins singuliers et tragiques, face à l’individualisme égoïste et informe que l’avenir nous propose. Je préfère la tragédie éternelle, aux catastrophes télévisuelles quotidiennes qui ne savent plus nous émouvoir, à peine nous indigner le temps d’une mode.

Les temps sont complexes, nous sommes en train de passer brutalement de la condition humaine, à la condition de l’humanité. Mais l’humanité, celle qui surgira, ne pourra pas être sans mémoire, ce travail est une infime partie de cette mémoire. Quoi qu’il advienne, nos enfants auront besoin d’aimer leurs origines, de se souvenir, des sorciers, des chamanes, des poètes, des musiciens, des peintres, de tous ceux qui un jour ont voulu apprivoiser le mystère de la vie et de la mort, et lutter avec dignité contre ce qui les effraie et les détruits.

La nuit tombe, face aux temps barbares, je reste définitivement seul, debout, à égale distance, du silence, du cri, du chant.

Franck.

5 mars 2017

Un corps si étroit...

Le plus souvent nous ne parlions pas. Il y avait comme un rituel des visites dans sa chambre. Nous nous succédions. Un par un. Il y avait la chaise à côté du lit, pour Simone ma grand-mère. Sa mère. La chaise des larmes sèches et des brûlures. Puis il y avait le fauteuil, pour l'autre grand-mère, Claire. Le fauteuil des histoires. Elle disait « Maman, racontez-moi une histoire.... » Elle appelait sa belle-mère « maman ». Ça se faisait, avant. Claire savait raconter les histoires. Une conteuse sans le savoir. Claire avait la voix haut-perchée et le rire éclatant. Aussi le sens de la dérision, comme celui de la fatalité. L'arthrose lui avait tordu toutes les articulations, les pieds, les genoux, les hanches, les doigts. Et puis elle avait Georges, comme si sa croix n'était pas assez lourde. Georges le fantasque, l'iconoclaste, Georges le poète des arbres et des animaux. Claire comptait plus sur sa canne, que sur Georges. Le fauteuil c'était mieux pour elle. Claire avait toujours une anecdote à raconter, dans une auberge il se passe toujours quelque chose. Toute l'humanité défile dans une auberge. Alors Claire racontait. Claire la faisait rire, cela déclenchait parfois des quintes de toux terribles. Elle ne riait jamais, sauf avec Claire. Les autres s'asseyaient sur le bord du lit. Elle ne tenait plus beaucoup de place dans ce grand lit. Elle ne froissait même plus les draps. Elle n'avait déjà plus de pesanteur dans ce monde. Il neigeait.

 Dehors il neigeait. Sans joie. L'effritement lent du ciel qui arracherait ses dernières peaux. Confettis de silences glacés. Presque trop lourds au regard. Noël approchait. Il neigeait. Dans sa chambre la chaleur était étouffante. Les carreaux étaient recouverts de condensation, comme un voile de petites perles opaques, tristes comme des larmes. Parfois je passais ma main sur la vitre, je voyais la neige, et l'immense tilleul, j'entendais ses ronflements, les raclements de sa respiration, ses suffocations. Je sentais son regard sur moi, posé comme une ombre sur le reste de ma vie.

Le plus souvent nous ne parlions pas. Parler l'épuisait. Il fallait choisir les bonnes paroles. Ne pas se perdre dans les détails, revenir à l'essentiel, au silence. Les regards suffisaient. Sa main était posée sur le drap. Sa main. Ce qui reste d'une main, une fois que la chair, et le sang l'ont quitté. Ce qui reste d'os et de craquement. Avant, ses mains étaient magnifiques, fines, délicates, soignées, plus jeune elle avait été manucure, puis après esthéticienne. Alors les mains elle connaissait. L'entretien des ongles. Limage, ponçage, gommage. La petite navette de daim qui, enfant, me fascinait tant, et qu'elle utilisait pour faire briller les ongles. Le petit bâtonnet de bois, pour repousser les peaux, les pinces en tous genres. Les vernis, les couleurs, les odeurs. Elle s'appliquait sur chaque doigt, colorer, peindre sans déborder sur la lunule. Sa main était posée sur le drap. Je n'osais pas la prendre. Elle semblait si fragile cette main, déjà si morte. Il fallait la pommader pour que les os ne crèvent pas la peau froissée, fripée, usée, avec ses  veines gorgées d'un sang trop noir, trop lent, trop brûlant. Tes pauvres mains maman. Qui ne savaient même plus prier, sinon être là, encore un peu.

Il neigeait. Et la neige en tombant recouvrait l'immense coupole chauve de l'immense tilleul. Et notre immense tristesse. Silencieuse. Tristesse de la mort blanche qui avance à pas mesuré, certaine de sa victoire, comme un lent traîneau sur la neige. Cette mort qui avait déjà pris tes mains et ton visage. Sauf tes yeux maman. Sauf tes yeux. La mort à pas mesurés sur cette immensité blanche, ou chaque jour sa trace se faisait plus profonde comme des veines vidées de leur sang.

Pendant nos instants, je restais assis sur le lit, à côté de toi. Nous nous regardions, vidés de nos paroles, vidés de la langue qui aurait pu les dire. Il est des pays trop froids pour que les mots adviennent, il est des heures trop fragiles pour porter la voix. Alors il nous restait le regard dans lequel on serrait chaque seconde comme des fruits, qui auraient déjà donnés tous leurs jus. On était dans ce pays lisse et froid, sans borne, sans lendemain, sans attente. Sans rien. Lisse et froid, comme du métal glacé. Quand l'attente a déjà rendu l'âme. Il neigeait maman, cette neige que nous  mangions en silence à nous en faire casser les dents. En silence, puisque le pays de la chambre où nous étions était inhabitable, indicible.

Parfois je t'aidais à t'asseoir... mais tu ne tenais plus très longtemps dans cette position. Chaque articulation semblait se disloquer, j'en profitais pour redresser  tes oreillers, et ton corps se déposait à nouveau sur eux, sans les déformer tellement tu ne pesais plus. Et ta main d'os se posait sur ma figure. Tu la touchais comme pour la reconnaître une nouvelle fois, je sentais les tremblements de ta vie, je sentais les tremblements de la mienne, maman. Nous n'étions  plus rien,  que ces tremblements. Et ces soupirs à peine soufflés, dans ce temps arraché, calciné, dévasté. Car il nous fallait voler chaque seconde, à chaque seconde il fallait en gagner d'autres, il fallait en trouver d'autres pour avoir la force de trembler encore. Il neigeait, maman. La blancheur se dessinait sur ta peau comme en transparence, comme un appel, comme une destination. Tu étais ce vaste champ de neige au-delà de la mort. Et je voulais mourir de ta mort, aussi. Tu comprends, maman. Mourir avec toi, dans la blancheur de cette neige qui tombait comme un sacre.
Le plus souvent nous ne parlions pas. Tu voulais simplement que j'approche ma tête pour poser tes lèvres sur mon front. Tu voulais ma chaleur, et je prenais la tienne. Combien de fois nous avons fait ces gestes pour se dire sauvés, un instant seulement, de nos déchirements, de nos effondrements ? Ma tête bercée entre tes os, ma tête sur ta poitrine essoufflée et pantelante. Ma tête posée sur cette horreur sublime. Sur cette neige épuisée, qui n'en finit plus de tomber sur nos vies. Dans ce délabrement silencieux du ciel. Dans cette chambre surchauffée par la fièvre du temps dans ses ultimes bruissements.

Il neigeait, et dans le grincement du parquet on entendait les clameurs d'une autre rive, ou les foules vont en cortèges se perdre dans les champs d'asphodèles. Chaque regard était un froissement de plus, la pâleur des sourires disait de longs gémissements, ceux qui vont en glissant sur les étendues neigeuses, au-delà des fleuves, au-delà des déserts, bien après nos vies et nos lamentations, comme les longues supplications qui tombent dans l'oubli. Il neigeait et nous étions dans cette intimité silencieuse, brûlante à veiller sur nos morts inlassables, nos morts perdus dans chaque grain de lumière, dans chaque bouffée d'air qui te manquait de plus en plus. Respirer, une fois sur deux, une fois sur trois, une fois pour moi, respirer de temps en temps, de moins en moins souvent, jusqu'à très rarement, jusqu'à presque plus, jusqu'à ces instants où le feu de tes yeux vacillait, proche du noir, avant que ta respiration ne reparte, avec l'hésitation d'un animal traqué, effrayé,  blessé. Les étoiles, aussi, respirent mal, maman. Je le sais, la nuit, on les entend hurler, on entend leurs souffles rauques et  chuintants dans les cieux. Respire encore, maman... ! encore... !encore une fois !
Il neigeait sous nos peaux, et derrière nos paupières,  il neigeait sur cet immense tilleul aux milliers de ramures noires, noires comme un immense poumon mort soufflant encore son dernier sang, et ce qui restait de vie dans ces instants du soir.
Il neigeait, comme pour adoucir la chute que fait l'âme en tombant au fond du corps. Il nous fallait aller à l'essentiel, au plus direct, bien après toutes les questions. Rassembler le tout de la vie, en des mots de rien, retrouver la pauvreté du langage, son humilité.
Tu aimais la lecture, parfois hachée, des poésies que je te lisais, ma voix chancelait légèrement, et tes yeux embrasait cette chambre, cette chambre allumée même le jour, et qui la nuit, éclairait l'immense tilleul, et la neige qui tombait.
« Pardonne-moi... pardonne-moi mon grand... » Ce sont les derniers mots que tu m'as adressés. J'ai serré l'os qui caressait ma joue comme le trésor le plus fragile qui puisse  exister.

Il faut porter le pardon des morts, comme nous portons celui des dieux. C'est lourd, et c'est plein de lumière à la fois. C'est lourd comme de  la neige qui tombe et qui au loin fait un bruit d'enfer.
Comme la neige qui tombait.... Qui tombait sans cesse.....dessinant dans la nuit, pour ton corps si étroit, un si grand escalier, qui montait... qui montait...comme la dernière prière que je n'ai pas su bien dire.... Tout là-haut... par-delà les nuages.... Derrière la nuit, cette si longue nuit. Il faut porter le pardon des morts. Le porter en silence sous les grands tilleuls, et le déposer sur la neige blanche pour que vienne le printemps.
Il neigeait et le printemps viendrait ensevelir ton silence....éternelle floraison pour bénir ton absence.

Franck.

J'irai marcher par-delà les nuages...

2 mars 2017

Vérité...

La vérité nous blesse. C'est là son mérite.
Ce qui me console, c'est de n'être indemne de rien.

Franck

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