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J'irai marcher par-delà les nuages

12 novembre 2013

Un corps si étroit...

Le plus souvent nous ne parlions pas. Il y avait comme un rituel des visites dans sa chambre. Nous nous succédions. Un par un. Il y avait la chaise à côté du lit, pour Simone ma grand-mère. Sa mère. La chaise des larmes sèches et des brûlures. Puis il y avait le fauteuil, pour l'autre grand-mère, Claire. Le fauteuil des histoires. Elle disait « Maman, racontez-moi une histoire.... » Elle appelait sa belle-mère « maman ». Ça se faisait, avant. Claire savait raconter les histoires. Une conteuse sans le savoir. Claire avait la voix haut-perchée et le rire éclatant. Et le sens de la dérision, comme celui de la fatalité. L'arthrose lui avait tordu toutes les articulations, les pieds, les genoux, les hanches, les doigts. Et puis elle avait Georges, comme si sa croix n'était pas assez lourde. Georges le fantasque, l'iconoclaste, Georges le poète des arbres et des animaux. Claire comptait plus sur sa canne, que sur Georges. Le fauteuil c'était mieux pour elle. Claire avait toujours une anecdote à raconter, dans une auberge il se passe toujours quelque chose. Toute l'humanité défile dans une auberge. Alors Claire racontait. Claire la faisait rire, cela déclenchait parfois des quintes de toux terribles. Elle ne riait jamais, sauf avec Claire. Les autres s'asseyaient sur le bord du lit. Elle ne tenait plus beaucoup de place dans ce grand lit. Elle ne froissait même plus les draps. Elle n'avait déjà plus de pesanteur dans ce monde. Il neigeait.

 Dehors il neigeait. Sans joie. L'effritement lent du ciel qui arracherait ses dernières peaux. Confettis de silences glacés. Presque trop lourds au regard. Noël approchait. Il neigeait. Dans sa chambre la chaleur était étouffante. Les carreaux étaient recouverts de condensation, comme un voile de petites perles opaques et tristes, comme des larmes. Parfois je passais ma main sur la vitre, je voyais la neige, et l'immense tilleul, j’entendais ses ronflements, les raclements de sa respiration, ses suffocations. Je sentais son regard sur moi, posé comme une ombre sur le reste de ma vie.

Le plus souvent nous ne parlions pas. Parler l'épuisait. Il fallait choisir les bonnes paroles. Ne pas se perdre dans les détails, revenir à l’essentiel, au silence. Les regards suffisaient. Sa main était posée sur le drap. Sa main. Ce qui reste d'une main, une fois que la chair, et le sang l'ont quitté. Ce qui reste d'os et de craquement. Avant, ses mains étaient magnifiques, fines, délicates, soignées, plus jeune elle avait été manucure, puis après esthéticienne. Alors les mains elle connaissait. L'entretient des ongles. Limage, ponçage, gommage. La petite navette de daim qui, enfant, me fascinait tant, et qu'elle utilisait pour faire briller les ongles. Le petit bâtonnet de bois, pour repousser les peaux, les pinces en tous genres. Les vernis, les couleurs, les odeurs. Elle s'appliquait sur chaque doigt, colorer, peindre sans déborder sur la lunule. Sa main était posée sur le drap. Et je n'osais pas la prendre. Elle semblait si fragile cette main, déjà si morte. Il fallait la pommader pour que les os ne crèvent pas la peau froissée, fripée, usée, avec ses  veines gorgées d'un sang trop noir, trop lent, trop brûlant. Tes pauvres mains maman. Qui ne savaient même plus prier, sinon être là, encore un peu.

Il neigeait. Et la neige en tombant recouvrait l'immense coupole chauve de l'immense tilleul. Et notre immense tristesse. Silencieuse. Tristesse de la mort blanche qui avance à pas mesuré, certaine de sa victoire, comme un lent traineau sur la neige. Cette mort qui avait déjà pris tes mains et ton visage. Sauf tes yeux maman. Sauf tes yeux. La mort à pas mesurés sur cette immensité blanche, ou chaque jour sa trace se faisait plus profonde comme des veines vidées de leur sang.

Pendant nos instants, je restais assis sur le lit à coté de toi. Et nous nous regardions, vidés de nos paroles, vidés de la langue qui aurait pu les dire. Il est des pays trop froids pour que les mots adviennent, il est des heures trop fragiles pour porter la voix. Alors il nous restait le regard dans lequel on serrait chaque seconde comme des fruits, qui auraient déjà donnés tous leurs jus. On était dans ce pays lisse et froid, sans borne, sans lendemain, sans attente. Sans rien. Lisse et froid, comme du métal glacé. Quand l'attente à déjà rendu l'âme. Il neigeait maman, cette neige que nous  mangions en silence à nous en faire casser les dents. En silence, puisque le pays de la chambre où nous étions, était inhabitable, indicible.

Parfois je t'aidais à t'assoir… mais tu ne tenais plus très longtemps dans cette position. Chaque articulation semblait se disloquer, j'en profitais pour redresser  tes oreillers, et ton corps se déposait à nouveau sur eux, sans les déformer tellement tu ne pesais plus. Et ta main d'os se posait sur ma figure. Tu la touchais comme pour la reconnaître une nouvelle fois, et je sentais les tremblements de ta vie, et je sentais les tremblements de la mienne, maman. Nous n'étions  plus rien,  que ces tremblements. Et ces soupirs à peine soufflés, dans ce temps arraché, calciné, dévasté. Car il fallait voler chaque seconde,  et à chaque seconde il fallait en gagner d'autres, il fallait en trouver d'autres pour avoir la force de trembler encore. Il neigeait, maman. Et la blancheur se dessinait sur ta peau comme en transparence, comme un appel, comme une destination. Tu étais ce vaste champ de neige au-delà de la mort. Et je voulais mourir de ta mort, aussi. Tu comprends, maman. Mourir avec toi, dans la blancheur de cette neige qui tombait comme un sacre.
Le plus souvent nous ne parlions pas. Tu voulais simplement que j'approche ma tête pour poser tes lèvres sur mon front. Tu voulais ma chaleur, et je prenais la tienne. Combien de fois nous avons fait ces gestes pour se dire sauvés, un instant seulement, de nos déchirements, de nos effondrements ? Ma tête bercée entre tes os, ma tête sur ta poitrine essoufflée et pantelante. Ma tête posée sur cette horreur sublime. Sur cette neige épuisée, qui n'en finit plus de tomber sur nos vies. Dans ce délabrement silencieux du ciel. Dans cette chambre surchauffée par la fièvre du temps dans ses ultimes bruissements.

Il neigeait, et dans le grincement du parquet on entendait les clameurs d'une autre rive, ou les foules vont en cortèges se perdre dans les champs d'asphodèles. Chaque regard était un froissement de plus, la pâleur des sourires disaient de long gémissements, ceux qui vont en glissant sur les étendues neigeuses, au-delà des fleuves, au-delà des déserts, bien après nos vies et nos lamentations, comme les longues supplications qui tombent dans l'oubli. Il neigeait et nous étions dans cette intimité silencieuse et brûlante à veiller sur nos morts inlassables, nos morts perdus dans chaque grain de lumière, dans chaque bouffée d'air qui te manquait de plus en plus. Respirer, une fois sur deux, une fois sur trois, une fois pour moi, respirer de temps en temps, de moins en moins souvent, jusqu'à très rarement, jusqu’à presque plus, jusqu'à ces instants où le feu de tes yeux vacillait, proche du noir, avant que ta respiration ne reparte, avec l'hésitation d'un animal traqué, effrayé,  blessé. Les étoiles, aussi, respirent mal, maman. Je le sais, la nuit, on les entend hurler, on entend leurs souffles rauques et  chuintant dans les cieux. Respire encore, maman... encore... encore une fois.
Il neigeait sous nos peaux, et derrière nos paupières,  il neigeait sur cet immense tilleul aux milliers de ramures noires, noires comme un immense poumon mort soufflant encore son dernier sang, et ce qui restait de vie dans ces instants du soir.
Il neigeait, pour adoucir la chute que fait l'âme en tombant au fond du corps. Il nous fallait aller à l'essentiel, au plus direct, bien après toutes les questions. Rassembler le tout de la vie, en des mots de rien, retrouver la pauvreté du langage et son humilité.
Tu aimais la lecture, parfois hachée, des poésies que je te lisais, ma voix chancelait légèrement, et tes yeux embrasait cette chambre, cette chambre allumée même le jour, et qui la nuit, éclairait l’immense tilleul, et la neige qui tombait.
« Pardonne-moi... pardonne-moi mon grand... » Ce sont les derniers mots que tu m'as adressé. J'ai serré l'os qui caressait ma joue comme le trésor le plus fragile qui puisse  exister.

Il faut porter le pardon des morts, comme nous portons celui des dieux. C'est lourd, et c'est plein de lumière à la fois. C'est lourd comme de  la neige qui tombe et qui au loin fait un bruit d'enfer.
Comme la neige qui tombait.... Qui tombait sans cesse.....dessinant dans la nuit, pour ton corps si étroit, un si grand escalier, qui montait... qui montait...comme la dernière prière que je n'ai pas su bien dire.... Tout là-haut... par-delà les nuages.... Derrière la nuit, cette si longue nuit. Il faut porter le pardon des morts. Le porter en silence sous les grands tilleuls, et le déposer sur la neige blanche pour que vienne le printemps.
Il neigeait et le printemps viendrait ensevelir ton silence….éternelle floraison pour bénir ton absence.

Franck.

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3 novembre 2013

Conquérir l'âme du monde....

Car il nous faut conquérir l'âme du monde pour l'accomplir ou le brûler. Pour l'accomplir en le brûlant.
La puissance n'est rien s'il n'y a pas l'abandon et l'abandon pure folie s'il n'y a pas l'offrande. L'amour véritable c'est peut-être cela, la puissance et l'offrande qui passent ensembles sous la même arche, la puissance qui s'exalte de sa disparition, saisie d'un trouble, d'une douleur sublime pour ouvrir le ciel, éclabousser la nuit.
Alors, il faut y aller d'une parole vraie et folle, d'une parole défaite. Défaite parce qu'en équilibre sur le fil coupant de l'âme, parce que sans cesse inachevée. Inachevable. Y aller d'une parole vraie parce qu'indéchiffrable, puisque qu'elle dit l'impossible de nos existences. La vérité n'est pas donnée, elle est un surcroît, ou un reste. Il faut user nos vies pour la faire apparaître. C'est pour cela qu'elle fait mal, c'est d'ailleurs comme ça que nous la reconnaissons, par la douleur.
La vérité du mot c'est le silence qui le suit, la vérité de l'amour c'est le silence qui le précède.
La vérité, et la folie pour atteindre une parcelle de pureté. Car la pureté ce n'est pas un état donné, une chose acquise pour l'éternité, la pureté ce n'est pas la blancheur naïve, la candeur intouchable, non, rien de tout cela. La pureté est douloureuse, parce qu'elle brûle, et que c'est une marche épuisante vers la dépossession, vers l'abandon ; la pureté c'est arracher de soi des lambeaux de mémoire, arracher la chair de ses souvenirs, c'est enflammer son sang, c'est être dans le jour et inventer la nuit, c'est être dans la nuit et accueillir chaque mot comme des lucioles, c'est savoir que les paroles du soir sont souvent encombrées et qu'il faut avant de s'en servir les blanchir dans un grand bain de silence, c'est savoir que les paroles du matin n'effacent jamais totalement la nuit parce que dans la rosée des mots on décèle toujours quelques chagrins inconsolés, c'est faire rentrer le soleil dans la maison de la langue et c'est jeter au vent des poèmes oubliés.
Alors il faut traverser la lumière à son endroit le plus fragile, là où les ombres laissent passer les anges, là où nous déposons nos prières, nos chagrins là où l'aube cache encore quelques astres égarés. Il faut chercher ces instants fugaces du jour où les lueurs s'accordent à nos cœurs, ces instants qui esquivent le temps qui passe, ces petits instants fragiles qui offrent un bout d'éternité à qui sait les voir, comme lorsque nous respirons une rose en fermant les yeux et en oubliant nos larmes ou en nous y abandonnant.
La vérité du mot c'est le silence qui le suit, la vérité de l'amour c'est le silence qui le précède. Car il nous faut conquérir l'âme du monde pour l'accomplir ou le brûler. Pour l'accomplir en le brûlant.

Franck.

27 octobre 2013

L'île d'après....

Les amants dessinent, dans la tristesse des villes, de grands à-plats de silence, à contre-jour, à contre soleil. Les amants s'absentent, et dans leurs traces nous y cueillons les songes. Les amants ne parlent plus, les mots ont déjà déserté leurs gestes. Ils se rapprochent des choses ou des êtres, simplement pour les éclairer et les abandonner.
Les amants passent, traversent, débordent, tanguent, et chavirent. Ils s'effacent. Au bout de leurs regards désinvoltes, ils inventent l'ignorance et cette ivresse cruelle qui l'accompagne.
Les amants sont sans bagage, sans histoire, quelques baisers secrets au fond de leur poche, comme ces enfants qui remplissent les leurs de ficelles ou de petits cailloux. Ils sont dans l'angle du jour. Ils ont perdu leurs yeux, ils n'ont que leurs mains pour sculpter les heures, et leur peau pour créer d'autres langues, et leur chair pour fuir leurs peurs anciennes.
Les amants se cachent dans les ellipses des coquillages pour se dérober au temps, et au vacarme des villes. Ils se savent en danger. En sursit. Le poème ne les a pas encore rattrapés. Ils sont dans l'impatience, et pourtant sans attente. Demain est un continent lointain, une rive inabordable.
Les amants dessinent par étourderie les arabesques des sutures futures.
L'écriture est tapie dans la marge. Juste là, dans l'ombre.
Pour après.
Ecrire l'après qui est déjà advenu.
Ecrire est dans le contre temps, comme les amants sont dans le contre-jour.
Ecrire c'est l'île d'après. Celle qui n'est pas habitée.
Et les amants chavirent, et l'écriture fait naufrage.
L'écriture est le chant désastreux des amants séparés.
L'usure prochaine des temps révolus.
Les amants n'ont que leur nudité, le poète que son dépouillement.
L'amour a sa nostalgie, le poète sa mélancolie.
Le soleil brûle tous les déserts.
Les amants ne connaissent pas la rhétorique.
Ils dansent.
Ils dansent
Ils dansent.

Franck

26 octobre 2013

Tectonique des plaques.....

La redite, l'insistance, la persistance, les trois stades de la maladie d'écrire. Et plus on avance dans cette maladie mortelle, moins elle pèse. Et plus elle est grave, plus elle se déploie dans le sang, dans les jours, plus elle s'agrippe à chaque fibre, à chaque respiration, plus elle est mordante aux jointures du rêve, plus elle nous éloigne, plus elle nous épuise, et moins l'on voudrait en guérir.
La redite, l'insistance, la persistance sont les autres formes païennes, de la litanie, de la prière, de l'oraison, car il s'agit d'atteindre la chair, et même, l'au-delà de la chair.
Atteindre la dimension de sa mort. Etre dans la juste dimension de sa mort. Celle qui viendra. Celle pour laquelle on est là.
Passer de la fatalité, au don à recevoir, pour finir, à l'offrande gracieuse.
La littérature naît d'un frottement, comme les plaques tectoniques. Deux mouvements lents qui s'opposent, pierre contre pierre, temps contre temps, puissance contre puissance, usure contre usure, et le résultat c'est le volcan, le tremblement de terre, la vague scélérate. La littérature est le lieu impossible, le lieu d'une précieuse brûlure, inhabitable, invivable. Inachevable. Et dans le même mouvement le renouveau et la fin. Les plaques tectoniques de notre vie bougent, la grande masse de nos souvenirs, de nos illusions, l'accumulation répétée de nos regards, ce magma informe et tremblotant comme de la gélatine peureuse, toutes ces plaques bougent, s'incrustent, s'insinuent les unes dans les autres, s'engloutissent dans l'oubli et l'indifférence, le mépris et abjuration. Ça frotte. Ça racle, ça cure, ça écrase. Des continents, qui à force de dériver se choquent, se heurtent. Se brisent. Et c'est un fracas de douleur et d'extase
L'écriture se nourrit de notre disparition. Atteindre la dimension de sa mort. Être dans la juste dimension de sa mort, à force de redite, d'insistance, de persistance. Comme si la maladie d'écrire effaçait nos vanités, nos prudences. Comme si la maladie d'écrire tranchait dans le gras, le ventru, l'inutile. Pour qu'à la fin on puisse juste enfiler un voile d'ombre. La peau de l'ombre sur notre peau de chair. Sans plis, sans couture, ni ourlet.
Le corps de l'écriture est le lieu du frottement, des masses brassées, le lieu de l'imminente menace. La redite, l'insistance, la persistance. Le corps de l'écriture est toujours marqué des stigmates et du symptôme d'un temps pur.
Le temps pur est un temps vécu à sa juste proportion, à son juste poids. Un temps débarrassé. Il tient debout par sa seule force, sa seule volonté. Sa seule nécessité. C'est un temps qui n'est pas comptabilisé dans nos ans. Il est pur, parce qu'il n'a pas d'épaisseur. Et de la durée, il ne possède que la lumière. Il est éclat. Etincelle. Il est la voix.
La maladie d'écrire a trois stades : la redite, l'insistance et la persistance, et plus elle s'aggrave, plus elle vient en lieu et place de l'inconstance, de l'impermanence, et de la précarité.
Et l'on connait alors les trois degrés de la puissance : la faiblesse faite de boue et d'ivresse, la fragilité faite de verre et obsidienne, et la tremblance faite de silence consumé et d'éternité.
L'autre nom de l'abondance.

Franck.

29 septembre 2013

Une étoile dans le coeur d'un enfant....

Il y a des beautés réelles tout en harmonie extérieure. Elles traversent notre regard et restent fixées à l'œil. Le temps de se dire, elle est belle, très belle. Et l'on passe son chemin, l'œil frisant la lumière. Elles sont comme ces fleurs de jardins. Belles, uniquement belles. Il y a dans ces beautés une arrogance qui pourrait blesser. Il y a dans cette évidence comme un passage de la mort. Une arme qui irait de l'œil au désir brutal. De l'œil au ventre et du ventre à l'oeil. Il y a dans ces beautés une violence. Une hauteur. Un dédain. Une distance infranchissable. Des beautés fixes, immobiles.
Et puis, il y a ces beautés traversées, comme le sont les révélations. Elles ont fait un voyage pour nous arriver, elles ont peiné. Elles portent autour des yeux le voile d'une pudeur. Ces beautés ne se savent pas elles-mêmes. Elles sont dans l'ignorance. Comme l'aurore qui ignore tout du temps, et des siècles. L'aurore, qui invente chaque aube. Il y a des visages de vérité, d'une exacte beauté. Des visages irrécusables, sculpter autour d'un sourire. Ces beautés nous parlent immédiatement. Elles touchent, par les reflets qu'elles provoquent, l'endroit le plus épuisé de l'âme. Ces beautés vous secourent, vous sauvent, ce ne sont pas des beautés de vitrines, elles n'ont pas d'artifice, elles sont toutes en droiture. La vie battante s'accroche à leurs yeux. Il y a dans ces beautés quelque chose qui appelle l'infini, et la caresse brûlante, ces caresses qui ne touchent pas les chairs, mais qui frôlent les constellations. Ce sont des beautés rares, des beautés insensées. Pétries de l'intérieur. L'émotion ourle leurs cils. Visages de musique. Visage de silence et de murmure. Beauté d'offrande. Qui sacre celui qu'elle effleure. Il y a dans ces beautés, plus que de la beauté, il y a un espace de prière. Il y a un ciel. Il y a des lendemains, des espérances, des promesses, des aveux. Il y des mondes qui tournoient, il y a des révolutions. Ce sont des beautés fragiles, faite de dentelles d'âme tendres. On les approche avec lenteur et elle ne vous quitte plus. Elles agrandissent quelque chose en vous.
Elle avait cette beauté simple, silencieuse et discrète. Elle était faite d'un seul souffle. D'une seule vérité. D'un seul élan. Elle faisait juste tinter la clarté autour d'elle. Elle était là, assise sur sa chaise faisant tourner la cuillère de son café. Elle était là, et j'ai vu la lumière l'envelopper, une lumière douce, faite de bleu et d'or, avec ce léger tremblement qui la faisait plus vivante encore. Il y a des beautés traversées, comme le sont les révélations. Elles ont fait un voyage pour vous arriver, elles ont peiné. Et elles sont là, frémissantes, vibrantes, comme peut l'être une étoile dans le cœur d'un enfant.


Vivaldi - Largo From Piccolo Concerto (Best... par MucoForever

Franck.

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28 septembre 2013

Une île....

Je suis une île infatigable.
Je suis une île qui attend son naufrage
Je suis une île que les marées écorchent.
Une île brûlée par les passions défuntes
Une île foudroyée par l'attente
Une île sans rivage
Sans horizon
Si nue que le soleil ne la regarde plus.
Qu'un silence trop lourd pourrait faire chavirer.
Je suis une île infatigable.

Franck.

21 septembre 2013

Rouge.....

Le rêve était rouge.
D'habitude je ne me souviens pas de mes rêves. Là, il était rouge. Un envahissement de rouge. Une chute de neige rouge. D'où me vient cette image ? La neige rouge. Où ai-je lu ça ? Ce rouge est incrusté dans l'électricité de ma tête. Et dans mon rêve tout était rouge, même la neige. Surtout la neige. Une avalanche de sang cotonneux. Une sorte de plumetis vermillon sur l'écarlate de l'horizon. Comme à l'intérieur d'un corps. Les yeux du rêve pris dans l'épaisseur d'une chair ouverte. Sentine perdue et vorace. Chair vorace. Rouge. Elle est là, dans le rêve rouge. Là. Déplaçant une ombre pourpre. Une ombre de velours pourpre. Grande tenture lourde et pourpre. Je devine à peine son visage. Mais je sais qu'elle est belle. Mon rêve le sait. Pas besoin d'un visage pour savoir la beauté des êtres. Mon rêve le sait. Ses lèvres comme une blessure. Elle saigne. Des mots. Une parole cramoisie qui brûle. Une neige de feu autour. Elle brûle. Je brûle. On est dans le rouge. Le rêve nous a mis dans le rouge. Pour nous protéger. C'est certain. Protéger de l'innocence. La neige crisse sous nos pas. Il fait froid. C'est l'hiver. Un hiver rouge. Nous marchons en silence. Il n'y a pas de destination. Il n'y a jamais de destination. Quand on arrive c'est toujours nulle part. Pourtant ce rêve est un mélange. Dans ce rouge il y a l'expression d'une violence abrupte et dans le même temps une plénitude immense, intense. Je traverse la couleur et c'est comme une symphonie. Comme si elle était une musique. Des milliers de notes de musique tombent. Rouges. Sur le tapis rouge. C'est comme un bonheur cette marche dans le rouge. Un bonheur. Elle est là, à côté. Dans son silence elle me parle. Je l'entends. Il y a une tremblance, c'est par-là que je l'entends. Par la tremblance. Cet ébranlement du monde autour. On est sur ce chemin de chair rouge. Dans l'envahissement du sang. Invulnérable. C'est la sensation du rêve. Invulnérable. Pourquoi ce rêve ? La première marche de l'arc-en-ciel. Je ne sais pas lire les rêves. Parfois je lis certains dessins des étoiles. Jamais les rêves. Alors pourquoi ce rêve rouge. Et cette marche vers nulle part avec ce sentiment d'accomplissement. Comme si le rouge devait me parler. Me dire un secret. Comme si s'était ma seule destination. Une fatalité. Un bonheur incarnat. Et dans ses yeux cette poudre de cinabre, et dans mon cœur érubescent les étoiles amarantes. Et dans ce ciel garance despromesses de roses. 

Franck.

14 septembre 2013

Arbre...

Il y a ce rêve, sans doute veut-il me parler. Me signifier.
Dans ce rêve il y a un arbre. Massif. Imposant, au bout d'une plaine perdue. Inconnue. Un arbre posé dans le repli de l'horizon.
Je ne me souviens jamais de mes rêves. Là, il y a un arbre. Presque trop grand. Immense. C'est un rêve d'arbre. Quelque chose tire mon écorce. Quelque chose tord ma chair rigide et filandreuse. L'arbre est isolé. Seul. Paysage dépeuplé. Sauf l'arbre. Dans sa lenteur à vivre. Dans sa difficulté à dire. Dans l'étirement engourdi de sa fibre.

Hors de sa forêt l'arbre ressemble à une tragédie. Une lente lutte résolue tricotant de l'éternité dans les mailles inconstantes et inexorables des saisons. Déborder sa chair. Mourir chaque année et déborder sa chair quand même. Puissance lente, fatale, traversée de toutes les fragilités. C'est un arbre posé au loin comme un vaisseau tendant sa voilure au ciel. Large voilure de verdure argentée.

Je ne sais dire de quel arbre il s'agit, c'est n'est pas un chêne, peut-être un orme. Le rêve ne le dit pas. Le tronc est gros, lourd, sculpté de profonds ourlets, d'épaisses plissures, de longues blessures écaillées de temps. Bourrelets de croûtes de sève coagulées. Dans le silence de la plaine l'arbre déborde ses fractures, ses balafres, et chaque saison trace sa marque, sa morsure. Les crocs du temps se plantent dans le bois qui se donne, qui s'offre et s'épuise, ce bois qui s'appuie sur ses effondrements et qui se redresse de ses propres défaites en tirant sur ses bras décharnés, en saisissant une portion de ciel ou en accrochant ses branches à quelques nuages compatissants. C'est un rêve d'arbre. C'est donc un rêve de solitude. De patience.

Dans le rêve, il a cette plaine de nulle part et cet arbre dressé dans son silence. Et cette impression de silence dans le rêve. Et ce silence, là maintenant à l'heure de l'écriture. Comme une puissance. Comme une désolation. Quelque chose de la vie qui se survit. Quelque chose de la mort qui persévère. Une mort assidue, endurante, calme. Infatigable. Minutieuse. Et seulement la ramure dans le vent. Et seulement cet élan languissant presque immobile, engourdi par le délaissement, et cette tension sans fin. Un épanchement.
Il y a l'arbre dans ce rêve et moi qui suis comme l'arbre. Peut-être dans l'arbre. On ne sait jamais dans les rêves. Je suis l'arbre pris dans mon écorce. Et le tourment de mes branches. Comme l'arbre dans son travail d'arbre, à chaque temps du temps, grandir, à chaque cadence, déborder un peu plus. S'étirer au plus bas, au plus profond, pour monter au plus haut, au plus large. Comme la folie d'une chimère déraisonnable. Folie que ce vouloir sourd et douloureux d'aller prendre le silence de la terre, et à force d'épuisement, et à force de débordement, en faire le chant du vent. Rêve. Extravagance. Égarement. Désossement des terres noires avec lenteur et constance, à travers chaque saison. Même les plus froides, même les plus chaudes, même celles que l'on oublie. De siècle en siècle. L'arbre solitaire est comme la nuit, il n'a pas de lieu, seulement l'éternité comme un danger. Il est un dieu déchu condamné au murmure et à la prière. Il est un dieu déchu qui défie encore les cieux, et la foudre. Et la foudre.
A chaque strie, un chapelet tremblant.
A chaque strie l'incision des jours.
A chaque strie l'arbre dans sa croissance s'éloigne de lui et fabrique l'ombre qui l'emportera.
Et chaque feuille est comme le déploiement d'un mot.
Et chaque feuille récite la vie de l'arbre depuis son début, depuis le premier humus, et
chaque feuille dans son vacarme de verdure prépare le long silence de l'hiver.
Et chaque feuille est comme un poème qui expire dans le vent. Lente symphonie du dépouillement et de la croissance. Lente symphonie de l'écriture qui se déploie sur chaque strie du temps comme un cœur qui bat, comme une stridence au centre des fibres ligneuses.

Il y a ce rêve, sans doute veut-il me parler. Me signifier.

Il y a l'arbre dans ce rêve et moi qui suis comme l'arbre. Un rêve de la permanence et du précaire, de l'éternité dans l'éphémère. Un rêve de lenteur, de pesanteur. Comme une puissance. Comme une désolation. Et chaque mot serré dans l'écorce craquelée, venu d'une sève lente. Si lente. Macération lente d'amour. De débordement des chairs du bois, dans cet étirement vertical. Le gras de la terre noire plein les cuisses et le sexe, et les bras nus tendus vers un baiser insensé. Amarre tenace et solide où s'ancrent les cieux.
Il y a dans chaque arbre solitaire quelque chose de l'amour qui se dit. Quelque chose du vertical et du lent. Comme une cathédrale. Comme un navire. L'arbre solitaire est toujours un arbre amoureux, toujours. C'est un prophète qui scrute le silence pour s'en faire de l'écorce.
Là, dans sa plaine sans nom, il dompte l'éternel, et invoque ce viendra bien après l'éternel.
Dans le rêve il y a l'arbre solitaire, droit, dans sa résistance, dans sa paix, dans sa présence pure, comme une grâce.

Chaque arbre dans son mûrissement d'écorce fabrique les saisons. Sa tension vers le ciel cherche une éternité, c'est pour cela que nous y gravons nos cœurs enlacés, pour inscrire nos âmes amoureuses dans la vie du temps.
De la terre, aux constellations.
Car les arbres parlent aux étoiles, les oiseaux et le vent ne s'y trompent pas. Chaque arbre est une passerelle pour les cieux, le plus court chemin vers l'infini.
Et lorsque nous posons notre main sur leurs troncs, dans l'échange des sangs, c'est la vie incorruptible que nous cherchons, c'est l'évidence d'une révélation. C'est l'instant brutal multiplié jusqu'à la fin des temps.
Les arbres ne meurent pas, c'est ce qu'ils nous apprennent lorsque nos lèvres se posent sur les oreilles de leur écorce. Un et innombrable. Comme une présence irréductible. Seule la foudre les fait faillir, ou la hache.
Les arbres sont faits d'attente patiente et de solitude déployée en saison, ils sont le chant des siècles et le reposoir des dieux.

Ecrire c'est faire de l'arbre. C'est mûrir sous l'écorce de la parole, la saison à venir. C'est faire du temps, dont les mots sont les graines. Ecrire, c'est faire de l'arbre, c'est réunir la terre et le ciel, en dépliant chaque mot avec la persévérance du bois, c'est étendre le texte en tronc, en branches, en ramures, et jusqu'aux feuilles, et jusqu'aux fleurs, et c'est tendre ses fruits en offrande.

Franck.

22 août 2013

L'orage....

Entre l’éclair et le tonnerre il y a un espace de temps. Quelque chose est suspendue. L’attente urgente. L’imminence. La menace. La fatalité.
L’image éclate à la vue. Le temps se tord, le vacarme arrive, comme s’il arrivait d’une autre dimension.
D’abord le bruit du ciel est sourd, lent, invisible, le roulement est lointain. L’oreille s’alerte, l’œil ne voit rien. Le corps se met à l’affut.  Après, l’orage est là, et les choses s’inversent. D’abord la vue, après le craquement. Les sens se perdent dans cette désynchronisation.
Entre les deux phénomènes, l’un auditif, l’autre spéculaire, quelque chose se passe en nous. Quelque chose nous rassemble, nous retient, nous brûle. Au bout du compte nous augmente.  La conscience s’aiguise. Nous savons, et même temps nous ne savons pas. L’immédiateté fait défaut, il y a un écart, et cela nous plonge dans la stupeur. Ce temps d’écart n’est pas un temps vide. C’est un temps d’extrême agitation, parfois de peur, pas toujours. L’univers fait un pas de côté. Il nous requiert, et pourtant, dans cet écart même, nous ne sommes pas là. Nous nous absentons.
C’est le temps de l’écriture. Le juste avant, le juste après, l’entrebâillement du temps. Le passage entre deux dangers, entre deux catastrophes. Il n’y a pas nom pour ce passage. Pas de nom pour cet espace de temps. Le monde défusionne. Il se sépare. Ce trou dans la langue, ce manque à dire permet à l’écriture de passer. C’est le temps du surgissement. Le coin dans le bois qu’il déchire.
L’écriture nous vient de cette désynchronisation des sens, et du défaut de la langue pour nommer ce temps singulier. Quelque chose est à dire, nous ne savons pas quel mot convient, alors on tente de les dire tous, il y a un espace pour réordonner l’univers, c’est ce temps chaotique, silencieux, stupéfiant, toujours entre deux désastres. 

Franck

18 août 2013

Ce qui n'a pas de nom n'existe pas...

Ce qui n’a pas de nom n’existe pas.
Vivre c’est nommer. Tout le reste est voué à une longue dérive dans les limbes.
Aimer c’est nommer. C’est désigner le nom de l’amour.
L’inspiration, fait rentrer l’air dans les poumons. Il y a l’échange et la purification des sangs. L’air traverse la gorge. Puis il est pris dans la bouche. Les cordes vocales vibrent. Le nom de l’amour est prononcé. Une fois prononcé, ce nom est inscrit. D’abord dans les chairs. Puis dans le corps. Jusqu’à la peau des os.
Ecrire c’est nommer. C’est nommer passionnément, jusqu’à ce que la langue vienne à manquer. Passer du cri au chant. De la peur à la joie.
Je ne peux atteindre le silence qu’après avoir nommé. Avant, c’est la nuit de la nuit. Le chaos.  Ecrire, c’est vouloir quitter la nuit pour rejoindre le silence. Entre les deux il y a le nom de l’amour.
Nous sommes tous dans ce voyage. De la nuit chaotique à la nuit silencieuse. Entre les deux il y a le nom de l’amour. Il faut sortir de la nuit pour pouvoir y revenir.
Nommer c’est transformer le néant en infini. La frontière du mot créé agrandit l’univers. Dire le nom de l’amour, c’est agrandir l’amour. La pauvreté du mot ouvre sur la richesse de la langue.
Ce qui n’est pas nommer n’est pas vivant. Ce qui brûle en nous c’est le nom prononcé bordé par de vivants silences.
Taire, n’est pas le silence. C’est le contraire de l’amour. Ne pas savoir nommer n’est pas l’ignorance, c’est la peur du vivre. Ne pas vouloir nommer, c’est détruire le nom de l’amour.
Ecrire c’est rentrer dans la lumière du nom de l’amour.
Ecrire c’est le surgissement du mot, aimer c’est le surgissement du nom. Nommer est dans ce surgissement, c’est faire naître ce que le silence pourra emporter. Le silence ne vaut que par le mot qu’il contient.
Le poète écrit avec une encre mystérieuse qui s’efface à peine écrite, les mots s’en vont dans la nuit peupler l’âme des siècles.
Les amants ne connaissent qu’un nom qu’ils prononcent interminablement dans la nuit des corps et de la chair. Le seul nom de l’autre, dit comme une litanie. Ce seul nom qui contient tous les mots de la langue. Cette langue écrite avec une encre singulière, qui s’efface à peine écrite.
Ce qui n’a pas de nom n’existe pas.
Aimer, c’est dire le nom de l’autre. C’est faire un écrin de silence pour contenir l’univers. Le silence d’avant qui est néant, le silence d’après qui est lumière. Deux silences tissés dans la langue.
Ecrire est l’histoire de ce chemin qui part d’un silence et qui va vers un silence.
Un seul silence fait boiter la langue.
Un seul silence fait pleurer la chair.
Deux silences, le premier qui bénit l’autre.
Il nous faudra nommer toutes les étoiles du ciel dans un seul poème pour apaiser la nuit. 

Franck.

17 août 2013

La chair du manque.....

Contrairement aux aimants, les amants n’écrivent pas. Lorsque la chair est là, l’écriture s’efface. La voix se tait, comme absorbée. La chair fascine la chair, la tension du manque s’effondre, les mots s’absentent de la langue pour laisser place aux gestes archaïques, au mutisme. Les amants s’abritent sous de longs silences, et se cachent dans de profondes nuits.
Les aimants, eux, inventent des langues, des murmures, des prières, le mot fait chair dans le corps pauvre et nu. Ils peuplent les cloitres, les déserts, pour écrire une langue éternelle. Ils sont passés de « Elle me manque » à « ça manque », quelque chose manque et manquera toujours. Alors ils écrivent, non pour combler le manque, mais pour l’agrandir, et écrire devient la chair tremblante de leurs corps délabrés.

Franck

15 août 2013

Avant la chair....

Dans l’amour, il y a un temps avant les corps, avant la chair, il y a une aurore pale qui monte.
Dans l’amour, avant la chair il y a cette tremblance de la lumière, cette torsion du temps.
Dans l’amour, avant les corps, avant la chair, cela commence par un élargissement ; la ville, les arbres, les montagnes, la mer, l’espace. Cela commence aussi, par une urgence, une attente lente. Sourde. Au départ il n’y a rien qui ne trace cette attente, ni forme, ni visage. Simplement l’attente.
Une ignorance qui ne sait pas qu’elle s’ignore.
C’est la première forme du manque.
L’attente est l’ombre qui nous devance sans cesse ; le manque, le soleil qui la projette devant nos pas.
Dans l’amour, avant les corps, il y a le manque des corps. Avant la chair, il y a le manque de la chair.
Le manque est une contrée déserte, effondrée. Elle est inhabitable, pourtant chaque heure elle grandit un peu plus en nous. Dans l’amour, elle est notre unique chemin. Chemin de croix, au bout duquel la chair sacrée s’incarne.
Le manque est une promesse jamais tenue. Nous y croyons pourtant, puisque ne pas y croire serait mourir. Et l’espace s’agrandit sans cesse, reculant la frontière du désir, embrasant chaque parcelle de temps. Dans le manque la chair échappe à la chair. Elle s’efface devant le désir. Et on ne pourrait dire si cet effacement nous sauve ou nous tue.
L’attente se nourrit de l’attente, du manque fleuri du manque.
Nous venons d’un paradis, depuis ce jour le manque est notre seule canne blanche.

Franck.

14 août 2013

Colère.....

Nous naissons d’une colère. D’une vieille colère, d’une colère archaïque sans forme, sans fond, une sorte de stridence qui s’accroche à nos entrailles. Lorsque nous lâchons tout, elle résiste, elle ne nous quitte jamais. C’est elle qui qui nous tient rassemblé, uni, entier. L’écriture nous vient d’une colère d’enfance. De l’envahissement et du saisissement de nos chairs par un afflux de sang. Elle est inapaisable, c’est ce qui nous sauve. Notre part divine nous vient de cette colère. Nous aimons pour l’oublier.

Franck.

« J’avais peu de chaleur. Peu de chair sur les os. Cette chair ne suffisait que pour la colère, l’ultime sentiment humain. Ce n’est pas l’indifférence, mais la colère qui demeure en dernier, elle est le sentiment le plus proche des os. » Récits de la Kolyma, Varlam CHALAMOV(Verdier)

11 août 2013

L'oratorio de la fin...

(1er mouvement)
(Altos, haut bois, bassons, cors et quelques autres instruments) (Mouvement lento, forte) (Étirer les notes jusqu'à ce qu'elles cassent). (Toutes) (Les bémols sont proscrits, même s'ils sont écrits, ne pas les jouer)(Le chœur restera silencieux)(Le piano ne jouera que sur les touches noires)

Quelque chose se souvient. Quelque chose se souvient de la première nuit du monde. Epaisse et souveraine. La première nuit du monde. Une plénitude dans l'épaisseur. Grande nuit des dieux. Sans temps. Sans parole. Toute en prière. Première nuit du monde, où l'homme parlait seulement aux dieux. Où les dieux répondaient à l'homme. Et c'était un dialogue. Et c'était la première nuit du monde. Et chaque destin s'accomplissait, car il n'y avait pas d'événement, pas de quotidien, seulement des miracles ou des tragédies. Seulement de la rocaille et du vent.
Le laboureur levait sa face aux cieux, sa face de sillons lourds, sa face de glaise ravinée. Et le laboureur baissait les yeux. Et il s'attelait. Pour creuser sa vie. Et c'était la nuit du monde, la première, la seule, la grande. Un temps sans écriture. Seulement des signes, des marques, des stigmates. Et puis des incantations sous les étoiles. C'était le temps de l'ordre et de l'éternelle présence. Et les ombres avaient plus de vie que la chair. Temps fixe. Brûlant sous le soleil et le regard accablé des dieux. Et c'était un temps sans écriture. Le temps des pierres, sans futur, sans passé, sans issue. Un temps habité, sans espace. Des matins, des soirs, et la tragédie du vent entre les deux.

(2ème mouvement)
(Harpe, violoncelle, violons, piccolo, viole de gambe, timbales, triangle ou carré, guimbarde, et mirliton) (Je tiens particulièrement au mirliton)(Le chœur restera toujours silencieux)(Le piano ne jouera que sur les touches blanches... pour changer)

Et le jour est venu, et avec le jour, l'aube des temps. Et la lumière a palie les créations divines. Et avec le jour, l'écriture. Et avec le jour, la mémoire. Et avec le jour la peur. La peur du retour. La peur de la fin. Et avec le jour, la fin des prières. Et avec le jour, l'absence. Et avec le jour, le silence changea de couleur et de destin. Et le jour est venu avec l'aube des temps. Et l'écriture, et les voix de l'écriture, et les solitudes de l'écriture. Et les mémoires. Toutes les mémoires.
L'écriture porte en elle la tentation du retour, c'est pour cela qu'elle s'écrit à rebours du temps qui la dit.
Retour sur l'inaccompli.
Sur l'inaccompli des temps à venir. Sur l'inaccompli éternel. L'impossible accomplissement. L'impossible sacre.
La défaite.

(3ème mouvement)
(Tout l'orchestre)(Respecter les silences, tous les silences et les soupirs, tous les soupirs)(Les violons devront insister sur la couleur bleue, les cuivres se chargeront du rouge)(Le chœur continuera à être silencieux, il est la voix silencieuse, et la première nuit du monde)(Le chef s'inspirera du printemps et du vol des oiseaux pour guider l'orchestre)

L'écriture passe son temps à se suspendre, comme si dans ses stases successives se trouvait sa vérité ultime. La Vérité. L'écriture cherche son silence, dans l'au-delà des mots ou dans leur effondrement. L'accomplissement du dire dans le vide. Le vide d'après.
L'écriture est solaire, elle se souvient de la nuit, c'est ce qui en fait l'éternel chemin de croix, car l'écriture c'est la mémoire du désastre. Et l'écriture est solaire, c'est pourquoi elle a affaire aux ombres, aux traces qui s'effacent, aux rêves qui rattrapent nos gestes, à ce qui respire encore dans les coins les plus perdus de nos vies.
Comme si le geste d'écrire avait besoin de s'arrêter pour s'accomplir. L'ultime appel à la vie. Et le geste qui se resserre. Comme la matière dans l'atome. Resserrement de l'espace de l'écriture pour lui donner la puissance du cri. Le cri. Le mot dénué de parole. Le dire pur. Le tintement de la vie dans la chair.
La révélation.
Rimbaud cesse d'écrire. Cesse-t-il d'être poète ? Ou bien commence-t-il à le devenir ? Ou bien l'a-t-il toujours été ?
Qu'importe c'est toujours l'accomplissement dans l'inaccompli.
L'inachevable.
Le précaire comme horizon infini.
La peau vulnérable du poème se raidi jusqu'à la cassure, jusqu'à la faille de lumière brutale.
Ecrire c'est autre chose qu'écrire. C'est avant tout signifier le feu, et tout ce qui pourra détruire le feu.
Le feu. Le feu séparé de la chaleur. Le feu comme principe d'ascension et de disparition. Chemin de retour à la nuit.
Retour à la nuit lumineuse.

(Sur la scène il ne reste que le chœur. Alors on entendra un chant noirci, en contre chant, une mélodie jaune, un peu comme les champs de blés au début de l'été. Longue ascension de notes tenues jusqu'à la blessure.

Franck.

2 août 2013

Naissance.....

Le Reflux......

La douleur violente c'est peu à peu retirée. Marée basse. Lentement retirée. Chaque instant nouveau découvre l'étendue du désastre. L'infini du désastre. Plus je suis déserté par les eaux plus je perçois l'effroyable déchirure. Ecartelé, déchiré, je ne sens plus la torture dans ma peau, dans ma chair, dans ma viande. C'est plus sournois, plus diffus. Comme de l'eau qui se retire d'une plage. Une eau pleine de lassitude. Un effondrement si lent. Un effondrement vague après vague. Effondrement d'énergie. De l'âme. Après le corps c'est toujours l'âme qui veut disparaître.
Quelque chose de l'unité n'existe plus.
A chaque instant je crois me dissoudre dans le vide laissé par la déchirure, par la vague. Il n'y pas d'angoisse, pas de peur, seulement une tension permanente. Permanente, lancinante, agaçante. La sensation que l'océan se vide vague après vague. C'est ça qui use. Etre l'alpha et l'oméga du néant.
Au-delà du désespoir.
Un désespoir qui n'a pas de forme, pas de résistance. L'eau de l'âme déserte la plage. Il n'y a plus rien que le vide. Vague à l'âme. Vide épais, pesant. Le vide ce n'est pas un rien sans consistance, non, c'est un rien compact, pâteux. Il est sans forme, mais il est lourd, tellement lourd. Lourd comme l'éternité, comme la mort.
Vague après vague je disparais un peu plus, recroquevillé sur mon vide, sur mon absence. Séparé, divisé, déchiré, en exil de la vie. L'autre vie. Celle d'avant.
Avec seulement cette tension. A moins que ça soit çà. La vie. Le souffle tendu dans une attente vaine. Pas d'envie, pas de désir, que de l'attente. Attendre l'envie et le désir. Espérance de désir... pour désirer rien. Rien, jusqu'à la fin des temps.
Se souvenir. Ca ne marche pas. Je n'ai pas de mémoire. Les images semblent sortir de mon corps. Plus vivantes que moi. Mais ce n'est pas du souvenir. C'est du sang que j'entends battre sur mes tempes, c'est l'odeur qui envahie mes fosses nasales. Ma gorge.
Noir. Tout le reste est noir. Je n'ai plus de passé, d'ailleurs je n'ai plus rien. Je ronge l'attente comme un vieil os usé. Je ne peux même pas me tuer. Il n'y a rien à tuer. Personne. Je suis là. C'est tout, je suis là. Mais je n'existe pas. Tout a reflué. La plage est déshabillée, nue.
Je suis nu. Non. Je suis rien.
Quelque chose passe, s'épuise. Je ne sais pas ce qu'est le temps. Quelque chose s'épuise. Quelque chose en moi s'épuise. Du temps, du rien. Sans violence, sans révolte, comme la mer qui se retire. La mer qui s'enroule sur elle-même, qui s'absorbe elle-même, qui ravale ses sanglots, vague après vague, laissant derrière elle cette hideuse dentelle moussue, rouge, silencieuse qui s'accroche encore à quelques cailloux miséreux, qui n'en finissent pas de s'user, eux aussi
Je ne suis plus lié à mon corps. Je sens quelque chose qui résiste, alors je dis que c'est mon corps. Mais je ne suis pas sûr. Avec les dernières vagues mon image disparaît et les miroirs se taisent. Ils ne me savent pas. D'habitude les miroirs savent les images. Là, ils ne me savent pas. Pas encore. Pour toujours. Peut-être.
J'ai les yeux tournés vers l'intérieur. Même pas. Je suis aveugle. Le monde a perdu son épaisseur. Etranger, abandonné au-delà de la mer.
Au-delà de la mère. Bien après la dernière vague. Ce n'est pas un lieu, c'est.... ça ne se défini pas. Ca ne se dit pas.
La plage est vide, encore humide. J'ai tout oublié, l'eau, la tempête, le bruit, les cris, la souffrance. Je ne souffre pas. C'est pire.
Je vis.
Au fond de ma gorge, ce goût fétide qui m'empêche d'hurler. Ce goût laissé par la dernière vague. Senteur marine. Non, plus fade, comme l'odeur blanche de la mort. Je suis là dans un présent mobile, indéfini. Je ne sais pas si je dors, je ne fais pas la différence. A cause, sans doute, de ma mémoire. Saturée de douleur, de néant.
Le seul mouvement qui me reste c'est celui de la mère qui s'enfuie.
Je m'éloigne du rivage.
Toujours un peu plus.
J'entends ma respiration. C'est la mer qui rumine. La mer monstrueuse méduse halète.
Allaite.
Je vois son corps immense trembloter. Non, c'est moi qui tremblote. Je suis une méduse qui tremblote. La transparence épaisse d'une méduse échouée au bord de l'océan : et qui tremblote.
Une mère à marée basse laisse toujours une impression d'inachevé.
D'inachevé.
Elle pourrait descendre encore, descendre sans fin.
Mais, à un moment donné, il y a la dernière vague. Puis plus rien. Puis l'attente.


L'Etale....


A force d'attendre je crois voir les images.
Des morceaux d'images.
Mon corps de méduse est trop mou pour accrocher les images. Pourtant je les sens, elles s'incrustent, elles glissent, elles rampent. Ma tête ne peut les retenir. Ma chair non plus. Je ne comprends pas. Pas de maîtrise, pas de sens, pas de forme. Rien qu'une femme écrasée dans les plis désespérés d'un corps mou, translucide. Et moi. Et ça. Morceau d'image. Morceau de corps.
Pas de son, pas d'odeur.
Peut-être une odeur. Je ne peux pas dire ce que c'est. Une odeur. De toute façon elle est mélangée à la couleur. Peut-être l'odeur de la méduse. Je ne sais pas d'où elles viennent, les images. Les morceaux de cette femme. Cette femme éventrée. Il n'y à pas de sang. Pourtant elle est éventrée. Je le sais. Quelque chose de la méduse le sait. Au bout de la mère, au bout du mouvement ces choses là se savent. Tout le monde le sait qu'elle est éventrée. Pas besoin de sang pour le savoir. Les méduses ne saignent pas.
Immobile.
Je sors d'une blessure baveuse.
Je suis la blessure.
Pour toujours.
La mère immobile. Seulement les images superposées de cette femme. Je sais que c'est moi. Je ne le vois pas. Je le sais. J'ai toujours su qu'elle était éventrée sur des lits poisseux de désir.
Ma peau est gluante comme une méduse gluante.
Pour toujours.
Elle a cette sorte d'immobilité étrange. L'image. La femme. La mère. L'immobilité vertigineuse des rêves. La peau est pâle. Il faut dire la viande. La viande correspond mieux à ce que je sais. Une viande gluante, visqueuse, ouverte.
La femme est ouverte. Les cuisses sont ouvertes. C'est normal. C'est toujours comme ça. On dirait une méduse oubliée au bout d'une plage. Elle. Moi. Je ne suis pas sûr, parce que se sont des morceaux d'images. Et puis, je n'ai pas tous les mots parce que je suis en morceaux et ouvert.
Non, c'est elle qui est ouverte. Quand on est ouvert, on n'a jamais tous les mots. Je le sais. Tout le monde le sait.
Il faudrait faire des phrases. Pour mieux respirer. Des phrases longues avec de la mémoire. Je suis sûr qu'il faut de la mémoire. Tout le monde a de la mémoire et peut faire des phrases longues qui racontent des histoires. Les phrases longues, c'est pour raconter les histoires de la mémoire. Les histoires du temps. Du vrai temps.
Avec de l'avenir et du passé.
Non, pas du passé.
Plus jamais du passé.
La mémoire ce n'est seulement que pour du passé.
Je n'ai pas de passé, alors je n'ai pas de mémoire. Les images, c'est du présent. Rien que du présent. Tout est enfermé dans les images. Tout s'y arrête, comme la mer, comme la méduse.
Si seulement l'eau pouvait revenir. La mère. Mais elle est basse, moi, je suis trop las, trop lisse. Même éventré.
Trop lisse. Eventré de l'intérieur.
L'exil.
Je suis exilé. C'est le mot qui convient. Hors de mon lieu. Prisonnier ailleurs, plus loin, encore plus loin, dans les images sans doute. A l'intérieur c'est vide. C'est pour ça que je suis exilé. Un vide à l'intérieur qui sépare et déchire.


Le Flux......


Seulement un peu d'eau.
Le moment où l'univers reflue.
L'eau suce à nouveau la terre.
La terre aspire.
J'aspire
Comme un trop plein de vide.
Jusqu'à l'écœurement.
Tout d'abord il y un bruit imperceptible. Un peu de mousse qui se forme. Quelques bulles, un peu comme de la bave qui viendrait blanchir le sable. A nouveau. Quelque chose à nouveau s'accroche.
Entêtement fatal.
Avant le mouvement il y a l'intention du mouvement. Un désir, un rien. L'écume baveuse qui vient mouiller un peu plus loin le sable. On pourrait croire que cette mouillure tente de surgir du sable. Une mouillure de l'intérieur du sable.
Avant le mouvement il y a cette impression de suintement de l'intérieur.
La respiration vient après.
Du silence sort un souffle.
Il est diffus. Il est là : lent, profond, inévitable.
Inévitable.
C'est vraiment un souffle. Une respiration vivante.
L'infini qui respire.
Un trouble. Une ivresse.
Sensation troublante, comme est troublante l'apparition de cette mouillure venue de l'intérieur. Quelque chose de vivant. Trop vivant.
Cette respiration, cette succion, cette bave.
Rien n'est coordonné. Je ne perçois ces éléments que séparément. Pas d'unité.
Il n'y a pas d'unité.
Au début il n'y a jamais d'unité.
Que ce souffle. A l'intérieur. Plus d'eau. Seulement le souffle. La mémoire de l'eau qui berce.
Quand la mère se retire.
Quand la mère se retire il y a l'effroi. L'abandon à l'effroi. Bercé dans l'effroi. Je crie.
Rien que du cri. Pas les mêmes cris. D'autres. J'en ai plein la gueule. Ils me submergent, m'envahissent.
Maintenant la mer est à l'intérieur. La mère. Je crois. Son mouvement. Tout remue à l'intérieur avec cette respiration. Une vague moussue m'enveloppe, mais en dedans. Elle clapote insignifiante et têtue.
C'est quoi le néant ? La mère peut-être ? Sans doute. L'extase des ténèbres. La mère c'est toujours l'extase des ténèbres. Elle est là dedans. A jamais. Fascinante comme la mort, ou quelque chose qui y ressemble. La seule chose vivante ici c'est la mort.
Elle monte à l'intérieur comme une marée naissante. Le flux de la mort. Le reflux de la mère.
Maintenant la mer est là, qui monte comme une désespérante envie. Inexorable attraction du désir. Douloureux dans la chair. Plus profond encore que la chair. Dans le ventre. J'ai un océan dans le ventre. Un océan de désir douloureux dans le ventre. Quelque chose qui grossi, qui déferle. Vague après vague. Toujours plus haut. Plus fort. Impitoyable avalanche de la mer qui monte du plus profond du ventre.
Tout s'agite. Maintenant. L'univers bouillonne. Plus bas que le ventre, à l'endroit ultime d'où la marée remonte. Le seul endroit. Le lieu. D'où se dressent les vagues. Le trou obscur de l'univers.
J'entends les bruits de la mère. La mer s'arque boute sur un désir convulsif pour enrouler ses vagues toujours plus loin dans le ventre, vers une plage inaccessible.
Inaccessible. Voilà, c'est tout. Inaccessible. Le reste, tout le reste est un perpétuel recommencement.
La seule réalité ce sont ces marées inutiles dans un univers inutile.
Il y a quelque chose de vain dans les marées. Pendant un instant, pendant que la nature pousse on se prend à espérer. Puis elle reflue. Se recroqueville.
Les marées n'accouchent de rien. La mer n'accouche de rien. La mère aussi.
Sûr d'une chose. L'invincible douleur. Le mal absolu de la déchirure.
Rien d'autre.
Se taire.
Regarder la mer jusqu'à l'ultime marée.
Tout est dans ce mouvement qui donne l'illusion de la vie. Va et vient. Apparition. Disparition. On croit naître de ce mouvement. Illusion.
J'existe depuis avant. Avant la déchirure. Avant le mouvement.
Comme la méduse.
Je suis né d'un va et viens. Du frottement des chairs. De l'usure désespérée des chairs entre elles. Rien de plus. Rien de moins.
Rien de beau là-dedans. L'usure inéluctable du va et vient des chairs. De la mer. De la mère. Né d'un épuisement de l'eau.
Illusion d'amour ou croire à la nécessité des choses. Rien n'est nécessaire. Au mieux il y a l'usure.
Danse macabre de l'usure des chairs. Deux méduses aussi vaines l'une que l'autre. Rien de nécessaire là-dedans.
L'amour. L'absence. Illusion de l'autre. C'est toujours le même vide, à cause de la même déchirure. La mer se contemple seul.
La mère aussi.
La seule réalité c'est le va et vient de la mer, ces marées qui montent et qui descendent, cette usure des chairs. Il n'y a rien à trouver, pas le moindre sursit.
Au mieux expier des illusions. Pris dans un jeu de reflets.
Jouet des transparences.
Pourtant la jouissance se dit dans des hurlements de bête.
La naissance aussi.
Les mêmes cris. Je viens de cette usure des chairs et d'un désir douloureux.
D'un reste.
D'un surcroît de tristesse au bout d'une plage désertée.
D'un épuisement.
Ne l'oublie jamais. Jamais. Méduse abandonnée. Rien de plus.
Le reste d'un combat obscène et douloureux. Des corps qui s'entremêlent dans le désordre d'un désir brutal. Des corps qui mugissent, se tordent. Des corps violents. Des chairs offertes.
L'extase. Comme un effondrement. Comme à l'heure incertaine du soir. Heure incertaine.... Plus tout à fait le jour.... Pas encore les ténèbres. L'effondrement progressif de la lumière. Extase où la mort bave ses poisseuses secrétions.
Extase. Torpeur des frottements. Usure des chairs. Du temps.
Quant au reste c'est l'histoire d'une marée. Perpétuelle ignominie.
Vacuité insoutenable.

Franck.

1 août 2013

J'étais la poussière.....

J'étais la poussière et le sable, et tu fus la semence du vent, et l'éclair.
J'étais naufragé, et tu t'es faite île. J'étais la soif, et tu t'es faite fruit. Je n'étais qu'une écorce, tu m'as fait arbre.

Tu m'as poussée aux frontières des enfers, aux bords de ces abîmes, de ces archipels pourpres. Infatigable. Tu étais cette lande amère offerte aux souvenirs, qu'une aurore veuve et squelettique incendiait chaque jour. Chaque nuit.

J'étais pauvre, tu m'as donné la démesure, et la sérénité, et le soulagement de l'attente. J'étais le chaos, tu m'as appris la grâce, l'élégance du geste qui s'enroule sur l'ombre des heures. Je n'étais qu'un son dissonant, tu m'as montré l'octave, lorsque les notes s'épuisent et se faufilent dans les harmonies immaculées. Je n'étais qu'une écume pauvre en déroute, tu as su la tisser en dentelle de givre.

Tu as soufflé sur mes plaies dérisoires, oubliant tes humeurs, tes rumeurs, tes horreurs, tu as soufflé sur mes plaies vaines et frivoles avec la patiente douceur d'une mère attentive, avec cette complicité de sœur câline, la tendresse d'une femme amoureuse. La tendresse d'une flamme généreuse. Tu fus la chair de mes os, et tes mains, la peau de mes rêves.

J'étais la poussière et le sable, et tu fus la lumière et l'étoile. Jétais misérable, et tu m'as fait sentier, chemin, passage, pèlerin embrasé. J'étais taciturne, tu fus ventre de délivrance d'aube. J'étais un puits sans fond, tu m'as offert la chair de ta margelle, le chant de ta poulie, l'alliance de ta corde.
Je n'étais qu'un désert, tu m'as fait citadelle Je n'étais qu'une friche, tu m'as fait jardinier. Je n'étais que silence, tu m'as fait symphonie. Tu m'as offert tes mots pour nourrir ma parole, et tes incantations pour guider mes prières. Tu étais cette voix fauve sarclée de ferveur exaltée, incandescente, étincelante. Et tu étais un orage, un tourbillon enluminé d'innocence égarée. Un royaume sans frontière.

J'étais la poussière et le sable, et ton vent a soufflé pour disperser mes cendres, et je devins nuage poussé par ton absence. Et je devins un ciel de miséricorde traversé de lenteur blanche.
Un rêve de papier débarrassé des marges.

Franck.

31 juillet 2013

Une marée à l'envers...

L’écriture ne tient que dans le renoncement à la littérature. Que dans le constat toujours renouvelé, que nous sommes à la fin d’un monde.
Le corps n’est plus le lieu de passage de la langue, les chairs ne tremblent plus d’une ferveur sacrée. Le corps qui fut le lieu de la mémoire, n’est aujourd’hui que le lieu des records…
Ecrire suppose une ignorance définitive et absolue ; la non espérance en un devenir littéraire.
Ecrire est un geste déjà advenu. C’est parler une langue morte. Ecrire, c’est maintenir le geste qui en se dévoilant, défait la langue même dans laquelle il prétend se déployer. Une marée à l’envers, où la mer ravale une à une ses vagues, découvrant un vide toujours plus grand….
Saturne dévorant ses enfants.

Franck.

21 juillet 2013

La chair et le corps.....

L’âme n’est qu’une chair défaite. L’écriture n’est qu’une chair défaite. L’amour est le brasier dans lequel se consume cette défaite. Là se tient toute l’équation. Une équation où tous les termes sont inconnus. Une équation qui ne sera jamais résolue. Le corps est le lieu muet et constant de nos énigmes.
L’écriture épuise le corps.
L’amour épuise le corps.
L’âme est un corps déjà mort et ressuscité.
Nos pensées ne dépassent jamais les contours de notre corps.
Nos rêveries ne sont que de la chair en déroute.

Franck

 

« Car un cheval s’affaiblit beaucoup plus facilement qu’un homme, bien que la différence entre leur ancienne et leur nouvelle condition soit incomparablement moins grande que dans le cas des hommes. On a souvent l’impression – et il en est probablement ainsi – que l’homme a émergé du règne animal, qu’il est devenu un homme, c’est-à-dire une créature capable d’inventer des choses comme nos îles(1) avec toute l’invraisemblance que comporte leur vie, justement parce qu’il était plus endurant sur le plan physique que n’importe quel animal. Ce n’est pas la main qui a fait d’un singe un homme, ce n’est pas un embryon de cerveau et ce n’est pas non plus l’âme : il y a des chiens et des ours qui agissent plus intelligemment et de manière plus morale que l’homme. Et ce n’est pas non plus parce qu’il a maîtrisé la force du feu : tout cela est arrivé bien après que se fut réalisé la condition essentielle de sa transformation. A une époque, dans des conditions semblables pour tous, l’homme s’est révélé le plus solide, le plus endurant sur le plan physique, de tous les animaux….
Un cheval ne tient même pas un mois d’hiver ici, exposé au froid de l’écurie et soumis à un travail pénible et prolongé en plein gel. A moins que ce soit un cheval iakoute. D’ailleurs, on ne les fait pas travailler ceux-là. Il est vrai qu’on ne les nourrit pas non plus. L’hiver, comme les rennes, ils creusent la neige de leurs sabots pour mettre à nu l’herbe desséchée de l’année précédente. Quant à l’homme, il survit. Peut-être vit d’espoir ? Pourtant il n’y a aucun espoir. Si ce n’est pas un imbécile, il ne peut pas vivre d’espoir. Voilà pourquoi il y a tant de suicides. L’instinct de conservation, le fait s’accrocher à la vie et de s’y accrocher justement sur le plan physique – cet instinct auquel est également subordonnée sa conscience -, voilà ce qui le sauve. Il vit de ce qui fait vivre la pierre, le bois, l’oiseau et le chien. Mais il s’accroche à la vie. Et il est plus endurant que tous les animaux. »

Varlam CHALAMOV : Récits de la Kolyma (p129)

(1)Il s’agit des camps, des îles de « l’archipel du Goulag »

20 juillet 2013

Le corps de l'autre aimé....

Je ne sais plus où j’ai lu cela, l’ai-je lu vraiment ; la chair que nous avons aimée habite à jamais notre corps.
Cela ne ressemble pas à des souvenirs, cela touche une mémoire plus profonde, plus archaïque. Cela touche au sang, à la respiration. On ne sait pas dire cette chose, les mots de notre conscience vive se dérobent. La chair en nous de l’autre aimé est une ombre silencieuse qui accompagne notre regard, parfois notre joie, souvent notre tristesse.

Nous sommes faits de temps dévastés, comme une aurore qui se lèverait sur le champ des combats enfin terminés, avec ces dépouilles, cette apocalypse, ces vols d’oiseaux noirs, ces gémissements. Nous sommes des survivants hagards, errants dans les silences d’une mémoire incompréhensible, buttant sur les traces, les restes, les ombres, qui hanterons jusqu’à la fin nos nuits.

Seuls les mots de l’écriture effleurent, en nous, ce corps de l’autre aimé. L’écriture, et le corps de l’amour sont de la même espèce, de la même terre, faits d’absence, d’oubli, de surgissement.

Nous avons en nous, au moment où nous venons au monde, un livre déjà écrit dans nos chairs, vivre c’est tenter de le décrypter, écrire c’est en continuer le récit.
Ce livre ne raconte pas notre vie (rien ne peut la dire), il nous dit les temps passés et à venir, les ombres, les peurs, la nuit, il nous dit toutes nos défaites, nos prières, et encore la nuit, il nous dit tout ce que notre langue n’ose pas prononcer.
Le corps de l’autre aimé est là.
Plus vivant que nous, sans doute ; présence brûlante, palpitante, parfois brutale comme la foudre.

Les souvenirs ne disent rien, ils sont comme les écorces abandonnées d’une forêt impénétrable, nous n’avons que ce récit ancien, ce livre et ce corps, modelé dans une trop vieille parole.

Franck

13 juillet 2013

L'hiver des sillons....

Toujours ce qui fascine c'est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L'imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement. Ecrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. La forme produit du sens, le laboureur le sait bien, lui qui s'applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Et ainsi, de sillon en sillon, toujours le même et à chaque fois toujours différent. L'épreuve renouvelée sans cesse. Et la puissance de la récolte tient à ce consentement à l'harmonie de chaque sillon. La perfection du trait. Le goût du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croûte de la terre pour en faire apparaître la mie. Et chaque sillon est l'histoire d'une vie. Et chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts. Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure et de précaution. Le geste est puissant dans l'élan, léger dans sa peine, car il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coup. Le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte et pain. Et la forme du champ appelle la veillée, et les ombres, et le silence du repas partagé. Et le pain a la couleur de la terre. Et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Et elle porte une croissance qui la dépasse et qui l'anoblit.

Ce champ est beau des moissons qu'il soulèvera. Et le texte tient debout par un sens qu'il ignore. Le texte brille de ce qui n'est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, et par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.

Les champs de blé nous émeuvent parce qu'on entend dans leur crissement, l'été, le souffle du laboureur qui a retourné cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons. Ce qui nous plait dans le balancement des épis c'est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l'or du champ c'est le souvenir de cette terre nue et noire, cette terre hachurée, éraflée. Ce qui nous saisi dans le texte, c'est la qualité du silence qu'il tisse avec nous. Comme si l'important n'était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots. Des contre temps, dans le temps des saisons. Ce goût de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.

L'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.

Franck.

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