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J'irai marcher par-delà les nuages
30 octobre 2005

Ce que le printemps fait........

J’ai porté chaque jour ta voix. Vraiment porté, avec tous les muscles du corps. Jusqu’à la douleur. Jusqu’à l’épuisement. J’en ai fait mon sang. Jusqu’à l’empoisonnement. Entre toi et l’étoile il n’y avait qu’un souffle. Entre moi et l’étoile il n’y avait qu’un gouffre. J’ai porté chaque jour ta parole, la plus enchevêtrée, la plus fervente, la plus flamboyante, mais nul chemin ne mène de mon ombre à ta lumière. Mais nulle route nous destine. Aucun ciel nous espère. J’ai baisé sur tes mots les bords tranchants de tes cicatrices. J’ai semé dans tes champs, griffés de labours. J’ai semé dans tes veines de terre noire, espérant des moissons de couleurs. Je me suis fait chevalier, prince, roi, jardinier. J’ai sacré chaque aurore et béni chaque crépuscule. J’ai scellé dans les roses, en leur centre incandescent, quelques gouttes de rosée pour adoucir les feux de l’été. Je me suis fait pèlerin, bateleur, vagabond. Je me suis fait mendiant pour recueillir tes restes. J’ai chanté, j’ai dansé, j’ai ri quand il fallait rire. Et pleuré. Et pleuré. J’ai appris ton silence, ses épines, ses gloires, j’en ai fait ma nourriture, mon horizon. J’ai brassé mon attente pour en faire la voûte des jours à venir. J’ai martelé ton seuil, jusqu'à l’aveuglement. J’ai inventé des rêves à mes rêves et rajouté du manque à nos distances. J’ai accroché ma vie à la dérive du temps, et accroché mon cœur à la queue des comètes. J’ai effrité chaque saison, égrainé chaque heure, émietté chaque seconde pour en faire une allée assez douce à ton pas, où même ton ombre n’aurait pu se blesser. Je t’ai maudit, aussi, et détesté te maudire. Je me suis bannit, exilé, méprisé. Je me suis caché derrière mes propres ruines. Je me suis abîmé dans mes égarements, bu l’eau saumâtre de mes puits d’amertume.

Pourtant j’ai renommé chaque étoile pour t’en faire des pays, des voyages, des oublis, des processions, des fiançailles. J’ai inventé des mers, des orages. Avec mes nuages, j’ai dessiné pour toi des escaliers immenses, tendus vers le soleil. J’ai ramassé chaque brindille de nuit pour t’en faire des archipels exotiques aux odeurs de vanille. Et je l’avoue, j’ai désiré tes yeux, tes lèvres, la peau de ton cou, la forme de tes seins, la courbe de ton ventre. J’ai composé pour te rejoindre des caresses imaginaires, chimériques, faites de respirations prises aux cratères des volcans, ou dérobée à la voix abandonnée des saintes. J’ai désiré tes mains au creux des miennes. Simplement. Même tes larmes. Même tes peurs. Je voulais déclouer tes mots de tes souvenirs. Je voulais pour tes mots un ciel entier. Un ciel et l’océan pour les contenir, des vagues pour les mélanger, des écumes pour les orner, des tempêtes pour les dire. J’ai épuisé ma langue, en oubliant l’essentiel. J’ai cru que ma parole brûlait comme un cierge qui délivrait ses mots en consumant sa flamme. J’ai épuisé mes jours sans rien dire d’important. J’ai refait cent fois la route de la lune au soleil en fouillant tes mystères. Sans jamais rien comprendre. Mais entre toi et l’étoile il n’y avait qu’un souffle. Entre moi et l’étoile il n’y avait qu’un abîme. J’ai porté chaque jour ta parole, la plus enchevêtrée, la plus fervente, la plus flamboyante, mais nul chemin ne mène de ta lumière à mon obscurité. Tu avais l’abondante blancheur ourlée d’un grand lys, qui promène son auréole aux pieds des mondes crucifiés. Je n’avais que la grâce pataude de ces avancées frileuses, engourdies par les neiges trop lourdes de ses hivers trop longs. J’ai épuisé ma langue, en oubliant l’essentiel. J’ai oublié d’être poète et de dire avec lui, toutes les paroles en une seule suffisante :
" Je veux faire avec toi
Ce que le printemps fait avec les cerisiers. "

Franck/
Et P. Neruda

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1 novembre 2005

Dis-moi...encore...pour toujours......

Tes mots me touchent comme s’ils avaient des poings qui s’abattraient à toute volée à l’endroit de ma face, sur le nez par exemple. Je lis tes lettres et ça fait comme des brûlures. Je lis et ça fait des cicatrices, comme une lame d’acier dans le vermillon de la vie.

Tes mots me touchent comme s’ils avaient des mains. Des mains douces. Des mains qui se poseraient sur ma peau cornée et usée, à l’endroit du cœur. A l’endroit des battements. Je lis tes lettres et cela fait des caresses. Je lis et cela fait comme un souffle, comme une eau transpercée de lumière.

Dis-moi encore les terreurs de l’amour
Dis-moi encore les envoûtements de ta vie.
Apprends-moi les ténèbres, moi qui me crois voyant

Dis-moi encore tes secrets d’amour.
Dis-moi encore les magies de ta vie.
Apprends-moi le ciel, moi qui ne fais que le traverser d’un pas agité et inquiet.

Chante pour moi. Hurle pour moi.
Danse pour moi. Chiffonne-toi pour moi.
Ris pour moi. Pleur pour moi. Pour moi seul.
Raconte-moi l’amour de dieu et des hommes. Dis-moi leurs chairs et leur sang.
Raconte-moi la fourche de satan et la queue du mâle. Dis-moi leurs viandes et leur foutre.

Dis-moi l’enfer qui vrille ta mémoire.
Dis-moi ton délire lancinant et mortel.
Dis-moi tes os et leurs cendres et leur haine.
Dis-moi tes cuisses ouvertes et les tritons que tu recèles.

Dis-moi l’éternité qui porte tes offrandes.
Dis-moi ton âme murmurante et fragile.
Dis-moi ton corps et sa flamme et sa piété.
Dis-moi tes cuisses souples et ces coquillages que tu protèges.

Dis-moi toutes ses choses.
Dis-le moi, mille et une nuits, et quelques siècles de plus.

Dis-moi le marbre froid de ton cou.
Dis-moi les vipères de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son abîme.
Dis-moi tes râles, tes pertes blanches, tes indécences, tes violences

Dis-moi la douceur de ton cou.
Dis-moi la forme et la pâleur de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son velours.
Dis-moi tes soupirs, tes abandons, tes pudeurs, tes outrages.

Dis-moi tes litanies comme un poison à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand elle est sacrilège.
Dis-moi le ricanement quand tu plaisantes de moi.
Dis-moi tes conjurations quand je suis trop près de toi.
Dis-moi tes cauchemars et tes arcanes.
Dis-moi la bile de ton sang.

Dis-moi ton chant quand tu le donnes à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand tes voiles se défont.
Dis-moi ton rire quand tu te dérobes.
Dis-moi ta prière quand je dors près de toi.
Dis-moi tes rêves et tes mystères.
Dis-moi tes larmes, dis-moi ta joie.

J’aime tes affronts quand ils disent : vas-t-en.
J’aime ton cri qui arrache les miens.
J’aime ton bec quand il déchire mon nom.
J’aime tes crocs qui serrent mes paupières

J’aime tes mots quand ils disent : je t’aime.
J’aime ta voix quand elle s’offre à ma voix.
J’aime ta bouche qui appelle mon nom.
J’aime ta langue sur le bord de mes yeux.

Dis-moi l’incendie qui dévaste ta langue.
Dis-moi la substance qui écorche tes veines.
Dis-moi les cyclones qui brassent ainsi ta chair.

Dis-moi le feu qui brûle ton esprit.
Dis-moi l’étoile qui coule dans tes veines.
Dis-moi tes tempêtes de chair.

Dis-moi surtout la paix et le recueillement et l’abondance dans le renoncement.
Dis-moi la sagesse des sables et comment on dénude son cœur pour marcher sans impatience vers un point d’eau perdu au fin fond du désert. Dis-moi les paysages de neige, les lumières d’un hiver, et le givre comme un gant de dentelle sur les ramures déshabillées des grands cerisiers.

Franck

5 novembre 2005

Ce n'est pas triste, perdu......

Certaine fois je me dis que les images qui reviennent ne m’appartiennent pas. Pourquoi la mémoire choisit ce souvenir plutôt qu’un autre ? Pourquoi, cette mémoire efface-t-elle tant d’images ? Pour n’en garder que quelques unes. Comme les photos que vous prenez. Au moment où vous appuyez sur le déclencheur vous avez l’impression de fixer une chose inoubliable. Vingt quatre poses d’éternité. Puis, quand vous les avez devant vous, une fois développées, vous vous rendez compte qu’elles n’ont aucun intérêt. Vous rangez la pochette dans un tiroir. Et l’affaire est pliée. Je ne prends plus de photo depuis longtemps. Et surtout je ne veux être sur aucune photo. Sans doute mes souvenirs subissent-ils le même chemin. Pas de trace. Aucune. Je ne laisserai rien. Mon dernier souffle finira de m’aspirer. Une bulle de savon qui claque. Ploc ! Et puis, rien. Et c’est bien ainsi. Mes deux valises finiront chez Emmaüs ou dans une poubelle. Rien. Instantanément mes mots s’effaceront. Et s’effaceront le bien et le mal qu’on m’a fait, et le bien et le mal que j’ai fait. Rien. Pas de trace. Je n’ai pas le sens de l’humanité, ni le sentiment d’appartenir. Sans doute un reste d’orgueil. Car il en faut beaucoup pour vouloir n’être rien. Les groupes, la communauté, mes congénères, tout cela m’est étranger. Je les vois, bien sûr, mais comme derrière une glace. Je suis à coté. Non, en fait, je suis loin. Déjà loin. Il faut se mettre en route de bonne heure si l’on veut s’échapper. Je ne crois qu’en une seule chose : deux regards qui se fixent, s’absorbent et se reconnaissent dans l’instant où ils se captent. Et brusquement la neige du Kilimandjaro fond et se répand comme un déluge de miel tendre. Le reste, n’a aucun intérêt, comme les photos que vous rangez dans un tiroir pour les oublier. Deux regards, juste avant les deux peaux, juste avant les deux sangs.

Parfois, il y a des instants qui sortent de la chronologie du temps, comme une pierre qui affleure au milieu du torrent. Le courrant vient butter, mais il la submerge, la contourne dans un éclat d’écume. L’eau gargouille un peu, brille un peu dans le soleil et continue son chemin. Voilà, mes souvenirs sont ces pierres, sur lesquelles je m’appuis pour remonter le courant, et mon écriture c’est l’écume. Rien que de l’écume.

C’était, il y a longtemps. Le temps où je traversais l’Afrique. Où mon sac était trop lourd de trop d’illusions. Le temps où la fuite se nommait espérance. A dix-neuf ans on ne connaît pas le sens des mots. La compréhension n’arrive qu’avec les brûlures. Il faut d’abord pleurer pour que la parole s’éclaire un peu. A dix-neuf ans je n’avais pas encore assez pleuré. C’était, il y a longtemps. Pour survivre, je vendais des encyclopédies à des gens qui n’en avaient pas besoin. Le prix d’un livre inutile pouvait atteindre deux à trois mois de leurs salaires. Eux, les gens, les Africains, à qui l’on vendait ces livres, voulaient nous ressembler. Si seulement ils savaient ! Si seulement j’avais su ! Pendant trois semaines, nous ratissions une région. Trois semaines de brousse. Tout ce qui se trouvait à cinquante kilomètres d’Abidjan s’appelait la brousse. Là, nous étions au centre de la Cote d’Ivoire, au beau milieu de la forêt tropicale. En réalité dans les bourgades, les petites villes. Nous roulions sur des routes de latérite et nous nous arrêtions à chaque fois que nous repérions au moins deux maisons en dur. Trois semaines, c’est long et c’est court à la fois. Le samedi soir il fallait s’occuper, sortie de nos chambres non climatisées et des moustiquaires trouées. S’occuper et regagner une rive connue. Poser le voyage quelque part. Se dire qu’on n’est pas perdu au milieu d’un continent. Que la route empruntée, n’est pas un cul de sac. Qu’il y a une issue à la route, à la chaleur, à la moiteur, aux moustiques. Qu’il y a une issue à tout ça.

Les villes de brousses sont toutes identiques. La route les traverse, quelques routes ou chemins transversaux, quelques bâtiments administratifs avec leurs grands toits de tôle ondulée, un ou deux magasins où l’on trouve de tout, tenus généralement par des libanais, une ou deux pompes à essences, et disséminé quelques maisons protégées pas des murs bas et des jardins. A la périphérie, une ou deux entreprises, scierie, transport, construction et surtout les petites maisons des habitants. Des vrais. On leur a appris la ville en les laissant autour. On leur a appris les maisons en construisant des villas vides. Les villes de brousse sont toutes identiques, avec cette végétation qui envahie tout. Les herbes hautes. Là des bananiers, ou des manguiers, ici un flamboyant ou un fromager avec ses drôles de nervures à la naissance du tronc, comme des empennages d’avion. Elles sont toutes pareilles, ces villes, qui n’en sont pas. La même chaleur, la même boue après la pluie. Les gens les traverses, à pied ou en vélo. Ils sortent de nulle part, et vont vers nulle part. Ils traversent sans s’arrêter, chargés de toutes sortes de fardeaux, valises, ballots, bassines vides ou pleines, transistors, ils poussent, ils tirent, ils portent, ils dansent. Les villes de brousse possèdent toutes un lieu de rencontre où les blancs et le pouvoir local se côtoient. Ce sont souvent des bars, des hôtels. J’ai connu quelques un de ces endroits du monde. Le Yargla à Gao, sorte de caravansérail, où se mêlait les petits trafiquants de voitures, les marchands de moutons, les aventuriers du désert. Je me souviens aussi de ce bar sans nom, à Mopti. A coté du fleuve. Lieu d’alcool et de violence. De fumée et de filles sans nom.

Dans cette ville de brousse il y avait un bar comme cela. Un truc perdu pour des gens perdus. Lieu d’alcool, de tension brutale, de voix fortes. C’était le rendez-vous des forestiers. Ce sont des lieux où tout peut arriver, parce qu’au fond du verre il y a l’espoir, parce qu’au bout du verre il y a le rêve. A ces comptoirs s’accoudaient toutes les culpabilités du monde, toutes les lâchetés, toutes les fuites, tous les remords, tous les regrets. Et les grands ventilateurs brassaient la puanteur, la sueur, la poisseur. Et les grands ventilateurs faisaient flotter les jupes courtes des filles offertes. Des filles offertes aux yeux brûlés. Des filles brûlées aux yeux offerts, aux corps vendus. Rires forcés par les liasses de billets. Filles offertes aux mâles qui puent le mal.

C’était le rendez-vous des forestiers. Quand je suis rentré à l’intérieur il y avait déjà du monde, du bruit. Le ventilateur brassait. La patronne trônait derrière son bar. Patronne, matrone, sur le retour, avec son accent marseillais, avec son maquillage dégoulinant. Il faisait déjà nuit. La nuit tombe vite en forêt, dans ses villes de brousse. Samedi soir forestiers. Il faut les avoir vu. Dans leurs ivresses frelatées. Je ne sais pas s’ils existent encore comme cela. Ils étaient une race d’hommes à eux tous seuls. Une race sans dieux. Ils vivaient, la plus part du temps, au milieu de la forêt, dans des campements de fortune. Ils passaient leur vie à chercher les essences rares, à les repérer, à les marquer. Ils arpentaient le monstre grouillant de la forêt en quête d’une folie ou d’un oubli. Accompagnés de quelques porteurs, sur lesquels ils avaient pouvoir de vie et de haine, ils saignaient, mesuraient, comptaient, durant des mois. Sans arrêt. Qu’y a-t-il au bout de la forêt ? Encore la forêt. La forêt n’est pas propice aux rêves. Car elle est là. Si forte, si présente. La forêt ne permet pas de réfléchir, d’imaginer. Y être c’est déjà vouloir en sortir. Les forestiers gagnaient gros. Le prix d’un voyage impossible. Alors quand ils revenaient dans un port, même un port de brousse, ils arrachaient avec les dents leur sueur et leur suaire, ils se jetaient dans l’ivresse comme pour embrasser l’horizon. En un soir il fallait assez de démesure pour effacer tant de jours de forêt obscure. Effacer en un soir la détresse de six mois. Retrouver en une heure l’illusion d’une dignité. L’illusion d’une indignité. La forêt épuise, ronge. Ronge à l’intérieur. Elle vous mange du dedans. Elle vous avale la bouche et les mots qui vont avec, elle vous gratte les yeux, vous fait pourrir la peau. Elle vous suce le sang, les sucs, l’envie, le désir. Elle vous prend le ciel et les étoiles et votre âme en supplément, elle s’accroche à votre peur et ne vous lâche plus. Alors l’ivresse, comme profusion, comme salut, comme résurrection. Ivresse frelatée, faite de mauvaise bière, trop chaude, bues trop vite. Ne plus penser à l’humidité, à l’oxygène qui manque toujours, aux insectes extravagants, aux rampants insensés, aux cris des singes, à tous ces bruits inconnus, à la folie qui monte, à la solitude qui bouffe vos entrailles et qui vous colle la cervelle aux parois de vos manques. Alors l’ivresse comme les seins de la mère, comme les premiers abandons, comme une île qui vous sauve du naufrage. On les reconnaissait bien, les forestiers du samedi soir. Rasage, lotion bon marché, et les mains écorchées, et le visage mutilé par les absences, et cet éclat dans l’œil qui regardait les fesses des filles de la patronnes.

Drôle de lieux, drôle d’hommes. Drôle de samedi.
Elle est entrée avec un homme. Ils connaissaient bien l’endroit. Ils avaient leurs habitudes, leurs connaissances, leurs tutoiements. Elle a embrassé la matrone, et a suivi son mari, sous le grand ventilateur. Elle était blonde. Vêtue de blanc. Un pantalon de toile blanche et un chemisier, plutôt une chemise d’homme. Sa peau dorée sous le blanc, et sous l’or qui pendait à son cou, à ses poignets. Peut être quarante ans. Peut-être moins. Une beauté évidente et sûre. Mince, avec des gestes gracieux. Elle paraissait étrange dans ce lieu du bout du monde. Je l’ai vu entrer et je l’ai trouvé belle. Infiniment belle. Infiniment blanche. Infiniment désespérée. Dans ses yeux bleus, dans sa blondeur ondoyante sous le grand ventilateur.

La nuit n’en finissait pas de s’effondrer sur elle-même. Son homme était parti rejoindre les forestiers, leurs voix fortes, leur ivresse, et les filles aux jupes trop courtes. Elle restai là, seule, infiniment seule, et blanche, et triste, et patiente, et seule, et triste. Posée au milieu de l’Afrique, au bout de cette route perdue. Un voile sur les yeux, et le regard au loin de sa vie.

Moi, je la regardais, elle était comme une apparition, comme un songe. L’espace d’un instant elle devint l’unique.

C’est elle, qui est venue s’asseoir à ma table. Il était tard. Elle a posé son whisky sur ma table. Elle connaissait tout le monde ici. Moi, j’étais une tête nouvelle. On a parlé. Je lui ai dis, ma jeunesse, mon voyage, le désert. Et elle m’a raconté, l’ennui, la chaleur étouffante, l’ennui et l’amour qui s’en va. Un mari qui l’oubli, une maison trop grande. Des aventures rapides, imparfaites, elle m’a dit le poids des silences, des regards, et l’ennui, toujours l’ennui. Elle était belle dans ses mots, dans son ennui, elle était belle dans cette nuit d’Afrique. Dans l’air brassé par le grand ventilateur. Elle parlait d’une voix douce, quand on est au bout du monde, on ne peut aller plus loin, mais surtout on ne peut plus revenir. Alors on reste. On reste dans l’ennui. Avec un verre ou deux de whisky. Parfois quelques bras de passages, quelques peaux nouvelles, quelques rêves de mendiante ou de princesse. Elle disait des mots perdus, à quoi ça sert d’être belle ici, à quoi ça sert l’argent gagné ici.

On est sorti pour faire quelques pas. Dehors la nuit africaine. Cette touffeur qui vous rentre par les narines. Et le silence maintenant. Elle m’a pris le bras, elle avait toujours son verre avec elle. Et on a marché. Lentement. Elle m’a raconté ses rêves de petite fille, et l’Afrique qu’elle avait rêvé. Elle voulait Daktari et se retrouvait dans le Salaire de la peur. Elle s’appelait Catherine. Et l’on marchait lentement. Son bras pesait sur mon bras. C’est elle qui m’a embrassé. Une seule fois. Un baiser long, qui avait goût de whisky, et de solitude amère. Elle sentait bon et sa langue avait la force de tous ses désespoirs. Mon cœur battait. Et si se baiser durait toute la vie. Et s’il ne s’arrêtait pas. Et si l’on continuait jusqu’à la fin de la nuit, jusqu’au jour, et même après le jour. Qu’est-ce qu’il y a après le jour et la nuit, Catherine ? Qu’est-ce qu’il y a après ce baiser, Catherine ? A près ? Elle a pleuré. Un peu.

Je ne crois qu’en une seule chose : deux regards qui se fixent, s’absorbent et se reconnaissent dans l’instant où ils se captent. Et brusquement la neige du Kilimandjaro fond et se répand comme un déluge de miel tendre.
J’ai cette fin de nuit en moi depuis toujours. Le regard plein de larmes de Catherine. Son baiser, qui m’a plus appris sur la vie que tous les longs discours.
Je suis de ce baiser qui se lève comme un aurore et de cette tristesse qui hante les forêts, je suis de ces lieux perdus. Ce n’est pas triste, perdu. C’est simplement perdu.

Franck.

27 novembre 2005

J'aurais du.....

Quand on est jeune on ne sait rien. Quand on est vieux on oublie. En fait, on passe sa vie à oublier ce qu’on ne savait pas. Drôle vie. Drôles d’humains. Et le peu qu’on sait ne nous sert jamais à rien, puisque nous refaisons toujours les mêmes erreurs. Inlassablement. L’ignorance. Voilà, je suis dans un perpétuel état d’ignorance. Je me sens toujours aussi dépourvu. Comme si le monde ne m'apprenait rien. Cela doit venir de ma nature. Un morceau qui manque. Le morceau du savoir et de la sagesse. Tout me traverse. Tout me blesse. Mais rien ne reste à part les cicatrices. De l’eau qui passe dans une passoire. Rien. J’étais un rêveur. Donc, pas fait pour ce monde. Il aurait fallu me faire disparaître. Un monde parfait, m’aurait fait disparaître, ou alors m’aurait reprogrammé. Mais le monde n’est pas parfait, alors j’ai traîné mes rêveries comme on traîne une misère. Toujours dans l’à coté, dans l’en-deça, dans l’au-delà. Jamais au bon endroit. Jamais dans le bon temps, le bon rythme. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir entendu le discours de mon père, qui avait avec le réel un rapport d’évidence, la preuve il est mort alcoolique. Si ce n’est pas une preuve ça ! " C’est comme ça ! ", " Ça marche comme ça… ! " " C’est la réalité… ! " Sous-entendu : c’est la vérité. Les évidences du monde ne m’ont jamais atteint. J’avais la faculté de m’abstraire. Ou de dénier. Ou de résister. Résister, je préfère. Le rêve est une résistance, pas un abandon. Résultat, je me suis heurté à tous les murs de la réalité. Et j’ai conjugué tous les temps des verbes devoir, falloir, pouvoir. Et je continue encore, comme autant de marques de ratages. D’occasions manquées. D’actes inaboutis. Des milliers de bifurcations, des milliers de choix possibles. Et en fait, on fait toujours les mêmes.

J’aurais du dire à ma mère que je l’aimais, j’aurais pu, j’aurais du. Mon orgueilleux silence n’était que bêtise. Enfantillage. Perte de temps. J’aurais du casser la gueule à mon père plus tôt. Ca n’aurait rien changé, mais ça m’aurait fait du bien, plus tôt. Je n’aurais pas du me marier avec Ghislaine. Je le savais, avant. J’aurais du écouter ce que j’entendais. C’était le temps où je confondais aimer et aimer être aimer. J’aurais pu faire carrière dans l’armée. J’aurais du reprendre mes études de psycho. J’aurais du rester chez " Hachette ", je serais maintenant un gros con de cadre (peut-être supérieur), avec une grosse voiture et plein de certitudes et d’ennui, avec un avenir aussi droit que le passé. J’aurais du être patient, ne jamais trépigner devant l’indignité des uns et des autres. J’aurais du faire des économies pour acheter une maison et cultiver un bout de jardin. Le samedi j’irais à Bricorama ou a Jardiland. Je n’aurais jamais du boire, à part de l’eau ou de la grenadine. Parce que la grenadine c’est joli. J’aurais du avoir le courage de rester, au lieu d’avoir celui de partir. J’aurais du être un bon citoyen pour faire partie du groupe et chercher là, le surcroît d’existence qui m’a toujours manqué. J’aurais pu ainsi commenter " le 20 heures " avec juste ce qu’il faut d’exaltation et d’intelligence sage et pondérée. J’aurais du partir en vacance tous les ans u bord de la mer l’été et au ski l’hiver.
J’aurais pu être mercenaire en Rhodésie, et brûler ma vie dans le feu, l’alcool et la violence. J’aurais pu être moine pour m’abandonner aux prières, à oblation, à l’holocauste. J’aurais du vaincre mes scrupules. J’aurais du entretenir un bon carnet d’adresses. J’aurais du passer à Tamanrasset au lieu d’aller tout droit. J’aurais du pardonner plus facilement à ceux qui m’ont offensé. J’aurais du être moins excessif, plus tolérant avec les autres et avec moi. J’aurais du être moins exigent en amour, accepter l’indifférence et l’habitude, j’aurais eu des maîtresses et le temps aurait passé, ni mieux, ni pire. Passé. J’aurais du tomber amoureux de celles qui voulaient au lieu de toujours aimer celles qui ne voulaient pas. J’aurais du continuer mon analyse. Et ne pas démissionner sur des coups de têtes de ces emplois bâtards mais rémunérateurs. J’aurais du me réjouir plus souvent du simple soleil, du printemps qui arrive, des fleurs de leurs pétales. J’aurais du aller aux concerts, aux vernissages. J’aurais pu parler aux gens plus souvent, mieux. J’aurais du me contenter des jours, de leurs grâces, de leurs douceurs, au lieu d’être dans cette exigence puérile et vaine. Il aurait fallu que j’ai un frère ou une sœur. Une sœur j’aurais adoré. Il aurait fallu que je sois plus sot, plus bête, plus stupide ou alors carrément beaucoup plus intelligent. Mais ce cerveau bon à tout, n’est en fait bon à rien. Toujours trop ou pas assez. J’aurais du continuer l’équitation, je pourrais passer mes loisirs au grand air. J’aurais du lire " Belle du Seigneur " plus tôt. Ne jamais lire Malraux. D’ailleurs je n’aurais jamais du, rien lire. Ni rien écrire.
Et aujourd’hui ? j’use les dernières scories. Je ne bois plus. Je fume encore un peu. Je vis dans un appartement qui n’est pas à moi. Je n’ai pas un pouce d’avenir précis devant les yeux. J’attends ma prochaine paye pour acheter un nouvel ordinateur. Pour taper des textes qu’y irons vers l’oubli sitôt écris. Je devrais lire " Le Monde ", compulser chaque semaine " L’officiel des spectacles " pour avoir des sorties intelligentes. Je devrais être écologiste, acheter un vélo. Pratiquer le tri sélectif. M’inscrire sur les listes électorales. Je devrais militer pour des causes. Et surtout arrêter d’être amoureux. Ce n’est plus de mon age n’y de ma condition. En fait quand j’y réfléchis, c’est ce seul petit truc, qui a toujours fais la différence. J’ai un cœur amoureux, c’est ça qui a toujours fait dévier mes routes. L’amour et le désamour. Souvent le désamour. Le rêveur amoureux renonce à jamais, sans le savoir, au bonheur. A la paix. Le rêve c’est résister. C’est résister même au bonheur. C’est comme écrire.

Franck.

4 décembre 2005

C'est après que ça commence......

L’expérience l’écriture est une épreuve. C’est l’épreuve que j’ai choisie. Certains blogs s’élaborent dans la plénitude, le plaisir de faire partager une joie de vivre, d’autres sont plus orientés vers des passions diverses et variées, certains sont littéraires, d’autre ludiques, certains sont des journaux plus ou moins intimes, d’autres sont prétextes à l’expression d’une convivialité. On échange, on se parle, on se commente, on se congratule, on peut même se déchirer, s’insulter.

Et puis il a des lieux rares. Où il se construit, jour après jour un art nouveau. Une autre façon de faire, de vivre la littérature. Où l’art et l’existence se mêlent, s’incrustent l’un dans l’autre. S’accomplissent l’un et l’autre dans une inscription éphémère. Ils sont rares. Parce qu’il faut du talent. Du talent d’artiste, et du talent de vie. Ce sont des lieux brûlés. On n’y entre pas sans prendre le risque d’être brûlé soi-même.

Très souvent les écritures de blogs, flirtent avec l’intime. Un intime arrangé, un intime supportable, peu jouent réellement le jeu de l’impudeur, du dévoilement, absolu, peu dépèce la langue et la vie. Peu cherchent l’ultime. L’extrême. La parole blanche. Nue. Il y en a. J’en connais au moins un ou deux. Qui a-t-il au bout de l’écriture ? Qu’est-ce qu’on peu dire quand on a tout dit ? L’aventure commence là. Parce que c’est une aventure. Puisqu’on peu se perdre. Se perdre vraiment. Mais que vaudrait un art qui ne nous mettrait pas en danger. Que voudrait un acte sans risque ? Que vaudrait un art qui ne s’appuie pas sur le socle toujours fuyant de nous-même ? Que vaudrait les mots s’ils n’étaient rattrapés dans leurs chutes ? Juste avant la notre.

Alors voilà, pour moi, c’est une épreuve. Je ne sais pas me situer, dans tous ces blogs. Et cela n’a pas d’importance. Pour moi c’est difficile. Ce qui compte ce n’est pas ce qui est dit, c’est ce qu’il y au-delà. Parce qu’il y a toujours un au-delà des mots. Nous faisons les mots, mais ils nous font aussi. C’est pour cela, l’aventure. Et elle n’est pas gagnée d’avance. Loin de là.

Le blog est un lieu ambigu. Il y a soi, et il y a les autres. Au départ, j’ai écris pour être confronté à l’écriture. Pas pour faire salon. Pas pour m’exposer de façon impudique. Non. Mais pour écrire. Simplement pour écrire. Sans d’autres prétentions. Comme un dialogue avec moi-même. Comme un défi avec moi-même. L’œil des autres n’a pas d’importance, pourtant il est essentiel. Puisque rien n’existerait de la même façon sans le regard des autres chez moi. Mais c’est une épreuve. La joie, la joie véritable n’est pas gaie. On confond souvent. Non, la joie est grave. Et grave, ça ne veut pas dire sérieux. Grave, ça veut dire grave. Important. Car il s’agit d’être plus que sincère, car cela au fond, c’est facile d’être sincère. Il faut être sans complaisance avec soi. Et cela on l’est à longueur de journée. Complaisant. On s’attendrit à nos souffrances, nos douleurs, nos manques. On est dans la plainte de nous même. C’est utile, certes, mais ce n’est pas suffisant. Qu’est-ce qu’il y a après ? Après la plainte. Après les pleurs. L’écriture commence là. Dans cet après des évidences. Si un jour je veux, il faut que je traverse ce miroir là. Ce miroir de moi-même. Avant, ce n’est pas vouloir assez.

Un jour, c’était à l’armée. Il y a longtemps. On marchait beaucoup. Les parachutistes marchent plus qu’ils ne volent. Un paradoxe de plus. J’ai toujours eu les pieds fragiles. Ils ne sont pas plats, ils sont éversés ( !). Bizarre comme truc. Bref, ils ont du mal à supporter la marche très longuement. Mes tendons des chevilles et des genoux fatiguent vite. Enfin, vite, tout dépend du point de vue. Dix, quinze kilomètres, passe encore. Mais au-delà de trente…Un jour il fallut marcher longtemps. Dernière marche de fin de classe. J’étais déjà blessé. Tendinite aux deux genoux. Mais j’ai demandé à faire cette marche. C’était important pour moi. Il fallait marcher beaucoup. Ils ont décidé. Soixante dix kilomètres dans la journée. Casque sur la tête, sac sur le dos, fusil au bout des bras. C’est la guerre. Il faut faire comme si. Les hommes ont de drôle de jeux quand ils sont ensembles. Dès les premiers mètres mes tendinites se réveillent. Déjà c’est douloureux. Soixante dix kilomètres c’est long. C’est absurde. Et c’est long. Ne pas s’arrêter. Tenir. Une journée, tenir. Tenir l’absurde une journée. Au bout de dix kilomètres je suis dans un bulle de douleur physique. Je n’entends plus rien. Je m’arc-boute sur chaque pas. Je suis en fin de colonne. Je subis ce qu’on appelle l’accordéon. C’est à dire les à-coups. Accélérer, freiner. Accélérer. Freiner. C’est impossible, ça coupe le souffle. Ca use plus vite. Bientôt mes jambes durcissent. J’ai l’impression d’avoir deux battons brûlant plantés dans mes chaussures. Encore la journée à marcher. La douleur irradie jusqu’au haut de la cuisse. User le temps. User la douleur. Je ne peux plus dérouler les cheville. Tout est d’un bloc. Et la journée passe. C’est une hécatombe. Les mecs s’arrêtent sur le bord des chemins. Un camion les ramasse. L’officier : " Arrête-toi, Nicolas ! " " Non ! ". C’est plus possible. Il faut aller au bout. Qu’est-ce qu’il y a au bout de cette douleur consentie ? " C’est bon, tu en as assez fait…. ! " " Vas-te faire foutre mon capitaine ! ". Maintenant il fait nuit. Plus jamais on arrivera nulle part. Je fais des petits pas, de touts petits pas. Une sorte de trottinement désespéré. Je remonte la colonne. Il fait nuit. Je la dépasse. Ne pas s’arrêter. Garder mon rythme. Si je m’arrête, je ne pourrais plus repartir. " Nicolas ! Ta place !…. " " Ta mère !… ". Il fait nuit. Je crois que j’ai pleuré. Personne ne me voyait. Ne pas penser. Je sais que je peux m’arrêter à tout moment. Ne pas y penser. Je récite tous les textes que je connais. " Frères humains qui après nous vivaient, n’ayez les cœurs contre nous endurcis… " J’ai les pieds durs. En feu. Des douleurs qui me cisaillent les jambes au niveau des genoux. "  Ainsi toujours poussés vers de nouveau rivage, dans la nuit éternelle emportés sans retour… ". Je marmonne. Je psalmodie. J’incante. Il fait nuit. La troupe désarticulée avance toujours. C’est sans fin. " Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, le prince d’aquitaine à la tour abolie… ". L’officier : " Donne-moi ton sac ! " " Merde !… " Je m’accroche à mon sac. Ca sera avec lui. J’arriverai complet. Entier. Entier dans ma douleur de chair. On est plus beaucoup dans la colonne. Je ne vois plus rien. Je prie. " Rien ne nous rend si grand qu’une grande douleur…. " Et pour en être atteint, il faut faire une marche absurde dans une nuit absurde. Marche petit bonhomme. Marche. C’est juste après que ça commence. Comme l’écriture, quand tu as tout usé. Quand il y n’y a plus de mot à écrire. Quand il n’y plus de pas à faire. " Comme un vol de gerfauts….Ivres d’un rêve héroïque et brutal… ". Je n’ai plus de temps dans la tête ? Plus d’horloge. Ca pourrait durer comme ça à l’infini. Je n’attends plus. J’avance. Je n’espère plus la halte, la fin. Le casque pèse et ses courroies trempées de sueurs me coupent les joues, le menton. " La nature est un temple ou de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles… ". Maintenant il me laisse marcher, trottiner à mon rythme. Je suis devant. Seul. Les phares des camions nous guident. J’arriverais ainsi au camp. Un feu nous attend. J’arriverais. Seul. Je tomberais. Je perdrai connaissance. Ils me réveilleront avec de l’eau de vie. Rigolo, non, l’eau de vie. Quand on sait le profit que j’en ai fait plus tard. Je n’ai plus de pieds. Plus de peaux dessous. Les chaussettes sont trempées de sang et de peau décollée. Les chevilles ont doublé de volume. Les genoux sont violacés. Je ne parlerais à personne. J’irai loin du feu, loin des autres. Parce qu’écrire c’est comme marcher, c’est après que ça commence. Après.

Franck

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3 janvier 2006

Toutes le bonnes choses ont une fin.....

Ce que tu viens de faire Angéline est malhonnête à tous les points de vues. (Je viens de supprimer un texte d’Angéline qui reprenait dans l’intégralité un message qu’elle avait reçu de Patricia). C’est d’une bassesse sans nom. Depuis quelques jours tu essayes d’éprouver ma patience. Ok, on y est. C’est le bout. Donc, pour être clair, j’ai changé la serrure et mis la modération des commentaires. Je te suggère de retourner chez toi. Et de me foutre la paix.

C’est au fond, ce que tu cherchais… courageuse mais pas téméraire….et puis ça te fera l’occasion vomir un peu plus sur moi dans ton blog. On sait la procédure, voir même le processus…. Je n’ai eu envers toi que des gestes amicaux, mais tu prends cela pour de la faiblesse, quand tu en as eu besoin je t'ai ouvert cette porte sans condition, et voilà ce que tu en as fait… attention à l’orgueil, à la vanité et à la jalousie Angéline, ça dévore même le talent. Surtout le talent….

L'astrologue t'avait dit : un début d'année difficile...ça se confirme...Saturne quand tu nous tiens....

Franck

19 janvier 2006

C'est quoi la honte ?........

Elle publie mes textes..... je publie les siens... d'ailleurs ils étaient là...je ne fais que republier... Elle a la mémoire sélective....et les affections instables... et des sincérités successives....Aujourd'hui elle est dans la haine, la haine de moi, mais chez elle, la haine c'est comme l'amour... alors, va pour la haine. C'est bien aussi.

Elle voudrait que j'enlève le lien qu'il y a chez moi. Et comme elle est maladroite, elle ne sait pas le demander. Elle croit qu'il suffit d'exiger. Elle croit que tout le monde fonctionne comme elle. C'est sa façon de tout mélanger. Elle dit qu'elle a honte de se savoir dans ma liste. Mais je crois qu'elle ne sait pas le sens du mot... alors elle dit ça, comme elle aurait dit autre chose.
Elle veut blesser, faire mal... mais l'on sait d'où cela vient...alors c'est sans importance.
Quant au "lien", je verrais. C'est moi qui décide en l'occurence.
On écoute ce qu'elle avait à me dire il y a quelques temps... c'est dommage elle aurait pu être un grand écrivain....
Franck.

"ON PEUT TOMBER amoureux d'amitié sur le net. Cela m'est arrivé cette année. Je crois qu'il s'agit de cette année. On ne se connaît pas. Je n'ai pas voulu aller plus loin (pour l'instant) que le net. Pourquoi ? Parce que j'ai aimé quelqu'un de son âge juste avant. Quelqu'un de sa génération. Je ne suis pas de sa génération et ne le serais jamais. Dans mon corps. Dans mon coeur c'est autre chose, il n'y a pas de génération au niveau des coeurs, que celui qui dit le contraire vienne me le dire en face et sans rire. Ces derniers temps, voire même depuis le début, je suis moins investie que lui dans cette amitié. Cela ne veut pas dire que je ressente moins d'attachement pour lui que lui pour moi. Je ne sais pas quel attachement il a avec les autres qui viennent ici lui dire qu'ils sont bouleversés, désolés, attristés. Je ne veux pas lui dire ça, ce n'est pas ma place, j'ai une place, enfin je crois, ici, il m'a donné son code, son numéro, l'invitation ne marchait pas. Il est élégant. Vous l'avez vu en photo ? Il n'aime pas ce qu'il écrit. En ce moment, il trouve que ça tourne en rond et ce qu'il écrit est loin de ce qu'il vit, loin et extrêmement proche, il comprend ma douleur maintenant, la douleur non pas d'écrire mais de dire face à des gens qui font les trois singes presque à chaque instant de leur vie. Les moments de doute sont nombreux lorsqu'on essaie d'être authentique. Je devrais taper moins vite sur mon clavier, je ferais moins de fautes de frappe, moins d'oublis de petits mots. Il est élégant, vous l'avez vu en photo, moi je l'ai vu. Mon mari avait son âge à peu près, mon mari était un intellectuel, enfin au début, ensuite il est devenu alcoolique, parce que j'ai découvert qu'en fait, il me le cachait, tellement bien, tellement sournoisement que j'ai eu l'impression d'être la femme la plus idiote de la planète. La planète des Morts, c'est chez moi, c'est les démons bleus. Les démons sont souvent de toutes les couleurs : le noir ne représente pas forcément la mort ou la dépression. L'amie indienne de mon frère, sa correspondante avec qui il a eu une petite aventure pendant quelques temps, m'avait dit : dans ma famille, mon père disait que le noir était la pudeur et l'innocence. Je l'ai vu en photo, il a donné ses photos. Je crois qu'il avait besoin d'une amitié, nous en avons tous besoin. Mais là je parle de lui. Il avait besoin d'amour. Comme nous tous je pense. Surtout moi, avant vous. Non je plaisante. Bref, il est en train de voir l'absurdité de l'écriture dans le monde, et du coup son importance. Franck tu devrais ressentir face au réel à quel point c'est une force, une résistance, un pouvoir, avec lequel on n'est pas obligé de s'enivrer d'égo. On n'est pas obligé. De rien. Simone m'a demandée : c'est de la fiction ? Comme si j'étais capable de faire de la littérature avec de la fiction, moi. Comme si j'avais la prétention ou la bêtise de faire de la littérature avec de la fiction. La fiction : un bon polar, une histoire d'amour, un roman à l'eau de rose, les tribulations de personnages auxquels on ne croit pas une seconde. Qui n'enivrent plus. C'est comme de faire l'inverse, tout raconter bêtement, en prenant le temps de lecture aux gens avec ses soucis. Il doit bien exister une voie encore non explorée, je pense. Il ne faut pas avoir peur de chercher. Je cherche. La merde dirait certains, d'ailleurs souvent je la trouve. Souvent ils viennent me voir en privé, comme je mets contactez l'auteur, mettre des messages dans les commentaires ils n'osent pas : mes textes il paraît ne mérite pas de commentaires, dans le bon ou dans le mauvais sens du terme. Franck mes messages n'étaient pas petits, ni même laconiques. Bon d'accord, on était en train de se regarder, de se regarder en disant à l'autre sans ouvrir la bouche : bon tu viens ? Tu ne viens plus ? Tu ne m'entends plus ? Tu ne m'aimes plus ? Tu m'aimes ? Tu m'aimes vraiment ? Tu sais qu'écrire c'est au nom de l'amour sinon va au Diable ? Tu ne le savais pas ? Et bien...Mais écrire l'amour c'est périlleux m'a dit un trou du cul qui se croyait plus malin que les fesses de Jupiter (et l'aile de mon oiseau bleu). Si le soleil refuse de briller en toi en ce moment Franck, et c'est le plus important de mon érotique chaos, va le voir pour moi, va lui dire qu'il y a un prix pour avoir le droit de t'illuminer. La peau, les yeux, les cheveux, les cheveux deviennent plus clairs avec l'été. Je déteste l'été. C'est comme un hiver mais de feu, je déteste l'été parce que je panique en été. C'est un souvenir de la maison des morts de l'enfance. Très très grave. On ne se remet jamais de son enfance, c'est une maladie chronique, c'est une dégueulasserie faite par les dieux. S'ils m'entendent. Tu as vu mon trouble, tu as vu mon malaise et tu n'as pas su quoi dire. Je vais te dire : moi j'ai vu le tiens, au même moment, j'ai vu le tiens et je n'ai pas su quoi dire non plus. Donc si nous n'avons pas trouvé les mots, ça veut dire que les mots ne nous ont pas trouvé. Les mots ne trouvent jamais personne, sauf les Grands Ducs de l'Académie Royale qui écrivent des phrases sans fautes de frappe et avec un langage tellement ahurissant de noblesse qu'Angéline et les Récits de la Maison des Morts peuvent aller se rhabiller au niveau du . Je t'aime Franck. Tiens, c'est spontané, c'est mon coeur qui vient de parler, je ne sais pas pourquoi je te dis ça comme ça, je te le dis parce que c'est vrai, je n'ai pas pour habitude de raconter des choses fausses. Comme ça au débotté. Si tu m'entends. Tu sais, laisse les gens regarder Dolmen : le samedi soir, ils doivent pas regarder Lost qui est beaucoup mieux, parce que ça nous vient des Amériques. Celui qui se sent à l'aise dans sa littérature doit être proche du bouffon je pense. Pourquoi ? Encore une avec ses certitudes qui la rendent bête d'être intelligente, je crois en fait que ceux qui se sentent à l'aise dans leurs mots ont un problème quelque part, certainement au niveau de la vision, de la vista disait, paix à son âme, Jean-Pierre Raffarin. On dirait que tu attends des autres qu'ils entendent ton écriture, justement les gens qui n'ont pas envie de faire d'efforts, qui sont à leurs places, bien chaudes, qui ne veulent pas les quitter. Tout en rêvant de le faire secrètement. Ecoute, laisse-les regarder ce qu'ils veulent. C'est toi le commandant de ton radeau. Ecoute-moi : ne souffre pas à cause de ça. Laisse couler pour le reste aussi. Toi et moi nous avons la chance d'avoir une issue de secours remplie d'humanité et de noblesse (enfin tu vois ce que je veux dire, quand j'utilise des mots comme ça il faut les multiplier en fait par...). Ils ont le pouvoir du plancher des vaches, à juste valeur ils savent utiliser les appareils de la Maison des Morts, nous ne savons pas, alors nous inventons notre appareil, l'écriture. L'écriture. Même Dieu a essayé, même Allah, même la voisine d'en face, Madame Mortier, elle veut ouvrir un blog pour parler tricot, on croit rêver. Ils n'ont que le tricot pour les faire jouir on dirait. Non je plaisante. C'est pas ici, Franck que tu vas trouver du réconfort, peut-être auprès de mon sein, tu devrais parler aux animaux, sans honte, tu devrais regarder le ciel pendant des heures, sans peur, tu devrais marcher pieds nus dans l'herbe, comme j'ai fait, tu devrais trouver une jolie petite minette de 23 ans et peut-être, éventuellement, l'aimer après l'amour, baiser n'a jamais fait de mal à personne, sauf peut-être à nos crises de foi. Je suis souvent très forte pour relever le moral des gens que j'aime je ne sais pas si ça marche encore. Encore maintenant. Moi-même, pour dire toute la vérité, je suis incapable de me réconforter comme ça. Jean : "tu sais réconforter les gens, parce que tu ressens ce que tu dis". Dans ce sous-sol qui vibre Franck est-ce que tu m'entends ? Ils imaginent le monde qu'à leur image, alors impose ta chance, va vers ton risque, montre que ta parole existe, même par le silence en dernier recours. Utilise du savon pour t'en laver les mains aussi. Comme je fais lorsque je remonte de ma visite quotidienne, tu sais que j'ai beaucoup de Goulag dans mes sous-sols, et aussi des Chambres à Gaz, et aussi des morceaux de jardin avec des arbres fruitiers, oh mon Dieu mon homme est un sage de la connaissance. Je t'aime Franck, donc tes doutes, vu de l'extérieur, vu de ton écriture, ne sont pas justifiés. Car tu vois ton écriture différemment des autres. Avoir du recul sur ce qu'on écrit ce n'est pas donné à tout le monde. Ni à chaque ligne, ni à chaque moment, tu n'es pas parfait : les regardeurs de Dolmen non plus. L'amour lui doit être parfait. On en veut n'est-ce pas Franck, de l'amour parfait ? Si je n'avais pas été faite avec des défauts, je crois bien que j'aurais pu te donner un amour parfait et qui dure, qui dure comme le lapin duracel, qui ne s'arrête jamais pendant que les autres stoppent net toutes les cinq minutes. Le lapin Duracel , Franck, faisons de la pub pour le Lapin Duracel. Je t'aime Franck. Tu vois, mon malaise, je n'ai pas su le voir correctement, le tiens non plus, donc je n'ai rien dit, je ne savais pas quoi dire. Toi non plus d'ailleurs. J'avais mal au crâne ce matin en me réveillant. Tu crois que mon psy m'en voudrait s'il savait que j'enregistre sur mon baladeur mp3 nos échanges ?

Si écrire était faire l'amour et si nous avions le droit de faire l'amour à nos amis sans que cela prête à confusion, il faudrait surtout que tu ne prennes pas ce texte comme on pourrait...le prendre, car en t'écrivant, à toi qui est mon ami bien plus que ça je crois que je t'ai fait l'amour comme je ne l'ai jamais fait à un ami en lui écrivant avant de te connaître.

Donc à toi mon ami,

Chastement,

Avec l'expression de ma Considération Amoureusement distinguée

ANGELINE

(Jackie's Strength by Tori Amos)."

8 février 2006

Comme le premier jour....

Il arrive un moment où c’est le bout. La fin. Même le corps ne veut plus. Elle me questionnait sur ces instants. Et ma mémoire refluait. Je voyais des images. La chambre. Et je n’arrivais pas à lui expliquer clairement. La journée où je suis mort. Depuis dimanche, j’y repense. J’essaye de retrouver la chronologie. Je ne vois que la chambre. Verte. C’est l’été. Par la fenêtre la masse de la verdure, les bois brûlants de vert. Le ciel. Bleu. Et la rivière en bas. Je l’entends à peine. C’est l’été les eaux sont basses. La fenêtre est ouverte. C’est l’été, il fait chaud. Je ne sais plus vraiment la chronologie. Trois quatre jours d’alcool absolu. Je ne me souviens que de la rage. La rage à boire. Aller au bout. Les grandes rasades de whisky bues au goulot qui arrachent une grimace à la déglutition. La brûlure de la gorge et le sang qui s’enflamme. Trois ou quatre jours impossibles. Sans chronologie. La seule compulsion du geste comme fil rouge. Et le dégoût, et la grimace, et la cigarette qui cautérise la plaie. Simplement la rage d’en finir. Deux, trois bouteilles de whisky dans la journée. Et ce train bleu de tristesse foudroyante, comme des éclairs. Je n’ai plus de pensée. Rien. Hormis des sensations, des impressions. Il n’y a pas de temps, pas d’espace. Je bois un marais amer aux herbes filandreuses. Haut-le-cœur, vomissement qui ne vomissent rient. Je revois ma main qui tient la bouteille, je dévisse le bouchon métallique du plat de l’autre main. Scansion. Répétions du geste qui tue. Stridence de la brûlure dans le sang. Jusqu’où le corps peut tenir. Trois, quatre jours. Je ne sais plus. Déjà je sens le rétrécissement. L’accélération et le rétrécissement. Chaque mouvement traverse un coton grattant, chaque regard sort d’une pâte lourde. Les jours sont une longue gorgée qui n’en finie pas. Aucune exaltation. Il n’y a plus que la rage, qui livre son dernier combat contre désespoir infini. Infini, est le mot qui convient le mieux. Sans borne. Aller au plus droit, au plus vite. Remplir au plus vite. Plein. Déborder même. Pour être sûr d’être plein. Sans vide.
Je tombe. J’ai du tomber. Je ne m’en rappelle plus. Au bout de trois ou quatre jours j’ai du tomber. Ma tante me dit que le docteur arrive. Je ne veux pas le voir. Portant il est là. Un jeune. C’est un remplaçant. Je ne le connais pas. J’ai du mal à tenir debout. Il m’entraine le long de l’étang. Il parle. J’aime sa voix. Alors j’écoute. Un peu. Je voudrais lui dire Mais qu’y a-t-il à dire ? Rien. Il faudrait tout reprendre depuis le début. Quel début ? Où ça commence tout ça ? Avant Jésus Christ ? Et puis mes jambes ne me portent plus. Il m’ausculte. Il est inquiet. Je le vois, il ne dit rien, mais il est inquiet. Il se fait aider, on me rentre à l’intérieur. Il s’agité. Je l’entends il téléphone « Hôpital… Ambulance… urgence… ». Il dit qui rappellera. Il revient me voir. Je lui dis que je ne bougerai plus d’ici. Pas d’ambulance, pas d’hôpital. Rien. Ici, simplement ici. Sur ce lit. Il est inquiet. Perfusion. Toutes les heures il revient me voir. La tension chute. Il a peur, je sens sa peur. Dans le couloir j’entends des bribes de conversations.
Je suis allongé dans la chambre verte. C’est l’été. Je ne bouge plus. Je sens le poids les couvertures sur mon corps de gisant. C’est ce moment-là que j’ai senti que ça partait. Petit à petit, quelque chose c’est mis à quitter mon corps. Plus ça quittait mon corps et plus je sentais une pesanteur. Ca ressemblait à un fluide qui quitte le corps. Les jambes, les bras, les mains, les doigts. Le bout des doigts. Surtout le bout des doigts. La vie qui fuit un corps percé. Epanchement. Ecoulement. Cela dure longtemps. Il ne sent plus mon pouls. Piqûre. Le soir tombe. La fraicheur entre dans la chambre. Et c’est la nuit. La lampe de chevet est allumée. Je sais qu’il ne faut pas que je m’endorme. Je sais que si je le fait ça sera la dernière. Ce sont des choses que l’on sait. Que le corps sait. C’est la nuit, et tout ce que j’ai de force continue de s’écouler de moi. Quelque chose de l’abandon. Ca n’en finit pas. Je ne peux faire aucun geste. La tension continue de baisser encore un peu. Je n’ai plus peur. Je suis arrivé. Le bout. Il faut simplement laisser. Laisser aller. Il revient en pleine nuit. Quelle heure est-il ? Mon endroit n’a plus besoin d’heure. Qu’importe. Il est là en pleine nuit. Il s’est assis à coté du fauteuil, près du lit. Il parle. Au début, je ne comprends pas ce qu’il dit. Sa vois est très loin. Ou c’est moi qui ne suis déjà plus ici. Où suis-je ? Dans quel pays ?
C’est l’Afrique ? Là aussi je suis allongé sur une couchette. Ca fait trois jour que je me vide. La dysenterie. Trois jours de douleur, de contraction, de spasme. Dans cette cabine, il doit faire plus de cinquante degrés. La déshydratation vient vite. La transpiration et les spasmes permanent qui vous font chier de l’eau et après, plus rien. Quand il n’y a plus rien, il n’y a plus rien. L’intérieur du corps de tord, se presse, se convulse… et rien… après c’est le sang, qui vient. Il coule le long de ma cuisse. Mopti, sur le Niger. A la période de basses eaux les grands bateaux à fond plat servent d’hôtel. La cabine est exiguë. L’air est irrespirable. Trois jours et quatre nuits de spasmes ininterrompus. Il y a un point de chaleur où l’on ne pense plus. Comme un seuil de douleur qui empêche toute réaction salutaire. On me traînera au dispensaire des pères blancs.
Là, c’est la nuit. Le jeune docteur parle au loin de ma vie. C’est un murmure. Sa voix semble traverser les siècles. Il veille un mort qu’il voudrait ressusciter. Il ne se sert que de sa voix. Et de la parole blanche. D’instinct il a choisit la parole du lait. Celle de l’aveu, celle de la prière. La parole qui s’adresse à l’absence pour révéler plus que pour manifester. C’est une voix de cierge tremblant. Une voix de catacombe. De Crypte voûtée. Voix de chair qui parle à la chair. D’ombre qui glisse sur l’ombre. Froissements du silence comme un léger éclat de lumière dans une nuit sans lune. Chemin de voix et de paroles obscures sorties du seul désir de se survivre à elle-même. Il faut imaginer… il est très près de moi. Mais sa voix, au départ vient d’un autre pays. Pourtant j’entends sa respiration. Son souffle. Ses silences. Parfois il se tait. Et c’est la nuit. Et je parts. Dans ce coton noir. Velours de ténèbres. Ce n’est qu’un son monocorde, mélopée lancinante de la voix humaine. Qui appelle. Depuis des siècles qui appelle au-delà des membranes de la mort. On n’apprend pas la voix dans les écoles de médecine. On n’apprend pas le chant de la voix sous la lampe écrasé d’une nuit d’été. Qu’apprend-t-on dans les écoles de médecine ? Non, on n’apprend pas le murmure de la vie quand il faut le mêler au souffle du mourant. Non, on n’apprend pas la flamme bleu et rouge qui colore chaque mot venu du ventre comme un râle, comme une plainte, comme une complainte obstinée, entêtante, démesurément humane et vivante. Vivante. Il faut que la voix soit faible, si faible pour passer dans les couloirs du vide, de la mort. Il faut qu’elle soit si puissante pour porter une respiration si éteinte.
Je ne dors pas. Pourtant c’est la nuit. Peut-être la dernière. Et ces morceaux de souvenirs. Le fleuve. Le Niger. La nuit du fleuve. Cette douleur qui n’en finie pas. Avec les spasmes. La nuit, je me traine à travers les coursives pour accéder au pont A l’air libre. La chaleur de ce bateau ferraille me sortir.  La nuit il semble régurgiter tous les feux du soleil. Chaleur étouffante qui surgit en bouffée d’enfer des entrailles même du bateau. La nuit je me traine sur le pont pour respirer. Je suis recroquevillé dans un coin de nuit, plié sur cette douleur, et ces contractions. Je me cache dans la nuit, tordu par des douleurs de parturiente. Je n’accouche de rien. Rien. Pourtant…

Maintenant la voix remonte le fleuve. La voix a pris le chemin du fleuve d’Afrique. La voix suit les lentes courbes du fleuve. Peu à peu j’entends la voix de la nuit qui traverse les membranes de la mort. Qui suit la veine du fleuve. Le sang du fleuve.
Il est à coté de moi et sa voix s’est accrochée à ce souvenir, et elle remonte lentement mes veines. Le fleuve de mon corps. Je sens la fraîcheur douce des eaux du fleuve prendre possession de mes chairs. Centimètre par centimètre. Et sa voix devient de plus en plus claire. Audible. Comme si le souffle du lait se transformait en eau cristalline. Avec lenteur. Ca commence par les extrémités, les bouts des doigts, les mains, les pieds, les bras, les jambes. Le fleuve de sa voix me recouvre peu à peu rendant plus pesant le poids des couvertures. Avec ce picotement d’eau claire sous la peau. Quelque chose remonte. Je le sens. Je le sang. Ca vient de sa voix et d’un souvenir d’Afrique. Ca vient du fleuve. Du grand fleuve qui traverse mon corps. De ce fleuve qui traverse tous les Sahara pour chercher l’océan. Simplement porté par la voix de ce si peu docteur.

Sous les draps, j’ai bougé.
Un peu.
Il me reprend la tension.
« Putain, elle remonte… ». C’est alors que je vois briller ses yeux. Je vois ces petites gouttes de larmes de fleuve sur le bord de ses yeux.
Les eaux remontent, comme une grande marée sortie du néant.

Je vois son sourire. Il paraît épuisé.
Qu’as-tu-dit petit docteur pendant toutes ses heures ? Qu’as-tu-dit ? Quelles sont tes incantations de sorciers ? Où es-tu allé me chercher ?
Tu as ouvert la fenêtre, la fraîcheur de la nuit d’été est rentrée dans cette chambre verte. Tu as éteins la lumière pour éviter de faire entrer les insectes. Je voyais un morceau de ciel étoilé. Etoilé. Et ce fut mon premier consentement. Il m’a dit « Dormez… maintenant. » Et j’ai dormi. Calme. Bercé simplement par un chant mystérieux. Qui avait brassé mes eaux, mes chairs.

La route fut longue. Mais elle a commencé là. Sur les contreforts de cette nuit étoilée. Avec ce premier consentement au fleuve, et à la voix insensée qui a su glisser sur ses eaux. Voix de cierge vacillant, comme le premier lait, comme le premier jour.

Franck.

16 mars 2006

Gris...Rouge....

C’est cyclique. Je reviens buter sur une parole dure, impossible, parole de pierre, de marbre froid. L’énergie manque à dire. C’est une hémorragie des forces du dire. Presque. Comme mes saignements de nez, enfant. L’énergie qui partait en fleuve rouge et chaud. Fleuve intarissable. Pourtant, là, je ne saigne plus. Depuis longtemps. Mais l’énergie s’écoule toujours emportant ma parole, mes mots, ma mémoire. Pourtant  je sais qu’il faut s’efforcer ici. Dans cet instant du plus rien. Du dégout. Suivre la ligne. La ligne imaginaire, celle qui monte et qui nous arrache du sol. Celle des promesses, des aurores. Celle qui tend vers le plus clair de notre solitude. Solitude. J’ai appris à lui donner des couleurs à celle-là. La première était grise. Grise, lorsqu’elle me mordait au ventre, lorsqu’elle m’épuisait de son brouillard vain. Gris les jours, les heures. Gris la face blafarde des autres croisés ici ou là. Gris le soleil, gris la nuit. Gris le poids qui pèse sur les paupières, sur les membres, sur le dos, sur les gestes. Gris la saveur de l’eau. Gris la rêverie qui ne sait plus où aller, qui s’écroule de son propre poids, qui fait des boucles sur elle-même, qui s’empile dans l’épaisseur du gris. Gris comme un tunnel qui n’en fini pas de traverser un monde indifférent.
Mon enfance fut grise. Quand j’y repense c’est d’abord cette couleur qui s’impose. Un long couloir d’années peint en gris. En gris fade, légèrement nauséeux. Aucune vraie couleur. Seulement quelques ombres. Mais surtout le gris.
Cendres d’enfance, cendres de solitude d’enfance. Enfance, à faire rouler des billes sur le tapis, parce que sur le carrelage ça faisait du bruit. Mais sur le tapis elles roulaient mal, les billes. Alors je les donnais, les billes. C’est bien de donner ses billes. Il y avait beaucoup de pauvreté dans ce quartier de Marseille à cette époque. J’aimais bien donner mes billes. Malgré le vent qui balayait le ciel pour éclabousser la ville de lumière comme les agates et les billes que je donnais, je n’étais que dans le gris. Toujours. Ce n’était pas une prison, le gris, parce qu’il n’y avait pas de mur. En fait, c’était pareil, sans les murs. Les murs. Mon expérience des murs s’est bornée à huit jours de cachot chez les curés, plus tard. Ils ne savaient pas que le gris je l’avais à l’intérieur. Un grand désert gris recouvrant l’intérieur des chairs. Immense, fabuleusement gris. Sauf mon sang écarlate en interminables hémorragies. J’aurais pu y rester indéfiniment dans leur putain de cachot. Au bout de huit jours ils sont venus me rechercher. Cachot, c’était le nom, en réalité une pièce fermée à clé. Petite pièce : un banc, une table en bois, et une fenêtre en hauteur. La table était gravée des noms de tous ceux qui m’avaient précédé. Ca remontait au siècle passé. Enfin, à celui d’avant. Le dix-neuvième. Je n’ai même pas inscrit le mien. Déjà la postérité ne m’intéressait pas. Ni les fausses glorioles. Et puis il aurait fallut que je l’incruste d’abord dans ma peau pour me souvenir de qui j’étais. Qui j’étais. Quoi j’étais. Bref, le gris. Les murs de ma chambre étaient gris. C’est sans doute pour cela, cette impression de gris. Parfois, au bout de l’ennui, après les billes, je faisais de la peinture. De la peinture d’enfant, sur des feuilles de papier Canson. Et je peignais des ciels. Je m’en souviens. Des ciels gris, sur une mer grise. Je ne me rappelle pas avoir peint un soleil jaune, ou bleu, ou vert. Les tubes de blancs et de noir manquaient toujours. Le rouge, le vert, le bleu, les tubes étaient toujours neuf. Moi, je faisais du gris. Comme un naufrage de cendre.

Voilà, la première couleur de ma solitude ce fut le gris.

Des trous ? J’en ai parlé, des trous. Oui, des trous il y en a eu. Mais si peu. Mais si noirs. Des spirales qui m’ont absorbé où le gris se déchirait laissant voir la faille, la déchirure, avec ce débordement de lande froide. De cendres froides. Cendres grises et froides de mon père en poussière de mort, que le vent rabat sur ma figure. Gris, le goût des cendres sur ma langue, dans ma gorge. Avec l’impossible essor de la parole. Parole grise des cendres du mort. Et toutes ces années à être gris. Ivre de l’alcool trop fort, bu trop vite. Gris d’ivresse sauvage et désespérée. Gris pour mettre des couleurs qui ne tenaient jamais, dans les aubes blafardes, délavées. Parfum maussade des matins mornes dans ces dégringolades d’arpèges sombres et moroses. La tête prise dans l’étau du néant. Ah, je peux dire que j’en ai bouffé du gris. Au sens propre et au sens défiguré. A vivre à la lumière électrique pour échapper au gris pâle des automnes, au gris sombres des hivers. Claquemuré à l’intérieur de cette épaisseur opaque où aucun chemin ne se dessine. Où tous les chemins se perdent. Œdipe aveuglé d’épaisseurs nuageuses, avec cet épuisement lent et continuel de l’hémorragie du sang dans le gris des jours. Interminable brume filandreuse et mortelle. Tellement gris qu’on en oubli les chagrins, puisque la tristesse est dans l’air qu’on respire et que les larmes restent collées aux yeux comme une buée fuligineuse. Ah oui, il a fallut en traverser de ces journées méandreuses ! A attendre ce qui ne viendra jamais. Et pourtant qui sera là. Un jour. Enfant on ne sait pas que c’est la mort qu’on attend, et plus vieux on oubli pourquoi on est là, en fait, on l’a jamais su, on ne le saura jamais. C’est pour cela qu’on saigne sans raison. Et l’énergie s’en va dans cette inondation sans fin. Dégoulinade sans saveur, sans promesse. Abandon de soi, comme ces rats gris qui quittent le navire sans attendre l’avalanche des tempêtes. Baudruche percée qui fuit, qui se vide de son rien pour n’être plus que peau de chagrin. Il a bien fallut l’user ce vide, et le rabot avait sa lame émoussée. La pellicule des jours collait à l’ennui, au gris, à la solitude. Effacement lent et taciturne du vivant. Rétraction des chairs dans un reniement de soi. Capitulation du vouloir  avant la lutte, puisqu’il n’y a pas d’ennemi. Sans élan, jamais, puisqu’il fallait se taire, ne pas rire, ne pas pleurer, puisqu’il fallait ne pas faire de bruit, et que les billes font du bruit sur le carrelage. Puisqu’il fallait rester dans cette insignifiance du gris perpétuel, dans cette discrétion qui confinait à l’absence. N’être que l’ombre. Naître sans poumons, sans respiration. Alors je me vidais de mon sang pour enlever la couleur, pour qu’il ne reste que le gris, l’informe, l’infirme. J’arpentais le silence en tout les sens pour m’y effondrer épuisé. Vidé.

Alors il faut comprendre, c’est cyclique. Je reviens buter sur une parole dure, impossible, parole de pierre, de marbre froid. L’énergie manque à dire. C’est une hémorragie des forces du dire. Et tout ce gris d’enfance m’éclate à la gueule comme un sortilège. Une malédiction. Une vielle maîtresse dont je me suis habitué aux déchéances, à la déliquescence, aux souillures. Une maîtresse aux baisers rances et corrompus qui me laisse un goût fade en arrière de l’âme. Il suffit qu’elle pose ses grosses fesses sur ma poitrine et un siècle d’enfance me remonte au gosier dans une sorte de haut le cœur. Avec cette sensation qu’aucun mot ne peut dire ce nettoyage, cette vidange de l’âme, ce temps dépeuplé de ses instants et cette usure qui continue de creuser comme si elle n’avait pas déjà atteint l’os de la vie. Comme si je n’étais pas déjà étripé.

Depuis combien d’heures je suis sur ces mots que j’arrache un à un ?  Combien de ratures, d’effacements, comme si je sarclais ma mémoire pour exorciser cette couleur grise qui n’est même pas une vraie couleur. Certains jour, comme aujourd’hui mon sang est gris couleur d’étain et mon encre est rouge comme une hémorragie.

Depuis combien d’heure j’essaye de déraciner chaque mots comme si je déterrais des morts ? Avec cette envie de tout arrêter. Et de pleurer pour me sentir encore enfant. Pour qu’il vive un peu, même maintenant, même trop tard, même si cela ne sert à rien.

Il faut que j’arrête, il faut que j’aille acheter des billes pour jouer encore une fois sur le carrelage gris, même si ça fait du bruit….même si ça fait du bruit….

Franck. 

25 mai 2006

Aller au bout de la jetée.....

Car ce qui compose nos vies est si insignifiant, si négligeable, si futile. Les grands événements sont si rares. Il y a tant d’heures oubliées, vaines. Tant de gestes ternes, inconsistants. Un immense gruyère où ne subsisteraient que les trous, les vides, les riens. Les attentes interminables. Les gestes répétés. Les naufrages dans des sommeils de pierres. Et toutes ces paroles prononcées avec des mots si creux, si absents d’eux-mêmes. Chaque heure se tisse dans la banalité, l’imperfection, la platitude. Chaque heure rejoint le fleuve des jours, des ans, dans la perte et le manque et l’infinie tristesse des flots qui s’écoulent.

Car ce qui composent nos vies c’est le malentendu, c’est l’espérance désenchantée, c’est tous ces cul de sac, ces labyrinthes inextricables, ces occasions gâchées. C’est notre entêtement à vouloir comprendre ce qui n’a pas de sens, à désirer ce qui est hors de notre possible et au bout à se lamenter, ou à se taire. Et continuer.

Et pourtant c’est là au cœur cette piètre et médiocre tragédie, c’est là dans notre dénuement et notre déficience, dans cette langueur, là, au point d’orgue de notre irrésolution que l’écriture déploie sa palette la plus tremblante. Car l’écriture nous vient d’abord d’un creux, d’une insuffisance et de l’hémorragie qui s’en suit, d’une rareté, d’un déficit. Elle vient de nos dernières résistances quand elles cèdent, quand l’être en nous s’abandonne et se perd. Elle vient de notre marche sur la jetée quand celle-ci s’arrête et que l’océan est ici, devant, démesuré et terrifiant, et que tout en nous se projette vers l’infini. L’écriture vient de cet arrêt brutal, et de ce prolongement. De ce saut dans l’immense. De cette marche sur les flots. Quand plus rien ne nous soutient, à part le fil tendu de la langue, une ombrelle de désir dans la main droite et quelques notes de musique dans la main gauche. Pour écrire il ne faut rien puisque l’écriture vient delà. Et puisqu’elle y retournera. Il ne faut rien, sinon se quitter.

L’essentiel de nos vies se construit à l’insu de nos envies, à l’insu de nos rêves. Pour un acte posé, cent stériles ou inoccupés. Pour une rébellion, cent abdications. Pour une aubaine miraculeuse, cent nullités ternes. Accepter la faille comme l’unique possible. La faille qui recueille l’encre, l’encre des mots de l’écriture. La faille qui nous nomme. Interminablement. La faille comme dernière exigences, le lieu des empilements, des étreintes ou des serments ou des éloignements. Le lieu de nos vertiges. Car il nous faut aborder mille fois ces rivages dévastés de la mort, reproduire sans cesse l’agonie de nos jours, affronter à chaque texte l’effrayante nécessité de disparaître. A chaque fois plus loin. A chaque fois plus profond. A chaque fois plus définitif. Comme si chaque mot devait enlever des morceaux de peau, les arracher à leur obstination. Jusqu’aux dernières chairs. Jusqu’au dernier sang. Car l’écriture c’est bien déterrer des ciels vacillants d’étoiles en réveillant les gisants, c’est bien ce creusement de l’ombre ? Et toujours cette avancée sur le fil, comme une entrée dans la cathédrale : de l’arche à l’autel, du soleil au fanal, et tenter le passage impossible du clair au lumineux, du crépuscule à l’aube, des secrets au Mystère. Et accepter l’envoûtement. Et l’appeler. Messe noire pour noce blanche. Toujours. Toujours. Et infiniment recommencer, jusqu’à ce que plus rien ne subsiste de nous. C’est bien ça, hein ? C’est bien cette folie ? C’est bien cet impossible orgueil des vaincus, qui sachant leur défaite se cambrent une dernière fois, face néant ? Cet impossible orgueil des déshérités, des dépourvus, des dépouillés ? Rien. N’avoir rien, que sa langue, que des mots, qu’une musique. Rien d’autre. Et avoir assez de désespoir, de contradictions, de frontières pour pouvoir les déborder, les excéder. C’est bien cela, hein ? Dites-moi que c’est bien cela, parce que sinon il faudra que je brûle chaque mots prononcé, chaque mot écrit, il faudra que le silence ne soit plus le sacre de la parole, mais son unique sépulcre. Il le faudra bien. Et si mon errance me conduit auprès de cet écueil, au tout près de ce croc insolent, il faudra bien que j’aie la force de m’y clouer. Si la pauvreté de nos vies n’est pas assez cher payée le passage de la nuit à la nuit, si notre dénuement ne suffit pas à dédommager Charon ou ses frères, il faudra bien déchirer le pacte et incendier jusqu’à nos plus intimes paroles. Si consentir n’est pas la route, il faudra bien consumer la terre et ses environs.

Puisque pour signifier, j’ai épuisé tous les actes, toutes les routes, tous les chagrins, puisque j’ai osé tous les effleurements, frôlé toutes les peaux, puisque je me suis rassasier à tous les seins, et dormi sur tous les ventres, et caressé toutes les cuisses, puisque tout cela fut fait, puisque je fus chevalier, prince, jardinier, conquérant, puisque j’aurais pu être roi, puisque j’ai tenu des étoiles au creux de mes mains, et puisque j’ai bravé tous les échecs, toutes les abjurations, toutes les reniements, puisque j’ai été courageux et veule, puisque de tout cela il n’en reste que les cendres. Et que demain le vent les effacera. Et qu’au bout de tout, rien ne fut signifié. 

Alors…

Alors, en attendant la révélation, le dévoilement des limbes il faut bien continuer à arpenter la langue qui nous reste, à raboter la parole, et à élargir la faille, et à esquisser des pas de danse sur le fil tendu. Il faut bien risquer l’équilibre pour tenter de le trouver. Il faut bien écrire puisque c’est ça qui nous reste, puisque c’est la seule dignité possible avant la prière. Puisque je n’ai que mon silence à opposer au vacarme du monde, puisque je n’ai qu’une ombrelle de désir dans la main droite et quelques notes de musique dans la main gauche.

Alors…

Alors, il ne me reste que l’incendie des mots, la brûlure de la solitude pour invoquer les dernières heures et les ultimes insignifiances. Et me dire que là, juste là, à cet endroit de ma vie, à l’endroit de la tremblance, commence le plus grand des voyages. Le plus immobile. Et le plus terrible. Puisque tout est exigé, là, dans l’instant du mot. Alors il faut rassembler toutes les forces de l’amour. Aller au bout de la jetée et tenter une autre fois le saut dans l’immense. Au plus nu. Au plus près de l’étoile.

Franck.

14 juillet 2006

Le mouvement de Fleur.....

Dissonance. Souvent, trop souvent la lumière du jour en frottant ma peau, m’écorche. Mes gestes sont noués. Ils manquent d’élan, comme noués ou pris dans l’étau d’une drôle de fatalité. Pour avoir accès au geste léger il faudrait se quitter. Mais il y a une épaisseur invincible. La profondeur d’une ombre collante, grasse, visqueuse. Je cherche le mouvement. Celui de l’arbre. Floraison de puissance calme. Je ne suis que racine noyée de terre. Je cherche le mouvement. L’allègement d’un élan pur. Net. Clair. Chantant. Vaincre le paradoxe, car il faut s’absenter de soi pour être présent. Là. En totalité, d’accueil et de don. Juste là, posé sur le fil, léger, dansant. Mon geste est pris dans la rigueur d’un hiver perdu. Mon mouvement à froid. Pris dans la glace d’un silence. Ce n’est pas un vrai silence. C’est une parole empêchée. Parole de terre noire. Impossible germination. Essor vaincu. Défait. Grouillance obscure. Fermentation acide d’une parole stagnante. Une vase filandreuse et puante. Mon geste est dans l’enfouissement, dans consistance de son retrait, de son en deçà. Comme si le corps ne portait plus la parole, la sensation d’une chute, d’une déchéance, une déliquescence qui n’en fini pas. Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Juste la musique. Et la danse. Traverser la lumière en son point de tremblement. Un mouvement qui part à sa propre rencontre, qui se découvre, qui se dénude, qui s’invente au moment où il se fait.

Elle s’appelait Fleur. Quelques étoiles nous ont rassemblés, l’espace d’un passage de comète. L’espace d’une sonate. Elle avançait dans la vie avec un grand regard effarée. Un visage de lune inquiète, d’une beauté fragile, de ces beautés que l’on n’ose déranger. Comme si elle nous venait d’un autre monde, d’un autre mystère. Grande, mince, des gestes lents et gracieux, toujours à la recherche d’une harmonie secrète, d’une perfection étrange. Grande, mince toujours vêtue de noir, ce qui faisait ressortir la blancheur de sa peau, et la lumière de ses yeux étonnés. Quand elle posait sa main sur mon bras, j’avais l’impression d’une chaleur diffuse et d’un frisson soyeux comme si un moineau au cœur battant était là, à portée de souffle. Délicate élégance de l’âme incarnée. Noce de la pudeur et de la grâce, de l’émotion et du désir désarmé de ses violences. Elle habitait la rue du Mont Cenis dans une petite chambre cachée sous les combles où elle récitait ses rôles. Comédienne. Jeune comédienne, qui cherchait son souffle dans le verbe, qui cherchait son corps dans des morceaux de paroles, qui habillait la vie de mots, de poésie, raccommodant chaque jour la dissonance des heures avec son violon. Et cette sonate de Schubert. Fleur, ce qui touchait en premier c’était sa légèreté, puis juste derrière, son inquiétude, une sorte désarroi sans lourdeur, comme si elle était perdue, ici, sur une terre incompréhensible. Seulement perdue. Je ne lui ai jamais connue de tristesse, elle marchait sur son fil, elle dansait sur son fil et le soir elle sortait son violon et jouait Schubert ou Vivaldi. Il faut imaginer la scène : la petite chambre, la pénombre d’un soir d’été, par le velux ouvert une sereine fraîcheur, sur le bord de son petit bureau une bougie allumée, et elle, droite, simplement vêtue d’une chemise rouge sombre, une chemise d’homme qu’elle portait déboutonnée, les manches relevées, et ses longs cheveux noirs défaits. Elle inclinait doucement la tête, glissait l’instrument au creux de son épaule, posait sa joue sur le bois brillant du violon, comme pour un baiser, comme pour une tendresse, comme elle aurait fait sur la peau d’un amour. L’étroitesse de la pièce la rendait encore plus grande, encore plus droite. Pénombre grandissante dans cette lumière orangée, ensanglantée du rouge de sa chemise ouverte. Et son corps nu. Blancheur palie. Droite sortie directement d’un mystère, d’une légende. Sorti d’un rêve. Elle posait avec lenteur l’archet sur les cordes, la chambre était envahie d’ombres dansantes. Instants singuliers. Fleur jouait Schubert, presque nue, presque immortelle. Et le jour fléchissait encore comme pour rendre grâce, ou pour la protéger un peu plus, et le violon appelait une à une chaque étoile, et Fleur appelait la nuit, la nuit des premiers temps, la nuit prodigieuse, saisissante des premiers temps. Et la nuit lui répondait. Et la nudité de son corps s’estompait peu à peu emportée par chaque note. Et Fleur appartenait à la nuit, et la flamme dansait cherchant l’accord avec les sons du violon. Nuit ruisselante de chaleur musicale, d’émotion traversée, feuilletée note à note, comme si à cet endroit du monde, dans ce temps précis, une source naissait répandant son eau lustrale, comme si un trou de lumière perçait le néant. Fleur savait remettre en ordre le monde, elle harmonisait ici, ce que d’autres défaisaient plus loin. Mais Fleur n’avait pas de lassitude, et le mouvement de son geste sortait de son long corps nu, comme la houle sort l’été, des grands champs de blés brassés par une brise amoureuse. Elle inventait le geste pur, elle inventait la nuit, elle inventait l’impossible temps de la présence révélée. Il y a dans le jeu de l’ombre et de la musique un accord particulier, comme si du vivant cherchait du vivant, comme si nos égarements trouvaient leur issue. L’amour se bâtit dans l’ombre et dans l’alvéole que laissent les notes d’une sonate de Schubert à l’approche de la nuit

Fleur a posé on violon. Fleur c’est allongée sur le lit, j’ai simplement placé mes mains sur son ventre, j’ai simplement baisé ses seins, j’ai simplement goutté sur ses lèvres la saveur de la nuit, j’ai simplement caressé le silence qui recouvrait son corps, j’ai simplement enfoui ma figure dans sa chevelure, j’ai simplement entendu son cœur battre, j’ai simplement senti dans mon cou son souffle mêlé de notes insolites…

Fleur parcourait la vie avec cette élégance rare des funambules. La pièce qu’elle répétait l’accaparait beaucoup. « La valses des hasards », elle y jouait une morte si vivante, en prise avec un ange si facétieux. Jouer c’était d’abord se battre avec son corps, c’était trouver le geste, le mouvement. Chercher dans le mot, le mouvement juste, celui qui fait tinter le ciel. Jouer c’était d’abord chercher la voix, celle qui va dire le corps, c’était chercher le souffle qui allait porter le geste. Fleur s’épuisait dans cette descente au fond du mot. Jouer c’était devenir un arbre dans sa croissance et dans ses fruits, dans ses craquements, dans son élancement solitaire et généreux, jouer c’était arracher le trop plein, évider le surplus, sabrer dans la chair des faiblesses, tarauder les peur les entraves. Jouer c’était accepter de vivre dans le pli du texte, à la jointure du vide laissé par le rêve effondré sur lui-même. Chaque jour Fleur partait au plus loin d’elle, elle quittait tout, laissait tout ouvert, et il y avait de l’exaltation dans cette perte, et il y avait du ravissement, de la jouissance dans cet abandon. Et chaque jour elle partait sur son fil tendu au-dessus des gouffres d’insignifiance. D’un pas de danse. Ivresse du vertige. Chaque jour elle accordait un peu plus, sa chair à la chair du texte, chaque jour elle inventait le geste qui devrait naître plus tard, chaque jour elle inventait l’enfance et la présence, et l’arbre qui la traversait.          

Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Le mouvement de Fleur lorsqu’elle jouait Schubert nue, dans l’ombre envahissante d’une nuit d’été.

Ce matin j’ai reçu un texto de Fleur : « Cher Franck ! J’ai pensé fort à ton anniversaire, hier. Alors il n’est pas trop tard pour te souhaiter une heureuse et tendre année. J’espère que les fenêtres de ton âme vont s’ouvrir pour mieux te sourire et guider tes pas vers le chemin de la quiétude et de la félicité. Fleur. »

Si tu savais comme je suis loin de cette quiétude, si tu savais combien Schubert me manque. Si tu savais mon écrasement à chaque texte et l’harassement qui s’en suit. Si tu savais comme chacun de tes gestes peuple encore ma mémoire, si tu savais ma maladresse sur le fil tendu et ma marche hésitante, et cette vie qui s’effrite, et cet arbre mort qui me troue les entrailles.

Franck.

25 juillet 2007

Naissance.....

Le Reflux……

 

La douleur violente c’est peu à peu retirée. Marée basse. Lentement retirée. Chaque instant nouveau découvre l’étendue du désastre. L’infini du désastre. Plus je suis déserté par les eaux plus je perçois l’effroyable déchirure. Ecartelé, déchiré, je ne sens plus la torture dans ma peau, dans ma chair, dans ma viande. C’est plus sournois, plus diffus. Comme de l’eau qui se retire d’une plage. Une eau pleine de lassitude. Un effondrement si lent. Un effondrement vague après vague. Effondrement d’énergie. De l’âme. Après le corps c’est toujours l’âme qui veut disparaître.

Quelque chose de l’unité n’existe plus.

A chaque instant je crois me dissoudre dans le vide laissé par la déchirure, par la vague. Il n’y pas d’angoisse, pas de peur, seulement une tension permanente. Permanente, lancinante, agaçante. La sensation que l’océan se vide vague après vague. C’est ça qui use. Etre l’alpha et l’oméga du néant.

Au-delà du désespoir.

Un désespoir qui n’a pas de forme, pas de résistance. L’eau de l’âme déserte la plage. Il n’y a plus rien que le vide. Vague à l’âme. Vide épais, pesant. Le vide ce n’est pas un rien sans consistance, non, c’est un rien compact, pâteux. Il est sans forme, mais il est lourd, tellement lourd. Lourd comme l’éternité, comme la mort.

Vague après vague je disparais un peu plus, recroquevillé sur mon vide, sur mon absence. Séparé, divisé, déchiré, en exil de la vie. L’autre vie. Celle d’avant.

Avec seulement cette tension. A moins que ça soit çà. La vie. Le souffle tendu dans une attente vaine. Pas d’envie, pas de désir, que de l’attente. Attendre l’envie et le désir. Espérance de désir... pour désirer rien. Rien, jusqu’à la fin des temps.

Se souvenir. Ca ne marche pas. Je n’ai pas de mémoire. Les images semblent sortir de mon corps. Plus vivantes que moi. Mais ce n’est pas du souvenir. C’est du sang que j’entends battre sur mes tempes, c’est l’odeur qui envahie mes fosses nasales. Ma gorge.

Noir. Tout le reste est noir. Je n’ai plus de passé, d’ailleurs je n’ai plus rien. Je ronge l’attente comme un vieil os usé. Je ne peux même pas me tuer. Il n’y a rien à tuer. Personne. Je suis là. C’est tout, je suis là. Mais je n’existe pas. Tout a reflué. La plage est déshabillée, nue.

Je suis nu. Non. Je suis rien.

Quelque chose passe, s’épuise. Je ne sais pas ce qu’est le temps. Quelque chose s’épuise. Quelque chose en moi s’épuise. Du temps, du rien. Sans violence, sans révolte, comme la mer qui se retire. La mer qui s’enroule sur elle-même, qui s’absorbe elle-même, qui ravale ses sanglots, vague après vague, laissant derrière elle cette hideuse dentelle moussue, rouge, silencieuse qui s’accroche encore à quelques cailloux miséreux, qui n’en finissent pas de s’user, eux aussi.

Je ne suis plus lié à mon corps. Je sens quelque chose qui résiste, alors je dis que c’est mon corps. Mais je ne suis pas sûr. Avec les dernières vagues mon image disparaît et les miroirs se taisent. Ils ne me savent pas. D’habitude les miroirs savent les images. Là, ils ne me savent pas. Pas encore. Pour toujours. Peut-être.

J’ai les yeux tournés vers l’intérieur. Même pas. Je suis aveugle. Le monde a perdu son épaisseur. Etranger, abandonné au-delà de la mer.

Au-delà de la mère. Bien après la dernière vague. Ce n’est pas un lieu, c’est…. ça ne se défini pas. Ca ne se dit pas.

La plage est vide, encore humide. J’ai tout oublié, l’eau, la tempête, le bruit, les cris, la souffrance. Je ne souffre pas. C’est pire.

Je vis.

Au fond de ma gorge, ce goût fétide qui m’empêche d’hurler. Ce goût laissé par la dernière vague. Senteur marine. Non, plus fade, comme l’odeur blanche de la mort. Je suis là dans un présent mobile, indéfini. Je ne sais pas si je dors, je ne fais pas la différence. A cause, sans doute, de ma mémoire. Saturée de douleur, de néant.

Le seul mouvement qui me reste c’est celui de la mère qui s’enfuie.

Je m’éloigne du rivage.

Toujours un peu plus.

J’entends ma respiration. C’est la mer qui rumine. La mer monstrueuse méduse halète.

Allaite.

Je vois son corps immense trembloter. Non, c’est moi qui tremblote. Je suis une méduse qui tremblote. La transparence épaisse d’une méduse échouée au bord de l’océan : et qui tremblote.

Une mère à marée basse laisse toujours une impression d’inachevé.

D’inachevé.

Elle pourrait descendre encore, descendre sans fin.

Mais, à un moment donné, il y a la dernière vague. Puis plus rien. Puis l’attente.

 

L’Etale….

 

A force d’attendre je crois voir les images.

Des morceaux d’images.

Mon corps de méduse est trop mou pour accrocher les images. Pourtant je les sens, elles s’incrustent, elles glissent, elles rampent. Ma tête ne peut les retenir. Ma chair non plus. Je ne comprends pas. Pas de maîtrise, pas de sens, pas de forme. Rien qu’une femme écrasée dans les plis désespérés d’un corps mou, translucide. Et moi. Et ça. Morceau d’image. Morceau de corps.

Pas de son, pas d’odeur.

Peut-être une odeur. Je ne peux pas dire ce que c’est. Une odeur. De toute façon elle est mélangée à la couleur. Peut-être l’odeur de la méduse. Je ne sais pas d’où elles viennent, les images. Les morceaux de cette femme. Cette femme éventrée. Il n’y à pas de sang. Pourtant elle est éventrée. Je le sais. Quelque chose de la méduse le sait. Au bout de la mère, au bout du mouvement ces choses là se savent. Tout le monde le sait qu’elle est éventrée. Pas besoin de sang pour le savoir. Les méduses ne saignent pas.

Immobile.

Je sors d’une blessure baveuse.

Je suis la blessure.

Pour toujours.

La mère immobile. Seulement les images superposées de cette femme. Je sais que c’est moi. Je ne le vois pas. Je le sais. J’ai toujours su qu’elle était éventrée sur des lits poisseux de désir.

Ma peau est gluante comme une méduse gluante.

Pour toujours.

Elle a cette sorte d’immobilité étrange. L’image. La femme. La mère. L’immobilité vertigineuse des rêves. La peau est pâle. Il faut dire la viande. La viande correspond mieux à ce que je sais. Une viande gluante, visqueuse, ouverte.

La femme est ouverte. Les cuisses sont ouvertes. C’est normal. C’est toujours comme ça. On dirait une méduse oubliée au bout d’une plage. Elle. Moi. Je ne suis pas sûr, parce que se sont des morceaux d’images. Et puis, je n’ai pas tous les mots parce que je suis en morceaux et ouvert.

Non, c’est elle qui est ouverte. Quand on est ouvert, on n’a jamais tous les mots. Je le sais. Tout le monde le sait.

Il faudrait faire des phrases. Pour mieux respirer. Des phrases longues avec de la mémoire. Je suis sûr qu’il faut de la mémoire. Tout le monde a de la mémoire et peut faire des phrases longues qui racontent des histoires. Les phrases longues, c’est pour raconter les histoires de la mémoire. Les histoires du temps. Du vrai temps.

Avec de l’avenir et du passé.

Non, pas du passé.

Plus jamais du passé.

La mémoire ce n’est seulement que pour du passé.

Je n’ai pas de passé, alors je n’ai pas de mémoire. Les images, c’est du présent. Rien que du présent. Tout est enfermé dans les images. Tout s’y arrête, comme la mer, comme la méduse.

Si seulement l’eau pouvait revenir. La mère. Mais elle est basse, moi, je suis trop las, trop lisse. Même éventré.

Trop lisse. Eventré de l’intérieur.

L’exil.

Je suis exilé. C’est le mot qui convient. Hors de mon lieu. Prisonnier ailleurs, plus loin, encore plus loin, dans les images sans doute. A l’intérieur c’est vide. C’est pour ça que je suis exilé. Un vide à l’intérieur qui sépare et déchire.

 

Le Flux……

 

Seulement un peu d’eau.

Le moment où l’univers reflue.

L’eau suce à nouveau la terre.

La terre aspire.

J’aspire

Comme un trop plein de vide.

Jusqu’à l’écœurement.

Tout d’abord il y un bruit imperceptible. Un peu de mousse qui se forme. Quelques bulles, un peu comme de la bave qui viendrait blanchir le sable. A nouveau. Quelque chose à nouveau s’accroche.

Entêtement fatal.

Avant le mouvement il y a l’intention du mouvement. Un désir, un rien. L’écume baveuse qui vient mouiller un peu plus loin le sable. On pourrait croire que cette mouillure tente de surgir du sable. Une mouillure de l’intérieur du sable.

Avant le mouvement il y a cette impression de suintement de l’intérieur.

La respiration vient après.

Du silence sort un souffle.

Il est diffus. Il est là : lent, profond, inévitable.

Inévitable.

C’est vraiment un souffle. Une respiration vivante.

L’infini qui respire.

Un trouble. Une ivresse.

Sensation troublante, comme est troublante l’apparition de cette mouillure venue de l’intérieur. Quelque chose de vivant. Trop vivant.

Cette respiration, cette succion, cette bave.

Rien n’est coordonné. Je ne perçois ces éléments que séparément. Pas d’unité.

Il n’y a pas d’unité.

Au début il n’y a jamais d’unité.

Que ce souffle. A l’intérieur. Plus d’eau. Seulement le souffle. La mémoire de l’eau qui berce.

Quand la mère se retire.

Quand la mère se retire il y a l’effroi. L’abandon à l’effroi. Bercé dans l’effroi. Je crie.

Rien que du cri. Pas les mêmes cris. D’autres. J’en ai plein la gueule. Ils me submergent, m’envahissent.

Maintenant la mer est à l’intérieur. La mère. Je crois. Son mouvement. Tout remue à l’intérieur avec cette respiration. Une vague moussue m’enveloppe, mais en dedans. Elle clapote insignifiante et têtue.

C’est quoi le néant ? La mère peut-être ? Sans doute. L’extase des ténèbres. La mère c’est toujours l’extase des ténèbres. Elle est là dedans. A jamais. Fascinante comme la mort, ou quelque chose qui y ressemble. La seule chose vivante ici c’est la mort.

Elle monte à l’intérieur comme une marée naissante. Le flux de la mort. Le reflux de la mère.

Maintenant la mer est là, qui monte comme une désespérante envie. Inexorable attraction du désir. Douloureux dans la chair. Plus profond encore que la chair. Dans le ventre. J’ai un océan dans le ventre. Un océan de désir douloureux dans le ventre. Quelque chose qui grossi, qui déferle. Vague après vague. Toujours plus haut. Plus fort. Impitoyable avalanche de la mer qui monte du plus profond du ventre.

Tout s’agite. Maintenant. L’univers bouillonne. Plus bas que le ventre, à l’endroit ultime d’où la marée remonte. Le seul endroit. Le lieu. D’où se dressent les vagues. Le trou obscur de l’univers.

J’entends les bruits de la mère. La mer s’arque boute sur un désir convulsif pour enrouler ses vagues toujours plus loin dans le ventre, vers une plage inaccessible.

Inaccessible. Voilà, c’est tout. Inaccessible. Le reste, tout le reste est un perpétuel recommencement.

La seule réalité ce sont ces marées inutiles dans un univers inutile.

Il y a quelque chose de vain dans les marées. Pendant un instant, pendant que la nature pousse on se prend à espérer. Puis elle reflue. Se recroqueville.

Les marées n’accouchent de rien. La mer n’accouche de rien. La mère aussi.

Sûr d’une chose. L’invincible douleur. Le mal absolu de la déchirure.

Rien d’autre.

Se taire.

Regarder la mer jusqu’à l’ultime marée.

Tout est dans ce mouvement qui donne l’illusion de la vie. Va et vient. Apparition. Disparition. On croit naître de ce mouvement. Illusion.

J’existe depuis avant. Avant la déchirure. Avant le mouvement.

Comme la méduse.

Je suis né d’un va et viens. Du frottement des chairs. De l’usure désespérée des chairs entre elles. Rien de plus. Rien de moins.

Rien de beau là-dedans. L’usure inéluctable du va et vient des chairs. De la mer. De la mère. Né d’un épuisement de l’eau.

Illusion d’amour ou croire à la nécessité des choses. Rien n’est nécessaire. Au mieux il y a l’usure.

Danse macabre de l’usure des chairs. Deux méduses aussi vaines l’une que l’autre. Rien de nécessaire là-dedans.

L’amour. L’absence. Illusion de l’autre. C’est toujours le même vide, à cause de la même déchirure. La mer se contemple seul.

La mère aussi.

La seule réalité c’est le va et vient de la mer, ces marées qui montent et qui descendent, cette usure des chairs. Il n’y a rien à trouver, pas le moindre sursit.

Au mieux expier des illusions. Pris dans un jeu de reflets.

Jouet des transparences.

Pourtant la jouissance se dit dans des hurlements de bête.

La naissance aussi.

Les mêmes cris. Je viens de cette usure des chairs et d’un désir douloureux.

D’un reste.

D’un surcroît de tristesse au bout d’une plage désertée.

D’un épuisement.

Ne l’oublie jamais. Jamais. Méduse abandonnée. Rien de plus.

Le reste d’un combat obscène et douloureux. Des corps qui s’entremêlent dans le désordre d’un désir brutal. Des corps qui mugissent, se tordent. Des corps violents. Des chairs offertes.

L’extase. Comme un effondrement. Comme à l’heure incertaine du soir. Heure incertaine…. Plus tout à fait le jour…. Pas encore les ténèbres. L’effondrement progressif de la lumière. Extase où la mort bave ses poisseuses secrétions.

Extase. Torpeur des frottements. Usure des chairs. Du temps.

Quant au reste c’est l’histoire d’une marée. Perpétuelle ignominie.

Vacuité insoutenable.

Franck.

12 août 2007

Ma perdue.....

Nous sommes faits de morceaux qui ne tiennent pas entre eux. Ils ne vivent aux mêmes heures. A la jointure, il y a des plaies, des cicatrices qui suintent. La douleur se fait sentir à l’aube. Chaque aube aggrave la substance de l’imprononçable.

Mon absente, mon égarée, ma perdue.

J’essaye de prendre appui sur la feuille blanche et je me perds dans cette apocalypse de blanc. Le blanc de la page recèle des pièges comme des crevasses sous les grands champs de neige. Avancer dans le blanc c’est à coup sûr aller à sa perte. La chute. L’inévitable avalanche. Chaque aube grince des illusions à venir. Et puis tous ces morceaux de vie qui ne tiennent pas entre eux.

Les dieux avaient dit : « …c’était elle, c’était lui… ». Et ils pleuraient, les dieux. Les dieux pleurent toujours lorsque quelque chose des humains leur échappent. Et puis ils ont arrêté de pleurer. Ils sont désormais rassurés. L’ordre du monde et des constellations est sauvegardé.

Mon absente, mon égarée, ma perdue.

Nous resterons sur les rives opposées du fleuve. Et nos regards ne feront pas l’arche de lumière. Tu étais faite d’océan, et j’étais fait de landes, de bruyère et de vent. A nous deux nous faisions un monde. Et aujourd’hui la ligne de nos retrouvailles est envahie par les grandes marées. Et la ligne de nos paroles s’efface dans l’immobilité crasseuse du soleil. Et même les ombres s’essoufflent.

Mon absente, mon égarée, ma perdue.

La ligne de nos corps, elle aussi, s’efface dans une effrayante oscillation frémissante. On ne vit pas impunément à l’aplomb du soleil. Et sur nos plages interrompues le texte demeure introuvable. Le temps décortique l’espérance, en suce la moelle et l’os, et c’est une litanie agenouillée, pantelante. Quelle est ma langue sans ta parole ? Que sont mes chuchotements sans tes murmures ?

Mon absente, mon égarée, ma perdue.

Que valent ces draps blancs, insolemment blancs, sans ta nudité pour en apaiser la violence de l’éclat. Ce matin la source dégorge des cris, ce n’est plus une eau, mais un ravage, un débordement lourd et carmin. Un cratère saccagé d’incertitude.

Alors, qu’importe, et que mes mots aillent se faire pendre aux crochets des étoiles, moi je n’en ai plus la force.

Et puis morceaux de vie qui ne s’accrochent pas entre eux.

Mon absente, mon égarée, ma perdue.

Franck.

23 décembre 2007

L'enfance des chênes.....

J’ai trop de cendres dans la voix. Le perdu se renouvèle comme l’horizon du futur.

 

Parce que c'est l'enfance et que l'enfance est la première patrie de la solitude. Parce que tout se résumera là, comme un raccourci. Les premiers gestes s'impriment sur le premier passage de la pellicule. Et la manivelle du temps fait tourner la pellicule. Toujours la même. Images sur images. Temps sur temps. Et la vie se regarde dans la transparence et la confusion des images. L'empilement des images sur la pellicule.

 

La solitude de l'enfance est un royaume. Une citadelle d'ignorance sublime. On est dans l'abondance du manque, dans l'insuffisance de nos actes, de nos pensées vagabondes, on est dans la lumière perpétuelle des inventions. On ne manque de rien puisqu'on manque de tout, et que tout, est le ciel de nos jours. On est un dieu nu et innocent. Attentif. Et souriant. Effleuré par les heures des jours sans fin, frôlé par le vol suspendu des papillons, caressé par la trace laissée des oiseaux, enlacé de clartés légères. C'est le temps des exploits, des conquêtes, où passer de l'ombre au soleil est une aventure incommensurable de mystères et de joies.

 

Avec l'âge apparaîtront les premières fissures, et grandir annonce la défaite. L'adulte vit dans des champs de ruines. Ecrire tente de redresser les murs de l'enfance. Retrouver les premières traces sur la pellicule.

 

Je mets mes mots dans la transparence du temps. Je m'effare de la contemplation de l'avenir de ce passé. Ecrire c'est l'enfance qui pousse encore, et tend sa main maculée de terre. 

 

L'enfance est un ouvrage sans limite.

 

Et l'âge apporte l'ennui, la misère, le désastre. Et l'âge traîne avec lui la fatigue, l'accablement. L'inachèvement. L'enfant n'est pas à lui-même, il est absent de tout. La fatigue de l'enfance advient par trop d'absence. La fatigue de l'adulte arrive par l'inverse, par trop de présence. Trop de présence vaine. La fatigue de l'enfance s'efface avec un peu de repos. La fatigue de l'homme s'aggrave avec le repos.

 

Et l'enfance ne se souvient pas de la mort, et l'adulte a oublié la vie. Ecrire c'est tenter de se souvenir et de l'une et de l'autre. Tenter. Tenter seulement.

 

Car écrire épuise mais ne fatigue pas.

 

Il y a dans certains jeux de l'enfance la gravité du destin.

Nous écrivons bien avant de savoir écrire. Et cette écriture d'avant est la plus simple. La plus puissante. La plus essentielle. L'enfance connaît le geste libre qui se nourrit de lui-même et se désaltère de son propre sang, et trouve avec aisance le passage de la lumière.

 

Je m'installais sur la lisière. A la frontière du sec et de l'humide. Face à la mer. J'ai passé mon enfance dans la terreur de l'eau. Alors je restais sur la plage. A la frontière du sec et l'humide. Surveillant la mer. Et je passais de longues heures assis dans ce face à face. Sur le bord de la mer, posé sur le sable. Sur la frontière.  A creuser. A creuser le sable. Creuser est le premier acte de connaissance. Il faut une vie pour passer du sable à la terre, et de la terre à la chair. Creuser c'est éprouver la réalité, c'est déjà affronter l'illusion de notre vie.
Alors on est sur le bord de la plage. Face à la mer. S'appliquant à creuser, à trouer, à blesser. Et bientôt le fond du trou se mouille. L'eau apparaît. Et nos gestes s'animent. Plus fort. Plus profond. Une sorte d'excitation fébrile qui nous pousse à creuser toujours plus. A vouloir vider le trou de son eau, de son sable. Le vider de tout.  Et plus l'on creuse, plus le trou s'élargit et se rempli. Et plus l'on s'épuise, à vouloir épuiser le trou. C'est un jeu de l'enfance. Et c'est déjà un jeu de la vie. A chaque brassée, on remonte du sable. Toujours le même sable. Et c'est intarissable, démesuré. On pourrait croire que c'est du même que l'on remonte du trou. On pourrait croire que c'est le même geste. Le même trou. Le même vide.
L'enfance s'entête, là ou l'adulte renonce.
L'enfant invente l'écriture.

Il s'applique. Attentif et souriant. L'enfant livre son combat contre l'impossible. L'inacceptable. Et sans cesse le trou s'agrandi et se rempli. Ecrire c'est ce trou qui s'agrandi. A chaque mot. A chaque texte. A chaque redite.
Ecrire c'est épuiser la terre, et le vide de la terre. C'est ce trou vers la mer. C'est s'épuiser dans le même geste sans savoir que l'on va vers l'infini de la mer. Et les mots sont le sable, rien de plus que du sable humide, et l'eau, l'impossible connaissance. Ecrire c'est ce geste pur et absurde. Pur parce qu'absurde. L'écriture ne dit rien de plus que cette érosion des bords, que ce rien qui veut rejoindre la mer, dans un geste inachevable, fait dans l'urgence.

 

L'enfant ne connaît pas la mort, il apprend seulement la vacuité de toute chose. Dans le scintillement des flots, le murmure des vagues, et 'insolence du soleil.
Il n'y a pas d'œuvre. Uniquement ces trous dans le sable, que la marée envahira.

Ecrire c'est être à la frontière du sec et de l'humide et creuser toujours plus profond, toujours plus loin.

 

« Qu'as-tu fais de ta vie ? », 

« J'ai creusé... et certains jours j'étais heureux...sans raison... »

 

Ecrire c'est avoir les mains de l'enfance, maculées de terre ou de sable, et les tendre au soleil pour y voir briller quelques rêves d'or.
Assis sur le bord du trou.
Face à l'océan.

 

J’ai trop de cendres dans la voix. Le perdu se renouvèle comme l’horizon du futur. Et le perdu est bien la seule prière que nous sachions faire. Je ne suis que la somme de mes pertes convergentes, dans la grande arithmétique du manque et de la défaite. Et je suis pris dans l’invisible langueur des chairs.
L’expiation renouvèle toujours plus les saisons.
Et les grands chênes tremblent du temps qui passe.
Ils craquent de leur solitude.
Mais frémissent au printemps.

 

Franck.

19 janvier 2008

Le jour où je suis mort.....

Il arrive un moment où c'est le bout. La fin. Même le corps ne veut plus. Ma mémoire reflue à nouveau. Incessant mouvement. Je revois les images. La chambre. Je déroule à nouveau la journée où je suis mort. J'essaye de retrouver la chronologie.
Au début je ne vois que la chambre. La chambre verte. C'est l'été. Par la fenêtre la masse de la verdure, les bois brûlants de vert. Le ciel. Bleu. Et la rivière en bas. Je l'entends à peine. C'est l'été les eaux sont basses. La fenêtre est ouverte. C'est l'été, il fait chaud. Je ne sais plus vraiment la chronologie. Trois quatre jours d'alcool absolu. Je ne me souviens que de la rage. La rage à boire. Aller au bout. Les grandes rasades de whisky bues au goulot qui arrachent une grimace à la déglutition. La brûlure de la gorge et le sang qui s'enflamme. Trois ou quatre jours impossibles. Sans chronologie. La seule compulsion du geste comme fil rouge. Et le dégoût, et la grimace, et la cigarette qui cautérise la plaie. Simplement la rage d'en finir. Deux, trois bouteilles de whisky dans la journée. Je ne sais plus. Et ce train bleu de tristesse foudroyante, comme des éclairs. Je n'ai plus de pensée. Rien. Hormis des sensations, des impressions. Il n'y a pas de temps, pas d'espace. Je bois un marais amer aux herbes filandreuses. Haut-le-cœur, vomissement qui ne vomissent rient. Je revois ma main qui tient la bouteille, je dévisse le bouchon métallique du plat de l'autre main. Scansion. Répétions du geste qui tue. Stridence de la brûlure dans le sang. Jusqu'où le corps peut tenir. Trois, quatre jours. Je ne sais plus. Déjà je sens le rétrécissement. L'accélération et le rétrécissement. Chaque mouvement traverse un coton grattant, chaque regard sort d'une pâte lourde. Les jours sont une longue gorgée qui n'en finie pas. Aucune exaltation. Il n'y a plus que la rage, qui livre son dernier combat contre désespoir infini. Infini, est le mot qui convient le mieux. Sans borne. Aller au plus droit, au plus vite. Remplir au plus vite. Plein. Déborder même. Pour être sûr d'être plein. Sans vide. Extase vertigineuse de la dernière chute.
Je tombe. J'ai du tomber. Je ne m'en rappelle plus. Au bout de trois ou quatre jours j'ai du tomber. Ma tante me dit que le docteur arrive. Je ne veux pas le voir. Pourtant il est là. Un jeune. C'est un remplaçant. Je ne le connais pas. J'ai du mal à tenir debout. Il m'entraine le long de l'étang. Il parle. J'aime sa voix. Alors j'écoute. Un peu. Je voudrais lui dire. Mais qu'y a-t-il à dire ? Rien. Il faudrait tout reprendre depuis le début. Quel début ? Où est-ce que ça commence tout ça ? Avant Jésus Christ ? Et puis mes jambes ne me portent plus. Il m'ausculte. Il est inquiet. Je le vois, il ne dit rien, mais il est inquiet. Je ressens cette inquiétude dans ce corps qui n’est plus le mien. Il se fait aider, on me rentre à l'intérieur. Il s'agite. Je l'entends, il téléphone « Hôpital... Ambulance... urgence... ». Il dit qui rappellera. Il revient me voir. Je lui dis que je ne bougerai plus d'ici. Plus jamais je ne bougerai d’ici. Pas d'ambulance, pas d'hôpital. Rien. Ici, simplement ici. La mort ou n’importe quoi d’autre. Sur ce lit, de la chambre verte.
Il est inquiet. Perfusion. Toutes les heures il revient me voir. La tension chute. Il a peur, je sens sa peur. Dans le couloir j'entends des bribes de conversations.
Je suis allongé dans la chambre verte. C'est l'été. Je ne bouge plus. Je sens le poids les couvertures sur mon corps de gisant. C'est à ce moment-là que j'ai senti que ça partait. Petit à petit, quelque chose c'est mis à quitter mon corps. Plus ça quittait mon corps et plus je sentais une pesanteur. Ca ressemblait à un fluide qui quitte le corps. Les jambes, les bras, les mains, les doigts. Le bout des doigts. Surtout le bout des doigts. La vie qui fuit un corps percé. Epanchement. Ecoulement. Cela dure longtemps.
Il ne sent plus mon pouls. Piqûre. Le soir tombe. La fraicheur entre dans la chambre. Et c'est la nuit. La lampe de chevet est allumée. Je sais qu'il ne faut pas que je m'endorme. Je sais que si je le fait ça sera la dernière. Ce sont des choses que l'on sait. Que le corps sait. C'est la nuit, et tout ce que j'ai de force continue de s'écouler de moi. Quelque chose de l'abandon. Ca n'en finit pas. Je ne peux faire aucun geste. La tension continue de baisser encore un peu. Je n'ai plus peur. Je suis arrivé. Le bout. Il faut simplement laisser. Laisser aller. Il revient en pleine nuit. Quelle heure est-il ? Mon endroit n'a plus besoin d'heure. Qu'importe. Il est là en pleine nuit. Il est assis sur le fauteuil, près du lit.
Il parle.
Au début, je ne comprends pas ce qu'il dit. Sa voix est très loin. Ou c'est moi qui ne suis déjà plus ici. Où suis-je ? Dans quel pays ?
C'est l'Afrique ? L’Afrique me revient….là aussi je suis allongé sur une couchette. Ca fait trois jour que je me vide. La dysenterie. Trois jours de douleur, de contractions, de spasmes. Dans cette cabine, il doit faire plus de cinquante degrés. La déshydratation vient vite. La transpiration et les spasmes permanant qui vous font chier de l'eau et après, plus rien. Quand il n'y a plus rien, il n'y a plus rien. L'intérieur du corps de tord, se presse, se convulse... et rien... après c'est le sang, qui vient. Il coule le long de ma cuisse.
Mopti, sur le Niger. A la période de basses eaux, les grands bateaux à fond plat servent d'hôtel. La cabine est exiguë. L'air est irrespirable. Trois jours et quatre nuits de spasmes ininterrompus. Il y a un point de chaleur où l'on ne pense plus. Comme un seuil de douleur qui empêche toute réaction salutaire. On me traînera au dispensaire des pères blancs.

Là, c'est la nuit. Le jeune docteur parle au loin de ma vie. C'est un murmure. Sa voix semble traverser les siècles. Il veille un mort qu'il voudrait ressusciter. Il ne se sert que de sa voix. Et de la parole blanche. D'instinct il a choisit la parole du lait. Celle de l'aveu, celle de la prière. La parole qui s'adresse à l'absence pour révéler plus que pour manifester. C'est une voix de cierge tremblant. Une voix de catacombe. De Crypte voûtée. Voix de chair qui parle à la chair. D'ombre qui glisse sur l'ombre. Froissements du silence comme un léger éclat de lumière dans une nuit sans lune. Chemin de voix et de paroles obscures sorties du seul désir de se survivre à elle-même.
Il faut imaginer... il est très près de moi. Mais sa voix, au départ vient d'un autre pays. J'entends sa respiration. Son souffle. Ses silences. Parfois il se tait. Et c'est la nuit. Et je pars. Dans ce coton noir. Velours de ténèbres. Ce n'est qu'un son monocorde, mélopée lancinante de la voix humaine. Qui appelle. Depuis des siècles, qui appelle au-delà des membranes de la mort. La voix des mères immémoriales.
On n'apprend pas la voix dans les écoles de médecine. On n'apprend pas le chant de la voix sous la lampe écrasé d'une nuit d'été. Qu'apprend-t-on dans les écoles de médecine ? On n'apprend pas le murmure de la vie quand il faut le mêler au souffle du mourant. Non, on n'apprend pas la flamme bleu et rouge qui colore chaque mot venu du ventre comme un râle, comme une plainte, comme une complainte obstinée, entêtante, démesurément humane et vivante. Vivante. Il faut que la voix soit faible, si faible pour passer dans les couloirs du vide, et de la mort.
Il faut qu'elle soit si puissante pour porter une respiration si éteinte.

Je ne dors pas. Pourtant c'est la nuit. Peut-être la dernière. Et ces morceaux de souvenirs. Le fleuve. Le Niger. La nuit du fleuve. Cette douleur qui n'en finie pas. Avec les spasmes. La nuit, je me traine à travers les coursives pour accéder au pont. A l'air libre. La chaleur de ce bateau de ferraille me fait sortir.  La nuit, il semble régurgiter tous les feux du soleil. Chaleur étouffante, qui surgit en bouffée d'enfer des entrailles même du bateau. Les bateaux portent dans leur balancement la mémoire des naufrages. La nuit je me traine sur le pont pour respirer. Je suis recroquevillé dans un coin de nuit, plié sur cette douleur, et ces contractions. Et je me cache dans la nuit, tordu par des douleurs de parturiente. Je n'accouche de rien. Rien. Pourtant...

 

Maintenant la voix remonte le fleuve. La voix a pris le chemin du fleuve d'Afrique. La voix suit les lentes courbes du fleuve. Et peu à peu j'entends la voix de la nuit qui traverse les membranes de la mort. Qui suit la veine du fleuve. Le sang du fleuve.

Il est à coté de moi, et sa voix s'est accrochée à ce souvenir, et elle remonte lentement mes veines. Le fleuve de mon corps. Je sens la fraîcheur douce des eaux du fleuve prendre possession de mes chairs. Centimètre par centimètre. Et sa voix devient de plus en plus claire. Audible. Comme si le souffle du lait se transformait en eau cristalline. Avec lenteur. Ca commence par les extrémités, les bouts des doigts, les mains, les pieds, les bras, les jambes. Le fleuve de sa voix me recouvre peu à peu, rendant plus pesant le poids des couvertures. Avec ce picotement d'eau claire sous la peau. Quelque chose remonte. Je le sens. Je le sang. Ca vient de sa voix et d'un souvenir d'Afrique. Ca vient du fleuve. Du grand fleuve qui traverse mon corps. De ce fleuve qui traverse tous les Sahara pour chercher l'océan dans les corps.
Simplement porté par la voix de ce si peu docteur.
Sous les draps, j'ai bougé.
Un peu.
Il me reprend la tension.
« Putain, elle remonte... ! ». C'est alors que je vois briller ses yeux. Je vois ces petites gouttes de larmes de fleuve sur le bord de ses yeux.
Les eaux remontent, comme une grande marée sortie du néant.
Je vois son sourire. Il est épuisé.

Qu'as-tu-dit petit docteur pendant toutes ses heures ? Qu'as-tu-dit ? Quelles sont tes incantations de sorciers ? Où es-tu allé me chercher ?
Tu as ouvert la fenêtre, la fraîcheur de la nuit d'été est entrée dans cette chambre verte. Tu as éteins la lumière pour éviter les insectes. Je voyais un morceau de ciel étoilé. Etoilé.
Et ce fut mon premier consentement.
Il m'a dit « Dormez... maintenant. »
Et j'ai dormi. Calme. Bercé simplement par un chant mystérieux. Qui avait brassé mes eaux, mes chairs.

 

Et la route fut longue. Mais elle a commencé là. Sur les contreforts de cette nuit singulière. Avec ce premier consentement au fleuve, et à la voix insensée qui a su glisser sur ses eaux. Voix de cierge vacillant, comme le premier lait, comme le premier jour.
Franck.

20 janvier 2008

Alors....

Car ce qui compose nos vies est si insignifiant, si négligeable, si futile. Les grands événements sont si rares. Il y a tant d'heures oubliées, vaines. Tant de gestes ternes, inconsistants. Tant de faiblesse et de lâcheté. Un immense gruyère où ne subsiste que les trous, les vides, les riens. Les attentes interminables. Les gestes répétés. Les naufrages dans des sommeils de pierres. Et toutes ces paroles prononcées avec des mots si creux, si absents d'eux-mêmes.
Et chaque heure se tisse dans la banalité, l'imperfection, la platitude. Chaque heure rejoint le fleuve des jours, des ans, dans la perte et le manque et l'infinie tristesse des flots qui s'écoulent.

 

Car ce qui composent nos vies c'est le malentendu, c'est l'espérance désenchantée, c'est tous ces cul de sac, ces labyrinthes inextricables, ces occasions gâchées. C'est notre entêtement à vouloir comprendre ce qui n'a pas de sens, à désirer ce qui est hors de notre possible et au bout à se lamenter, ou à se taire. Et continuer.
User jusqu’au bout la comédie de l’espèce.

 

Alors c'est là au cœur cette piètre et médiocre tragédie, c'est là dans notre dénuement et notre déficience, dans cette langueur, là, au point d'orgue de notre irrésolution, que l'écriture déploie sa palette la plus tremblante.
Car l'écriture nous vient d'abord d'un creux, d'une insuffisance et de l'hémorragie qui s'en suit, d'une rareté, d'un déficit.

Elle vient de nos dernières résistances quand elles cèdent, quand l'être, en nous, s'abandonne et se perd.

Elle vient de notre marche sur la jetée quand celle-ci s'arrête et que l'océan est ici, devant, démesuré et terrifiant, et que tout en nous se projette vers l'infini. L'écriture vient de cet arrêt brutal, et de ce prolongement. De ce saut dans l'immense. De cette marche sur les flots. Quand plus rien ne nous soutient, à part le fil tendu de la langue, une ombrelle de désir dans la main droite et quelques notes de musique dans la main gauche.
Pour écrire il ne faut rien puisque l'écriture vient delà. Et puisqu'elle y retournera. Il ne faut rien, sinon se quitter.

 

L'essentiel de nos vies se construit à l'insu de nos envies, à l'insu de nos rêves. Pour un acte posé, cent stériles ou inoccupés. Pour une rébellion, cent abdications. Pour une aubaine miraculeuse, cent nullités ternes. Accepter la faille comme l'unique possible. La faille qui recueille l'encre, l'encre des mots de l'écriture. La faille qui nous nomme. Interminablement. La faille comme dernière exigences, le lieu des empilements, des étreintes ou des serments ou des éloignements. Le lieu de nos vertiges.

 

Car il nous faut aborder mille fois ces rivages dévastés de la mort, reproduire sans cesse l'agonie de nos jours, affronter à chaque texte l'effrayante nécessité de disparaître. A chaque fois plus loin. A chaque fois plus profond. A chaque fois plus définitif. Comme si chaque mot devait enlever des morceaux de peau, les arracher à leur obstination. Jusqu'aux dernières chairs. Jusqu'au dernier sang.

 

Car l'écriture, c'est bien déterrer des ciels vacillants d'étoiles en réveillant les gisants, c'est bien ce creusement de l'ombre. Et toujours cette avancée sur le fil, comme une entrée dans la cathédrale : de l'arche à l'autel, du soleil au fanal, et tenter le passage impossible du clair au lumineux, du crépuscule à l'aube, des secrets au mystère. Et accepter l'envoûtement. Et l'appeler. Messe noire pour noce blanche. Toujours. Toujours. Et infiniment recommencer, jusqu'à ce que plus rien ne subsiste de nous. C'est bien ça, hein ? C'est bien cette folie ? C'est bien cet impossible orgueil des vaincus, qui sachant leur défaite se cambrent une dernière fois, face néant ? Cet impossible orgueil des déshérités, des dépourvus, des dépouillés ? Rien. N'avoir rien, que sa langue, que des mots, qu'une musique. Rien d'autre. Et avoir assez de désespoir, de contradictions, de frontières pour pouvoir les déborder, les excéder. C'est bien cela, hein ? Dites-moi que c'est bien cela, parce que sinon il faudra que je brûle chaque mots prononcé, chaque mot écrit, il faudra que le silence ne soit plus le sacre de la parole, mais son unique sépulcre. Il le faudra bien.
Et si mon errance me conduit auprès de cet écueil, au tout près de ce croc insolent, il faudra bien que j'ai la force de m'y clouer. Si la pauvreté de nos vies n'est pas assez cher payée le passage de la nuit à la nuit, si notre dénuement ne suffit pas à dédommager Charon ou ses frères, il faudra bien déchirer le pacte et incendier jusqu'à nos plus intimes paroles. Si consentir n'est pas la route, il faudra bien consumer la terre et ses environs.

 

Puisque pour signifier, j'ai épuisé tous les actes, toutes les routes, tous les chagrins, puisque j'ai osé tous les effleurements, frôlé toutes les peaux, puisque je me suis rassasier à tous les seins, et dormi sur tous les ventres, et caressé toutes les cuisses, puisque tout cela fut fait, puisque je fus chevalier, prince, jardinier, conquérant, puisque j'aurais pu être roi, puisque j'ai tenu des étoiles au creux de mes mains, et puisque j'ai bravé tous les échecs, toutes les abjurations, toutes les reniements, puisque j'ai été courageux et veule, puisque de tout cela il n'en reste que les cendres. Et que demain le vent les effacera. Et qu'au bout de tout, rien ne fut signifié. 
Alors...
Alors, en attendant la révélation de la fin des temps, le dévoilement des limbes, il faut bien continuer à arpenter la langue qui nous reste, à raboter la parole, et à élargir la faille, et à esquisser des pas de danse sur le fil tendu. Il faut bien risquer l'équilibre pour tenter de le trouver. Il faut bien écrire puisque c'est ça qui nous reste, puisque c'est la seule dignité possible avant la prière. Puisque je n'ai que mon silence à opposer au vacarme du monde, puisque je n'ai qu'une ombrelle de désir dans la main droite et quelques notes de musique dans la main gauche.
Alors...
Alors, il ne me reste que l'incendie des mots, la brûlure de la solitude pour invoquer les dernières heures et les ultimes insignifiances. Et me dire que là, juste là, à cet endroit de ma vie, à l'endroit de la tremblance, commence le plus grand des voyages. Le plus immobile. Et le plus terrible. Puisque tout est exigé, là, dans l'instant du mot. Alors il me faudra rassembler toutes les forces de l'amour. Aller au bout de la jetée et tenter une autre fois le saut dans l'immense. Au plus nu. Au plus près de l'étoile. Au plus près du désespoir.
L’inouï. Absolument.

Franck

27 janvier 2008

Elle écrit.....

La parole du matin n'efface jamais totalement la nuit. Dans la rosée des mots on décèle parfois quelques chagrins inconsolés.
Inconsolables.
Et chaque matin il nous appartient de réinventer la langue. Et chaque matin il nous faudrait renommer toute la création.

 

 

 

 

****

 

 

 

Dans ce coin d'univers où elle est posée, elle nous dit l'attente sombre, et le monde qu'elle voit au balcon de sa mémoire. Ses jardins. Ses jachères.
Il faut imaginer, c'est une silhouette ballottée par les remous d'une onde fraîche, une forme frissonnante dans la marge transparente des jours frivoles, une figure dénudée et chaste, une figure d'horizon dans le reflux des saisons. Chaude icône aux cheveux de brouillards à la peau blanchie d'écume.
Et ses yeux ont cette brillance singulière, où dans le même mouvement des paupières apparaissent la joie gourmande de la vie et la tristesse, sans laquelle cette joie n'aurait aucun sens.
Des yeux ardents écarquillés sur l'envers du décor.
Un regard ruisselant qui donnent de la lumière au royaume qu'elle habite.
Un sourire la pare souvent, un sourire de perle dessiné avec un souvenir d'enfance, le sourire lunaire des consolations enfantines avec son infinie douceur, son infinie langueur. Oui, l'infini de l'amour fragile prêt à défaillir.
Un sourire la pare, à moins que cela soit des larmes d'une jeunesse arrachée au ciel.
Elle confectionne un paysage de textes avec une incomparable aisance, ainsi elle le ferait d'un bouquet tumultueux de fleurs sauvages. Fleur à fleur. Mots à mot.
Chez elle chaque texte est une chrysalide. Et de ses seuls doigts elle fait naître les papillons des mots. Et parfois sa main glisse sur le clavier, elle caresse les touches comme si elle traversait mille vies.
Chaque jour elle s'embarque pour un voyage qui pourrait la déposer sur les rivages brûlants de passions crépitantes. Navigation incertaine, presque hésitante, toujours au bord d'un naufrage. Les textes sont les nuages qui la guident. Qui la sauve, ils sont les alizés qui portent sa dérive, les albatros qui lui composent et saisissent l'âme.
Tout le jour elle est dans le mouvement des mots, dans leurs couleurs, leurs cendres, elle est dans le blanc de la page entre le noir des lettres, elle écoute leurs histoires.
Alors elle se sent pénétrée par le grand fleuve charriant la peur et l’extase.
Chaque texte est fait de sa chair et de l'attente, de l'attente et de l'amour, de cet amour inachevable et son souffle se suspend lorsque survient des réponses inconnues, réponses de blessures ou de solitude claire. C'est un vertige enivrant, car elle connaît leurs folies désarmées, leur transparence secrète, cette part épuisée qu'ils déplacent. Elle sait les secourir en les enchantant d'un regard d'amour, en leur prodiguant le geste d'abandon essentiel : ce baiser protecteur qui les éclaire.
Et lorsque le lecteur, ombre de passage, traverse son temple pour cueillir quelques mots, tel le promeneur absent dans un champ de coquelicots, elle n'oublie jamais un dernier frôlement comme elle le ferait sur la joue rose d'un enfant.
Quand vient la nuit dans l'obscurité religieuse de sa petite maison de mots, bien calée entre deux silences, elle entend la voix des textes, leurs chants. Et le chuchotement des heures. Elle est alors un port scintillant qui veille sur le balancement des barques, la sentinelle des mots, la gardienne d'un phare sur l'océan de la langue, une lueur de crépuscule sur nos chemins d'espérance. Une île qui garde l’océan. Elle est assise, attentive, et sa beauté est émouvante par l'évidence de son regard qui dit l'amour dans sa part de murmure, de don, dans sa part la plus effondrée, celle qui gît au plus profond, dans sa part d'enfance ressuscitée presque sauvée de la nuit, des blessures et des souillures, et des oublis, et des méprises.
Calme et douce, elle ressemble aux souvenirs comme une source, comme une eau gorgée de musique, de nuances étranges, une eau qui laverait le ciel de nos peurs, un baume de vie pour l'errance.
Chaque nuit elle chante, parfois elle vole, et la course des étoiles s'organise autour d'elle avec lenteur et mesure, car elle a le pouvoir d'arrêter le temps, de le suspendre. Elle n'est pas une ombre, son sang est rouge et il coule comme un torrent fier. Et elle ne dort jamais, parce qu'il faut veiller sur tous les fantômes de sa maison hantée, ils pourraient envahir la terre. Alors elle surveille. Armée de ses mots et ne laisse rien passer. Surtout pas nos faiblesses, nos complaisances. Elle est là, dans la nuit. Elle veille.
Comme une île fière et farouche.
Elle écrit des poèmes qu’il ne lira jamais.
« Mon amour, tes plus longs silences sont mes plus beaux poèmes...
Mon amour sais-tu que l'étreinte est la forme la plus accomplie du langage.
Mon amour sais-tu que l'absence de l'étreinte est la forme la plus accomplie du dénuement.
La puissance d'un désir abandonné.
Mon amour crois-tu que c'est le début de la folie....
Mon amour que pourrais-je taire afin que tu m'entendes... »
Elle écrit infiniment patiente, infiniment brûlante, infiniment perdue.
Elle écrit dans les heures lentes et graves, cadençant dans ces silences, la force du pardon et la grâce d’un désir toujours naissant.
Elle écrit... Elle écrit.....

 

 

****

 

 

 

La parole du matin n'efface jamais totalement la nuit. Dans la rosée des mots on décèle parfois quelques chagrins inconsolés.
Inconsolables.
Et chaque matin il nous appartient de réinventer la langue. Et chaque matin il nous faudrait renommer toute la création.
La parole du matin
Se reconnaît à ce qu'elle n'a pas d'ombre,
Elle s'avance, nue,
Dans l'éclat éblouissant de la lumière,
C'est une parole qui brûle la langue
Et qui consume l'âme.

 

 

 

 

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C’est lorsque que j’ai su que je ne la reverrai plus, que j’ai commencé à l’attendre…

Franck.

 

 

 

 

2 février 2008

Pourquoi... pourquoi.....

Pourquoi tu écris ? Je n'en sais rien. Je sais seulement que je le fais. Et que c'est la chose la plus difficile que je n'ai jamais faite. Qu'est-ce que tu écris ? Je n'en sais rien. Je sais seulement que ce n'est pas des histoires, c'est un mouvement. Toujours le même. Un geste, toujours le même. Et une attente. L'attente que ce geste se sépare de moi. L'attente que quelque chose me quitte. Avec ce désir souterrain qui me happe avec lenteur, une sorte d'élan décomposé, obstiné. N'être rien. N'être plus rien, sinon ce temps d'écriture, cette condensation. Comme une buée qui sort du ventre, parce qu'il s'exaspère de ses trop lourdes macérations. Une buée qui vient se coller aux parois des veines, du crâne, des yeux, et qui se condense dans le mot, et le mouvement, et le geste, et le sang, et les chagrins. Temps d'écriture perdu dans l'alchimie des heures dérobées au temps. Archipel des mots. Récifs acérés du verbe. Naufrage. Naufrage toujours recommencé. Lassitude. Affaissement. Avec l'exaltation des extases mélancoliques. Une sorte de jouissance ténébreuse. Un battement organique, qui donne cette sensation diffuse de tremblement des chairs. Il y a dans cette buée comme un froissement de la lumière, et dans cette condensation comme une hémorragie d'un liquide épais et noir. L'ombre liquide de l'existence. L'épanchement d'une solitude absolue. Irréversible.

 

Car il n'y a jamais d'histoire, il y a seulement le mouvement, le même geste de vie, le même élan sur le même chemin. Et au bout, le même écrasement. Les histoires ne s'écrivent pas, car il n'y jamais d'histoire. Seuls quelques éblouissements. Et l'illusion qui les suit.

 

Qu'est-ce que tu écris ? Je n'en sais rien. Je brasse les temps et mes peurs, je fais de mon passé un futur acceptable, je fais de l'avenir des souvenirs lumineux, j'étire les bords du présent, je déploie l'instant, agrandit l'impossible frontière des aurores. Que pourrais-je faire d'autre, sinon ces trous dans la durée, sinon brouiller les cycles et faire entrer en moi assez de folie, et effacer ma trace pour que la mort m'oublie ou qu'elle me sacre, qu'importe. Je n'écris pas ce qui se raconte, je n'écris pas ce qui se dit, j'écris ce qui se marmonne, ce qui se murmure, j'écris pour le souffle, pour rester en deçà du silence.

 

Mais comment tu écris ? Je n'en sais rien. A part le désordre et cette agitation qui nourrit mon attente, juste après l'appel. Car j'appelle, et certains mots me répondent, vagues échos en résonances. J'écris dans la lenteur, presque dans l'arrêt. Rumination de la langue. Pesant dégorgement. Mastication des humeurs amères. Mâchement de chaque souvenir où se mêle le souffle d'aujourd'hui. Incantation lancinante, jusqu'à l'envoûtement, jusqu'à la folie. Assonance de l'âme. J'écris crucifié sous le poids d'une interminable transfusion. L'inachevable échange des sangs. Et cette impression de séparation, de ruine. Atteindre mes défaites et ce point d'inflexion du destin, le point frontière, le point de la séparation des eaux. Le point invivable parce qu'il n'a pas d'espace et qu'il n'a pas de temps. Point mort, où la mort même s'épuise. Où certains jours elle recule terrifiée par sa propre image. Point juste assez vaste pour esquisser un pas de danse.

 

Alors, où écris-tu ? Je n'en sais rien. Ce n'est jamais le même endroit, et pourtant chacun se ressemble. J'écris sur des débris de néants, sur des restes, sur la trace infime et dérisoire que laissent le vol des oiseaux dans l'œil de l'amoureuse, j'écris sur les gouttes de pluies, parfois sur des larmes, j'écris dans les bourrelets des nuages entre la blancheur et le gris, entre les boursouflures et l'étirement, j'écris sur le fil de l'éclair dans les zébrures de lumière, ou sur des pétales de roses, ou sur l'élytre des cigales, sur le souffle des accordéons, dans mes landes froides, j'écris dans des lieux qui n'existent plus, dans les citadelles détruites, dans les villes incendiées, j'écris dans le recommencement, et dans la fin, ou sur la peau des mes amours perdues, j'écris sur l'ourlet de mes cicatrices, sur le cuir noirci des trahisons. Parfois, j'écris dans l'épuisement du rêve, ou sur des vertiges, ou sur le champ de neige qui s'étend derrière la vitre de ma mémoire. J'écris sur le rouge, et dans le rouge des amours, dans profusion et la parcimonie, dans l'avant et dans l'après. Jusqu'à l'incandescence. Jusqu'au pétillement de l'univers, lorsque les étoiles claquent leurs doigts pour accompagner le chuchotement, ou la prière, ou seulement le silence.

 

Et quand écris-tu ? Je n'en sais rien. Tout le temps, ou jamais. Je suis sur le rocher et j'attends la marée. La noyade. L'échouement. Lorsque la véhémence me submerge, ou que l'arrachement me cloue. Quand écris-tu ? J'écris aux temps creux. Au contre temps du temps. Au temps du naître. Au temps du mourir. Dans les fissures des crépuscules et jusqu'aux affleurements des aubes. J'écris surtout dans les autres saisons, celles qui viennent après, ou celles que l'on a oubliées. J'écris dans les temps ouverts aux quatre vents, dans les temps des mille solstices, celui des roses des temps égarés, ou dans le cœur brûlé des éclipses. En fait, j'écris dans les temps pauvres, les temps abîmés, dépossédés de leurs durées, les temps usés, délaissés. Dans ces temps qui nous quittent, dans ces temps qui nous manquent. Ou ces temps cueillis, au hasard, comme l'on cueille une mûre sur les ronciers des chemins. Temps pèlerinage. Temps des cortèges ombreux ou des longues processions.
Alors je vais pieds nus dans mon écriture, comme dans ce torrent caillouteux et sauvage, et lorsque je trébuche, l'eau fraîche des mots me désaltère et me lave des bassesses, des insignifiances, des séductions perfides. Je vais pieds nus dans mon écriture, maladroit et douloureux, remontant l'eau des mots... et jusqu'à la source symphonique de leurs silences.

 

Alors je vais pieds nus, car je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal brunes et cassantes. Je sais ces pays désolés d'être encore là. Ces terres d'absence où seul le vent du nord trouve son souffle dans les bruyères, et sa nourriture aux bouches des pierres usées.
Je sais ces pays de brumes sur lesquelles les rêves s'écorchent et saignent, ces lieux cabossés par tant d'oublis, martelés par le temps et la corrosion des désirs insuffisants.

 

Je vais pieds nus car je sais ces lieux nécessiteux, miséreux, qui ne tendent plus la main pour survivre préférant l'agonie lente des siècles. Je sais ces landes qui gémissent aux portes du ciel, ces landes sans prière, sans salut, je sais les plaintes déchirées des terres sauvages et je sais les âmes qui les hantent, je sais leurs voyages sans fin, leurs appels, leurs errances au bord des neiges éternelles, leurs traversées des crachins de glaces, et des froids monotones. Je sais cette tristesse qui blanchit leurs regards et cette mélancolie redoutable qui séjourne sur la peau de leurs complaintes. Les landes frileuses ne sont pas des landes amoureuses, elles ont abandonné leurs chairs et leurs soupirs et leurs tentations. Elles produisent du silence, des distances, et façonnent nos éloignements et célèbrent nos séparations et bénissent nos accablements.

 

Je vais pieds nus et je cherche la musique dans ces landes fracassées de vents et je crois qu'il n'y en a pas d'audible, car les déserts et les landes dépassent la musique ; en fait, ils ne sont que musique pure. Tout part de là, et tout y reviendra. Ce sont les lieux de la totalité, puisque défait de tout. Des lieux qui préparent ou qui prolongent. Qui exigent avant, et qui exigent encore plus après. Ils se laissent traverser mais jamais pénétrer. Si la main est assez ferme et assurée elle peut parfois les caresser, mais sans jamais pouvoir les abuser. Ce sont les lieux de la totalité et de la simplification, de la première perfection et de la dernière.

 

Alors je vais pieds nus car je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal mauves et sévères, sans arbres, sans racine. Comme une mer de bruyères tranchantes et brutales, une mer raidie dans son mouvement âpre, une écorce cornue et rêche et rugueuse. Je sais ces landes persistantes, ces terres usées, brisées de solitude grave, suffoquant sous la vapeur compacte des bouillards immuables. Terre saturée. Imprégnée. Imbibée de désespoirs primitifs et obstinés.

 

Et je sais mes plaines froides, mes landes du nord, mes lacs de brumes grises. Je sais ce sang froid et ces absences, et ce vent qui m'observe et ces neiges démembrées qui tombent au fond de mes os. Je sais tous ces jours dépourvus, arides, insignifiants, et mes mains si pauvres et ce regard si maigre. Je sais tout cela. Mille fois traversé. Mille fois disséqué. L'infini retour de mes landes mordantes, de mes terres sans horizon, de mes journées sans lumière. Ces terres abondantes sans limites.

 

Et je sais ces plaines froides qui dévorent la langue, chaque mot de la langue, et l'écriture qui gratte la glace et le texte pris dans les hurlements des bourrasques de l'impossible dire. Comme si la parole était traversée dans sa chair par un fil barbelé. Impénétrable parole qui me laisse désarmé, en exil, banni de mon propre désir, relégué, refoulé de ma propre demeure. Et mon œil effaré fixe dans l'ombre du ciel le vol bouleversant des oies sauvages vers le nord. Comme un destin mille fois répété, comme une usure lancinante et troublante. Sur le ciel gris et noir de mon enfance. Le vol des oies sauvages vers le nord. Comme une fatalité. Mille fois répétée. Laborieuse berceuse qui ne survit plus à la nuit qui s'approche. Et cet épuisement. Et cette envie de nord. De glace. De fin....

 

Alors je vais pieds nus dans mon écriture, comme dans ce torrent caillouteux et sauvage, et lorsque je trébuche, l'eau fraîche des mots me désaltère et me lave des bassesses, des insignifiances, des séductions perfides. Je vais pieds nus dans mon écriture, maladroit et douloureux, remontant l'eau des mots... et jusqu'à la source symphonique de leurs silences.
Cette envie de nord, de glace, de fin.
Toujours plus seul, toujours plus loin.

Franck

3 février 2008

Dissonance....Assonance.....

Dissonance. Souvent, trop souvent la lumière du jour en frottant ma peau, m'écorche. Mes gestes sont noués. Ils manquent d'élan, comme noués ou pris dans l'étau d'une drôle de fatalité. Pour avoir accès au geste léger il faudrait se quitter. Mais il y a une épaisseur invincible. La profondeur d'une ombre collante, grasse, visqueuse.

 

 

 

Je cherche le mouvement. Celui de l'arbre. Floraison de puissance calme. Je ne suis qu’une racine noyée de terre.

 

 

 

Je cherche le mouvement. L'allègement d'un élan pur. Net. Clair. Chantant. Vaincre le paradoxe, car il faut s'absenter de soi pour être présent. Là. En totalité, d'accueil et de don. Juste là, posé sur le fil, léger, dansant. Mon geste est pris dans la rigueur d'une saison perdue. Mon mouvement à froid. Pris dans la glace d'un silence. Ce n'est pas un vrai silence. C'est une parole empêchée. Parole de terre noire. Impossible germination. Essor vaincu. Défait. Grouillance obscure.
Fermentation acide d'une parole stagnante. Une vase filandreuse et puante. Mon geste est dans l'enfouissement, dans la consistance de son retrait, de son en deçà. Comme si le corps ne portait plus la parole, la sensation d'une chute lourde, sans grâce, d'une déchéance, une déliquescence qui n'en fini pas.

 

 

 

Elle s'appelait Fleur. Quelques étoiles nous ont rassemblés, l'espace d'un passage de comète. L'espace d'une sonate. Elle avançait dans la vie avec un grand regard effarée. Un visage de lune inquiète, d'une beauté fragile, de ces beautés que l'on n'ose déranger. Comme si elle nous venait d'un autre monde, d'un autre mystère. Grande, mince, des gestes lents et gracieux, toujours à la recherche d'une harmonie secrète, d'une perfection étrange. Grande, mince toujours vêtue de noir, ce qui faisait ressortir la blancheur de sa peau, et la lumière de ses yeux étonnés. Quand elle posait sa main sur mon bras, j'avais l'impression d'une chaleur diffuse et d'un frisson soyeux comme si un moineau au cœur battant était là, à portée de souffle. Délicate élégance de l'âme incarnée. Noce de la pudeur et de la grâce, de l'émotion et du désir désarmé de ses violences.
Elle habitait la rue du Mont Cenis dans une petite chambre cachée sous les combles où elle récitait ses rôles. Comédienne. Jeune comédienne, qui cherchait son souffle dans le verbe, qui cherchait son corps dans des morceaux de paroles, qui habillait la vie de mots, de poésie, raccommodant chaque jour la dissonance des heures avec son violon. Et cette sonate de Schubert. Fleur, c’était son nom. Ce qui touchait en premier c'était sa légèreté, puis juste derrière, son inquiétude, une sorte de désarroi sans lourdeur, comme si elle était perdue, ici, sur une terre incompréhensible. Seulement perdue. Je ne lui ai jamais connue de tristesse, elle marchait sur son fil, elle dansait sur son fil et le soir elle sortait son violon et jouait Schubert ou Vivaldi.
Il faut imaginer la scène : la petite chambre, la pénombre d'un soir d'été, par le velux ouvert une sereine fraîcheur, sur le bord de son petit bureau une bougie allumée, et elle, droite, simplement vêtue d'une chemise rouge sombre, une chemise d'homme qu'elle portait déboutonnée, les manches relevées, et ses longs cheveux noirs défaits. Elle inclinait doucement la tête, glissait l'instrument au creux de son épaule, posait sa joue sur le bois brillant du violon, comme pour un baiser, comme pour une tendresse, comme elle aurait fait sur la peau d'un amour. L'étroitesse de la pièce la rendait encore plus grande, encore plus droite. Pénombre grandissante dans cette lumière orangée, ensanglantée du rouge de sa chemise ouverte. Et son corps nu. Blancheur palie. Droite sortie directement d'un mystère, d'une légende. Sorti d'un rêve. Elle posait avec lenteur l'archet sur les cordes, et la chambre était envahie d'ombres dansantes. Instants singuliers. Fleur jouait Schubert, presque nue, presque immortelle. Et le jour fléchissait encore comme pour rendre grâce, ou pour la protéger un peu plus, et le violon appelait une à une chaque étoile, et Fleur appelait la nuit, la nuit des premiers temps, la nuit prodigieuse, saisissante des premiers temps. Et la nuit lui répondait. Et la nudité de son corps s'estompait peu à peu emportée par chaque note. Et Fleur appartenait à la nuit, et la flamme dansait cherchant l'accord avec les sons du violon. Nuit ruisselante de chaleur musicale, d'émotion traversée, feuilletée note à note, comme si à cet endroit du monde, dans ce temps précis, une source naissait répandant son eau lustrale, comme si un trou de lumière perçait le néant. Fleur savait remettre en ordre le monde, elle harmonisait ici, ce que d'autres défaisaient plus loin. Mais Fleur n'avait pas de lassitude, et le mouvement de son geste sortait de son long corps nu, comme la houle sort l'été, des grands champs de blés brassés par une brise amoureuse. Elle inventait le geste pur, elle inventait la nuit, elle inventait l'impossible temps de la présence révélée.
Il y a dans le jeu de l'ombre et de la musique un accord particulier, comme si du vivant cherchait du vivant, comme si nos égarements trouvaient leur issue. L'amour se bâtit dans l'ombre et dans l'alvéole que laissent les notes d'une sonate de Schubert à l'approche de la nuit

 

 

 

Fleur a posé son violon. Fleur s'est allongée sur le lit, j'ai simplement placé mes mains sur son ventre, j'ai simplement baisé ses seins, j'ai simplement goutté sur ses lèvres la saveur de la nuit, j'ai simplement caressé le silence qui recouvrait son corps, j'ai simplement enfoui ma figure dans sa chevelure, j'ai simplement entendu son cœur battre, j'ai simplement senti dans mon cou son souffle mêlé de notes insolites...

 

 

 

Fleur parcourait la vie avec l’élégance rare des funambules. La pièce qu'elle répétait l'accaparait beaucoup. « La valses des hasards », elle y jouait une morte si vivante, en prise avec un ange si facétieux. Jouer, pour elle, c’était d'abord se battre avec son corps, c'était trouver le geste, le mouvement. Chercher dans le mot, le mouvement juste, celui qui fait tinter le ciel. Jouer c'était d'abord chercher la voix, celle qui va dire le corps, c'était chercher le souffle qui allait porter le geste.

 

 

 

Et Fleur s'épuisait dans cette descente joyeuse au fond du mot. Jouer c'était devenir un arbre dans sa croissance et dans ses fruits, dans ses craquements, dans son élancement solitaire et généreux, jouer c'était arracher le trop plein, évider le surplus, sabrer dans la chair des faiblesses, tarauder les peurs, les entraves. Jouer c'était accepter de vivre dans le pli du texte, à la jointure du vide laissé par le rêve effondré sur lui-même.
Chaque jour Fleur partait au plus loin d'elle, elle quittait tout, laissait tout ouvert, et il y avait de l'exaltation dans cette perte, et il y avait du ravissement, de la jouissance dans cet abandon. Et chaque jour elle partait sur son fil tendu au-dessus des gouffres d'insignifiance. D'un pas de danse. Ivresse du vertige. Chaque jour elle accordait un peu plus sa chair à la chair du texte, chaque jour elle inventait le geste qui devrait naître plus tard. Chaque jour elle inventait l'enfance et la présence, et l'arbre qui la traversait.          

 

 

 

Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Le mouvement de Fleur lorsqu'elle jouait Schubert nue, dans l'ombre envahissante d'une nuit d'été.

 

 

 

Ce matin j'ai reçu un texto de Fleur : « Cher Franck ! J'ai pensé fort à toi, hier. Alors il n'est pas trop tard pour te souhaiter une heureuse et tendre année. J'espère que les fenêtres de ton âme vont s'ouvrir pour mieux te sourire et guider tes pas vers le chemin de la quiétude et de la félicité. Fleur.»

 

 

 

Si tu savais comme je suis loin de cette quiétude, si tu savais combien Schubert me manque. Si tu savais mon écrasement à chaque texte et l'harassement qui s'en suit. Si tu savais comme chacun de tes gestes peuple encore ma mémoire, si tu savais ma maladresse sur le fil tendu et ma marche hésitante, et cette vie qui s'effrite, et cet arbre mort qui me troue les entrailles.

 

 

 

Et l'amour échappait à nos mots. Seuls quelques gestes l'éclairaient. Il nous fallait cette ignorance de nous-mêmes. Comme si les mots pouvaient chasser la présence, l’effrayer. Il fallait n'en rien dire. Délimiter un espace inattaquable. Peut-être pour se préserver de l'incommensurable banalité.  Entretenir l'incroyable. Comme au début lorsque je la voyais traverser une pièce et que j'avais cette sensation que le réel tremblait, que j'étais entre deux espaces. Et que de la voir, elle, me demandait d'ajuster mon regard à ce qui le débordait. Une sensation électrique. Fugace. Troublante.
Et parfois nos visages se rapprochaient. Nous fermions les yeux. Presque à se toucher. Sans se toucher. Sentir la seule présence. Proche. Avec le souffle, la respiration. Parfois elle passait sa main sur mon visage, comme une aveugle qui découvre un inconnu. Doigts légers. Dire l'amour dans ce silence aveugle. Eteindre tous les sens pour concentrer l'unique présence dans cette caresse. Ouvrir les yeux nous aurait annulés, effacés, anéantis.

 

 

 

Et nous restions dans la pénombre de nos vies, à caresser les galets du temps. Pierres lisses. Ombres aiguës. Temps sans mesure. Temps de houle où les vagues se balancent de vagues en vagues, portées simplement par le mouvement mystérieux qui les enlace.
Elle brodait des caresses sur la dentelle de nos songes silencieux. Et nous étions dans l'ignorance sensuelle d'une distance impraticable. Proche, sans se toucher, à la portée d'un désir inavoué. Armés seulement de nos tremblements, pour survivre. Moi, l'Oedipe accomplissant le rêve d'Antigone. Aveugle errant, comme la métaphore d'une humanerie.

 

 

 

L'amour bredouille des litanies incompréhensibles, faites du frottement de la parole sur la peau d'un sein, de la coupure des mots à l'endroit du mensonge.

 

 

 

Nous aimons à travers nos blessures, c'est pour cela que les amants échangent leurs sangs, c'est pour cela que l'amour échappe aux mots. L'amour naît toujours de nuit, dans le dénuement d'une saison morte ou perdue. De nuit. Toujours de nuit. Et nous aimons toujours au travers d'un souvenir ancien. Et nous aimons toujours comme si nous voulions le retrouver. Comme s'il fallait le retrouver. Et l’oubli nous menace et embrase nos peurs dans l'urgence de renouer avec le sacrifice premier, qui nous révèlerait et nous détruirait en même temps.
La première nuit.
Aimer c'est tenter de la rejoindre, dans l'ignorance de nous même. Et remonter le fleuve de nos générations.

 

 

 

Et les corps démentaient nos silences. Et nos corps déniaient nos souffrances.

 

 

 

Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Juste la musique. Et la danse. Traverser la lumière en son point de tremblement. Un mouvement qui part à sa propre rencontre, qui se découvre, qui se dénude, qui s'invente au moment où il se fait.

 

 

 

 

 

 

Recommencer. Recommencer. Pour ne pas mourir. Ou pour mourir plus vite. Epuiser la langueur, fille de nos peurs. Recommencer à aimer. Encore une fois. La dernière. La seule.
Et l'amour se dérobait à nos regards. Comme à nos mots. Comme à nos vies.
Simples. Ignorants. Et tremblants.

Franck.

16 février 2008

Dies Irae.........

Car chaque mot est une porte étroite. Un passage dans un labyrinthe de miroirs étranges. Singuliers. Qui nous renvoie des images déformées. L'effrayante face qui rebondit dans une cascade d'images aplaties par les saisons révolues, l'usure.

 

Car chaque mot est une scarification, une chair de terre sur un temps de pierre. Sillon d'une parole qui creuse un sol raviné et sec. Et chaque mots dissèque un peu plus l'autre coté de la peau, l'envers des gestes, cette part de retrait, l'incertain de la course, son enroulement autour du coquillage de la mémoire.

 

Chaque mot est une porte étroite, un passage, un crépuscule, un glissement. C'est un endroit de chute, le lieu d'une avalanche. D'un excès de néant ou de nuit. De nuit, surtout de nuit. Le kyste d'un désir impossible.

 

Car la parole raconte une autre histoire. Elle n'est que forme vide. Et le mot vient boucher un silence mortel. Bâillon des rêves, couvercle insignifiant d'un sens inaccessible. Impudeur. Dénudement dérisoire. Négligeable. Un acte décomposé qui sent le renfermé, le rance.
Car rien n'est dit, ou si peu.

 

Car il nous faudra signifier au-delà de nos paroles, dans l'avant du dire, dans l'intention claire, dans le chant inaudible et murmurant, et n'être que cantilène, et n'être que berceuse.
Je cherche un chant introuvable et me perds dans des mélodies obscures. Je cherche la litanie cristalline de la vague, ce refrain qui ouvre droit sur l'aube et l'horizon. Je cherche la trajectoire du verbe, celle qui perce l'ombre, celle qui dénoue les sinuosités du temps, je cherche le mouvement sans détour, sans recoin, sans repli. Je cherche et me perds infiniment. Mon balancier oscille sur l'abîme de mes mers introuvables. Alors je cherche à rebours des marées sur un océan désert, comme un radeau empêché, désorienté au large de mes souvenirs. Navigation hasardeuse dans les reflets éblouissants des amours inanimées.

 

Le sens se dérobe sous le pas des mots. Et le poème avance dans les décombres du temps, comme un cercueil ouvert. J’ai appris à habiter dans les jointures. A l’articulation de la lumière. Les aubes. Les crépuscules. Lieux de menaces ou de promesses.
On écrit par ennui. Ou par peur. Parfois par colère.

 

Oui, ce fond de colère qui fait obstacle. Une épaisse couche de terre noire avec sa fermentation acide, acre. J'ai beau pointer l'index sur les cendres froides de mes morts, ou sur celles encore chaudes de quelques vivants, je reste toujours à l'horizontale de mes mots dans l'impossibilité de trouver un souffle assez puissant pour me lever dans la verticale du septentrion et trouer cet humus fiévreux. Cette chape primitive. Cette écorce, cette croûte brune. Murant la purulence ancestrale qui gît dans mes siècles de silence. Colère. Rage. Colère surtout. Tellement ancienne qu'elle ne sait plus dire son pays. Le père, la mère bien sûr. Mais elle est plus ancienne encore. Elle vient d'avant. Mes limbes étaient coléreuses, mes limbes étaient rouges de colère, rouge du sang de la colère. Je suis né d'un cratère, d'une béance où la lave a mûri. Macération de feu, jusqu'à faire croûte.

 

L'ombre affûtée coupe toujours la lumière en son angle le plus faible. Le jour où je suis né, ma mère était en colère. Contre lui, comme toujours. Peut-être contre elle. Elle qui s'apprêtait à livrer son du. Le mâle attendu. Peut-être contre moi qui n'avais pas su être autre chose qu'un garçon, et qui n'avait pas eu la décence de partir dans le sang des fausses couches comme les autres avant moi et les autres après moi. Comme tous les autres. Elle était en colère. Hystérique. Bruyante. Criante.
Le temps était à l'orage. Toute la journée la chaleur avait été écrasante. Il se préparait quelque chose. En fin de journée les nuages sont montés du fond de la terre. Des nuages noirs, violets. Elle, elle était dans sa colère de parturiente désespérée, sa dernière colère avant la résignation. Alors elle criait, elle était devenue insupportable, effrayante. Et l'orage montait en volutes épaisses comme si les ténèbres s'avançaient sur la ville en même temps que la nuit. Nuit d'été boursouflé de chaleur suintante. Au bout de sa colère elle a mordu le gynéco jusqu'au sang. Il a faillit la gifler. Ma première respiration sera le tonnerre et la foudre qui frappe. Dehors c'était un déluge d'eau de sang peut-être. Et mes cris se mêlaient à cette apocalypse. Je suis né dans la colère du ciel et celle de ma mère. Né d'un orage d'été à l'heure où la nuit arrive. Né d'un écho crucifié dans la fêlure du ciel, dans le grondement éclaté de maman qui abdiquait et qui retournerait silencieuse à sa vie d'épouse en sursit d'une mort à venir. Vite. Très vite. Dies Irae. Né un soir d'été, jeté aux dents voraces d'un orage. Dies Irae. Ma première mère fut la foudre et mon premier lait une pluie diluvienne noircie par la nuit, une pluie grosse, grasse, lourde, presque fumante. Dies Irae. Mes premiers bras furent l'absence et mon premier baiser une parole repliée dans la diagonale de l'ombre. Dies Irae. Jour de colère. Kyrie eleison. Seigneur prend pitié. Ou, plutôt non, fous moi la paix Seigneur. Le Requiem de Mozart. Quand je suis revenu à la pension après l'enterrement de maman, les curés avaient organisé une messe. Toute l'institution était là. Ils ont mis en scène le requiem avec des jeux de lumières. La chapelle s'embrasait d'illuminations fulgurantes et s'éteignait lentement pour rebondir à nouveau dans l'éclat de tous ses feux. Avec la musique de Mozart. Cela aurait pu être beau si je n'avais pas été en colère. Contre eux, contre moi, contre elle. Je n'étais pas triste. J'étais dans un autre pays que la tristesse. J'étais exilé dans ma colère muette. Dies Irae. Le requiem de Mozart. Le jour où on l'a brûlé, lui. Lui. Lui. Il le voulait, alors j'ai organisé la cérémonie et l'incendie de ses chairs, faute de pouvoir incendier ma mémoire. Je l'ai fait jouer, le requiem, ce jour là. En totalité, pour emmerder les rares qui été venu. Je l'ai fait jouer, même que les flammes du four couvraient la musique quand le crémateur l'a ouvert. Le four. Avec les flammes. Dommage, qu'il ne soit pas plus long le requiem. La prochaine fois je mettrais celui de Verdi, mieux, celui de Mahler ou les deux à la suite. Dies Irae. Jour de colère. Ce jour là aussi je n'étais pas triste. Toujours la colère. Froide comme un glacier immuable sur un feu oublié.
En fait, je suis toujours accroupi dans les muqueuses rouges et sanglantes du premier jour d'orage. Dies Irae. Lacrimosa dies illa. Oh ! Jour plein de larmes. Dans les muqueuses rouges, les mâchoires déjà serrées sur tous les mots à taire.
Et même là, dans mon écriture, je n'arrive pas à la dire cette colère. Comme toutes les choses importantes elle ne s'écrit pas la colère. Elle résiste aux mots, à la pensée qui veut la dire. La colère se vit en directe. Dans le souffle. L'élan. La pureté de l'élan. Dans ce saut vers l'abîme. Elle a besoin du corps la colère, de la chair, de son tremblement. Elle a besoin du fleuve et de la boue qu'il brasse. Elle a besoin d'un autre pour la recevoir. Au lieu de ça, je reste dans cette cataracte figée, dans cette ligne de fracture de l'ombre. Barattant ma rage. Obstinément. Silencieusement. Sans mépris, mais avec entêtement. Et peut-être avec la terreur secrète de voir le barrage s'effondrer. Peur de l'envahissement, du débordement.

 

Méfie-toi de la source qui roucoule, son eau vient de l'enfer. Et les forges de l'enfer fabriquent les heures en fer, lourdes et tranchantes comme le jugement dernier.

Pourtant elle est là. Dessous. Vivante et claire, et fraîche, et jeune, parce qu'elle n'a pas servie cette colère. Elle ne s'est pas usée, ni galvaudé, elle est intacte, prête aux noces et à la messe des morts. Requiem aeternam dona eis domine. Seigneur donnez-leur le repos éternel.
Requiem des innocents. Il a bien fallut la ravaler la colère et pour la faire passer, boire un bon coup. Un bon coup et longtemps. L'hostie sacrée du malheur, il a bien fallut la ravaler. Ceci est mon corps. Tiens bois un coup !  A la tienne !  Au bûcher des heures j'ai de grands goélands crucifiés qui sentent la charogne. Au bûcher des heures j'ai des lunes déshabillées, sans corsage, à poil, le sein pâle, plantées au plus noir de mon ciel. Ces nuits tristes, infiniment seul. A se taire indéfiniment. Comme l'infini de la mer, avec ses vagues qui dansent sur les gouffres mugissants. Et qui dansent. Et qui dansent.
J'ai peut-être des raisons d'être en colère. Parce que le cadeau la vie, je ne l'ai pas vu beaucoup. Mon chemin n'a pas senti que la noisette. A part les cailloux. Les buissons ardents qui ne manquaient pas d’épines. Les désillusions, les vaines avancées, les vaines espérances et les trahisons. Les Suzon de passage, les Lison infidèles, les michetonneuses désenchantées qui s'avancent les cuisses ouvertes sur leurs roses odorantes et fanées. Parce que la vie n'est pas avare de saloperies en tout genre, et pour être sûr de votre complicité, elle fait de vous un salaud, la vie. Comme les autres. Y'a pas de raison. Pas de jaloux. Le mal n'exempte de rien, ni le bien d'ailleurs. Le sac est grand, il contiendra tout le monde à la fin. Pas de jaloux.

 

Mais las.....même de cette colère. Las. Tellement las. Des coups, des haines, des rancunes, des violences. Las, du temps passé à maudire, à juger, à condamner. Las de ma mémoire, de mes oublis. Las des démesures, des profusions, des outrances, des outrages. Las, des folies.

 

Car chaque mot est une porte étroite. Un passage dans un labyrinthe de miroirs étranges. Singuliers. Qui nous renvoie des images déformées. L'effrayante face qui rebondit dans une cascade d'images aplaties par les saisons révolues, l'usure.

 

Le sens se dérobe sous le pas de la voix. Et le poème avance dans les décombres du temps, comme un cercueil ouvert. J’ai appris à habiter dans les jointures. A l’articulation de la lumière. Les aubes. Les crépuscules. Lieux de menaces ou de promesses.
On écrit par ennui. Ou par peur. Parfois par amour.

 

Je veux simplement ce près vert renfermant dans son sein une seule goutte de rosée. Je veux la parcimonie, jusqu'au très peu, jusqu'à l'infime, jusqu'au manque.
Comme si tous les chants de la terre tenaient dans une seule note, à l'infini modulée...

Franck.

2 octobre 2008

Couleurs.....

Les mots tombent sur la tranche. En tombant ils coupent la lumière. D'un coté l'ombre, de l'autre le silence.

 

 

 

Et chaque mot est voué à cette violence, à la coupure, à la faille. Ils sont là pour blesser, tuer.
Tuer quelque chose en nous. Le mot qui n'arrache rien ne devrait pas être écrit. Tuer la certitude, l'arrogance. Et la blessure est le rappel constant de notre précarité. Et c'est une douleur. Mais une douleur supportable puisque nous tenons à elle. Notre surabondance de vie est une profusion douloureuse, mais supportable. On voudrait ne pas la connaître et pourtant on s'y vautre. Ce n'est pas sensuel. Et pourtant il y a de la jouissance.

 

 

 

Chaque mot est voué à la violence et à la mort. Là où il tombe le réel se brise. Là où il tombe se crée une béance. Et c'est l'œil qui nous regarde.
Les textes et les images rebondissent. Je sais que je continue. La parole, ma parole, m'a assigné une place.
Est-ce vraiment une place ? Un devoir ? Une volonté ? Non, rien de tout ça.

 

 

 

La voix, quand elle s'élance affirme tout d'abord une exigence. Une exigence sans objet. Une exigence nue, primitive, élémentaire. Une extension. Si l'exigence n'est pas assez puissante, assez purifiée, la parole tombe. Je sens la chute de ces cailloux à l'intérieur. Tout dans le geste devient lourd, épais, pénible. Je sens la douleur diffuse, ce mal de l'intérieur. Entretenir un élan exigeant. La parole assigne, d'ailleurs elle me regarde. Je sais son regard, son regard de silence. Ce palais de nuages bordé de ciel. Je sais l'œil à travers la béance.

 

 

 

En ce moment j'ai des couleurs qui m'accompagnent. En fait, ce sont des sensations de couleurs. Je ne les vois pas vraiment, mais elles sont là. Des couleurs franches. Nettes. Du bleu. Souvent j'ai cette impression de bleu puissant. Et le rouge aussi. Et l'or solaire parfois. Je ne sais quoi faire de ces couleurs, je n'en connais pas le sens, ni la destination. Mais elles sont là.
Le bleu, je crois savoir. La mer, le mouvement, le ciel. C'est le cœur de mon imaginaire. J'ai dans l'œil de ma chair toutes les nuances de bleu. Jusqu'à la violine des ecchymoses. Jusqu'à ce qui ne soit plus bleu. Mais surtout le bleu translucide et profond de la mer. Un bleu blanchi d'écume, ourlé de semence. Je n'ai qu'à fermer les yeux et le bleu monte comme une marée. C'est une impression ni agréable, ni désagréable. C'est comme ça. Comme si mon cerveau appelait ce flottement de bleu.
Avec les lumières dans la vague.
Il y a quelque chose à l'intérieur qui cherche sa place, qui cherche son accroissement, il y a quelque chose qui s'affranchi de ma raison et qui veut déborder. C'est une sensation. Toujours. Je ne peux pas la nommer. Je ne peux pas l'expliquer. Je peux simplement dire un mouvement lent de couleur bleu. Et l'horizon.
Ces heures d'enfance à regarder l'horion à la césure de la mer et du ciel. Les yeux fixés sur cette ligne propre, pure. Regard immobilisé, fasciné, envahi. Ligne de fuite. J'ai toujours eut le pressentiment diffus d'appartenir à ce lieu irréconciliable de la mer et du ciel où l'on ne saurait dire s'il y a mariage ou divorce. Des heures passées, sans pensée, sans envie. Simplement le bleu et la cicatrice du temps et de l'espace. Sans désir, sinon celui de résister à l'écrasement du silence.
Plus tard j'ai pu mettre de la musique sur ce bleu. Mais plus tard. Chopin par exemple. Je ne sais pourquoi Chopin est bleu, peut être à cause de l'eau. Immanquablement quand j'entend Chopin j'ai une sensation d'eau : en gouttes, en ruisseau, en torrent en tempêtes, et cette montée de bleu fluide en moi. Quand je déborde c'est bleu. C'est toujours bleu. Le bleu appelle en moi le surcroît, l'excès. L'ivresse. Je crois que mes ivresses d'alcoolique étaient bleues. Ce qui est immense en moi est bleu. Ce qui veut survivre en moi est bleu.
Sans doute ce qui veut aimer en moi est bleu.
Même mes douleurs chéries sont bleues, mes tristesses, mes chagrins, ces déferlement de trains bleus. Certains auteurs sont bleus. Neruda, ou d'autres. Mais lui surtout. Quelque soit le poème, j'ai d'abord cette forte impression de bleu. Comme lorsque je regarde le visage de certaines femmes. Les beautés les plus évidentes sont bleues, la peau, les yeux, les lèvres, le sexe. Oui, des peaux céruléennes, et des sexes intenses et profond comme du bleu de four.

 

 

 

Ecrire est la chose la plus bleue que je fais. Même lorsque mon imaginaire est envahi de rouge, le mouvement reste bleu. On ne peut pas décrire vraiment. Ca se passe au niveau de la chimie. Au niveau où les molécules exhalent leurs derniers souffles avant de se défaire. Il n'y a pas d'intelligence là. Rien n'est construit. A bout d'organisation la chimie des molécules se mue en un immense chaos. Tant de matière structurée pour fabriquer un si fatal désordre. Et ce sont de grands à-plats d'émotions colorées. Je ne vois pas la couleur, mais je sais que c'est bleu dans le mouvement. C'est l'évidence. Le bleu c'est ce qui résiste à la mort. Au rouge. L'autre couleur.
Souvent quand plus rien n'est bleu, c'est rouge. La brûlure qui invite la fin. Souvent au bout du bleu le rouge commence. Souvent quand tout a tellement débordé, quand l'effondrement est là puisque rien ne peut être tenu indéfiniment, la force du bleu s'épuise. Quand l'excès, à force d'excès m'écrase, alors le rouge apparaît comme une stridence. Un son vrillé. Perçant. Le rouge est mon pays de misère. De reniement. De violences. De rages obscures. L'incendie dans l'azur. J'ai des orages rouges au bout de mon impatience.

 

 

 

Alors l'écriture c'est bien cette sensation de bleu au cœur sanglant du rouge.
Vivre est la chose la plus rouge que je fais.
Ecrire est la chose la plus bleue que je fais.
Et ma rêverie a la couleur d'or d'un soleil à l'aube.
Et ma mémoire est blanche, aussi blanche qu'un grand champ de neige.
Et mon enfance reste désespérément grise.

 

 

 

Les mots tombent sur la tranche. En tombant ils coupent la lumière. D'un coté le silence, de l'autre les couleurs.

Franck.

30 mars 2008

La parole du silence.....

Je me souviens de ce temps d’analyse. En parlant du rien, puisque c'est toujours de cela dont il s'agit. De ce lien qu'on a avec lui. Du badinage qu'on entretien avec lui. De nos nuits d'ivresse avec lui. De nos noces décomposées. Puisque c'est toujours de cela dont il s'agit. De cette longue histoire avec ce si peu. Je me souviens. De ce rien qu'on ne sait pas nommer, qu'on reconnaît à peine, de ce rien vaste comme un océan, à l'apparence insignifiante, à l'appétit d'ogre. Et puis, sa veulerie. La notre plutôt. Oui, je me souviens de ce temps d'analyse. De ce temps du divan. De ce temps de la parole et du silence. De ce long monologue jeté à un plafond fissuré. Répandu dans une pénombre d'antichambre.

 

 

 

Au départ, ça commence dans une profusion, une exaltation de la parole. Au départ on est dans l'aisance de l'histoire. Des histoires. On essaye tout, par chronologie, par thèmes. On départ on pense que ça ne finira pas, qu'on aura toujours quelque chose à dire.

 

 

 

Avant d'entrer chez la femme de l'ombre on a préparé tous les pans de notre histoire à révéler. On veut expliquer, faire comprendre. Au départ c’est à elle que l’on parle, que l’on tend sa voix.

 

 

 

Derrière, elle ne dit rien, ou si peu. Parfois elle pointe un détail, un mot. On s'arrête, on évite, on bifurque. Et on parle, on raconte. Notre histoire n'est pas très intéressante, pourtant à force de la dire on pourrait la croire passionnante. Au départ rien n'est très important, les mots se bousculent. On cherche des vérités qui sont bonnes à dire, enfin.

 

Et puis des vérités plus douloureuses. Et même ces vérités douloureuses sont bonnes à dire, encore. Et le temps passe, on est de plus en plus précis. On cherche le détail, on soulève les souvenirs un à un, à la recherche du signe, de la marque qui porte notre nom, qui désigne notre fatalité.
Et la femme de l'ombre accompagne cette profusion tapie dans son silence, avec l'abandon nécessaire à tout bonne patience. Papa, maman, les sœurs qu'on pas eu, ce qu'on à fait, ce qu'on a pas fait, nos femmes, nos enfants, nos amours, le sexe de nos amours, nos masturbations, nos faits d'armes, nos défaites, notre grandeur, notre misérabilité. Il faut tout dire, alors on dit tout, dans l'ordre ou dans le désordre. Nos peines, nos chagrins, nos lâchetés, l'ennui, l'enfant qu'on était, l'enfant qu'on est resté. Au départ, c'est un grand ménage, un grand déballage, on gansouille dans nos eaux saumâtres.
La dame de l'ombre attend. Peut-être que si l'on se retournait on la verrait sourire, ou dormir. Mais au départ on se moque de tout cela, on est seulement dans l'ivresse des mots. Dans ce grand déballage, dans cette braderie. Dans cette délation de nous-mêmes, dans ces aveux de confessionnal. On parle, on paye, comme si on allait aux putes et tout est bien ainsi. On se demande parfois à quoi tout cela peut servir, mais on continue. A cause de l'ivresse.

 

 

 

Trois fois par semaine. Et les mois passent. Bien sûr on commence à voir derrière l'histoire de drôles articulations. On voit bien certaines formes, invisibles à l'œil nu de la vie quotidienne. On voit bien d'autres histoires sous les histoires. On voit bien d'autres mots sous les mots. On voit bien des larmes sous les sourires, ou quelques abîmes sous les vagues. On devine bien d'autres désirs sous les désirs. A chaque séance on monte une marée. Et la mer est sans fin, et le temps de l'océan sans limite. Et la dame de l'ombre devenait peu à peu mon oreille. Peu à peu mes yeux. Elle est là, sans vraiment être tout à fait là.

 

 

 

Et puis, un jour, l'eau des mots commence à se tarir. Le flot est moins important, de gros cailloux de silence font des remous, où les mots viennent s'enrouler. Tourbillons d'écume blanche, où la parole disparaît comme dans une sorte de vortex de la langue. Et la dame de l'ombre est toujours là. Silence contre silence. Au début cela n'est pas fréquent. Pour éviter ces écueils on prépare encore plus à l'avance. Mais le dernier quart d'heure devient difficile à combler. Les mots sont devenus épais, ils raclent la mémoire. Il y a du sable sous la langue. Des cendres dans la voix. Un peu plus de rouge dans les silences. Un peu plus de sang dans l'attente. Un peu plus de peur dans les souvenirs.
Il y a une ivresse du silence. Un vertige. Presque une volupté.

 

 

 

Et puis une douleur.

 

 

 

Avec le sentiment de dérisoire. Une vie est faite de si peu de chose au fond. Même bien remplie. Il y a si peu d'événement. Si peu de rencontres. Si peu à en dire.

 

 

 

Alors c'est le temps des silences qui commence. De ces séances vides. Vides et lourdes, et douloureuses. Le temps du rien. Des colères contre la dame de l'ombre. Des colères contre soi.
Il n'y a plus qu'un filet spasmodique d'une eau troublée, tremblante. Si peu assurée de couler vraiment. Il n'y a plus que le lit asséché d'une vie désossée. Avec un limon sombre qui se fendille. Avec ses flaques boueuses.

 

 

 

S'allonger sur le divan pourpre devenait pénible, presque insupportable. Le silence se nourrit de lui-même. Il s'encourage.
Se fortifie. S'additionne. S'engraisse.
S’aggrave.

 

 

 

Il arrive que les couches de silence soient si épaisses, si compactes, qu'il devient presque impossible de le rompre, de le traverser. Chaque phrase part du plus loin du ventre, et remonte avec lenteur tout au long de l'estomac, pour venir peser sur les poumons. Chaque phrase cherche son souffle dans un air raréfié. Et les mots prennent des sens bizarres, baroques. Ce sont des mots tiroirs. Des poupées russes remplies de mystères.

 

 

 

La dame de l'ombre est à son œuvre. Elle tient ferme l'autre bout du silence. Elle tend la corde du silence. Sur laquelle quelques pauvres mots tentent de garder l'équilibre. C'est le temps des larmes, des doutes, des nœuds, des pierres. Sous notre vie il y a des paysages étranges. Derrière nos souvenirs il y a des plaines venteuses, des landes tristes. L’innomé. De vieilles sensations que les vieux mots n’ont jamais touchées. Des désirs sombres jamais avoués.

 

 

 

De quoi parlons nous quand nous avons tout dit. Que reste-t-il à dire. Au-delà de l'histoire, bien après l'anecdote. Bien avant.

 

 

 

Allongé je regarde la fissure du plafond. Je ne veux rien dire. Je ne veux plus rien dire. Plus jamais. Et cela dure. Des séances entières. Parfois je sens mon corps envahi de chaleur. Parfois j'ai froid. Et je cède. Aux mots. Aux relents des mots. A leurs spectres.

 

 

 

Là, on ne raconte plus.

 

 

 

Une voix d’avant la vie.

 

 

 

Il ne reste que des lambeaux de phrases. Des bulles qui crèvent le plafond, qui crèvent le lit du torrent asséché, bulles de soufre. Sous le lit, il y a d'autres lits, plus sombres, plus denses.
Bien après, il n'y a plus que des formes. Car peu à peu on entre dans le royaume des ombres. Et la dame de l'ombre semble bien les connaître.

 

Temps du rien. Souvent j'avais l'impression de construire une muraille invisible, à l'envers du décor. Temps du vide. Lancinant. Epuisant. Temps des redites. De l'usure. Comme si l'on agrandissait le vide. Comme si c'était cela l'important. Comme si à force d'être dans ce rien continuel cela donnait une consistance au vide. Comme s'il était vivant en nous. Longue traversée.

 

 

 

Longue marche de la parole où les silences pèsent plus que les mots prononcés, où le temps vide compte plus que tous les actes posés.

 

 

 

Quatre ans. Quatre ans. Dans le désordre du sens. Quatre ans à être éparpillé dans mes défaites, à flotter dans mes naufrages. A creuser le son de ma voix, à border la parole, comme on borde un enfant malade. A errer. A n'être qu'une errance.

 

 

 

Un jour on arrête. Plus précisément on suspend. On accroche son silence au clou de l'amour planté dans la fissure du plafond. Un jour on suspend. Il ne faudrait pas. Mais on le fait. C'est ainsi.

 

 

 

Après, bien après, on commence à écrire.

 

 

 

Ce sont les mêmes mots, c'est le même silence. C'est la même voix. C'est la même douleur et la même exaltation. C'est aussi vain et aussi essentiel. Comme une errance souveraine. Comme une ultime dignité.

 

 

 

Franck.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

23 novembre 2008

Rupture......

Le passé se cambre, comme pour soutenir le cintre de la mémoire. Voûte tendue des souvenirs, léchée par l'ombre tremblante de la lumière du jour, qui filtre au travers des vitraux du désir, flammèches de lueurs, qui donnent encore quelques frissons aux pierres humides, aux dalles froides, au chemin de croix déjà parcouru.

 

Il y a des lieux de nous-mêmes dont on ne revient pas. On les arpente la vie durant comme un aveugle, se cognant et trébuchant aux mêmes endroits, n'évitant rien des obstacles mille fois connus. Jusqu'à user nos guenilles. Jusqu'à l'épuisement du moindre désir. Il y a des lieux de nous-mêmes, clôts comme une île perdue. Une île usée par les mêmes vents, rongée par les mêmes embruns, brûlée par les mêmes astres.
Il y a sous la peau nos déserts, et derrière nos yeux les mêmes images, et dans l'oreille la même musique, et dans nos mains cette même attente inutile, cette même distance infranchissable.

 

Le baiser c'est égaré, abîmé, il a sombré dans l'espace trop grand des jours, il est resté collé aux lèvres devenues trop sèches. Et la caresse a refluée, c'est reprise, comme une mer qui se retire, arrachant dans son retrait jusqu'au goût de la chair, pour ne laisser qu'une saveur fade d'os blanchi. Comme si tous les départs étaient des retours. Et toutes les fins d'immondes recommencements.

 

Il y a des lieux de nous-mêmes qui ne nous abandonnent jamais, ils sont la route, et l'unique lumière noire, notre lieu d'éternité. Le sans fin de notre vie. Les ventres se sont séparés, les cuisses se ont refermées, les sexes se sont cachés, les seins se ont durcis pris dans glace du marbre. Les corps sont devenus pierres anguleuses aux arrêtes tranchantes aux paroles acerbes et crues. Les corps ont perdus leurs formes, leur tiédeur, leurs secrets et le mystère de leurs odeurs. A chaque geste un silence en surplomb. A chaque heure un gouffre en partage. Cascade lancinante et dévastée d'ombres sauvages et cruelles. Une à une les portes du langage se sont refermées. Un bruit sec et mat. Mots ravalés, qui viennent s'empiler les uns sur les autres. Murs lourds en parpaing de silence, dressés sur les frontières de l'absence, qui arrivent au grand galop. Déferlante d'indifférence bouillonnante et avide de nouveaux naufrages.

 

Il y a des lieux de l'autre qui nous dépossèdent. Ou pire, qui nous rendent à nous-mêmes. Lieux néants, lieux vides d'espace où la rencontre n'est plus possible.

 

J'ai simplement fermé la porte. Un bruit sec et mat. J’ai simplement étouffé la parole. J'ai simplement voulu aller loin, rejoindre mon île perdue. Celle qui gît, là, au fond de mon ventre. J'ai simplement voulu défaire le tricot des mots, des gestes, défaire le temps lourd et lents, défaire les brumes et les landes qui nous entouraient, défaire la citadelle creuse qu'on osait plus habiter.
Alors j'ai roulé dans ma mémoire. Longtemps.
Cela fait si longtemps que je roule mon errance. Caboteur mélancolique qui cherche sur les rives qu'il frôle le phare. Le phare.
J'ai simplement fermé la porte. Et je ne me suis pas retourné. Il n'y a jamais rien derrière. Il n'y a jamais rien devant. Il n'y a que l'instant, celui-là, celui qui suce le sang. Là, maintenant et qui nous écrase. J'ai les mains vides, même les prières s'en échappent. Et les souvenirs s'écoulent comme du sable au vent.

 

Comme du sable au vent.

Et les espérances s'éteignent comme des nuits sans lune.

Un lait noir et froid.

Poison silencieux de l'errance.

Infiniment longue, infiniment tenace.

 

 

Le passé se cambre, comme pour soutenir le cintre de la mémoire. Voûte tendue des souvenirs, léchée par l'ombre tremblante de la lumière du jour, qui filtre au travers des vitraux du désir, flammèches de lueurs, qui donnent encore quelques frissons aux pierres humides, aux dalles froides, au chemin de croix déjà parcouru. Je suis dans la pénombre voûtée de ma mémoire. La peau nue sur les murs noirs. La peau nue sur l'usure des ans, traversée par une sorte de langueur de crucifié.

 

J'habite une église désertée, sans procession, sans ostension, les saints de marbres gisent absents, le geste vain, le regard vide de compassion. Et sur l'autel, nul calice, nul livre, nulle parole d'évangile, nul cierge, hormis un silence immaculé et austère, imperturbable, et insensible.

 

Il est de ces chapelles abandonnées par les dieux, où seul le temps y pénètre, et les seules prières c'est le vent, et les seuls murmures sont les larmes qui suintent le long des vitraux. Chapelle de nuit et d'orage. Chapelle d'oubli. Ni portes, ni pardon. L'expiation est un long pèlerinage.

 

Mais je sais des arcs-en-ciel qui perceront ces murs.

Je sais des océans dans les plis rugueux de la pierre.

Oui, je sais des saintes.

Des saintes résolues, à la peau de passion, à la chair de cantiques, aux murmures brûlés.
J'entends pousser un arbre au transept de mon silence et couler un long fleuve dans ma nef patiente. Je sais un incendie qui couve.
Et je sais mon sang quand il brûle chacun de mes mots...
Je sais toutes ces choses qui arrivent au galop, au tumulte qu'elles font, aux frissons des étoiles, à l'effarement des cieux.

 

Franck

2 août 2013

Naissance.....

Le Reflux......

La douleur violente c'est peu à peu retirée. Marée basse. Lentement retirée. Chaque instant nouveau découvre l'étendue du désastre. L'infini du désastre. Plus je suis déserté par les eaux plus je perçois l'effroyable déchirure. Ecartelé, déchiré, je ne sens plus la torture dans ma peau, dans ma chair, dans ma viande. C'est plus sournois, plus diffus. Comme de l'eau qui se retire d'une plage. Une eau pleine de lassitude. Un effondrement si lent. Un effondrement vague après vague. Effondrement d'énergie. De l'âme. Après le corps c'est toujours l'âme qui veut disparaître.
Quelque chose de l'unité n'existe plus.
A chaque instant je crois me dissoudre dans le vide laissé par la déchirure, par la vague. Il n'y pas d'angoisse, pas de peur, seulement une tension permanente. Permanente, lancinante, agaçante. La sensation que l'océan se vide vague après vague. C'est ça qui use. Etre l'alpha et l'oméga du néant.
Au-delà du désespoir.
Un désespoir qui n'a pas de forme, pas de résistance. L'eau de l'âme déserte la plage. Il n'y a plus rien que le vide. Vague à l'âme. Vide épais, pesant. Le vide ce n'est pas un rien sans consistance, non, c'est un rien compact, pâteux. Il est sans forme, mais il est lourd, tellement lourd. Lourd comme l'éternité, comme la mort.
Vague après vague je disparais un peu plus, recroquevillé sur mon vide, sur mon absence. Séparé, divisé, déchiré, en exil de la vie. L'autre vie. Celle d'avant.
Avec seulement cette tension. A moins que ça soit çà. La vie. Le souffle tendu dans une attente vaine. Pas d'envie, pas de désir, que de l'attente. Attendre l'envie et le désir. Espérance de désir... pour désirer rien. Rien, jusqu'à la fin des temps.
Se souvenir. Ca ne marche pas. Je n'ai pas de mémoire. Les images semblent sortir de mon corps. Plus vivantes que moi. Mais ce n'est pas du souvenir. C'est du sang que j'entends battre sur mes tempes, c'est l'odeur qui envahie mes fosses nasales. Ma gorge.
Noir. Tout le reste est noir. Je n'ai plus de passé, d'ailleurs je n'ai plus rien. Je ronge l'attente comme un vieil os usé. Je ne peux même pas me tuer. Il n'y a rien à tuer. Personne. Je suis là. C'est tout, je suis là. Mais je n'existe pas. Tout a reflué. La plage est déshabillée, nue.
Je suis nu. Non. Je suis rien.
Quelque chose passe, s'épuise. Je ne sais pas ce qu'est le temps. Quelque chose s'épuise. Quelque chose en moi s'épuise. Du temps, du rien. Sans violence, sans révolte, comme la mer qui se retire. La mer qui s'enroule sur elle-même, qui s'absorbe elle-même, qui ravale ses sanglots, vague après vague, laissant derrière elle cette hideuse dentelle moussue, rouge, silencieuse qui s'accroche encore à quelques cailloux miséreux, qui n'en finissent pas de s'user, eux aussi
Je ne suis plus lié à mon corps. Je sens quelque chose qui résiste, alors je dis que c'est mon corps. Mais je ne suis pas sûr. Avec les dernières vagues mon image disparaît et les miroirs se taisent. Ils ne me savent pas. D'habitude les miroirs savent les images. Là, ils ne me savent pas. Pas encore. Pour toujours. Peut-être.
J'ai les yeux tournés vers l'intérieur. Même pas. Je suis aveugle. Le monde a perdu son épaisseur. Etranger, abandonné au-delà de la mer.
Au-delà de la mère. Bien après la dernière vague. Ce n'est pas un lieu, c'est.... ça ne se défini pas. Ca ne se dit pas.
La plage est vide, encore humide. J'ai tout oublié, l'eau, la tempête, le bruit, les cris, la souffrance. Je ne souffre pas. C'est pire.
Je vis.
Au fond de ma gorge, ce goût fétide qui m'empêche d'hurler. Ce goût laissé par la dernière vague. Senteur marine. Non, plus fade, comme l'odeur blanche de la mort. Je suis là dans un présent mobile, indéfini. Je ne sais pas si je dors, je ne fais pas la différence. A cause, sans doute, de ma mémoire. Saturée de douleur, de néant.
Le seul mouvement qui me reste c'est celui de la mère qui s'enfuie.
Je m'éloigne du rivage.
Toujours un peu plus.
J'entends ma respiration. C'est la mer qui rumine. La mer monstrueuse méduse halète.
Allaite.
Je vois son corps immense trembloter. Non, c'est moi qui tremblote. Je suis une méduse qui tremblote. La transparence épaisse d'une méduse échouée au bord de l'océan : et qui tremblote.
Une mère à marée basse laisse toujours une impression d'inachevé.
D'inachevé.
Elle pourrait descendre encore, descendre sans fin.
Mais, à un moment donné, il y a la dernière vague. Puis plus rien. Puis l'attente.


L'Etale....


A force d'attendre je crois voir les images.
Des morceaux d'images.
Mon corps de méduse est trop mou pour accrocher les images. Pourtant je les sens, elles s'incrustent, elles glissent, elles rampent. Ma tête ne peut les retenir. Ma chair non plus. Je ne comprends pas. Pas de maîtrise, pas de sens, pas de forme. Rien qu'une femme écrasée dans les plis désespérés d'un corps mou, translucide. Et moi. Et ça. Morceau d'image. Morceau de corps.
Pas de son, pas d'odeur.
Peut-être une odeur. Je ne peux pas dire ce que c'est. Une odeur. De toute façon elle est mélangée à la couleur. Peut-être l'odeur de la méduse. Je ne sais pas d'où elles viennent, les images. Les morceaux de cette femme. Cette femme éventrée. Il n'y à pas de sang. Pourtant elle est éventrée. Je le sais. Quelque chose de la méduse le sait. Au bout de la mère, au bout du mouvement ces choses là se savent. Tout le monde le sait qu'elle est éventrée. Pas besoin de sang pour le savoir. Les méduses ne saignent pas.
Immobile.
Je sors d'une blessure baveuse.
Je suis la blessure.
Pour toujours.
La mère immobile. Seulement les images superposées de cette femme. Je sais que c'est moi. Je ne le vois pas. Je le sais. J'ai toujours su qu'elle était éventrée sur des lits poisseux de désir.
Ma peau est gluante comme une méduse gluante.
Pour toujours.
Elle a cette sorte d'immobilité étrange. L'image. La femme. La mère. L'immobilité vertigineuse des rêves. La peau est pâle. Il faut dire la viande. La viande correspond mieux à ce que je sais. Une viande gluante, visqueuse, ouverte.
La femme est ouverte. Les cuisses sont ouvertes. C'est normal. C'est toujours comme ça. On dirait une méduse oubliée au bout d'une plage. Elle. Moi. Je ne suis pas sûr, parce que se sont des morceaux d'images. Et puis, je n'ai pas tous les mots parce que je suis en morceaux et ouvert.
Non, c'est elle qui est ouverte. Quand on est ouvert, on n'a jamais tous les mots. Je le sais. Tout le monde le sait.
Il faudrait faire des phrases. Pour mieux respirer. Des phrases longues avec de la mémoire. Je suis sûr qu'il faut de la mémoire. Tout le monde a de la mémoire et peut faire des phrases longues qui racontent des histoires. Les phrases longues, c'est pour raconter les histoires de la mémoire. Les histoires du temps. Du vrai temps.
Avec de l'avenir et du passé.
Non, pas du passé.
Plus jamais du passé.
La mémoire ce n'est seulement que pour du passé.
Je n'ai pas de passé, alors je n'ai pas de mémoire. Les images, c'est du présent. Rien que du présent. Tout est enfermé dans les images. Tout s'y arrête, comme la mer, comme la méduse.
Si seulement l'eau pouvait revenir. La mère. Mais elle est basse, moi, je suis trop las, trop lisse. Même éventré.
Trop lisse. Eventré de l'intérieur.
L'exil.
Je suis exilé. C'est le mot qui convient. Hors de mon lieu. Prisonnier ailleurs, plus loin, encore plus loin, dans les images sans doute. A l'intérieur c'est vide. C'est pour ça que je suis exilé. Un vide à l'intérieur qui sépare et déchire.


Le Flux......


Seulement un peu d'eau.
Le moment où l'univers reflue.
L'eau suce à nouveau la terre.
La terre aspire.
J'aspire
Comme un trop plein de vide.
Jusqu'à l'écœurement.
Tout d'abord il y un bruit imperceptible. Un peu de mousse qui se forme. Quelques bulles, un peu comme de la bave qui viendrait blanchir le sable. A nouveau. Quelque chose à nouveau s'accroche.
Entêtement fatal.
Avant le mouvement il y a l'intention du mouvement. Un désir, un rien. L'écume baveuse qui vient mouiller un peu plus loin le sable. On pourrait croire que cette mouillure tente de surgir du sable. Une mouillure de l'intérieur du sable.
Avant le mouvement il y a cette impression de suintement de l'intérieur.
La respiration vient après.
Du silence sort un souffle.
Il est diffus. Il est là : lent, profond, inévitable.
Inévitable.
C'est vraiment un souffle. Une respiration vivante.
L'infini qui respire.
Un trouble. Une ivresse.
Sensation troublante, comme est troublante l'apparition de cette mouillure venue de l'intérieur. Quelque chose de vivant. Trop vivant.
Cette respiration, cette succion, cette bave.
Rien n'est coordonné. Je ne perçois ces éléments que séparément. Pas d'unité.
Il n'y a pas d'unité.
Au début il n'y a jamais d'unité.
Que ce souffle. A l'intérieur. Plus d'eau. Seulement le souffle. La mémoire de l'eau qui berce.
Quand la mère se retire.
Quand la mère se retire il y a l'effroi. L'abandon à l'effroi. Bercé dans l'effroi. Je crie.
Rien que du cri. Pas les mêmes cris. D'autres. J'en ai plein la gueule. Ils me submergent, m'envahissent.
Maintenant la mer est à l'intérieur. La mère. Je crois. Son mouvement. Tout remue à l'intérieur avec cette respiration. Une vague moussue m'enveloppe, mais en dedans. Elle clapote insignifiante et têtue.
C'est quoi le néant ? La mère peut-être ? Sans doute. L'extase des ténèbres. La mère c'est toujours l'extase des ténèbres. Elle est là dedans. A jamais. Fascinante comme la mort, ou quelque chose qui y ressemble. La seule chose vivante ici c'est la mort.
Elle monte à l'intérieur comme une marée naissante. Le flux de la mort. Le reflux de la mère.
Maintenant la mer est là, qui monte comme une désespérante envie. Inexorable attraction du désir. Douloureux dans la chair. Plus profond encore que la chair. Dans le ventre. J'ai un océan dans le ventre. Un océan de désir douloureux dans le ventre. Quelque chose qui grossi, qui déferle. Vague après vague. Toujours plus haut. Plus fort. Impitoyable avalanche de la mer qui monte du plus profond du ventre.
Tout s'agite. Maintenant. L'univers bouillonne. Plus bas que le ventre, à l'endroit ultime d'où la marée remonte. Le seul endroit. Le lieu. D'où se dressent les vagues. Le trou obscur de l'univers.
J'entends les bruits de la mère. La mer s'arque boute sur un désir convulsif pour enrouler ses vagues toujours plus loin dans le ventre, vers une plage inaccessible.
Inaccessible. Voilà, c'est tout. Inaccessible. Le reste, tout le reste est un perpétuel recommencement.
La seule réalité ce sont ces marées inutiles dans un univers inutile.
Il y a quelque chose de vain dans les marées. Pendant un instant, pendant que la nature pousse on se prend à espérer. Puis elle reflue. Se recroqueville.
Les marées n'accouchent de rien. La mer n'accouche de rien. La mère aussi.
Sûr d'une chose. L'invincible douleur. Le mal absolu de la déchirure.
Rien d'autre.
Se taire.
Regarder la mer jusqu'à l'ultime marée.
Tout est dans ce mouvement qui donne l'illusion de la vie. Va et vient. Apparition. Disparition. On croit naître de ce mouvement. Illusion.
J'existe depuis avant. Avant la déchirure. Avant le mouvement.
Comme la méduse.
Je suis né d'un va et viens. Du frottement des chairs. De l'usure désespérée des chairs entre elles. Rien de plus. Rien de moins.
Rien de beau là-dedans. L'usure inéluctable du va et vient des chairs. De la mer. De la mère. Né d'un épuisement de l'eau.
Illusion d'amour ou croire à la nécessité des choses. Rien n'est nécessaire. Au mieux il y a l'usure.
Danse macabre de l'usure des chairs. Deux méduses aussi vaines l'une que l'autre. Rien de nécessaire là-dedans.
L'amour. L'absence. Illusion de l'autre. C'est toujours le même vide, à cause de la même déchirure. La mer se contemple seul.
La mère aussi.
La seule réalité c'est le va et vient de la mer, ces marées qui montent et qui descendent, cette usure des chairs. Il n'y a rien à trouver, pas le moindre sursit.
Au mieux expier des illusions. Pris dans un jeu de reflets.
Jouet des transparences.
Pourtant la jouissance se dit dans des hurlements de bête.
La naissance aussi.
Les mêmes cris. Je viens de cette usure des chairs et d'un désir douloureux.
D'un reste.
D'un surcroît de tristesse au bout d'une plage désertée.
D'un épuisement.
Ne l'oublie jamais. Jamais. Méduse abandonnée. Rien de plus.
Le reste d'un combat obscène et douloureux. Des corps qui s'entremêlent dans le désordre d'un désir brutal. Des corps qui mugissent, se tordent. Des corps violents. Des chairs offertes.
L'extase. Comme un effondrement. Comme à l'heure incertaine du soir. Heure incertaine.... Plus tout à fait le jour.... Pas encore les ténèbres. L'effondrement progressif de la lumière. Extase où la mort bave ses poisseuses secrétions.
Extase. Torpeur des frottements. Usure des chairs. Du temps.
Quant au reste c'est l'histoire d'une marée. Perpétuelle ignominie.
Vacuité insoutenable.

Franck.

23 novembre 2013

Aller au bout de la jetée...

Car ce qui compose nos vies est si insignifiant, si négligeable, si futile, les grands événements sont si rares, et Il y a tant d'heures oubliées, vaines, tant de gestes ternes, inconsistants. Un immense gruyère où ne subsisteraient que les trous, les vides, les riens. Les attentes interminables. Les gestes répétés. Les naufrages dans des sommeils de pierres. Et toutes ces paroles prononcées avec des mots si creux, si absents d'eux-mêmes. Chaque heure se tisse dans la banalité, l'imperfection, la platitude. Chaque heure rejoint le fleuve des jours, des ans, dans la perte et le manque et l'infinie tristesse des flots qui s'écoulent.

Car ce qui composent nos vies, c'est le malentendu, c'est l'espérance désenchantée, c'est tous ces cul de sac, ces labyrinthes inextricables, ces occasions gâchées, c'est notre entêtement à vouloir comprendre ce qui n'a pas de sens, à désirer ce qui est hors de notre possible, et au bout, à se lamenter, ou à se taire. Et continuer.

Et pourtant c'est là, au cœur cette piètre et médiocre tragédie, c'est là, dans notre dénuement et notre déficience, dans cette langueur, là, au point d'orgue de notre irrésolution, que l'écriture déploie sa palette la plus tremblante. Car l'écriture nous vient d'abord d'un creux, d'une insuffisance et de l'hémorragie qui s'en suit, d'une rareté, d'un déficit. Elle vient de nos dernières résistances quand elles cèdent, quand l'être en nous, s'abandonne et se perd. Elle vient de notre marche sur la jetée, quand celle-ci s'arrête et que l'océan est ici, devant, démesuré,  terrifiant, et que tout en nous se projette vers l'infini. L'écriture vient de cet arrêt brutal, et de ce prolongement. De ce saut dans l'immense. De cette marche sur les flots. Quand plus rien ne nous soutient, à part le fil tendu de la langue, une ombrelle de désir dans la main droite, et quelques notes de musique dans la main gauche. Pour écrire il ne faut rien, puisque l'écriture vient de là, de ce plus rien. Et qu'elle y retournera. Il ne faut rien, sinon se quitter.

L'essentiel de nos vies se construit à l'insu de nos envies, à l'insu de nos rêves. Pour un acte posé, cent stériles ou inoccupés. Pour une rébellion, cent abdications. Pour une aubaine miraculeuse, cent nullités ternes. Alors accepter la faille comme l'unique possible. La faille qui recueille l'encre, l'encre des mots de l'écriture. La faille qui nous nomme, qui nous désigne. Interminablement. La faille comme dernière exigence, le lieu des empilements, des étreintes ou des serments ou des éloignements. Le lieu de nos vertiges.
Car il nous faut aborder mille fois ces rivages dévastés de la mort, reproduire sans cesse l'agonie de nos jours, affronter à chaque texte l'effrayante nécessité de disparaître. A chaque fois plus loin. A chaque fois plus profond. A chaque fois plus définitif. Comme si chaque mot devait enlever des morceaux de peau, les arracher à leur obstination. Jusqu'aux dernières chairs. Jusqu'au dernier sang. Car l'écriture, c'est bien déterrer des ciels vacillants d'étoiles en réveillant les gisants. Est-ce bien ce creusement de l'ombre ?

Et toujours cette lente avancée sur le fil, comme une entrée dans la cathédrale : de l'arche à l'autel, du soleil au fanal, et tenter le passage impossible du clair au lumineux, du crépuscule à l'aube, des secrets au Mystère. Et accepter l'envoûtement. Et l'appeler. Messes noires pour noces blanches. Toujours. Toujours. Et infiniment recommencer, jusqu'à ce que plus rien ne subsiste de nous. Est-ce bien cela ? Est-ce bien cette folie ? Est-ce bien cet impossible orgueil des vaincus, qui sachant leur défaite, se cambrent une dernière fois, face néant ? Est-ce cet impossible orgueil des déshérités, des dépourvus, des dépouillés ?
Rien.
N'avoir rien, que sa langue, que des mots, qu'une musique. Rien d'autre. Et avoir assez de désespoir, de contradictions, de frontières,  pour pouvoir les déborder, les excéder. Est-ce bien cela ? Dites-moi que c'est bien cela ! Car sinon il faudra que je brûle chaque mot prononcé, chaque mot écrit ; il faudra que le silence ne soit plus le sacre de la parole, mais son unique sépulcre. Il le faudra bien. Si mon errance me conduit auprès de cet écueil, au tout près de ce croc insolent, il faudra bien que j'aie la force de m'y clouer ! Si la pauvreté de nos vies n'est pas assez cher payée le passage de la nuit à la nuit, si notre dénuement ne suffit pas à dédommager Charon ou ses frères, il faudra bien déchirer le pacte et incendier jusqu'à nos plus intimes paroles ! Si consentir n'est pas la route, il faudra bien consumer la terre et ses environs !
Puisque pour signifier, j'ai épuisé tous les actes, toutes les routes, tous les chagrins, puisque j'ai osé tous les effleurements, frôlé toutes les peaux, puisque je me suis rassasier à tous les seins, et dormi sur tous les ventres,  caressé toutes les cuisses, puisque tout cela fut fait, puisque je fus chevalier, prince, jardinier, conquérant, puisque j'aurais pu être roi, puisque j'ai tenu des étoiles au creux de mes mains, puisque j'ai bravé tous les échecs, toutes les abjurations, toutes les reniements, puisque j'ai été courageux et veule, puisque de tout cela il n'en reste que les cendres que le vent demain effacera. Et qu'au bout de tout cela, rien, rien ne fut signifié. 
Alors...
Alors, en attendant la révélation, le dévoilement des limbes, il faut bien continuer à arpenter la langue qui nous reste, à raboter la parole,  à élargir la faille, et à esquisser des pas de danse sur le fil tendu, il faut bien risquer l'équilibre pour tenter de le trouver, il faut bien écrire, puisque c'est seulement cela qu’il nous reste, puisque c'est la seule dignité possible avant la prière, puisque je n'ai que mon silence à opposer au vacarme du monde, puisque je n'ai qu'une ombrelle de désir dans la main droite, et quelques notes de musique dans la main gauche.
Alors...
Alors, il ne me reste que l'incendie des mots, la brûlure de la solitude pour invoquer les dernières heures et les ultimes insignifiances. Et me dire que là, juste là, à cet endroit de ma vie, à l'endroit de la tremblance, commence le plus grand des voyages. Le plus immobile. Et le plus terrible. Puisque tout est exigé, là, dans l'instant du mot. Alors il faudra rassembler toutes les forces de l'amour. Aller au bout de la jetée et tenter une fois encore le saut dans l'immense. Au plus nu. Au plus près de l'étoile. Ecrire !

 

Franck.

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