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J'irai marcher par-delà les nuages
1 octobre 2006

L'écri(veine)....

(Les textes en rouge sont tirés de « L’Oratorio de Noël » de Göran Tunström. Ed. Babel)

Ce matin je t'ai vu dans les replis d'un nuage froissé par la brise
Ce matin un soleil effrayé a éparpillé sa lumière dans l'ombre agitée et inquiète des saules.

Je t'ai vu.
Grand vitrail incendié dans l’aurore de la langue.

« ….Tu voulais savoir comment c’est d’écrire un livre. C’est fatigant ! C’est comme s’obliger à traverser un désert : de longues étapes sans une goutte d’eau, sans un arbre sous lequel se reposer. Puis tu arrives dans une oasis : le langage coule à flots, chaque feuille s’ouvre, tout veut devenir poésie. Ecoute-les, elles chantent maintenant ! Et le stylo vole sur le papier, tu te retrouves dans une sorte de tropiques des sentiments. »

Ce matin, le matin se souvient d'une lune de sang sur la peau blême de ta mémoire, et les rossignols de feu répercutent les plaintes de la nuit qui s'afflige.                                                                                                                                  picasso_pablo_femme_ecrivant_2404201

Ce matin je t'ai vu.
Au hasard d'une aube dérivante, je t'ai vu.
Et la cruauté du jour fige un vertige,
et la vie manque à la vie,
et ton jour manque à mon jour.

« ...Et pense à tout ce qu’un seul être saisit avec ses yeux, à combien chacun de ses gestes est chargé de passé, d’un avenir inconnu, et à cette fragilité douloureuse que peut être celle du présent : comme une fragile touffe de linnée boréale coincée entre deux rochers en mouvement. C’est cette linnée que tu dois photographier. Oui. Et ensuite cette décision à prendre, quand le bonheur d’une idée est devenu travail et angoisse : choisir d’où l’on va écrire, on peut rester à l’écart, utiliser des jumelles et la contempler à distance, balayer tout son monde d’un bout à l’autre, englober tout le panorama dont elle n’est qu’une infime partie. On peut s’en approcher à cinquante centimètre de distance, et cela devient un autre livre, et on peut se glisser en elle, ce qui est le plus difficile, le moins reposant, parce qu’on ne peut jamais abandonner un être à mi-création ! Il faut e pencher sur cet être, sur son cœur qui bat, noter le rythme de sa respiration, sentir les mouvements de son visage comme ceux e cils vibratiles. Mais en fait, je ne ais pas. Je n’ai pas de théories en dehors de ce que j’écris, à ce moment là je sais. »

Sur les mots alignés du poème, sur le noir des silences un voile de rosée limpide est tombé.
Ce matin je t'ai vu comme un archange aux pétales chiffonnés par une Vénus fière. Et triste.
Je t'ai vu comme une enfant qui se balancerait dans les couleurs blessantes du jour. Un grand lys blanc couronné d’escarbilles qui effleureraient la phrase d'un souffle frais. Nouveau.

« Je n’ai rien d’autre. Je suis mauvais en ce qui concerne la vie. Il y a comme une pellicule entre la vie et moi. Mais quand je cris… je veux dire quand j’écris… alors je m’imagine que cela s’entend à travers la vie et droit dans…suis-je ridicule ?

- Bien sûr. Tout comme moi. »

Ce matin je t'ai vu dans les reflets bleutés d'un papillon crucifié par l'éclat noir des restes de cette nuit.

Une nuit d'encre amère et monotone.

Où tu as puisé au sang, le noir des veines pour le tirer jusqu’au rouge du cœur. Sang noir contre sang rouge. Entre les deux, un souffle. Ton verbe.

Je t'ai vu dans ce rêve lancinant, princesse inassouvie, fulgurante, ardente, toujours prête à t'envoler sur l'aile d'un soupir, tenant la phrase d'une main ferme et caressante.

Je t'ai vu, et j'ai senti en moi une barque chavirante alourdie par trop de chair morte.
Je suis comme un dieu taciturne et sombre sur le seuil du jour. Immobile. Délabré par cette indéchiffrable écorchure cristalline. Recroquevillé dans tes silences, pour me protéger de cette absence, de cette distance.

« Je connais ces cris là. Toi aussi tu les connais. Nous vivons de cri en cri. Mais entre eux un filet d’eau trouve son chemin. Il disparaît, il réapparaît, une fois, deux fois, trois fois peut-être dans notre vie, pour que nous puissions y tremper nos lèvres et continuer notre chemin. Si je me trouvais ici, c’était parce qu’il m’avait été donné de voir ces scintillements dans la vallée des morts. J’ai pu entendre la musique là où je m’y attendais le moins »



Je t’ai vu drapée de phrases d'organdi nacré. Divine. Souveraine. Tu flottais irréelle et pure au plus haut de la forteresse crénelée de la langue.

De la cassure du jour suintait une sorte de rosée, une pluie et quelques mots et cette belle présence. Innombrable. Infinie.
Ce matin je t'ai vu et j'aurais voulu briser les rayons de ce soleil impudique.
Je regarde le lit défait des mots où le corps de la voix épuisée par trop de lassitude déborde d'un songe défiguré.

Au pied du lit quelques cris, laissés là, dans le désordre des souffrances. Des insuffisances. Des oublis.

« Cela peut prendre longtemps avant que ce qu’on a dit se mette à fondre. Parfois cela ne donne pas de la musique avant qu’on soit adulte. »  « Pourquoi ? » « Parce qu’on est gelé à l’intérieur de soi-même. Bien qu’on ne le sache pas soi-même. Mais un jour, quand on est très triste, ou qu’on a vraiment faim de quelque chose et qu’on est complètement seul, alors on s’aperçoit brusquement que nos vieux mots deviennent de la musique. »



Sans_titreAvec obstination j'invente ton visage toi l’écrivaine. Et c'est une folie muette.

Démesurée. Tyrannique.

Mais plutôt, l’écri-veine, à cause du sang qui circule dans tes textes, un sang lourd et épais, aux reflets crissants, chargé d’histoires, de regards, de rencontres, chargé de gros caillots de silence. Oui ! Ecri-veine, parce que tes mots reviennent tous vers le cœur. A rebours. Tes mots partent des organes les plus lointains, les plus douloureux parfois, les plus blessés souvent, et remontent dans les veines du langage, dans les veines de la mémoire, pour éclater enfin aux tempes du coeur, du cœur rouge du texte.

Parce qu’un jour tu fut arrachée, jetée dans l’ailleurs du cœur, dans l’exil…

Alors tes mots de sang veineux ont coulé un à un, chaque jour, pour le rejoindre ce cœur.

Et pour être dans ce cœur, au plus près de la vie périlleuse.

Perpétuelle insomnie.
Ce matin je t'ai vu au milieu des draps pourpres de ta nuit déshabillée de toute parole. Et c’était une musique qui venait par-delà les nuages. Comme un triomphe de flammes. Comme une brassée de pétales multicolores. Comme un printemps au cœur de l’hiver.

Franck.

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16 septembre 2007

Une chose que l'on ne sait pas faire......

C’est une chose que l’on ne sait pas faire, et pourtant on la fait. Et c’est déraisonnable. Et on la fait. Sans savoir vraiment ce que l’on fait. On sait seulement qu’on fait cette chose. Et que c’est important de faire cette chose qu’on ne sait pas faire. Parce qu’elle est impossible à faire. Mais que là, dans l’instant où l’on est, il faut la faire. Que si on ne la fait pas, iceberg_drydockcette chose, il pourrait advenir un irréparable. Ecrire se vit toujours dans l’annonce d’un avenir déjà révolu. Alors écrire c’est repousser la catastrophe ultime de la mémoire. La collision des temps contraire. D’où cette sensation d’écrasement. Et de jubilation enfantine. L’imminence tenue en respect. L’urgence comme viatique. La menace comme respiration. La nécessité comme sang.

C’est une chose que l’on ne sait pas faire. Jamais. Et pourtant on la fait. Comme vivre, comme aimer. Une ignorance brûlante, dangereuse, conquérante. Comme vivre, comme aimer. C’est pour ça qu’on la fait, cette chose d’écrire. Pour perpétuer l’ignorance. La prolonger. L’augmenter.

 

Alors, on consent à la dérive, comme ces glaces lourdes et majestueuses, dans les océans froids du nord. Ecrire, aimer, vivre, c’est toujours un peu dériver, se perdre avec lenteur et grâce. Avec constance. Passer d’un silence à l’autre, jusqu’à n’être plus que de l’eau dans de l’eau.

La fonte des glaces dans l’océan c’est la grande tragédie de la vie, de l’amour, et de l’écriture. Être de grands navires à iceberg_domedla dérive sur un océan sans horizon.

 

Et l’écriture fond à mesure qu’elle se dit.

Et la parole de l’écriture est une eau trop salée.

Et écrire c’est retrouver la voix de nos premières ignorances.

Et c’est une chose que l’on ne sait pas faire, et pourtant on la fait, cette chose.

Jusqu’aux larmes.

Et c’est extravagance.

Franck.

2 novembre 2008

Nous n'aimons pas les prières....

C'est vrai nous n'aimons pas les prières. Et pourtant nous prions. Et cela réveille la colère des dieux. Parce que celui qui écrit prie. A genoux dans sa voix, joignant les mains de la parole. A genoux dans sa voix et dans l'ombre glacée du monde. Ecrire c'est une prière qui n'a pas d'adresse, pas de lieux où arriver. La perte est son horizon, la défaite sa résurrection.

Nous n'aimons pas les prières et pourtant nous prions. Blottis dans le manque, passant d'un silence à l'autre, d'une absence à l'autre. Et c'est le chant inaudible du temps qui agonise dans la lumière. Nos prières d'écriture ne vont pas aux dieux. Elles vont comme l'eau. De débordement en débordement. Elles vont comme l'eau qui s'offre aux créatures. Du lait aux vivants. Le lait du vivant.

Elles vont comme l'eau, d'effacement en effacement. Inventant l'abondance de cette faillite perpétuelle. La voix de nos pri_reprières est une voix égarée, qui ne sait pas son chemin, et qui s'éparpille dans les couloirs des jours, et qui prolonge l'attente d'une attente toujours neuve.

Nous n'aimons pas les prières et pourtant nous prions puisque c'est la forme dévastée de l'amour, sa face bouleversée qui attend un baiser. Une miséricorde.

 

 

 

Nous nous blessons souvent sur les bords tranchants du poème, à ravauder les déchirures du ciel, à tenter de réconcilier les deux infinis, mais qu'importe. Puisque nos prières d'écriture servent de festins de lumière aux étoiles. Et puisque chaque jour la mer invente de grands à-plats blancs d'écume, les grands à-plats blancs des pages nouvelles.

 

 

 

Alors qu'importe si mes prières païennes épuisent mon sang, je passe d'une ombre à l'autre, et d'un silence à l'autre, comme un soleil à l'aplomb du désir, oscillant d'un mouvement lent et majestueux, entre l'extase et la désespérance, entre ton visage et les miroirs en deuil.

Qu'importe mon amour, je suis à genoux dans ma voix et dans la crypte de ta passion. Je suis semailles dans le creux de ta chair, illuminé par ton seul regard. Simplement brûlé par l'attente. Simplement bénit par ton souffle.

Récompensé et maudit. Radieux et misérable. Ecartelé entre ma pesanteur et ta grâce.

Franck.

25 décembre 2018

Lettre N° 98 – Le pacte…

 

Mon amour,

Nous avons su fabriquer des temps désynchronisés, des temps mélangés. Tu disais : « Il faut ouvrir des espaces, il faut nous inventer… » La banalité des

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jours t’effrayait. Le feu couvait en toi. Un au-delà de la chair : « Nos corps ne sont que la porte ; derrière, l’incendie des âmes… » Tu aimes les églises, les lieux denses, tu es pourtant sans dieu. Tu aimes ces lieux du temps, ces lieux d’usures, ces lieux lents, ces lieux d’ombres. Nos lettres n’ont jamais signifié le monde, l’époque, l’actualité. « Il n’y a pas d’époque, il n’y a jamais d’époque, ou si peu… l’écume qui masque l’océan… pour le reste, nous vivons des temps indéfinis, contradictoires, effrayants… souvent… »
Tu avais dit : « Allons à Saint-Victor… » Du port nous pouvions voir cette citadelle carrée, fondue dans l’enchevêtrement des maisons. Pas de clocher. Des angles, des cubes massifs. De la pierre.
Nous étions entrés dans l’abbaye.
Une citadelle de foi étrange, si carrée à l’extérieur, si ronde à l’intérieur.
Est-il possible qu’il puisse exister une géométrie de l’âme ? Et si l’harmonie pouvait nous arriver d’un désaccord, d’une dissonance ? Carrée et ronde à la fois. Est-ce cela la géométrie du sacré, la respiration de l’extase ?
Durant quelques secondes il fallut que nos yeux s’habituent à l’ombre. La fraîcheur du lieu contrastait avec l’écrasante chaleur de la ville. Tu ne pris pas d’eau bénite. Ton premier geste fut de poser ta main sur un pilier. J’ai encore dans l’œil, la finesse de tes doigts posés sur la masse de la pierre. La blancheur fragile de ta main. Dans ton geste il y avait une sorte de sensualité brûlante. « Pose ta main, laisse entrer la pierre dans ta chair… » « Tu sais, Saint Victor fut ma première église. J’y venais enfant. C’est là que j’ai fait ma première communion. C’est là aussi que j’ai su, presque immédiatement, que je n’aurais jamais la foi… que ce continent ne serait jamais le mien… pourtant j’aimais ce lieu… il me semblait qu’il était habité… ou plutôt habitable, comme un ventre. Aujourd’hui c’est la première fois qui j’y reviens. C’est

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étrange cette sensation de retour. C’est si loin, et si proche à la fois. Consolation… c’est le mot qui me vient… le seul mot… tu sens cette odeur ?... »
Je n’ai plus su, à ce moment précis, si tu t’adressais à moi. Tu semblais prise dans une singulière rêverie. Tu parlais à mi-voix à des ombres, à l’enfant que tu fus, ou à l’invisible présence du temps qui passe.
«  Tu sens cette odeur ? L’odeur des siècles et de la permanence… une odeur saturée d’âmes… c’est exactement ça, l’épaisseur de la grâce… » Tu continuais ton monologue, n’attendant aucune réponse. « L’éternité du présent… »
Nous sommes descendus dans les cryptes. Nous avons déambulé, nous nous sommes séparés, chacun allant à son rythme de salle en salle, de voûtes obscures en voûtes ombreuses. Il me sembla que tu avais prémédité cette visite, il me sembla que tu avais donné rendez-vous à tes fantômes. Nous allions au plus profond, dans le ventre du ventre, chaque salle s’épaississait d’un silence plus lourd. Pourtant tout semblait si serein. Nous nous sommes retrouvés dans la dernière salle, la plus ancienne, la statue d’un ange occupait un coin plus sombre, sa posture et son visage bienveillant appelaient l’humilité, le recueillement. Nous le fixâmes un long moment. Tout autour de cette salle des pierres, des lambeaux de fresques, des tombeaux de pierres rugueuses étaient déposés comme abandonnés, ou en attente de quelques miracles. C’est toi qui remarquas la première cette colombe à terre. Tu m’as dit : « Tout est là, dans ce symbole, regarde cette colombe si gracieuse… Regarde la délicatesse… sans doute ne vient-elle pas d’ici… mais elle est là, au plus profond des entrailles, au cœur du cœur… au sol, comme pour aggraver ou souligner l’effort de la grâce… »
Nous sommes remontés. Nos yeux s’étaient habitués à cette lumière ombreuse. Les vitraux étroits ne semblaient là, que pour permettre une respiration lente, ils n’étaient là que pour accompagner la pauvreté des prières perdues.

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Il y eut un pacte, comme une alliance. Un signe. Ces choses-là se savent à cette inflexion de la lumière au crépuscule. Il y a un instant précis à la tombée

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du jour où la nuit a déjà gagné son combat. Le jour cède, plie. Quelque chose chavire. Cela dure très peu de temps. Le fil du jour casse, et tout ce qui tenait, tout ce qui vivait, tout ce qui espérait, brusquement s’écroule. C’est un temps de silence, tout se retire, tout capitule. C’est le temps du pacte. Des alliances. Des amours. Car c’est dans cette déchéance du jour, dans cette agonie de lumière, que les amoureux connaissent leur destin. Car c’est l’instant des chances ou des malédictions. L’instant des pactes. Et les amoureux ignorants se reconnaissent. Dans cet écroulement du jour les amoureux se destinent. C’est le temps des serments silencieux. Aucun mot ne peut dire ces promesses, aucun décret ne peut les effacer. Quelque chose s’inscrit dans la lumière des étoiles. C’est un temps abandonné, qui n’appartient plus à personne, c’est un temps pauvre, sans consistance, c’est pour cela qu’il est le temps des amoureux. Ou des mourants. Ou des naufragés.
C’est un temps démasqué, les faibles le redoutent, les forts l’espèrent. Les dieux choisissent ce temps du jour pour calligraphier les signes, les symboles, les alliances.
Nous le savons, toi et moi, il y eut un pacte. Le sang de tes mots s’est mêlé au sang de mes mots. Nos blessures comme des lèvres se sont touchées. Rouge sur rouge. Le cœur de l’épreuve, comme un exorde. Nous le savons, il n’y a pas d’histoire, nous sommes seulement une légende.
Alors nous sommes entrés dans un temps coquillage. Nous sûmes enrouler nos jours, dans cette étrange spirale. Chaque jour un peu plus serrés. Chaque jour un peu plus haut, un peu plus loin. Un peu plus débarrassés de nous-mêmes. Ni toi, ni moi, ne croyions au bonheur, notre nécessité allait bien au-delà. La ligne d’horizon nous séparait des autres, elle traçait les contours de nos gestes, de nos chants. Le ciel sur l’océan.

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Abbaye Saint Victor (Marseille)Ligne du désir. Ligne du désastre. Notre ligne de fuite.
Ce jour-là il y eut un pacte, dans la grande cathédrale de la langue, nos voix se sont unies. Nous avons marché vers l’ombre qui refluait, nous avons traversé toutes les saisons du jour, pour nous agenouiller, là, devant l’autel. Tous les mots de la terre te faisaient une longue traîne. Tu étais si belle mon amour, vêtue de poésies sauvages, de litanies blanches et aériennes.
Dis-moi, mon amour, te souviens-tu de ce jour ? De ce jour du pacte. Tu étais si belle dans cette heure chavirée. Nous marchions vers l’autel. Puis nous avons consenti l’un à l’autre, alors l’hostie eut ce goût insolite que laissent les murmures ou les aveux, les renoncements ou les sacrifices. Tu te souviens de cette lumière si particulière, de cette lumière qui tenait si peu, qui semblait quitter chaque chose, abandonnant sa puissance et sa vérité.
Mon amour, je me souviens des silences échangés, de ce pacte scellé.
Tu le sais bien, les sangs unissent les silences, t’écrire là, c’est consumer la lumière, c’est aussi unir à nouveau nos silences.

Franck.

*  Abbaye Saint Victor ( Marseille)

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12 mai 2005

Juste un peu absente...Juste un peu distante...

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Mon Ange. Elle est dans la révolution de l’amour. Dans l’incendie. Le feu dans toutes les pièces de sa maison. Le feu dans son jardin. Partout le feu.

 

 

Alors je sauve les dernières images, les dernières roses.

Elle ne ressemblait pas à ses mots. En fait, si, mais à l’envers. Il faut l’imaginer :

 

 

Juste un peu absente,
juste un peu distante...

Une eau calme qui se perd dans les reflets du ciel.
Son visage semblait lissé par une étrange sérénité, les paupières baissées comme ces vierges à l’enfant debout dans les ruissellements d’un vitrail.
Visage pali de silence que rien ne pourrait froisser.

Si elle était parfum elle serait mélodie d’un rose léger relevé d’une petite pointe de vert, une senteur du soir à la fin du printemps. Senteur et lueur du soir avec ce je ne sais quoi d’affaibli et de persistant, une note que l’on soutient dans sa dissonance pour parfaire l’harmonie et rendre hommage par avance à la nuit.

Au coin de son sourire s’est logée une douce tristesse.

 

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Visage de neige sur le rouge du cœur.

 

 

Un ange est posé sur son épaule. Il la protège des vacarmes, l’aide à effleurer la lumière, lui donne sans doute cette gravité uniquement pour la vêtir de pudeur pastel. Pour ne pas blesser le soleil.

 

 

Elle vient de loin, du pays des fées, du pays des pluies, des brumes et d’un temps oublié. Elle est d’ailleurs, toujours au-delà d’un voile comme si elle se tenait derrière une fenêtre qu’un déluge éclabousse, pour nous dissimuler ses larmes.

Je l’imagine penchée sur un travail minutieux, brodant quelque étoile sur des robes crépuscules, peignant quelques tableaux, écrivant, ou simplement assise perdue dans les aurores incertaines d’une interminable prière.

Je l’imagine enveloppée de son seul silence dans l’ombre rougissante de la flamme entêtée d’une bougie solitaire, grand aplat de chair blanche sur les sanglots de la nuit.

Droite. Droite sans être raide elle traverse l’espace pour l’orner, simplement l’orner, une flûte qui jouerait entre les cordes d’une harpe, une brise dans les fougères d’un sous-bois, légère comme le pourpre de l’âme enroulé à la candeur des nuages.

Les miroirs à son passage se taisent, respectueux, ils frissonnent de cette coulée d’ombre claire qui les traverse.

Visage de neige sur le sang lourd de la mémoire.

Parfois on croit la voir flotter pareil aux épis mûrs dans la tremblance de l’été, elle semble alors dans une sorte d’attente lointaine comme si l’instant qui devait suivre devait lui annoncer la promesse d’un amour à cueillir. On ne pourrait l’approcher sans risquer de briser l’infini de son rêve sans risquer de dissiper le charme d’un mystère.

Elle est là, simplement, ange discret qui bât des ailes pour frôler la vie.

Visage de neige, caresse du temps sur l’onde mélancolique des eaux.

Sur ses lèvres la brise a déposé les lettres du mot "amour" qu’elle épèle en un lent murmure.

Juste un peu absente,
juste un peu distante.

Si vous la croisez, vous ne la reconnaîtrez pas, à cause du feu. Elle-même ne se reconnaît plus…. C'est à cela qu'on reconnait les miracles....

Franck  (Merci Chris de m'avoir fait découvrir ces si belles peintures de A. Andrew GONZALEZ )

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19 mai 2005

Quelques secondes intactes....

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Elle est allongée sur le dos. Elle ne dort pas. Moi je regarde son corps, ombre blanche dans la pénombre de la chambre. On connaît tous ces moments suspendus. Tout est là. On n’attend rien de plus. Le désir en nous sait qu’il aura sa part de lumière. C’est un temps sans urgence. Elle est allongée nue, sur le dos et moi je regarde son corps nu. Les pieds, les jambes, les cuisses, le sexe, le ventre, les seins, le cou, les lèvres, les yeux, la chevelure. Je regarde ses cotes s’élargir lentement, régulièrement à chaque respiration. C’est le moment des corps, où il n’y a pas d’enjeu, où il suffit d’être là. Simplement là. J’ai toujours aimé cet instant d’avant l’amour, où les peaux ne se touchent pas encore, où la chair s’offre seulement au regard, et au silence. Un temps sans épaisseur, un temps fragile, car on sait qu’il ne durera pas, mais que c’est sans importance, qu’il est fait pour s’évaporer, pour se diluer, que tout changera au premier contact des peaux. Elle est allongée nue, sans pudeur, sans impudeur, dans l’attente souveraine de la première caresse. Elle sait mes regards, elle les sent. La chair frémit légèrement, comme une houle lente. Elle sait mes regards, pour en recueillir la chaleur. Elle étire sa peau au plus large, elle ouvre un peu plus grand les cuisses, pour ne pas couler dans les draps, pour se sentir porter un peu plus loin par une fraîcheur nouvelle. Rien n’est urgent mais tout est ultime. C’est l’instant du fleuve d’ombres où les souffles se déshabillent, les couleurs sont vulnérables, elles flottent dans le noir laiteux de la chambre. Elle est allongée nue, fantôme de neige sous le velours tremblant d’un voile de cendre. Elle est dans ses basses eaux, dans la volupté des limbes, dans l’éphémère mystère, juste avant l’abîme, juste avant la folie. Et elle énumère ses noms, parce quelle sait qu’elle les oubliera. Et moi j’épèle son nom pour le célébrer et l’exalter. C’est un temps en filigrane, un temps vacillant, une fissure dans laquelle se distingue, à peine, la fulgurance tremblante des aurores boréales. Au pied du lit nous avons laissé nos histoires, nos morsures, nos blessures imprononçables, pour être dans la seule rémission du sang qu’on s’apprête à échanger. L’espace autour de nous est île pourpre ceinte de chasteté, de lenteur, comme une liturgie sereine et dérivante, seulement porté par l’odeur de nos corps en attente.

Tout le poids de l’amour est là. Dans cet instant d’avant. Dans ce silence d’avant. Moment fugitif, quelques secondes arrachées à nos actes précipités, arrachées à nos impatiences, quelques secondes intactes de feu vertical avant que l’horizon bascule.

Franck.

14 juin 2005

Je viens de me rendre compte que j’avais parlé

nicolas

Je viens de me rendre compte que j’avais parlé d’astrologie mais que je ne m’étais jamais présenté. Ceux qui connaissent un peu, auront sans doute deviné quelques trucs, ceux qui ne connaissent pas prendront ce qui suit pour du charabia. Qu’importe !

Mon professeur d’astrologie se plaisait à dire que le thème astral était la carte d’identité de l’âme. J’aime assez cette définition du thème. C’est à la fois l’histoire et la géographie de notre être intime. En fait, l’alchimie. Je ne crois pas que nos astres prédestinent dans le sens d’une fatalité, c’est plus un clavier sur lequel on pourra jouer. Il n’y a pas de mauvaise musique mais seulement de mauvais musiciens. Il revient à chacun de vouloir, ou non, porter ses étoiles.

Un jour nous naissons, et ce jour là la vie nous confie un " instant du ciel ". Dans l’infinité du temps qui passe, dans la ronde perpétuelle des étoiles, cet instant que matérialise le thème, nous ait donné. C’est le nôtre. C’est dans ce sens là, qu’on peut dire qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais thèmes. Chaque instant du ciel porte en lui l’infini du passé et l’infini du futur, quand nous le recevons, il est sous notre responsabilité. Nous incarnons donc un instant du ciel au moment du naître et nous devrons le rendre au moment du mourir. Et la dernière question pourrait être " Qu’as-tu fait de tes étoiles ? ". Je m’égare. Disons que pour moi, cette approche à constitué les premiers éléments d’une spiritualité acceptable. Assez souple. Les images sont concrètes et on n’est pas forcé à des croyances complexes. L’astrologie ne promet rien, elle nous tend simplement la boite à outils en nous disant : " à toi de jouer… ", un peu comme dans le Petit Prince : " …je griffonnais une caisse avec trois trous d’aération et déclarais : " le mouton que tu veux est dedans… " "

En parlant de mouton, j’y reviens.

Je suis né en juillet le 10 précisément. Ce jour là sur Limoges la chaleur avait été étouffante. Au moment où les dernières contractions commencèrent, un terrible orage éclata. Je n’en demandais pas tant. Va pour la symphonie du ciel. Ma mère hurlait qu’elle voulait un bouillon de légumes, c’est alors que je su que pour moi les carottes étaient cuites. Bien sûr mon père n’était pas là, lui il s’occupait de choses sérieuses. Je n’ai jamais compris comment un être si intelligent a pu si souvent passer à coté des choses.

Donc au moment où je naissait le Soleil se trouvait en Cancer. Et l’horizon Est coupait le signe du Capricorne. Dons Ascendant Capricorne. Deux signes à l’opposition l’un de l’autre, ça commençait bien ! Le lieu de la Lune (Cancer) avec le lieu de Saturne (Capricorne). Je suis donc né vieux, depuis je passe mon temps à rajeunir. Je plaisante. Quoi que.

Le signe solaire représente le Moi idéal et le signe ascendant le chemin qui vous y mène. En règle générale on se présente souvent aux autres selon son signe ascendant, disons que c’est lui le plus immédiatement visible. Je suis donc anguleux à l’extérieur et rond à l’intérieur. Bref, mon drame ! J’ai souvent donné l’impression d’être sévère, froid, fermé, distant (j’ai souvent récolté en retour des contres parties négatives à cette première impression), alors que dans le fond, je suis plutôt quelqu’un d’aimable, de sensible et de concilient. Même si parfois le Cancer est un peu capricieux, voir tyrannique affectivement (tyrannie légère), il n’a besoin que d’une chose : d’amour. Ce n’est pas compliqué : d’amour et de tendresse. Des choses en voies de disparition.

Que d’eau… ! Que d’eau… ! Quatre planètes en Cancer : Vénus, le Soleil, Uranus et Mars. Une planète en Scorpion et pas la moindre : Saturne le propriétaire de mon ascendant. Et une planète en Poissons, là aussi une planète importante puis qu’il s’agit de la Lune. A cela s’ajoute ce que l’on appelle le Milieux du Ciel en Scorpion, un lieu essentiel d’un thème.

J’ai toujours pensé que ce déséquilibre élémentale était à la fois la meilleur et la pire des choses. La meilleur, parce qu’intuitivement on peut penser à une harmonie possible, symbolisé par la belle triangulation qui relie les trois signes d’eau, et la pire, parce que trop c’est trop, et que cela pouvait créer un pôle d’inertie. Au fond, les excès sont toujours un point de force et de faiblesse en même temps.

Donc le Capricorne est venu à la rescousse de tout cela ; il a donné une certaine rigidité, une certaine consistance, disons-le une certaine solidité (n’ayons pas peur des mots). Le Cancer avait la tête dans les étoiles et le Capricorne les pieds bien sur terre. Avant d’avoir commencé l’astrologie, j’avais une sorte de devise : " Si tu veux tracer ton sillon droit accroche ton char à une étoile ", je ne sais plus d’où j’ai pu tirer cette phrase ni a qui elle appartient, bref, elle m’a longtemps accompagnée.

Ensuite il faut s’attacher à la planète dite Maître de l’Ascendant, c’est la planète propriétaire du signe dans lequel se trouve l’ascendant. Dans mon cas c’est Saturne. Si mon As avait été Balance c’est Vénus qui aurait été Maître d’Asc, et si mon As était Poisson cela aurait été Jupiter et Neptune, parce que les Poissons on deux Maîtres. C’est comme ça !

Donc dans mon cas : Saturne. Vous avez bien en tête le tableau de Goya, donc je ne vous fais pas un dessin. Une crème ce Saturne. Saturne représente les chutes, les freins, les frustrations, les renoncement, les abandons, la solitude, la fin des choses, c’est la planète des savants, des chercheurs, des religieux, Saturne prend toujours ce à quoi on tien le plus. Il ne faut jamais tenter un bras de fer avec Saturne, car c’est toujours lui qui a raison à la fin. Les lendemain qui déchantent sont sa seule promesse. Si Jupiter est la planète du paraître, Saturne est la planète de l’être. Elle est exigeante, sévère, taciturne etc… pour juger de l’importance du Maître d’ascendant on regarde sa position dans le thème. Dans mon cas il est conjoint au Milieu de Ciel. On ne peut guère trouver plus en évidence. Merci maman ! Donc Lunaire d’un coté et Saturnien de l’autre.

Après avoir regardé le signe solaire et le signe ascendant et la planète maître de l’ascendant, il faut rechercher les planètes dominantes ce sont elles qui vont colorer la destinée. Il existe toutes sortes de méthodes de calcul de la dominantes, les astrologues ne sont pas d’accord entre eux là-dessus ; d’ailleurs ils ne sont d’accord sur rien. Après ils s’étonnent qu’on ne les prennent pas au sérieux.

Mes trois planètes dominantes sont : (dans l’ordre d’entrée en scène) Uranus, et Lune Saturne, presque à égalité, le Soleil serait la quatrième.

Uranus est intéressant. C’est la planète du rythme, de la singularité, de l’originalité, c’est la planète de toutes les transgressions ; tous les mots commençants par " trans " : c’est Uranus. C’est un peu cette planète qui me sauve. Parce que la confrontation Lune / Saturne est souvent catastrophique. C’est d’ailleurs une des confrontations les plus douloureuses. Saturne blesse la Lune de façon irrémédiable. L’une commence, l’autre fini dans le même mouvement. Ca crée des déchirure terribles,( " les plus désespérés sont les chants les plus beaux… " : conjonction Lune/Saturne).

Uranus provoque des irruptions brusques de choses inattendues. C’est l’imprévisible.

Pour terminer le survol rapide d’un thème on regarde l’occupation des maisons. Les Maison sont les lieux d’expérience. C’est une division en douze du cercle du zodiaque en commençant par l’Ascendant qui est la Maison 1.

Dans mon cas la Maison la plus occupée c’est la VII. La VII c’est la maison des contrats, des autres, par extension du mariage, des procès, des ennemis déclarés, de la clientèle. Quatre planètes et non des moindres, Uranus, Mars, Jupiter, Pluton. Outre que mon mariage n’a duré que trois ans, mes rapports avec les gens ont toujours été bizarre, j’ai souvent l’impression d’être à mon corps défendant une sorte de catalyseur dans les meilleurs cas, et un sujet de projection dans les plus mauvais. J’ai souvent l’impression que les autres projettent sur moi des tas de trucs qui ne me concernent pas, d’où beaucoup de mal entendu.

Voilà pour une présentation rapide. Après il faut rentrer dans une astrologie de détails.

Donc mes mythes sont, pour le Cancer  et la Lune: Léda, Endymion, Narcisse ainsi que tous les mythes lunaires.

Pour le Capricorne ; Amalthée
Pour Uranus : Prométhée,
Pour Saturne : Cronos
Pour le Scorpion : Orphée
En ce moment Uranus est aux Poissons, il envoie de bons aspects sur mon signe de naissance le Cancer et sur mon Soleil. Tout peut arriver, même le pire. Non, je plaisante. Quoi que….

Franck

29 octobre 2005

Pure perte......

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Entre deux vies il faut inventer. La mort nous oblige souvent à inventer. Mais dans la mort, dans l’entre deux, il reste des traces. Des traces d’avant. La mémoire ne nous laisse jamais en paix. Même dans ses oublis. Il faudrait pouvoir revenir à la simplicité du sable, ou à l’écriture de sable. Sable. Sable à l’infini. Sable dans le jeu des vents, dans les brûlures des soleils. Sable dans le déploiement du même, dans la création perpétuelle de ses formes, dans ses déplacements, ses envols, ses glissements, ses enfoncements. Sable dans ses couleurs. Le sable se souvient qu’il n’a pas toujours été sable, qu’il vient d’ailleurs, d’autre chose et c’est cela sans doute cela qui me fascine. Il vient d’une usure, à ne pas confondre avec la décomposition. Il vient d’une usure, d’un épuisement et d’une résistance. Il est un souvenir. Trace. Il ne produit rien, rien d’autre que de l’éternité. Il ne fait rien, rien sinon engendrer des formes, des couleurs et du rêve. Du silence. On n’habite pas le sable, on ne peu que le traverser, comme les souvenirs, comme l’espérance, comme le malheur, comme un trépas ou une naissance. C’est lui qui loge en nous et qui tisse nos déserts et nos miséricordes, et qui crie nos vanités, nos orgueils, il entre dans nos blessures pour les élargir. Béance et solitude. Etendue morte où il faut enfanter et bâtir nos heures. Etendue d’attente et de renoncement.

Je suis revenu à Paris. Comme un voyageur sans terre. L’obligation de répondre aux appels, aux codes. Mais à Paris je n’ai plus de lieu. Alors, il a bien fallu trouver une solution. Estelle m’a proposé une cohabitation passagère. Estelle, généreuse et désespérée. Elle est toujours dans son deuil. Trente mettre carré. Trente mettre carré de générosité et de désespérance. On habite à trois. Estelle, le vin d’Estelle et moi. Les surfaces sont mal réparties. Le vin et sa parole ont pris toute la place. Estelle n’est plus là. Plus très souvent. Ne pas faire de bruit. Deux pièces, pour moi c’est important. Deux pièces. Dans la première une cuisine et une banquette. C’est là que je dors. Dans un sac de couchage. Trop petit pour ouvrir la banquette. Le sac c’est pratique. Dans la deuxième la chambre d’Estelle et un petit bureau. Sur le bureau j’ai mis mon ordinateur portable. Mais c’est la chambre d’Estelle. Ici c’est tout petit. Comme dans ma vie. C’est tout petit et surchargé d’objets. Sur les murs, sur les étagères, des objets qui s’empilent les uns dans les autres, qui se touchent les uns les autres. Comme des grains de sable. Ici, il faut être précis dans ses gestes, parce qu’on vite fait de renverser, de faire tomber, de déranger. Je ne sais pas si je dérange Estelle. Si, certainement. Je dérange certainement le vin d’Estelle. A trois, c’est encore plus petit. Chaque soir il est là. Il trône. Il occupe l’espace, le temps, il coule comme un déluge, comme une catastrophe, comme une tragédie. Essayer de parler, d’aider, de dire. Impossible. Pourtant je connais bien le langage du vin. Il a failli avoir ma peau. Et je l’ai vu sur la face ravagée de mon père. Père de vin, grimace de haine obscure. Parole d’effondrement, d’écroulement. Je le connais bien, le vin. Et me revoilà en face de lui. Egal à lui-même. Tristesse. Déferlement pathétique. Je regarde. Je me tais. Pourtant je lui ai déjà parlé à Estelle. Pour qu’elle entende. Pour qu’elle se sauve. Pour qu’elle arrête. Elle m’écoute avec l’oreille de l’amitié, et puis le lendemain tout est oublié. La bouteille est cachée. Pas très loin. Dans l’ombre d’une étagère. Aujourd’hui, j’ai été récupérer l’adresse d’un alcoologue dans le quartier. Je lui ai dis que si elle voulait, je pourrai l’accompagner. Mais, je sais que c’est inutile. Elle n’entend rien. Elle n’est plus là.

Hier, tout c’est passé en silence. J’avais le cœur pris dans un étau. Elle titubait. Butait, dans tous ses objets. Les objets moqueurs tombaient. Elle se raccrochait au vide qui l’entourait. Impossible à vivre. J’étais envahie de compassion inutile, et de colère inutile. Cette colère que j’ai gardée des cendres de mon père. Elle titubait. Même ses mots ne sortaient plus. Ils n’arrivaient pas à se dégager de la pâte collante d’où ils essayaient de sortir. Mots décomposés, en dehors de tout langage, de tout sens. Ecroulée sur la table, toussant, hoquetant, reniflant, pleurant. Et la tête qu’elle ne tient plus, qui se balance de droite à gauche. " Estelle.. Allez vous reposer…. " Entêtement du vin. Estelle s’accroche à des habitudes. Presque minuit, c’est l’heure de nettoyer la cuisine, les plaques chauffantes. Les nettoyer en détail. Cent fois passer l’éponge au même endroit. Tous les deux on est dans le silence. Il faudrait qu’elle s’arrête. Mais elle continue. Jusqu’au bout. Elle titube. Le verre se brise. La cigarette tombe. " Estelle…. S’il vous plait allez vous reposer… posez cette éponge… " Mais rien n’est fini, rien n’est assez propre. Les objets autour d’elle s’affolent. Ils volent, ils tombent. Je voudrais ne pas être là. Pourtant c’est bien là que je suis. En face d’un déluge. Ou d’une tempête de sable.

" Je sais ce que pensez….. " " Non, Estelle vous ne savez pas…. " Vous ne savez pas la dérision des instants qui se succèdent dans une vie. Vous verriez mes abîmes…. Elle a posé l’éponge. Elle s’est assise sur le banc. A coté de la banquette ou je suis empaqueté dans mon désordre. Je lis. Non, je fais semblant de lire. Je voudrais être seul. Moi aussi je voudrais mourir un peu. Ses yeux se ferment. Le coude glisse. On pourrait en rire si ce n’était pas une désespérance. C’est tout petit. Elle est là, posée à coté de moi. Je voudrais m’enfuir. Pas un mot ne peut être échangé. Je ne peux plus parler. Cela fait longtemps que je ne parle plus au vin. Le temps s’est étiré. Rien n’avance. Tout est figé dans cet accablement.

Il est tard, il est tôt. Elle se lève et s’effondre sur son lit. Il faut imaginer le corps qui refuse d’aller plus loin. Le corps qui coupe tout. L’écroulement des os sur la chair sans résistance.

Les jours passent et n’en ai pas encore fini de ma vie. Alors, entre deux vies il faut inventer. La mort nous oblige souvent à inventer. Mais dans la mort, dans l’entre deux, il reste des traces. Des traces d’avant. La mémoire ne nous laisse jamais en paix.
Ou revenir à la simplicité du sable, à l’écriture du sable. Est-ce possible ? Je ne sais plus vraiment. Une écriture identique est toujours renouvelée, vaste comme un océan. Solide et fluide et coulant, et portant. Poussière et mer. Une et innombrable.

Empaqueté dans mon sac, je suis transpercé par des déserts. Les anges me manquent. Ils ne passent plus dans ces paysages de dévastation. La nostalgie, c’est ce qui permet de remonter le temps, de nouer le présent avec le passé. De les nouer avec les fils de la perte et du manque. Oui, mes anges me manquent.

Ecriture de sable. Dépeuplée mais traversé de louanges. Dénudée, lente et minérale. Ecriture de sable où trébucher fait surgir d’autres créations. Ecriture du lieu élémental, archaïque. Le premier, donc le dernier. Donc le seul. Lieu limite, juste posé entre soi et la mort.
Mes nuages ne sont plus assez hauts. Trop proche des fumées d’usines. Même les anges les ont désertés.
Nous ne sommes que pure perte, croire le contraire nous rassure. Mais nous ne sommes que pure perte.

Franck.

18 juillet 2006

Quelques brindilles pour le feu.....

Je suis resté sur le bord du fleuve. Je ne sais plus combien de temps. Plusieurs jours. Là, sur le bord brûlant du fleuve. Et il n’y avait rien, hormis le fleuve, le désert, et moi assis entre les deux. Juste à la frontière des terres vides et des eaux larges, à regarder le temps passer. Cela devait être un peu avant Bourem. A l’endroit où le fleuve se met bien à plat, là où il s’étire pour passer sur les sables incendiés. Un fleuve à plat ventre, ondulant lentement comme s’il traversait des sables mouvant. Temps contre temps. Usure contre usure. Etalé dans le plus large de ses eaux aux risques de perdre ses rives. D’ailleurs elles se perdaient parfois derrière un pli de dune ou dans l’œil humide d’un mirage.

Si la mer parle à notre âme, le fleuve, lui, parle à notre histoire. Il y a dans le fleuve l’ébauche d’un dialogue avec ce qui était avant nous, et ce qui sera après. L’homme au bord du fleuve se sait mortel. Et cela le rend triste. Infiniment triste. Comme ces journées assis sur le bord du fleuve. Le Niger. Au Mali. Il y a longtemps. Tout au début des temps.

Six, peut-être sept jours à attendre, assez de temps pour la création des mondes et des univers, assez de temps pour que s’écoule l’infini tristesse, et pour sentir la lente mélancolie du fleuve. Fleuve des terres brûlées, fleuve des enfers aux langueurs mystérieuses. Fleuve lent. Grave. Aux flots austères et silencieux. Car il y a des lieux où les paroles n’accrochent pas. Rien ne peut se dire. Tout est écrasé par lutte lente des éléments. Lutte antique, immémoriale, puissante confrontation des silences, celui du désert, celui du fleuve et pour les sacrer tous les deux, celui du soleil. La rencontre du temps et de l’espace. Je suis resté sur le bord du fleuve. Assis, sur le lieu même de la folie, de l’incommensurable folie de l’existence, à regarder le fleuve, comme si l’apocalypse devait surgir de l’horizon consumé. Car il y a des lieux où la pensée devient inutile, et vaine, et indécente, où la raison ne peut plus se survivre, où l’intelligence n’est qu’une excroissance du malheur et d’un mauvais hasard. Il y a des lieux où toute pensée n’est qu’une écorce morte, l’enveloppe desséchée de nos vanités. Il y a des lieux où si tu ne sais rêver, tu meurs.

fleuve

Six jours, peut-être sept, à me demander ce que je faisais là, sur les rives du fleuve, pris dans l’étau primitif, originel, radical des lieux. Lieux métaphores. Assis dans la gueule même des mythes. Il est paradoxale d’imaginer que toutes les paroles son parties de ces lieux impossibles. Sans doute que pour poser le premier mot il fallait un espace infini. Peut-être fallait-il un feu solaire pour compenser le feu du mot. Peut-être est-ce le premier mot qui brûla tout. Peut-être…Peut-être faut-il faire traverser à notre verbe un néant embrasé, et rester assis six jours, ou sept, pour qu’il puisse signifier. Prends une parole, fais lui traverser un désert, et si au bout tu peux la dire sans trembler, sans pleurer, si tu sais dire chaque mot, articuler chaque syllabe, sans que ta langue tombe de ta bouche, alors cette parole est vraie. Alors cette parole est puits qui désaltère, fruits juteux qui nourrit, elle est chemin des étoiles, et ceux à qui tu l’offriras, entendront le puit, et recevront les fruits, et recueilleront l’or de chacune des étoiles apportées. C’est comme si les portes de la cathédrale s’ouvraient.

Le silence est beau d’une parole qu’il porte, comme le désert qui recèle un puit. Le silence est riche de l’enfant qu’il porte. Le silence est un champ labouré gorgé des graines de la moisson à venir, il est mûrissement de l’absence. Ainsi dieu et son infini mesure, et son immense retrait. Car depuis qu’on fait parler les dieux on ne les entend plus.

Six jours, peut être sept, sans action, à rester là, assis, à aléser les gestes, à façonner l’attente et à se laisser pénétrer par le fleuve, lent, large, comme un sang ancien chargé du temps qui passe. Comme un arbre qui devine la sève dévorer sa fibre. Car il y a des lieux où toutes actions s’épuisent, il y a des lieux où agir est dérisoire, où l’acte n’atteint plus que son propre néant, où précisément le désir de l’acte s’effondre sur lui-même. Il ne reste plus que les gestes simples. Chercher l’ombre ou l’inventer, préparer le thé, manger des gâteaux secs avec quelques dattes, arpenter la rive pour trouver assez de petits bois pour faire un feu le soir. Étirer chaque geste, pour lui donner l’ampleur suffisante, le souffle et la parcimonie, et l’efficacité nécessaire pour maintenir la vigilance, l’attention précautionneuse. Ne rien oublier de l’essentiel, regarder le ciel, se perdre dans les horizons, et tout le jour désirer intensément la nuit. Et la nuit venue souhaiter, encore avec plus de force, le jour.

J’ai peu prié dans ma vie. Pourtant, là, je me souvient avoir risqué mes premières prières. Je me souviens de la timidité de ces premiers élans. Les lieux imposent bien sûr, encore faut-il vouloir s’y soumettre. Accepter, et ne pas craindre l’immense vide au fond de soi. Et cette peur qui surgissait. Accepter l’envahissement par le fleuve, par le sable et cette sensation de perte absolue, comme si rien ne pourrait jamais nous sauver. Et que désormais c’était sans importance. Oui, sans importance…

Durant six jours, peut-être sept je me suis appliqué à mettre une majuscule pour honorer l’aube naissante et j’ai mis des virgules après chaque heure, j’ai ouvert des parenthèses pour envelopper le fleuve, et posé un point à l’instant du zénith, et au bord de la nuit je n’avais plus que des étoiles à accrocher aux points de suspensions…pho1_221432

Ecrire me renvoie à ces temps où je pouvais m’assoire juste à la frontière des terres vides et des eaux larges, à regarder le temps passer. Cela devait être un peu avant Bourem. Bien avant mes premières morts, bien avant mes premières renaissances. Et chaque texte est comme un jour passé sur les bords du fleuve, à retenir les gestes, et à ramasser quelques mots, comme des brindilles sèches pour allumer le soir venu le feu de ma parole, afin qu’il ne reste rien. Rien. A chaque fois rien. Car écrire est un horizon consumé.

Franck.

10 septembre 2006

Reprendre.....

J’ai repris « ma » tentation de Saint Antoine. Du temps a passé. Quand je relis cette écriture je sais bien que du temps a passé. C’est dans l’avant. L’avant de quoi ? Je n’écris plus vraiment comme ça.  Mon Saint Antoine cède. Il y a quelque chose en moi qui cède. Toujours cette même impression de digue débordée. D’écoulement. D’hémorragie. Des sensations d’eaux. Flaques, sources. Océans.

Marais.

En se moment c’est un marais qui suinte.

« J’ai marché en marge de ma vie.

De longues années

Sans doute même de longs siècles

Pour m’arrêter un jour au bord de votre visage

Et j’ai voulu m’asseoir

Et ne plus bouger

Jamais

Simplement vous regarder

Toujours… »

L’image de cette reine de Saba a toujours traversé mon imaginaire. Reine boiteuse. Mais reine quand même. Et l’improbable rencontre du désert. Chair contre oraison. Bruit contre silence.

« Au creux d’une défaillance de lumière j’ai vu au fond de vos prunelles les grandes étendues de poussières blanches du royaume de Saba

Aux confins de tous les déserts

Là où les prières deviennent de simples souffles

des chants d’azur éparpillés

Souvenez-vous, en ces temps là vous étiez reine

Reine gracieuse à la pâleur singulière

Reine du pays du vent

Vous trôniez au centre d’un temple de sable, d’étincelles d’éternité

Souveraine majestueuse d’une citadelle de lumière et de tourbillonnement

Princesse immaculée miraculée des limbes juste assez boiteuse pour ne point offenser Dieu

Votre présence effleurante flottait légèrement comme un lambeau de rêve

Ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs

Oui, vous étiez reine vos gestes le dessinait

Déesse, vos yeux le révélaient

Et votre voix chantait le chuchotis des amants éternels… »

Mes souvenirs du désert sont construits sur le manque. Sur l’absence. Sur le malentendu aussi. Sur la fuite que je n’ai pas reconnue, sur la lâcheté que je n’ai pas voulu voir. Pendant des mois j’ai attendu ce qui ne viendrait jamais. J’ai interrogé le vide des sables. Je n’ai eu aucune réponse. Pouvait-il en être autrement ?

« En ces temps là, ermite désolé, je vous ai vu venir, vous sortiez de la nuit emmitouflée d’ombres claires, drapée d’un grand voile constellé

En ces temps là mes os grinçaient de peur

Je passais de dune en dune, de jour en jour, de blessure en blessure, conquérant d’un vide toujours à venir dans la seule espérance d’une stridence inattendue

Le cœur vert

Je passais les bras ouverts au grand vent chaud étreignant des mirages si lointains

Entre mes doigts coulaient déjà ces cendres de temps

J’étais une étoile noire tombée dans de trop grands hasards

De sombres hasards

Un baiser m’eut sauvé

Pas même un baiser

Rien

Pas même une enfance

Seulement des restes d’amours effilochés

En ces temps là votre silhouette délicate est passée sur mon cœur

A glacée mon sang

Votre parfum disait l’infini de l’espoir… »tentation

Mon rapport à la solitude est étrange. Plus le temps passe, plus je la ressens comme une évidence. Nécessaire. Je n’ai jamais pu vivre dans le monde. Je le traverse à mon pas, avec mes hésitations, mes élans. Mais je ne m’arrête pas vraiment. Voyageur immobile.

Je relis. Je n'écrirais plus comme ça. Pourtant je n’arrive pas à reprendre le texte. Je sens bien ma volonté dans ces lignes de m’accrocher à une sorte de lyrisme. Je me revois écrire. A nouveau je ressens le mouvement premier d’aller chercher les mots.

Mais je ressens aussi très fort une distance entre moi et le texte. Il manque une adhérence. Il manque le frottement.

La solitude est le travail de toute une vie. Elle n’est pas donnée tout de suite. Comme s’il fallait la mériter.

Dérision, que de devoir se diriger toujours vers le plus invivable.

« Alors au fond de l’horizon le soleil tout à coup bascula dans son lointain sépulcre

Souvenez-vous

J’ai vu votre beauté, légère comme un ciel d’été, glisser avec douceur vers le seuil inconsolée de ma retraite obscure, votre lumière bleue avait la transparence envoûtante de ces jeunes mamans penchées sur un sommeil d’enfance, dans vos yeux scintillait cet espace d’éternité qui appelle la joie pure d’une prière lancée au firmament.

Votre présence fut comme un souffle de mésange, un frôlement rayonnant, une pluie étincelante semée sur mon océan de langueur

Une fleur mystérieuse plantée au jardin de mes absences…. »

Non, décidément je n’écrirais plus cela. Pourtant je n’arrive pas à me renier. Comme si cette forme était le premier sillon. La première griffure. L’entame. Se débarrasser de la lumière. Ne travailler les mots qu’à la bougie. Il faut une tremblance, un vacillement. Des jeux d’ombres. Le sentiment d’une perte possible. D’un effondrement. Il faut l’imminence d’un danger derrière la phrase. Ce n’est pas une question de sobriété, mais d’élan. Du lieu de départ de la parole. La tension de la corde. Le tireur à l’arc, le sait. C’est aussi le travail d’une vie. Tendre l’arc de la parole dans un mouvement ample. Sans crispation. Sans effort. C’est une respiration. Lâcher la flèche du mot requiert un accord, c’est un geste de prière. Accord et consentement. Lâcher se fait sans la volonté. C’est une nécessité du corps aussi ben que de l’esprit. Ce n’est pas la main qui lâche, c’est la foi qui nous étreint. Quelque chose en nous se condense. Le fond et la forme. Et la scansion, le rythme, le battement du cœur. A cet instant le texte respire à notre place. Échange. A cet instant du lâché on se retrouve au point exact de la vie et de la mort. Sans le tragique. L’inéluctable. L’embrassement du monde. Car le mot doit trouver sa place, seule le geste pourra la lui donner. L’abandon n’est pas ici une déroute. Pas encore. Pas tout à fait.

« Nous sommes entrés sans prononcer un mot dans la chambre nuptiale de la nuit

laissant grand ouvert les cristallines portes de l'infini pour laisser passer la clarté nuageuse des songes et la fourmillante folie des séraphins éthérés.

Et j’ai bu votre bouche fondante comme l’hostie sacrée et me suis enivré d’une sève à la saveur irréprochable

Dans ces heures rougies au feu des extases éruptives, blanchies aux soupirs de vos invitations ma mort fut percée d’une flèche de lumière argentée.

Sur votre épaule nue un ange a déposé ses ailes de silence et sur vos seins opalins j’ai pu laisser couler mes larmes quand votre ventre orageux traversait mon âme transfigurée d’éclairs rougeoyants.

Vos entrailles de chairs pourpres brûlaient mes oraisons laborieuses dans une fulgurance invincible, vertigineuse. Je me noyais sous l’arche inespérée de vos émois, balayé par des rafales de joie… »

J’aime l’idée que Saint Antoine ait pu céder à la reine de Saba. Un saint qui n’aurait pas cédé à sa propre lâcheté qu’aurait-il à nous dire ? Nos actes ne sont pas purs. La flèche en partant nous atteint en plein cœur. Et nos blessures nourrissent nos jours. Même innocents nous nous voulons coupables. J’aime l’idée d’un Saint Antoine débordé par la chair, par la luxure et la sensualité. Que vaudrait la prière sans le souvenir de la véritable chair.

La peau d’Isabelle était blanche. J’ai encore le parfum de son corps dans ma mémoire.

« Et j’ai vu mes mains de prières sur votre corps de louanges… »

Souvent les yeux d’Isabelle étaient envahis de larmes. Comme si jouir et souffrir était la même chose. Le corps repu, elle restait silencieuse. Blottie. Avec les larmes qui coulaient. Ce n’était pas un chagrin, c’était autre chose, qui dépasse tous les mots qu’on peut dire. C’était le pays des landes, des vents, des brumes. Perdre ou gagner n’a plus de sens.

« Et j’ai vu votre ventre lieu infini de la mort exacte

Et j’ai eu soif de vos eaux généreuses, ce rien à l’âme qui bouleverse toutes les certitudes : marée sauvage, sans retour, sans rémission, effroyablement délicieuse

Et j’ai ouvert les mains pour recueillir jusqu’à l’ultime goutte de vos bruissements et je n’ai pu saisir que l’or de vos silences… »

Isabelle avait ce don étrange de la pudeur et le l’indécence, presque dans le même mouvement. Allongée sur le lit, un bras replié sous sa tête, une cuisse légèrement relevée et écartée, une main posée sur son sexe.

Nous ne parlions pas. Elle, comme moi étions dans l’impossibilité d’accrocher la moindre parole à ces instants. Je la regardais. Je baisais ses larmes.

Parfois cela durait longtemps.

« Nous avons partagé la nuit et ses gerbes étoilées recouvert d’un seul manteau de paix jusqu’à ce que l’aube de sable pousse un large soupir incandescent.

Une rose des sables, rouge.

Dans l’athanor creusé par nos corps, là où votre peau s’est irisée de désir vertical a germé une rose des sables, rouge… »

Il y a un mystère dans les corps. Dans la rencontre des corps. Dans leurs odeurs, leurs tremblements, leurs sueurs, leurs liquides. Au-delà de la jouissance brutale il y a un mystère, comme un appel, comme une rémission.

Parfois dans l’écriture cette sensation revient. Quand on a tout épuisé. Et que le texte s’étale impudique et souverain. La flèche trace, vole droite, et perce la cible. Et la cible vibre de son centre troué.

« Il ne me restait qu’à attendre l’achèvement des temps en recueillant l’écumeuse blancheur des jours indifférents et de regagner à pas lent mon impatience souveraine à nouveau consentie. Erosion lancinante sous l’œil noueux du souvenir

Frontière sablonneuse inviolable de l’exil… »

Saint Antoine n’était pas artiste, il ne fut que saint.

« Au départ il n’y a rien

A la fin il n’y a rien

Entre les deux la mer

L’abîme

Oh, mon Dieu je suis là et je cherche à comprendre

Oh, mon Dieu la nuit n’est plus la nuit

Elle était une source…..elle devint l’océan

Elle était une étoile ….elle devint l’univers

Oh, mon âme brûle et je suis si pauvre seigneur

Je n’ai plus d’espérance mon seul désir est de prier sans fin au cœur de la nuit du monde.

La prière s’enroule au feu de nos secrets, seul l’écho de cette nuit du monde la porte, légère, douce, tendre, on croirait la voir s’élever sur les ailes d’un ange

… Et jusqu’au royaume des cieux… »

Il y a un acte de purification dans l’écriture, d’où la brûlure.

Après le tir, l’archer est comme un orphelin. Quelque chose l’a quitté. Quelque chose de lui, mais du monde aussi.

A la place un grand champ de neige et dans le lointain le cris des oies sauvages vers le nord.

Franck.

16 septembre 2006

Le présent du passé.....

C’est étrange, reprendre un texte d’avant, c’est comme être dans le présent du passé. Ce n’est pas du souvenir, ce n’est pas de la mémoire, c’est… un temps déchiré.

Il me faudrait dénuder le temps. Défaire chacune de ses couches, chacune de ses peaux.

Je suis une eau errante dessourcé. Je n’en finis pas de couler hors de toute direction, de tout sens. Je cherche un lieu, une âme, un parfum, une voix, un chemin. Il n’y a pas d’issue à l’errance, c’est d’ailleurs comme cela que nous la reconnaissons. Pas d’issue.

Défaire temps de ses exils. Avec la patience du tailleur de pierre.

« Il me faut dénuder le temps.
Il gît nu maintenant, dans son impudique pureté, étendu dans le lit de la langue, et je pose mon cœur sur l’oreiller des mots, et je recouvre mon corps d’un linceul transparent…
Temps nu…
Il plante sa lame tranchante dans le gras de ma vie jusqu’à en toucher l’os…

L’os.
Temps nu d’attente verticale et crépusculaire, parenthèse frémissante aux paupières du rêve.
Faux blanche dans un champ d’asphodèles…
Temps nu du silence…. Ecoulement bourdonnant de substances misérables dans la veine des heures… »

Ces mots sont habillés de pénombre tremblante. Il y a la bougie qui éclaire à peine le bureau. Pas un bruit. Je m’entends respirer. C’est un vertige ce retour en arrière de l’écriture. Ces mots là, étaient partis au loin, et les voilà qui reviennent. Je les accueille comme une marée. Sombre déferlement. C’est avant, et pourtant c’est maintenant, c’est le même temps.

Je parle du plus profond de ce grattement d’os. De ce temps arrêté.
Pourtant… j’essaye de rejoindre avec quelques mots murmurés, avec l’écriture la plus virginale, avec rien, une rive inconnue couleur de l’ambre…
L’écriture est le geste le plus dénué de sens. C’est une pure folie. Vivre à l’intérieur l’expérience du serpent sacré. Et de l’exil.

Mon rapport au temps est insolite, il est entré en moi par la porte de l’ennui. Donc de l’oubli. Seule la rêverie permettait d’effacer l’épaisseur, la consistance, résistance d’un temps douloureux. Attendre lorsqu’il n’y a rien à attendre. Faire passer, user l’immuable est le poison de toute une vie. Dans l’ennui il n’y a pas de début, il n’y a pas de fin. Il n’y a que l’interminable noyade. Quelque chose en soi, ne cesse de chavirer.

D’où venait-elle ? Quelle partie de ma mémoire brûlait ? Quel océan m’appelait ? Avait-elle un visage ? seulement un visage…..Quelle drôle d’espérance m’habitait.  J’écrivais à l’ombre d’une bougie. Dans une faible lumière chancelante, recueillie, d’une bougie toute simple. C’était un temps ou écrire était écrire à quelqu’un.

« Pour toi j'ai labouré la terre du ciel avec ce glaive de cristal capturé aux rayons scintillants d'une étoile.
Pour toi j'y ai semé des perles de printemps
J'ai creusé l'écorce inquiète des jours pour faire issir de chaque désir des essaims de cerisiers fleuris… »

Après vient le temps ou l’on écrit à personne. Les mots ne sont plus destinés. Ils sont « la » destiné. On les décharge peu à peu des intentions, bonnes ou mauvaise. On éteint progressivement leur lumière. On les veut plus silencieux. On les veut plus lents. Plus justes.

Je me voulais jardinier. Je ne suis qu’un laboureur.angelus

« Pour toi j'ai puisé au puits de mon sang dans cet étrange étranglement de ténèbres.
Pour toi j'ai affronté les pentes vertigineuses des ravins de la nuit,
Et dix fois traversé l'échancrure du néant,
Et cent fois prié les entrailles du temps,
Et mille fois bénis la grâce tournoyante des galaxies… »

Il y a une exaltation née de la couleur des mots et du rythme de la phrase. Comme si les mots se fascinaient eux-mêmes, comme s’ils étaient pris dans leur propre ivresse. Leur propre délire d’invocation. Je me souviens de ce brassage intérieur. Déraison que tout cela. Je n’étais qu’à la surface des mots. Sillon superficiel.

J’utilisais les mots. La vérité, c’est eux qui doivent nous utiliser. Le mot juste doit blesser. Les mots vrais peuvent tuer.

« Je me suis fait mage pour guetter ta venue dans les dessins des cieux.
Oui, j'ai labouré l'immense cosmos arrachant inlassablement les racines fibreuses de tes cauchemars, déchiquetant sans trêve les ronciers du soupçon.
J'ai poussé les murs de l'horizon pour te faire de la place,
Attisé les aurores pour réchauffer ton cœur,
J'ai tissé le grand voile des nuées pour habiller la nudité de tes rêves,
J'ai tremblé de tes frémissements… »

Trop bruyant. Infiniment trop bruyant. Il n’y a pas d’espace dans cette parole. Pas même de quoi y glisser un silence. Respiration d’essoufflé. L’incantation appelle la magie et le mystère, et la révélation. Et c’est une eau hésitante, malgré le ton la marée ne monte pas. Il y a là, un entêtement désespéré.

« J'ai chargé des montagnes de mots dans le char de

la Grande Ourse

pour verser, au matin, sur les bourgeons galactiques cette pluie fine de lueurs de hasards dérobée aux velours de la nuit.
Dans le champ des abîmes j'ai incendié les brumes pour guérir tes détresses et leurs cortèges d'ombres neigeuses.
Pour étancher ta soif j'ai recueilli l'écume laiteuse d'un astre neuf,
Et tressé dans les spirales étincelantes des comètes une couronne divine pour parer ton front haut,
Et d'un seul baiser sur la fêlure vulnérable de tes lèvres immobiles je déposé le souffle incandescent du firmament… »

Pourtant ce texte ancien résiste. J’aurais voulu l’attaquer, le défaire, le réduire. Mais je n’y parviens pas. Comme s’il portait autre chose, comme si cette autre chose invisible me tenait encore. Quelque chose de l’ordre de l’affranchissement.

« J'ai voulu l'impossible, surtout l'impossible, pour me croire délivré des terreurs du déclin… »

Exhortation qui cherche avec accablement à se survivre. Presque à se convaincre, comme dans une transe vaudou. Parole de danse macabre.

« Epuisé, foudroyé par la chaotique et bourdonnante espérance je me suis allongé au pied des grandes meules de l'univers, sur ce tapis de brindilles claires, lambeaux de silences oubliés par le temps
Voilà ce que j'ai fait
Voilà ce que je dirais sous le voile de ton sommeil, de ma parole la plus blanche au cœur de ma nuit la plus noire… »

Mais mon amour va l’amble, battement désaccordé au creux d’un monde désarticulé.

Brûlure sacrée des instants rares
Orchidée cueillie sur les lèvres du jour

Je t’ai vu allongée les yeux fermés
Ni vivante
Ni morte
Plus que vivante
Plus que morte
Plus vraie qu’un soleil
Sur le coussin fragile des mots j’ai rapproché ma bouche pour souffler sur ta gorge une caresse rouge.
Sous l’arche de ton sommeil vacillant ma voix devint rumeur innombrable…
Murmure ruisselant…

Et ton innocence flotte auréolée d’un tremblement limpide.
Et ta chevelure noire déverse des champs de comètes frémissantes.
Et ta bouche savoureuse s’arrondie dans la chair sanguine des oranges.
Et tes yeux effarouchés chancellent comme des guirlandes de chandelles.
Et tes mains délicates en éventails balaient les poussières désargentées de la nuit comme l’aile du papillon effleure le cœur des roses.
Et ton sourire amande a la chaleur des étreintes.
Et ta voix captivante connaît le luxe et l’harmonie des plus grands paradis.
Et ton front réfléchit la lumière et la grâce des lys.
Et ta peau séraphine se perle de rosée.
Et ton corps élégant traverse enfin l’aurore……

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve…….

Trop de parole dans ces mots. Car le monde s’enchante de la parcimonie, de la rareté, cela l’allège du trop plein, de l’excès, de la tonitruance de nos vies.

Car le monde a besoin du peu et du rien. Il a besoin de ce temps suspendu, presque perdu.

Comme ces prières qui montent des cloîtres : silencieuses, invisibles, cris inaudibles à force de s’opposer au vide, au néant, à nos insuffisances…

Tous ces riens, ces si-peu jetés dans l’espace.

Car le monde s’enchante d’une seule présence invisible, d’un seul geste, d’un seul baiser, d’un seul mot prononcé dans le dénuement et dans l’absence de toute réponse.

Franck.

17 septembre 2006

La couleur du silence.....

A regarder en arrière de l’écriture je me rends compte d’une chose, c’est de l’instabilité du mouvement. Il y a les textes de surface, ceux plus médians et d’autres au ras de l’os. L’humeur de l’écriture navigue entre ses trois niveaux, ces trois élocutions. Plus on perd en lumière plus on gagne en intensité.

La peau, la chair et le sang, l’os.

L’évidence est dans les « Marie Madeleine » de Georges de La Tour. Trois tableaux. Pas trois essais. Trois niveaux d’écriture. Trois temps du temps. Trois temps de l’arrachement.

gdelatour_madeleine_metrop_artchiveJe regarde. Fasciné. Avec cette émotion confuse, envahissante. Brûlante. Ce n’est plus une peinture, c’est un chant. Dans cette avancée dans le noir, dans le silence de la couleur il y a un mystère. On touche là, l’os du peintre. L’épure du mouvement.

Il y a une progression. Au premier tableau, Marie Madeleine se trouve au tout premier instant de sa révélation, elle a encore ses vêtements de fille de plaisir. Elle vient d’arracher ses bijoux. Elle est en marche vers l’inconnu de la foi. L’expérience intérieure.

Elle appelle le noir, et le peintre lui répond. Lui aussi se met à genoux pour peindre le silence. Il s’applique à cette lumière. Invente des lieux de regard qui n’existaient pas. Il invente un pays de recueillement. Il s’applique dans ce noir qui n’a rien de tragique. La lumière n’est qu’un reflet. Même la bougie disparaît. Traversée. Perforation. Envoûtement. Il s’applique à inventer la lumière de l’amour. Avec le silence qui va avec. Il nous met a distance, pour nous prévenir. Pour protéger Marie Madeleine aussi. Elle est plus nue, qu’elle ne l’a jamais été. Elle touche le dénuement de la foi. Eteindre le monde bruyant, sauvage. Eteindre la lumière des agitations vaines. Attendre. Aller au bout du désespoir. Ne plus rien espérer. User ses humeurs. Qu’il ne reste rien. Que la voix du silence. Oum Kalsoun. Déchirement du ciel. Mahler. Eteindre chaque mot de la langue, un par un.

Au premier tableau, Marie Madeleine vient de faire le saut. Après elle apprend dans la douleur sacrée à consentir. C’est l’histoire du vol ébloui. La chute dans la lumière obscure. Saint Jean de la Croix. Les expériences artistiques qui n’auraient pas de versants spirituels n’auraient aucun intérêt. Et par ailleurs cela n’implique aucunement l’existence d’un quelconque dieu. Avant il existait la peinture, Goya invente le peintre. Il lui fallait un pays à ce peintre, de La Tour l’imagine. Il fallait un lieu de l’âme.

Noir, lent, lourd. Pesanteur de la grâce. Fragilité de nos destins. Désarticulation de la langue. Atteindre la coupure, l’entaille, la morsure.

09magdalRembrandt peint la nuit, Goya aussi, mais là… Dans ce troisième tableau de de La tour, ce n’est pas la nuit, c’est autre chose. De plus profond, de plus insensé, c’est le lieu impossible de notre vie. Faire sortir la lumière de toute cette ombre, la chercher au centre obscur. La faire venir de derrière le tableau. Voir le destin de la flamme dans ces trois tableaux c’est voir notre propre destin. D’abord double, tout en richesse et en reflet. Puis simple et droite. Enfin en manque, en chaleur, en irradiation. La lumière de de La Tour suggère sa disparition, son absence. Elle n’est jamais si présente que lorsqu’elle disparaît.

Nous sommes entrés avec Isabelle dans la petite chapelle de St Médard. Souvent nous y allions. C’est une fin d’après-midi d’été. Il a fait chaud. Le granit des pierres transpire de fraîcheur tendre et tranquille. Quelques cierges sont allumés. C’est une fin d’après-midi d’été. Dehors le jour s’apaise dans les derniers crépitements de chaleur. Dans la chapelle d’ombres il fait bon. Il fait bien. Il fait heureux. Temps fragile. Je sens les lèvres d’Isabelle se poser sur ma joue. Ses yeux rient et elle pose son doigt sur sa bouche. Chut… ! « Ne dis rien… ». Elle s’avance. Et elle se met à genoux. Et elle est prise dans l’onde de lumière du grand cierge. Et ça aussi c’est un tableau. Elle est à l’intérieur. Non, elle est partout, sauf là. Pour s’enfuir elle est passée par son centre de silence et puis hop ! Pâle, blanche, perdue. Belle, infiniment belle les yeux clos, la face tendue vers le petit vitrail. C’est étrange, j’ai brusquement l’impression qu’un voile la nimbe. Je suis tout près. Je ne peu détacher mon regard de sa figure blanche, pâle, infiniment belle. Le temps n’a plus de prise sur le jour. Et plus le soir arrive plus sa pâleur ressort. Maintenant il fait nuit. Le cierge absorbe tous les restes de lumière. Sur les joues d’Isabelle je vois rouler de minuscules larmes. Silence contre silence. « Sortir de la prière c’est comme accoster, on regagne la terre ferme et pourtant on a encore dans le corps la houle du voyage…on sait qu’il fait jour et pourtant on est encore dans la nuit. Et pourtant c’est un bonheur… »

Elle aimait comme elle priait. Avec abandon, et blancheur. Avec cette intensité calme. Avec ces larmes qui n’étaient pas toutes chagrin.  « Tu as fais un beau voyage ? ». Elle se sert contre moi, prend mon bras. Nous sortons. « J’ai frais, et c’est si bon… »

gdelatour_madeleine_ngwash_cgfa_agrandieLe chemin d de La Tour est un chemin d’écriture. De tableaux en tableaux, il n’allège pas, il développe, il accentue, il aggrave. Il rend grâce. Le noir n’est pas une absence de couleur, c’est la couleur de nos vies d’écriture. A coup de grands à-plats d’ombres il traduit le silence le plus radical. Dans le dernier tableau Marie Madeleine est à son œuvre. Elle prie, médite ou écrit, qu’importe, elle est au plus près de sa désolation et de sa joie. Elle est là, mais elle est ailleurs. La main gauche posée sue le crâne des vanités lui rappelle la fragilité des entreprises humaines. Maintenant elle ne sait que brûler. Si dans le deuxième tableau on peut encore imaginer qu’elle doute, il n’est plus question de doute au troisième. Un tel silence ne peut naître que de la certitude d’une âme franche, humble et droite.

Avec lenteur le peintre pose le noir du tableau. Lentes et profondes couches de noir. Il est dans son atelier. Il se tait. Il peint. Il n’en fini pas de redire la même chose, les mêmes couleurs, la même espérance. Silence sur silence. Il pense à Marie Madeleine. A sa solitude. Lui aussi il est arraché. Seul. C’est une montagne ce tableau. Ce noir. C’est un océan. Un ciel. Il s’applique, là plus qu’ailleurs. Ne pas succomber à l’envahissement. A la folie. Et pourtant c’est bien une folie ce tableau. Ne pas trembler. Il se souvient de sa première Marie Madeleine, il en avait peint la peau, presque la poitrine. Et puis…. Comment écrire le dénuement de l’âme ? Comment sans détruire la couleur ? Comment sans essayer de créer la plus improbable lueur ? Comment dire la fragilité et la force dans le même éclat ? Comment dire l’impossible travail du peintre. Tout enlever en gardant tout, et plus encore. Comment peindre le souffle ?

Et c’est un long poème de vie et de mort. Peindre la gravité c’est comme l’écrire, c’est peindre le blanc de l’os avec le rouge du sang. Et recommencer…. Et recommencer…. Et recommencer….

« …on sait qu’il fait jour et pourtant on est encore dans la nuit. Et pourtant c’est un bonheur… »

Franck.

23 septembre 2006

Entre l'avant et l'après.....

Il y a un avant et il y a un après. Entre les deux, un grand champ de neige. Et l’écriture, blanche, sur la neige blanche. L’impossible inscription de l’instant. De l’eau sur de l’eau. Que savons-nous de ce que nous écrivons ? Si peu. A part ce mouvement qui remonte des viscères, qui roule sur le thorax, froisse les poumons, et qui vient s’effriter dans la bouche. Que savons-nous de ce que nous écrivons ? Rien. L’objet du texte invente le sujet. Ecrire pour maudire la parole. Invoquer le silence dans des phrases trop bruyantes. Parler est vain, se taire impossible. Vivre l’écriture entre les deux. Le grand champ de neige. Blanc. Et l’écriture trop blanche. Le pas de l’écriture s’enfonce. Tasse. Disparaît sousraquettes_trace le poids de son insistance. La phrase ne tient rien. Et je ne retiens plus la phrase. Elle m’entraîne dans le blanc.

L’anachorète a fait trois tas devant sa grotte. A droite il a posé ses gestes, tous ses gestes, toutes ses actions. A gauche, il a fait un tas de tous ses vêtements. Et au centre il a déposé sa parole. Toute sa parole. Tous les mots de sa langue, même son nom. Puis il est entré dans la grotte, il s’est assis. Il a fermé les yeux. Alors il n’y eut ni avant, ni après. Il n’eut plus à traverser le grand champ de neige. Il était la neige. Une et innombrable.

 

L’écriture tient les bords du temps.

 

 

ÐÑ

 

 

La vérité du mot c’est le silence qui le suit, la vérité de l’amour c’est le silence qui le précède. Car il nous faut conquérir l’âme du monde pour l’accomplir ou le brûler. Pour l’accomplir en le brûlant.

 

 

ÐÑ

 

Nul lieu ne nous attend.
Nul temps ne nous espère.
Nous sommes issus d'une fièvre ou d'une folie, nous sommes une trace qui s'épuise dans l'infini des cieux, une ivresse à la dérive, une note qui s'obstine, un rêve qui s'effiloche, un simple souvenir dans la mémoire des dieux.

 

 

ÐÑ

 

 

Ecrire conjure le vide.

C'est la tentative d'un dialogue avec sa part la plus irréductible, sans doute la plus douloureuse.
Il s'agit de côtoyer les ombres de les frôler, de les désigner de les ressusciter. Il faut rajouter quelque chose au vivre, soit pour le parfaire soit pour le refaire pour lui donner sa dimension de silence. De fièvre.
En fait, écrire nous dit l'ombre de nos actes, de nos paroles et le trou décelé dans l'écorce crevassée de nos vies démembrées.
Ecrire touche à la substance même de ce que nous ignorons.
Ce qui fut ignoré sera écrit
Ce qui n'a put être dit sera écrit
Ce qui n'a put être écouté sera écrit
Ce qui a été refusé sera écrit
Ce qui a été perdu sera écrit
Ce qui a été espéré sera écrit
Ce qui a été pleuré sera écrit
Ce qui a été sali sera écrit
Alors, alors seulement, ce qui aura été écrit sera chanté.

 

ÐÑ

 

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Rejoindre un cœur est un voyage impossible. Rejoindre un cœur est une vraie folie, parce que les mots tombent, ils nous échappent et se brisent aussi facilement qu’un souvenir, ils ont besoins de toute notre attention pour rejoindre, à force de couleur, de musique, d’élan, une parole juste et attendue. Peut-être secourable.

L’amour court sur la lame d’un sabre, un mot trop lourd, trop pesant et c’est la blessure. La rosée qui l’abreuvait, qui le nourrissait, se transforme en sang, c’est ce qu’on appelle le sang du poète.

Le plus court chemin pour le mot c’est le baiser.

 

Combien de temps pourrais-je encore tenir les bords tranchants de l’écriture ?

Franck.

8 octobre 2006

La parole impossible......

La parole amoureuse et une parole folle, elle se dit avec les yeux et avec l’horizon. Elle est folle parce qu’elle raconte la nuit, même en plein jour. Surtout en plein jour. Elle est folle parce qu’elle est pauvre, et qu’elle est faite de quelques mots, toujours les mêmes, comme les prières. Et d’un nom, d’un seul nom, comme un seul clou. Et qu’elle sort froissée par le silence qui la recouvrait, et qu’elle se déploie, comme un pétale dans l’aurore, comme le pas maladroit de l’enfant qui commence à marcher. Et qu’il faut pour la dire un ciel entier dans la bouche.

Lent redressement du murmure qui cherche son souffle dans un désastre de lumières et d’ombres. En se dépliant dans labaiser voix incendiée, elle se déshabille, impudique et offerte. La parole amoureuse n’est pas belle, puisqu’elle a quitté la terre et qu’elle est insensée, et qu’elle est inaudible. Et qu’elle est sans intelligence puis que c’est la seule parole vraie, jamais dite. Et qu’elle est sang, feu, dévastation, anéantissement.

Et qu’elle n’est pas faite de mots, mais seulement de visage et de chair brûlée, de chair sauvage et désespérée.

La parole amoureuse est faite de l’échange des lumières, au crépuscule et à l’aube car il n’y a pas de temps pour la dire, pas de lieu pour l’entendre, à par les angles. Car elle n’est faite que d’abandon, et d’éternité tissée d’infini. Elle est la peau qui colle aux lèvres. Et elle est la source au milieu des sables, car elle naît au plus profond de notre solitude claire. Elle ne sait que glisser sur la neige sans laisser de trace. Elle ne sait qu’effleurer l’océan. Enlacer les nuages.

La parole amoureuse ne s’écrit pas, elle est la page blanche et la main qui la caresse et la peur qui l’interroge et la larme qui l’inonde. Elle s’invente et meurt dans l’instant où elle se dit, et à sa place il ne reste que le printemps. Elle est houle insaisissable, où l’espoir à la désespérance se mêle. Lent mouvement du temps et du sang. Lent tremblement des chairs.

02

La parole amoureuse est une parole vaincue, jubilant de sa propre défaite, précipitant même cette défaite. C’est une parole qui naît hors de nous et qui vient mourir sur nos lèvres dans l’éclat d’un silence offert. Elle contient le monde depuis son origine, elle en sait la fin. C’est pour cela qu’elle est d’abord renoncement et consentement. C’est une parole qui n’a pas de force, seulement de la puissance, assez pour couper le réel en son point le plus dur. Personne ne la connaît, elle ne s’apprend pas, mais chacun la sait, puisqu’elle tient à elle seule les fils de notre vie.

La parole amoureuse s’avance à rebours car elle tourne le dos à tout ce que l’on a vécu, elle revient vers notre enfance la plus pure, la plus désolée, et elle va pieds nus dans la langue comme une gitane ébouriffée. Parole dégagée de la parole. Murmure délacé du murmure. C’est une parole effondrée car il lui a fallut traverser les FirstCaresspeaux mortes, les chairs molles, les os cassants et le mur de silence qui la protège de l’indécence, et de l’impudeur. Elle se consume dans le baiser qui la souffle et renaît de son propre désarroi.

Elle ne sait que fleurir, la nuit, au bout des doigts et sur les paupières closent.

C’est une parole qui s’est quittée.

Une parole d’au-delà.

Une parole débordée.

Sans mémoire.

Sans lendemain.

Brisée seulement d’éternité.

Franck.

15 octobre 2006

Dans le passage......

Chaque texte nous laisse dans le passage. Un éternel passage. Sans rive. Être là. C’est tout. Toujours partir et ne jamais arriver. Là. Dans le courant d’air de la vie. Les volets battent, les portes claquent et le texte nous laisse là. Entre. Pantelant dans le passage. Lourd. Sans aisance.

Les textes sont des orphelins. L’espace d’un instant on a cru pouvoir leur offrir une famille…. Et puis ils nous quittent, alors on reste dans le passage. Et c’est nous l’orphelin à secourir. Le texte nous a seulement accueillit un court instant dans sa famille de mots, sa famille turbulente et bruyante. Et après la famille nous quitte. Et l’on reste là, dans le passage encombré de désordre et de silence.

Et l’on sait qu’on ne sera d’aucune famille.

Le texte ne ment pas, il nous promet la solitude et il nous la donne. Comme une fleur rouge sang. Il l’incruste même. Il labagan01 grave, de peur qu’on oublie que s’est nous qui l’avons sollicité. Elle devient notre nom.

Et nous restons dans le passage. Entre les portes du désir. Coupé des horizons. Immobile entre deux mouvements, deux élans. Et c’est ainsi depuis la nuit des temps. Car la nuit des temps est le lieu du poème. Toujours. La nuit. Et après le passage. L’entre deux.

L’attente.

L’inquiétude.

On ne ressort pas complètement indemne des mots. Avec cette double sensation. L’accroissement et la perte. La douceur et la violence. Comme dans le vertige.

Pendant le texte les atomes de la vie sont portés à incandescence. Comme dans l’amour quand les corps s’effleurent d’insouciance et d’oubli, ou quand ils se cognent l’un à l’autre dans l’abandon et l’ivresse. Comme dans l’amour où brusquement on sait qu’il n’est plus question de douleur mais de débordement, où l’extase décide de ne plus descendre, mais au contraire, de monter. Le mascaret ride le fleuve comme un frisson de jouissance. Le texte nous a défait du temps, jeté hors des doutes, il nous a pris la main et le cœur pour nous faire traverser l’infini à la perpendiculaire de nos passions et dans la diagonale de nos souvenirs. Le texte réinvente la géométrie de l’espace et du corps, dans les angles se trouvent l’ombre et le souffle, et les parallèles se rejoignent sur les lèvres des rêves, et les ellipses nous réchauffent de leurs foyers majestueux. Et c’est un temps simplifié où les équations retrouvent leurs inconnues. Et les ondes ne vibrent plus, elles ne font que trembler, que frémir, et elles n’oscillent plus, elles ne font que se balancer comme les roseaux dans la brise d’été. Et le mascaret redresse le fleuve de sa langueur chagrine.   

Et juste après le texte, la droite se raidie, l’infini se relativise, les parallèles s’assagissent et se mettent à bonne distance l’une de l’autre, comme des inconnues qui se toiseraient de haut. Les perpendiculaires s’ennuient à nouveau, et l’ombre quitte les angles morts de la vie pour se répandre en obscurs savoirs. Après le texte c’est le tems des redites, des pensées sur la pensée, des constructions fragiles. Après le texte c’est le temps des insectes. Temps mesuré, sans ambition, sans imagination, qui ne sait que finir. L’entre temps du texte, avec le fleuve vautré dans sa lassitude féroce et gourmande. C’est un temps somnambule, nos actes ressemblent à des actes mais ils n’en ont plus la vérité, comme si le rêve était clivé, ou troué par la lame du soleil.

On est dans le passage, dans les couloirs du jour avec des portes à l’infini, des portes closes. Et le fleuve qui coule dans son infinie indifférence hautaine. Et notre maladresse importune les silences, car ici, dans le passage, ils ont changé de nature, d’humeur. Ils nous regardent, ils nous désignent. Certains nous accusent.

Après le passage. Un autre mascaret. Après… Un autre…

Et la hache du texte coupe un peu plus mes amarres.

Je suis en partance pour l’exil.

Un jour il n’y aura plus de retour possible.

Un jour…

 

Franck.

 

( « On ne sort du temps que par la bonté. » C. Bobin)

11 novembre 2006

A peine quelques mots.....

Comme une sorte de patrimoine génétique nous marchons dans nos textes avec une poignée de mots, toujours les mêmes. Et quoiqu’on fasse, il sont là, toujours les mêmes. La même poignée de cailloux qui roulent sur notre parole. Et ils sont la rocaille de notre langue. Et l’on voudrait en changer, et l’on n’y parvient pas, puisque l’on se décomposerait si l’on y parvenait. On pourrirait sur place. Dans l’instant. C’est eux, ces quelques mots de hasard, qui nous tiennent, avec les tonnerres qu’ils traînent, et les tempêtes qu’ils brassent. Tout tient sur quelques mots. Cinquante, cent, pas plus. C’est notre trésor et notre chemin de croix. Quelques mots, toujours les mêmes. Bien sûr que l’on veut les contourner, et que les chemins du texte veulent s’en éloigner, mais ils reviennent comme une vague, comme une grosse marée, comme si notre pensée, toute notre pensée se rassemblait là, en quelques mots, toujours les mêmes, comme si nos sensations, nos impressions, nos sentiments, nos élans, notre espérance tenait entiers, là. En quelques mots. Toujours les mêmes. Un petit sac de cailloux. Poussière tenace du verbe.

Ils s’inscrivent dans le texte à notre insu, on ne fait que les retrouver, on ne fait que leur céder. On butte, on trébuche dessus. Et puis on cède. On ne les a pas choisi, ils ont toujours été là, en nous, avant nous. Ils nous attendaient.

 

Ecrire c’est le double mouvement qui tente de nous en éloigner, et qui nous y ramène. Toujours. Dans chaque texte il y a une fatalité. Il y a ce mouvement de la vie et de la mort. Et il y a ces mêmes mots entre les deux élans du mouvement, cette tension de quelques mots jetés au hasard de la page et qui se regroupent, pour nous signifier, pour nous éprouver un peu plus.

Même chant de l’usure. Et ils sont la voix d’avant notre voix, et ils nous précédent dans les saisons à venir, dans les saisons passées. Nos pauvres mots. Misérables. Pitoyables.

Peut-être nous gardent-ils en nous même de peur que l’on s’enfui ? Peut-être sont-ils la terre de notre exil ? Et le seul chant que nous connaissons. Sable, restes, rognures de nos chagrins. Ils enchaînent notre langue. Ils nous signent. Ils nous saignent. Ils nous assignent. Ils sont le champ clos de nos errances, de nos courses empêchées. De notre pauvreté.

On les répète sans cesse, c’est cela qui nous effraie, qui nous sidère. Qui nous fait croire fou, déraisonné.

 

Alors on appelle le silence, pour les taire, pour les tuer, pour les blesser. Mais, même au creux de notre silence le plus profond, ils sont là, tapis dans l’ombre de la langue, ou dans un coin de désir, ou dans un éclat d’espérance.

Chacun a les siens, comme chacun a sa croix. Ces pauvres mots qui débordent de leurs significations, parce que nos vies les a dévoyé, corrompu, parce qu’on les a chargé comme des navires et qu’ils dérivent, maintenant dans notre parole, loin des ports et des escales, loin des rives, loin des âmes.

 

Alors on les retrouve de texte en texte, comme des hoquets de la langue. On les retrouve avec des habits différents, des couleurs changées, ils tentent de se dissimuler, mais toujours ils reviennent. Toujours ils sont là. Cailloux usés de notre indigence. Cailloux roulant la langue, pesant du poids du malheur, du destin, comme un enchantement ou un ensorcellement. Et ils sont la litanie de nos jours, de nos heures d’écriture, et ils conduisent le texte là où ils veulent, toujours au bord du gouffre, toujours au bord des peurs, découpant la forme de notre île, découpant nos distances.

 

Au début on les croit nos amis. Alors on les invite au festin de la parole. On croit aux noces, aux significations, aux Myosotis_20scorpioidesrévélations. Ils permettent d’avancer dans la langue. Et puis on commence à les user. Ils deviennent familiers. Trop. C’est après qu’ils se déploient. Parce qu’ils sont juste un peu plus grands qu’eux-mêmes, ils se déploient. Parce qu’ils débordent juste un peu de leur sens, parce qu’il y pend toujours un peu de notre chair. Ils se déploient, comme la toile d’une araignée. Ils sont là avant le texte. Avant nous. Pour parler le texte à notre place. Pour raconter leur propre histoire, indifférents à la notre. Ils racontent une histoire qu’on ne comprend pas toujours, une histoire dont on est exclu souvent.

D’où nous viennent ces mots, ces mots qui se répètent ? Comment se sont-ils accrochés à notre langue ? Que savent-ils que nous ne sachons pas ?

 

Peut-être qu’écrire c’est ne pas utiliser toute la langue ? Peut-être que c’est tenter de tout dire avec très peu ? Peut-être qu’écrire c’est précisément cette répétition inlassable de quelques mots ? Peut-être que c’est cette pénurie, cette pauvreté de nous, cette indigence. Peut-être qu’à force de les répéter, leur sens peut s’agrandir à l’infini. Peut-être qu’il ne suffirait que d’un seul mot ? Un et innombrable… peut-être….

 

Les plus beaux bouquets sont fait de peu de fleurs. Pas les plus grandes. Pas les plus belles. J’en ai reçu d’éternel, qui n’en avaient qu’une.

Une petite fleur de talus, froissée, nue, tenant l’univers dans ses pétales.

Franck.

26 novembre 2006

La maladie des mots.....

Un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c’est hanter ses propres décombres, c’est traverser les champs de batailles de nos défaites.

Les destins naissent au cœur des nuits. De préférence au cœur des nuits sans lune. Car chaque destin est avant tout une peur, une peur tenue à bout de bras, une peur qui vous lèche le visage au cœur des nuits sans lune. Un destin c’est l’histoire d’un franchissement de la lumière. Un voyage de l’obscur au plus clair. Du chaos à l’évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Au début il a eu cette maladie. Cette drôle de maladie. Au début il y a eu cette maladie invisible, presque insignifiante. Et elle rodait, dans le souffle, dans le regard. Et elle ressemblait à l’ennui, à la lassitude. Au début on ne savait pas la nommer, et quand on la nommait on en souriait. Au début on était dans l’insouciance de l’enfance. Et il y avait trop d’enfance en nous pour s’arrêter sur si peu, sur tant d’insignifiance. Trop d’enfance.

C’est une faute. La première. Les autres suivent.

Drôle de maladie, sans formes, sans fièvre. Une maladie de rien, sans médicament. Une maladie qui n’est pas dans les os, qui n’est pas dans les chairs, à peine dans le sang, à peine dans les humeurs, silencieuse comme un serpent nonchalant. Maladie papillon, légère, aux symptômes d’enfance, cachée dans les plis de certains jeux, dans la suspension du temps entre deux rêveries, dans le hoquet entre deux rires, dans l’épuisement soudain qui envahit le ciel, l’air, le soleil. Au début c’est un voile de soie grise posé sur les yeux, sur la langue et tout au fond du crâne. C’est pour cela qu’il faut du temps pour se rendre compte qu’on en est atteint. Elle est juste un coin planté dans le fil des jours, par lequel s’échappe la joie.

C’est une maladie sans nom. Sans vrai nom. Et ceux qui la disent, ne disent rien, ou si peu. Ils en disent l’écorce, la peau, l’écume, mais taisent le long cheminement d’une douleur sans douleur, et le glissement progressif vers les ténèbres. Oui, rien ne dit cet épuisement du désir, l’effondrement du sang dans les couloirs du vide et cette vacuité insolente qui vrille chaque instant. Maladie de l’inaccessible, puisque rien n’est désormais intelligible, puisque tout est définitivement inabordable directement. Puisqu’il faut sans cesse inventer des chemins différents, pour relier en soi ce qui est disjoint, ce qui est décollé. Puisque tout est un champ d’épreuves, puisque toute la joie, tout les plaisirs se dérobent comme une eau qui s’infiltre dans les fissures de chaque geste.

Et la bougie de l’enfance se consume lentement, brûlant les dernières forces, absorbant dans sa lassitude, son accablement les dernières lumières. C’est comme un sourire qui s’efface. Ca ne fait pas de bruit un sourire qui s’efface, ça ne fait pas de bruit une enfance qui s’engourdie.

Dans les fissures du regard. Voir sans voir. Ne rien entendre aux débuts, aux fins.

La maladie des mots. C’est le nom que je lui donne. J’aurai pu dire la maladie de la vie, c’est la même chose. La maladie des mots. Il faut bien comprendre, en nous les mots sont malades. Ont peut les dire mais on ne les voit pas. On ne peut les écrire, ils se masquent, se dissimulent, se voilent. Et lire devient un champ de chardons à traverser. Et il y a 32magnifdes rivières souterraines sans fin dans lesquelles se perd la parole, et il y a des cavernes des gouffres où elle suite. Où elle goutte. Mot à mot. Et se fige dans la pierre, et dans les sécrétions de la langue, et dans les obscurs méandres d’un apprentissage impossible. Lire est un champ de chardon, comme si entre chaque mot griffait, avant qu’un néant apparaissait. Et écrire ne ressemble à rien, comme si la main se refusait, comme si l’œil s’aveuglait, comme si toutes les pensées devaient avant d’éclore traverser l’épaisseur d’un brouillard. Et il ne reste que l’oreille, qui fait ce qu’elle peut pour lire, pour écrire, pour attraper la musique derrière la stridence des brumes.

Drôle de maladie, que la maladie des mots. Elle n’empêche rien et pourtant elle entrave tout, même les rêves, surtout les rêves et le désir. Au début on est de plein pied dans l’existence, et puis la maladie des mots vous prends, et c’est comme un escalier qui se dresse devant vous, un escalier qu’il faut monter pour toutes choses, pour tous les gestes, même les plus anodins. Et vivre revient à anticiper cet escalier. Puisqu’il est là. Puisque chaque geste devra d’abord le franchir, puisque lorsqu’on arrive à la chose désirée on est déjà épuise de cette escalade.

Au début de l’enfance on reste insouciant, on croit que la vie c’est ça, que c’est cet escalier, alors on monte sans compter nos efforts, et l’on est épuisé, épuisé de tout.

L’œil, la voix, l’oreille, tout est dans le désordre et la confusion. Lorsque vous voyez un mot, votre voix ne sait le dire, lorsque entendez un mot, votre main ne sait l’écrire et votre œil est aveugle aux sons.

Il faut bien comprendre, le cerveau est parti en vacance, il gambade et vous ne pouvez le retenir, il court à travers champs et vous ne savez pas où il est. Il est en vadrouille.

Alors les mots se collent les uns aux autres, se coupent n’importe où, s’écrivent comme on les chante. Ils n’entendent rien aux règles de la vie, ils dansent et se faufilent quand on veut les saisir. Mots vagabonds, mots affranchis de tout, même de nous. Il faut bien comprendre, nos mots ne se soumettent pas, ils dictent leurs danses, leurs chants. Ils n’habitent pas chez nous.

Au téléphone Patricia me raconte. Elle est docteur des mots. Elle travaille avec des enfants dont les mots les ont quittés. Elle passe des heures avec eux à aller chercher les mots qui se sont perdus, à rassembler toutes les lettres, à les mettre dans le bon ordre. C’est un beau métier docteur des mots. Au téléphone, elle me raconte. Elle fait des associations, des sites, pour parler des mots malades, des mots perdus, des mots qui ne s’articulent pas à la langue. Elle me raconte. Surtout l’histoire de cette maman. De cette maman écrasée de honte de peur.

« Je lui ai parlé de toi… tu sais depuis l’enfance son calvaire, et toutes les difficultés, à masquer, à contourner…. Alors je lui ai parlé de toi, et de l’écriture… de la tienne, tu sais l’écriture de la maladie des mots….j’avais imprimé ton texte celui où tu parle de ça, « Je fais des fautes »…et j’ai voulu lui lire…et puis, tu sais l’instant était presque grave, comme si l’on touchait le centre de l’univers… tu sais elle ne lit jamais, à cause de l’effort, à cause que c’est impossible, alors tu imagines… à haute voix, c’est comme un chemin de croix, avec les chardons sur la langue… » A l’autre bout de la voix, j’écoute, et je sens monter la brutalité d’une émotion. Violente. Qui racle tous les souvenirs d’un seul coup. « Alors je commence à lire ton texte… et puis elle m’arrête… elle me prends le texte des mains, et elle dit : « je vais lire, moi… moi je vais lire »…. Alors elle commence… » Patricia me raconte cette femme lisant le texte, ânonnant le texte. Et moi j’ai l’impression de l’entendre, de la voir trébucher dans mes mots, oui je la vois tomber de la langue et se relever, se redresser, s’épuiser à chaque chute, mais se relever, comme si cela devenait vital de retrouver une dignité là, à cet endroit, à ce moment précis. Et j’écoute Patricia, et des larmes coulent, lentes, grosses, et dans cette fraction de temps, je sens déborder tout l’ennui et la désespérance de mon enfance. Et je sens que les chardons ne me blessent plus. « Tu sais, c’était dur, elle accrochait, elle buttait… » « Oui, je sais… les chardons… »

Il ne faut pas s’y tromper, car on pourrait en sourire, la maladie des mots n’est que la partie visible, parfois risible…mais c’est la vie entière qui est contaminée.

Chaque pensée.

Chaque geste.

Imaginez ce grand escalier en amont du désir, cette escalade qui brise tous les plaisirs. Imaginez toutes les stratégies qu’il vous faut inventer pour éviter cet escalier, pour éviter l’épuisement, l’ennui. Imaginez tous ces détours qu’il vous faut prendre, imaginez combien de fois on s’y perd, dans ces détours.

Elle me disait, au téléphone, toute cette émotion, de ces pas balbutiants dans le lire. Et je me souvenais. De ses heures que je passais dans le silence de ma solitude à lire a haute voix. A lire sans accrocher un seul mot, à lire en essayant d’effleurer le texte. Seulement. Aller, Franck, ce paragraphe, ce paragraphe sans bafouiller… tendu jusqu’à me casser en mille parties. Et immanquablement la bafouille arrivait. Immanquablement. Parfois dans les derniers mots du paragraphe.

Elle me disait toute cette émotion, de cette femme lisant mon texte…

Alors, j’ai lu envers et contre tout, passé les embûches les unes après les autres. Des milliers de livres, avec plus d’entêtement que de plaisir. Toujours les chardons dans les yeux et les escaliers. Alors j’ai écrit, envers et contre tout. Inventant mon écriture à force de l’écrire, avec plus d’entêtement que de plaisirs, parfois, mais avec la certitude que les chardons fleurissent aussi. Un jour.

Avec la certitude qu’un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c’est hanter ses propres décombres, c’est traverser les champs de batailles de nos défaites. C’est monter en premier les escaliers du désir, comme on monterait des gammes, comme on monterait des marées, avec entêtement, constance. C’est dire et redire en articulant chaque phrase de la vie, avec obstination, âpreté, en hurlant s’il le faut.

Je sais l’image qui se dresse en haut de l’escalier. Image tutélaire. Celui qui tenait la parole et les silences. Celui qui possédait les livres.

Quand je lis à voix haute j’ai le goût de tes cendres dans la bouche. Je suis sans haine, mais sans amour ni pardon pour toi. Je te dois tous les escaliers de la terre et toutes les ivresses. A dix ans je savais que j’écrirai. J’ai mis une vie à le faire, ma patience s’est habituée au goût de tes cendres. Et je t’userai, comme j’use ma langue et mes mots.

Quand j’écris je suis éternel et cela suffi à ma joie d’avoir l’éternité pour savourer ta cendre et de voir fleurir les chardons en haut des escaliers.

Tu vois, papa, j’aime les livres longs, épuisants, j’aime les textes longs, épuisants… mon âme est faite d’attente, et de cette lente montée vers les étoiles. Et contre ça, tu ne peux rien. Les marches de mon escalier sont faites de mots… et la langue est infinie.

Un voyage de l’obscur au plus clair. Du chaos à l’évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Franck.

(Pour tous les dyslexiques et les dysorthographiques)

(Merci Patricia pour cette image...)

9 décembre 2006

Mathématiques....

Il y avait sur la géométrie de ta peau des angles inconnus, des perspectives lointaines qui crissaient sous ma main, de cesmath_001 coins d’ombres où je me perdais, de ces sources d’eau brûlantes qui attisaient la soif, la faim, la peur même. Il y avait des parallèles folles et des ellipses féroces. Il y avait sur ta peau toute une géométrie de l’espace et des chiffres que mes doigts devinaient, pénétraient, décryptaient. Toute l’apesanteur et tous les centres de gravité qui se concentraient dans l’atome du souffle. Et il y avait ce vertige des nombres vers l’infini du désir ; plus ou moins l’infini, selon le sens de nos nuits, selon la pente de nos caresses. Et il y avait ce désordre des chairs, ces frottements lents et profonds à la tangente d’un soleil de nuit et de nos ventres affamés. Et il y avait nos disparitions, et nos abstractions pour lesquelles nous mélangions le chiffre de la bête et le nombre d’or. Et il y avait tes soupirs cosinus et ton cri vertical… et ma main sur ta peau, et mes lèvres sur ta peau, et mes rêves sous ta peau. Et tes larmes, aussi. Arithmétique des jours où nous nous tenions à l’écart-type de nos tentations, où nous faisions nos contes d’apocalypse, additionnant la chair à la chair, multipliant les frémissements.

C’était un temps arithmétique insatiable.

Temps qui s’avançait sur l’hyperbole de tes hanches.

Temps exponentiel.

Asymptote souveraine qui guidait nos heures vers le chant.

Mathématique du silence.

Algèbre universelle des équations à deux inconnus.

Franck.

10 décembre 2006

Ne jamais dire adieu....

Aimer c’est graver le marbre. C’est inscrire sous la peau une histoire définitive. Aimer échappe à l’oubli. Longtemps après l’amour, l’histoire se raconte encore. Même transformée, l’histoire se raconte. Et ce n’est pas de la mémoire, c’est seulement l’amour qui fini de se consumer. Même passé l’amour se vit au présent. C’est pour cela qu’il n’y a pas d’oubli, pas de rémission. Et que l’on se sent perdu et sauvé dans le même instant, toujours renouvelé. Recommencer, c’est seulement continuer, c’est raviver, c’est souffler sur les flammes. Même nouveau, c’est toujours une vieille histoire. C’est remonter la flamme jusqu’à la première étincelle. Remonter le feu. Le premier feu. La première mort. Et jusqu’à la dernière.

Aimer, c’est accepter de ne jamais dire adieu. Même après la fin, même après la haine. Surtout après la haine. C’est le retour sur la scène du crime. Et contempler notre propre cadavre. Aimer c’est dérober des indices au passé pour mystifier l’avenir. Et échouer dans cette opération secrète, alchimique, magique.

Il n’y a qu’un visage en nous. Un visage qui se moque de nos dérisoires tentatives, de nos pathétiques tentations.

Tes mots me touchent comme s’ils avaient des poings. Des poings qui s’abattraient à toute volée à l’endroit de71ae1b4231b0638b_grand ma face, sur le nez par exemple. Je lis tes lettres et ça fait comme des brûlures. Je lis et ça fait des cicatrices, comme une lame d’acier dans le vermillon de la vie.

 

Tes mots me touchent comme s’ils avaient des mains. Des mains douces. Des mains qui se poseraient sur ma peau cornée et usée, à l’endroit du cœur. A l’endroit des battements. Je lis tes lettres et cela fait des caresses. Je lis et cela fait comme un souffle, comme une eau transpercée de lumière.

Il y a surtout cet enroulement du temps, du mouvement à rebours. Cette remontée des saisons. Et cette tension de l’âme à vouloir décrypter la première inscription du marbre. Vouloir lire le nom qui est gravé dessus. Celui qui nous nomme et qui n’est pas le nôtre.

Dis-moi encore les terreurs de l’amour
Dis-moi encore les envoûtements de ta vie.
Apprends-moi les ténèbres, moi qui me crois voyant

 

Dis-moi encore tes secrets d’amour.
Dis-moi encore les magies de ta vie.
Apprends-moi le ciel, moi qui ne fais que le traverser d’un pas agité et inquiet.

 

Chante pour moi. Hurle pour moi.
Danse pour moi. Chiffonne-toi pour moi.
Ris pour moi. Pleur pour moi. Pour moi seul.
Raconte-moi l’amour de dieu et des hommes. Dis-moi leurs chairs et leur sang.
Le visage de l’autre est porteur de notre ombre. Et on ne le sait pas. Même si on le sait. On ne veut pas le savoir. Et nos caresses se souviennent du premier crime. A cause d’un désir pris dans le marbre. L’autre de l’amour nous désigne.

Dis-moi l’enfer qui vrille ta mémoire.
Dis-moi ton délire lancinant et mortel.
Dis-moi tes os et leurs cendres et leur haine.
Dis-moi tes cuisses ouvertes et les tritons que tu recèles.

 

L’amour nous dit en creux, comme la haine d’ailleurs. On hait d’autant plus, que l’autre nous ressemble. Parce qu’on suppose qu’il sait. Il est au cœur de notre misérable secret. Et la haine est bien un désespoir, un apitoiement sur ses propres ruines. Toute haine touche à notre vérité, tout amour à notre illusion. Et vivre, c’est marcher de l’une à l’autre, jusqu’à ce que le fil qui les joint se brise. Par trop de vérité, ou par trop d’illusions.

Dis-moi l’éternité qui porte tes offrandes.
Dis-moi ton âme murmurante et fragile.
Dis-moi ton corps et sa flamme et sa piété.
Dis-moi tes cuisses souples et ces coquillages que tu protèges.

 

Dis-moi toutes ses choses.
Dis-le moi, mille et une nuits, et quelques siècles de plus.

 

Le Fleuve. Les rives changes et pourtant c’est le même fleuve. C’est le même élan. Jusqu’à la fin. C’est le même livre qu’on relit.

Dis-moi le marbre froid de ton cou.
Dis-moi les vipères de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son abîme.
Dis-moi tes râles, tes pertes blanches, tes indécences, tes violences

 

Nous n’avons de cesse que d’aller profaner nos tombes. Pour s’assurer de quoi, au fond ? Chercher la vie au bord dea001880 ce qui a nie ? Il n’en demeure pas moins que nous avons cette passion des os décharnés, des os blanchis, des terres noires. Pour renforcer notre résistance.

Dis-moi la douceur de ton cou.
Dis-moi la forme et la pâleur de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son velours.
Dis-moi tes soupirs, tes abandons, tes pudeurs, tes outrages.

 

Étreinte des contraires. Désenchantement des non-sens. Décidément il n’y a pas d’adieux possibles.

Dis-moi tes litanies comme un poison à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand elle est sacrilège.
Dis-moi le ricanement quand tu plaisantes de moi.
Dis-moi tes conjurations quand je suis trop près de toi.
Dis-moi tes cauchemars et tes arcanes.
Dis-moi la bile de ton sang.

 

Les poésies sont des feuilles qui tombent arrachées par l’hiver. Leur mort annonce le renouveau. Recommencer, c’est seulement continuer, c’est raviver, c’est souffler sur les flammes. Même nouveau, c’est toujours une vieille histoire. C’est remonter la flamme jusqu’à la première étincelle.

Dis-moi ton chant quand tu le donnes à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand tes voiles se défont.
Dis-moi ton rire quand tu te dérobes.
Dis-moi ta prière quand je dors près de toi.
Dis-moi tes rêves et tes mystères.
Dis-moi tes larmes, dis-moi ta joie.

 

Aucune violence n’entame la mélancolie. Elle est la bougie sur le bord de la table. Elle éclaire nos passions, nos écrits. Elle a été témoin du crime. Alors elle peu bien nous accompagner. Même en silence. Aimer c’est accepter de ne jamais dire adieu. Les aux revoirs sont les ricanements du destin. Le bégaiement du temps. Ainsi la haine comme un pitoyable aveu. Et la violence un piètre abandon.

J’aime tes affronts quand ils disent : vas-t-en.
J’aime ton cri qui arrache les miens.
J’aime ton bec quand il déchire mon nom.
J’aime tes crocs qui serrent mes paupières

 

J’aime tes mots quand ils disent : je t’aime.
J’aime ta voix quand elle s’offre à ma voix.
J’aime ta bouche qui appelle mon nom.
J’aime ta langue sur le bord de mes yeux.

 

Et c’est un désastre. De notre cage, nos mots, nos chants s’échappent pour rejoindre le bruit du monde. Chacun dans sa cage. Cacophonie.

Le désir brûle, car derrière ses apprêts il veut notre propre mort et il sait toujours le chemin le plus sûr. Il nous distrait pendant qu’il avance ses pions.

Même passé l’amour se vit au présent. Ainsi la haine.

Ainsi la haine comme un pitoyable aveu.

Dis-moi l’incendie qui dévaste ta langue.
Dis-moi la substance qui écorche tes veines.
Dis-moi les cyclones qui brassent ainsi ta chair.

 

Dis-moi le feu qui brûle ton esprit.
Dis-moi l’étoile qui coule dans tes veines.
Dis-moi tes tempêtes de chair.

 

Alors, Toi la prochaine, tu n’est pas la suivante, tu es encore la première. Tu es la seule, puisque le désastre doit s’accomplir. Et que tu as la forme de l’ombre qui m’anéantira.

 

Alors dis-moi surtout la paix et le recueillement et l’abondance dans le renoncement.
Dis-moi la sagesse des sables et comment on dénude son cœur pour marcher sans impatience vers un point d’eau perdu au fin fond du désert. Dis-moi les paysages de neige, les lumières d’un hiver, et le givre comme un gant de dentelle sur les ramures déshabillées des grands cerisiers.

 

Franck.

20 décembre 2006

Ouvre les yeux.....

Alors vint le temps où il fallut réinventer l’acte. Redéployer les corps dans leurs chairs. Où il fallut oublier, effacer toute la mémoire et tous les gestes. Réinventer la présence. Réinventer le lieu. Et le souffle. Et la pénombre. Et l’horizon. Et les astres qui le défient. 

 

Se retirer définitivement de soi.

Sans force et sans faiblesse. Revenir à l’unique. A cette chose première. A cette chose dernière. Et se préparer à WhereSeaCaressesShore1toucher les deux extrêmes de la joie et de la douleur. Et à condenser chaque respiration dans le ralentissement du temps, et à condenser le désir en lenteur pure.

Et chaque caresse devra atteindre la profondeur des océans, et chaque soupir portera un peu plus loin la soif. Car c’est le temps, mon amour, des corps nus. C’est le temps des grandes moussons, et de nos pertes souveraines.

 

 

 

Alors il est temps que tu acceptes que mes étreintes te rendent ta substance, te rendent à tes premiers tremblements. Et que mes baisers te lavent de tous les baisers déjà donnés, ou pris, ou volés, ou arrachés, ou déterrés.

Je te veux nue comme tu ne l’as jamais été.

Pas ouverte, pas éventrée. Non. Nue. Pudiquement nue, et droite, et fière, et digne, et immensément forte, et immensément nue. Car que valent mes baisers parmi tous ces baisers passés, que vaut mon offrande, à toi à qui fus dérobée.  Que vaut la pureté de mon regard sur ta chair trop souvent convoité. Et que valent des serments pour toi qui fus si profondément trahie.

Comment réinventer la nudité pour toi qui fus si souvent dénudée.

Comment te dire ou te tendre mon désir, à toi qui fus si souvent désirée.

Comment avancer une caresse vers toi, qui fus tant caressée et si mal caressée.

Comment faire du nouveau avec tous ces larmes anciennes, ces plaintes, ces gémissements.

 

 

 

Alors ferme les yeux. Apprends mon silence. Laisse-le glisser sur ta peau. Laisse-le couvrir ta poitrine et s’arrondir sur ton ventre. Laisse-le glisser dans tes chairs. Apprends mon souffle sur ton cou, sur tes cuisses, sur tes reins, laisse-le courir au profond de ta vie, au bord de tes eaux..

 

 

 

Alors ferme les yeux et apprends ma bouche, mes lèvres, souviens toi de chaque temps de la caresse, comme un piano se souvient des notes qui l’on fait sonner. Laisse venir ta peau à mes doigts, vague après vague, plaisir après plaisir, attente après attente. Comme une tentation longtemps refusée. Creuse, frémis, comme ces eaux des grands lacs qui s’irisent, se rident, et se plissent, lorsque les vents du nord les pénètrent.

 

 

 

Ferme les yeux et respire ma clameur et la grâce d’un instant qui ne pourra pas finir. Gonfle ta chair de ma confiance. Devine ce mouvement qui t’enlace et t’espère, entends le froissement de nos murmures qui nous ajustent.

Sois le mouvement même de mon appel.
Sois la réponse à ma main qui t’interroge. Agrandis l’ombre de ton mystère pour le brûler de sa propre révélation.
Sois le corps avant le corps, la chair avant la chair, sois la source miraculeuse, sois l’amour de mon amour. Sois cathédrale et je serais prières. Pèlerin.

Ferme les yeux comme si tout était advenu. Comme si tout était là, enfin, dans cet espace clôt et pourtant sans borne. Comme si tout était là, dans l’espace incendié de mes doigts sur tes seins, de l’espace océan de mon ventre sur ton ventre. Comme si le feu naissait du mélange de nos eaux lustrales. Déploie ton corps, accepte la forme de mon vertige, de ma folie, de mon appel et de mon cri. Fais-moi naître maintenant, puisque j’accepte de mourir maintenant.

Ferme les yeux et guide-moi vers toi. Apprivoise mon geste. Donne-lui l’élan de ta joie. Donne-lui la direction de ton étoile, de ton ciel. Non je ne pleure pas. Non, tu ne pleures pas. Non, ou si peu alors, comme une neige de décembre.
Défais-moi du froid glacé de mon enfance, défais moi des pluies, défais-moi de tous ces jours où je t’ai attendu, de tous ces jours de peur, de mélancolie. Défais-toi de tous ces regards qui t’on percés, de tous ces mots qui t’ont déjà souillés. Défais-toi de ton nom. Défais-toi de tous ces lambeaux de cauchemars.

 

 

 

Ferme les yeux et défais toi, comme moi je suis défait.bm_silentcaresses
Ferme les yeux et accepte que je puisse être ton offrande. Sacre-moi du bout de tes doigts. Accepte que nos corps puissent parler plus que nos mots. Deux corps dans le mouvement simple de leur vie, deux corps avant le dernier saut, avant l’envol, dans leur seule présence dépouillée.
Laisse-moi remonter les grands fleuves de tes jambes.
Laisse-moi rejoindre l’estuaire au plus haut de tes cuisses.
Laisse-moi brasser tes eaux et pousser dans tes chairs d’interminables mascarets.
Laisse-moi être au plus près de l’écume, accepte l’enlianement de nos membres et l’infini pesanteur du sang qui ralenti et l’infini douceur de l’abandon consenti.

Ferme les yeux et sent les astres te tirer par les épaules, laisse la terre remonter dans tes os. Respire ce temps d’avant, laisse-le entrer lentement dans tous tes soupirs, laisse la fièvre agir, accepte que la torpeur éclatante brise nos chaînes.

Mon amour c’est le temps où les chairs se traversent en remontant les sentiers du désir d’un pas sûr et conquérant.

 

 

 

Ouvre les yeux mon amour, c’est l’heure de cueillir la fleur sanglante de nos âmes tremblantes.

Franck.

 

23 décembre 2006

L'énigme du silence.....

Dans écrire il y a une intention. Derrière le premier mouvement, il y a d’autres mouvements. Et encore d’autres. Jusqu’à l’ultime, qui est une énigme. Dans écrire il y a un secret. Un impossible secret. Ecrire, c’est le traquer. Le cerner. En E289_L_Enigme_Sans_Fin_1938_Postersespérant ne jamais le trouver. Mais le chercher, sans relâche. Une quête à rebours. Et les mots sont comme ces taches d’encres pliées sur une page blanche et offerts à l’interprétation. Ils disent à l’envers, ils se lisent à l’envers. Ils errent dans des jeux de miroirs, maraudant ici ou là des significations arrachées à notre quotidien, à l’accumulation de nos gestes, à nos répétitions incessantes, nos entêtements. Nos avidités. Nos impatiences. Mais dans écrire il a un secret. Une porte scellée. Le dire serait dire le nombre de notre mort.

 

Entre les phrases se trouvent de larges flaques, nos lieux de manque, de silence. Parole dévoilée dans l’instant où elle se dérobe, où elle s’absente. Il y a dans le récit un instant de fatigue, un fléchissement, une courbure dans la voix. Ca ressemble aux cendres d’un désir. Ou, ça ne ressemble à rien. Les mots sont là, suspendus, dans l’attente d’une révélation. Ou plutôt dans la crainte d’une révélation. Entre chaque mot, il y a une eau qui passe, lente et mystérieuse. Une eau patiente. Troublante. Le mot d’après est un mot sauvé, malgré nous. Le mot d’après est une île déserte, une terre isolée qu’il nous faut habiter. Découvrir.

 

i_have_a_secret_by_ElektrischeEntre les mots il y a des visages, des regards, des mains qui se tendent sur la bordure des lettres. Il y a tout un monde. Il y a des soupirs. Le mot d’après est une aube, la consolation d’une nuit blanche.

 

Celle-là resserrait les mots de sont écriture, les rendait dense, enlevait l’espace et la respiration de peur de se faire prendre par un silence. La profusion verbale pour aiguiser son angoisse. Fébrilité d’une langue malade d’elle-même. Ecriture pleine de bruit, de fureur. Pleine. Trop pleine pour accoucher du sens. Voix égarée. Nourrit de sa propre ivresse. Enfermée sur elle-même. Sur sa propre contemplation. Ecriture étouffée. Bâillonnée.

 

Cette autre distendait la parole, la coupant à la césure de la chair et de l’os, ouvrait de larges océans entre chaque mot, faisait naître la nuit et l’aurore. Chaque mot bordait les plaies de la mémoire, offrait leur souffle aux douleurs. Chaque mot dessinait la courbe du temps. Les montagnes. L’hiver, la neige et ses longues marches solitaires où l’espérance colore la mélancolie. Ecriture du murmure. Du crépuscule. Du secret des amants.

 

Il y a dans écrire de l’amour en jachère. De l’abandon. Jusqu’à l’ultime, qui est une énigme. Juste derrière la vitre des211924 mots, justes derrière le miroir sans tain des mots. L’énigme qui tient tout l’édifice. Pourtant il y a des amours en jachères. Dans chaque mot il y a toujours un peu plus que le mot. Et ce plus, peu nous faire vivre, comme il pourrait nous faire mourir.

 

 

 

 

Ils ont inventé les chiffres pour compter leurs troupeaux. Ils ont inventé l’écriture pour y mettre les secrets, pour les brûler. Tous les secrets sont des secrets d’amour. Ecrire, évite de prononcer les mots magiques.

Ecrire scelle le silence autour du désir.

Ecrire définit les contours du pacte.

 

Franck.

14 janvier 2007

Labyrinthe...

Le texte est le labyrinthe de la voix qui tente de le dire. Peut-être à cause de la distance qui les sépare. Un exil. Toujours entre la voix et le texte. Et de cette crainte latente du centre qui pourrait nous dévorer. Minotaure égotique. Alors on suspend l’écriture pour faire taire la voix. La parole est une errance qui n’atteint jamais sa cible initiale. Avec le silence comme fil d’Ariane.

 

Et le destin de l’écriture est un voyage sans fin. Traversée des sables ou des mers. Elle est sans chemin. Elle est en pure perte. C’est ce qui la rend invincible

 

Et parfois, il y a un reste, un surcroît qui déborde du texte. Parfois seulement. Des mots se décrochent et tombent, labyrinthe_chartrescomme s’ils avaient trompés la vigilance du porteur de voix. Des mots débordés. Comme le coolie qui renverse l’eau du seau dans son transport. C’est l’eau rare. L’eau fertile. L’eau détournée. L’eau qui ne sera jamais bue. L’eau du retour. L’eau évadée. L’eau libre. L’eau qui fait fleurir les talus, celle qui inventera les routes futures. Des mots perdus. Comme de l’eau renversée.

Parfois, il y a un reste, un surcroît qui déborde du texte. Parfois seulement. Et c’est la poésie.

 

Y a-t-il des paroles qui ne soient pas destinées, qui n’aient pas de direction ? Des paroles débarrassées de la voix. Des paroles sans intention. Existe-t-il une parole pure ? A part le lapsus. Coquelicot dans les chaumes d’un champ de blé.

 

Et la voix se perd dans des paroles jamais assez nues. Toujours impudiques.

Ecrire bien au-delà des marges. Dans la pliure. Ecrire dans l’affaissement. Le retrait. La défaite. Voilà, la défaite, jusqu’à l’excès, jusqu’à la négligence. C’est sans doute cela la perte. L’excès, la saturation. Dans la voix ou dans le silence. Peut-être que la poésie est, aussi, cette transpiration de la voix. Cette sudation. Un excès de fatigue sous le soleil.

Comme un suintement. L’exhalaison d’un soupir.

Il y a du fracas là-dedans, comme un éclat de verre qui retient une part de soleil. Coupure du réel. Et les vérités sortent de cette coupure. Et c’est pour cela quelles sont rouge.

Il n’y a pas de savoir. Uniquement une voix qui erre dans un labyrinthe. Et nulle connaissance ne nous sauve, hormis de pauvres révélations, et ce fragile tremblement, qui ne signifie rien de plus qu’un fragile tremblement. Rouge. Nostalgique et rouge et mélancolique.

 

Une parole dans la pliure de l’univers. Un puit abandonné dans le désert, et qui s’offre au temps. A la solitude. Et au mystère de la soif et de l’attente.

Aux épousailles de l’oubli et du vent.

Franck.

20 janvier 2007

La folle voix......

« Ecrire, ce n’est pas parler ». Et pourtant… Ecrire porte la voix. Quelle voix ? Pas la voix de notre bouche, pas celle de nos dents, de nos lèvres, de notre langue. Ecrire porte une voix. Une voix de nous. Une voix qui erre en nous. Quelqu’un parle en nous bien au-delà des sons émis. Et c’est un interminable monologue. La litanie infinissable. « Ecrire, ce n’est pas parler », c’est dire. Dire la voix en nous. Et révéler la présence.

Il y a entre la chair et l’os un être qui rode, un être de gravité. A la démarche incertaine et ombreuse. Il y a derrière P1010325notre face de jour, un spectre qui claque des dents. Qui rit parfois. Qui pleure souvent. Et qui parle, un monologue inaudible, interminable. Et l’écriture nous dit sa présence. Dans le creux des silences. Car l’écriture porte la voix de l’ombre. Entre le mouvement des phrases. « Ecrire, ce n’est pas parler ». Car on ne dit jamais rien, rien qui tienne dans un univers en expansion. Et parler c’est contredire la voix de l’ombre. Et parler c’est faire taire la voix de l’ombre. Le réel et le vrai, toujours cette dualité. Et cette déchirure. Et notre vagabondage entre parler et dire. Entre le réel et le vrai, sans jamais être ni vraiment dans l’un ou dans l’autre. A cause d’un univers en expansion. Avec les trous noirs.

Et l’écriture a été inventée comme une arche qui tente de rejoindre les rives du fleuve impraticable. Fleuve. Flots des jours, et notre pitoyable insignifiance. « Ecrire, ce n’est pas parler », car parler c’est se ravaler à chaque mot, à chaque idée, c’est se renier inlassablement par désespoir, ou vacuité, ou peur, ou lâcheté. Et c’est le bruit de nos pas et leurs traces qui s’effacent. Et l’impatience exacerbée. Et le ciel qui s’assombrit.

Ecrire c’est dire, et dire n’est jamais vraiment lisible, puisque dire se fait au couteau, juste entre la chair et l’os. Et dire c’est signifier. Et signifier c’est toucher du doigt le soleil et chaque étoile du ciel. L’écriture révèle la trace du couteau à chaque souffle de la voix.

 

 

 

S2154Ô mon dieu, mes ombres saignent, et ma voix à tant de mal à traverser mon sang. Ma voix, la folle qui tient ma maison, celle qui connaît mes histoires, mes attentes, mes ivresses sauvages, celle qui c’est nourrit au lait de ma solitude, celle qui a creusé mon ventre pour enfanter mes monstres ou mes diamants. Ma folle voix, avec ses vocalises muettes, ses murmures provocants, celle qui me souffle d’incompréhensibles songes, avec sa façon bien à elle de vriller ma mémoire et de raidir ma main qui écrit. Ma folle voix, qui a besoin de tant de vide. « Ecrire, ce n’est pas parler », et elle le sait. Elle, qui pèse sur mes mots pour les rendre impraticables, elle, qui trace des arabesques devant mes yeux, tissant de 29_auroreterribles linceuls avec les fils coupés de mes souvenirs, de mes amours. De mes amours. De mes amours.

Ma folle voix qui a besoin de tant de vide, de tant de lande, de tant d’exil. Ma folle voix qui appelle tous les incendies et qui me voudrait roi ou mendiant. Et elle s’écorche dans ma parole, et me le rend bien, au centuple. De son silence épais elle me retire du monde des vivants. Car il lui faut tout, mon espace et mon temps, et mes yeux, et mes lendemains, et mes toujours. Elle me vide, et me veut fait de rien.

Alors je suis vidé. Vidé des jours et des visages. Vidé de mes histoires. Vidé des peaux que j’ai caressé, des sourires que j’ai tenté. Vidé comme une grande cathédrale de malheur, vidé de mes compassions, des mes murailles de Chine, de mes cascades nordiques, vidé comme un puits de désert.

Alors je suis vidé. Vidé de mes rencontres, et des baisers que l’on offrait au détour de l’aurore. Car il lui faut tout, les ventres que l’on a aimés, la sueur des corps. Même les gestes oubliés, la main que l’on n’a pas tendu. Tout, même mes crépuscules, des mes prières. Tout, même mes océans. Surtout mes océans. De mes cris d’orgueil ou d’effroi.

« Ecrire, ce n’est pas parler ». Et pourtant… Ecrire porte la voix. Une voix qui erre en nous. Ecrire c’est l’anti-matière de la parole. Un trou noir de l’espace des mots. Le trou noir de l’attente, et des tempêtes de l’attente, et du soleil de l’attente. Léger comme une grâce…

« Ecrire, ce n’est pas parler » c’est chanter, juste avant la mort.

Léger.

Léger.

Chanter, juste avant la mort.

Franck.

27 janvier 2007

Chaconne....

(1er mouvement) (Altos, haut bois, bassons, cors et quelques autres instruments) (Mouvement lento, forte) (Étirer les notes jusqu’à ce qu’elles cassent). (Toutes) (Les bémols sont proscrits, même s’ils sont écrits, ne pas les jouer)(Le chœur restera silencieux)(Le piano ne jouera que sur les touches noires)

 

Quelque chose se souvient. Quelque chose se souvient de la première nuit du monde. Epaisse et souveraine. La ciaconapremière nuit du monde. Une plénitude dans l’épaisseur. Grande nuit des dieux. Sans temps. Sans parole. Toute en prière. Première nuit du monde, où l’homme parlait seulement aux dieux. Où les dieux répondaient à l’homme. Et c’était un dialogue. Et c’était la première nuit du monde. Et chaque destin s’accomplissait, car il n’y avait pas d’événement, pas de quotidien, seulement des miracles ou des tragédies. Seulement de la rocaille et du vent.

 

 

 

Le laboureur levait sa face aux cieux, sa face de sillons lourds, sa face de glaise ravinée. Et le laboureur baissait les yeux. Et il s’attelait. Pour creuser sa vie. Et c’était la nuit du monde, la première, la seule, la grande. Un temps sans écriture. Seulement des signes, des marques, des stigmates. Et puis des incantations sous les étoiles. C’était le temps demains_1925p l’ordre et de l’éternelle présence. Et les ombres avaient plus de vie que la chair. Temps fixe. Brûlant sous le soleil et le regard accablé des dieux. Et c’était un temps sans écriture. Le temps des pierres, sans futur, sans passé, sans issue. Un temps habité, sans espace. Des matins, des soirs, et la tragédie du vent entre les deux.

 

 

 

(2ème mouvement) (Harpe, violoncelle, violons, piccolo, viole de gambe, timbales, triangle ou carré, guimbarde, et mirliton) (Je tiens particulièrement au mirliton)(Le chœur restera toujours silencieux)(Le piano ne jouera que sur les touches blanches… pour changer)

 

Et le jour est venu, et avec le jour, l’aube des temps. Et la lumière a palie les créations divines. Et avec le jour, l’écriture. Et avec le jour, la mémoire. Et avec le jour la peur. La peur du retour. La peur de la fin. Et avec le jour, la fin des prières. Et avec le jour, l’absence. Et avec le jour, le silence changea de couleur et de destin. Et le jour est venu avec l’aube des temps. Et l’écriture, et les voix de l’écriture, et les solitudes de l’écriture. Et les mémoires. Toutes les mémoires.

 

 

 

L’écriture porte en elle la tentation du retour, c’est pour cela qu’elle s’écrit à rebours du temps qui la dit.chaconne

Retour sur l’inaccompli.

Sur l’inaccompli des temps à venir. Sur l’inaccompli éternel. L’impossible accomplissement. L’impossible sacre.

La défaite.

 

 

 

(3ème mouvement) (Tout l’orchestre)(Respecter les silences, tous les silences et les soupirs, tous les soupirs)(Les violons devront insister sur la couleur bleue, les cuivres se chargeront du rouge)(Le chœur continuera à être silencieux, il est la voix silencieuse, et la première nuit du monde)(Le chef s’inspirera du printemps et du vol des oiseaux pour guider l’orchestre)

 

L’écriture passe son temps à se suspendre, comme si dans ses stases successives se trouvait sa vérité ultime. La Vérité. L’écriture cherche son silence, dans l’au-delà des mots. L’accomplissement du dire dans le vide. Le vide d’après.

L’écriture est solaire, mais elle se souvient de la nuit, car l’écriture c’est la mémoire. Et l’écriture est solaire, c’est pourquoi elle a affaire aux ombres, aux traces qui s’effacent, aux rêves qui rattrapent nos gestes, à ce qui respire encore dans les coins les plus perdus de nos vies.

Comme si le geste d’écrire avait besoin de s’arrêter pour s’accomplir. L’ultime appel à la vie. Et le geste se resserre. Comme la matière dans l’atome. Resserrement de l’espace de l’écriture pour lui donner la puissance du cri. Le cri. Le mot dénué de parole. Le dire pur. Le tintement de la vie dans la chair. La révélation.

Rimbaud cesse d’écrire. Cesse-t-il d’être poète ? Ou bien commence-t-il à le devenir ? Ou bien l’a-t-il toujours été ? L’accomplissement dans l’inaccompli. L’inachevable. Le précaire comme horizon infini. La peau vulnérable du poème se raidi jusqu’à la cassure, jusqu’à la faille de lumière brutale.

Ecrire c’est autre chose qu’écrire. C’est avant tout signifier le feu, et tout ce qui pourra détruire le feu, et tout ce qui art040708sera écrit.

Le feu. Le feu séparé de la chaleur. Le feu comme principe d’ascension et de disparition. Chemin de retour à la nuit. Retour à la nuit lumineuse.

 

 

 

Franck.

 

30 janvier 2007

Variations Rhétoriques.....

L’image fusionne les univers, et condense les temps. C’est un précipité. D’où cette sensation d’aspiration lorsqu’on la lit. Aspiration et carambolage. L’image c’est un accident de la langue, une catastrophe miraculeuse. Un vertige. Elle est au cœur du mystère. Puisque c’est une folie. Puisque c’est une révolte contre la raison, contre la tyrannie. Elle unit et sépare en même temps. Elle concentre et divise, rapproche et éloigne. Un feu. L’image coupe, déchire, perce, traverse, 4variaclaque comme l’éclair, enfante. Elle invente un monde nouveau. Elle est promesse et refus, et abandon.

Pourtant elle est si vulnérable, si fragile, elle ne tient que sur le fil coupant du texte, elle ne tient que par le balancier des mots. Elle ne tien à rien, en fait. Elle est en suspension dans un monde parallèle, hors de toute dimension, une femme nue couverte de voiles transparents. Hors de tout, vagabonde qui a quitté sa maison. Sans feu ni lieu. Ingénue, inconvenante, elle est devant nos yeux, invisible et présente, comme le parfum de l’amoureuse apporté par le vent. Elle surprend toujours, elle maraude, entre par effraction dans l’œil des mots effarée, elle ne laisse aucune trace, pas d’empreinte, pourtant le coup de hache est là, et bien là. Car l’image a errée, longtemps traînée, longtemps braconnée avant de lâcher son coup, avant d’ouvrir le texte en deux, en mille éclats. Elle rôdait dans nos veines, cachée dans l’ombre opaque de la langue. Et elle traverse en diagonale nos sens éteints. C’est l’humeur du sang. Et vouloir la saisir, la comprendre, la tenir est aussi vain que de vouloir retenir dans ses bras une femme tzigane. L’image est une eau débordante.

Ce qui la fait naître c’est un désarroi. L’impossibilité de signifier. C’est d’abord un échec. Les mots s’écrasent les uns sur les autres. Ils s’empilent, comme des pierres inertes, et mornes, et mortes, sur le mur plat et triste du texte. Le rêve s’enlise. La main se crispe et tremble.

Alors l’image naît du mouvement, du geste, de l’élan, c’est un pas de danse qui échappe au danseur, c’est un temps de plus dans la valse, un pas décalé, invisible et lumineux. Le clair dans l’obscur. Une vision brutale et douce comme la mort. Une île dans l’immensité. A elle seule elle veut sauver le texte qui sombre. Et la main qui fait naufrage.

smbtL’image naît du geste. Elle est conséquence et prémonition. Comme la vague qui n’est rien, mais qui est, aussi, la mer. Et qui déploie un mouvement qui la dépasse. La vague, même la plus insignifiante, sait l’océan. Et c’est cette insignifiance suprême qui nous fascine. Et c’est ce savoir fatal qui nous trouble.

L’image est d’un autre temps que le texte, d’une autre dimension. Et dans sa trajectoire enveloppante elle cherche un Autre, un pays, un rivage. Elle est de la saison suivante. En coupant le texte dans le gras, dans l’immobile, elle cherche une autre continuité qui devance, outrepasse, submerge, le texte qui croit l’accueillir. Car l’image connaît les lieux, parce qu’elle les visite la nuit, durant notre absence. Elle porte déjà le texte bien avant sa présence, elle sait des espaces interdits que l’écriture ne connaît pas. Elle est ignorante des lois. Et ne vaut que par l’élan silencieux qu’elle dépose entre les mots, et à la suture qu’elle laisse sur l’iris.

Alors l’écriture peut continuer à déployer sa lente spirale. Car l’écriture se refuse à commencer. Ecrire c’est continuer. Une façon de tendre vers l’infini. Ecrire c’est continuer, c’est partir et s’éloigner du centre ignoré. Et l’image danse et plie nos paroles, même s’il y a du meurtre en elle, même si elle sauve et tue le texte, même si elle l’affirme et le dénie dans le même souffle.

Elle reste le regard de l’éphémère sur la face de l’éternité.

L’œil qui la fixe, et qui la fait brûler.

Franck

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