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J'irai marcher par-delà les nuages
29 avril 2007

L'Américaine......

« Tu me fais chier ! » « Georges, arrête !…. Pas devant le petit ! » « Si je te dis que tu me fais chier, c’est que tu me fais chier !.... » Georges, c’est mon grand-père, le cuisinier. C’est les vacances et je traîne mon ennui dans la cuisine de l’auberge. Il s’engueule encore avec Claire, ma grand-mère. «  Et puis d’abord, vous me faites tous chier… ! ». Dans ces cas là, il avait sa tête de bouledogue. Il en voulait à la terre entière. Et à Claire en particulier. Ils s’aimaient dans cette violence, dans ces colères, dans ces excès. Inséparables, dans le fond, perpétuellement en guerre, dans la forme.

Ils sont dans la cuisine, chacun de son coté. Car il y avait deux cotés dans cet antre. La pièce était divisée en deux dans sa longueur par une très longue table surmontée dans son centre par une desserte. Il y avait donc le coté de Georges avec derrière lui, les fourneaux, et le coté de Claire. Chacun travaillant sa partie. Claire faisait toutes les entrées et les hors d’œuvres, Georges tout ce qui était chaud. Et ça tournait comme ça depuis des années.

 

 

 

Claire restait assise à cause de l’arthrose qui lui tordait les articulations, des hanches et des genoux. Pour les aider il y avait José, le réfugié espagnol, grand, maigre, légèrement voûté, une face de hache tourmenté. José, l’hidalgo taciturne. Et puis il y avait Mickey, maigre, aussi petit que José était grand. Mickey, l’ancien coureur cycliste belge que son vélo avait conduit dans les talus de la vie, dans les ornières, dans les culs-de-sac, petit, avec une tête de gargouille hilare. José et Mickey, deux âmes errantes, cabossées, vouant un respect démesuré à George et à Claire.

 

 

 

Pour moi, cette cuisine était un lieu de mystère, de profusion, de cris parfois, de larmes aussi. Elle se situait entre l’enfer et le paradis, entre la chaleur des fourneaux et le froid des grands frigos. Entre silences et insultes et vacarmes. Lieu de passions et de vie, et de brutalité, et de magie. Lieu des odeurs, des cruautés quand les hachoirs s’abattaient sur des cous de lapins, ou sur les entrailles des volailles. Flammes, bruits de casseroles, de marmites, crépitements, portes qui claquent. Lieu des gestes d’enchanteurs, des gestes de thaumaturges, des gestes amples et précis à la fois. Lieu des gestes dangereux, obscurs, les mains fouillant les viscères, les couteaux tranchant les chairs. On connaissait l’heure du jour à sa chaleur, à son odeur, on connaissait les saisons à sa lumière, aux bruits qu’elle rendait. Elle sonnait comme un orchestre.

 

 

 

C’était le matin, avant le service. Il étaient tous les deux, chacun à sa table, elle, assise lui debout. Face à face. « Georges, tu pourrais faire un effort, ça fait combien de temps que tu en a pas fais ?.... » « Et puis, j’en ferais plus… ils ont qu’à manger de la merde !...» « Georges, le petit !... » Alors il s’est tourné vers moi, et sa face de Chéribibi hirsute et colérique c’est transformée en une boule de chair tendre et souriante, et il m’a souri, en faisant un clin d’oeil. C’était un magicien.

« Non, je ne la ferai pas… ! » « Tu peux bien faire un effort, bon dieu ! » « Fous-moi la paix avec ton bon dieu… ! Pas dans ma cuisine !...» « Si tu la fais pas, c’est que t’as peur de la rater… voilà, t’as peur…! » « Peur ?...moi ?...mais tu t’es vu ?... Ma pauvre vieille… !» Il était écarlate, les yeux exorbités. Georges, était une force de la nature, rien n’aurait pu lui résister. Ses colères étaient monstrueuses. Heureusement elles s’apaisaient aussi vite qu’elles arrivaient. Des ouragans exotiques.

Entre Claire et lui, il y avait de la complicité, de la haine, mais de l’amour aussi. De la violence, mais de la pudeur aussi. Claire était une femme forte. Assise, mais forte. A l’intelligence pétillante, à la répartie cinglante. Elle savait où l’atteindre. « Tu as peur ! » Elle le regardait en coin, faisant semblant de s’affairer sur les hors d’œuvres du jour. A la dernière engueulade elle avait reçu un morceau de foie de poulet sur ses lunettes. Ce foie, cru, sanguinolent, brusquement collé sur les lunettes de Claire, les avait fait éclater de rire. Et la colère était partie. Il s’était senti honteux.

 

 

 

Et puis le lendemain quelque a changé dans la cuisine, elle ne rendait pas le même son que d’habitude. Il y avait une sorte d’agitation. Une tension. José traversait la cour au pas de course pour aller cherche du charbon. Beaucoup de charbon. Mickey transportait tout un tas de cageots remplis de tomate, d’ail. Une agitation silencieuse. Appliquée. Studieuse. Minutieuse. Précise. Un ballet longtemps répété.

Claire avait un petit sourire en coin. « Ca y est… il s’y met…. » «  A quoi, mamie ? » «  A l’Américaine… »

 

 

 

Dans la famille ce seul nom résonnait comme un mantra. Un mot magique. La sauce Américaine. Le chef d’œuvre de Georges.

Georges était saucier. Saucier ça sonne comme sorcier. Et Georges était un sorcier mélancolique et colérique. Il n’aimait pas ses contemporains. Il avait connu les violences dès l’enfance. A dix sept ans il s’était engagé dans la marine comme mousse. Alors le tour du monde. Et c’est là qu’il a rencontré la cuisine, les fourneaux. Un hasard. Après la marine, la galère. Les javas, les débauches, les bagarres. Le chef saucier du George V l’a pris en sympathie. « Faire la cuisine c’est aimer, mais la sauce… c’est plus qu’aimer. D’abord il faut être humble, ensuite il faut la rêver ta sauce… une sauce c’est d’abord un rêve… après elle devient un voyage. » Le vieux chef avait une vraie tendresse pour ce jeune marin déluré. « D’abord il faudra que tu apprennes le feu. Et le feu c’est l’enfer, et l’enfer c’est la vie…tu devras apprendre la chaleur qui est l’âme du feu, et ton corps sera le feu, et tes yeux seront le feu… pour faire une sauce, petit, il faudra que tu apprennes à te taire, à fermer ta grande gueule, il faudra que tu la veuilles cette sauce…que tu t’y soumettes, à la sauce, il faudra que ton âme soit forte, et ton geste pur. » Le vieux chef était dur avec Georges. Il l’aimait bien, alors il était dur. « On ne cuisine pas avec des livres, on cuisine avec de la bonté, et de la grandeur d’âme… on donne, on s’étripe, on s’éventre…je t’apprendrais les gestes. Le geste, petit, c’est l’élan de ton amour, c’est la forme de ton destin. Saucier, c’est aller droit au paradis. Oui, petit, droit au paradis… » Le vieux chef était un mystique, et Georges aimait ça, ces paroles qu’il ne comprenait pas encore. Alors il travaillait comme un forcené. Georges appris la discipline. Il arrêta les bagarres. Il apprenait les sauces avec un sorcier. Il apprenait la patience. Il apprenait le désir. Il apprenait à vivre. Il apprenait le feu.

A la fin le vieux chef lui donna ses secrets, ses tours de mains et, cadeau suprême : l’Américaine. « Tu feras fortune avec elle… »

Et George est devenu cuisinier, il n’a pas fait fortune, mais il aurait pu. Un bon cuisinier qui s’ennuyait, et qui ne pouvait pas faire la cuisine qu’il souhaitait faire. L’auberge du Vieux Moulin fut sa dernière création. L’auberge où j’ai grandit. Une auberge perdue dans la campagne.

 

 

 

Dans la cuisine la tension montait. Combien seraient-ils dimanche ? Deux cent ? Trois cent ? Il en fallait de la sauce. Des kilos et des kilos d’étrilles, des kilos et les kilos de tomates, des épices, des bols entiers de gousses d’ail, des kilos et des kilos de beurre. José et Mickey s’éreintaient à dépiauter les carcasses brûlantes des grands crustacés. C’était le début. Les immenses marmites étaient prêtes. Et la température montait. Les fours au charbon ronflaient. Le piano. A droite le plus chaud, à gauche le plus doux. Entre les deux un dégradé de température. Josée veillait. C’était lui le responsable de l’entretient des feux. Un honneur. Georges criait : « Charbone ! charbone ! » et José : « Ca foume la camina ! » et il courrait chercher du charbon.

Les tomates réduisaient avec lenteur, avec patience. Elles transpiraient leurs saveurs, par usure, et par consentement. Deux jours, deux jours. Georges surveillait. Même la nuit, les marmites restaient sur les feux doux du piano. Georges trempait son doigt dans des substances brûlantes. Goûtait. Reniflait. Secouait. Et la cuisine devenait une forge, les casseroles cognaient, les plats fumaient. Et peu à peu l’odeur envahissait l’auberge. Les gens parlaient à voix basses. Il ne fallait surtout venir le déranger.

Georges ne parlait à personne, il tisonnait. Et quand il flamba les étrilles ce fût l’embrasement, comme un volcan. Les flammes l’entouraient, il en en avait plein les mains, et les bras, du feu. Il remuait, il secouait ces immenses marmites en flammes. Il était à son aise, là. Dieu ou Satan, peu importe, il était magnifique. Un taureau dans les forges de l’enfer. Ah, je l’ai aimé ce grand-père !

Plus tard il me dira « L’américaine c’est facile…d’abord tu cherches la consistance… après la couleur… enfin l’odeur… » « Oui, mais il y a bien autre chose…y’a bien un truc… » Il me regardait avec un regard plein de malices et dans un rire « … non, y’a pas de truc… » et on parlait d’autre chose.

Une autre fois. « Le truc, le fameux truc, c’est que tu marches sur un fil, et tu dois garder l’équilibre. Il faut savoir où tu vas, sinon tu te casses la gueule. Il faut tout équilibrer, le feu, les épices, les piments…. Et puis du temps, beaucoup de temps, du temps en équilibre…. Et beaucoup d’ail…et quand tu vois les yeux des graisses remonter à la surface tu sais que tu es sur la bonne voie…leurs formes, leurs couleurs… c’est les yeux de la sauce… ils te regardent, et tu ne dois pas te laisser impressionner. Ils te parlent et toi, tu dois écouter.» 

 

 

 

Cette sauce lui ressemblait, haute en couleurs, épicée juste ce qu’il fallait, rouge, ocre, carmin, comme du sang. Un feu. Un soleil sur le point de naître. Elle alliait la colère et la tendresse. Le muscle et la chair. Puissante comme un orage, elle sentait le pacifique, avec une pointe de mer rouge, elle embrasait la bouche, la gorge, la poitrine, elle ravageait toutes les pensées, effaçait toutes les peines, elle avait au cœur de sa cuisson quelque chose de sacré et de miraculeux qu’elle rendait au centuple. Les plus frustres se découvraient une âme pure lorsque l’assiette arrivait. Il y avait quelque chose de religieux dans l’harmonie sauvage qu’elle provoquait dans le corps. Ce n’était pas une sauce, c’était un poème, un cantique, une révolution. Des grains d’or plein les papilles, plein la bouche, plein la gueule. Elle ne se dégustait pas le petit doigt en l’air, elle se mangeait comme on aime. Sans réserve. Sans retenue. Je n’ai rencontré personne qui ne s’est pas soumis à sa tyrannie douce et vigoureuse. Invincible. Il y a des plats qui ne sont pas fait par les hommes, les anges s’en mêlent, la recette de ces mixtures n’est inscrite nulle part, hormis dans le cœur de certains magiciens, et peut-être aux cieux. Mais cela n’est pas sûr. Cette sauce atteignait un au-delà incompréhensible. Il suffisait de l’avoir en bouche pour qu’elle vous bouleverse. Et ce n’est pas un excès de langage, j’en ai vu certains, faire des centaines de kilomètres, uniquement pour elle. Elle arrivait, et c’était un opéra, elle en avait la violence et la profondeur. C’était un chant. Rien que son odeur ouvrait en deux nos poumons, brisait nos certitudes, désarmait nos pouvoirs. Le plus arrogant des hommes devenait le plus simple des humains. Elle déployait, comme un arc-en-ciel qui reliait tous les sens. Océan de goûts et de saveurs. Pluie de bonheur, de sensualité. Elle appelait l’ivresse et le désir. Le désir assouvi, une satiété qui montait comme une marée de plaisir. Généreuse. Opulente. Majestueuse.

 

 

 

Et puis se fut dimanche. Trois cent vingt couverts. Il y en avait partout dans les salles, sous les pergolas, dans la cour. En cuisine Georges se préparait à la messe, à la grande bouffe. Il y avait un long soupirail au bout de la cuisine, lequel donnait sur le parking. Quand Georges entendait les clients arriver, il criait « Fumiers !... Fumiers !... » « Georges, il vont t’entendre ! » « J’espère bien qu’il vont m’entendre tous ces fumiers de lapins…Fumier ! »

Ils venaient de Limoges, d’Angoulême, de Périgueux, de Brive. Le même menu pour tout le monde. Quatre entrées, une volaille, la lotte à l’américaine, la salade, les fromages, les tartes les glaces. Mais il venait surtout pour l’Américaine.

 

 

 

Je l’ai retrouvé assis sur le petit muret derrière la cuisine. Assis. Calme. Le service était fini pour lui. Il soufflait. Il fumait tranquillement une celtique. Dick, son chien, était couché à ses pieds. Au loin on entendait les rumeurs du repas qui se terminait. Les rires, des ventres repus.

« Qu’est-ce que tu fais gringeole !... » Il avait toujours des noms particuliers pour chacun d’entre nous, où il mélangeait le patois, l’argot et des mots de son cru. « Tu as fini, pépé ?... » « Oui… » Et après un long silence. « Elle était encore meilleure que la dernière fois… »

 

 

 

Je crois qu’il était déjà ailleurs. Georges avait ses univers, ses landes pour s’évader. Il avait des rêves. Des tours du monde dans la tête. Des magies dans les yeux.

 

 

 

Je me suis assis à coté de lui. Il m’a tendu son paquet de cigarettes. Du haut de neuf ans je ne me suis pas dégonflé. C’est lui qui l’a allumé. Les celtiques étaient fortes. A chaque fois que je toussais, il riait. J’aimais bien quand il riait, Georges.

 

 

 

A bien y réfléchir, je crois bien que c’est lui qui m’a donné le goût de la poésie. Lui, qui ne lisait jamais. Lui qui ne savait rien hormis le feu, les couleurs, les odeurs. Il avait des rêves, c’est pour cela, qu’il pouvait traverser les flammes, c’est ça aussi la poésie. Il avait des soleils dans les yeux.

 

 

 

Il s’est levé. « Aller ! la natchave, maintenant… ils me font tous chiez, ici… tu viens ? ». Cote à cote sur le chemin de pierre, on devait donner une drôle d’impression, il était aussi corpulent que j’étais chétif. Et je toussais. Et ça le faisait rire. « Non de dieu !...encore meilleure que la dernière fois… ! » Et il lâcha un pet monumental. « Tiens, celui-ci aussi était réussit… »

Franck.

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6 mai 2007

Je voudrais....je voudrai....

Dans la rue, je me retourne parfois. Je voudrais la savoir là. Je voudrais la savoir si proche de mon ombre pour éclairer ma route. Je voudrais sentir son souffle sur la peau de mes jours.

 

Je voudrais loger tout entier dans le coquillage de son silence.

Je voudrais qu’elle caresse chacune de mes phrases pour les redresser, leur donner un élan neuf.

Je voudrais qu’elle baise chacun de mes mots pour leur donner assez de force et de couleur et d’espérance.

 

Mais je voudrais aussi, qu’elle pose sa main sur ma main pour ajouter la chair à la chair, pour inventer la chaleur, pour enfanter l’ultime secours.

Je voudrais être chemin pour soutenir son pas, être horizon pour reposer son regard.

Et je me ferais voyage pour peupler sa mémoire.

 

Mais je voudrais aussi, être prière pour que sa bouche me dise, être fruit pour que ses dents me déchirent, être hostie pour que ses lèvres me touchent. Chant, oh oui, chant, pour être dans sa voix.

 

 

J’inventerais la mer pour emporter mes rides.

 

J’inventerais l’éternité pour effacer mes ans.

 

Je me retourne parfois…

Je me retourne parfois….

Franck

8 janvier 2017

Pesanteur et grâce... (sérénade)

Dissonance. Souvent, trop souvent la lumière du jour m’écorche en frottant ma peau. Mes gestes sont noués. Ils manquent d'élan, de souplesse, comme noués ou pris dans l'étau d'une drôle de fatalité. Pour avoir accès au geste léger, il faudrait se quitter. Mais il y a une épaisseur invincible. La profondeur d'une ombre collante, grasse, visqueuse.
Je cherche le mouvement. Celui de l'arbre. Floraison de puissance calme. Je ne suis qu'une racine noyée de terre.
Je cherche le mouvement. L'allègement d'un élan pur. Net. Clair. Chantant. Vaincre le paradoxe, car il faut s'absenter de soi pour être présent. Là. Tout entier fait d'accueil et de don. Juste là, posé sur le fil, léger, dansant. Mon geste est pris dans la rigueur d'une saison perdue. Mon mouvement à froid. Pris dans la glace du silence, d’une parole empêchée. Parole de terre noire, austère, glaciale. Impossible germination. Essor vaincu. Défait. Grouillance obscure.
Fermentation acide d'une parole stagnante. Une vase filandreuse, puante. Mon geste est dans l'enfouissement, dans la consistance de son retrait, de son en deçà. Comme si le corps ne portait plus la parole, avec la sensation d'une chute lourde, sans grâce, l’impression d'une déchéance, une déliquescence qui n'en finit pas.

Elle s'appelait Fleur. Quelques étoiles nous ont rassemblés, l'espace d'un passage de comète. L'espace d'une sonate ou d’une sérénade. Elle avançait dans la vie avec un grand regard effarée. Un visage de lune inquiète, d'une beauté fragile, de ces beautés que l'on n'ose déranger. Comme si elle nous venait d'un autre monde, d'un autre mystère. Grande, mince, des gestes lents et gracieux, toujours à la recherche d'une harmonie secrète, d'une perfection étrange. Grande, mince toujours vêtue de noir, ce qui faisait ressortir la blancheur de sa peau, et la lumière de ses yeux étonnés. Quand elle posait sa main sur mon bras, j'avais l'impression d'une chaleur diffuse, d'un frisson soyeux comme si un moineau au cœur battant était là, à portée de souffle. Délicate élégance de l'âme incarnée. Noce de la pudeur, de la grâce, de l'émotion, du désir désarmé de ses violences.
Elle habitait la rue du Mont Cenis dans une petite chambre cachée sous les combles où elle récitait ses rôles. Comédienne. Jeune comédienne, qui cherchait son souffle dans le verbe, qui cherchait son corps dans des morceaux de paroles, qui habillait la vie de mots, de poésie, raccommodant chaque jour la dissonance des heures avec son violon. Surtout cette sérénade de Schubert. Fleur, c'était son nom, j’aimais prononcer son nom : Fleur, Fleur, un ornement sacré de la voix. Ce qui touchait en premier c'était sa légèreté, puis juste derrière, son inquiétude, une sorte de désarroi sans lourdeur, comme si elle était perdue, ici, sur une terre incompréhensible. Seulement perdue. Je ne lui ai jamais connu de tristesse, elle marchait sur son fil, elle dansait sur son fil ; le soir elle sortait son violon pour jouer Schubert ou Vivaldi.
Il faut imaginer la scène : la petite chambre, la pénombre d'un soir d'été, par le velux ouvert une sereine fraîcheur, sur le bord de son petit bureau une bougie allumée, et elle, droite, simplement vêtue d'une chemise rouge sombre, une chemise d'homme qu'elle portait déboutonnée, les manches relevées, avec ses longs cheveux noirs défaits. Elle inclinait doucement la tête, glissait l'instrument au creux de son épaule, posait sa joue sur le bois brillant du violon, comme pour un baiser, comme pour une tendresse, comme elle aurait fait sur la peau d'un amour. L'étroitesse de la pièce la rendait encore plus grande, encore plus droite. Pénombre grandissante dans cette lumière orangée, ensanglantée du rouge de sa chemise ouverte. Et son corps nu. Blancheur palie. Droite sortie directement d'un mystère, d'une légende. Sorti d'un rêve. Elle posait avec lenteur l'archet sur les cordes, alors la chambre était envahie d'ombres dansantes. Instants singuliers. Fleur jouait Schubert, presque nue, presque immortelle. Et le jour fléchissait encore, comme pour rendre grâce, ou pour la protéger un peu plus, et le violon appelait une à une chaque étoile. Fleur appelait la nuit, la nuit des premiers temps, la nuit prodigieuse, saisissante des premiers temps. Et la nuit lui répondait. Et la nudité de son corps s'estompait peu à peu emportée par chaque note. Alors Fleur appartenait à la nuit, la flamme vacillante dansait, cherchant l'accord avec les sons du violon. Nuit ruisselante de chaleur musicale, d'émotion traversée, feuilletée note à note, comme si à cet endroit du monde, dans ce temps précis, une source naissait, répandant son eau lustrale, comme si un trou de lumière perçait le néant. Fleur savait remettre en ordre le monde, elle harmonisait ici, ce que d'autres défaisaient plus loin. Car Fleur n'avait pas de lassitude, le mouvement de son geste sortait de son long corps nu, comme la houle nous arrive l'été, de ces grands champs de blé brassés par une brise amoureuse. Elle inventait le geste pur, elle inventait la nuit, elle inventait l'impossible temps de la présence révélée.
Il y a dans le jeu de l'ombre et de la musique un accord particulier, comme si du vivant cherchait du vivant, comme si nos égarements trouvaient enfin leur issue. L'amour se dresse dans l'ombre, dans les alvéoles d’or que sèment les notes d'une sérénade de Schubert à l'approche de la nuit.

Fleur a posé son violon. Fleur s'est allongée sur le lit, j'ai simplement placé mes mains sur son ventre, j'ai simplement baisé ses seins, j'ai simplement goutté sur ses lèvres la saveur de la nuit, j'ai simplement caressé le long silence qui recouvrait son corps, j'ai simplement enfoui ma figure dans sa chevelure, j'ai simplement entendu son cœur battre, j'ai simplement senti dans mon cou son souffle mêlé de notes insolites...

Fleur parcourait la vie avec l'élégance rare des funambules. La pièce qu'elle répétait l'accaparait beaucoup. « La valse des hasards », elle y jouait une morte si vivante, en prise avec un ange si facétieux. Jouer, pour elle, c'était d'abord se battre avec son corps, c'était trouver le geste, le mouvement. Chercher dans le mot, sa chair, le mouvement juste, celui qui fait tinter le ciel. Jouer c'était surtout chercher la voix, celle qui va dire le corps, c'était chercher le souffle qui porterait le geste.

Fleur s'épuisait dans cette descente joyeuse dans l’abîme des mots. Jouer c'était devenir un arbre dans sa croissance, dans ses fruits à venir, dans ses craquements, dans son élancement solitaire, son bruissement généreux. Jouer c'était aussi arracher le trop-plein, évider le surplus, sabrer dans la chair des faiblesses, tarauder les peurs, les entraves. Jouer c'était accepter de vivre dans le pli du texte, à la jointure du vide laissé par un rêve effondré sur lui-même.
Chaque jour Fleur partait au plus loin d'elle, elle quittait tout, laissant tout ouvert. Quelle exaltation dans cette perte ! Il y avait du ravissement, de la jouissance, dans cet abandon. Chaque jour elle partait sur son fil tendu au-dessus des gouffres d'insignifiance. D'un pas de danse. Ivresse du vertige. Chaque jour elle accordait un peu plus sa chair à la chair du texte, chaque jour elle inventait le geste qui devrait naître plus tard. Chaque jour elle inventait l'enfance, la présence pure, innocente, avec cet arbre qui la traversait.          

Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Le mouvement de Fleur lorsqu'elle jouait Schubert nue, dans l'ombre envahissante d'une nuit d'été.

Ce matin j'ai reçu un texto de Fleur : « Cher Franck ! J'ai pensé fort à toi, hier. Alors il n'est pas trop tard pour te souhaiter une heureuse et tendre année. J'espère que les fenêtres de ton âme
vont s'ouvrir pour mieux te sourire et guider tes pas vers le chemin de la quiétude et de la félicité. Fleur.»

Fleur, si tu savais comme je suis loin de cette quiétude, si tu savais combien Schubert me manque. Si tu savais mon écrasement à chaque texte, l'harassement qui s'en suit. Si tu savais comme chacun de tes gestes peuple encore ma mémoire, si tu savais ma maladresse sur le fil tendu, ma marche toujours hésitante, cette vie qui s'effrite, et cet arbre mort qui me troue les entrailles.

L'amour échappait à nos mots. Seuls quelques gestes l'éclairaient. Il nous fallait cette ignorance de nous-mêmes. Comme si les paroles pouvaient chasser sa présence ; l'effrayer. Il fallait n'en rien dire, de l’amour. Seulement délimiter un espace inattaquable. Peut-être pour nous préserver de l'incommensurable banalité des jours.  Entretenir l'incroyable. Comme au début lorsque je la voyais traverser du petit studio, et que j'avais cette sensation que le réel tremblait, que j'étais entre deux réalités. Et que de la voir, elle, me demandait d'ajuster mon regard à ce qui le débordait. Une sensation électrique. Fugace. Infiniment troublante.
Et parfois nos visages se rapprochaient. Nous fermions les yeux. Presque à se toucher. Sans se toucher. Sentir la seule présence. Proche. Avec le souffle, la respiration. Parfois elle passait sa main sur mon visage, comme une aveugle qui découvre un inconnu. Doigts légers. Dire l'amour dans ce silence aveugle. Éteindre tous les sens pour concentrer l'unique présence dans cette caresse. Ouvrir les yeux nous aurait annulés, effacés, anéantis.

Alors nous restions dans la pénombre de nos vies, à caresser les galets du temps. Pierres lisses. Ombres aiguës. Temps sans mesure. Temps de houle où les vagues se balancent de vague en vague, portées simplement par le mouvement mystérieux qui les enlace.
Elle brodait des caresses sur la dentelle de nos songes silencieux. Et nous étions dans l'ignorance sensuelle d'une distance impraticable. Proche, sans se toucher, à la portée d'un désir inavouable. Armés seulement de nos tremblements, pour survivre. Moi, l'Œdipe accomplissant le rêve d'Antigone. Aveugle errant, comme la métaphore d'une humanité.

L'amour bredouille des litanies incompréhensibles, faites du frottement de la parole sur la peau d'un sein, de la coupure des mots à l'endroit du mensonge.

Nous aimons à travers nos blessures, c'est pour cela que les amants échangent leurs sangs, c'est pour cela que l'amour échappe aux mots. L'amour naît toujours de nuit, dans le silence, le dénuement d'une saison morte ou perdue. De nuit. Toujours de nuit. Et nous aimons toujours au travers d'un souvenir ancien. Et nous aimons toujours comme si nous voulions le retrouver. Comme s'il fallait le retrouver. Et l'oubli nous menace et embrase nos peurs dans l'urgence de renouer avec le sacrifice premier, qui nous révélerait, nous détruisant en même temps.
La première nuit.
Aimer c'est tenter de la rejoindre, dans l'ignorance de nous-mêmes. Tenter à nouveau de remonter le fleuve de nos générations.

Car nos corps démentaient nos silences. Car nos corps déniaient nos souffrances.

Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Ce tintement des cieux. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Juste un violon. Et la danse. Traverser la lumière en son point de tremblement. Un mouvement qui partirait à sa propre rencontre, qui se délivrerait, qui se dénuderait, qui s'inventerait au moment de se faire.

Recommencer. Recommencer. Pour ne pas mourir. Ou pour mourir plus vite. Épuiser la langueur, fille de nos peurs. Recommencer à aimer. Encore une fois. La dernière. La seule.
Et l'amour se dérobait à nos regards. Comme à nos mots. Comme à nos vies.
Simples. Ignorants. Infiniment tremblants.

Franck

17 février 2019

Lettre N° 201 - Sur le bord de l'écume…

Mon Amour,

À nouveau je t’écris, comme ces bouteilles qu’on jette à la mer.
La mer. Tu es sur ton île. Je sais que tu es à ton œuvre, et que cette œuvre signe notre séparation. Tout en moi résiste, refuse. Tout en moi se dresse contre cet inévitable.
T’ai-je déjà parlé de mes eaux. De ces eaux qui m’habitent en silence. Lecture, traduction élémentale des émotions qui me traversent: ruisseau, torrent, rivière, fleuve, lac, marais inquiétant, mer, océan.
Nous accrochons nos rêveries, à des choses simples, comme si le terreau de notre imaginaire ne pouvait venir que l’archaïsme de l’espèce et de son contact avec les éléments.
……………………………
……………………………

Toujours revenir sur le mouvement des marées, sur cette eau qui m'habite. Sur l'océan qui s'agite sous ma peau, dans mon ventre, dans mes veines. Océan obscur et lancinant. Mes étendues sont sans fin. Comme l'errance. Et l'impossibilité de l'île, de l'oasis, d'une pose. D'un soupir. L'impossibilité du soulagement. Enfermé dans l'ouvert. C'est sans doute cela la béance. Cet inconnaissable qui gît en nous. Cet immense trop large, trop vide. Cette masse flottante qui fait de moi un continent à la dérive. Et chaque vague qui propose son désordre nouveau insupportable, invivable et pourtant vécu, dix fois, cent fois, mille fois vécu. Un naufrage sans noyade. Avec la mort en suspens. Lisse. Interminable. Avec le scintillement des abîmes au grand large de l'existence.
Toujours revenir sur le mouvement des marées, comme une mémoire qui gonfle et qui déferle avec la précision de l'orfèvre qui taillerait l'endroit impur de la pierre, qui l'userait au point de la faute, du manque.
Toujours ces vagues lentes qui ramènent sur mes épaves, mes carcasses éventrées, tous ces restes d'engloutissements. Il y a de sombres charniers dans cette eau abandonnée à son propre mouvement. Il y a la remontée des fonds marins et des algues géantes pour brasser chaque souvenir.
L'écriture s'éloigne comme un radeau à la dérive, comme un tronc de mort flottante gorgée de sel et de désespoir, saturé de vagabondage. Un tronc qui n'a plus rien de l'arbre qu'il fut. Certaines écorces nous racontent leurs histoires, mais là, que dire ? Sinon le balancement, le tangage. L'absence. Dérive. L'infini dérive. Certains grands troncs ne se souviennent plus de la terre, de sa texture grasse et lourde, du fourmillement, de l'humus, ils sont vidés de leur sève, vidés de leur temps. Longue baleine inerte. Raidie. Squelette paralysé, pétrifié. Où chaque mot devient cassant, friable. Seulement le mouvement. L'oscillation de la langue. Paroles inconstantes. Incertaines. Rares. Désertées. Simplement les remous, le grouillement des restes d'écumes, comme les dernières convulsions.
Écriture submergée. Suffocation. Parole engloutie. Défaite de ses propres mots. Démantelée. Démunie. Misérable et vaine. Les eaux des mots s'affaissent, fléchissent encore un peu. Si peu. Les mots s'enroulent dans leurs formes. Des mots déshabillés, dépossédés de leurs vertus réparatrices, de leur force printanière. L'incantation devient longue litanie, dénombrement des heures, inventaire sordide et interminable de la houle. De cette houle qui roule sur l'ombre, qui l'enveloppe comme une louve attentive et sauvage. Sans impatience, mais avec cette constance exténuante. Alors il ne reste que le mouvement, le bercement d'une mémoire infirme, estropiée, amputée. Dont les visages s'effacent, filigranes qui s'insinuent entre la ligne de vie et la ligne de cœur. Ligne de mort dans cette mémoire sans fin. Marée de l'intérieur des chairs. Souffle des eaux qui montent vers un destin qui les achèvera. Lent fracas mouvant. Lente tension vouée à son propre reflux. Puissance du démembrement.
Les eaux se dévoilent dans leur montée, dans ce déploiement, dans cette insistance.
Les eaux se dénudent et se recomposent, elles dépassent l'impossible frontière des rivages. Ces eaux sont grosses, car elles enfantent des hasards ou quelques sortilèges. Au cœur des nuits, les eaux qui montent, enfantent des silences monstrueux, les eaux qui montent décrochent l'horizon de nos yeux effarés, elles se bousculent, s'enlacent elles-mêmes, se brassent dans leurs bouillonnements, se gonflent de leurs propres mythes. Il faut les entendre souffler comme des dragons froids, imperturbables, inébranlables dans l'indifférence de notre écrasement. Il faut entendre ses marées, en nous, qui montent inexorablement, comme pour faire déborder notre vie. Hors de tout secours.
Il y a dans ces marées profondes un sombre vouloir farouche, méprisant, carnassier.
Il y a dans le mouvement des eaux l'étrange prémonition de l'anéantissement.
Il y a dans mes eaux qui montent tant de digues rompues, tant de rêves perdus, tant de lumières blessées, il y a tant de tout ce qui brise, lamine, accable. Tant de dérisoire, d'insignifiance, d'inconsistance. Tant de silence. Tant de solitude grave. Tant de gestes inaboutis, égarés. Tant de baisers tombés dans l'espace vide des incompréhensions, tant de caresses inachevées, tant d'amours sacrifiées. Tant de sang. Et tant de peurs.

Mais il y a un point de ma vague qui échappe à l'océan et c'est une joie trouble que d'aller l'arracher à mes dernières écumes. Il y a dans mes eaux qui montent encore assez de déraison, encore assez de flamboiement, encore assez de tentation pour les soleils orange, encore assez d'orgues ruisselantes, assez de lunes pâles pour ramener mon corps d'arbre vaincu aux rivages des vivants.
Il flotte au bout de mes marées l'éclat d'une chandelle farouche et fière, la part indomptée de mon cheval d'orgueil, le galop sourd d'une horde primitive. Et dans l'infime qui se survit assez de nuance pour repeindre un ciel entier, et dans mes dernières écumes l'offrande et l'abandon et le saisissement.
Il y a dans mes eaux qui montent l'instinct de la prière et du renoncement, et dans l'ultime vague la lueur si fragile de la miséricorde. Cette empreinte brillante, fugitive et murmurante qui lie les eaux aux cieux. Comme ces étoiles filantes qui naissent des marées.

Franck.

10 avril 2005

Des pétales de roses

Quand j’y repense la première image qui monte c’est la petite chambre mal éclairée. Une lumière pâle, un peu jaune, parce que les volets sont fermés. Sur le lit il y a un grand drap blanc qui descend jusqu’au sol. On dirait un navire. Dans mon souvenir, ce lit est immense et la chambre minuscule. Dehors c’est l’hiver. Un hiver froid. Il gèle. Il ne neige pas. Il gèle. Dans la chambre aussi il fait froid. On a coupé le chauffage. Je suis assis au pied du lit sur une chaise. Quand je rentre dans la chambre je m’assois. Toujours sur la même chaise. Je n’y reste jamais très longtemps. Parce qu’il fait froid dans cette chambre. Je suis assis et je regarde droit devant moi le lit-navire-blanc. Je n’ai plus que ça à faire, me rassembler dans un regard perdu. Quand je rentre dans la chambre je m’assois et je pose ma main sur le drap blanc. En fait, je ne pose que le bout des doigts. Le silence est rigide, fragile comme une pellicule de givre posée sur l’océan. Tout est silence maintenant. Et je sais que tout sera silence jusqu’à la fin des temps. Sur le lit sont posés des pétales de roses. Je revois très bien cette couleur de sang noir des roses jetées sur le blanc du drap. Un jour, en dérivant dans une lecture fastidieuse quelques mots m’ont sautés au ventre, c’est Perceval. A la fin du livre il vient de blesser une oie avec sa flèche. L’oie blessée s’est enfuie. Dans le livre il fait froid aussi, et la neige habite toutes les lignes, toute la parole, l’écriture brusquement blanchie à son tour. C’est Perceval qui tombe en suspend devant trois goûtes de sang sur le blanc de la neige. Et brusquement le livre se paralyse. Perceval est dans l’égarement de sa raison, dans l’effarement de ces trois taches de sang, et tout s’arrête, il n’y a plus d’aventures, plus de Graal, plus rien que ces trois goûtes de sang dans le blanc de la neige. Perceval oublie tout, il est dans une fascination absolue, le monde est effacé, et toute son âme lui revient en mémoire ; cette belle jeune fille, et cette mère qui tremble d’avoir enfanté un garçon si turbulent. Il ne bouge plus. Il n’entend plus. Il est dans la traversé de sa chair. Dans la chambre il faisait froid et il y avait tous ces pétales rouges sur le drap blanc, et la vie dans mes veines s’est rétrécie, tout semblait s’être figé en cristaux transparents, coupant, prêts à se briser, même ma mémoire s’est durcie. Même le temps s’est durci. Il fait encore si froid ce matin quand j’y repense. Le drap ne faisait aucun pli, chaque pliure a été cent fois repassée. Elle, elle est là, au milieu des roses. Allongée au milieu des roses. Prise dans le froid des heures. Elle ne parle plus. Quand on est allongé au milieu des roses on ne parle plus jamais. C’est un truc qu’il faut savoir. Le drap la couvrait jusqu'à la taille, ses jambes cachées, ne faisaient qu’une tout petite vague d’écume blanche. Parce qu’il faut comprendre qu’elle était devenue si petite. Si petite. Elle ne pesait plus rien. Sa vie touchait l’os. Son nez paraissait immense. A l’instant je viens d’aller garder une des rares photographies d’elle, je la connais par cœur cette photo. Elle avait dix-huit ans. Une photo en noir et blanc dans un cadre doré accroché dans le salon. Sur la photo son nez est parfait, comme le reste. Elle avait une beauté évidente, fraîche, avec quelques ombres de gravité, un peu d’inquiétude dans le regard. A dix-huit ans c’est normal, l’inquiétude donne du mystère. Mais là, dans son visage d’os, je ne pouvais plus rien lire. Les lèvres n’étaient pas jointes, de la chaise j’apercevais le reflet blanc d’une dent. La veille les hommes noirs s’étaient enfermés avec elle pour les derniers maquillages, les derniers habillages. J’avais encore dans ma poche les petits poèmes que je lui avais lus. J’étais assis sur le lit en désordre dans la chaleur de la chambre, dans la lumière de ses yeux, mon cœur bâtait, on parlait tout bas, on était juste dans le souffle de nos mots. Je lui ai lu cinq misérables poèmes. J’ai bien vu ses larmes à la fin. Il ne lui restait plus rien, et en plus elle me donnait ses larmes. Nous étions tous les deux, elle a passé sa main dans mes cheveux et son geste s’est terminé en une caresse sur la joue. Après un long silence elle a seulement dit :  " Pardonne-moi ". Pourquoi, pardonne-moi ? Pardon de quoi ? Je n’ai rien pu répondre. Pourquoi pardon, maman ? Tu n’as rien à te faire pardonner. Tu meurs, ce n’est pas de ta faute. On s’est regardé un long moment. Notre dernier tête à tête. Maintenant il fait froid dans cette chambre, assis je serre les papiers de poésie, et mes yeux se perdent dans cette vison de ce corps au milieu d’un cercle de pétales rouge. Quand les hommes noirs sont sortis, quand j’ai pu la revoir, je me suis approché du lit, je me suis penché et j’ai baisé son front. J’ai sursauté. Le froid sur mes lèvres. On sait bien que les corps qui meurent sont froids, on le sait. Et pourtant c’est un savoir impossible. Je suis allé m’asseoir. Deux jours. Deux jours, et je n’ai pas pleuré. Pourquoi ? Pourquoi n’ai-je pas pleuré. Je ne le sais toujours pas. Perceval, durant un instant est arraché de sa vie, arraché de son corps, il ne sent plus rien, ni le froid, ni les hommes qui s’agitent autour de lui. Rien. Je suis dans un silence hagard, pétrifié. Ca fait trente ans, et je suis toujours dans un silence hagard. Je n’ai pas pleuré, est-ce que comprends maman ? Je n’ai pas pleuré, est-ce que tu me pardonne ?

Elle est partie la petite fille

Dans un ciel boursouflé de tendres blancheurs

Elle est partie là où les mots éclatent en grelots

Elle est partie sans rien dire à personne

En chantant sur des airs symphoniques

Douce et folle musique

Qui s’étale en éternité

Dans cet espace de fluidité

Où chaque particule se tait

La petite fille est partie

Sur son nuage de folie

Emportant avec elle

Dans ses bras enserré

Un bouquet de violettes

Un bouquet de bleuets

Bleu et rouge

Comme un couchant d’hiver

Comme un pays perdu

Ou comme un enfant triste.

Mon Ange a voyagé dans toutes les contrées de l’âme, on ne dirait pas à la voir. Elle tutoie Dieu et le Diable, mais son cœur de feu la protége de l’un et de l’autre, elle m’a dit : " Va visiter tes morts… "

Franck

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11 avril 2005

Fol Endymion...

On vient de plus loin que de nous même, c’est pour cela que les mythes nous habitent. Ils empêchent la chair de toucher l’os, souvent ils colorent notre sang, ils sont le voile qui tapisse notre crane. Quand on meurt c’est eux qui partent en derniers, c’est eux qui ferment la porte, qui ferment les yeux. Ils s’appuient sur l’ultime souffle et nous quittent sans se retourner. On ne les voit jamais, ils gisent silencieux raclant nos nerfs, usant nos jours en pesant sur les heures. Ils sont la forme invisible de nos rêves et inspirent le moindre de nos désirs, toujours plus vivant que nous, toujours en avance sur nos mots. Aucun de nos gestes ne leurs échappent, même les plus secrets, les plus intimes.

Ce matin j’ai écouté Chopin, sans doute pour évacuer le texte de dimanche. Je sens qu’il est encore là. Je ne suis pas musicien à peine mélomane, au fond, juste un écoutant qui se laisse transporter par son émotion, souvent par sa solitude, toujours par un chagrin. Ce matin j’écoutais. Les doigts coulaient sur le piano ; douce et folle farandole de notes tourmentées sur la valse éclatée d’un Chopin triomphant.

Les doigts coulaient sur le piano ; ruisseau nostalgique de résonances recueillies sur les pétales rougis des roses.

Les doigts coulaient sur le piano ; vertige de neige argentée au bout de l’hiver languissant

Les doigts coulaient sur le piano ; funambules sur des lunes livides, danse chavirante, liturgie magique, ensorcelante.

Papillons des doigts… chrysalide de l’âme…

Sans doute la musique est-elle l’expression la plus épurée d’une tension. Elle semble relier les silences en soutenant leurs fragilités en deçà et au-delà de nos vies comme si l’infini traversait nos chairs.

Elle est ce lien tissé de nos manques, un souffle d’aurore brûlant le crépuscule, un ruisseau de lumière apprivoisée, tous les mots de la langue décomposés en rosée par l’attente et nos veillées désolées. Ce matin j’écoutais Chopin. Je pensais à nos mythes, à mon Ange, à la vacuité des choses et des mots. Ce matin j’ai envie de brûler toute la littérature et de m’endormir comme Endymion. Endymion vivait sur le mont Latmos bien avant que le temps ne commence à couler. Le mont Latmos se trouve en Carie, une province de la Turquie actuelle au bord de la mer Egée. Endymion est berger, certains disent qu’il était roi ou chasseur. Je préfère berger. Endymion le berger est d’une beauté stupéfiante. Si beau qu’il fait de l’ombre aux dieux. Endymion le beau berger à pourtant peur de vieillir. Il ne devrait pas, mais il a peur, c’est comme ça. On n'a pas toujours l’explication de ses peurs. Il ne veut pas vieillir. U jour il s’était endormi dans une grotte. Il faut imaginer le paysage. Le mont Latmos éclairé par une lune grosse et blanche, une atmosphère presque irréelle, la terre qui rend la chaleur qu’elle a prise la journée, au loin le souffle de la mer et Endymion, le beau, allonger dans une grotte. Il dort. Et la lune le voit. Séléné, la lune. Elle le voit dans toute sa beauté calme et sereine. Avec des gestes pâles et blancs elle se rapproche et s’allonge à coté de lui. Elle le regarde dormir. Elle est émue. Sans doute elle l’aime déjà. Elle caresse son visage, lui baise les yeux, respire son souffle de dormeur. Il est beau. Enfin un homme qui ne l’agresse pas. Elle passe la nuit auprès de lui. Il rêve, et ses rêves sont voluptueux, il rêve et voudrait ne pas se réveiller. Des rêves de lumières blanches, des rêves de caresses, des rêves d’éternité. Elle s’enroule autour de ce corps abandonné et le couvre de baiser, les yeux, la bouches, le cou, le torse puissant, le ventre fragile, le creux de l’épaule. il est tout à elle. Au matin, quand Séléné est repartie et que le Soleil prend sa place, Endymion se réveille le cœur rempli de joie pure, sûr de l’évidence d’une présence et s’est le cœur léger qu’il va rejoindre son troupeau. Il ne sait pas encore que son destin est en train de sceller. Brave Endymion. Fol d’Endymion. A cet instant l’histoire n’est plus très claire. Certains disent que c’est lui qui en fit la demande, d’autres pensent plutôt que s’est Séléné elle-même qui se chargea de la chose, bref, un soir il entra dans la grotte et s’endormi pour ne plus jamais se réveiller. En échange il gagna l’immortalité et la jeunesse éternelle. Mais jamais plus il ne se réveillera. Et chaque nuit la belle Séléné vient le visiter, elle se couche sur lui ou à ses cotés, elle prend son visage entre les mains et le couvre de baisers, la légende dit qu’elle a eu plus de cinquante enfants d’Endymion. Lui, il est dans un rêve éternel, un rêve sans fin, un rêve peuplé de douceurs, de sensations subtiles. Mais il dort. Mais il dort. Souvent j’ai l’impression d’être Endymion. Séléné, mon Ange, vient chaque nuit visiter mon rêve, elle apporte un fleuve de sensations subtiles, pourtant elle est si loin. Si proche aussi. Mais si loin. Comme dans un sommeil. Elle est vraie et irréelle à la fois et je peux me croire l’espace d’un instant si jeune et si éternel. Comme la Lune, mon Ange est insaisissable, parfois Hécate, parfois Artémis, parfois les deux à la fois. Et je dors. Une pure folie.

Les mythes nous habitent Qu’en penses-tu mon Ange ?

Franck

16 avril 2005

Sauf la mémoire....

A chaque jour suffit sa peine, a chaque jour suffit son souvenir…

Après le conseil de classe elle accepta de me donner des cours. Ma mère convint avec elle de deux heures chaque jeudi. Les cours devraient se passer chez elle. Son appartement se situait à dix minutes de chez nous. Je n’arrivais pas à croire que j’allais pouvoir me retrouver seul en tête-à-tête avec elle chaque semaine.

Depuis le premier jour où elle avait fait son entrée dans la classe elle avait chamboulé le cœur de tous les élèves. Une tempête lumineuse. Sa jeunesse, sa beauté, cette joie qui éclairait ses grands yeux bleus, la roseur de ses lèvres, ses gestes gracieux, sa petite poitrine haut placée, ses mini jupes en ont fait une princesse radieuse au milieu d’une horde d’adolescents mal dégrossis. Tout le monde en était amoureux. Pourtant aucun commentaire salace à son égard n’accompagnait nos conversations d’habitude très débridées. Elle faisait partie de cette caste des intouchables, des impossibles, des inaccessibles. Elle nous impressionnait par une grâce évidente. C’était son premier poste et son enthousiasme compensait largement son manque d’expérience. Elle enseignait avec passion, une passion qui enflammait son regard et faisait parfois vibrer sa voix. Elle nous attirait dans son monde en nous chatouillant le cœur.

Alors me savoir seul avec elle pour deux heures de cours de rattrapage me remplissait d’une sorte d’exaltation qui me brûlait l’intérieur de la poitrine à chaque fois que j’y pensais. Le jeudi suivant c’est presque en tremblant que je cognais à sa porte. J’avais passé un temps interminable à me coiffer, à choisir ma tenue, et maintenant, debout devant la porte, il me semblait que toutes mes forces m’abandonnaient. Elle ouvrit avec un sourire de pure innocence qui me transperça net. Angélique est le mot qui me vint plus tard. Un ange blond. Je restais figé n’osant plus avancer, alors elle me prit le bras et me fit entrer.

Son appartement était plongé dans la demi obscurité pour le protéger des éclats du soleil. Ce début juin était caniculaire. J’avais chaud, il faisait chaud. Elle m’accompagna au salon qui faisait aussi salle à manger, la cuisine donnait également dans cette grande pièce séparée seulement par un comptoir. Elle me fit assoire à la table du salon, une table ronde en bois teint sur laquelle une coupe de fruits occupait le centre.

Elle, elle était merveilleuse, vêtue d’une jupe imprimée bleu clair et d’une chemise d’un bleu un peu plus soutenu qu’elle avait nouée sur son ventre. Ses pieds étaient nus et je voyais leurs empreintes se dessiner sur les tommettes ocre de la pièce, les manches de sa chemise étaient retroussées, il se dégageait d’elle une aisance et un sentiment d’intense liberté. Elle me proposa une orangeade à l’eau et sans attendre ma réponse je la vis verser une eau fraîche dans deux verres qu’elle avait préparer à l’avance. " Tient ! " Elle me tendit un verre et nous bûmes ensemble une longue rasade. Le cours pouvait commencer. Elle s’était assise à coté de moi, je pouvais sentir son parfum fruité à chacun de ses gestes, parfois sa cuisse venait frôler la mienne. Je m’appliquais. Tous mes sens étaient en éveil, toute mon attention était mobilisée, je ne voyais qu’elle, je ne sentais qu’elle, je n’entendais que sa voix. Il me semblait vivre un rêve que j’aurais voulu éternel, et rester là, indéfiniment là, près d’elle, prisonnier de sa lumière, de sa voix, de ses gestes délicats. Penché sur le livre ouvert je pouvais apercevoir dans l’échancrure de sa chemise la naissance de ses seins qu’aucun soutien gorge n’emprisonnait. Je répétais presque religieusement chaque phrases qu’elle me proposait essayant de lui offrir une prononciation parfaite. Elle me corrigeait, insistant sur l’accent tonic de chaque mot, je répétais consciencieux, amoureux.

Au bout d’une heure de cours elle décréta une pose et me demanda de m’asseoir sur divan. Elle alluma une cigarette et me tendit une assiette où étaient disposés quelques gâteaux secs, elle nous resservit de l’orangeade fraîche et s’assit devant moi sur un pouf. Je ne pus m’empêcher de regarder ses jambes que sa position basse découvrait largement. Je crus même avoir aperçu sa petite culotte. Elle vit mon regard, sourit, et serra les cuisses en croisant ses bras autour.

Elle me posait des tas de questions, comment cela se passait dans les autres cours, si je faisais du sport, si, avec ce printemps si chaud, j’avais commencé à aller à la mer, si je m’entendais bien avec mes parents, elle m’a même demandé si j’avais une petite amie. Bien sûr, je n’avais pas de petite amie, je le lui avouais en rougissant me sentant très gêné. Elle comprit mon malaise et sourit en me faisant signe que la récréation était terminée. Je passais devant elle en la frôlant, elle me gratifia d’une caresse dans les cheveux. Je crois bien avoir frissonné. Nous nous rassîmes. Nos bras se touchaient. J’étais au paradis. Un ange blond était là, à coté de moi pour m’accompagner et me protéger.

Sans aucune raison nous nous étions mis à parler très bas, presque à chuchoter, cela créait une intimité nouvelle, comme si un secret nous reliait. Brusquement nous étions rentrés dans une sorte de complicité, comme si nous nous connaissions depuis très longtemps. Sa voix plus douce, plus tendre se confondait maintenant avec la pénombre de la pièce. Pendant qu’elle lisait je m’étais tourné pour la regarder, je voyais ses lèvres bouger et quelques minuscules perles de sueur juste au-dessus de sa lèvre supérieure. J’aurais voulu la toucher précisément là, toucher ses lèvres, toucher son souffle, toucher sa sueur. Elle me surprit, et toujours avec le même sourire, de son index appuyé sur ma joue elle m’obligea à revenir à la lecture. A mon tour je lisais à haute voix, trébuchant de temps à autre sur des mots compliqués, sur des syllabes rétives, tentant de donner des couleurs et un chant à cette langue que je commençais à aimer de plus en plus, alors je sentis sa main se poser sur mon épaule. Une brûlure me perçait le dos, me consumait et m’envahissait d’une joie démesurée. Ses doigts bougèrent, jusqu’à ce que je les sente directement sur la peau de mon cou. Sans réfléchir je fus pris d’une espèce de folie, je posais ma main sur la sienne. Surprise elle tressaillit et recula sa main. Nous étions très près, après un moment qui me paru interminable, elle posa son doigt sur sa bouche puis le déposa sur la mienne. Son sourire avait une tendresse infinie, presque de la tristesse.

Elle se leva. Le cours était terminé. Pendant que je rangeais mes affaires elle se mit à la fenêtre et se pencha pour ouvrir et accrocher ses volets, en même temps que la lumière jaillissait dans la pièce je pus voir la splendeur de ses cuisse cuivrées. Pour l’adolescent e treize ans que j’étais ce fut une vision miraculeuse. Elle s’était retournée, je la voyais baignée dans le soleil couchant, j’en aurais pleuré tellement sa beauté m’étreignait l’intérieur du corps jusqu’à l’âme, j’avais le souffle court et mon cœur battait à tout rompre.

Elle me raccompagna à la porte, me demanda si le cours m’avait plu, elle me regardait avec une langueur particulière que je ne comprenais pas mais qui me la rendait encore plus mystérieuse. Debout sur l’étroit palier je la vis s’approcher de moi et venir déposer un doux baiser sur ma joue. J’étais tétanisé. J’aurais voulu lui rendre son baiser, mais c’est alors qu’elle prit mon menton entre sa main et posa doucement ses lèvres sur les miennes. J’eus à peine le temps de sentir sa langue glisser sur ma bouche fermée, et d’être à nouveau envahi par chaleur de son parfum. Plus rien autour de moi n’avait de consistance, dans mon corps un torrent bouillonnait. Je me sentais mourir. Je crois même avoir eus des larmes de joies. Et toujours souriante : " Ca, c’est entre nous. Tu le garde pour toi, tu n’en parle à personne, à personne. A jeudi prochain. ". Elle me regarda descendre et moi je la regardais me regarder, descendant comme un aveugle, ou pire comme un illuminé.

Inutile de dire que cette après midi me bouleversa, j’étais sur un nuage qui me faisait entrevoir un continent inconnu. J’ai commencé à ne vivre que de l’attente du jeudi suivant. Les journées étaient à la fois interminables et si courtes, je m’exaspérais d’une impatience nouvelle et mes nuits ne furent qu’un long rêve où ma belle professeur occupait tout l’espace. La semaine passa avec son défilé de cours, je la revis le lundi et le mercredi dans la classe, bien sûr je me suis efforcé de ne rien faire paraître du nouvel intérêt que j’avais pour l’italien, je me contentais de rêvasser, déjà jaloux des regards que lui lançaient certains élèves. J’avais un secret que nul au monde ne devait connaître, un secret doux et violent à la fois comme une liqueur forte. A chaque instant, n’importe où, je me remémorais chaque minute de ce fameux jeudi, interrogeant chaque souvenir mille fois pour me convaincre de son amour, de son désir et n’imaginant pas une seule fois l’incongruité de la situation. Elle était un ange, j’étais un prince réveillé d’un sommeil millénaire par un baiser. Dans mes pensées nous n’avions pas d’âge, nous n’avions que la couleur du soleil, du bonheur, nous n’étions que fraîcheur légère dans l’incandescence de l’amour. Chaque soir avant de m’endormir je l’imaginais dans son appartement déambulant nue, ou couchée sur son lit dans des poses lascives qui me permettait d’imaginer toutes les parties intimes de son corps. J’imaginais ses seins, ses cuisses, son ventre et son sexe ombré d’une toison sombre. Je nous imaginais ensemble enlacer dans les bras l’un de l’autre, serrés très fort en des baisers interminables. Elle occupait désormais tout mon espace, toutes mes émotions, ma respiration, mes pensées, je l’aimais d’un amour définitif, comme si toute ma vie se résumait à cette attente exaltée du prochain jeudi, comme si tout en moi n’avait été prévu que par elle et pour elle.

Le jeudi suivant j’étais en avance au rendez-vous. Sur un balcon j’avais volé une fleur pour lui offrir. Je faisais les cent pas au bas du petit immeuble, levant parfois les yeux vers son balcon, mon cœur battait, j’étais impatient et terrorisé. Cette ultime attente, ces dernières minutes qui me séparaient d’elle devenaient intolérables, je décidais de monter. Avant de frapper à la porte j’eus encore une hésitation ; fébrile, la gorge sèche je me lançais.

Ca y est, elle était devant moi. Une apparition de rêve. Je ne vis que la blondeur de ses cheveux légèrement défaits et le bleu éclatant de ses yeux, et son sourire surtout son sourire. Elle se tenait debout devant moi vêtue d’une tunique turquoise légèrement transparente, elle avait croisé un bras sur sa poitrine pour cacher ses seins : " J’étais sur le balcon, je bronzais en t’attendant, entre ! ". Sa tunique s’arrêtait juste au dessous de son bikini. " Installe toi , je m’habille ".

Elle partit en direction de sa chambre tout en ôtant sa tunique. Je vis son dos nu, ses hanches onduler. Je vis son corps encore brillant d’huile solaire se balancer dans la pénombre de l’appartement. Elle ne mit pas longtemps. Elle avait juste enfilé un débardeur rose à fines bretelles et une petite jupette bleu clair. Toujours le bleu. Ses seins étaient libres j’apercevais leurs pointes. Toujours pieds nus. Elle se planta devant moi. " Bonjour ! " Il y avait du rire dans sa voix. Avec un naturel désarmant elle déposa un baiser sur ma joue, et sans rien me demander nous servit à boire. Le rêve se prolongeait. J’étais dans un autre monde sans réelle apesanteur, loin des mes amours platoniques, de mes rêveries confortables, ma vie de petit garçon solitaire se précipitait dans une pluie de sensations incroyables, mon réel semblait encore plus réel, léger et puissant comme la grâce. Je lui tendis ma fleur : " Joyeux anniversaire ! ", " Mais ce n’est pas mon anniversaire ! ", " Je sais " Elle éclata de rire, prit la fleur et la respira en fermant les yeux puis la posa sur la table, à deux mains elle saisit ma tête et colla ses lèvres contre les miennes. Je faillis tomber. Mon cœur s’était mis à battre à tout rompre. Je sentis que sa langue cherchait à forcer le barrage de ma bouche. Quelle douceur ! C’était mon premier vrai baiser. Mille fois vu au ciné à la télé, mille fois lu, mille fois surpris dans la rue, sur la plage, mille fois rêvé, mille fois espéré. J’entrouvris les lèvres et sa langue put venir à la rencontre de la mienne. Nous échangeâmes nos salives, le baiser devint de plus en plus nerveux, j’avais passé mes bras autour de ses épaules et maintenant nos corps s’écrasaient l’un sur l’autre, je sentais ses seins s’écraser sur ma poitrine. Et puis lentement elle retira sa tête et se recula un peu. Elle passa une main dans ses cheveux tout en me regardant. " Je suis folle ". Moi aussi j’étais fou d’amour, il m’était arrivé quelque chose d’impossible à imaginer. Mon rêve s’était tout d’un coup condensé dans la réalité, j’avais encore le goût de sa langue dans la bouche. " Je suis folle, il faut oublier tout ça, nous n’avons pas le droit, je n’ai pas le droit. " Je ne voulais pas entendre ce qu’elle disait, le monde s’était brusquement déchiré en deux, et rien n’aurait pu effacer désormais ces derniers instants. Je me jetais vers elle pour blottir ma tête au creux de son épaule, je la serrais de toutes mes forces en tremblant de tous mes muscles, pour rien au monde je ne voulais que ces moments s’arrêtent, il fallait garder un contact entre nos deux corps, il fallait qu’il n’y ait plus de distance, jamais. " Petit bonhomme, tu sais bien que rien n’est possible entre nous ". Elle disait ces mots sans trop y croire, trop libre, trop légère pour s’interdire un désir, son innocence c’était son parfum, la couleur de sa peau et son sourire, toujours son sourire. " Tu as déjà eu une petite amie ? " Non, elle était la première et je la voulais la seule. " Viens ! "

Elle m’entraîna vers sa chambre. Toute simple mais joliment disposée, un matelas à même le sol recouvert d’une couette, une lampe de chevet elle aussi sur le sol, une chaise sur laquelle des vêtements étaient jetés, des livres éparpillés, des tentures indiennes au mur, sous la fenêtre un coffre de corsaire. " Allonge-toi ! " Elle aussi s’allongea. Nous étions tous les deux étendus le regard perdu au plafond. Je lui pris la main et la serrais avec ferveur, ses doigts aussi me serraient. Elle était là dans la pénombre de cette chambre perdue dans quelle rêverie. Elle était là, à coté de moi, et c’était ça qui comptait. Bouillant et à la fois paralysé d’un bonheur déchirant. " Alors laisse-toi faire. " Elle déboutonna ma chemise et m’aida à l’enlever, et du bout des ongles elle me caressa la poitrine, une douce griffure du cou jusqu’à la boucle de ma ceinture. Elle descendait en faisant de grandes arabesques autour de mes seins. J’avais fermé les yeux m’abandonnant à la magie de ses doigts, puis j’ai senti ses lèvres se poser ici ou là sur mon torse en de légers baisers pleins de tendresse. Elle défit mon pantalon et le fit glisser entraînant mon slip jusqu’à mes chevilles, elle m’ôta chaussures et chaussettes. J’étais nu. C’était la première fois, par pudeur j’avais posé une main sur mon intimité, elle posa sa bouche sur la main, ses cheveux sur mon ventre me procuraient des sensations délicieuses, elle écarta ma main et se saisit de mon sexe. Elle tenait à pleine main , sans serrer, mes bourses et mon membre qui commençait à se tendre de plus en plus. Quand elle le prit dans sa bouche je crus défaillir, la chaleur de sa bouche, sa douceur, m’irradiaient tout le ventre, je sentais ma verge trembler sous sa langue, jamais je n’avais imaginé de telles caresses, jamais je n’avais penser que le corps d’une femme puisse procurer de si grands plaisirs. Elle procédait avec lenteur, avec précaution, avec une attention presque sacrée. Sa bouche enveloppait mon gland et en descendant le long de la hampe, je sentais sa langue la presser, l’entourer, d’une main elle continuait de caresser mes testicules en grattant parfois avec le bout des ongles leurs peau fripée. Je sentais peu à peu la jouissance arriver, elle s’en aperçu, s’écarta et releva la tête, tout en me serrant le bout du gland. La chaleur reflua en ondes électriques. J’avais toujours les yeux fermés et mon ventre s’animait de petits coups de reins comme si mon sexe cherchait à atteindre à nouveau la douceur de sa bouche, je sentis son souffle sur mon visage et ses lèvres sur les miennes. Son baiser était brûlant, nos dents se cognaient, j’osais maintenant lui enfoncer ma langue au plus profond de sa bouche. Je ne me lassais pas de ces nouvelles sensations ; le velours des langues qui s’entre croise, les salives qui se mêlent en un élixir subtil. Je découvrais les plaisirs de la chair contre la chair, de la chair dans la chair, du mélange des humidités, des souffles, des odeurs. J’avais glissé une main sous son débardeur et je pouvais toucher la peau tiède, douce, souple de son dos, sous mes doigts vivait un corps dont j’éprouvais le satiné, l’élasticité et qui me transmettait les tensions de la vie et de l’amour. Mon érection était toujours à son maximum : " Je crois qu’il va falloir te soulager un petit peu ". Elle reprit mon sexe dans sa bouche me le tenant cette fois ci d’une main plus ferme. Déterminée elle fit quelques allée et venue, ce fut rapide je fus pris d’une tension qui électrisa tout mon corps, de longs jets de spermes se répandirent sur mon ventre et sur ses doigts, je ne pus m’empêcher de râler, j’étais secoué par des spasmes voluptueux. Elle me serrait les testicules, les massant précautionneusement et couvrit ma figure de baisers. Et puis l’onde plaisir reflua j’étais essoufflé et presque gêné, je la voyais sourire, je me sentais flotter, porté par une sorte d’ivresse. Elle pris à coté du lit quelques mouchoirs en papier pour s’essuyer les mains et me nettoya avec douceur le torse et mon sexe. J’étais allongé nu, ne sachant plus très bien où je me trouvais, je m’abandonnais à un bonheur violent et inconnu, incomparable à tout ce que j’avais pu vivre ou seulement imaginer. Elle aussi était allongée, toujours vêtue de sa jupe et son débardeur, ses yeux brillaient d’une intensité étonnante et sa coiffure un peu défaite auréolait sa tête d’un soleil prestigieux. Qu’elle était belle ! Les lèvres à peine entrouvertes laissant juste entrevoir la blancheur et ses dents, qu’elle était belle, les yeux mi-clôt, une main dans la mienne l’autre posée sur son ventre. Je me suis tourné vers elle, j’ai déposé ma tête au creux de son épaule et me suis blottis contre son corps. Je fermais les yeux et l’entendais respirer, je sentais aussi toutes les effluves de sa peau, son parfum qui s’épuisait en se mêlait aux odeurs de sa transpiration. Douces senteurs des corps gorgés de désirs, suants de plaisirs, corps chauds haletant et moites. " Maintenant tu vas pouvoir t’occuper de moi. Tu vas me déshabiller lentement et tu pourras me caresser. Ne te presse pas, prends ton temps. Sois doux et tendre. Les femmes aiment qu’on les caresse avec douceur, elles aiment sentir le regard des hommes sur leur corps nu, elles aiment qu’on les désir. Découvre mon corps, apprend-le du bout des doigts, caresse-le de ton souffle de ta langue de tes yeux, prépare-le à te recevoir. Je suis la belle au Bois Dormant tu es le Petit Prince, je suis ta rose , cueille-la, respire-la, bois sa rosée. " Elle avait parlé à voix basse, presque en chuchotant, les yeux fermés. Je découvrais la douceur des mots, une langue nouvelle faite de miel et de soleil et d’ombres fraîches, une langue de ruisseau qui passait dans le sang, dans les nerfs. " Dis-moi encore, dis-moi ta peau, dis-moi l’amour… ". " Je vais t’offrir le plus beau des cadeaux, la plus belle des fleurs, la source la plus miraculeuse, tu vas toucher la vie au plus près du sang, tu vas découvrir ce qu’est l’amour quand il devient ta peau, quand il devient ta main, tes doigts, tes yeux. Tu vas savoir ce qu’est l’orage en plein soleil et le désir quand il devient ruisseau et fleuve et océan. Je t’offre mon corps pour que tu apprennes comment la douleur d’un espoir se transforme en extase et comment le don succède à la perte, tu sauras que la vraie puissance n’est pas le pouvoir et que la fragilité de ton cœur vaut mieux que tous les serments. Aujourd’hui tu ne prendras pas mon corps puisque je te l’offre, il te faut seulement être le vent pour pouvoir l’accueillir, être lumière pour pouvoir l’honorer, être musique pour le faire chanter. Aujourd’hui tu apprendras que le poids n’est pas lourdeur et que la grâce se tient dans ton souffle. Alors petit bonhomme je te fais l’offrande de mes cris quand ils sortent de ma chair et de mes soupirs quand ils sont miséricorde, tu seras la vague et serais le sable, tu seras la vague j’en serais l’écume, viens transpirer sur ma joie, viens échanger nos ventres, viens nourrir notre ivresse, viens t'effondrer dans mon âme. " Je n’avais jamais entendu une telle prière, je ne savais pas que l’amour puisse faire vibrer la lumière. Je découvrais une magie qui transportait l’être, qui caressait sous la peau des parties inconnues, quelque chose de vivant qui saisissait chaque partie du corps, je découvrais dans ce murmure d’amour l’étendue d’un ciel bleu, la profondeur des océans, et cette douleur que procure un bonheur trop intense. Mon cœur battait la chamade, j’ai posé la main sur son pied, doucement, le plus doucement possible. J’effleurais cette peau de peur de la froisser. J’ai remonté lentement le long de sa jambe et glissé sous sa jupe, la peau avait une douceur de pétale, la chaleur fourmillante d’un champ de blé, je voyais mes doigts comme dans un rêve caresser les régions secrètes d’un corps de femme. Brûlure entre les cuisses souples, moelleuses. Sa jupe maintenant était relevée découvrant son bikini blanc qui attirait tous mes regards, tous mes fantasmes d’adolescent se trouvaient là à peine voilés par ce tissu gorgé de délices. J’ai passé la main dessus et senti sous mes doigts foisonner une végétation trouble, les cuisses légèrement écartées facilitaient ma caresse. " Doucement, pas si vite, déshabille-moi mon chéri ". Elle m’aida à faire glisser sa jupe, puis se redressa pour que je lui ôte son débardeur et brusquement ses deux seins me sautèrent au visage, deux seins comme des fruits gorgés de promesses, ronds fermes, hauts placés, se tenant d’eux même, ils avaient la grosseur d’une grosse orange, en auraient-ils la saveur ?. Je ne pus m’empêcher de les prendre dans mes mains et de les serrer pour ressentir leur velouté, pour en éprouver la délicatesse, je ne me lassais pas de les masser, j’appuyais sans forcer sentant rouler sous ma paume les tétons durcis. Elle s’est rallongée, a fermé les yeux, ma bouche a remplacé mes mains, je me suis mis à sucer, à téter, j’aspirais ses petits bouts turgescents, les faisant rouler sous ma langue, les mordillant, je m’affolais passant d’un sein à l’autre, c’est alors que j’entendis ses soupirs, sa respiration s’accélérait, elle haletait de plus en plus avec de petits couinements, son ventre se creusait, ondulait. Je me sentais emporté par cette agitation du corps, cet abandon. Mon sexe était dur à me faire mal, je le pressais parfois faisant aller et venir ma main pour apaiser un désir douloureux. Son bassin s’était mis à rouler, elle prenait appui sur ses jambes écartées et le tendait de haut en bas. C’est à ce moment là que j’ai passé une main sous l’élastique de son maillot, pour la première j’ai senti la soie de sa toison, mes doigts peignaient, tiraient sur cette chevelure mystérieuse, douce, dense, touffue. Sa main se posa sur la mienne, elle me guida un peu plus bas, je touchais ses chairs, ses chairs chaudes et humides, elle m’appuya sur mes doigts pour les faire pénétrer plus profondément. J’étais au cœur de mon désir, à l’endroit même de l’incendie. " Enlève ma culotte !" Alors je lui relevais les cuisses pour lui enlever ce dernier morceau de tissus. Je me suis retrouvé assis entre ses cuisses largement écartées, devant moi le buisson noir de son sexe s’offrait, je pouvais apercevoir sous les broussailles les chairs rosées : " Approche-toi, embrasse-le, vient boire cette bouche, vient me sentir, vient me lécher. " Je me suis allongé, j’ai posé ma bouche, fermé les yeux, respiré à pleins poumons des senteurs inattendues. " Avec ta langue, doucement sur mon bouton, là oui. " De ses doigts elle s’écartait le sexe et me montrait un petit bourgeon de chair nacrée. J’y ai posé mes lèvres, ma langue, j’ai donné ma salive, j’ai sucé, aspiré, pendant qu’elle reprenait ses petits cris et que son ventre ondulait de plus belle. " Oui mon chéri, comme ça. ", sa voix s’essoufflais dans les gémissements. Elle appuyait sur ma tête, tirait sur mes cheveux pour me guider. J’avais enfoncé deux doigts au fond de son sexe et pendant que je suçais son bouton je les bougeais le long des parois chaudes ; de la mollesse de ses chairs s’exhalait toutes sortes d’effluves de coquillages, comme si un océan gisait dans cette grotte, dans cette plaie embrasée de plaisirs. Elle bougeait ses hanches de plus en plus fort, les faisant venir à la rencontre de ma bouche ou de mes doigts. Je ne fus même pas surpris quand elle se mis à crier, de longs râles aigus. Je frottais mon sexe sur la couette donnant des coups de reins comme si je voulais percer le matelas, mon ventre était brûlé par le désirs, il me semblait que je perdais la tête, je n’avais plus conscience de rien, mes yeux voyaient derrière sa toison son ventre monter et descendre et s’agiter en tous sens. Elle haleta encore plus fort et brusquement se cabra en crispant ses mains sur ma tête, tout son corps fut secoué par des tremblements de chair et des cris essoufflés. Ce fut un orage. Une tempête. Ma bouche fut envahie de ses jus odorants que je lapais avide, et ma tête était prise dans l’étau de ses cuisses. Et puis peu à peu tout reflua. Un calme épuisé, comme effondré se répendit. J’entendais ses longs soupirs. Elle m’attira à elle et nous nous sommes étreins dans un baiser définitif. Je vibrais de la sensation de nos deux corps collés l’un à l’autre, mon sexe raide frottait sur ses poils humides et nos regards exaltés se répondaient en silence comme si toutes paroles étaient désormais inutiles. Je baisais chaque partie de son visage, les paupières, le nez, les lèvres, les oreilles, le cou, les joues, le front, je sentais ses mains caresser mon dos, mes fesses, nous avions chaud et nos sueurs rendaient l’adhérence de nos peaux plus délicieuse encore. Je découvrais que l’amour des corps avait des odeurs, des parfums envoûtants, forts et doux, comme nos halènes saturées, comme nos transpirations mêlées de restes de parfums. Nous étions rejetés dans un monde séparé, séparé de tout, où il n’y avait que nous, hors du temps, hors du mouvement des astres, pris l’un dans l’autre, dans nos caresses, dans nos yeux, dans nos respirations. Pris dans ce désir violent et silencieux fait de tremblements, de geste rugueux et doux à la fois. J’étais passé sur l’autre rive de la vie, abandonnant l’enfance sans regret, consumé par des déferlantes de sensations soyeuses, chaudes, éprouvantes, blasphématoires. Je baignais dans l’irréelle atmosphère de cette chambre ombreuse, et je sentais se condenser en moi des morceaux entiers d’éternité. " Viens, tu vas pouvoir me prendre maintenant. Donnes moi ton sexe. ". Elle a passé sa main entre nos deux corps, s’est saisi de ma verge et la présentée sur les bords souples et charnus de son sexe. Je poussais ; j’étais aspiré par une chaleur imbibée de sucs. Dressé sur mes bras, je tentais d’aller au plus profond de son ventre à grands coups de rein. J’allais dans ce puits de chairs vivantes qui irradiait de picotements soyeux mon membre, mon ventre et chaque centimètre de peau en contact avec la sienne. Elle avait relevé les jambes pour faciliter ma pénétration et ses mains me frottaient le bas du dos, augmentant ainsi mon désir d’aller au plus vite à l’extase, mes coups étaient de plus en plus rapides et violents, je ahanais, elle criait, je sentais ses ongles s’enfoncer dans mon dos, mes épaules. Je ne pus retenir les spasmes de mon plaisir, ni mes râles, je donnais d’ultimes coups de reins et fini par répandre en elle ma semence enflammée. Elle me serrait dans ses bras, je tenais sa tête entre mes mains pour l’embrasser. Nous étions arrivés au bout, de l’inoubliable de l’impensable, dévasté par l’épuisement. Mon sexe restait prisonnier de cuisses, nous roulâmes sur le côté, toujours serrés l’un dans l’autre essoufflés. Nous nous sommes retrouvés allongés cote à cotes, essoufflés ; et puis elle s’est mise sur le ventre, la tête tournée vers la mienne, il y avait dans ses yeux une sorte de buée, comme un voile de sérénité. Je me suis redressé sur un coude pour la contempler, ses fesses m’attiraient, alors je les ai caressées, longtemps. Très longtemps.

Il y eut d’autres jeudi, jusqu’à la fin du mois de juin. Le dernier, après s’être aimer, elle m’annonça qu’elle partait. Elle avait fait une demande de mutation qui avait été acceptée. Nous ne nous reverrons plus. Ce jour là le monde s’est écroulé sous mes pieds. Je lui ai dis que je ne pourrais pas supporter la vie sans elle, je crois que j’ai pleuré. Elle me consola de paroles banales, inaudibles, me redit l’impossibilité de notre amour, qu’elle se sentait coupable, qu’elle s’en voulait. Moi, je m’accrochais à elle. Et puis l’année scolaire finie, tout le monde se sépara. Elle devait déménager début juillet. Le jour où le camion vint enlever tous ses meubles je me rendis chez elle. Elle s’afférait fermant les derniers cartons, je ne reconnu même pas son appartement, vide, éclaboussé de soleil, tous les soupirs, tous les baiser, tous les silences s’étaient volatilisés. Je la voyais donner des consignes aux déménageurs, elle était toujours aussi belle, planté dans cette grande pièce vide, mon ventre vrillé de douleurs silencieuses, j’étais incapable de réaliser ce qui se passait. " Tu n’aurais pas du venir, tout ceci te fais du mal. " Il y eut un dernier baiser. Et puis ce fut fini. Sauf la mémoire.

Je porte se souvenir depuis plus de trente ans comme une blessure familière. Pas un jour je n’ai pas eu une pensée, même fugitive, pour cette belle prof d’italien. Cette aventure aurait pu me libérer, c’est le contraire qui arriva. Après son départ je me suis refermé sur moi-même, comme une parenthèse. J’ai fini de grandir et commencé à vieillir avec au fond de l’âme une nostalgie irréductible. Et chaque fois que je croise une jeune fille blonde dans la rue, une jeune fille blonde et légère, légère et gracieuse, mon cœur se pince. Il me reste de cette époque l’amour de la langue italienne, que je parle toujours très mal, et de l’Italie où je n’ai jamais été. Sauf la mémoire.

Franck

28 avril 2005

(3) Le Flux...... (Fin)

Seulement un peu d’eau.

Le moment où l’univers reflue.

L’eau suce à nouveau la terre.

La terre aspire.

J’aspire

Comme un trop plein de vide.

Jusqu’à l’écœurement.

Tout d’abord il y un bruit imperceptible. Un peu de mousse qui se forme. Quelques bulles, un peu comme de la bave qui viendrait blanchir le sable. A nouveau. Quelque chose à nouveau s’accroche.

Entêtement fatal.

Avant le mouvement il y a l’intention du mouvement. Un désir, un rien. L’écume baveuse qui vient mouiller un peu plus loin le sable. On pourrait croire que cette mouillure tente de surgir du sable. Une mouillure de l’intérieur du sable.

Avant le mouvement il y a cette impression de suintement de l’intérieur.

La respiration vient après.

Du silence sort un souffle.

Il est diffus. Il est là : lent, profond, inévitable.

Inévitable.

C’est vraiment un souffle. Une respiration vivante.

L’infini qui respire.

Un trouble. Une ivresse.

Sensation troublante, comme est troublante l’apparition de cette mouillure venue de l’intérieur. Quelque chose de vivant. Trop vivant.

Cette respiration, cette succion, cette bave.

Rien n’est coordonné. Je ne perçois ces éléments que séparément. Pas d’unité.

Il n’y a pas d’unité.

Au début il n’y a jamais d’unité.

Que ce souffle. A l’intérieur. Plus d’eau. Seulement le souffle. La mémoire de l’eau qui berce.

Quand la mère se retire.

Quand la mère se retire il y a l’effroi. L’abandon à l’effroi. Bercé dans l’effroi. Je crie.

Rien que du cri. Pas les mêmes cris. D’autres. J’en ai plein la gueule. Ils me submergent, m’envahissent.

Maintenant la mer est à l’intérieur. La mère. Je crois. Son mouvement. Tout remue à l’intérieur avec cette respiration. Une vague moussue m’enveloppe, mais en dedans. Elle clapote insignifiante et têtue.

C’est quoi le néant ? La mère peut-être ? Sans doute. L’extase des ténèbres. La mère c’est toujours l’extase des ténèbres. Elle est là dedans. A jamais. Fascinante comme la mort, ou quelque chose qui y ressemble. La seule chose vivante ici c’est la mort.

Elle monte à l’intérieur comme une marée naissante. Le flux de la mort. Le reflux de la mère.

Maintenant la mer est là, qui monte comme une désespérante envie. Inexorable attraction du désir. Douloureux dans la chair. Plus profond encore que la chair. Dans le ventre. J’ai un océan dans le ventre. Un océan de désir douloureux dans le ventre. Quelque chose qui grossi, qui déferle. Vague après vague. Toujours plus haut. Plus fort. Impitoyable avalanche de la mer qui monte du plus profond du ventre.

Tout s’agite. Maintenant. L’univers bouillonne. Plus bas que le ventre, à l’endroit ultime d’où la marée remonte. Le seul endroit. Le lieu. D’où se dressent les vagues. Le trou obscur de l’univers.

J’entends les bruits de la mère. La mer s’arque boute sur un désir convulsif pour enrouler ses vagues toujours plus loin dans le ventre, vers une plage inaccessible.

Inaccessible. Voilà, c’est tout. Inaccessible. Le reste, tout le reste est un perpétuel recommencement.

La seule réalité se sont ces marées inutiles dans un univers inutile.

Il y a quelque chose de vain dans les marées. Pendant un instant, pendant que la nature pousse on se prend à espérer. Puis elle reflue. Se recroqueville.

Les marées n’accouchent de rien. La mer n’accouche de rien. La mère aussi.

Sûr d’une chose. L’invincible douleur. Le mal absolu de la déchirure.

Rien d’autre.

Se taire.

Regarder la mer jusqu’à l’ultime marée.

Tout est dans ce mouvement qui donne l’illusion de la vie. Va et vient. Apparition. Disparition. On croit naître de ce mouvement. Illusion.

J’existe depuis avant. Avant la déchirure. Avant le mouvement.

Comme la méduse.

Je suis né d’un va et viens. Du frottement des chairs. De l’usure désespérée des chairs entre elles. Rien de plus. Rien de moins.

Rien de beau là-dedans. L’usure inéluctable du va et vient des chairs. De la mer. De la mère. Né d’un épuisement de l’eau.

Illusion d’amour ou croire à la nécessité des choses. Rien n’est nécessaire. Au mieux il y a l’usure.

Danse macabre de l’usure des chairs. Deux méduses aussi vaines l’une que l’autre. Rien de nécessaire là-dedans.

L’amour. L’absence. Illusion de l’autre. C’est toujours le même vide, à cause de la même déchirure. La mer se contemple seul.

La mère aussi.

La seule réalité c’est le va et vient de la mer, ces marées qui montent et qui descendent, cette usure des chairs. Il n’y a rien à trouver, pas le moindre sursit.

Au mieux expier des illusions. Pris dans un jeu de reflets.

Jouet des transparences.

Pourtant la jouissances se dit dans des hurlements de bête.

La naissance aussi.

Les mêmes cris. Je viens de cette usure des chairs et d’un désir douloureux.

D’un reste.

D’un surcroît de tristesse au bout d’une plage désertée.

D’un épuisement.

Ne l’oublie jamais. Jamais. Méduse abandonnée. Rien de plus.

Le reste d’un combat obscène et douloureux. Des corps qui s’entremêlent dans le désordre d’un désir brutal. Des corps qui mugissent, se tordent. Des corps violents. Des chairs offertes.

L’extase. Comme un effondrement. Comme à l’heure incertaine du soir. Heure incertaine…. Plus tout à fait le jour…. Pas encore les ténèbres. L’effondrement progressif de la lumière. Extase où la mort bave ses poisseuses secrétions.

Extase. Torpeur des frottements. Usure des chairs. Du temps.

Quant au reste c’est l’histoire d’une marée. Perpétuelle ignominie.

Vacuité insoutenable.

Franck

11 mai 2005

Naître.... toujours et toujours, naître.....

Mettre le feu au monde avec mes lettres d’amour.

Donnez-moi un sentier rocailleux qui monte vers le ciel. Je me souviens. Il y a longtemps. Bien avant mon Ange, bien avant mes mots, mes paroles. Le temps où j’étais rien. Le temps où j’étais tout. C’était le temps des méduses, le temps du ventre. C’était avant le lait, juste avant le lait. Le temps de l’eau. Juste avant l’arrachement, juste avant les regrets, juste avant la mort. Mon premier pays, juste avant l’exil, juste avant mon nom. Ce matin j’ai envie de mettre le feu au monde avec mes lettres d’amour. Incendier les brûlures pour les annuler. Le mal, par le mal. Et marcher sur un sentier rocailleux sans me retourner. C’était un temps hors du temps. J’étais là sans être là. Une promesse. Je déteste les promesses…. Je me souviens, un mois juillet écrasé de chaleur. Et l’orage. Un terrible orage. D’où j’étais, je l’entendais. Violent, écrasant comme la chaleur.

Reprenons depuis le début…..

Je suis d’un pays lointain
Où coule une source
Ce pays est si loin, mes souvenirs si fragiles
Que le murmure de l’eau se brouille dans ma mémoire
Et que la lassitude m’envahit soudain.
Pourtant il ne suffit que d’une larme de fond,
Une larme de fond puisée si profond,
Pour que j’entende comme un écho perdu
Le chant de ce pays lointain
Le chant de ce pays perdu…
Je sais un pays où l’eau s’est faite source
Elle s’écoule harmonieuse avec tendresse
Dans un chuchotement de harpe, de flûte,
Laissant parfois s’exhaler le doux hoquet de la terre.
Une claire lumière s’enroule dans l’onde balbutiante
Et fait briller des sons inconnus.
Si je ferme les yeux tout près de cette source,
Dans ce pays lointain
J’entends les rires d’une fée,
Charmante naïade à la chevelure ruisselante
D’une Ophélie ressuscitée
Et de sa lyre magique s’élèvent des chants profonds
Qui me parlent du temps, des étoiles, du ciel et de l’éternité.
L’eau claire de la source défile alors devant mes yeux effarés,
Je passe enfin par le miroir limpide et j’embrasse l’univers tout entier.

(Je n’aime pas cette écriture, je n’aime pas quand j’écris comme ça) (tant pis, je n’ai que ça à offrir ce matin, parce que ce matin j’ai envie de mettre le feu au monde avec mes lettres d’amour)

Reprenons…..

……Mémoire des Mondes infinis….
" Te souviens-tu du torrent fougueux, libre
écumant d’une rage de vivre ?
" Te souviens-tu de la rivière, douce, lascive,
façonnant des paysages changeant ?
" Te souviens-tu des eaux noires de ce lac sombre, mystérieux,
angoissant les crépuscules fétides ?
" Te souviens-tu du fleuve puissant, majestueux, fier,
charriant nos espoirs insensés ?
" Te souviens-tu de cette mer immense, mystique,
Remontant inlassablement ses marées
Comme un chapelet toujours renouvelé ?
" Te souviens-tu ! toi qui as tout connu ?
Je suis toutes ces eaux dans une seule goutte d’eau.
" Te souviens-tu des torpeurs sublimes du Soleil
" Te souviens-tu du feu du Ciel, de l’âpreté de la Terre, de la tourmente du vent
et des rêves bleus de la Lune ?
" Te souviens-tu de mes mains jointes comme pour une prière,
qui recueillaient ton Eau pour nourrir et exorciser mon cœur d’enfant ?
" Te souviens-tu de ce terrible bonheur, de cette déchirure ?
" Te souviens-tu du tout premier jour ;
de ce tout premier jour
où j’ai crié :  " MAMAN !….. "

Franck

21 mai 2005

Une histoire d'amour..... minuscule.....

Au départ on est dans le lointain, on ne se voit pas. Il y a simplement de petites musiques ou quelques fleurs jetées sur le bord de la route. On est aux quatre coins du monde, dans la parole de nos vies séparées, dans l’écume d’une encre chaotique, énigmatique, on est dans la pénitence d’un châtiment de braise. Dans nos maisons c’est les courants d’air, on est dans le vent tourbillonnant de notre âme. Au départ, on ne sait même plus qu’on a une âme, on est seulement dans les ruines d’une église désertée. On est dans un lointain impossible. Parce que nos vies séculaires sont impossibles.

Alors au départ on parle. On est loin et on parle. Parce qu’on pense que c’est la seule chose qui nous reste. Et parler ça fait de la musique, une musique affolée qui vient des chairs, et même de plus loin que les chairs. Tout près de l’os, de l’écorce, de la glaise caverneuse. On vient de l’os, et parler c’est traverser tout le corps, c’est voyager dans le sang, dans les saisons, c’est griffer les nerfs, les vriller, et souvent les mots sont comme des couronnes d’épines. Ils ne sont pas très justes, mais la parole reste toujours vraie. Incroyablement vraie. Une parole farouche et fragile. C’est de la littérature, parce que ça dit toujours les choses vraies avec des mots toujours un peu faux. C’est l’alliance de deux fièvres foudroyantes.

Au départ on est dans une parole trouée, parce qu’on aime les paroles trouées, parce qu’il s’échappe toujours des merveilles de ces trous d’écriture, de ces trous du cœur, de ces trous de vie.

Vous voyez, au départ on est dans le lointain et les mots sont les millions d’étoiles qui nous séparent, et pourtant on est dans le même ciel charitable. Mais au départ on ne sait pas, que le ciel se partage. On continue à jeter des mots au hasard de nos vies. Et puis les mots se touchent, se connaissent, se reconnaissent se mélangent. Bientôt, les mots font l’amour, dans des lits d’orages, dans le temple des étoiles et ils font l’amour dans l’innocence étincelante d’une intimité à peine effleurée, et nous on ferme les yeux, on tourne le dos pour les laisser tranquille pour ne pas déranger leurs noces d’encre.

C’est après que les choses arrivent. Peu à peu. Les mots habitent de plus en plus nos ciels, ils remplissent de plus en plus nos maisons respectives.

Et le temps passe.

Un jour il y a un soleil, puis mille, puis innombrable et on se rend compte qu’il n’y a plus de distance, chaque étoile se sourit dans l’évidence solennelle de leurs seules présences. Il n’y a plus de lointain. On a traversé l’espace et le sang.

Et c’est le trésor d’un chemin tournesol.

Au départ, on est loin l’un de l’autre, on avance dans les pierres de nos vies, dans les cailloux, les ronces, et puis un jour on sent la main de l’autre serrer la sienne. Et c’est la chaleur des mains qui donne cette belle couleur à ce nouveau chemin. On serre une main pleine de mots crucifiés et ressuscités.

Maintenant c’est deux enfants. Ils avaient mille ans et maintenant c’est deux enfants qui marchent main dans la main dans les vestiges tremblants d’une berceuse chuchotée. Elle, elle le taquine un peu ; lui, il lui cueille des fleurs pour les mettre dans sa chevelure. Ils n’osent pas se regarder, simplement des petits coups d’œil à la dérobée. Ils n’osent pas parce qu’ils connaissent l’histoire d’Orphée, eux aussi ils viennent de l’enfer, ils savent que le regard peu tuer, et ils ont envie de vivre. Tant qu’il y a de la chaleur dans leurs mains, ils ont envie de vivre. Dans la nuit ils sont beaux comme une légende, parce que les mots qu’ils disent sont comme des lucioles, et certains soirs on dirait des étoiles filantes.

Lui, il a la tête en l’air, mais elle, la nuit, elle tend l’oreille, et elle jète des pierres sur les loups qui rôdent. C’est lui l’aîné, mais c’est elle, la fille, la petite sœur des mots, qui le rassure. Elle a toujours été comme ça, elle met toujours son doigt là où ça saigne, pour arrêter l’hémorragie du monde, parfois elle en suce les plaies pour en arracher le poison. Elle est comme ça. Elle. L’Ange.

Ils sont sur le chemin et on pourrait croire que leurs pieds ne touchent pas le sol. En fait, c’est vrai, ils volent. Un peu. Mais ça il ne faut le dire.

Lui, il voudrait que le chemin ne finisse jamais. Elle, elle lui dit " avance gros nigaud ! " Il est content quand elle lui dit gros nigaud. Au départ ils étaient dans le lointain, dans l’impossible, et aujourd’hui ils sont dans leur présence. Dans l’évidence, comme dans une révélation. Quand ils sont fatigués, ils se serrent l’un contre l’autre et s’adossent à un talus, et chacun à leur tour ils bercent les rêves de l’autre. La nuit, il aime regarder au fond de ses prunelles : il apprend le vent au souffle de sa respiration, il étanche sa soif avec les gouttes de rosée brodées sur la pulpe de ses lèvres, il entrevois la lumière dans l’or de son corps nu. Il aime protéger son sommeil, il lui dit :" Dors petite guerrière ". Et pour s’endormir, il pose sa tête au creux de son ventre, elle caresse ses cheveux et lui dit : " Dors gros nigaud, dors ".

Si vous êtes attentifs, la nuit, vous pourrez les entendre (ne comptez pas les voir), vous pourrez seulement les entendre si vous êtes assez perdus. Surtout leurs rires, des rires de ruisseaux ou de sources…

Dors, mon Ange….

Franck.

8 juin 2005

Deux portes.....

Et puis il y a l’attente. L’attente et ses deux grands portails. Souvent je les confonds. Je les connais, pourtant, je me trompe.
Souvent.
Dans l’attente il y a deux portes.
La première ouvre sur un sourire, une retrouvaille. C’est l’attente pleine ; le sang bat plus vite, le cœur se charge, s’embellit, se prépare, c’est un temps qui augmente. L’amoureux, attend l’amoureuse. Les secondes tintent clair. Un ruisseau d’eau vive saute et sursaute, courant toujours plus vite vers le soleil. C’est un temps éclaboussé où ne surnage que l’écume bouillonnante de l’âme. Quelque chose en nous s’aiguise, s’allège, s’apprête. Nous sommes sur le point de partir. On est déjà parti. On ne s’appartient plus on est déjà à l’autre. Ce n’est plus notre corps, c’est le sien que l’on touche, ce n’est plus nos paroles mais ses lèvres que l’on boit, ce n’est plus de la soif mais une eau fraîche qui mouille la peau. Ce ne sont plus les semailles mais déjà la floraison. Le manque vient à manquer au manque. C’est un temps de désordre joyeux, du vent dans les jupes des saules.

La deuxième porte. Celle qui ne faudrait jamais franchir. Et pourtant… On est au cœur d’un temps dévasté, qui n’a plus de rives, plus d’horizon. Chaque seconde s’abreuve de notre sang. Et les secondes sont noires parce que le sang est noir. Rien n’est douloureux, mais tout est lourd. Plat et lourd. C’est un temps qui ne ressemble à rien, sinon à nous-même, un reflet plat et délavé dans une glace fêlée. Un temps de chair molle où les organes s’affaissent, où la mémoire trahit. Rien ne bouge puisque tout a vécu et que renaître est un déchirement. Rien ne bouge dans cette ornière du temps. L’autre n’a pas de visage, plus de souffle, l’autre s’est perdu dans tous les autres, c’est un temps d’aveugle, sans réponse, puisque la question s’est diluée dans nos renoncements, dans nos lâchetés. Le manque s’ajoute au manque. Et le silence n’a plus de sens puisqu’il n’est plus offert.

Et chaque matin il nous faudrait sans trembler recommencer l’inévitable choix entre ces deux portes d’attente. Un peu comme on ouvre la fenêtre ou qu’on la laisse fermée. Et souvent je me trompe en laissant les vitres closes croyant me protéger de quelques courants d’air. Et du vent, qui pourrait m’apporter le chant d’un oiseau, la couleur d’un printemps, ou les rires des enfants. Les nouveaux amours voyagent par les airs, ils s’amusent du vent. Je devrais laisser ma fenêtre ouverte, plus souvent…..

Franck

5 juillet 2005

Le soleil se couche toujours deux fois......

Certains soirs nous nous faisions la lecture, à tour de rôle. On s’installait dans le salon, assis sur la moquette et chacun à son tour nous lisions un poème à l’autre ou un texte qu’on choisissait dans la bibliothèque. Nous nous racontions nos humeurs par poésie interposée. Nous nous disions notre amour ou un chagrin du jour. Même quand on s’aime fort, il arrive que quelques tristesses fugitives nous arrivent par l’arrière de la mémoire, un souvenir dépasse et voilà qu’on trébuche. Même les cœurs amoureux sentent parfois rouler sur un rire ou un soupir une larme de nostalgie. Les cœurs amoureux sont nus c’est pour cela qu’ils sont fragiles. Un soir, après le repas, Isabelle me dit qu’elle voudrait voir le soleil se coucher. C’était la fin du printemps, les journées étaient longues. Nous avons sauté dans la voiture, pour contourner la petite colline et nous fûmes en face du disque sanglant du soleil à l’horizon. Nous dominions la vallée de la Creuse. Nous nous sommes serrés l’un contre l’autre en fixant un soleil immense qui lentement disparaissait. Il faisait calme, il faisait bon dans l’air et dans nos âmes. A travers ma chemise je sentais la chaleur de son corps. Elle a posé sa tête sur mon épaule. Nous ne disions rien. Plus le soleil baissait, plus le ciel s’embrasait. Et puis j’ai compris que des larmes coulaient sur ses joues. Souvent s’était sa manière de parler, de dire que tout allait bien, qu’il ne fallait rien rajouter et rien enlever. Qu’elle était à un endroit serein de son cœur et que sa source de vie débordait légèrement histoire que ses larmes fertilisent un bout de terre pour que quelques fleurs sauvages s'y abreuvent. Bientôt le soleil fini par disparaître. Dans un immense fracas de rouge et d’ocre. Nous nous sommes regardés, j’ai baisé ses larmes. Je lui ai dit : " Viens…. Vite…. " Nous sommes remontés en voiture et à toute vitesse j’ai parcouru les quatre lacets qui nous séparaient du haut de la colline, j’ai freiné, nous sommes descendus. Et nous avons vu un morceau de soleil qui s’apprêtait à disparaître. Comme dans le Petit Prince. J’ai vu son visage, il n’y avait plus de larme, mais une expression que je ne lui connaissais pas, une expression claire et brillante d’enfant réjoui. Le soleil disparu pour la deuxième fois pendant que ses lèvres se posaient sur ma joue.
Nous sommes rentrés doucement, enveloppé par la magie de cette soirée au deux couchers de soleil.
Arrivés chez nous sans se concerter nous sommes allés nous assoire sur notre coin de moquette, là où nous nous faisons la lecture, en silence nous avons allumé quelques bougie et un peu d’encens, et lentement chacun a choisi ses livres, pour les dire à l’autre. Je me souviens, en fond sonore il y avait Vivaldi, des petites sonates pour piccolo. Elle a lu quelques lettres de Juliette Drouet adressées à Hugo et quelques poèmes de Marceline Desbordes-Valmore, je lui ai lu des lettres de Joé Bousquet adressées à Poissons d’or, peut-être du Musset ou du Baudelaire, mais certainement du Calaferte. Nous nous appliquions à lire, pour ne pas tituber dans les phrases. Trouver le souffle, l’intonation qui convient, trouver la résonance avec le ventre. Voilà, trouver la voix du ventre, dans les graves, une voix basse, sourde qu’il faut aller chercher loin, très loin. Une voix qui s’essouffle un peu, à peine, mais qui pourrait s’éteindre si l’amour qui la portait venait à faiblir. La lecture finissait presque en murmure. Nos voix se faufilaient entre les lueurs et les ombres tremblantes des bougies. Ce soir là, nous avons lu jusqu’à épuisement des mots. Elle s’était rapproché de moi. Nous nous touchions et toujours nos voix qui s’ajoutaient l’une à l’autre dans ces drôles de berceuses, elles s’accouplaient, elles s’incorporaient, s’accueillaient, comme si les mots prononcés devaient d’abord atteindre la peau. Et quand la parole s’épuisa ce sont nos mains qui poursuivirent la lecture. Nos bouches muettes cueillaient désormais le reste des mots qui subsistaient sur nos lèvres, sur nos corps brûlants. Oui, je me souviens d’avoir bu de longues phrases autour de ses seins, et d’avoir rassemblé quelques alexandrins au creux de sons ventre et sur ses cuisses exaltées courraient encore des rimes sonores et sur son dos coulaient les débris d’un poème décomposé. Sa main sur ma poitrine caressait les restes d’une lettre d’amour et nos jambes conjuguaient tous les temps du verbe adorer. Nous avons échangé nos salives aux goûts de sonnets, effleuré nos visages à chaque couplet et nos corps enlacés dans une ode profonde redonnaient à la prose les couleurs du chant. Nous nous sommes endormis, nus entrelacés sur ce bout de moquette au milieu des livres ouverts et dans les lueurs des bougies fatiguées. Quand je me suis réveillé, le jour se levait, elle était étendue déshabillée de tous les mots de la langue, nue comme une offrande, j’ai simplement cueilli sur ses lèvres entrouvertes les lettres du mot amour, elles avaient résisté à nos jouissances et attendaient la rosée du matin pour s’offrir dans un dernier silence.

Franck

6 juillet 2005

Le dernier soir.....

Et puis il y eut la dernière journée. Le dernier soir. La dernière nuit. Deux ans sans voile, sans ombre, juste à la fin cette petite distance. On n’enferme pas un oiseau. Il nous enchante parce qu’il nous choisit. Parce qu’il est là chaque matin libre de chanter ou de voler ailleurs. Isabelle était un oiseau. Elle en avait la légèreté, la délicatesse, la mobilité. A la fois craintive et imprudente. Durant deux ans, chaque matin elle chantait. Enfin, c’est une image, elle était longue à sortir du sommeil. Dés que j’étais debout, elle se glissait dans la chaleur de ma place, je devinais sous la couette, les formes alanguis de son corps. Alanguis et langoureuses. Le matin c’était son instant de volupté, les yeux à peine entrouverts, elle prenait le temps de se débarrasser de tous ses rêves nocturnes, ou de leurs trouver une fin heureuse. On n’enferme pas un oiseau. Il nous envoûte parce que chaque matin, il est comme au premier jour, dans la renaissance des heures, dans leur gloire, et dans leur achèvement.
J’ai toujours su que le dernier soir arriverait, nous étions dans des âges différents, elle descendait le fleuve et moi je le remontais, elle avait l’océan à connaître et moi, je devais m’en défaire. Dans un remous des flots nous sommes reconnus, je lui disais les mers, les marées et l’écume, elle me chantait les sources et la lumière des ruisseaux. Durant deux ans nos eaux se sont mélangées, ainsi que nos mots et nos rêveries. Durant deux ans rien n’a pesé, pas même le vent, deux ans de grâce éclatante, fulgurante, mais j’ai toujours su que la dernière nuit arriverait.
Trois jours avant elle est entrée à la maison l’air grave, j’étais plongé dans le silence d’un livre, dans le temps vacillant du livre.  " Il faut qu’on parle…. "
Je crois que j’ai su à cet instant. Les explications n’ont jamais beaucoup d’intérêts, elle viennent poser des mots de terre épaisse sur le parfum des roses. Expliquer c’est être sourd. "  Il faut que je prenne un peu de recul… " " Non, Isabelle ce n’est pas de recul qu’il te faut mais d’espace… " Le fleuve nous tirait dans des lieux différents. C’est l’heure des migrations. " Entends les cris des oies sauvages vers le Nord… ". J’avais du sable dans les yeux et le livre aux mots de pierres est tombé. Je n’ai pas marqué la page, puisque je savais que ce livre je ne le finirais jamais, en tombant le livre a arraché un bout du ciel et quelques étoiles se sont éteintes. Les étoiles qui s’éteignent ne font pas de bruit, pas même un sanglot, elles s’éteignent dans un soupir, seulement un soupir.

Et il y eut la dernière nuit. Nous l’avions voulu ainsi. Une dernière nuit. Dans l’éclat de la lampe je cru la découvrir pour la première fois. Nous savions que nos gestes seraient maladroits, nous savions que la fièvre serait longue à venir, qu’il lui faudrait traverser la glace de nos os et de nos chairs froides. Elle était droite devant moi, les yeux fermés. Je l’ai lentement déshabillée. Elle ne bougeait pas, était-elle encore là ? Sa peau m’a parue plus blanche que d’habitude, plus tremblante, quelque chose chancelait dans les climats de la nuit. Lentement elle fut nue. Droite et nue, les yeux fermés. Sa poitrine se soulevait avec ampleur comme si elle cherchait un air qui lui échappait, comme si elle essayait de rattraper les instants qui se défaisait. Nous ne parlions pas. Tout avait été dit. Il n’y avait que nos respirations, nos souffles, et le froissement des peaux, et l’infime grincement du ciel. J’ai caressé son corps nu et droit, toujours avec lenteur, toujours avec l’attention extrême des actes grave, des actes ultimes, puisqu’il y aurait une dernière caresse, puisqu’il y aurait un dernier baiser, puisqu’on était à la fin des temps.
Et puis nos mains se sont touchées, elles se sont reconnues, et confessées dans le croisement de nos doigts, et nos mains ont réchauffé nos peaux frissonnantes, et nos bouches se sont effleurées, et nos langues échangées. Sur notre dernier lit nous somme couchés, bordés de nos souvenirs, ivres d’amertume et de tentations fauves. Sur notre dernier lit nous nous sommes noyés.
Pour la dernière fois j’ai respiré la mousse sombre et soyeuse de son ventre, cette mousse généreuse qui protégeait l’ornière rouge et humide du mystère, j’ai baisé à l’infini sa bouture de nacre impatiente et passionnée qui décorait nos extases et colorait sa voix. J’ai défroissé ses chairs secrètes comme les ailes d’un papillon magique sortant d’une chrysalide de cristal. Nos corps se consumaient dans cette lute lente où les perdants étaient connus d’avance, nos corps se brisaient un peu plus à chaque frottement, ils grimaient des dernières déchirures, comme si les chairs saignaient plus que nos âmes. Nous avons sombré dans un abîme de chaleur barbare, pour dérober ce qui restait à prendre, jusqu’à la dernière goutte de ce miel âpre et acéré, qui brûlait l’intérieur de nos vies. Les caresses étaient presque rugueuses, même douces, elles étaient rugueuses, elles voulaient marquer les peaux de traces ineffaçables, indestructibles, éternelles. Oui, rendre éternels, les derniers instants, les derniers cris, les dernières plaintes. Nos corps se sont cognés l’un contre l’autre. Pour oublier. Qu’ils se perdaient. Et l’espace d’une seconde je me suis vu condamné, sans secours, à sonder l’entrée de son fleuve secret jusqu’à la mort ou à l’extinction des flux. Et l’espace d’une seconde j’ai vu ses yeux chargés de tous les cieux. Et quand elle m’a serré de ses bras, de ses cuisses, de son ventre, tout m’a abandonné, et je su que j’étais aussi seul qu’au premier jour.
Franck

8 juillet 2005

Six mois.....

Estelle m’a appelé hier pour me dire « Ca y est… c’est fait… il est parti hier au soir à neuf heures quarante… » Lui c’est Daniel. Le cancer a fini par lui bouffer le cerveau. Estelle je la connais depuis longtemps, c’est moi qui lui ai présenté Daniel. Estelle je l’aime bien avec ses allures de titi parisien. Estelle elle n’a jamais eu de chance avec ses mecs. Le premier la faisait travailler comme une esclave dans son magasin, mais Estelle s’en foutait, parce qu’elle l’aimait. Et puis, il commença à la tromper. Elle l’aimait toujours, mais souffrait, se sentait humilié dans son amour. Blessée. Alors elle a divorcé. Mais elle l’aimait encore. Le deuxième était un bidochon prétentieux, sans envergure, il aimait jouer à l’homme en humiliant Estelle. Mais elle est restée sept ans avec lui. « Vas me chercher une bière… », « t’es bien trop conne… », « tu vas pas sortir comme ça on dirait une pute… » Sept ans, lui aussi elle l’aimait et elle s’en voulait de l’aimer parce qu’il l’humiliait en public. Estelle, pour ne pas déplaire à ses mecs a pris l’habitude de s’habiller comme un garçon, et de ne pas se maquiller. Estelle c’est une optimiste, j’adore quand elle rit, elle rit souvent, malgré sa vie triste. Estelle se bat, pour ses deux garçons, pour bouffer, pour se loger, mais elle rit. Au bout de sept ans elle a eu le courage de partir. Souvent elle me téléphonait parce qu’elle souffrait de cette séparation. « C’est un con, un vrai con, mais je l’aime… » qu’elle disait. Alors on parlait des heures au téléphone. Estelle je l’ai connu dans mon travail, j’avais besoin d’une commerciale. Son coté direct, m’a plu. C’était une bosseuse. Bosseuse et intelligente. Elle comprenait par instinct ce qui se passait sur « le terrain ». Quand j’avais un rapport à rédiger pour un client je faisais venir Estelle et je lui disais : « Raconter moi…. » Elle savait ce que cela voulait dire. Pendant qu’elle parlait je prenais des notes et au bout d’une heure j’avais de quoi faire un dossier de trente pages, avec toutes les anecdotes adéquates. Cela fait presque vingt ans que je connais Estelle, et l’on s’est toujours vouvoyé. Bizarre. On est devenu ami. Pourtant il n’y a jamais rien eu d’ambiguë entre nous. L’un comme l’autre nous savions qu’il n’existerait jamais rien d’autre qu’une amitié entre nous. Le vouvoiement est resté, cela nous fait sourire parfois. Nos routes se sont souvent écartées mais le contact persiste. Nous nous racontons nos histoires, nos échecs, c’est sans doute la seule personne avec laquelle je me sens libre de tout dire. Sans fard. Estelle aime employer des mots crus. Et Estelle est bavarde, quant elle commence à raconter une histoire vous êtes sûr d’avoir droit à tous les détails et toutes les digressions. C’est exaspérant. Et elle adore m’exaspérer. « Au fait, Estelle, au fait !… » « Oui, mais je vous explique, c’est pour que vous compreniez… ». Estelle veut être précise. Dans sa vie c’est tout le temps la révolution, mais dans ses explications c’est précision et minutie. A paris nous habitions le même quartier quand elle a été seule souvent elle m’invitait à manger. Nous avions toute la soirée pour parler de tout, le travail, les amours, les enfants. Chez elle s’est tout petit mais c’est agréable, chaud, rassurant. Au mur elle a collé toutes sortes de petits objets, des boites surtout, boites de cigarettes, de bonbons, de savon, et puis des photos. Venise. Elle adore Venise pourtant elle sait qu’elle n’ira jamais. Estelle a fait un tas de petits jobs, elle aurait pu faire une carrière, mais ce qu’elle aime par-dessus tout c’est la rue, le contact direct avec les clients, parler, bavasser comme elle dit. Chez elle adorait me montrer son rayon de livres érotiques. C’est son côté provocant. Estelle est pudique dans sa vie, dans ses gestes, mais dans ses mots et dans ses pensées c’est autre chose. Alors, parfois elle me racontait ses histoires de « cul ». Oui, parce qu’après le benêt buveur de bière, elle à galérée, de mauvaises histoires en mauvaises histoires. Un jour, je lui ai présenté Daniel. Il était dans mon équipe de commerciaux. Je l’aimait bien Daniel. Un peu bourru, mais avec un large cœur. Daniel n’a jamais voulu passer cadre. Il voulait que sur sa feuille de paye il y ai le mot « ouvrier ». Alors il a gardé pendant quinze ans la même qualification, même si son travail avait évolué. Il avait l’honneur de sa classe Daniel. Il ne voulait pas la trahir. Sa classe. Daniel n’était pas utopiste, mais il croyait encore au « grand soir ». Il pensait que les pauvres un jour à force d’être humiliés se lèverait pour le grand partage. Daniel n’avait pas lu Marx, d’ailleurs il ne lisait pas, mais il avait un grand cœur. L’injustice le mettait en colère, et quand il se mettait en colère, Daniel, cela faisait du bruit. Daniel avait le sens de l’équité et de la dignité. Entre tous les deux le courant a passé tout de suite. Daniel et Estelle. Bizarre ? Non, au font il allait bien ensemble. Du jour au lendemain ils sont redevenus comme des enfants, ils se sont fait une cour maladroite et touchante. J’ai servi d’intermédiaire, de boites aux lettres, de confident à l’un et à l’autre. Daniel amoureux.. c’est comme si un barrage cédait. Il était dans sa nouvelle révolution, moins assidu à son travail, mais brillant dans lumière du jour. Estelle redevenait coquette… et puis les choses se sont concrétisées. Daniel a tout quitté, trente ans de mariage et d’ennui t de petit pavillon de banlieue, pour venir s’installer à Paris dans le petit appartement d’Estelle. Cela a duré six mois, six mois où je n’ai plus eu aucune nouvelles d’eux. Lui il partait tôt du boulot, il arrivait en retard, il avait la mine réjouie. Six mois. Et le cancer est arrivé. Il n’ont eu que six mois de répit, de jeunesse, d’amour fou à un âge où l’on pense à marier ses enfants. Eux ils allaient manger des glaces aux Champs Elysées, ils montaient à Montmartre, ils allaient à Honfleur, ils allaient au cinéma, au restaurant, le soir ils faisaient des promenades à pied dans les rues de Paris. Six mois. Et puis le diagnostique. Cancer. Un an de souffrances. Estelle a vécu cela dans une folie complète. Ne comprenant plus rien à sa vie. Elle l’a soigné, chaque jour un peu mieux, chaque jour un peu plus. Tout le monde sait comment ça fait un cancer, la chimio, les rayons et puis la douleur, l’incompréhension. La stupeur aussi. Très vite il a arrête de parler. Très vite sa colère est tombée sur Estelle. Estelle s’en foutait, elle savait qu’il l’aimait. Et que c’est la façon des mourant pour dire qu’ils aiment. Comment dire qu’on aime la vie, qu’on aime Estelle, quand on va mourir demain, dans trois jours, dans un mois. Il n’y a pas de mot. Il n’y a que la colère. Estelle me téléphonait régulièrement, parce qu’elle n’en pouvait plus, elle ne comprenait rien. Alors elle a appris tous les gestes, pour dire l’amour autrement qu’avec des rires. Elle a appris le silence, elle si bavarde, elle a appris à ne pas pleurer, à rester là, à côté de lui, dans la pénombre du petit appartement. Elle me disait, « je n’en peux plus… je ne sais plus quoi faire…. » « J’ai pas de bol avec mes mecs, les deux premiers c’étaient deux connards, et le troisième, qui est bien… il meure » Elle disait ça avec un ricanement de défit. Hier, elle m’a dit « C’est fini… voilà… c’est fini… il est mort dans mes bras. Son cœur s’est emballé, il a eu trois sursauts, et au troisième….. » Estelle est toujours précise quand elle explique. Elle ne pleurait pas au téléphone. Il fallait qu’elle s’occupe de tout. Elle m’a dit « Je vous rappelle… », parce qu’avec Estelle on se vouvoie toujours. Six mois. Seulement six mois de bonheur, d’insouciance, de tempêtes chaudes… Six mois. Franck
10 juillet 2005

Une année de sable....

Aujourd’hui c’est mon anniversaire. Et le temps pèse un peu plus lourd. Et le soc entre encore un peu plus profond dans la terre des de la mémoire. Labourage des chairs. Emiettement des heures. Un voile qui se tend sur l’horizon.
Drôle d’année.
Une année de sable qui s’échappe de mes mains poreuses et malhabiles.
Une année de sable dans mes veines. Dans mes déveines.
Une année de plus qui vient s’empiler sur le tas des autres. Tas dérisoire.
Drôle d’année, à cultiver les illusions comme un jardinier entêté, à fabriquer une langue de ronces et de broussailles. Une langue morte. Plus morte que moi, qui ne suis guère vivant.
Drôle d’année à n’étreindre que des ombres, à ne fabriquer que du vent et à ne récolter que du vent ou seulement du rien. A s’arracher les yeux sur des miroirs aux alouettes.
Une année virtuelle. Qui pourtant pèse lourd en désillusions ? Paradoxe des temps : moins ça existe, plus ça compte. Comme à qui perd, gagne ou l’inverse. Ou, à qui perd, perd deux fois plus.
Aujourd’hui je voudrais être autiste et amnésique. Me recroqueviller sur moi, me rouler en boule sous les couvertures et ne plus bouger, et d’attendre que tout passe. Je ne suis pas fait pour le monde, pour les autres, sinon ça se saurait, depuis le temps… Et je continue à m’acharner à croire en l’incroyable, à espérer en l’impossible. En fait ce sont les dieux qui sont autistes, ils se rient de nos gesticulations vaines, insignifiantes et ridicule.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire, et je n’ai plus de couleurs sur ma palette, mon pinceau est cassé. Même ma colère est vaine. Xercès battants les flots. " Au clair de la lune mon ami Pierrot, prête-moi ta plume pour écrire un mot, ma chandelle est morte, je n’ai plus de feu, ouvre-moi ta porte pour l’amour de dieu ". Vas te faire foutre Pierrot, toi et ta porte, vas’y avec dieu, ça vous promènera !
Depuis quelques mois je suis sur " la toile " ( à prononcer toâle) ou sur le Net comme on voudra, qui n’a rien de net. J’écris, je lis, j’écris… Au départ on écrit pour soi ou pour elle, c’est pareil, après on écrit pour soi et pour les autres, et là c’est foutu. A chaque mot on y laisse un morceau de chair, au bout du compte, il ne reste que les os. Et ça cliquette, les os, c’est tout se que ça fait : ça cliquette.
Comment imaginer qu’ici ce soit différent qu’ailleurs, que dans-la-vraie-vie ? Ce sont les mêmes gens. Certains avec des masques, en plus.
Naïf ? Oui, sûrement, et je n’en suis pas fier.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire et je ne veux pas qu’on me le souhaite, parce qu’on ne fête pas les défaites.
J’ai envie de fermer, ici. De ne plus avoir attendre ce qui ne pourra jamais arriver. Je croyais qu’écrire pouvait servir à souffler, sur les choses et le monde, quelques parfums de roses, quelques poussières d’étoiles… balivernes tout ça !
En fait il n’y a rien à attendre et c’est sans doute mieux ainsi.
On est tous empêtrés dans nos moi visqueux, dans nos ego malades, et on croit que quelques mots changeront ce qui a mis si longtemps à s’élaborer, à se mitonner.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire et je suis en colère, en colère contre moi, contre ma faiblesse, mon indigence, ma crédulité, ma bêtise et ce fond de vanité insane. Ce matin tout m’emmerde et en particulier ce blog et le net.
Parce que ce matin c’est mon anniversaire et que ça me met en colère.

Franck

15 juillet 2005

Les Oies Sauvages......

Pour S.

Maintenant ils roulent. Il fait nuit. Et ils roule vers….Il faut reprendre un peu plus tôt. C’est un voyage qui s’est décidé très vite. Dans une sorte d’urgence. Parce que l’amour a ses brasiers et ses trous d’ombres, et ses espaces creux. L’amour est une perpétuelle question. Alors ils ont décidé de faire ce voyage. Un peu absurde. Mais il fallait faire quelque chose. Là tout de suite. Prendre un sac, le remplir de vêtements pris un peu au hasard. Et partir. Ils ont pensé à Venise. Mais ils ont éclaté de rire. Non, pas Venise. Pas le sud. Toutes les directions du sud sont impossibles. Alors il a dit, le Nord. Elle a dit pourquoi pas. Le Nord pour lui c’était d’abord un souvenir de chanson. Une chanson triste que chantaient les marins ou les soldats perdus. En roulant il se remémorait les paroles :
" Les oies sauvages vers le Nord
Leurs cris dans la nuit montent
Gare aux voyages car la mort
Les guettent par le monde. "
Il le savait ce voyage serait le point de fin, ou le premier élan. Il savait qu’ils n’en reviendraient pas indemne. Elle aussi le savait. Et tous les deux le voulait ainsi.
" Au bord de la nuit qui descend
Voyage grise escadre
L’orage gronde et l’on entend
La rumeur des batailles."

L’amour à besoin de s’arracher du temps et des autres et des mots. L’amour a besoin d’une mer de silence pour trouver ses marques.

Ici, lui, on l’appellera Lui, et elle, on l’appellera Elle. Leurs noms n’ont pas d’importance. Ils ont tous les noms. Ou ils n’en ont aucun.
Elle lui a dit : " Si l’on va vers le Nord, alors on va au bout du nord, jusqu’à la dernière terre. " Elle avait rajouté : " Tu es d’accord… ? ". Lui il avait compris ce que cela voulait dire. La dernière terre. Le bout. La fin. Ou la renaissance.
Dans l’amour, on ne dit pas tous les mots. C’est d’ailleurs à ça que l’on reconnaît l’amour. A ces trous dans la parole. Plus que des trous. Combien d’amants se sont perdus, là, dans ses gouffres. Les amants parlent par ellipse. L’important c’est toujours ce qui n’est pas dit. Tous les deux le savent. C’est pour cela qu’ils sont ici, ensembles, sur cette route vers le Nord, vers la Norvège. Vers le bout de la terre. Ils savent qu’ils ne sont pas partis vers une géographie, mais plutôt vers un lieu du cœur. Lui, il aurait dit de l’âme. Mais elle n’emploie pas ce mot. Il y a des mots comme ça qu’elle n’emploie pas. Des choses qu’elle ne fait pas. Tous les deux savaient que ce voyage décidé n’importe comment était le voyage le plus important de leur vie. C’est pour cela qu’il était absurde. Rien de préparé, simplement les passeports, et une carte routière achetée sur l’autoroute. Lui, il avait jeté dans le coffre quelques couvertures, une petite tente, les sacs de couchage. On ne sait jamais.
" Au bord de la nuit qui descend
Voyage grise escadre
L’orage gronde et l’on entend
La rumeur des batailles."

Ils n’avaient pas l’intention de faire du tourisme. Non, ils devaient simplement aller loin, très loin, ensemble. User leur présence. User leur silence. Ils en en avaient l’habitude du silence. Ils se connaissait bien. La vie de chacun était déposée sur la main de l’autre. Et dans leurs yeux ils se parlaient.
L’amour n’aime pas le bruit, et parfois les silences sont bruyants. Ils n’aimaient pas les paroles inutiles, le caquètement de la bouche qui ne dit rien, sinon la peur du silence. Mais quel est le mot qui convient après un très long silence. Le mot à la hauteur d’un silence. Pas évident. En fait ce voyage devait servir à cela. Trouver ce mot. Lui il avait dans sa tête cette chanson.
" En avant vole les armées
Et cingle aux mers lointaines
Tu reviendras mais nous qui sait
Où le destin nous mène. "

Il fait nuit, ils roulent, la nuit est chaude. Ils ont passé la Belgique presque s’en rendre compte. A part ces lumières sur l’autoroute. Maintenant ils sont en Allemagne. Lui, il s’arrête de temps à autre pour fumer une cigarette. Elle n’aime qu’il fume dans la voiture. Elle a raison, elle voudrait qu’il s’arrête de fumer. On est au début du voyage. Elle met de la musique. C’est toujours elle qui met la musique. Elle a plus de goût que lui pour ces choses là. Il fait nuit. Il sait qu’elle aime ça, rouler de nuit. Il la regarde du coin de l’œil. Il l’a trouve belle. Il l’a toujours trouvé belle. Ses cheveux sont défaits, ils flottent légèrement dans l’air qui rentre par la vitre entrouverte. Elle a gardé ses lunettes de soleil. Elle aime être cette ténébreuse qui traverse la nuit. Elle a posé son pied droit nu sur le dessus de la boite a gants. Elle a une pose impudique. Pas tout a fait. Elle n’aime pas l’impudeur. Mais là, il fait nuit, ils roulent. Il peut voir ses cuisses au-dessus des genoux. Elle est belle.

L’amour est un voyage impossible. Parfois il lui prend la main pour y déposer un baiser. Elle sourit.
Dans ce voyage ils sont trois. Derrière, invisible il y a un ange. On appelle ça un ange. Mais contrairement à ce que l’on croit il n’est ni bon, ni mauvais, il ne protège pas vraiment. Il est là c’est tout. A un moment donné du temps il y a comme un tintement. Seuls les anges les entendent. Alors le plus proche se déplace pour voir ce qu’il en est. C’est comme ça que le troisième passager de la voiture est arrivé. Il a entendu tinter. Et il est arrivé. Il les regarde. Ils sait tout d’eux. Mais il est ronchon. Lui il aurait aimé une mission plus au sud. Les plages l’été, tous ces corps presque nus, toutes ces sueurs qui s’échangent, les boites, la musique à fond. Il aurait préféré. Là, c’est le silence. Ses " clients " ne parlent pas. La musique est bonne. Mais s’est loin d’être Ibiza. Et puis la Norvège, quelle idée ! Il sent d’instinct que c’est une mission sérieuse, grave. Il ne sait pas s’il sera à la hauteur. Mais si le ciel a tinté c’est que sa présence était requise. Toutes les choses importantes sont inscrites dans le ciel. Ca tout le monde le sait, ou presque. C’est pour cela, qu’avant, les dieux plaçaient dans les cieux les âmes des humains valeureux. Chaque étoile est une âme. Mais les âmes pures sont des constellations. Peut-être que ces deux là en deviendront une. C’est bien pour un ange de promouvoir une constellation, ça lui donne du galon. Là, il les regarde. Elle, elle est belle. Il voit sont cœur en feu. Et sa jambe, et sa cuisse. Il n’a pas de sexe, les anges n’en ont pas, mais cela ne l’empêche pas d’aimer les belles choses. Il voit sont cœur en feu, et l’infini qui l’habite. Cela fait longtemps qu’il n’avait pas vu un infini si profond. Presque angoissant tellement il est profond. Lui, il lui fait une drôle d’impression. Décidément ils ne vont pas ensembles, pourtant il ressent comme une évidence. Les anges sentent bien cela. Les évidences. Lui aussi il est dans le feu. Mais ce n’est pas le même qu’elle. Plus contenu.

Lui, il pense à tout cela en conduisant. A l’urgence du voyage. A l’urgence de l’amour. A la gravité. Pourtant cela ne fait pas si longtemps qu’ils sont ensembles. Mais c’est cette histoire d’infini, d’absolu qui le taraude. Comment éviter la banalité des heures, des jours, des saisons ? Comment éviter l’effondrement des corps après l’amour ou l’usure des chairs ? Comment réussir à inventer cette langue toujours nouvelle pour dire la beauté de ses yeux, la douceur de son souffle ? Il la regarde. Il sait que ce voyage est une épreuve. Qu’au bout, plus rien ne sera comme avant. Parce qu’il ne vont pas vers une géographie, mais vers ce lieu de l’âme insensé. Ce lieu qui ressemble à la folie, puisqu’il est sans raison, qu’il est tout en tremblement, puisqu’il est tout en abandon. Au bout il faudra bien arracher son cœur, arracher sa chair. Il le sait. Et il sait qu’elle le sait aussi.

Il fait chaud, ils montent vers le nord, vers le bout de la terre. Il a peur. Et même si elle paraît nonchalante dans cette pose impudique, il sait qu’elle a peur aussi. Elle a peur parce qu'elle a toujours eu peur dans sa vie. Il avait découvert quelqu'un d'étrange : terrorisée par sa famille. Elle n'aimait pas sa mère ni son père qui passaient leur temps à boire et à regarder des émissions pathétiques à la télévision. Elle faisait tout dans la maison. Elle faisait tout, la vaisselle, le ménage, la cuisine. Son père était étrange avec Lui. Lorsqu'elle a commencé à vouloir le présenter à ces parents indignes. Il a pensé : cet endroit ressemble à la folie : la fille a pris la place de la mère et la mère a pris la place du chien. Le chien a pris la place d'un arbre, dehors. Les enfants dehors lui jettent des cailloux. Attaché constamment, il mord. Depuis que les gosses ont essayé de le brûler, il était méchant, très méchant, sauf avec elle. Elle savait le prendre. Elle ne le caressait pas car la bête ne supportait plus qu'on la touche. Elle lui donnait à manger et elle voyait dans l'oeil qui lui restait : quelque chose comme de la gratitude. Dans l'oeil d'une bête.

Ils avaient peur parce que à la radio, ils parlaient de nouveaux soldats, envoyés au front. Pour très bientôt. Ella couchait avec son père depuis l'âge de quatorze ans. Personne ne le savait mais les gens lui renvoyaient sa détresse à la figure. Ils devaient le sentir. Les gens avec leurs égos flexibles. Luis lui avait dit en écrasant une cigarette dans sa paume, nu sur le lit, après l'amour, tandis qu'elle nue devant le miroir coiffait ses cheveux longs, qu'il voulait l'emmener. Loin de son père. Une fille ne fait pas l'amour avec son père. C'est n'est pas une chose naturelle, c'est une invention. Lui disait-elle. Elle souriait, les yeux pleins de larmes. Lorsqu'ils faisaient l'amour, elle n'avait plus de problème, le plaisir n'était plus coupable. Allongé, nu, il lui tendait la main, en souriant, elle lui prenait, en lui rendant ce sourire si gentiment donné. Elle l'aimait dans ces moments-là.

Son père à Luis, lui qui aimait elle, Ella, voulait l'envoyer en Irak, combattre. Le Nord était loin, sur la route ils avaient peur. Ils étaient heureux mais la peur était aussi heureuse pour eux. Le père de Luis était très autoritaire et avait dit à son fils un jour : "tu seras un militaire ou tu ne seras pas". Il ne rigolait pas, cet homme. Luis avait eu l'apparition de l'ange un jour, alors qu'il sortait de la douche. Ruisselant, nu, il avait vu l'ange lui redonner espoir : c'est vrai qu'à cette époque il pleurait seul dans sa chambre. Il était comme ça. Dans un coin de la salle de bains, comme ça. Comme un cadeau. Et puis il n'aimait pas les bars de militaire. Il était allé dans les toilettes une fois, il avait surpris une poupée Barbie style années 40 comme Veronika Lake, coiffée de la même façon faire une fellation à un marine musclé comme l'incroyable Hulk. Il avait pleuré en fumant une cigarette dehors, en regardant son reflet et celui de la lune derrière le sien dans une flaque d'essence ou de liquide réfléchissant.

Il savait lui tendre la main dans des moments comme celui-là. A la radio, des explosions, des meurtres, des viols et des 14 juillet triomphales.

  • En avant marchent les armées

  • Au loin la mer déjà s'est retirée

  • Il reviendra vers nous qui sait

  • Avec courage et force au-delà des Ardennes

Ils se sont arrêtés. Quelque part dans un endroit désert. Il s'arrête souvent dans des choses désertes, elle dit. Ils se font un sourire. Ils donneraient envie à l'âme la plus impersonnelle, la plus froide. La plus imperméable aux sentiments. Comme si on pouvait négocier avec les sentiments. Comme si nous pouvions négocier avec l'amour. C'est plutôt l'inverse. La station était grande. Elle était restée dans la voiture, prostrée. Je serais restée prostrée comme elle si j'avais été Ella. Elle écoutait à la radio les chants de militaires qui partaient dans des pays où les contrôles à l'aéroport étaient moins importants que dans les leurs pour aller anéantir cette menace pesante qu'était le terrorisme. Il a demandé qu'on lui mette de l'essence. Ils avaient oublié le Nord. Ils étaient ensemble, ils attendaient de l'essence. La voiture allait caler dans quelques kilomètres sinon. Et il fallait absolument la remplir. Ils étaient ensemble de toute façon. Mais l'endroit ressemblait à un désert. A un désert d'Irak. Il a pensé : je dois être déserteur maintenant. Elle a regardé la station-essence et lui qui faisait le tour, au même moment elle a pensé : il doit être considéré déserteur maintenant. Ils étaient faits pour se rencontrer décidément.

Il a vu dans un enclos des chevaux. Des familles. Bruns, Purs Sangs, Racés, Noirs, Mouchetés. Un homme âgé est descendu tout sourire vers la voiture. Il a regardé les chevaux de toutes les couleurs en trouvant qu'ils étaient beaux. Comme Elle. Ella a dit bonjour au vieux monsieur. Qui sur son visage avait l'expérience de sa vie. Il lui a fait le plein. En attendant, Luis regardait les chevaux. Il avait envie de pleurer. Tout allait bien, ça le rendait triste. Les militaires allaient l'attaquer en justice maintenant, c'était sûr. Car lorsqu'ils n'attaquent pas, ils défendent, et lorsqu'il n'y a personne à attaquer, ni même personne à défendre, ils attaquent en justice.

L'homme demanda à Ella si elle n'avait pas soif. Elle lui dit : "non". "On va vers le Nord". "Par la route ? Vous auriez dû prendre l'avion".

Elle avait croisé ses doigts, elle avait regardé la route qui semblait n'avoir jamais de fin. Devant eux.

Franck & Angéline

16 juillet 2005

Le pont...

Ce matin les mots étaient épais, pâteux. Je ne savais où les poser. Je suis ni bien ni mal. Mais les mots s’absentent parfois. Ils ne donnent plus leurs significations. Souvent je dis qu’ils se tirent la langue. C’est ainsi…

Il a décidé de faire un pont. Georges mon grand-père. Il voulait toujours des choses insensées. A cet endroit la rivière fait au moins douze mètres. Mais c’est là qu’il veut faire passer son pont. Et il veut un vrai pont en pierre, avec une arche.

Faire un pont c’est comme traverser l’océan. Ou écrire un poème. Les ponts et les poèmes sont la même choses. L’un traverse la rivière sans la toucher, l’autre traverse la langue sans la toucher. A chaque fois qu’un poème touche la langue il s’écroule, comme le pont. Le poème doit permettre de traverser la langue sans la toucher pour que le cœur ai les pieds au sec.

Dans le village à coté, il est allé voir un maçon. Il le connaissait bien. Bibar on l’appelait. Petit, trapus, nerveux. A l’époque il devait avoir soixante cinq ans. Comme Georges. Bibar était un ancien boxeur, il avait gardé cette démarche voûtée qu’ont les boxeurs. Et un tic ; avec le pouce il se frottait la narine. " Tu as déjà fait un pont ? ", " Non… " En fait Bibar avait passait sa vie à monter des mûrs pas toujours très droits. Mais des mûrs seulement. Solide, mais pas toujours très droit. " Ca te dit de construire un pont ? " " Euh !…. " " Mais seulement tous les deux…. " " Alors c’est d’accord, tous les deux…seulement… "
C’est comme ça qu’ils se sont mis au travail. Georges lui a montré l’endroit, l’autre à coté remuait déjà des épaules comme s’il allait monter sur le ring. Drôles de silhouettes tous les deux. Autant Georges est imposant comme un taureau, autan Bibar paraît chétif. Je m’en souviens, ils ont les mains dans poches et ils regardent la rivière. Moi je dois avoir une douzaine d’années. Et le pont c’est comme traverser l’océan. Ils ont décidé d’écrire leur poème à deux. Simplement pour l’amitié. Pour un temps à mettre en dehors du temps. George avait toujours des envies baroques. Depuis la nuit des temps on avait traversé la rivière à l’aide du gué, mais ce jour là il fallait un pont. Parce qu’un pont c’est autre chose que du béton. Un pont c’est un poème. Tous les deux ils se respectent, c’est souvent comme ça entre les hommes. Quelque chose d’invisible les relie. Bibar a dit, je fais les plans. Alors ils se sont retrouvés au café. Là s’était du sérieux. Au nombre de kir qu’ils ont bu s’était même du très sérieux. Je crois que les pyramides ont commencé comme cela. Ou la muraille de Chine. Deux types qui s’emmerdent dans leur vie et qui décident ensemble de bâtir un pont, pas forcement pour traverser une rivière, mais pour traverser une poésie.
Bibar a sorti un misérable papier de sa poche, qu’il a ouvert pour découvrir un misérable dessin. " J’ai réfléchi, on va le faire comme ça… " Georges, pas contrariant : " T’as raison Bibar !.. " Les architectes sont souvent trop précis dans leurs plans et il manque la dimension du kir, dans leurs dessins. Les villes seraient plus habitables si les architectes voulaient traverser des poèmes. Georges à tout de suite vu à l’exactitude du trait la dimension de l’ouvrage. Il jubilait mon grand-père. En prévision du bon temps qu’ils allaient passer ensemble. " T’as bien fait tes calculs Bibar ? " " T’occupe, on va mettre du béton, si je me suis trompé, avec le béton qu’on va mettre le pont ne risque pas de s’écrouler. Du béton Georges ! du béton !… " C’était son mot, à Bibar : le béton. C’était mieux qu’une règle à calcul, mieux que les équations du second degré. Le béton, quand tu en mets beaucoup, mais beaucoup, tu ne risques rien. Le pont coûterait cher, mais il tiendrait. Foi de Bibar !

Toutes les après-midi ils se retrouvaient à la rivière. Bibar au béton, Georges au casse-croûte. Moi je les suivais, je ne comprenais pas tout, sauf, que ce qui les unissait tous les deux était encore plus solide que le béton de Bibar.
Peu à peu Bibar amenait, les planches pour les coffrages, les tiges de ferrailles pour le béton, le sable, les graviers, et bien sûr le ciment. Le chantier prenait forme. Et puis Bibar amena la bétonneuse.
Ils y ont travaillé dur. Ce fut long, laborieux, souvent l’heure du casse-croûte se poursuivait et il leur devenait impossible de continuer à travailler. Ils se racontaient leur vie, Bibar ses combats, ou la dernière fois où il a mis son poing dans la gueule d’un " grand ", Georges, lui, il racontait la marine et le temps où il avait fait le tour du monde. Parler assèche même les gosiers les plus poétiques, alors le vin de Georges faisait merveille.
Quand George rentrait, ma grand-mère lui demandait où il était passé : " Au pont… " Ca voulait tout dire. Au pont. " Tu as vu dans quel état tu es… ? " " Tu me fais chier… ! " Georges était un vrai poète.

Ils ont commencé par les piles. Il en a fallut des bétonneuses, et des sceaux ! Mais s’était le plus facile. Coffrer, mettre des kilos de ferrailles, et après des tonnes de béton. Ca, Bibar savait faire. Où cela s’est compliqué, c’est pour l’arche. Une arche de douze mètres. La précision des calculs de Bibar rassurait Georges. Et s’il avait un doute, il y a avait le dessin de Bibar. Donc, pas de problème. Faire un pont c’est comme traverser l’océan. Ou suivre les plans de Bibar. A force, de l’avoir dans sa poche le papier était devenu illisible. Néanmoins religieusement Bibar le sortait régulièrement et le regardait d’un air savant en hochant la tête, et avec un coup de pouce sur sa narine, il le remettait dans sa poche.

Ils étaient beaux à voir, ce n’était pas des enfants, ils étaient plus…ils avaient une sorte d’irréalité. Ils riaient, ils se moquaient l’un de l’autre et quand ils étaient fatigués, ils buvaient. Moi je portais les sceaux de béton.

Et c’est ainsi que le pont fut construit. L’arche bien sûr posa des problèmes, aujourd’hui encore on voit bien qu’elle n’est pas équilibrée, et qu’elle tourne légèrement. Mais le pont est là. Toujours là. Depuis quelques temps ce n’est plus un pont clandestin, il est marqué dans les cartes IGN. Parce que bien sûr, au départ, il a été construit sans permis. On ne demande l’autorisation à personne pour faire un poème, alors pourquoi demander quand on fait un pont.

Ce matin j’étais sur ce pont. Je l’observais. Un pont va toujours quelque part, or celui là ne va que dans un champ sans importance. En fait, il va plus loin. Il y a du béton dans ce pont, mais je sais qu’il y a autre chose. La rivière le sait. Si l’on ne fait pas de bruit, on peut entendre porter par le bruit de l’eau, des histoires de boxe, et de tour du monde. En remontant de la rivière, ce matin, j’ai vu briller quelque chose au pied d’un arbre. Je me suis approché, c’était un bout de goulot de bouteille qui dépassait. Alors je l’ai déterrée. Elle n’était pas cassée. Je l’ai prise, elle est là devant moi. Et c’est elle qui dicte les mots et l’histoire du pont.

Faire un pont c’est comme traverser l’océan….

Franck

26 juillet 2005

Les indécences

Je crois qu'il s'agit de Nobody, qui m'avait dit en résumant son poème, qui m'avait plu, ce qui avait même choqué, enfin choqué n'est pas le mot, interloqué Simone, parce qu'elle m'a dit que Nobody était hypocrite, et faisait du mal à une certaine Catherine, enfin bref, peu importe, donc Nobody m'avait dit en gros : on ne doit pas repousser l'amour lorsqu'on a la chance de le posséder à hauteur de coeur. A portée de main. On ne peut pas repousser l'amour. Son texte sous-entendait même qu'il était plus que stupide de repousser cet amour : c'était même indécent. Sur le coup, en lisant, j'étais d'accord, d'ailleurs lorsque je fais quelque chose de mal pour moi pour les autres, je m'en rends compte, finalement je suis un monstre avec des émotions humaines. C'est juste ma langue qui est perverse. Non je plaisante, ma langue est tout sauf perverse. Et donc cette langue qui aime tant écrire la vérité, ou ce qu'elle voit de la vérité, après tout il s'agit de mon point de vue, dans la vie normale, pas dans l'écriture se trouve confrontée à la frustration parfois triste de vivre auprès de gens qui ne s'accordent pas le droit de dire ce qu'ils vivent en eux. Dans leur coeur. Certains trouvent ça indécent. De parler de ça. En fait, ils n'ont pas tort, mais ça n'est pas toujours indécent. Alors que de repousser l'amour, c'est plus que stupide, c'est indécent. C'est renier le pourquoi de nos réveils douloureux le matin. Pourquoi je suis vivante, c'est renier pourquoi je suis en vie. C'est monstrueux. M'a dit je ne sais plus qui. Ce n'est pas Simone. Je ne pense pas. Simone ne dirait pas ça. Simone ne va pas dans les chats cochons comme moi dans le même but que moi. Je suppose. Enfin bref, toujours est-il qu'un jour je m'attache à une personne, qu'on s'aime, qu'on fait un bout de chemins ensemble et qu'un jour se termine pour qu'un lendemain je me réveille en trouvant qu'il me manque quelque chose. Pleurer en regardant le ciel, alors, ça aide ? Mes peintures ne parlent que de violence, la vie ne parle que de violence, pourtant je ne suis plus agressée physiquement depuis longtemps. Certains pensent : les mots font mal. Pour qui a de l'orgueil à perdre certainement. On a oublié de dire. Parler de ce qu'on vit en soi, c'est certainement infernal, pas intéressant. Et si tout le monde le faisait, honnêtement, il est probable que je serais pas la seule à être sordide. Ou étouffante. Je serais même classée dans les malines lumineuses qui utilisent les ténèbres pour mieux les affronter. Vous pensez que c'est facile de les affronter ? Par exemple, Simone, je m'adresse à vous directement, Franck m'a dit ceci : "Je crois que je n'ai pas été assez clair.
Simone c'est à vous que je m'adresse. Foutez le camp de chez moi ! Vous n'êtes pas la bien venue. Vous m'emmerdez, avec vos commentaires à la con."
Non pas que je suis la porte parole de mon compagnon de fortune car il est assez grand pour se défendre, mais son texte n'était pas littéraire et il ne voulait pas en faire ce soir. Avec son style. C'était un message adressé à votre personne, je lui ai rappelé que la colère  était bonne une fois passée. C'est écrit dans la Maison du Christ. Quand vient l'été, on est envahis par les mystiques, avec leurs piqûres. Simone : "c'est toujours la question du père". Franck : "Si l'écriture vous démange faites votre blog, où publiez à la NRF, ça vous occupera et vous éviterez de faire la mouche du coche sur le blog des autres." Vous m'aviez dit Simone que Nobody vous avait fait du mal, qu'elle vous avait pris votre innocence. Votre coeur sans haine. Une phrase du même genre. Je m'en souviens bien. Moi aussi on a essayé de tuer ce que les gens trouvent indécent : la vie intérieure. Secrète. Le jardin secret vous savez, ce qui devrait rester dans nos poitrines. Mais non, moi j'ai décidé de le mettre sur mon étal. Ce n'est pas forcément bien de le faire, il faut avoir une bonne drogue pour tenir. Franck était en colère contre Simone, c'est vrai qu'elle règle ses comptes chez les autres, c'est vrai qu'elle aurait pu le faire chez moi, chez moi ça se prêtait mieux. Que chez mon compagnon de galère. Donc Simone, en gros, Franck ne veut plus que vous déposiez de commentaires qui à l'avenir seront supprimés. Il a le droit de faire ce qu'il veut, ici c'est chez lui. Et puis aussi, il n'a pas aimé quelque chose : vous m'aviez dit, d'une manière à mes yeux innocentes ou alors pas si innocente que ça qu'il était socialement versatile. Je lui ai dit. Il n'a pas apprécié. Je n'ai pas compris où vous vouliez en venir. J'avais trouvé ça étrange. De votre part. Parce que je ne comprenais toujours pas où vous vouliez en venir avec moi. Vous me faisiez penser à Sacha. Avec ses commentaires à la noix. Par exemple quand Simone vous dites : "je vais cailler le lait", c'est magique vous comprenez pour moi. Non vous ne comprenez pas ? Un homme, comme vous me disiez de Nobody, votre version des faits, un homme est monté sur moi. Je l'ai déjà dit mille fois, je vais le redire, je sens que le lecteur a besoin que je radote. C'est bon de radoter, en plus on ne peut pas m'accuser de le faire, je suis loin d'être la première, je suis loin d'être la seule. HA. Donc il m'a un peu serré la gorge, en me déshabillant. J'étais tétanisée, à mon âge ingénue, on peut le dire mais je me suis bien vengée depuis (j'espère qu'aucun imbécile ne viendra me parler de ma souffrance après ça, s'ils ne lisent que de la souffrance alors franchement c'est que les églises et les mosquées  et les crises de foi ne servent à rien). Non, pas le temps dans la souffrance, le mec il vous étrangle, le mec il a le même sang que votre mère, c'est son frère. J'ai eu une occasion unique dans ma vie : faire l'amour avec quelqu'un de ma famille, de mon sang. On peut voir les choses comme ça. J'ai reçu un message comme ça d'un lecteur qui me disait : "franchement, votre viol est-ce que vous n'avez pas pris de plaisir pendant ?" Sanguine j'étais à l'époque, je l'avais traité de "suceur de bites grasses" et je lui avais dit aussi : "tu suceras des bites en enfer sombre imbécile". Il n'avait pas répondu j'avais dû passer pour une folle furieuse qui ne se remet jamais des traumas. Car le monde se passe là-dedans. C'est un désastre cette planète lorsqu'un homme vous déshabille, agite son sexe mouillé au bout contre votre sexe qui n'a jamais connu de perforation. Et il rentre en vous et là, même les Dieux se cachent la figure, la bouche et les oreilles. Même les déesses aux regards tourmentés. Bien sûr. Il prend du plaisir malgré vous. C'est vrai que par la suite, pour parler de mécanique (le sport n'est pas indécent, le sport automobile et puis ça évite de parler de la vraie chose importante) on a le sentiment d'avoir été amputé, à l'intérieur. C'est vrai. Je l'ai encore ça. C'est vrai qu'on baisse les yeux. Parce que dans vos rues, forcément, on le cherche un peu, le sexe. On aime ça. Donc le viol c'est normal si ça ne l'était pas, ça n'existerait pas c'est logique. Le viol est la forme de violence la moins traumatisante que je connaisse, si j'avais été éventrée, mes parents m'auraient pleurée, ma famille, et cette idée me fait horreur. Vous savez, avant ça j'étais une fille qui aimait l'ordre, j'écrivais même des petits billets comme Coumarine, c'était beau, et c'était emportée, il y avait plus d'affects que de vérité mais c'était pas important et en plus on me disait des trucs mielleux, que j'écrivais bien, que c'était merveilleux, qu'on n'en pouvait plus tellement t'étais note copine etc. Je me prenais pour une révoltée qui était capable de choquer (alors qu'aucune révolte n'existe vraiment et que choquer les gens choquables, c'est piètre contrition), pour quelqu'un qui aime, pour quelqu'un qui aime la beauté. Sans savoir qu'un tas de cadavres Juifs sur un bûcher ça donne une certaine forme de beauté qu'il faut absolument ne plus revoir demain. Mais les photos, on ne devrait pas les jeter. La colère des hommes les poussent à beaucoup de choses. Son sexe en moi. Et le plus étrange ce n'est pas l'acte en lui-même à passer le plus dur (d'après mon expérience), car ça va vite. Ce sont les années qui suivent. L'enfer que ça vous fait vivre. Et les gens que vous rencontrez, leur regard, à la limite même ils étaient pires que le sien. Au moins lui avait été honnête avec son horreur intérieure. Mais il ne pouvait pas en parler. C'est indécent bien sûr. Surtout surtout surtout. Pourquoi on ne voulait pas que les femmes travaillent avant ? Parce que les femmes étaient liées à la maternité, et parce que la maternité a  toujours été liée à l'intime, à l'amour, à l'invisible, au lien sain et secret (c'est finalement logique) entre un enfant et sa mère. Forcément. Un enfant. Qui prend dans sa bouche le mamelon de sa mère. C'est loin d'Angéline qui putain mettait ses pointes dans la bouche de ses clients. Qui n'étaient en rien ses enfants. Et du jour au lendemain, cet événement a fait de moi un monstre. Le monstre c'était plus lui que moi. Bien sûr. Même si aujourd'hui, je suis du côté des Assassins, des violeurs et des pédophiles, parce qu'il faut bien que quelqu'un aime tout le monde (sans aimer rien du monde, on peut faire les deux). Donc j'ai couru, bien sûr, la rivière, bien sûr, le sperme, nettoyer, bien sûr, mais tout ça je l'ai déjà dit. Je radote, ça aussi je le redis. Donc Simone il ne faut plus venir parler ici. Vous avez compris je pense ? Je l'espère, car Franck ne plaisantait pas. C'est mon ami et je me devais de lui dire que son texte en entier ne passait pas. J'ai proposé de calmer le jeu (je suis très diplomate) Il a accepté mon offre. Vous n'avez aucun respect même envers la littérature que vous prétendez défendre. Votre " pose " n'a aucun intérêt sur mon blog. Il était remonté on va dire. Donc sur le coeur, en ce moment, j'ai dit à quelqu'un : je ne sais pas. Ce mois de juillet est une espèce de baluchon dans lequel tout et son contraire est possible, c'est épuisant. Epuisant de vivre comme ça. J'aimerais tellement vivre comme les Morts: de l'extérieur on dirait que c'est pas désagréable par moments. Je dis bien par moments. Ils ont des travails éreintants l'année, des vacances fantastiques pendant l'été, des barbecues (au secours, Jésus) Ils ont l'air heureux parfois. Ils croient éventuellement à la Vierge Marie, votent éventuellement Sarkozy. Bref, ce monde qui sent la pourriture a une certaine logique finalement. Dans le parc samedi, d'attractions, je me disais : les gens ne sont pas prêts à abandonner leurs loisirs. Pourtant ça va continuer combien de temps comme ça ? A ne rien faire sinon penser à satisfaire son estomac ? A pomper la terre, les autres, à pomper le mensonge, comme Jean pompait le chef de la gendarmerie de la commune de Chavigny. Car les homos, malgré leur sensibilité plus assumée, ont autant de problèmes que les autres dès qu'il s'agit des questions intérieures retournées. Un de mes lecteurs m'avait dit un jour : "oui mais vous parlez d'intérieur, dans votre intérieur vous n'avez que des os, du sang et des barbaques". Je lui avais répondu qu'il était peut-être temps pour lui de parler aux animaux, de parler aux arbres, d'ailleurs comment la sorcellerie est née ? A cause des femmes, elles parlaient aux animaux, aux arbres, même Duras le disait. Comme elle balançait ses délires sur Villemin, la mère du petit Grégory. Bien sûr, ils n'ont que leur sang, que leurs viscères, que leurs merdes digérées à regarder, que voulez-vous, ce n'est pas de ma faute. Si j'étais vierge avant de me faire poignarder dans le sexe par un pénis.

Je n'aime pas la colère. Je n'aime pas le manque de respect. Pourtant je tombe souvent parfois, n'étant pas parfaite (ce n'est pas de ma faute). Cela me fait horreur de voir des gens avoir des gestes indécents dans la parole. J'en ai des tas, dans ma littérature, des gestes envers les autres, cependant, la littérature est un terrain neutre, on a le droit si on veut. Tout est possible. Franck à Simone :
Pour finir, je vous indique qu'a compté de ce message je supprimerais vos éventuels commentaires. Et n'imaginez pas que c'est de la censure, vous risqueriez d'en être fier, vos pieds sur la table et vos bruits de bouche m'exaspèrent.

Waouh.

Je ne l'ai jamais vu comme ça. Franck. Je ne t'ai jamais lu comme ça. C'est vrai que Simone elle arrive, elle dit bonjour, des fois elle dit rien d'autre. Ou alors, elle rentre et puis elle vous parle de Catherine N, son amour, son autre, comme Maurane et Lara Fabian. Elle ne veut pas de liens avec vous, pourtant elle vous parle. Elle vous pose deux trois questions sur vos intentions d'écriture. Elle vous lance des piques ici et là. Elle voudrait vous dire : je t'adore, je t'aime, ou je te baise, ça revient au même finalement, elle dit rien. Je ne sais pas à vous mais à moi elle m'a dit : mon mari aime me regarder faire l'amour avec des femmes". Elle est bergère. Son lait il caille. Et elle parle de la question du père. Quand vient l'été, on est envahis par les mystiques, ils pîquent durs. Dans la montagne, elle doit voir des moutons, des chiens de berger, et des boucs isolés, qui fièrement de leurs yeux de démons, de diables, vous dévisagent calmement.

Comme lui qui était sur moi, dans la grange au Portugal, dans la paille, dans la chaleur, juste avant que j'aille me nettoyer les cuisses dans la rivière, car parfois le sperme coule, et ça, même la foi et le calme des monuments historiques, féeriques, menteurs et religieux ne peut rien y faire. A cette rivière qui m'avait à peine calmée sur le moment. Sur ce moment où je lui montrais mes cuisses, mon intimIMTE (à ne pas confondre), et cela, je peux vous l'assurer avec certitude, sans indécence.

Texte : ANGELINE

Extraits d'un message de FRANCK intitulé "Simone'.

30 juillet 2005

Mais c'est mieux....

Il y a un moment où l’on sent que c’est dans la solitude la plus profonde, la plus absolue que vous serez à l’abri. Vous la connaissez bien, celle-là. Sa forme, son goût. C’est votre meilleure ennemie. Elle sait tout de vous. L’intérieur surtout. Les endroits qu’il faut serrer, presser. Parce que c’est dans le corps qu’on la sent au mieux. Au plus intense. Quelque chose qui circule. Lourd et lent et profond, à l’intérieur. Parfois ça touche l’os, les articulations et ça fait de grosses bulles qui claquent et qui montent jusqu’au cerveau. Ensuite c’est l’œil. Je dis l’œil parce que je suis borgne. Un virus que j’ai ramené d’Afrique. Il y a longtemps, et qui m’a bouffé les tissus de l’œil droit. Sans doute avais-je voulu toucher les yeux avant les mains. Je n’en sais rien. Bref, borgne. C’est pour cela que je suis si bien chez les aveugles.
Donc l’œil. La solitude investie l’œil. Elle absorbe d’abord les couleurs. On voit toujours les couleurs mais vous ne les comprenez plus, elles n’ont plus de sens. Devant vous c’est plat. Chaque chose a perdu sa profondeur, même les paysages. Une hémorragie de vie.
En fait, c’est faux. Autour de vous tout continue mais sans vous. On est séparé du monde par une énorme boursouflure d’égo. Et c’est l’œil qui vous le dit. Et c’est le ventre qui l’entend.
Souvent je me dis que mon ventre sait beaucoup plus de choses que mes neurones.
Donc, là, j’écris ces mots avec mon ventre. C’est une sensation bizarre et absurde en même temps.
Mais j’ai l’habitude, c’est ma compagne. Elle me connaît par cœur. Elle sait très bien s’enrouler autour de moi, la peau, les membres, les idées, les rêves. Surtout les rêves. Elle les suce avec amour, délectation. Attention tout est chaste entre nous. C’est une sensualité à l’envers.
Avant quand je buvais de l’alcool. Beaucoup d’alcool. Le corps ne suivait plus. A force, il craquait, il suintait. Dans la tête il y avait un véritable champs de mines, et de drôles d’incendies mélangés à un brouillard sans fin. Lent, lourd, épais. Et sans fin. Sans fond. Et c’était tous les jours, dans chaque heure du jour. A la fin, les jours n’existent plus, ni les heures. Et dans le cœur il n’y avait plus rien, une lande où seuls quelques fantômes subsistaient.

Mais c’était avant. Maintenant ça fait plus mal. Mais c’est mieux. Plus mal c’est toujours mieux.

Franck

20 août 2005

Le ciel n'est pas sûr....

Le ciel n’est pas sûr. Les avions tombent. Les rêveurs aussi. Au-delà des nuages la marche est fragile. Il y a des trous d’air, des turbulences. Je n’ai pas de boite noire. Ou si peu. Elle n’enregistre, que mes silences, mes absences, mes vides. Le creux des choses. On ne pourrait pas l’entendre. Les avions sont souvent contrôlés, les rêveurs jamais. Pourtant ils tombent. Mais un rêveur qui tombe, ça ne fait pas de bruit. Seulement une étoile lointaine qui s’essouffle et dont la faible lumière s’épuise. Une étoile sans nom. Le ciel n’est pas sûr.
La terre non plus. On espère croiser d’autres comme vous, et on trébuche dans les ombres. Dans les souvenirs. Ou l’on se heurte à ces portes qui ne s’ouvrent pas. Ou à ces sourires qui ne se font pas. On passe son temps à tisser de l’espérance. Et chacun crie dans son coin. Drôle de terre. Drôle de vie.

Hier j’ai repensé à elle. Frédérique. C’était l’adolescence. Et j’aimais Frédérique. Notre histoire n’en fût pas une. Pourtant tout aurait été différent. Dès que je l’ai aperçu j’ai su qu’elle allait me briser l’âme. C’est son sourire que j’ai vu. Un sourire éclatant. Nous avions le même âge. Ses yeux pétillaient. Je l’ai tout de suite aimé. En silence. Et en désespérance. Comme souvent. Nous fréquentions le même centre équestre. A cette époque, il y avait deux centres équestres, a Ajaccio. Un pour les bourgeois, un pour les cow-boys. Nous, s’était le deuxième. Nous habitions tous les deux la même résidence. La résidence des îles, qui s’étalait à flanc de colline, devant le golf d’Ajaccio. Seul le cimetière nous séparait du centre équestre. On est vite devenu ami. Moi, je l’aimais, mais je ne disais rien. Elle aimait ma compagnie. Nous nous faisions des confidences. Pour moi c’était vraiment la première. Frédérique. Au début elle ne m’aimait pas. Enfin, je ne crois pas. Elle avait un copain. Elle m’en parlait. Quand ils se sont séparées c’est à moi qu’elle le disait. A quinze ou seize ans je n’étais pas drôle. Ca ne s’est guère arrangé, d’ailleurs. J’aimais rire pourtant, mais j’étais grave. Sérieux. Trop. Souvent nous allions ensemble au club à pied en longeant le mur du cimetière. Et nous revenions ensemble. Ensemble, tout le monde pensait que nous étions ensemble. A cause de la complicité. A cause des regards que nous échangions. Des taquineries.
Nous étions une dizaine de jeunes. Nous construisions nos obstacles. Nous faisions des promenades dans le maquis. L’hiver, nous allions galoper sur la plage. La voir enchantait mes journées, et m’arrachais le cœur en même temps. Frédérique je l’aimais. Après avoir monté, après s’être occupé des chevaux, nous restions tous à discuter, comme tous les jeunes de tous les temps, de tous les pays.
Un jour il y a eu un jeu qui a mal tourné. Les garçons couraient après les filles. Nous nous jetions des oranges cueillies directement sur les arbres. Il y avait de l’espace. Je n’étais jamais très loin de Frédérique. Pendant un instant je l’ai perdu de vu. Et puis, je l’ai aperçu, de loin. Elle courait, semblait s’essouffler à rire. Derrière il y avait Pascal. Un peu brusque, un peu brutal. Il l’a plaqué au sol. J’ai couru vers eux. Ils étaient loin. Mais moi je l’aimais Frédérique. Alors j’ai couru. Je voyais deux corps allongé dans l’herbe. Des gloussements, des cris. J’étais loin. Pascal était dessus. Quand je suis arrivé j’ai compris. Frédérique, ne riait plus. Elle criait. Pascal s’était acharné à défaire les boutons de la culotte de cheval de Frédérique. Et il tirait dessus. Il voulait l’enlever. Il avait déjà tiré sur son soutien gorge. Frédérique criait. Je voyais son ventre nu. Sa petite poitrine blanche. Et Pascal qui tirait sur ce pantalon. Au moment ou je suis arrivé sur lui, il avait glissé une main entre les cuisses de Frédérique. J’ai vu cette main agrippée à ce sexe, à ces poils. Lui il riait. Frédérique criait. Je suis arrivé comme un dément sur lui. Nous avons roulé dans l’herbe. Il n’a pas voulu se battre. Heureusement pour moi. Je crois qu’il a compris au moment ou je l’ai bousculé. Je l’ai laissé partir.
Je voulais voir comment Frédérique allait. Allongée. Elle Pleurait. Elle avait eu le temps de remonter son pantalon. Je me suis assis près d’elle. Elle a posé sa tête sur mon épaule. Et mon cœur était dans la plus grande tempête qu’il n’ait jamais connu. La peur, l’angoisse, la colère, et la douceur de ses cheveux contre ma joue. Nous sommes restés un long moment sans parler. Elle s’était blottie dans mes bras. Je voulais que le temps s’arrête. Et puis elle s’est levée, a déposé une bise sur ma joue. Elle m’a dit que tout allait bien. Que ce n’était pas grave. Tu es sûr Frédé ? Tout va bien ? Elle a dit : jeux de mains, jeux de vilains, et elle m’a fait un de ses sourires de soleil radieux. Deux jours après c’est elle qui m’a appelé pour me demander si j’allais au club après les cours. Oui, bien sûr. On s’est retrouve devant son immeuble, et l’on s’est mis en route. Le long du mur du cimetière. C’est elle qui s’est arrêtée. C’est elle qui s’est mise face à moi. C’est elle qui s’est approché. Et j’ai senti ses lèvres sur mes lèvres. Mon premier vrai baiser. Ses lèvres, et sa langue. Et nos dents qui se cognent. Je m’en souviens. J’ai été traversé de part en part. Nous sommes restés une heure à nous embrasser. Seulement nous embrasser. Simplement nos lèvres, nos bouches, nos salives et nos mains sur la figure de l’autre. Des baisers de flammes. Nos souffles, nos haleines mêlées. Le soir est tombé. Le soleil a rougi le ciel. Au-dessus du mur, nous avons vu les Sanguinaires s’embraser. Et Frédérique m’embrassait. La bouche, la langue, le cou, les yeux. Les Sanguinaires saignaient leurs lumières et moi j’embrassais Frédérique. J’ai quitté l’enfance ce jour là. Dans ce soleil rouge. Adossé à ce mur de cimetière. Comme si la mort et l’amour tissait déjà un destin. En écrivant maintenant j’ai encore la saveur de sa salive. Je revois ses yeux noisette, et ses paupières baissées, dans l’abandon. J’ai senti sa main sur ma peau. J’ai posé ma main sur sa peau. J’ai caressé son ventre, son dos. J’ai senti sa poitrine sous mes doigts. Pas plus. J’étais ivre. Je n’étais plus dans le monde. Nous nous sommes serrés comme deux fous. Quand je l’ai raccompagné chez elle il faisait nuit.

Deux semaines. Cela aura duré deux semaines. Et puis elle a dit : c’est plus possible. Nous sommes trop proche. J’ai peur de te faire souffrir. Tu comprends Franck tu est comme mon frère…. Non, Frédé, je ne comprend pas… je comprends seulement que tu veux qu’on arrête….
Deux semaines. Et nous sommes restés amis. Obligé. Je l’aimais. Elle, elle m’aimait bien. Je crois que je ne me suis jamais remis de cette première rupture. Alors j’ai continué à l’aimer en silence, en douleur. Nous nous voyions toujours, nous parlions toujours. J’étais toujours son meilleur ami.
Des années comme ça. Même quand j’ai quitté la Corse. Je lui écrivais. Des lettres longues. Infiniment longue. Auxquelles je n’avais jamais de réponse. Parfois un petit mot, quelques lignes, qui ne disaient rien. Sinon que j’étais son frère.
Quand je suis revenu d’Afrique j’ai voulu reprendre quelques études. Je me suis inscrit à Aix en Provence. Frédérique y était. Elle faisait du droit. Cette année là, il y avait des grèves. L’université de Psycho n’a pas été ouverte. Alors j’avais tout mon temps pour voir Frédérique. Ma maladie d’amour c’est aggravé. Nous avions vingt ans tous les deux. Elle était resplendissante.
Un soir elle est venue me retrouver dans ma petite chambre. Nous avons parlé. Je lui ai dit tout mon amour. Les couleurs du désert, les soleils, les cieux. Je lui ai parlé de notre premier baiser. Du cimetière, des Sanguinaires. Elle me regardait. Ses yeux avaient une intensité terrible. J’avais du mal à la fixer. Alors peut être par dépit ou part pitié, elle a collé ses lèvres sur les miennes.
L’espace d’un instant, j’ai cru retrouver la magie du premier baiser. Mais nous avions grandi. Il n’y avait plus de soleil. Il n’y avait que cette petite chambre triste. Pourtant ses lèvres étaient douces. Elle m’a dit : je t’aime. Un mot et mes douleurs d’adolescence se sont effacées instantanément. Un mot. Je t’aime. Dit dans la pénombre d’une chambre d’étudiant.
Peu à peu nous nous sommes dévêtus. Elle était belle Frédérique. Elle se trouvait toujours un peu trop enveloppée. Mais c’est faux, elle était belle. Avec sa petite poitrine arrogante, son ventre souple, ses cuisses fermes. Nous avons fait l’amour. Dans la fièvre. Nos gestes étaient maladroits, nos baisers brûlants. Nous sommes précipités, comme si une urgence nous poussait. J’ai baigné durant quelques heures dans une sorte de béatitude. Mais tout est allé trop vite. Il y avait entre nous un désir échevelé. Elle m’a fait venir entre ses cuisses. J’ai glissé dans sa chair, dans sa chaleur, j’ai vu ses yeux se fermer. J’ai entendu ses soupirs. J’ai senti ses reins se creuser. Et nos sexes butter l’un contre l’autre. Oui, je me souviens d’avoir baisé sa bouche, son front, son cou, ses seins. Cela n’a pas duré très longtemps. J’ai vu son sourire. Et cru que l’éternité c’était cela. J’aurais voulu qu’elle reste. Mais elle devait partir.
Le lendemain, elle m’a téléphoné. Je crois que c’est une erreur. Franck, ne m’en veut pas. Vraiment ce n’est pas possible. Je ne veux pas que tu ai mal….
Je crois qu’a ce moment j’ai voulu mourir….
La fac en grève. Je suis reparti. Une deuxième fois quelque chose s’était brisé là.

Trois ans plus tard, je suis avec Ghislaine. Nous commençons à parler mariage. Un soir une ancienne connaissance de Corse m’appelle au téléphone. Franck ? Oui. Tu sais c’est dur, mais il fallait que je t’appelle. Frédérique et morte. Non ! Ce n'est pas possible. Non ! Franck, tu sais c’est un vrai drame. Une boucherie. C’est sa mère qui l’a tuée. Elle à tué son Philippe son frère aussi, après elle s’est suicidée. Moi je n’entends plus rien. Parce qu’il y a des choses qu’on ne peu pas entendre. Franck, tu m’écoute ? Oui. Achète le journal édition corse. C’est en première page. Je connaissais bien la mère de Frédérique. Une belle femme d’une quarantaine d’année. Pétillante, exubérante, comme souvent le sont les pieds noirs. C’est vrai que Frédérique m’avait souvent parlé des coups de déprime de sa mère. J’ai acheté le journal. Il décrivait tout. La mère qui rentre dans la chambre. Qui tire sur sa fille. Puis qui va dans la chambre de son fil. Qui tire sur son fils. Et qui se tire un coup de fusil dans la tête.
Moi qui croyais qu’un jour nous nous retrouverions. Moi qui pensais que jamais deux sans trois, et que la troisième serait la bonne.
J’avais le journal entre les mains. Je n’ai pas eu le courage d’aller en Corse le lendemain pour les obsèques. Le cimetière Frédérique. Le cimetière.
Tu l’aime encore ? Chut, Ghislaine chut. S’il te plait tais-toi. C’est le jour ou je suis devenue vieux. Quelque chose est mort. Frédérique, après toi il y a eu le divorce, l’alcool, et ce jour ou la mort m’a rejeté. Frédérique tu m’as brûlé l’âme, et cette brûlure m’a fait une cicatrice sur le coté gauche du cœur. Juste à l’endroit où se pose les anges. Frédérique, juste à l’endroit le l’espérance.
C’est quoi l’amour Franck ? Un cimetière et des morts.
Le ciel n’est pas sûr.
La terre non plus.

Franck

28 août 2005

C'est la fin de l'été....

C’est la fin d’une saison qui n’en finissait pas d’accoucher de ses aurores de cendres. C’est le renouveau des chairs. L’apaisement du sang. Le temple opaque s’ouvre enfin comme un œuf énorme. Le soleil se couvre d’un juste voile de pudeur. Septembre est là, avec tendresse. Septembre est là comme une vague perdue qui retrouve la houle. C’est la fin de l’été, saison d’entassement. Les jours s’épuisent eux-mêmes. La lumière ne crie plus. Elle n’écaille plus les heures.

Sylvie était professeur de Français, avec un mari et quatre filles. Juste quarante ans tous les deux, ils se sont connus en faculté. Lui le Droit, elle la littérature. Plus de vingt ans ensembles. Des étés, des automnes. Ils ont connu toutes les saisons du cœur. Là ils vivaient à l’abri du temps. Ils commençaient à faire construire une grande maison. Elle, elle est souvent exaltée, passionnée par ses mots, ses phrases, son rôle de mère, ses élèves. Lui est timide, réservé, calme amoureux d’elle. Il s’occupe de tout à la maison, cuisine, ménage. De ses filles. Ils sont dans la perfection de l’époque, de la vie. Le soleil est indulgent en toutes saisons pour eux, ils n’ont pas de morsures. Même s’ils ne regardent plus leurs corps nus sous la douche, même si leurs caresses se font plus rares, tout va bien. Tout est bien. De la société qui fabrique de la société. C’est limpide. Interminable. Mais limpide. Lui, il a un secret. Il veut écrire. Mais il ne sait pas qu’écrire c’est dangereux. La mère de ses enfants qui est professeur de littérature ne lui a pas dit. On ne dit jamais ce qu’il faut. On bavarde pendant des années, des siècles presque, et l’essentiel on l’oubli. L’écriture ça brûle. La poitrine éclate et c’est un anéantissement. C’est inexorable l’écriture. Ca éventre les secrets. Ecrire c’est inviter le diable à sa table. Dans son lit. Dans ses caresses. Sous sa langue. C’est l’encre de la plume. L’encre rouge. L’encre de feu. Quand on écrit le diable regarde par dessus notre épaule. Jamais les dieux. Parce que les dieux ne savent pas lire. Sylvie dit que c’est avec le livre que tout c’est détraqué. C’est elle qui raconte l’histoire. Elle pleure beaucoup, maintenant. En racontant. Il faut bien comprendre, il était si bien. Parfait. Les copine me l’enviaient. Et puis il y a eu le livre. En plus il écrivait bien. Je le sais puisque c’est mon métier. Un professeur sait lire les écritures. Le soir, quand toute la maison était couchée, il écrivait, une heure ou deux. Il écrivait lentement. Sur des feuilles de papier. Il n’aimait pas l’ordinateur. Il avait une petite écriture serrée. Peut-être pour cacher la vérité des mots. Il ne me parlait pas souvent de ce qu’il écrivait. Juste que c’était une histoire d’amour. Il faut le savoir les histoires d’amour ne peuvent pas être écrites. Jamais. Et puis il a arrêté de parler. Il s’occupait de moins en moins de la maison. Il s’enfermait pour écrire qu’il disait. Je voulais savoir. Mais lui il ne disait rien. Il cachait ses feuilles écrites. Le matin il partait au bureau avec. A table il a commencé à boire du vin. Il faut bien comprendre qu’au bout de quelque temps ce n’était plus vivable à la maison. Les filles ne comprenaient plus. Qu’est-ce qui fait papa ? Papa, il écrit. C’est l’écriture qui a tout détruit. Il avait tout ça en lui. Depuis toujours. Des trucs impossibles. Parce que un jour j’ai lu. C’était une histoire d’amour. Non. C’était du sexe. A toutes les pages, presque. Des choses impensables. De la violence sexuelle à toutes les pages. Il écrivait bien pourtant. Parce que c’est mon métier, les mots, l’écriture. Moi aussi j’ai écris quand j’étais plus jeune. Mais lui, c’était que du sexe. Notre vie sous les draps était simple. Mais là quand j’ai lu, il y avait des viols, du sang, des enfants. Au début je n’ai pas voulu croire. Je me suis dit c’est de la littérature. C’est une façon d’extérioriser quelque chose. Au début j’ai cru que ce n’était pas grave. Que tout le monde fait ça, écrire des choses cochonnes. Et puis il y a eu toutes les histoires au bureau. La plainte contre lui. On l’a trouvé en train de se masturber. Il ne se cachait même pas. Plus de vingt ans qu’on était ensemble. Dans le même lit. Et puis le soir il commençait à partir dans la nuit. Seul. Il ne me disait rien. Il allait à Paris. C’est les gendarmes qui me l’on dit. Il voyait des filles. Mais, moi je l’aimais. Et puis les travaux de la nouvelle maison. J’ai eu l’impression de devenir folle. Le livre je ne l’aimais pas. C’était lui, mais ce n’était plus lui. Je n’arrivais plus à dormir. Alors j’ai pris des cachets. Il était pareil et complètement différent, à cause du livre. Une nuit la police est venue frapper a la maison. Ils venaient de l’arrêter. Ils m’ont posé des questions. Sur lui. Sur nos filles. Quoi nos filles ? Oui, vos filles, rien d’anormal ? Parce que moi, je n’avais rien vu. Elles adoraient leur père. Je ne pouvais pas penser à ça. Il a essayé le salaud. C’est la grande qui me l’a dit. Il a essayé avec elle. Il l’a caressé. Mais il n’a pas était plus loin. Celle est qui me l’a dit. Pas plus loin. Il lui a touché ses seins et son sexe. Touché seulement. Mais elle m’a dit qu’elle ne lui en voulait pas. Que papa était fou, qu’il fallait le soigner. Il a essaye avec celle qui avait dix ans, mais sa grande sœur l’a protégé. Moi, je ne voyais rien. Vous vous rendez compte, sous notre toit, et moi qui ne voyais rien. Il a voulu qu’on parle. Je ne voulais pas au début. Après j’ai dit oui. Il m’a expliqué. Il a pleuré. Il a supplié. Il a dit qu’il nous aimait. Il m’a explique le livre, l’écriture, le sang qui s’enflamme. Les souvenirs. Le mal. La douleur. Son beau-père qui tapait fort, son beau-père qui l’humiliait. Qui le faisait mettre nu pour le frapper avant de l’enfermer dans un placard noir. Vous comprenez, je ne savais même pas son enfance. Sa mère qui laissait faire. Elle préférait son frère. Il m’a dit que c’est l’écriture qui l’a foudroyé. Quelque chose s’est cassé dans sa tête. Irrépressible. Comme un muraille qui s’effondre. Et tous les souvenirs qui remontent comme pour vomir. Ils sont venus le chercher. Il parait qu’il va mieux. Mais moi je ne peux plus. Il me dit qu’après on pourrait recommencer, mais moi je ne veux plus. Moi, je ne veux plus rien. Sylvie elle pleure. Vingt ans sans entendre. Vingt ans de certitudes. Vingt ans de parade. Et du silence. Et du silence. Et du silence. Et au bout une écriture qui a tout cassé. Des mots de supplice. De supplique. Lui il a voulu se suicider. Il n’y a plus de famille, il n’y a même plus de livre. Plus de saison. Et entre les jours, des gestes, des mots, qui laissent des traces menaçantes.
Je ne sais pas s’il y a une morale dans l’histoire de Sylvie. Il y en a peut-être pas. Septembre arrive. Mon visage se défroisse sous l’eau de la pluie. Des buissons de fibres invisibles se dénouent dans le désordre des brumes. C’est la fin de l’été. Mes lèvres nues prononcent les formules consacrées. Et le diable sur mon épaule surveille le tumulte des mes mots. Nous sommes en équilibre au-dessus d’un charnier de secrets. Que seuls les mots peuvent traquer.

C’est la fin de l’été. Alors, chanter. Voler. Et astiquer des phrases pour en faire couler une laitance neuve. Le cœur bat moins vite, mais il bat plus profond. Plus solide. Il brasse l’épaisseur des os en guenilles. Parce que le corps se recompose. Le corps dans l’attente d’un désir inédit. Comme la pluie sur la terre. Sur la terre des hommes. Une eau amoureuse sur un corps inconnu. La pluie sur la terre qui la boit, qui la suce. Voilà septembre. Son soleil indulgent qui entre sous la peau sans blesser les morsures. Un soleil indulgent de deuil doré.

Franck.

 

28 août 2005

Le Jour de la Révélation Finale

Toutes celles qui m'écrivent c'est pour me dire que je me fous le doigt dans l'oeil avec toi.

Depuis février toutes mes paroles d'amour ont été lancé vers toi. C'est tout....

tout le monde se fou de ma gueule, dans mon attitude d'amoureux transi.... mais moi je m'en fous....na !! et alors, c'est plutôt bien d'être amoureux d'angeline, j'aurais pu tomber plus mal

bon, d'accord elle elle ne m'aime pas.... mais personne n'y peut rien

Franck.

On vous a menti Franck et moi. Enfin non pas lui mais moi. On se voit en cachette, d'ailleurs ce qu'on fait, ce n'est pas de la littérature. C'est questionner le pouls. Et je vous mens. D'ailleurs, quand on se voit en cachette on couche ensemble. On s'aime, pas la peine de lui compter fleurette. Il m'aime moi, seulement. Seulement moi. Ne soyez pas jalouse. Vous êtes perdante, je suis gagnante. J'étais perdante avant, il faut bien une gagnante, dans votre monde. Je plaisante. Toujours est-il que je suis enceinte de trois mois de Franck, qu'il est ravi, à son âge, d'être père, à nouveau, et que je voulais un enfant très bien construit, comme vos textes, sans influence incestueuse, d'oncle, d'horreurs en tout genre. On m'a traité de poubelle aujourd'hui. Il y a des gens que je laisse indifférent, ouf, ouf. De toute façon, Franck est si parfait qu'il ne pouvait qu'aimer une femme parfaite. Et je lui fais des petits plats, on sort on va au cinéma, l'année prochaine, à Madrid sous Lucifer il y aura un baiser, et une poussette. On aura un fils, on l'appelera Nicolas. Il s'appelera Franck Nicolas. J'imagine que Franck écrira à mon accouchement il dira : le col de l'utérus s'ouvre, je vois la tête. Je vais hurler : FRANCK, tu copies mon style, que j'ai copié, des écrivains que j'aimais. Donc ça n'ira pas. Notre bébé sera splendide. Je le sens bouger là. Il ira sur internet, il fera des ravages. Vous ne saviez pas qu'on couchait ensemble déjà ? Ben oui quand on s'écrit des textes passionnés, c'est caché : ça veut dire : mon amour, la nuit a été magnifique. J'ai joui comme jamais. C'est ça que ça veut dire. Un homme aussi poétique, aussi fort, aussi lumineux ne pouvait que se marier avec une femme des ténèbres. D'ailleurs, désolée, mais on va se marier et vous n'êtes pas invité : vous êtes méchantes. Sauf Alix peut-être. Peut-être. Elle, je l'aime bien. Donc ça faisait longtemps qu'on couchait ensemble,c 'était difficile de tenir avec le secret. Notre vie se porte à merveille, je vous le dis, ce n'est pas indécent, puisque de toute façon vous mettrez votre vie dedans, votre nez, bien triste, qui dégouline. J'imagine. Je suppose. Je n'affirme rien, je n'ai pas cette prétention. Des fois on dirait mais non. Vous lisez mal je suppose. Je suppose. On s'aime d'un amour pur, des fois on s'engueule, je lui dis : bouge-toi, tu ronfles, et lui : ta gueule, tu as joui. Oui, les poètes dans l'intime...ils se laissent aller. A l'alcool. On s'est connu moi pute et lui alcoolique, on faisait la retape de la vie. Je vous jure. Je me moque pas de vous, c'est la vérité. Bon. Maintenant, tout va bien. L'amour et Dieu habitent nos Vies. Nous vivons dans la Foi de la littérature et dans notre Seigneur Jésus Christ qui est mort pour nous (là je deviens plus glauque tout d'un coup, moins drôle). J'accepte qu'il vous compte fleurette en privé, parce que je l'aime, je l'adore. Il est à moi. Bien sûr. C'est une évidence inscrite dans le marbre. Euh...je redeviens glauque là non ? Quand on couche ensemble, on fait (censure) et je me mets comme ça et on fait (censure). Non c'est pas vrai, je suis pas enceinte et je couche pas avec lui. Et ce qu'il me raconte sur vous, quand vous évoquez la bête Angéline dans vos messages privés, ça me fait rire, il m'a permis d'écrire ici et je tiens à le remercier de m'avoir fait rire pour si peu. Cela faisait longtemps : j'ai passé mon mois d'août à pleurer. Pour des choses ici et là. Intimes.

Merci Franck.

Ah oui, sinon, moi je ne lui conseille jamais de ne pas fréquenter ou de ne pas parler à telle ou telle personne. Je lui donne mon avis, de mon point de vue. Je ne lui dis jamais ce qu'il doit faire, il pourrait vous le dire : je suis d'une grande délicatesse (si si je vous assure, ne riez pas). Il faudrait que je me prenne pour sa mère ou pour son amante, pour oser l'indécence et la bêtise à ce point. Comme vous le faites. Je le dis publiquement, devant tous. Ou c'est lui le salaud, les poètes sont souvent des salauds dans la vie intime. Au royaume des aveugles les morts sont Dieux.

Ce texte ne doit pas être pris mal, mais allez-y les filles, épatez-le, détournez-le de moi : il le mérite, d'être avec quelqu'un qui serait amoureuse de lui. Peut-être qu'à l'époque, je serai invitée au mariage de lui et de la gagnante de ses admiratrices.

Je t'avais dit Franck, que mon message était léger et drôle.

ANGELINE

29 août 2005

Merci....!

La vie des blogs est formidable. Voilà ce que j’ai lu cet après-midi dans un blog voisin.

" D'un peu plus près je trouve Franck consternant avec sa mollesse et
surtout sa formidable incompétence à apprendre quelque chose de la vie -
comme le ton à adopter pour parler à une femme, cf. ses énormes,
lamentables circonvolutions de tantôt, dans son mail. Je peux admettre
que sa douceur te plaise, parce qu'il est tellement inoffensif,
tellement victime et si peu bourreau, mais ... bref. "

C’est un dénommé Sacha qui parle. Enfin je crois. Rien n’est très sûr ici. Il est possible d’aller lire la suite. En bon égoïste j’ai relevé le passage qui me concernait.
Il n’y a pas grand chose à dire, ni à répondre.
En plus il a sûrement raison. Les bourreaux ont souvent raison, en tout cas souvent le dernier mot.
Le monde est simple chez certains, puisque qu’il se résume entre être bourreaux ou victime. Les baiseurs, les baisés.
Lui, il doit savoir de quel coté il est. Il connaît le ton qu’il faut adopter. En tous les cas on connaît ses intentions.

Il a raison puisque ça marche.
Et apparemment ça plait.

Dommage qu’il n’écrive pas, pour m’éviter de mourir idiot, j’aurais pu suivre ses conseils.

Merci Sacha. Pour ma première leçon de vie.
Merci Angeline, de me faire découvrir Sacha.

Franck..

17 septembre 2005

Ecran.....

Il y des images qui reviennent. Des morceaux de mémoire. Quelque chose qui adhère, qui est collé aux parois. Je regarde les photos que je viens de recevoir. Des photos d’enfance, de familles, des portraits, des jeux d’insouciances. Dans ma tête ça fait comme un patchwork. Il y a cette petite fille grave et triste. En fait non, elle n’est pas triste. Elle est grave. C’est moi qui suis triste. La photo me regarde. Me regarde à l’intérieur. J’ai neuf ans. Dans l’appartement je suis seul. Mon père et ma mère sont là. Mais je ne les vois pas. Rarement. Peu d’images. Sinon je suis seul. Je me vois dans l’appartement de Marseille. Seul à travers les pièces. Je ne joue pas. Je vais d’une pièce à l’autre. Il n’y a jamais personne dans les pièces. Pourtant ils sont là. Mais leurs regards ne m’appellent pas. Il n’y a pas de reflet. Je ne me vois pas. Au fond de moi il y a toujours quelque chose d’effondré. J’ai neuf ans, c’est la première télévision. Elle est là depuis quelques jours. On est au mois de mai. Je m’en souviens. Au mois de mai. A la télévision ils commémorent. Première télévision en noir et blanc. Elle est posée sur la petite table roulante, à coté du secrétaire. Je suis assis par terre, sur le tapis. Je ressens à nouveau la morsure du souvenir. La morsure, à l’intérieur. Un patchwork d’images. Souvent il n’y a pas d’émotion dessus, dedans. Je les vois. Et c’est tout. Je les laisse. Elles ne me disent rien. Comme si elles n’étaient pas à moi, et il y en a d’autres où l’émotion est impossible. Comme celle-là. Toujours aussi incompréhensible. Toujours impossible. Je suis assis sur le tapis et je dois jouer. Ca je ne m’en souviens pas. Des jeux. A neuf ans je suis dans l’épaisseur de l’ennui. Déjà. Je ne me souviens pas des jeux. A neuf ans on ne joue pas seul. On est seul, c’est tout. La télévision est là, et puis brusquement il y a l’image. Ils commémorent les camps. Et brusquement je vois cette image en noir et blanc. Ce sont des corps décharnés. Nus et décharnée. Un tas de corps nus. Des hommes des femmes empilés. Derrière, des baraquements, des sortes de maisons de bois. Et devant ce tas humain. Non, ce n’est pas humain. Je ne comprends pas. L’air me manque. Je suis devant l’image. Non, je suis dedans. Dans ma tête quelque chose se casse. L’image n’arrive pas rentrer. Un tas d’hommes et de femmes empilés dans le décharnement, et la mort. J’ai envie d’appeler. Les mots ne sortent pas. Ma mère est à coté, dans la cuisine, elle ne peut pas voir l’image. Je ne peux pas lui dire. J’ai peur, et pourtant je regarde. Je ne peux pas m’enfuir, je suis collé sur l’image. Presque à l’intérieur de l’image. Des hommes en uniformes jettent des corps nus sur ce tas immense de chair et d’os. Mais ce n’est pas, ce n’est plus vraiment, de la chair et des os. C’est de la mort. Les têtes n’ont plus de cheveux, et les corps sont nus, on voit des sexes d’hommes et des sexes de femmes empilés dans un désordre de corps impossible. Les membres raides sont tordus dans des positions impossibles. Je voudrais partir. Ne pas être là. Mais déjà l’image est dans mon sang. Elle se mélange. Cela dure quelques secondes, à peine quelques secondes. Je voudrais crier, mais rien ne sort. Je voudrais pleurer, mais rien ne pleur. Dans la télévision les images partent, elle ne sont plus là. Et moi je suis toujours devant. Impossible de bouger. J’ai toujours l’image des corps nus incrustée derrière les yeux, dans la tête, à l’endroit où quelque chose s’est cassé. « Franck, qu’est-ce que tu as ? » « Rien, j’ai rien… »

C’est à partir de là que les choses sont devenues compliquées. Ca va durer des mois. Des nuits. Des mois de nuit. Le soir, je ne voulais pas me coucher. J’avais peur. C’est normal, souvent les enfants on peur d’aller se coucher, peur de retrouver leurs cauchemars, peur d’être sans réveil, d’être perdu dans un éternel sommeil sans réveil. Le premier soi fut terrifiant. L’image revenait sans cesse. Elle me passait dans tout le corps. « Maman ! Je ne peux pas dormir, j’ai des cauchemars dans la tête…. » « Fais pas l’idiot, va te coucher, tu vas énerver ton père… »  « Recouches toi, je viens… » Moi, je tremble. Elle le voit. « Qu’est-ce qu’il y a ? » Impossible de dire l’image. Impossible. Ca va durer six mois. Chaque soir. Avec la peur de la peur.  La peur a l’avance. Et l’image. Toujours la même. Toujours impossible à dire. Lui, il ne comprend pas. Lui ça l’énerve. Un soir il cogne. Plusieurs soirs, il cogne. Ma mère en travers de lui. Lui qui la pousse. Je suis recroquevillé sur le lit. J’ai l’image en travers de la chair. Il bouscule ma mère qui crie. Je vois son corps bousculé comme si elle était jetée sur un tas d’humains. Un corps nu qui cascade, qui glisse sur d’autres corps nus, décharnés. Lui il cogne. « Tais-toi… ! ». Moi je ne sens rien. Je ne me rappelle pas avoir senti les coups. Ma douleur est ailleurs. Je sais qu’elle est ailleurs, mais je ne sais pas où. Dans un lieu de la mémoire, sans doute le lieu de l’image. Ma mère glisse sur ce tas d’os humains, elle glisse sur la maigreur de ces corps nus, où je vois des sexes d’hommes et des sexes de femmes accrochés à des chairs qui ne les retiennent plus. Tous les soirs. Pendant six mois. Docteurs, psychologues, qui ne disent rien, qui ne savent rien. Mon père, lui, sait. Ils veulent divorcer. C’est à cause de ça. A cause de moi. A cause des coups. C’est plus possible de continuer comme ça tous les soirs. J’ai peur dès le réveil. J’ai peur du soir, de la nuit, de l’image. Je me mets à saigner. A saigner du nez. C’est des hémorragies impossibles à arrêter. Un jour dans la voiture. Sa voiture. Il ne s’arrête pas. Le sang coule. N’en finit pas de couler. Je me vide. J’ai l’impression que l’image s’en va avec le sang. Que tout s’en va. Je n’ai pas peur du sang. Il y en a partout. Il ne veut pas s’arrêter. Ma mère crie, hurle. Ils se battent, la voiture roule toujours. Après des mètres de gaze. Le sang s’arrête. Six mois, et peu à peu l’image est partie, elle s’est lentement condensée.

Après de nombreuses années, je suis en analyse. C’est alors qu’elle revient. Dans les mots d’abord. Pendant des semaines ma parole tourne autour de cette image. Elle revient comme un écran. Pour faire écran. Je ne peux rien dire de l’holocauste. Ce n’est pas la même histoire. Sauf que quelque chose en moi ne peut se dire aussi.  Je ne peux rien dire qui ne soit pas indécent. Pourtant cette image de l’histoire est rentrée dans mon sang. Ce n’est pas mon histoire, et pourtant c’est aussi mon histoire. Pendant des semaines sur le divan ma parole cherche. Comme s’il y avait un secret. Mais il n’y a pas de secret. Il n’y a rien à trouver. Ou une si pauvre vérité. Ma parole suffoque, s’épuise, dans les sens à tiroirs, des sens gigognes. Derrière, les mots d’autres mots, cascades de sens, enfilade de significations, glissement, dérapage de la mémoire. J’ai l’impression de remonter vers une source. Mes mots disent l’accouchement. Derrière l’image, il y a l’accouchement. J’ai la tête prise dans un étau. Il faut sortir, je suffoque. L’impossible naissance. Mes mots ignorants de moi-même disent les avortements, les fausses couches. Moi, je ne dis rien : je ne sais pas. Mais les mots disent tous ces petits morts du ventre de la mère. Ils disent le sperme trop clair du père, si peu riche, si peu habité, si peu prometteur. Ils disent la mère aux parois trop lisses, qui laissent glisser les enfants. Ils disent tous ses petits mort, avant. Ces petits morts de frères, morts de sœurs. Et puis tous ceux après. A chaque fois on les jette sur un tas. Ils n’ont pas de forme. Pas de nom. Pas de sexe. Pas d’images.

Elle est enceinte. C’est moi. Pendant cinq ans ils ont essayé. Moi je tiens. Moi, je ne me décroche pas. Moi je reste. Elle, elle ne veux plus de lui, du père. Alors elle ne veut plus de moi. Elle veux, mais ne veux plus. Plus avec lui. Elle a peur. Je sais qu’elle a peur. Mais moi, je tiens. Moi, je suis là. Après moi, les autres ne tiendrons pas. Sur un tas. Ils glisseront sur un tas d’os et de sang, de sang en noir et blanc. Ce n’est pas de vrais souvenirs. C’est juste mes mots qui disent…. et l’image. Toujours plantée. Et moi qui suis vivant. Encore. Comme un rescapé coupable. 

C’est au début de cette année. Ils commémorent à nouveau. Je regarde à nouveau l’écran. Dans cette sorte de fascination tétanisée. En janvier, je regarde tout.  « Nuit et Brouillard », « Shoa », tous les reportages, toutes les images, quelque chose est a dire qui ne peut se dire. Je lis, je relis Primo Lévy, Semprun, d’autres livres. Plus je lis, plus je vois, plus quelque chose monte en moi. Et puis, soudain, au hasard de l’écran : l’Image. La même, le même morceau de film. La même couleur. Le tas inhumain des hommes et des femmes, des chairs atrophiées, de la vie humiliée. De la vie trahie. Du Mal, avec sa majuscule. Tas inhumains du temps où les dieux étaient distraits. Alors j’ai vu l’image. C’est alors que tout est venu, les larmes à flot, un sanglot incoercible. Quelque chose est venue là. Ce dire à cet instant. Sur cette image, d’horreur. Enfin, les larmes que je n’avais pas versées enfant. L’impression d’être un survivant de mon propre sang, de ma propre histoire.

Quelques jours plus tard je découvrais une Maison, qui s’appelait « Les Récits de la Maison des Morts ».   

Franck.

(Pardonnez-moi s’il reste plus de coquilles ou de fautes que d’habitude, je suis incapable de relire, ce texte)

25 octobre 2005

Prudence peut-être avec la petite fille.......

Il nous arrivait de faire quelques sorties. Souvent pendant ce mois précis de l'année. Où les Chemins de Croix étaient si beaux que cela résonnait face à ma toute jeune conscience de la foi, peut-être qu'il s'agissait bien de ça, la foi, appeler lorsqu'on avait besoin d'aide. Je trouvais ces endroits si beaux avant. Mais l'aide humaine n'était jamais à la hauteur contrairement à l'offense. La folie l'habitait déjà à l'époque, les folies les habitaient déjà à l'époque. Mettons ça sur le compte du pluriel. Ce n'était pas une étoile tombée du ciel, ce n'était pas une image, c'était un bloc, un gros rocher noir de plusieurs kilomètres de diamètres qui, tel l'aigle noir de Barbara, s'est écrasé dans la mer. Et les dégâts ont été considérables pour la planète. Qui avait besoin d'aide. La conscience de la foi était peut-être déjà en moi. Peut-être que j'étais déjà une meurtrière en puissance d'un Frère Roger quelconque. Il nous arrivait de sortir dans les chemins, en ville, et les marchés, où ça crie, les femmes un peu populaire, voire carrément hurlaient à qui voulait les entendre qu'elles vendaient les meilleurs poissons, les meilleures volailles, les meilleurs chaussettes. Des sous-marques disait sa femme, en noir souvent, pas musulmane mais la tête recouverte. Que tes cheveux sont jolis, il devait lui dire la nuit, lorsqu'elle lui refusait un rapport sexuel. Parce que...Parce qu'elle ne savait pas trop, elle n'avait pas envie. Peut-être qu'elle savait qu'il aimait les enfants. Toujours est-il que la folie était déjà en moi avant ce beau jour ou peut-être cette nuit. Elle arpentait le marché populaire d'un oeil humide cette femme, elle ressemblait à une ombre et elle me révulsait, c'était viscéral et je n'essayais pas de lui faire ressentir parce que ça n'avait aucune importance et parce que je ne voulais pas blesser les autres, même ceux qui me dégoûtaient. Elle lui refusait parce qu'elle l'aimait trop peut-être / Dans un petit restaurant en face du cinéma Denis m'a dit que de me rendre heureuse c'était le challenge qu'il s'était fixé et j'ai eu des pensées cyniques à son égard, en me disant que le pauvre ne savait pas vraiment de quoi il parlait. La folie humaine. Une folie à deux ? Deux salles, dont la deuxième diffusait des films improbables de séries Z me tentait bien, il faisait chaud, elle était climatisée. J'avais envie de l'embrasser et de lui dire de partir. De partir. Les folles qui sont des Hommes ne savent pas vraiment ce qu'elles veulent, comme si les couples unis, avec enfants et maris savaient ce qu'était l'amour. Apparemment, oui, ils savent. Des étoiles ? Non, des étoiles sont des étoiles. Et des blocs qui tombent du ciel sont des blocs qui tombent du ciel. C'est évident. Il paraît qu'il y a une forte demande en ce qui concerne la rêverie des fées, la vie réelle est de plus en plus dure, il paraît / Nous étions dans le temps de l'amour, et nous caressions nos corps de nos voix les plus intimes. Je lui racontais la blessure à l'intérieur, et il me racontait son âge. Car il avait la cinquantaine. Et j'avais à peine vingt-et-un an. Il était cultivé. Il était charmant, et il avait même un charisme puissant. L'amour avait une couleur pourpre, même les fleurs ont besoin de musique pour vivre, tout ce qui vivait à cette époque avait besoin d'amour. Et Edgar avait des airs d'Al Capone. Cependant je l'aimais. Il était doux, attentionné, patient. Il avait peur pendant l'amour, il résistait, sans vraiment résister mais ça revenait tout de même au fait qu'il ne savait pas bien se positionner par rapport à la jeunesse de ma personne toute entière. Sa jouissance était cachée à lui-même et à moi-même pour la simple et stupéfiante raison qu'il tenait absolument à me faire jouir tout en s'oubliant. Il existe encore à notre époque des femmes de ce genre, avant certainement beaucoup plus, elles avaient le pouvoir de renverser des rois mais attendaient que leur mari fasse ce qu'il avait à faire et puis dormaient dans l'ennui de leur vie. Une vie de Maupassant. Il était un homme comme ça, il effaçait sa jouissance comme si ça effaçait son âge et il se sentait trop vieux pour elle et pour moi. / Il lui arrivait de déposer sa pudeur au fond de l'église et ressortait vêtue de simples terreurs camouflées et ténèbreuses, presque de l'ordre de la Charogne pourrissant dans les cimetières, ceux que vous aimiez tant et qui dansent avec les ancêtres sous la forme de sacs d'os. De fines sandalettes, une jupe longue sur la peau Crépuscule de ses jambes, un chemisier blanc sur sa poitrine nue, sans maquillage, sans bijoux, ça ne lui avait même jamais trotté par la tête, avant, elle a dû, c'est vrai, ensuite, apprendre à les aimer ces broques parce qu'elle avait un métier où elle devait, comme une hôtesse d'accueil dans une bijouterie, être avenante avec les clients. Comme dans une bijouterie. Pendant ce temps-là, la convoitise, elle s'en rendait compte, mettait le monde à l'envers. Elle était dans un non-temps absolu, de toute puissance et cette puissance était froide car elle venait des glaces de l'enfer. En pleine saison des brûlures, elle pleurait d'une manière théâtrale sur scène. Elle était belle, le beau chemin de croix lui disait qu'elle était belle, dans la glace éternelle, et reflétait quelque chose de terrible et de sombre à la fois. Intérieurement, elle ressemblait à une sorcière, encore et toujours, de plus, on lui disait d'aller se faire interner, on voulait la mettre de côté, elle et les gens comme elle, car elle devait produire des effets qu'elle ne comprenait pas bien elle-même, la convoitise foutait le monde en l'air. On lui disait de la fermer, elle devait dire quelque chose d'important et en effet ça l'était. / Elle tournait sur elle-même faisant voler sa jupe et souriait en tenant sa petite voisine par les bras, la faisant tourner avec elle. Lorsqu'il arrivait, prêt à travailler la terre car il était paysan, elle arrêtait, et disait discrètement à la petite de partir. Elle ne voulait pas qu'il pénètre la petite, en plus d'elle. La parole dans la gorge, renfoncée, son oncle lui avait dit une fois : tu ne diras rien. Comme si c'était dans le Beau Chemin de Croix, et comme si c'était la voix de Dieu. Elle essayait d'aimer Denis ou un autre homme merveilleux mais bon, à son travail on avait découvert récemment une chose stupéfiante et très très dangereuse : elle écrivait sur des gens réels ce qu'elle avait entendu de leurs bouches et vus de leurs actes. Ils ne toléraient pas la liberté qu'elle s'octroyait avec les codes des rapports humains qui pour la plupart, baignaient tous dans une onde de mensonge qui devait être très ancienne comme le mal de Dieu pour réussir à drainer autant de monde de nos jours encore. Intérieurement, elle pleurait bien sûr, mais sans avoir envie qu'on la console, ni qu'on l'emmerde d'ailleurs. Alors pour aller mieux, elle écoutait la musique idiote du groupe R.E.M, rapid eyes movement, la phase de rêve active pendant votre sommeil. / Il venait poser sa tête au creux de mon cou comme si mère nature était tombée d'accord avec les pharaons d'Egypte et les gens du Pas-du-Calais, les ch'tis, beaucoup d'inceste là-bas et d'alcoolisme, beaucoup aussi. L'androgyne était une guerre à lui tout seul, et son corps de fille blessé avait enfanté d'une âme sans sexe, l'androgyne devait peut-être mourir, les animaux sentent, le sentent, comme les tremblements de terre, à l'avance, et les sirènes sonnent, et Denis partait sans que ma tristesse ne m'accable, j'aurais dû me sentir vide, mais non, son départ était son départ et je ne me sentais pas vide qu'il m'abandonne, au contraire, j'étais comme heureuse, soudain, de retrouver ma solitude qui s'appelle écriture. Je couche avec elle. Je la suce, et souvent maintenant, c'est elle, de plus en plus, elle me suce. Elle est belle, Ecriture. C'est quelqu'un de bien. Avec elle, la liberté ne me fait plus sentir vide. Ou en tout cas, la chose est plus supportable. C'est quelque chose de douloureux mais c'est un amour qui est éternel, pour ceux qui savent ce que veut dire le mot éternel, je pense que ce n'est pas sur vos terres que la réponse va être positive. / Des regards qui s'échangent sans que je m'en sente bouleversée, des peaux qui se frottent simplement pour sentir tout ce sang retenu depuis des années, plus définitivement dans un dessein qui m'échappe encore totalement, mais qui peut prétendre être le porte-parole de l'amour, et de la parole de Dieu, j'ai vu ce qu'était ce Beau Chemin de Croix et j'ai vu vos Maisons à l'extérieur, et je vois ce qu'elles sont à l'intérieur et je les vois encore, et je les verrai encore jusqu'à mon décès, proche je le sens, et c'est mon don, en quelque sorte, c'est aussi ma malédiction. Qui peut prétendre que le temps était rouge, et que le temps était à l'inaugurations des histoires qui se finissent, et de l'intime qui s'offre, des amours débarassées de toutes graisses imparfaites ? / Je tournais sur moi-même avec ma longue jupe dans laquelle, si j'en avais ressenti le besoin, cet après-midi là de bonne humeur et de soleil, j'aurais pu cacher le corps d'une petite fille entre mes longues jambes de gazelle.

Les lionnes attendent avant de passer à table.

Prudence peut-être avec cette petite fille jetable.

ANGELINE

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