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J'irai marcher par-delà les nuages
23 octobre 2022

Couture...

 

Un temps qui n'a pas de rive, qui s'effrange comme un tissu élimé. Dans quel temps se passe l'écriture ? Dans quel présent suis-je ? Là, maintenant. À découdre les ourlets de l'univers, comme si brusquement il avait rétréci, comme si le temps faisait des plis, comme si l'on pouvait être prisonnier d'un bourrelet, ou d'un revers, d'un faux pli.
Point de croix sur point de saignée. Ravaudage de la mémoire. L'aiguille des mots pique les bords du trou, pique à l'endroit du débordement. De l'écoulement. L'aiguille des mots rapièce le temps défait. Le vieux temps. Le temps usé. Le temps lustré.
Alors, on retient les bords de l'univers, on essaye à chaque texte de contenir la déroute, la disparition. Alors, on pique pour traverser au plus profond, on tire sur le fil des souvenirs, on tire sur le fil de nos jours, le fil de nos attentes. Cela fait toujours un peu mal. Piquer le lieu fragile de notre vie effilochée. Les chairs peuvent se déchirer.
Souvent, elles se déchirent les chairs.
Souvent, le texte se coupe.
Souvent, c'est une catastrophe.
Souvent, on se dit que c'est une tâche impossible.
Un point de croix sur un point de saignée. Chirurgie du désespoir. De la lenteur. De la constance. De l'oubli.
Ce temps qui échappe au temps. On tire sur les bords de l'univers pour les poser là, sur la page. Avec la pauvreté des mots, et notre pitoyable espérance. Bord à bord. Encore piquer. Suturer cette béance, sous le regard moqueur de nos siècles. Avec cette aiguille trop grosse, avec cette aiguille qui emporte les morceaux de chair.
Pourquoi cette joie étrange à chaque piqure des mots ? Pourquoi cette jubilation à tisser tout ce malheur, à broder ces motifs inconnus sur cette trame infinie ? Pourquoi coudre cette robe de fête sur ce linceul ? Pourquoi... ?

Franck.

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30 octobre 2022

L'espace inconnu...

 

Car le texte doit révéler l'inconnu. Non pas l'inconnu du savoir, mais le toujours innommé qui git en nous : le fou, le saint, le lumineux. L'inaccessible présence qui nous brasse. Écrire, c'est se défaire de nous. L'entêtement du geste. L'acharnement d'une répétition qui nous efface peu à peu. Labyrinthe de miroirs. Où se démêlent l'absent de l'écriture et le présent du texte. Où se dédoublent les voix. Se situer juste à cet endroit de l'âme où le retour du même n'est pas exactement le même. Comme si l'écho nous revenait prononcé par une autre bouche. Décalage. Contretemps. Contrepied. Esquive des présences qui toujours se dérobent, toujours surgissent. Là. Dans ce champ des défaites. Où les ruines ne sont plus le résultat de la décomposition du nouveau, mais où les ruines seraient toujours l'expression la plus nouvelle du futur.
La voix se superpose, puis efface le sens des mots. Ce qu'il y a de vacarme en eux. Les mots qui perdent leurs sens sont des mots aggravés. Des étoiles.
L'écriture avance vers les confins, vers les lieux du décollement du sens. Imprenable. Même par la main qui la produit. Surtout par cette main. Un cheminement, paume ouverte. Prête aux stigmates. Comme le signe d'un accomplissement. Lequel ?
L'accomplissement de la nuit. Même de jour, c'est la nuit que nous accomplissons en nous. Pour maintenir l'étrange. Décoller la lumière du réel. Être au repos du réel. Enfin accueillir ce qui vient. Ce qui vient. Œdipe. L'ermite. Anéantir toute explication. Engloutir toute signification. La grande nuit de la toute présence, celle qui nous rend à nous-mêmes et au monde. À la nudité. À la pauvreté. Passer du tremblement à la tremblance. Passer du feu à la flamme. L'œuvre.
Traverser.
Jusqu'à l'intense immobilité d'un silence. Le texte est habité d'une puissance vivante qui m'écrase chaque fois un peu plus.
Entre l'amour et le désir, il y a un espace.
Entre l'écriture et le texte, il y a un espace, le même.
La nuit. L'imprononçable nuit. Le lieu des grands gisants.
Entre mes lèvres et Tes lèvres. La nuit.
La nuit que je traverse à chaque mot, pour Te rejoindre, enjambant les gisants et les siècles.
Retraçant infatigablement le chemin qu'il Te faudra consacrer.

Franck.

21 mai 2006

Sur le bord de l'écume....

Toujours revenir sur le mouvement des marées, sur cette eau qui m’habite. Sur l’océan qui s’agite sous ma peau, dans mon ventre, dans mes veines. Océan obscur et lancinant. Mes étendues sont sans fin. Comme l’errance. Et l’impossibilité de l’île, de l’oasis, d’une pose. D’un soupir. L’impossibilité du soulagement. Enfermé dans l’ouvert. C’est sans doute cela la béance. Cet inconnaissable qui gît en nous. Cet immense trop large, trop vide. Cette masse flottante qui fait de moi un continent à la dérive. Et chaque vague qui propose un désordre nouveau insupportable, invivable et pourtant vécu, dix fois, cent fois, mille fois vécu. Un naufrage sans noyade. Avec la mort en suspend. Lisse. Interminable. Avec le scintillement des abîmes au grand large de l’existence. Toujours revenir sur le mouvement des marées, comme une mémoire qui gonfle et qui déferle avec la précision de l’orfèvre qui taillerait l’endroit impur de la pierre, qui l’userait au point de la faute, du manque. Toujours ces vagues lentes qui ramènent sur mes épaves, mes carcasses éventrées, tous ces restes d’engloutissements. Il y a de sombres charniers dans cette eau abandonnée à son propre mouvement. Il y a la remontée des fonds marins et les algues géantes pour brasser chaque souvenir. L’écriture s’éloigne comme un radeau de dérive, comme un tronc de mort flottante gorgée de sel et de désespoir, saturée de vagabondage. Un tronc qui n’a plus rien de l’arbre qu’il fut. Certaines écorces nous racontent leurs histoires, mais là, que dire ? Sinon le balancement, le tangage. L’absence. Dérive. L’infini dérive. Certains grands troncs ne se souviennent plus de la terre, de sa texture grasse et lourde, du fourmillement, de l’humus, ils sont vidés de leur sève, vidé de leur temps. Longue baleine inerte. Raidie. Squelette paralysé, pétrifié. Où chaque mot devient cassant, friable. Seulement le mouvement. L’oscillation de la langue. Paroles inconstantes. Incertaines. Rares. Désertées. Simplement les remous, le grouillement des restes d’écumes, comme les dernières convulsions. Ecriture submergée. Suffocation. Parole engloutie. Défaite de ses propres mots. Démantelée. Démunie. Misérable et vaine. Les eaux des mots s’affaissent, fléchissent encore un peu. Si peu. Les mots s’enroulement dans leurs formes. Des mots déshabillés, dépossédés de leurs vertus réparatrices, de leur force printanière. L’incantation devient longue litanie, dénombrement des heures, inventaire sordide et interminable de la houle. De cette houle qui roule sur l’ombre, qui l’enveloppe comme une louve attentive et sauvage. Sans impatience, mais avec cette constance exténuante. Alors il ne reste que le mouvement, le bercement d’une mémoire infirme, estropiée, amputée. Dont les visages s’effacent, filigrane qui s’insinue entre la ligne de vie et la ligne de cœur. Ligne de mort dans cette mémoire sans fin. Marée de l’intérieur des chairs. Souffle des eaux qui montent vers un destin qui les achèvera. Lent fracas mouvant. Lente tension vouée à son propre reflux. Puissance du démembrement. Les eaux se dévoilent dans leur montée, dans ce déploiement, dans cette insistance. Les eaux se dénudent et se recomposent, elles dépassent l’impossible frontière des rivages. Ces eaux sont grosses car elles enfantent des hasards ou quelques sortilèges. Au cœur des nuits, les eaux qui montent, enfantent des silences monstrueux, les eaux qui montent décrochent l’horizon de nos yeux effarés, elles se bousculent, s’enlacent elles-mêmes, se brassent dans leurs bouillonnements, se gonflent de leurs propres mythes. Il faut les entendre souffler comme des dragons froids, imperturbables, inébranlables dans l’indifférence de notre écrasement. Il faut entendre ses marées, en nous, qui montent inexorablement, comme pour faire déborder notre vie. Hors de tout secours. Il y a dans ces marées profondes un sombre vouloir farouche, méprisant, carnassier. Il y a dans le mouvement des eaux l’étrange prémonition de l’anéantissement. Il y a dans mes eaux qui montent tant de digues rompues, tant de rêves perdus, tant de lumières blessées, il y a tant de tout ce qui brise, lamine, accable. Tant de dérisoire, d’insignifiance, d’inconsistance. Tant de silence. Tant de solitude grave. Tant de gestes inaboutis, égarés. Tant de baisers tombés dans l’espace vide des incompréhensions, tant de caresses inachevées, tant d’amours sacrifiées. Tant de sang. Et tant de peurs.

Mais il y a un point de ma vague qui échappe à l’océan et c’est une joie trouble que d’aller l’arracher à mes dernières écumes. Il y a dans mes eaux qui montent encore assez de déraison, encore assez de flamboiement, encore assez de tentation pour les soleils orange, encore assez d’orgues ruisselantes, assez de lunes pâles pour ramener mon corps d’arbre vaincu aux rivages des vivants. Il flotte au bout de mes marées l’éclat d’une chandelle farouche et fière, la part indomptée de mon cheval d’orgueil, le galop sourd d’une horde primitive. Et dans l’infime qui se survit assez de nuance pour repeindre un ciel entier, et dans mes dernières écumes l’offrande et l’abandon et le saisissement.

Il y a dans mes eaux qui montent l’instinct de la prière et du renoncement, et dans l’ultime vague la lueur si fragile de la miséricorde. Cette empreinte brillante et fugitive et murmurante qui lie les eaux aux cieux. Comme ces étoiles filantes qui naissent les marées.

Franck

25 juillet 2017

- 89 - Ecrire...(toujours)...

Les textes en italique sont de Pascal Dusapin, extraits de sa leçon inaugurale donnée au Collège de France, intitulée : Composer. Musique, paradoxe, flux. Éditions Fayard.
« La musique luit et se dissipe, telle une illusion. Secrètement, elle résonne. Mais son écho vient toujours trop tard. La musique, c’est le deuil incessant de l’instant.
Roland Barthes disait : “la musique, c’est ce qui ne revient jamais”… Nous pourrions ajouter : c’est toujours avant. En somme, c’est toujours déjà fini. Écouter la musique, c’est comme une menace. La menace que cela est “encore déjà fini”. Alors, on s’obstine. On écoute à nouveau. Puis, cela n’est encore plus là. Moins qu’avant. Mais cela recommence. Avant la musique, il y a le silence. Juste après, ce n’est plus qu’un souvenir. Un “souvenir du silence” d’avant. »
Il y a dans l’écriture ce deuil incessant de l’instant. Le temps en nous se brasse. En nous, il y a de la mort qui parle lorsque l’écriture est là, mais pas seulement : il y a le balancement lent entre l’inachevé et l’inachevable, puis l’urgence à reprendre sans cesse. Un feu meurt qu’un sang singulier entretient. Il y a de la lutte dans cet échange des sangs et des temps. Le mot ne tient que par celui qui n’est pas encore là. Le vide nous menace, la défaite, la perte incommensurable. Écrire, lire, nous jette dans le même désarroi. Le lecteur lit en lui son propre poème, il fouille en l’autre qui écrit, ce qui n’est que de lui. L’émotion du lire nait de la coïncidence. Dans le silence, de lire quelque chose se condense, se précipite. Le reste d’un futur déjà trop vieux, ou d’un passé toujours à revivre. La fin du poème nous laisse toujours brulants, dévastés, elle laisse la trace en nous de ce qui manque… Le temps et l’amour… Les amoureux ne lisent pas.
Le poème nous traverse, laisse en nous une trace invisible, inaudible, indicible, mais on sait qu’elle est là vivante et mortelle à la fois.
« Composer, c’est inventer des impulsions et des flux. C’est comme l’eau d’une rivière. Cela vient de plus haut, cela passe, l’on sait où cela va, mais ce n’est pas cela qui nous préoccupe. La vraie question, c’est comment faire pour composer ce qui traverse ? Composer, c’est inventer des chemins de traverse, des éloignements, des distances. C’est comme fuir et s’enfuir toujours. »
Écrire, c’est être traversé par une question, toujours la même. Qui ne se dévoile jamais de la même façon, sauf dans cette sorte de dérobement, cette esquive qui nous fait chanceler. Écrire, c’est être traversé par une stridence, une urgence sans objet, puisque le sens d’écrire est toujours en deçà de l’écriture. En deçà, ou à côté, un « ce n’est pas cela » qui se défait en nous. Écrire, c’est déjà échouer, mais cet échec est la seule force à opposer à la peur et au néant. Écrire, c’est s’approcher, sans jamais atteindre. C’est savoir que rien ne sera jamais atteint, mais s’approcher sans cesse. Alors, on recommence. Toujours plus loin, toujours plus profond, toujours plus seul. Le silence est le métronome des mots. Il bat en nous. Écrire, c’est traverser un silence pour aller sur l’autre bord, l’autre rive. Mais les bords et les rives n’existent pas. On le sait. Mais écrire, c’est se défaire de ce savoir. C’est ne plus rien savoir. C’est aller…
« Mais composer, c’est long. Et lent. Très lent. Très, très long et lent… Cela n’avance jamais. C’est parce que l’on ne sait pas ce que cela va devenir. La question paradoxale, cela n’est pas d’achever, mais comment ne pas finir ? Composer, c’est ne jamais finir. Cela prendrait beaucoup trop de temps de finir, c’est-à-dire tout notre temps. Et pour autant, nous n’aurions jamais fini.
Car pour composer, il est préférable d’attendre. Longtemps. C’est dans ce temps long, presque perdu (et qui se perd dans les détails de l’écriture) que se joue l’attente. Attendre, c’est trouver. Pour trouver, il faut perdre du temps. Cette perte est l’attente. »
Écrire travaille cette longueur, dans cette usure du temps, dans l’épuisement qui y préside, dans cet écroulement qui suit. Écrire, cela prend le temps, tout le temps. La chair, toute la chair. Cela surgit de ce point de néant qui git en nous. C’est le retour à la voix de l’enfance, la voix dépourvue de mot, qui n’est que murmure. Ce qui prend du temps, c’est de défaire l’homme, le déshabiller de la vie qui l’écrase… Écrire, c’est puiser dans l’ennui, le meilleur de nous-mêmes. Que reste-t-il quand tout est dépecé, raclé ? Que reste-t-il de l’inutile, du vain de nos jours ? Que peut-on écrire lorsque tout a été dit ? Mal dit. Mais dit quand même. Écrire, c’est le souvenir de la terre une fois les amarres jetées. C’est la fin, après la fin. Oui ! C’est trouver un chemin possible.
« Composer, c’est ne jamais commencer, ni recommencer, ni finir. Composer, c’est continuer. »
Écrire, c’est labourer les champs du souvenir, pas pour dire le passé, mais se croire encore vivant.
C’est aussi consentir à l’inachevable. C’est poser là une lumière sur la margelle du vide, une étoile au bord du néant. Écrire, dit bien cet ourlet de tristesse cousu avec un fil d’or pur.
On est perdu, mais du perdu jaillit le feu qui court sur l’océan, alors la houle nous emporte en même temps qu’elle nous ramène au ventre de nos mères.

Franck.

9 novembre 2017

L'île d'après...

Les amants dessinent, dans la tristesse des villes, de grands aplats de silence, à contre-jour, à contre soleil. Les amants s'absentent, dans leurs traces nous y cueillons les songes. Les amants ne parlent plus, les mots ont déjà déserté leurs gestes. Ils se rapprochent des choses ou des êtres, simplement pour les éclairer ou les abandonner.
Les amants passent, traversent, débordent, tanguent. Ils chavirent. Ils s'effacent. Au bout de leurs regards désinvoltes, ils inventent l'ignorance avec cette ivresse cruelle qui l'accompagne.
Les amants sont sans bagage, sans histoire, quelques baisers secrets au fond de leur poche, comme ces enfants qui remplissent les leurs de ficelles ou de petits cailloux. Ils sont dans l'angle du jour. Ils ont perdu leurs yeux, ils n'ont que leurs mains pour sculpter les heures, leur peau pour créer d'autres langues, leur chair pour fuir leurs peurs anciennes.
Les amants se cachent dans les ellipses des coquillages pour se dérober au temps, au vacarme des villes. Ils se savent en danger. En sursis. Le poème ne les a pas encore rattrapés. Ils sont dans l'impatience, pourtant sans attente. Demain est un continent lointain, une rive inabordable.
Les amants dessinent par étourderie les arabesques de futures aurores pâles sans secret.
L'écriture sera tapie dans la marge. Juste là, dans l'ombre.
Pour l’après.
Écrire l'après qui est déjà advenu.
Écrire est dans le contre temps, comme les amants sont dans le contre-jour.
Écrire, c'est l'île d'après. Celle qui n'est pas habitée, celle offerte aux tempêtes, à l’obscur mouvement des vagues.
Et les amants chavirent, et l'écriture fait naufrage au large.
L'écriture est le chant désastreux des amants déliés de leurs serments trop lourds.
L'usure prochaine des temps révolus, défaits.
Les amants n'ont que leur nudité, le poète que son dépouillement.
L'amour a sa nostalgie, le poète sa lente mélancolie.
Le soleil brûle tous les déserts.
Les amants ne connaissent pas la rhétorique.
Ils dansent.
Ils dansent.
Ils dansent.

Franck.

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30 juillet 2019

De l'infime à la bonté...

 

Il lui fallut beaucoup de silence, puis après, beaucoup de distance.
Car il ne s'agit pas de voir, mais d'éclairer.
Il lui fallut un long temps, une vie entière, pour apprendre ce mouvement sobre et grave de la bonté, qui va de l'un à l'un.
Ce mouvement qui découvre dans son souffle, dans une arabesque, une forme acceptable d'humanité...
...du plus fragile au plus faible... avec l'infime en partage, qui va de l'un à l'un...

Franck.

1 septembre 2019

L’hiver l’Océan… (étude)

L'hiver, l'océan nous parle une langue inconnue. Il roule son indifférence hautaine. Il y a de l'arrogance dans sa houle. Du dédain. Il parle fort, d'une voix musculeuse avec le détachement des dieux, la désinvolture des puissants, parfois de sourds ricanements.
L'hiver, l'océan est un défi. Une menace. Largement ouverte sur le froid. Une béance froide et mugissante. La menace vient de ce qu'il n'y a pas d'interruption dans la virilité frontale de l'océan. L'hiver. Et le vent glace toute pensée. Glace et efface toute pensée. L'homme ne s'articule plus à l'espace, au mouvement, droit sur la plage il est une écharde, moins qu'un galet, moins qu'un coquillage. Et brusquement, il le sait. Il est dans l'évidence. Aucune parole ne tient, et il le sait. Alors il se tait. Silence et vacarme vont du même pas, l'hiver, quand l'océan roule son indifférence hautaine. Et les portes de l'exil sont ainsi. Bruyantes et muettes. Inconciliantes. Incommensurables. Il n'y a pas de méditation du froid. Toute pensée est d'abord résistance. Tenir l'affirmation d'une résistance. Il n'y a pas de poésie du froid. L'imaginaire du froid est un imaginaire séparé. Coupé. Tranché. C'est d'abord l'imaginaire d'un refus.

L'hiver, l'océan nous parle une langue inconnue, que l'on comprend parce qu'on l'a toujours su. Le vacarme et le silence de la mort. L'écrasement et le froid. Le vent et son murmure lancinant. Litanie d'une mémoire inaccessible. Comme la mer dans son avancée impossible et constante. Interruption des vagues, de la terre, de la mémoire. Invraisemblable mouvement en avant. Enroulement du temps qui nous lie en se déliant. Et la parole qui accompagne. Parole inaudible hormis la voix qui la porte et la pose, là, au bout des terres connues, à l'orée de l'hiver et de l'océan. La voix chante et c'est une plainte. On sait que c'est une plainte, même si l'on n'en entend pas le sens. On sait que c'est une plainte. L'oubli est le râle de la mémoire, son chant plaintif. Quel est ce temps d'hiver ? Quel est ce temps dans le temps ? Cette vague dans la vague ? Cet océan qui bat en moi ? Ce froid qui glace ma voix ?

Je suis un égaré. Je n'ai pas trouvé ma question. Alors toutes les réponses sont fausses. Inadaptées. Nous oscillons sur nos lignes de fuite, funambule de l'errance, avec toujours une liberté de retard, à contre temps des marées, tâtonnant à travers nos phrases, à la recherche des mots, des rythmes qui sauraient s'allier à notre voix. Adoucir la discordance. L'annuler. Effacer l'horizon. Tout recommencer. Ou tout finir. Bâcler la fin. Car l'écriture ne nous rend pas la vue. Tout juste nous introduit-elle au silence. Et à l'absence. Tout juste nous pose-t-elle à un endroit de nous-mêmes un peu plus supportable. Elle n'efface pas l'illusion. Peut-être, est-elle l'illusion suprême. La seule qui vaille, ou la plus dérisoire. Il n'y a pas d'écriture du bonheur. Aucun savoir ne nous guette au bout de la phrase. Aucune rémission. Les mots s'effacent les uns les autres, les suivants renieront ceux qui précédent, jusqu'à l'épuisement. Il n'y a pas d'accroissement de la parole, tout au plus une redite, une tentative toujours échouée. Un enroulement. Un retour. Et un effondrement d'écume dans la voix. L'océan n'a pas de centre, il n'a que des rives, des lieux de fin, des morts toujours recommencées et jamais assouvies. Il est l'épuisement inépuisable. La permanence effrayante. La mort qui s'avance en nous comme une arabesque. Pleine. Dépourvue d'ombres. Pure présence, qui nous assigne à la nôtre, la suggère, parfois la révèle.

Il y a dans l'écriture comme le sacre des saisons, un surcroît de présence, un dévoilement, un atlantique patient. L'écriture dans son incessant retour, élève notre voix pour l'accorder à celle de l'océan. Il n'y a pas d'accroissement de la parole, simplement une élévation, le sens d'un redressement, sans doute pour que la mort nous frappe à l'endroit le plus haut. Juste à l'endroit de l'étonnement.

Franck.

21 octobre 2007

La force des marées......

Car redire a deux portes. Je me souviens de lui. De la fin. De la fin de lui. De sa voix et de ses paroles. L’interminable redite, après les immenses silences. Entrecoupés de redites incessantes. Lancinantes. Obsédantes. A la fin l’alcool l’avait simplifié. Et les redites signifiaient comme une trame de tapis après l’usure. La redite était son affaire. Depuis toujours. Bien avant l’alcool. A la fin, c’était l’alcool.

Redire ce n’est pas raconter la même chose, la même histoire, pour lui, redire c’était employer les mêmes mots, les mêmes séquences de mots, les même expressions. Il y avait du scrupuleux là-dedans. La mémoire ne se souvenait pas des êtres, ou des choses, ou des événements, la mémoire se souvenait des mots, le reste avait été oublié. Oblitéré.

J’écoutais l’interminable redite. La simplification. La réduction. La trame. Certaines destiné deviennent la caricature d’elles-mêmes. Dans sa parole il n’y avait pas d’espace. L’autre n’y avait aucune place. Il trônait dans ses mots, articulant le ciment. Dans son illusion de puissance. Alors, il redisait, pour en être sûr. Avec l’alcool, à la fin, il pouvait redire plusieurs fois la même histoire dans la même soirée. Il parlait sa piètre mythologie. Il parlait ses exploits. Il parlait lui. Il se racontait, en insistant sur le mépris qu’il avait des autres. De tous les autres. De la terre entière. Avec l’alcool la haine c’est dévoilée. Quand on arrive à la trame, les sentiments se simplifient aussi. Ils retrouvent leur fraicheur originelle. Leur prégnance. L’ivrogne qu’il était n’avait plus de masque, seulement des rictus. Des grimaces.

A la fin, le destin nous a réservé un dernier face à face. Un long face à face. Plusieurs mois, l’un en face de l’autre. Entre nous deux, son vin et mon silence. Chaque jour, le même cérémonial. Et cette parole prise dans l’étau du néant. Les mimiques. La mort aime ces instants par lesquels elle s’insinue dans nos heures. Elle était là, entre son vin et mon silence. Elle attendait l’usure ultime. La fin.

Ne rien lâcher du silence. Me taire autant de fois qu’il redisait.

Son instinct lui disait de redire. Le mien, de me taire. Ici, à cet endroit de la vie, il n’y a pas d’amour, pas de compassion. Il n’y a plus de désespoir. Il y a seulement tenir un silence. Alors le porter jusqu’au lendemain. Et mordre dedans, et ne rien desserrer. Il y a des temps de violences qui n’ont pas l’évidence de la brutalité. La peau n’est pas de marquée, seul le sang l’est. Il a l’épaisseur des redites, et la couleur des silences gardés trop longtemps.

Je me souviens de lui, de sa voix, de sa mâchoire, de ses yeux, du mouvement ses mains. Et de ses redites incessantes. Lancinantes. Obsédantes. Et de ces temps sauvages.

Car redire a deux portes. Deux chemins qui s’éloignent, qui s’opposent. Le redire qui comble, qui colmate, qui empierre, et le redire qui creuse, qui évide, qui enlève. Il y a le redire qui gèle, le redire d’hiver. Et le redire de printemps qui accroit en en approfondissant. Il y a le redire de l’identique et le redire du différent, celui qui fait les vagues celui qui fait les marées, le redire océan. Il y a l’infinie variété du même, joyeuse et désespérante, et la redite épaisse et coagulante de la peur, de la violence. Et de la mort.

Ainsi face à face, redisant tous les deux la même chose, lui son histoire, moi mon silence. Il y avait deux versions. Deux chemins. Un peu comme dans les tragédies antiques. Il fallait bien l’ironie du destin, avec ses cendres qu’un coup de vent a ramené sur moi. Poussières grises qui m’ont couvert la figure, la bouche, l’intérieur de la bouche. Ses cendres dans ma bouche. L’ironie des redites faites au silence.

J’ai dans ma bouche les restes de ses cendres. J’ai dans ma bouche le goût de sa mort. Et dans mon sang l’infinie patience de redire toujours la même chose, jamais de la même façon. Comme ces vagues qui montent des marées, la suivante allant un peu plus loin que celle qui la précède. Ce qui les séparent c’est bien une frange d’écume, une frange de cendre, ce qui les sépare c’est bien ce « un peu plus loin ». Et ce creusement d’océan. Il y a dans chaque geste, dans chaque amorce de geste, la puissance d’une marée. Et redire n’est pas se répéter. Et redire invente plus qu’un monde. Redire c’est la force des constellations.

Dans redire il y a deux portes. Mon père en a pris une, et moi j’ai pris l’autre. Entre ses silences, il parlait. Au cœur du mien, j’écris.

Franck.

10 septembre 2005

Il neigeait.......

C’était juste après les fêtes de fin d’année, début janvier. Elle m’a simplement dit qu’elle était de passage à Paris et que nous pourrions nous voir. En ami. Pour parler d’astrologie. De ses astres. De son présent. De son futur. Tout le monde a un passé, un présent, et un avenir. Certains ne le vivent pas dans cet ordre. En fait il n’y a pas vraiment d’ordre pour vivre. La vie n’est pas raisonnable. On croit connaître notre passé, mais souvent il n’en est rien. On croit connaître notre présent, mais souvent, il n’en est rien. Quand à l’avenir, on ne le connaît jamais même s’il nous occupe la plus part du temps. Nous sommes dans des temps à contre temps. C’est banal de le dire. Elle m’a dit que ça allait, mais que bon, pas si bien que ça quand même. Ca serait bien d’en parler. En ami. Comme ça autour d’un coca. De vive voix cela serait mieux qu’au téléphone. Parce que souvent, dans la vie, les heures pataugent. Comme cet enfant accroupi autour d’une flaque d’eau et qui tape en faisant des éclaboussures, qui tape sur son reflet qu’il ne reconnaît pas. Qui tape sur une vie qu’il ne sent pas dans ses veines. Un petit Narcisse de colère. Les heures pataugent. Nous éclaboussent de leur vacuité. Parfois un éclair nous traverse, rarement. On sent bien que tout est écrit, qu’on est condamné à réécrire, et à redire, et à rejouer la même pièce. A redire et réécrire notre impossible, notre indicible. On le sait. Mais on continue. Puisqu’on sait faire que ça : continuer. Même en tapant sur un reflet tremblant dans l’eau douteuse d’une flaque d’eau. Sandra allait bien, mais pas si bien que ça. Alors parler des planètes, de l’avenir, c’était bien. Même si c’est faux, c’était bien. Parce que c’est bien d’imaginer que dans le ciel il y a quelque chose d’écrit pour vous. Et pour vous seul. Sandra voulait s’entendre vivre, elle et elle seule, dans la parole d’un autre. Parce que tout dans sa vie n’était pas si bien. A cause des peurs, des souvenirs, à cause de la langueur dans son sang. A cause des larmes qu’elle verse quand son mari la caresse, et lui fait l’amour. A cause des désirs étouffés, des révoltes avortées qui gisent abandonnées dans un placard noir et sombre, en bas, à droite du cœur. Pourtant dans sa voix, j’entendais tous les restes d’une enfance joyeuse, tous les rires d’une adolescente effrontée, tous les silences d’une jeune femme perdue. Une belle voix, riche. J’aime les voix, celles qui portent les mots, celles qui osent porter les mots. L’offrande du souffle et du son. C’est un beau chemin la voix de l’autre. J’ai tout de suite aimé la voix de Sandra. Au téléphone. Une voix qui porte avec douceurs ses hésitations. Sandra chante. Justement parce qu’elle a une belle voix. Mais ce que j’ai préféré ce sont les petits espaces, les petits vides entre les mots. La vie qui se suspend un court instant, un petit creux dans le trop plein, qui dit la blessure, qui dit ce qui ne sera jamais dit. Alors on s’est donné rendez-vous dans un café de Montmartre. Au pied de la Butte. Journée grise d’hiver. Journée qui attend la neige. Qui l’espère. Une chute de blanc sur nos corps sans ombres. Un étouffement de blanc. Du blanc sur nos sanglots étranglés. Du blanc dans nos tremblements. Et l’attente. De la chute. Comme une délivrance. Comme une grâce. Comme la fin d’un rêve qui s’effondre et s’effiloche au réveil. Impossible réveil, impossible blancheur, impossible attente. Et pourtant l’attente. Sandra attend que la vie s’intéresse à elle. Moi j’attend la fin. Je suis arrivé en avance. Beaucoup trop en avance. Quand on attend la fin, souvent on arrive en avance. Je buvais un café. Je faisais des mots croisés. Ceux de Scipion. Un truc que mon père m’a laissé. Scipion et ses définitions alambiquées, à tiroirs. Je me dis que c’est agréable d’attendre une jeune fille. En ami. Qu’elle va entrer dans ce café comme la blancheur de la neige, comme la fin d’une attente, comme un début. Je me dis que fatalement mon cœur chavirera. Et que ce n’est pas grave, qu’une averse de neige sur un cœur noirci de cendre, ce n’est pas grave. Que rien n’est grave. Rien. Je me dis que ses yeux seront comme sa voix, juste colorés d’absence, des yeux de rivière rieuse qui coure vers demain, qui coule vers l’errance. Je me dis que dans quelques minutes je serais amoureux. Chez Scipion le « un » horizontal et le « un » vertical n’ont pas de cases noires. « Ordonnance ou sur ordonnance » en douze lettres. J’attends, je cherche. Je suis en avance. Elle entrera et tout deviendra nouveau. Comme la page que l’on tourne pour écrire une nouvelle lettre d’amour, sur un vieux cahier usé, blessé. Blanche, comme la neige qu’on attend. Nouveau. Il fait chaud dans ce café. Il fait bon. Il fait l’attente quand elle est au début. Douze lettres : « Ordonnance ou sur ordonnance » Les mots se tirent la langue. Si je trouve, ça voudra dire qu’elle sera à l’heure. Le « un » vertical : « Futur antérieur » en dix lettres. Ca tombe bien comme définition. Au départ, avec les mots croisés on a rien, pas un mot. On ne sait rien. On ne trouve rien. Comme dans la vie. Et puis les lettres arrivent, par petits morceaux, par petits mots. Des mots qu’on attrape par le ventre, par le milieu. On trouve. Ce n’est pas comme dans la vie. Il n’y a rien à trouver, dans la vie. En fait, on ne sait jamais rien. C’est pour ça qu’on continue. « Futur antérieur » en dix lettres. Dans la vie il n’y a pas de mots qui correspondent à une définition. La grille est vierge. Que des cases blanches. Comme la neige qui ne vient pas. Que des cases blanches. A la fin, que des cases noires. Si je trouve le deux vertical, le rendez-vous sera lumineux. Dans ma poche j’ai quelques feuilles pliées. Des cartes du ciel, avec des dessins cabalistiques, des symboles. Je souris. C’est dérisoire. Lumineux, comme la neige, comme un feu, comme un ciel. Comme l’attente au début. « Ordonnance ou sur ordonnance », je crois que j’ai trouvé : Prescription. Ca colle avec le nombre de lettre. Bon ça veux dire qu’elle sera à l’heure. Je regarde les dessins. Son thème que je commence à connaître par cœur. Un mélange de légèreté et d’ombres. De puérilité et de gravité. Oui, je vois bien l’ombre de Saturne. Ses anneaux auxquelles nos chaînes s’accrochent. Toujours regarder Saturne dans un thème. C’est lui qui tient les clés. « Futur antérieur », il faut que je trouve avant qu’elle arrive. J’ai le P de prescription. Elle va arriver, et je sais que je devrais prendre une partie de sa peur, une partie de son angoisse. Je devrais soutenir le temps de quelques heures, un morceau de sa vie. Alléger le poids. Je devrais trouver les mots justes, ceux qui lui parlent. Ceux qu’elle entend. Des mots de neige blanche. Frais et doux. Froids mais légèrement brûlants. Comme l’absence. Ou l’attente. Avec le P c’est facile : Prescience. Oui, là aussi ça va. Le mot croisé est décoincé. Comme la neige qui commence à tomber. « Effets de lune » en quatre lettre. Maintenant les mots viennent et se croisent vite. Et puis elle est là. Slip. J’adore Scipion. Elle a repéré le livre posé à plat sur la table pour que l’on se reconnaisse. « L’inespérée » de Bobin. J’était dans une époque Bobin. Il y a dix ans c’était à la mode de l’aimer, aujourd’hui c’est l’inverse, il est de bon ton de ne pas l’aimer. Des paroles hésitantes un peu gênées. Déjà le monde est différent. Elle est comme je l’avais imaginé. Claire comme un soleil d’hiver. Surtout les yeux. Brillants, à cause du froid, dehors. Surtout la bouche et son sourire triste. Surtout ses gestes maladroits. Un chocolat chaud. Et le monde change. Paroles convenues. Je ressors mes papiers : son ciel qui était plié dans ma poche. Ses étoiles que j’avais écrasé sur mon cœur, son avenir. Le temps à glisser avec douceur. Bien sûr c’était à moi de parler de dire le vrai, sur l’impossible à dire. C’était à moi de dire ses orages, et ses joies, de dire pourquoi maintenant, alors que tout devrait aller bien, elle avait ce lac sombre, ce marais d’indifférence au fond du ventre. Pourquoi il ne restait que les épines à sa rose. J’aime parler d’astrologie. J’aime raconter leurs étoiles aux gens. J’aime les emporter dans l’histoire d’eux-mêmes, et peindre ce qu’il croient connaître de couleurs singulières. Comme la neige qui recouvre peu à peu la ville. La nuit est tombée. Dehors quelques flocons n’en finissaient pas de voler. Maintenant nous étions proches. Dans l’intimité d’une parole d’étoiles. Dans le café les gens entraient, sortaient. On ne les entendait pas. La parole intime est comme une muraille, comme un château, c’est un pays étrange. La parole intime se fabrique avec des murmures, des silences, elle est proche des lèvres, elle est tendue à l’autre dans un simple mouvement de la langue et on l’offre naturellement avec un souffle. La parole intime est faite d’un grand voile de velours que l’on tisse avec des mots qui se dénudent avec lenteur et sans impudeur. La parole intime est une longue promenade dans sous-bois traversé par les rayons du soleil. Elle en a la saveur, les odeurs, et les frémissements. C’est elle qui voulu marcher. Dans la nuit. Monter au Sacré-Cœur. Marche après marche. Lentement. Nous étions coté à cote. Nous ne sentions ni le froid, ni la nuit. C’était un temps doux. Sans raison. C’est elle qui m’a pris le bras et a glisser sa main dans ma poche de manteau. C’est elle qui s’est serrée. Pendant qu’on montait les dernières marches. C’est elle qui a posée sa tête sur mon épaule. C’est elle qui a imposé le silence lumineux. Qui a fait taire la parole de l’intime, pour nous glisser dans l’intime de l’intime. Entre deux lumières de réverbère, sur les marches à peine blanchies par la neige. J’ai posé mes lèvres sur les siennes. Nos lèvres refroidies. Elle a ouvert le cœur brûlant de sa bouche. J’ai le souvenir d’un ralenti. Ma poitrine battait, le muscle du sang cognait à l’intérieur. J’ai tenu sa tête entre mes mains, pendant que nos bouches s’échangeaient leurs salives, pendant que les langues disaient tous les mots oubliés. Un baiser long dans cette nuit froide, qui consolait on ne sais quelle véritable tristesse. Un baiser d’abandon. Un baiser qui n’en finissait pas de dire l’épuisement de la terre et des chairs et des os. Un baiser long aux salives amer et douces. Nos manteaux et le froid empêchaient des gestes trop sensuels. Nous serrions mutuellement nos joues dans nos mains comme pour presser la vie de l’autre par la bouche, pour la boire et se dire sauvés des naufrages, des oublis, des absences. Un baiser de présent sans avenir. Qui devait être en totalité là, sur ces marches, dans cette nuit, dans ce silence. Peut-être l’unique baiser qui devait tout résumer. Qui devait être le début et la fin. Qui signifiait tout dans l’instant et sans doute plus rien après. Un baiser long pour ne pas finir, pour ne pas mourir. Baiser de bruit de bouche, de dents cognées. Un baiser long comme un long désespoir, un baiser violine au goût de chocolat, un baiser d’hiver.

Arrivé chez moi je n’ai pas allumé la lumière. Arrivé chez moi je l’ai lentement déshabillée. Nous nous sommes allongés en silence sur mon lit. Comme si toutes paroles étaient devenues vaines. Et c’est avec lenteur que nous nous sommes aimés. Avec douceur. Son corps sentait un parfum de fruits. Son corps voulait s’ouvrir. J’ai caressé sa peau, j’ai senti sous mes doigts la lourdeur de ses seins, j’ai léché son ventre souple et généreux, je me suis perdu dans les lèvres de son sexe et j’ai bu ses eaux secrètes. J’ai serré dans mes bras ce corps qui se donnait, effleuré, câliné ces fesses qui se tendaient. J’ai accompagné chacun de ses cris et tremblé avec elle à chaque tressaillement. Elle m’a guidé au cœur des ses plaisirs les plus sanglants, les plus incandescents. Elle a tendu son ventre, et j’ai tendu le mien. Ella a serrée ses cuisses autour de mes reins. J’ai embrassé son ombre et ses yeux scintillants, et sucé sa poitrine, et aspiré ses chairs, ses sucs, et sa vie, et sa tristesse et sa joie aussi. Dans le seul silence de l’abandon. Dans cet instant dérobé. Hors du temps. Hors de nos temps. Elle s’est endormie enlacée à mes rêves. Elle à juste dit « Chut…. Ce n’est pas une histoire d’amour Franck. Chut… ne dit rien. » Elle s’est endormie. J’avais sur le corps le poids de sa chair, j’avais sur le cœur le poids des amours impossibles, j’avais tout autour de l’âme un immense arc-en-ciel.

Parfois elle m’écrit Sandra. Des petits mots, avec des smiley en formes de clin d’œil. Jamais nous avons parlé de cette journée, de cette nuit. Comme si les mots ne pouvaient rien dire, de la neige, du blanc, et d’un arc-en-ciel au bout de l’âme.

C’était en janvier. Ce jour là il a neigé. J’écrivais des mots sans les montrer. En janvier aucun Ange ne m’avait encore visité. Sans doute fallait-il préparer la place. Pour un ange aux ailes si grandes.

C’était en janvier, ce blog n’existait pas, et j’étais déjà mort, mais je ne le savais pas.

Franck.

16 février 2006

... C'est le temps du caillou....

Il me faut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Le juste balancement de la vague. Retrouver la marche sur le fil tendu entre mes rêves et la réalité. Il est temps de se séparer de l’inutile pour renouer avec l’essentiel. C'est-à-dire le pauvre. Le nu. L’évident. J’ai trop perdu de temps à suivre des routes qui n’étaient pas les miennes, ou des jupons trop courts sur des cuisses trop légères. Espérant l’impossible parce qu’il était impossible, en mettant du symptôme au cœur même du désir. Je suis las de moi et de mes errances vaines. De mes amours adolescents sans issue. Je suis las des anges et des diables, des saintes ou des catins, de ce cortège d’ombres qui traverse mes nuits. Je me suis tant perdu à vouloir l’impensable. Il est temps de laisser les morts aux morts et de souffler sur ce qui me reste de vie. Je suis las des trahisons, des promesses sans lendemain. Je suis las, infiniment las des bassesses, des veuleries, de ceux qui parlent trop fort, dans des écritures trop pleines, sans espaces, sans attente, sans espoir.
Au départ, tous les chemins se ressemblent, on marche insouciant la tête en l’air et les mains dans les poches. Et c’est bien après, qu’on s’aperçoit que l’on s’est trompé. On est très engagé, on est même perdu. On s’entête, on s’obstine.
Alors, il me faut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Petit Poucet recherchant ses cailloux. Un à un remonter le souvenir à travers mes forêts. L’endroit exact où le chemin a basculé, où les pas se sont égarés. Remonter au premier caillou. Qu’elle est la dernière question avant le premier caillou ? Avant. Juste avant. Avant les premières morts et les premières nuits cauchemars. Avant l’obscure. Avant la fin. Il y a forcément un fil qui tient tout cela.

 

C’est l’histoire de tous les contes, le héros se morfond et s’ennui, alors il quitte sa maison, son pays, il veut voir le monde, le vent et aimer toutes les femmes, il veut sentir son sang lui brûler les veines, il veut être roi, prince, poète, capitaine, jardinier, il veut la richesse, les honneurs, les amours, il veut les plus hautes montagnes, les déserts les plus vastes, les océans les plus dangereux. Alors il part sur les routes, sur toutes les routes. Et il coure. Et il s’épuise. Et il s’ennui. Et il s’ennui toujours. Et le monde s’est rétréci, et la princesse était une souillon, et il ne fut pas capitaine et à peine sergent, et il ne fut pas poète, à peine s’avait-il écrire, et il ne fut pas jardiner toutes ses roses se fanaient, et ses montagnes ne furent que des collines desséchées, et ses déserts de pauvres landes arides et ses océans quelque mares aux canards. Et ses rêves s’usaient.
C’est l’histoire de tous les contes. Alors il s’en revint. Il revint au lieu de sont départ. Et plus il se rapproche, plus il se sent léger. Léger mais triste. Et  plus la marche lui semble douce, plus il se met à pleurer. Plus il se rapproche, plus il se dépouille de ses manteau d’illusions, et plus il est nu, et plus il se sent riche. Riche mais perdu. C’est l’histoire de tous les contes. De retour dans sa maison, il est de retour en lui-même. Il s’habite de nouveau. Il est à l’heure exacte de lui. Mais il ne le sait pas. Pas encore. Il est sans fard. Sans impatience. Sur le chemin, devant sa maison, une voix l’interpelle : « Tu ne me reconnais pas ?... Tu te moquais de moi, il y a longtemps…tu voulais conquérir le monde, et moi, tu ne me regardais pas… tu voulais des princesses, des richesses…. Alors la pauvre Fanette, tu ne la voyais pas… Et pourtant tu es là, maintenant, où sont tes princesses … où sont tes richesses ? Qu’as-tu fait de ta vie ?»
C’est l’histoire de tous les contes. Fanette tenait dans bras un enfant d’une blondeur de blé tendre. : « Ma richesse, à moi, elle est là…. à user tout mon temps dans cette terre d’enfance, à labourer chaque jour un peu plus profond cette terre d’espérance faite de chair fragile… et qu’as-tu labouré, toi, durant tout se temps ?  Ta famille avait un champ, regarde les ronces, les taillis le recouvre….Mais si tu veux, je t’aiderais…mon époux est parti, lui aussi, alors je t’aiderai…. mais d’abord aide-toi….commence à creuser ton sillon. Creuse la terre ou le ciel, mais creuse. Creuse ce qui est à toi. Creuse au centre de ton désir. Creuse et ne te relève pas. Creuse ton champ ou le ciel, creuse le chant ou la prière, mais creuse sans t’arrêter. Creuse droit. Dans le sens de ta vie. Vas toucher l’os derrière tes chairs molles. Et je t’aiderai…..C’est l’histoire de tous les contes.

Il se leva et il creusa.
Longtemps.
Profond.
Un jour il dit à Fanette : « Vient là, viens voir…. »
Ils sont devant le champ tout retourné, tout labouré. Avec la terre noire qui fait des boursoufflures, comme des cicatrices.
Il déplia un petit mouchoir. « De mes errances j’avais gardé quelques morceaux de rêves, ils sont en poussière, mais c’est ce qui me reste. Ces quelques cendres grises. Un rêve c’est comme une étoile, c’est loin et cela brille quand il fait nuit. Un rêve c’est silencieux, comme une étoile. Mais les rêves meurent comme les étoiles. Voilà ce qui me reste. Voilà ce qui reste de mes élans, de mes tentations, de mes peurs, de mes larmes, voilà ce qui reste des chemins que j’ai parcouru. Regarde, comme c’est pauvre. Regarde cette poussière de vie comme elle est fragile et triste. Comme ces étoiles qui meurent en silence et dans l’indifférence du temps et de l’espace. Voilà, tout est là… Alors si tu le veux, maintenant que cette terre noire est toute retournée, maintenant qu’elle est prête, nous allons semer ensemble. Et je crois que ces rêves là, sur cette terre là, sauront donner de belles moissons. La cendre des rêves est un bon engrais.
C’est l’histoire de tous les contes. Au départ on est là, dans l’ennui et le désespoir de nous-mêmes. Après l’on quitte sa maison, laissant tout en désordre. Sourd, aveugle, remplis de soi et d’orgueil. Et plus l’on s’éloigne, plus l’on se quitte. Mais on ne le sait pas. On est dans la distance de soi. Et puis un jour, au détour d’une aventure malheureuse de plus, on comprend, alors on consent.

On consent à ce retour vers le centre. Vers le lieu. Vers le seul endroit de soi habitable. Là où l’on est nu, et pauvre. Mais entier.

« Tu vois Fanette cette poussière, c’est ce qui me reste, et cette terre noire sera grosse de ces cendres. Et le noir de ce champ, sera demain l’or d’un blé. Et le pain qui cuira aura la saveur des aurores… »

 

Les contes naissent dans la nuit c’est pourquoi on les murmure. Ils ont besoin de la pénombre d’une flamme. Ils ont besoin d’accrocher leurs mots au rouge sang d’un feu ardent.
Ils ont surtout besoin de notre écoute, de notre attente…

Les contes naissent d’un épuisement.
Ils naissent d’un retour et d’un abandon.
Je suis las de mes errances, las du vacarme des anges maudits, las de cette mort rampante qui empoisonne mon sang, las des chants macabres, des agitations verbeuses, des danses de Saint Guy… c’est le temps du retour.
Un caillou… puis un caillou…puis un autre…
C’est le temps du début, celui de la création.
Et du silence de l’aube.

Franck.

5 mai 2007

Une étoile dans le coeur d'un enfant...

Il y a des beautés réelles tout en harmonie extérieure. Elles traversent notre regard et restent fixées à l’œil. Le temps de se dire, elle est belle, très belle. Et l’on passe son chemin, l’œil frisant la lumière. Elles sont comme ces fleurs de jardins. Belles, uniquement belles. Il y a dans ces beautés une arrogance qui pourrait blesser. Il y a dans cette évidence comme un passage de la mort. Une arme qui irait de l’œil au désir brutal. De l’œil au ventre et du ventre à l’oeil. Il y a dans ces beautés une violence. Une hauteur. Un dédain. Une distance infranchissable. Des beautés fixes, immobiles.

Et puis, il y a ces beautés traversées, comme le sont les révélations. Elles ont fait un voyage pour nous arriver, elles ont peiné. Elles portent autour des yeux le voile d’une pudeur. Ces beautés ne se savent pas elles-mêmes. Elles sont dans l’ignorance. Comme l’aurore qui ignore tout du temps, et des siècles. L’aurore, qui invente chaque aube. Il y a des visages de vérité, d’une exacte beauté. Des visages irrécusables, sculpter autour d’un sourire. Ces beautés nous parlent immédiatement. Elles touchent, par les reflets qu’elles provoquent, l’endroit le plus épuisé de l’âme. Ces beautés vous secourent, vous sauvent, ce ne sont pas des beautés de vitrines, elles n’ont pas d’artifice, elles sont toutes en droiture. La vie battante s’accroche à leurs yeux. Il y a dans ces beautés quelque chose qui appelle l’infini, et la caresse brûlante, ces caresses qui ne touchent pas les chairs, mais qui frôlent les constellations. Ce sont des beautés rares, des beautés insensées. Pétries de l’intérieur. L’émotion ourle leurs cils. Visages de musique. Visage de silence et de murmure. Beauté d’offrande. Qui sacre celui qu’elle effleure. Il y a dans ces beautés, plus que de la beauté, il y a un espace de prière. Il y a un ciel. Il y a des lendemains, des espérances, des promesses, des aveux. Il y des mondes qui tournoient, il y a des révolutions. Ce sont des beautés fragiles, faite de dentelles d’âme tendres. On les approche avec lenteur et elle ne vous quitte plus. Elles agrandissent quelque chose en vous.

Elle avait cette beauté simple, silencieuse et discrète. Elle était faite d’un seul souffle. D’une seule vérité. D’un seul élan. Elle faisait juste tinter la clarté autour d’elle. Elle était là, assise sur sa chaise faisant tourner la cuillère de son café. Elle était là, et j’ai vu la lumière l’envelopper, une lumière douce, faite de bleu et d’or, avec se léger tremblement qui la faisait plus vivante encore. Il y a des beautés traversées, comme le sont les révélations. Elles ont fait un voyage pour vous arriver, elles ont peiné. Et elles sont là, frémissantes, vibrantes, comme peut l’être une étoile dans le cœur d’un enfant.

Franck.

7 juillet 2007

La question des corps dans le corps.....

Il y avait cette question du corps. Non pas de la chair, mais du corps. L’enveloppe, la surface, la frontière. Le mouvement. Et les mots comme une peau. L’écriture trace une forme mystérieuse. Un corps. Une écorce de cicatrice. Ils sont l’écrin dans lequel la vie tente de résister. Entre souffle et étouffement.

Je regarde ma main, là. Et l’écran où les mots s’alignent. Une vision incongrue. L’écriture définie un autre corps, une autre peau. Ma main dans le corps du texte. Une autre main. A la surface de ma peau il y a comme un pli, comme si la lumière se repliait sur elle-même. L’écriture trace un autre corps, d’autres formes qu’il faudrait habiter. Comme si l’enjeu était là. Dans cette distorsion des formes, des corps. Et cet effort pour tenter de les faire coïncider. La voix invente un souffle, une autre respiration, un autre ventre. La voix du texte ne s’entend pas avec l’oreille, mais avec les yeux de l’autre. Le corps du texte habite une autre solitude.

Ecrire est ce lent travail du feu pour décoller l’enveloppe. Un équarrissage minutieux. Le dépeçage d’un cadavre. Ecrire c’est dessiner les contours d’une île inconnue, c’est trouer l’océan.

En fait, écrire c’est quitter l’île, quitter les contours définis de l’île, c’est être du coté des eaux, avec le trou de l’île en plein cœur. Et le vent dans l’écume. Et le scintillement dans l’éternel mouvement. Ecrire, c’est cracher sur sa vie, avec dans sa bouche une peinture arc-en-ciel, comme le sauvage dans sa grotte qui crachait sur sa main appuyée sur le mur, pour en inventer la forme. Le contour de sa vie. Comme pour nous dire que tout arrive à cette jonction du dehors et du dedans. Comme pour nous dire l’océan troué par sa main, par son souffle, par sa salive. La main en pochoir est le premier poème, né du souffle et du crachat. Et de la déchirure des formes. Et de leur débordement.

Le texte est un au-delà de la peau, il en est le contour extérieur. Le pays au-delà du pays.

A la frontière, c’est la guerre. Les chairs poussent ou se rétractent, le sang bat ou s’assèche, les os craquent.

Les territoires de mon corps se déforment aux grés de mes défaites ou de mes conquêtes. Plus souvent mes défaites, d’ailleurs. Protée insaisissable. Et la peau se casse, se déchire. A la frontière c’est la guerre du silence et de l’obscure.

Le texte n’invente pas de nation, il invente simplement des terres inconnues vouées à l’amour ou à l’abandon. Des pays sans nom.

L’écriture définie un autre corps, une autre peau. Ta main posée sur le corps du texte. Ta main, à la surface de ma peau, comme si ta lumière se repliait sur l’ombre que je te tends. Et l’écriture dessine ton corps, et les formes s’ajoutent aux formes. Le texte invente des terres, les seules qui nous réunissent. Le texte invente le lieu où nous nous aimons, ce continent d’ivresse pure où nous n’irons jamais, puisque qu’il brûle, là, dans l’incendie, dans l’instant de le dire, avec les mots qui en sont la cendre. Le texte est le lieu où nous nous aimons, où la peau la plus fine se pose sur la peau la plus fine. Ecrire c’est inventer un continent disparu. Où tu habites. Où j’habite. Où nos corps s’additionnent dans les angles des mots. Et dans le cri.

Un souvenir qui s’invente. Et c’est un peu comme un feu. La flamme d’un feu. Naître de sa propre disparition.

Le livre en est le chemin. Et les rêves sont les fleurs de talus qui le borde.

Et ton souffle suffira pour l’éterniser.

Franck.

 

« La tête d’Orphée. – Où est mon corps ?

 

Eurydice. – Près de moi. Contre moi. Maintenant tu ne peux plus me voir, et j’ai la permission de t’emmener.

 

La tête d’Orphée. - Et ma tête, Eurydice… ma tête… où ai-je mis ma tête ?

 

Eurydice.- Laisse, mon amour, ne t’occupe plus de ta tête… »

 

 

Le texte en italique est de Jean Cocteau : Orphée.

20 février 2008

Juste un peu....

Elle  ressemblait à ses mots.

 

 

Juste un peu absente,
juste un peu distante...

 

 

Une eau calme qui se perd dans les reflets du ciel.
Et son visage semblait lissé par une étrange sérénité, les paupières baissées comme ces vierges à l'enfant debout dans les ruissellements d'un vitrail.
Visage pali de silence que rien ne pourrait froisser.

 

 

Si elle était parfum elle serait mélodie d'un rose léger relevé d'une petite pointe de vert, une senteur du soir à la fin du printemps. Senteur et lueur du soir avec ce je ne sais quoi d'affaibli et de persistant, une note que l'on soutient dans sa dissonance pour parfaire l'harmonie et rendre hommage par avance à la nuit.
Au coin de son sourire s'est logée une douce tristesse.
Visage de neige sur le rouge du cœur.

 

 

Un ange est posé sur son épaule. Il la protège des vacarmes, l'aide à effleurer la lumière, lui donne sans doute cette gravité, uniquement pour la vêtir de pudeur pastel. Pour ne pas blesser le soleil.

 

 

Elle vient de loin, du pays des landes, du pays des pluies, des brumes et d'un temps oublié. Elle est d'ailleurs, toujours au-delà d'un voile comme si elle se tenait derrière une fenêtre qu'un déluge éclabousse, pour nous dissimuler ses larmes.

 

 

Elle est penchée sur un travail minutieux, brodant quelque étoile sur des robes crépuscules, peignant quelques tableaux, écrivant, ou simplement assise perdue dans les aurores incertaines d'une interminable prière.

 

 

Elle est enveloppée de son seul silence dans l'ombre rougissante de la flamme entêtée d'une bougie solitaire, grand aplat de chair blanche sur les sanglots de la nuit.
Droite. Droite, sans être raide, elle traverse l'espace pour l'orner, simplement l'orner, une flûte qui jouerait entre les cordes d'une harpe, une brise dans les fougères d'un sous-bois, légère comme le pourpre de l'âme enroulé à la blancheur des nuages.

 

 

Et les miroirs à son passage se taisent, respectueux. Ils frissonnent de cette coulée d'ombre claire qui les traverse.

 

 

Visage de neige sur le sang noir des souvenirs.

 

 

Parfois on croit la voir flotter pareil aux épis mûrs dans la tremblance de l'été, elle semble alors dans une sorte d'attente lointaine, comme si l'instant qui devait suivre allait lui annoncer la promesse d'un amour à cueillir. On ne pourrait l'approcher sans risquer de briser l'infini de son rêve sans risquer de dissiper le charme d'un mystère.

 

Elle est là, simplement, âme discrète, qui bât des ailes pour frôler la vie.
Visage de neige, caresse du temps sur l'onde mélancolique des eaux.

 

 

Sur ses lèvres la brise a déposé les lettres du mot amour, qu'elle épèle en un lent murmure silencieux.
Juste un peu absente.
Juste un peu distante.

 

Franck.

 

24 mars 2007

La porte de l'infime....

La plus grande place en soi pour que l’infime y entre. Seul le plus petit, le plus fragile, le plus éphémère nous éclaire. Parfois nous sauve. Les grands événements nous sont le plus souvent étrangers, et nous feignons de l’intérêt pour eux. Rien ne nous bouleverse tant qu’un éclat particulier de la lumière du jour, qu’un visage entre aperçu au détour d’une rue, que la pirouette de l’oiseau dans un ciel bleu. Rien ne nous ébranle comme ce saisissement brusque de nos chairs, prises dans le regard de bonté de l’amoureuse. Rien ne nous étreint comme le saugrenu qui surgit ou l’insolence du printemps.

Il n’y a pas de grands soirs, seulement de petits matins. Nos heures sont des fleurs de talus, et de minuscules lucioles parfois les éclairent.

Ecrire nous oblige, après l’exhumation de nos morts, à revenir aux instants pauvres. Nos moissons d’écriture sont laborieuses. Peu de grains, les épis sont mangés par l’oubli, et les rêves s’en vont avec l’été. Ecrire c’est marcher sur le chemin des saisons et se laisser surprendre par l’éclat d’un caillou, l’odeur des buissons ou de la terre mouillée après l’orage.

La plus grande place en soi pour que l’infime y entre. Car nous manquons d’attention, d’application, de vigilance. Nous sommes sans soin et nous dépensons le temps avec la désinvolture des nouveaux riches. Le monde pense à notre place et cela suffit à nos illusions.

Mes journées d’écriture sont vides. Intensément vides. Voluptueusement vides. Une place infinie pour chaque instant. Et l’attente dénudée, sans impatience. Et l’avancée lente et cadencée dans le texte. Avec ce sentiment d’une urgence sacrée.

Car dans ce temps il y a aussi des luttes cosmiques, c’est un temps ouvert. Vif.  Ardent. Brûlant. Fait d’absence totale. De déraison, aussi. Car dans ce temps il y a des douleurs, des douleurs accueillies. C’est le temps de l’infime. Du petit, du fragile. Du consentement. On s’offre à notre vie pour enfin l’inviter, et la reconnaître. La recevoir en retour.

A la jonction des mots, dans cet espace qui les sépare, des univers font leur révolution. Dans ces silences qui trouent le texte des arcs-en-ciel se faufilent. Et chaque texte pèse le poids des siècles lorsqu'il passe la porte de l'infime.

Franck.

16 février 2013

L'effacement.....

Il faudrait imaginer l’écriture qui s’effacerait juste après avoir été écrite, de même que la lecture du livre emporterait les mots au fil des yeux, et blanchirait les pages. A la fin tout serait blanc, comme un paysage de neige. Comme en hiver lorsque tout est blanc.
Ce qui tient, ne tient que dans l’instant. Tout s’efface, c’est pour cela que nous recommençons.
Ainsi les traces de nos pas qui s’effaceraient au fur et à mesure, comme une apparition, comme une disparition, comme une naissance toujours renouvelé, comme une mort toujours imminente, c’est pour cela que nous continuons.
Nous venons de cet effacement.
L’écriture est un lieu impossible, sans cesse contredit.
Au fond de chaque nuit il existe une nuit encore plus profonde, qu’aucune aurore ne couronnera.
Il existe un hiver qu’aucun printemps ne délivrera.

Ainsi nous allons… ainsi nous devons aller…. avec le vent qui efface nos traces et fait trembler les blés…
De l’hiver à l’hiver, du noir, au plus noir encore, du plus seul au plus désolé, du murmure au silence…
Aller, aller sans cesse…
Ecrire dit seulement ce mouvement, et la neige, et le vent dans les blés…

 

Franck

23 février 2013

L'affut.....

« Je me méfierais toujours de quelqu’un qui dit nous quand il jouit.
Sans solitude, sans épreuve du temps, sans passion du silence, sans excitation et rétention de tout le corps, sans titubation dans la peur, sans errance dans quelque chose d’ombreux et d’invisible, sans mémoire de l’animalité, sans mélancolie, sans esseulement dans la mélancolie, il n’y a pas de joie.
Les Ombres errantes : Pascal QUIGNARD (Grasset)

 Il y a une folie dans ce mouvement qui pousse à se tenir au plus près d’où surgit l’écrire. Etre là, à la fois absent et dans une présence insensée, à l’affut, dans l’attente, embusqué dans la langue.
Il y a une folie à vouloir saisir l’instant fou où par un excès d’être, une surabondance, on disparait dans une sorte d’oubli, comme si le manque de soi-même permettait le jaillissement du dire.
Etre à l’affut, sans savoir qui est la proie. Invisible et silencieux. Au cœur de la forêt sombre de la langue, à l’endroit même de l’obscure, là où la nuit se confond avec le sang et la chair, et les siècles. Couvert de silence, dans la plénitude de son accablement.

La langue se meurt, elle a quitté nos forêts, nos landes, nos livres, alors on est rejeté à l’endroit le plus confus du dire et de l’écrire, au plus loin du monde, au plus vieux, au plus proche de nos peurs, là où règne la nuit primordiale, le premier souffle, la première faim.
Plus rien ne se dit dans les livres, plus rien ne peut se dire. Tout est dit, des histoires, des romans, du monde, nous sommes dépouillés de cette joie désespérée, qui faisait la terre du livre, qui en faisait les moissons.
Ecrire est une nostalgie d’un monde qui n’existe plus, c’est une maladie du vivre, qui nous pousse à retrouver les premiers temps du silence, de la peur, de l’affut. Et se sentir traversé. Emporté. Englouti dans l’instant qui précède tous les instants. Débarrassé des jours.
Mes textes ne disent rien. Que pourrais-je dire ?
Je reste là, immobile, dans l’attente absolue de l’engloutissement. Ecrire seulement, l’écrire en train de naître, surprendre la trace du silence qui jaillit, et la blessure qui le suit.

Mes textes ne disent rien. Ils ne disent que l’imminence, l’imminence toujours renouvelée, comme dans la chasse ancestrale, où vivre et survivre se tiennent dans le même temps, serrés l’un contre l’autre, pour se sentir délivré, de la langue, de la peur, de la fin, de l’éternelle fin…

Alors, dans cet espace impossible du texte qui se fait, ce lieu inhabitable, tremble toujours vacillante, l’éclat d’une joie indemne, d’une joie encore intacte…. l’indicible printemps…

Franck

3 mars 2013

Frontière......

Ainsi de la frontière. Nous sommes des êtres de frontières. Sur la ligne. Comme l’écriture. Nous sommes sans pays, seulement de passage. Il y aurait deux parts, comme deux pays, et nous n’habiterions ni l’un ni l’autre. Entre les deux, seulement entre les deux. Sans véritable lieu. L’écriture se fait sur la ligne, à la jointure, c’est l’extension invisible, invivable, de deux mondes qui s’affrontent. Comme dans les guerres, et l’éternelle menace, avec la tentation d’abolir le trait qui sépare, mais de le creuser toujours plus profond.Sur la ligne se joue la peur séculaire, là où l’on sait que tout peut s’effondrer, c’est pour cela qu’on écrit, pour se délivrer de cette peur, ou pour seulement l’apprivoiser.
Ainsi de la frontière, car c’est mot qu’on a inventé, on aurait pu dire l’écriture, l’entre-deux monde, le lieu sans épaisseur de la déchirure, le lieu vide de la douleur. On a dit la frontière et on la tracée. Brûlante, définitive, absolue. Alors on écrit sur cette brulure.
Tout nous sépare depuis le premier jour, nous venons d’un ventre, et d’une tristesse, nous sommes d’un passage étroit et d’un monde que l’on quitte, et d’un autre qu’on n’atteindra jamais. C’est pour cela que nous crions, à cause de cette traversée insensée, de cet effroi.
Et le cri sera l’écho du monde.
Tout nous sépare, l’intérieur, l’extérieur, le jour, la nuit, l’avant, l’après, et vivre c’est tenter d’abolir ces cassures, ces séparations…. aimer, écrire, c’est l’espoir fou d’effacer un cri, ou d’en faire un chant.

Nous ne respirons que dans les passages, l’entre-deux, nous ne vivions qu’à l’approche du crépuscule ou de l’aurore, dans ces temps défaits, et dans l’attente des franchissements.
Ecrire c’est être sur la ligne de faille, toujours au bord d’une invocation, toujours sous la menace d’une imprécation. Nous sommes maudits, et nous le savons, et nous puisons là toute notre bonté, toute notre joie. Nous sommes maudits et l’écrire allume un ciel étoilé.
Ecrire invente un langage où il n’y plus de lieu, où il n’existe que la peur, l’effroi, l’inconcevable, mais d’où jailli le feu et la lumière.
Ecrire c’est tracer une peau dans l’entre-deux inhabitable, et ce qui nous sauve, c’est l’oubli… alors nous recommençons, toujours naissant…. Toujours naissant…. Infiniment….toujours aimant….

 

Franck

10 mars 2013

Le fil.....

Ecrire tend à dire le silence, car lui seul empoigne l’éternité.  Ce que l'on cherche dans écrire, c’est habiter un silence sans fin.
Les mots dits, ne valent que par ce silence qui les appelle, par ce silence qui les recueille. C’est à ce seul prix, qu’au cœur du présent, jaillit l’instant éternel.

Il existe un fil, chacune de ses extrémités porte un nom, l’une s’appelle solitude, l’autre se nomme amour. Et c’est le même fil, et c’est celui qui nous sert à tisser la trame des jours.
Il y a quatre mots qui tiennent la vérité monde, ils sont reliés deux à deux, la solitude et l’amour, puis le silence et l’éternité, seul écrire consent à chacun. Seul écrire les maintient brûlants.

Ecrire sur écrire, c’est aimer en dépit, ou en surcroit, mais c’est aimer encore, c'est aimer toujours…
Le désespoir n'est pas dépourvu de joie...
La solitude n'est pas dépourvue de dévouement.....

 

Franck

17 mars 2013

...et c'est tout...!

Les vraies histoires n’existent pas, les événements nous traversent en laissant une trace invisible, plus tard, d’autres événements viendront, et révèleront des traces plus anciennes, et ainsi toute une vie de contre temps. Nous sommes sans savoir, jeté dans un hasard de traces incompréhensibles, et pourtant nous les reconnaissons, nous les adoptons, parfois certaines nous consolent, nous disons que c’est la vie, mais nous n’y croyons pas. Pour l’essentiel nos actes nous échappent, on croit les déchiffrer, mais au fond nous savons que nous ne savons rien. La vie se dessine en creux, sa forme restera à jamais impénétrable, mystérieuse, et nous existons à contre coup, à contre temps.
Les vraies histoires n’existent pas, les événements qui traversent notre vie sont si rares, si énigmatiques, parfois nous aimons, ça éclate en nous, ça brûle le sang, on se croit sauvé, on ne sait pas de quoi, mais l’attente insondable qui gît en nous s’apaise dans ce feu. On oublie que l’on est sans savoir, et l’on croit que l’on peut s’en passer, on oubli l’attente, on oubli l’oubli…
Parfois nous aimons, et aimer est l’autre nom de la souffrance, notre chair en est imprégnée, il y a toujours un calvaire dans le feu qui nous brûle. La passion est aussi un fardeau, sans doute que la croix qui pèse est trop chargée de vérité, que ce qui nous sauve nous détruits en même temps…
Alors on écrit, pour ne plus penser ou croire que l’on pense, on écrit pour la métamorphose des temps, on écrit pour faire sortir la parole de la chair, parce que le vivant se tient là, dans les tremblements, dans ce corps si lourd et qui sans cesse nous échappe, on écrit pour  le ramener à nous, pour que l’on habite un peu plus nos jours, on écrit pour se consoler que les événements sont si rares, qu’ils ne viennent jamais nous sauver, que les traces qui sillonnent notre mémoire resteront à jamais obscures. On écrit simplement pour la danse, la musique, pour effacer la gravité, le poids, l’indécence, la défaite, on écrit pour ne pas crier, ou pour crier plus fort que le vacarme du monde, ou pour opposer au silence du ciel, le silence de la miséricorde… On n’écrit simplement pour ne jamais détourner le regard, pour ne jamais baisser les yeux, alors on écrit pour affronter l’effroi, digne, joyeux, jubilant…..pour la danse, pour la musique, et c’est tout…. !

 

Franck

31 mars 2013

La nuit qui vient....

Nul lieu ne nous attend.
Nul temps ne nous espère,
Nous sommes issus d’une fièvre ou d’une folie, nous sommes une trace qui s’épuise dans l’infini des cieux,
une ivresse à la dérive, une note qui s’obstine, un rêve qui s’effiloche, un simple
souvenir dans la mémoire des dieux.

J’écris pour effacer l’empreinte des cendres sur les rebords du rêve.
J’entends le ruissellement des heures dans les crevasses du temps
Et j’ai peur. Seulement peur.
Du silence, et de l’ombre de la neige dans l’échancrure d’une évidence.
Nul lieu ne nous attend.
Nul temps ne nous espère.
Dans les plis du papier la mort déploie une parole rouillée, la vieille parole,
Celle des miroirs sans reflets, celle de la langue agenouillée.
Désormais l’argile des mots s’effrite.
Il ne reste que l’écorce d’un baiser sur la prunelle d’un sein.
Et la lenteur de la mer.
Toujours la lenteur de la mer, l’usure et l’étouffement de l’innocence, comme si la volupté des sanglots, devenait les seules semailles.
Il me faudra attendre demain, et encore demain, puisqu’il n’y plus d’enfance, attendre que s’éteignent une à une les lumières des lucioles sur la corolle de la nuit qui vient.

Franck

25 avril 2021

Bleu, sang faille…

 

Les mots tombent sur la tranche. En tombant, ils coupent la lumière. D’un côté : l’ombre ; de l’autre : le silence.
Le mot est voué à cette violence, à la coupure, à la faille. Ils sont là pour blesser, tuer.
Tuer quelque chose en nous. Le mot qui n’arrache rien ne devrait pas être écrit. Tuer la certitude, l’arrogance. La blessure est le rappel constant de notre précarité. C’est une douleur. Mais une douleur encore supportable puisque nous tenons à elle. Notre surabondance de vie est une profusion douloureuse, mais supportable. On voudrait ne pas la connaitre, pourtant on s’y vautre. Ce n’est pas sensuel. Pourtant, il y a de la jouissance.
Chaque mot est voué à la violence, à la mort. Là où il tombe, le réel se brise. Là où il tombe se crée une béance. C’est l’œil qui nous regarde.
Les textes, les images, rebondissent. Je sais que je continue. La parole, ma parole, m’a assigné une place.
Est-ce vraiment une place ? Un devoir ? Une volonté ? Non ! Rien de tout cela.
La voix, quand elle s’élance, affirme tout d’abord une exigence. Une exigence sans objet. Une exigence nue, primitive, élémentaire. Une extension. Si l’exigence n’est pas assez puissante, assez purifiée, la parole tombe. Je sens la chute de ces cailloux à l’intérieur. Tout dans le geste devient lourd, épais, pénible. Je sens la douleur diffuse, ce mal de l’intérieur. Entretenir un élan exigeant. La parole assigne, d’ailleurs elle me regarde. Je sais son regard, son regard de silence. Ce palais de nuages bordé de ciel. Je sais l’œil à travers la béance.
En ce moment, j’ai des couleurs qui m’accompagnent. En fait, ce sont des sensations de couleurs. Je ne les vois pas vraiment, mais elles sont là. Des couleurs franches. Nettes. Du bleu. Souvent, j’ai cette impression de bleu puissant. De rouge aussi. D’or solaire parfois. Je ne sais pas quoi faire de ces couleurs. Je n’en connais ni le sens ni la destination. Mais elles sont là.
Le bleu, je crois savoir. La mer, le mouvement, le ciel. C’est le cœur de mon imaginaire. J’ai dans l’œil de ma chair toutes les nuances de bleu. Jusqu’à la violine des ecchymoses. Jusqu’à ce qu’il ne soit plus bleu. Mais surtout le bleu translucide et profond de la mer. Un bleu blanchi d’écume, ourlé de semence. Je n’ai qu’à fermer les yeux, le bleu monte comme une marée. C’est une impression ni agréable ni désagréable. C’est comme cela. Comme si mon cerveau appelait ce flottement de bleu.
Avec les lumières dans la vague.
Il y a quelque chose à l’intérieur qui cherche sa place, qui cherche son accroissement, il y a quelque chose qui s’affranchit de ma raison, qui veut déborder. C’est une sensation. Toujours. Je ne peux pas la nommer. Je ne peux pas l’expliquer. Je peux simplement dire un mouvement lent de couleur bleue. L’horizon.
Ces heures d’enfance à regarder l’horizon à la césure de la mer et du ciel. Les yeux fixés sur cette ligne propre, pure. Regard immobilisé, fasciné, envahi. Ligne de fuite. J’ai toujours eu le pressentiment diffus d’appartenir à ce lieu irréconciliable de la mer et du ciel où l’on ne saurait dire s’il y a mariage ou divorce. Des heures passées, sans pensée, sans envie. Simplement le bleu, la cicatrice du temps et de l’espace. Sans désir, sinon celui de résister à l’écrasement du silence.
Plus tard, j’ai pu mettre de la musique sur ce bleu. Mais plus tard. Chopin par exemple. Je ne sais pourquoi Chopin est bleu, peut-être à cause de l’eau. Immanquablement, quand j’entends Chopin, j’ai une sensation d’eau : en gouttes, en ruisseaux, en torrents, en tempêtes, cette montée de bleu fluide en moi. Quand je déborde, c’est bleu. C’est toujours bleu. Le bleu appelle en moi le surcroit, l’excès. L’ivresse. Je crois que mes ivresses d’alcoolique étaient bleues. Ce qui est immense en moi est bleu. Ce qui veut survivre en moi est bleu.
Sans doute, ce qui veut aimer en moi est bleu.
Même mes douleurs chéries sont bleues : mes tristesses, mes chagrins, sont des déferlements de trains bleus. Certains auteurs sont bleus. Neruda, ou d’autres. Mais lui, surtout. Quel que soit le poème, j’ai d’abord cette forte impression de bleu. Comme lorsque je regarde le visage de certaines femmes. Les beautés les plus évidentes sont bleues : la peau, les yeux, les lèvres, le sexe. Oui ! Des peaux céruléennes, des sexes intenses, profonds comme du bleu de four.
Écrire est la chose la plus bleue que je fais. Même lorsque mon imaginaire est envahi de rouge, le mouvement reste bleu. On ne peut pas décrire vraiment. Cela se passe au niveau de la chimie. Au niveau où les molécules exhalent leurs derniers souffles avant de se défaire. Il n’y a pas d’intelligence là. Rien n’est construit. À bout d’organisation, la chimie des molécules se mue en un immense chaos. Tant de matière structurée pour fabriquer un si fatal désordre. Ce sont de grands aplats d’émotions colorées. Je ne vois pas la couleur, mais je sais que c’est bleu dans le mouvement. C’est l’évidence. Le bleu, c’est ce qui résiste à la mort. Au rouge. L’autre couleur.
Souvent quand plus rien n’est bleu, c’est rouge. La brulure qui invite la fin. Souvent au bout du bleu le rouge commence. Souvent quand tout a tellement débordé, quand l’effondrement est là, puisque rien ne peut être tenu indéfiniment, la force du bleu s’épuise. Quand l’excès à force d’excès m’écrase, alors le rouge apparait comme une stridence. Un son vrillé. Perçant. Le rouge est mon pays de misère. De reniement. De violences. De rages obscures. L’incendie dans l’azur. J’ai des orages rouges au bout de mon impatience.
Alors, l’écriture, c’est bien cette sensation de bleu au cœur sanglant du rouge.
Vivre est la chose la plus rouge que je fais.
Écrire est la chose la plus bleue que je fais.
Ma rêverie a la couleur d’or d’un soleil à l’aube.
Ma mémoire est blanche, aussi blanche qu’un grand champ de neige.
Mon enfance reste désespérément grise.
Les mots tombent sur la tranche. En tombant, ils coupent la lumière. D’un côté : le silence ; de l’autre : les couleurs.

Franck.

16 septembre 2018

Lettre N° 142 - Lettre à Milena...

Mon Amour,

Est-ce le temps des défaites ? Nos lettres se brisent dans le chaos des vaincus.
Nos démons, à nouveau, nous dévorent. Et nous devons rester joyeux.

J’ai reçu ta lettre ce matin. Tu me dis avoir relu L’Amant de Duras. Tu me dis avoir pleuré. Tu me dis l’éclat d’une révélation douloureuse. La voix de Duras qui montait de l’intérieur de ton corps. « Très vite dans ma vie il a été trop tard. »*. Tu me dis combien il bon et nécessaire que la littérature nous fasse pleurer. Tu me dis que tu es entrée dans la folie de Duras. Tu me dis que c’est excessif, mais que tu n’y peux rien. Tu me dis que nous avons été fous, et que cette folie restera à jamais comme le plus clair de ta vie. Tu essayes de m’expliquer. Tu cites Duras comme des excuses : « Ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c’est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. On est acharnée. On ne peut pas écrire sans la force du corps. Il faut être plus fort que soi pour aborder l’écriture, il faut être plus fort que ce qu’on écrit. »**. Tu me dis que je devrais comprendre. Que je suis le seul à pouvoir comprendre. Tu me remercies à nouveau pour ma préface de ton dernier recueil publié. Que nos deux noms sur le même livre ressemblent à une éternité impossible à défaire. Mais que tu entres dans la folie de Duras. Que tu dois retrouver la sauvagerie et la solitude et la peur. Et pleurer. Que ton besoin de pleurer est immense, parce que ton besoin de l’écriture est immense lui aussi. Que c’est inexplicable. Qu’on ne peut le dire à personne. Que je saurai pardonner. Mais qu’au fond le pardon n’est pas nécessaire, puisque je t’ai redonné la force de pleurer, et d’écrire à nouveau. Tu me dis que tu voudrais me remercier de tout ça, mais que les remerciements ne servent à rien, et que je le sais. Que toi et moi appartenons au livre. A l’animalité du livre. Tu dis les mots, inconditionnel, absolu, frontières, limites. Tu me dis que tu es folle, que tu vis l’ivresse d’un bonheur douloureux, que ça aussi on ne peut pas l’expliquer. Que la vie c’est ça. Que seul le livre dit cette vérité. Qu’il n’y a pas d’autre vérité dans le monde, que cette marche dans l’inconnu du livre.

Je ne pourrai jamais être Franz, même si tu es Milena.
Je ne serai jamais Franz, même si tu es bien plus que Milena.
Désormais.
Je suis embarqué sur un navire resté en rade. Ce n’est ni la terre, ni la mer. Et il me semble n’avoir connu que ces lieux indécis. Invivables. Peuplés d’instants enroulés sur eux-mêmes. Où les élans se contractent, saturés de désirs, de douleurs. J’ai toujours été prisonnier d’une carcasse rouillée, brûlée par les soleils, inondées par les pluies. Par l’oubli. Par l’épuisement. Voué, par décision divine, à des départs qui n’en sont pas, des promesses intenables, des rêveries trop pesantes. Navire chargé trop lourdement, ou coque trop fragile. Alors je suis resté en rade, dans ce lieu insupportable, m’abrutissant en des espoirs si vains.
Le vent du large vient se briser sur l’étrave au bord du chavirement. À l’arrêt. Comme un vaste désastre immobile, croulant de regrets.
Les lieux avalent le temps.
Et les temps meurent lentement.
Je ne pourrai jamais être Franz, même si tu es Milena.
Je ne serai jamais Franz, même si tu es bien plus que Milena.
J’ai la tête prise dans l’étau du vide. Avec la sensation d’un écrasement qui monterait des profondeurs de la terre. Comme un appel. Comme une fatalité.
Et la coque craque, à force d’attente, d’impatience défaite, un craquement qui appartient déjà aux abîmes.
Lent naufrage. Presque au ralenti. Imperceptible glissement.
Avec le sang qui s’appauvrit. Des heures toujours plus lourdes. Des saisons toujours plus encombrantes. J’arpente ces interminables coursives de la mémoire, ces couloirs du temps déglingués.
La rouille, c’est la peau des rêves, l’usure c’est l’enfance qui meurt à nouveau.
Sans cesse.
Je n’ai plus assez de haine pour crier, plus assez de colère pour pleurer, plus assez d’ivresse pour me déployer. Et l’amour, notre amour, dans tout ça ?
Et même le silence nourricier me trahit, lui que j’ai toujours accueillit, le mien, celui des autres, le tien. Là, il me creuse, il me cure, il me racle, comme s’il restait encore de la chair, comme s’il restait de l’envie.
Et même l’écriture me trahit. Je n’arrive plus à la porter. Elle est si épaisse, si pâteuse. Les mots se détachent comme des pierres. Un effritement de la langue.
Et l’encre est jetée dans l’archipel des naufrages.
Avec comme horizon la vertigineuse paroi du manque d’où l’on devrait s’élancer.
Pour rejoindre l’obscure verticalité de l’absente. Ma lointaine. Ma perdue.
Mon ultime. Passagère attendue, invisible, d’un voyage mille fois reporté. Désormais d’un naufrage.

Puis les tempêtes dispersent les printemps. Puis le soleil s’incline allongeant l’ombre muette. Petite nuit dans le jour. Petite mort pour grand défunt.
La fin n’est pas un temps, c’est un lieu à l’ironie cristalline.
La fin n’est pas un temps, c’est une main qui se ferme. Mes lèvres humides qui ne prononcent plus ton nom.
La fin n’est pas un temps, c’est un navire resté en rade. Ce n’est ni la terre, ni la mer. C’est un lieu indécis. Invivable.
La fin n’est pas un temps c’est un cri. Seulement un cri.
Je ne pourrai jamais être Franz, même si tu es Milena.
Je ne serai jamais Franz, même si tu es bien plus que Milena.

Franck.

* Marguerite DURAS : L'Amant (editions de Minuit)
** Marguerite DURAS : Ecrire ( Folio)

 

 

 

31 mars 2019

Lettre N° 215 - Tu avais...

Mon Amour,

 

Je ne sais plus t’écrire. J’essaye de comprendre ce qu’il nous est arrivé. Comprendre, est-ce si important ? Est-ce vraiment nécessaire ?
J’ai parfois la sensation que tout était inscrit dès le début.
………………………………………..
Cela nous arrive de loin. Et cela vous retourne la chair comme un mascaret. Cela vient du fond de l’océan, d’un profond. Ou des montagnes, d’un sommet. Ça roule et vous appelle comme un chant. Comme un grand vide. Comme une fatalité.
Au départ, c’est un roulement de tambour sourd, inaudible. Une rumeur.
Un désastre commence toujours par un printemps. Un excès de printemps. La douleur commence toujours par un enchantement, elle est la sœur de la jouissance, de l’exaltation. On le sait, mais on veut l’oublier. Comme les papillons de nuit qui vont mourir pour avoir trop aimé la lumière. Oubli. Insouciance. Désinvolture.
Cela nous arrive de loin. Cela vous retourne la chair du cœur comme le mascaret retourne les eaux du fleuve. Des eaux à nue, à vif. Des eaux saignantes, qui replient leur peau, qui perdent leur élan. Les eaux vieilles du fleuve meurent en aimant trop la mer.
…………………………………………..
Tu as dans la voix l’incomparable force de ceux qui savent murmurer. De ceux qui savent quitter.
Dans tes yeux, tu as les incendies des nouveaux temps….
Tu as…..
Mes vielles eaux du fleuve, se meurent d’aimer plus loin que leurs eaux…
Tu as… et je n’ai plus…
………………………………………………
                                 La vérité nous blesse. C'est là son mérite.
                                 Ce qui me console, c'est de n'être indemne de rien.

 Franck

17 mai 2017

- 43 - Au temps des arabesques...

Chaque jour, l’épreuve. La page. Pourquoi ? Pourquoi ce chemin ? Qu’attendre de cette confrontation ? Le texte est long à s’élaborer. Toujours. Avancée, ratures, effacement. Quelques grappes de mots qui viennent en saccades. Puis la lente mastication. L’exercice de la bouche. Du son. Du rythme. Des syncopes. Des stases. Parfois le rejet. Pourquoi ? Le texte résiste. Il y a comme une lutte. Contre qui ? Contre quoi ? Mot par mot, ligne par ligne. Aller un peu plus loin. Sans savoir ni la destination ni la signification. À l’intérieur, je sens qu’il a une chose à atteindre, il semble même que les mots puissent venir de cette chose, mais je n’y ai pas accès. Les paroles dessinent mon lieu d’exil. En creux. Dans le creux, les mots. Ils suintent avec étrangeté, comme si je pressais une masse poreuse, gluante. Ils viennent avec lenteur, avec parcimonie. Ils raclent. Ils s’arrachent de l’ombre et trainent toujours avec eux cette part d’ombre. Ce mystère. Cette impossible connaissance. À l’intérieur, persiste comme un frottement difficile à décrire et les mots viennent de ce frottement. Copeaux d’une conscience à la dérive, ou d’un entêtement insensé, déraisonnable. Même le corps est engagé. Je le sens dans les bras, les doigts qui frappent le clavier, la poitrine, le ventre. Surtout le ventre. Une sorte de tension sourde. L’intention du corps qui vient frotter un endroit vide, qui n’existe pas et qui pourtant est là. Puissant, invincible. Imprenable. La page demeure là, au lieu du frottement.
C’est une lutte. Une lutte froide, austère, sévère, sans éclat, monotone. Simplement entretenir la tension. L’exacerber. Comme s’il s’agissait de contenir quelque chose qui ne sortira pas. Qui de toute façon ne sortira pas. C’est une lutte froide contre quelque chose qui n’est ni ennemi ni ami, quelque chose qui n’est que dans le creux, que dans l’empêchement, qui ne dévoile sa présence que par le manque. Le paradoxe. Ton absence me manque, dit le frottement, dit le mot qui suinte. Ton manque manque à mon manque, répond la chose en creux. Ton temps manque à mon temps. Il y a le frottement du manque sur le manque dans cette lutte distante, sans éclats, sans grandeur. Il y a la page chaque jour qui se dérobe un peu plus. Avec ce temps de face-à-face, ce drôle de temps qui ne se raccroche à rien d’autre qu’à lui-même : un temps qui n’a pas d’histoire. Lente mastication des mots, scansion, succion, dissection. Il semble que tout réside dans cet enchainement consenti. Cette volonté de le maintenir, et en même temps de le réduire.
Peu à peu, l’amour s’est résigné, a renoncé, s’est absenté de mes mots. Il ne reste plus que la trame vidée de sa broderie, vidée de ses motifs, de son désir, de ses fils de vie. La matrice vidée de son élan, de son exaltation. Extinction progressive de la lumière, dessiccation des chairs de la parole. Le mouvement s’est rétréci. Il ne reste plus que la trame desséchée, dépouillée de sa faim, de ses tentations, un enchevêtrement laminé, accablé, où le souffle ne s’accroche plus.
Aimer et écrire accomplissent le même souffle, la même arche… C’était il y a longtemps… au temps des arabesques…

Franck.

19 mai 2017

- 44 - Dialogue de l'ange et de l'enfant...

Le texte est le labyrinthe obscur de la voix qui tente de le dire.
Le lieu du combat. Le lieu du serment et des dettes. Le lieu des ébranlements, des chaos.
Entre la voix et le texte, il existe toujours une distance. Une résistance définitive. Des temps antagoniques. Des univers irréductibles. La confrontation des points cardinaux.
La parole est une errance qui n’atteint jamais sa cible.
Le destin de l’écriture est un voyage sans fin. Traversée des sables ou des mers. Elle est sans chemin. Elle est en pure perte. C’est ce qui la rend invincible.
Parfois, le silence forme des iles, des portes dans l’océan infranchissable.
Parfois, persévère un reste, un surcroit qui déborde du texte. Parfois seulement. Des mots se décrochent, tombent, comme s’ils avaient trompé la vigilance du porteur de voix. Des mots débordés. Comme le coolie qui renverse l’eau du seau dans son transport. C’est l’eau rare. L’eau fertile. L’eau détournée. L’eau qui ne sera jamais bue. L’eau du retour. L’eau évadée. L’eau libre. L’eau qui fait fleurir les talus, celle qui inventera les routes futures. Des mots perdus. Comme de l’eau renversée.
Parfois, il y a un reste, un surcroit qui déborde du texte.
Parfois seulement.
Cela s’appelle la poésie.
Y a-t-il des paroles qui ne soient pas destinées ? Y a-t-il des paroles qui n’aient pas de direction ? Des paroles évadées, débarrassées des illusions, des sortilèges aussi bien que des grâces. Des paroles sans intention. Existe-t-il des paroles assez égarées, assez perdues ? Existe-t-il des paroles assez pures pour être assez pauvres ?
Coquelicot dans les chaumes d’un champ de blé.
Parole affranchie de la voix des moissons.
La voix se perd dans des paroles jamais assez nues. Toujours impudiques.
Écrire bien au-delà des marges. Dans la pliure. Dans le givre. Dans le désir dessaisi. Écrire dans l’affaissement. Le retrait. La défaite. Voilà, la défaite, jusqu’à l’excès, jusqu’à l’étourdissement. C’est sans doute cela la perte. L’excès, la saturation, le vertige, l’ivresse. Dans la voix suspendue ou dans le silence cent fois enduré. Peut-être que la poésie est aussi, cette transpiration de la voix. Cette sudation. Un excès de fatigue sous le soleil.
Le murmure d’un gisant.
Comme un suintement. L’exhalaison d’un soupir.
Le poème, c’est ce qui sépare la nostalgie du désespoir.
Il y a du fracas là-dedans, comme un éclat de verre qui retient une part de soleil. Coupure du réel. Les vérités sortent de cette coupure. C’est pour cela qu’elles sont rouges.
Il n’y a pas de savoir. Uniquement une voix qui erre dans le labyrinthe sombre du texte. Aucune connaissance ne nous sauve, hormis de pauvres révélations, ce fragile tremblement, qui ne signifient rien de plus qu’un fragile tremblement. Rouge. Nostalgique et rouge et mélancolique. Tremblant.
Une parole dans la pliure de l’univers. Une parole d’angle mort. Un puits abandonné dans le désert, qui s’offre au temps. À la solitude. Au mystère de la soif et de l’attente.
Aux épousailles de l’oubli et du vent.
Alors, seulement commence la parole du ventre, le dialogue de l’ange et de l’enfant.

Franck.

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